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Neurosciences Comment _ les souvenirs naissent septembre 2014 Ramet) Internet 4 Google a changé notre cerveau! HORS-SERIE - N°268 - Septembre 2014 Alzheimer Ce qu'il reste a comp! La mémoire 3 ae EM fresstai 2s) TELECHARGEZ-LA DES MAINTENANT cso due \hR=7) sup VOTRE SMARTPHONE DN septemare 2014 Une pba gape _AXMonpapont rRANCE ees stoacTon Beet SNe coe Fa o1as3s00) F016 84867 ‘ee, cn nortan Cutter dh unc a red at recuse Yee cain FUSION Sewn naman dt Dreret cei coment ae Set Peut-étre vous en souvenez-vous? Ily a quatorze ans, Science & Vie hve SP ct gnc consacrait un hors-série & la mémoire humaine. Nous récidivons Aarne ee hee enfin... et il était temps. En quatorze ans, les neuroscientifiques ont Rjempeqes tre ey Ce, 1 : re’ réussi a s'immiscer dans I'intimité de nos cerveaux, au plus pres des Word Bore 35034 aancaTon neurones, Aujourd’hui, le fameux « engramme », hypothétique trace (ear ck idee) s puacran ower re, biologique d'un souvenir fantasmée par des générations de savants, Renee est presque visible:: elles sont la, sous les yeux de nos microscopes, ‘mune cae les synapses de |I'hippocampe quise transforment pour garderla trace Sprain Oy d'un événement vécu. Aujourd’hui, on comprend enfin pourquoi nos Exerc souvenirs de prime enfance disparaissent. Aujourd’hui, les scien- eeoc onan tifiques parviennent méme manipuler nos mémoires, aussi bien fe teeror pea SK7977 Seatighapenbe que dans les films de science-fiction du siécle demier! Aujourd’hui, beta \d le réle de l'oubli, face cachée déterminante d ST nag enfin, on comprend le réle de Youbli, face jéterminante de Sete la mémoire. En revanche, il y a quatorze ans, l'espoir de nouveaux FESR Sysco stemonts dela maladie q'Alzheimer était det. Bspos dé, ae jusqu’a ce jour. Espérons que V'incroyable moisson de découvertes waders fondamentales engrangées ces demniéres années saura déboucher Tne a naoonceonmtat sur ce traitement tant attendu, S&V-HS SRV Hos Stiee3 22s eS eat SAM de la mémoire a yay teat be Po Cretan Recever Science & Vie et ses Hors-Série Vor bulletin daboonement se trouve en p. 95 Pour corvmander anciens numeros, vous trowerez un bulletin en p. 18 Vous powverausivous abonner per téephnone au 0146-4847 08 ou parintemet sur wwatiosquemag com Upcert omenen ate se cela SSS 4+ Se Hoste SES TROUBLES yaa 78 Alzheimer: Soe sea leffrayante la médecine sioloo)etsje-bele) eet tend é i" BET V9 de la mémoire reer Fishisdadhaan Sepbased yee souvenirs s'éloignent aes Pee Pe cd Penny De \pelevernnelerso sone sep chcCe-ae quand EME Btantoic} ; Cette Prony 119 LOE (o tye ices ete coos} BY S ioe Geri soos que vaut ree oar Nor butntotcyd SRV Hors Stes Retenir un numéro de téléphone, faire ColWn( JoeB e-o)o)-) cvmnUeM ar crete sH CCAR : historique ou personnel... toutes ces 2 x actions font appel a notre mémoife. Ou L plutét nos mémoires, car les scientifiques en distinguent cinq, qui assurent des fonctions différentes. Présentation. Par MARIE-CATHERINE MERAT. PHOTOS: GUILLAUME RIVIERE 8+ Sev Hoste Peace ate Peut-étre la plus indispensable de toutes, Pe RC ee ade Bella euler a eet ee eC Cheeses orth sci Due Cu a a eek Rae lorsque nous demandons & un passant Dee uae Eos mentalement les indications qu'il nous CO ter eee eC ics aprés le feu...). C’est encore grace a elle Pea ia Mker ce cents Cera ieee cme teks Elle nous permet de manipuler en temps UT lr eee EE old besoin pour parler, lire, planifier,réfléchir, fella are laa ore) ee eee cue Mey (voir schéma ci-dessous), elle constituerait Te eu RUC ULC lad Ce tees Hors Série 9 ee etc ean eee ee ua eld | au quotidien, elle est la mémoire du savoir- et des habiletés motrices. Tenir une eee A Raa jouer d'un instrument de musique, eee eee Dt meee cue Ce cue eC uC om CN ud de la mémoire procédurale. Si celle-ci interagit avec les autres types de mémoire See ue ec eee nsec ete) jeu les mémoires de travail et épisodique -, eee eons eet personne souffrant d’amnésie profonde Peete ee Cue Curccrig Pee ac rT Oe ee need Sea oct Perce Race MAAS cédurale ert tg fea cate’ ee etc ean ME ieee qu'exploitent volontiers les publicitaires Et pour cause: elle imprime dans notre eek ec Cuetec (ts Fe eM cet ree te Eee cae ee avant méme que nous leur donnions un sens. eee an ees sion montre un objet & une personne Ce mec gcd pete enon ee ee se ree eee aC cd Rea a ca Ce CME ne tor aes eae cage ones Cette mémoire des sensations, qui s‘appuie sur les organes des sens, faciliterait MUA) A) erceptive Vencodage des souvenirs. Ce qui explique Senter eens eee rae eI Renee ene la mémoire perceptive repose sur les aires sensorielles primaires du cerveau: cortex visuel, auditif, somatosensoriel (pour le toucher), olfactif et gustatif. eee ae| Cortex gustatif visuel erred er | See ne etcetera eek ecu eta re RUS ay Rett eae ares (st | de naissance, diplémes...) et sur le monde | (la statue de la Liberté est & New York...). La mémoire sémantique est donc l'ensemble eeteuereek ic cs Pee eh ee Te eek Re cue ay Peres cui ca te tandis que le souvenir du contexte Roo uence a nr Mec ie erick cals | page suivante). Ces deux mémoires prapddjindbad leer laats | de nos connaissances (le concept de | « conférence », par exemple) se forment | mémoire mantique a partir de souvenirs épisodiques précis (les conférences auxquelles nous avons assisté). Elles sont néanmoins distinctes. Aprés un accident, certains individus ne peuvent Pee eect Quils sont encore capables d’apprendre Cait et Feet ened | sémantique, elle, met en jeu essentiellement. les lobes frontal et temporal gauches. ye Pc rad ae gauche 1} ETC Buatot, eee er neu « souvenirs » est la mémoire des épisodes eau ee ts La naissance d'un enfant, un mariage... Tous les souvenirs épisodiques se rapportent Be eee ee ee es roe re Cee eae ec le répertoire de notre mémoire épisodique Pere na et et ed tres marquants, associés & un bonheur ou & Pcie eas Alene coer nae ce de notre vie. Nombre sont oubliés (ce que Pete ee ue ae de nos anniversaires...) ou « sémantisés ». Ils viennent alors enrichir le répertoire eee aan lorsque vous partirez & la retraite, vous ne vous rappellerez pas en détail chaque jour Pee men acy eee ere at Toe ete acc Pca a et uae Pog reed Ee ac des souvenirs épisodiques: le cortex Peace ener cao SRV Hos Stes 17 SCIENCE@VIE Nouvelle croisiére oT a UU Meee iets) LES POINTS FORTS DE UOTRE CROISIERE © © Une croisiée inoublabe par sa richesse scientifique, cultuele et humaine. ‘Des tarifs et prestations exclusifs aux lecteurs Science & Vie. ‘© Un parcours passionnant avec des sites chargés d'histoire. © Une croisiére pour les enfants avec des ateliers ludiques et scientifiques. ee Cee ce bea) TT Bac Telwo EM Be Cy 4 ‘i. \ Reta teedear eats Poca ele a Tune ey o ny AY) Bs PALMA ¢ TUNIS ¢ PALERME ¢ NAPLES ¢ SAVONE FRANCE Marseite QS? LE PROGRAMME DE VOTRE CROISIERE a \ + Frangots de Closets asiner pluie contrences dont age ce qu'il doit faire» le roman-vrai d’Albert Naples Etosten et eAlerte 3 Vorthogaphe. « Yues Coppeas, membre de Readénie ds Scenes tienda dex conferences Les rns de homme odysste de Cespéces et ce méier de paltoatopolotu . eh + Mathilde Fontes’, jouraliste scientifique, spécialiste de é SICILE Osta Vastrophysique vous initiera aux mystéres de univers. Tins P et dares conftreaces et aniutions dat det tales de i 8080 OU COSTA. aviation | découri danas brochure, TUNISIE »,, imeorenaanen “aut Des excursions vous serontpropostes avec des viites de sites presi, tls que Pompei, Carthage ete musée du Bard, apes souterine ou le Véswe | SCIENCE & VIE homme et de l’univers du 20 au 27 octobre 2014 - Vacances de la Toussaint ERT Cw aren ar 890* Oat ec) ae rere ey te Reet Tan Race ae \ Spécial vacances de la toussaint Gratuité croisiére enfants -18 ans” + ANIMATIONS SPECIALES JUNIOR RENSEIGNEMENTS & RESERVATION AU : 0 811020033 Fea DT ERO a cay OU SUR LE SITE : http://origines.scienceetvievoyages.com (Compléter, découpez et envoyer ce coupon & SCIENCE & VIE CROISIERES - CS 50273 - 27082 EVREUX CEDEX 9 CIENCEAVIE CI OUI, Je sounarTe RECEVOIR GRATUITEMENT ET SANS ENGAGEMENT LA DOCUMENTATION COMPLETE ; DE LHOMME ET DE L'UNIVERS proposée par Science & Vie Crosiéres. Prénom : Date de naissance: 1 JL Jt. 114 Secon oess no Oe ae ae” OSSta oy Qu’'est-ce qu’un souvenir? SI Korerd Lf Rotor uciel sETeonin wc) 36 SRBC he ROOM} Yonica UY, Mémoires danimaux 50 BOs ere) 1c) comme pense-béte Ses secrets OQu'est-ce quun souvenir ? Le processus par lequel une scéne vécue s'imprime dans notre cerveau est longtemps demeuré insondable. Mais grace a l'imagerie et a Ja génétique, les neuro- scientifiques commencent enfin a décrypter la biologie des souvenirs. Par MARIE-CATHERINE MERAT 7 était‘ly atrois, dix, rente ans. Le jour 0 vous avez décroché votre premier oulot, la soirée mémorable du ma- riage de votre meilleur ami, ou encore la scéne de cette incroyable gamelle a vélo qui vous a conduit rhopital. Que 'on cherche a les revivre ou qu'un, indice nous transporte accidentellement dans notre = ‘passé, les souvenirs sont la, & fleur de conscience, 2 en chacun de nous. Mais de quelle nature est-elle, § cette trace laissée en nous par une ambiance, 2 des sensations, un événement, des images, une 3 oar an arnt? bear uae rant end siologique une chose aussi insaisissable est-elle 9 ancrée? Quelque part dans l'extréme complexité 2 de notre cerveau, parmi des milliards de neurones, 7 reliés par des millers de miliards de connexions 3 et d'innombrables molécules chimiques... Mais = ou exactement? En s'appuyant sur I'imagerie et ° la génétique, les neuroscientifiques commencent £ tout juste a percer ce mystére, § SRV Hors Série» 23, Ses secrets [a1 Pour le comprendre, partons aux sources du sou- venir. Celui que vous étes peut-étre en train de fabriquer en ce moment méme, tandis que vous lisez cet article. Que se passe-t-il a cet instant? ‘Tous vos sens sont en éveil. La vision (vous visua- lisez ce texte mais aussi le lieu dans lequel vous vous trouvez, les autres personnes présentes), audition (peut-étre écoutez-vous de la musique en lisant), l'olfaction (l'heure du repas approche, un fumet s'échappe de la cuisine), mais aussi, bien ‘sir, l'oule, le toucher et le goat. qu'un souvenir ?] UNE SYMPHONIE DE NEURONES Dans votre cerveau, les structures sensorieles char- g6es de traitor les différents stimuli se mettont au travail. Dans le cortex visuel, par exemple, des neurones spécifiques s'activent, les uns chargés de reconnaitre les visages, d'autres dédiés au co- dage des lettres, d'autres aux couleurs... Tels les instruments d'un orchestre, chaque neurone joue sa propre partition, & son rythme, les notes étant {oi autant d'impulsions électriques. Ensemble, ces neurones créent une mélodie (un « motif d'activités neuronales »), unique par sa composition (la loca- lisation des neurones) et son rythme (la fréquence des impulsions électriques). Ete méme phénoméne alieu dans les cortex auditif et olfactif. « Ces conti- gurations dynamiques d'activité neuronale dans différentes structures du cerveau permettent de coder différents aspects d'un souvenir, comme la forme des objets, les couleurs, des odeurs ou des saveurs, des visages, le lieu lui-méme, le sujet d'une ‘conversation... », explique Serge Laroche, directeur du Centre de neurosciences Paris-Sud, & Orsay. ‘Mais a ce stade, l’épisode vécu en direct n'est pas encore un souvenir. Il induit simplement une somme de motifs d'activités neuronales confinés dans diverses régions cérébrales, telles les piéces éparpillées d'un puzzle. Comme le précise John Wixted, professeur a 'université de Californie, & San Diego, « le cortex ne peut pas rapidement lier ‘ensemble ces régions séparées pour former une mé- ‘moire cohérente ». En revanche, une autre structure cérébrale le peut: hippocampe. C'est a, dans cette petite région nichée au cozur du cerveau, au niveau des tempes, que se forme la mémoire épisodique, colle des événements de notre vie, autrement dit la forme la plus complete et complexe d'un souvenir, 2 colle qui fait intervenir toutes les autres (voir p. 16). 3 Sans hippocampe, aucun épisode vécu ne pourrait s‘ancrer durablement dans notre esprit. est lui qui 2 conserve une trace des événements passés, quiles 24» SeV Hos Ste OT olU Nn mimeo] aks) Ds ee ete Preece rua oy ici celle d'un mariage, des neurones s'ctivent, Pu ee rete UN MOTIF UNIQUE eke LPT ei adeidas Peet ee rere react en.un seul signal (veritable cart spatio-temporelle des zones du cerveau activées), Pov uid Saaarcteu tee aie) eremenieyeous Teer ee a eu Peet er er neu (connexions entre neurones), puis de nouvelles synapses se forment, ce qui renforce le réseau de neurones. NOU ae als} NTs ROMULUS sts, goto errs] ov } . ~ or ay eee ee y ewe = ae 7 —- fet eT Uae —! AMA \ Pnertsera ssa Ses secrets [qu'est-ce qu'un sou inscrit dans le temps et 'espace. Le oélébre patient Henri Molaison, dit « HM », bien connu des scien- tifiques, en est une parfaite illustration. Suivi parla neuropsychologue canadienne Brenda Milner dans les années 1950, son cas a révélé le rdle crucial de cette région cérébrale dans la mémoire. L’homme, qui souffrait d'une épilepsie résistante aux médi- caments, se vit retirer une large portion de I'hippo- campe dans les deux hémisphéres. Or, siles crises diminuérent suite a Vopération, il lui fut dés lors impossible de former de nouveaux souvenirs. Tous les jours, a chaque instant, a chaque seconde, les informations relatives a ce que nous vivons parviennent a I'hippocampe. Pour éviter de surcharger le cerveau et éliminer les informations nous mémorisons aussi des choses sans qu’elles soient liées @ une forte émotion. Pourquoi? On ne le sait pas vraiment, concéde Serge Laroche. Crest le cerveau qui décide! » Quoi qu'il en soit, les multiples informations sen- sorielles provenant des différentes aires corticales se retrouvent comme par magie combinées dans cette seule et méme région cérébrale. « En fait, il faut voir 'hippocampe comme un systéme d’adres- sage. Quand un événement important se produit, Thippocampe prend une adresse de ce qui s'est passé dans les différentes régions du cerveau, de fagon 4 pouvoir les réactiver parla suite », suggére Dominique Milller, professeur de neurosciences & Yuniversité de Genave. Et cette adresse est co- L'hippocampe prend une adresse de ce qui s'est passé dans les différentes régions du cerveau, de fagon a pouvoir les réactiver inutiles, un tri est effectué a notre insu, en amont, par une autre structure cérébrale: I'amygdale. C'est elle qui jauge le contenu émotionnel de ce que nous sommes en train de vivre, et qui filtre les souvenirs qui seront conservés dans I’hippocampe. Les événements effrayants ou heureux impliquent, par exemple, une forte activation de cette struc- ture, laquelle, en retour, informe I'hippocampe de Vimportance de renforcer leur stockage. « Parfois, 26+ S8V Hors Ste dée de fagon bien spécifique dans les neurones hippocampiques. Comment? Répondre a cette question reviendrait @ « cracker » ce code. Les neuroscientifiques y travaillent activement, mais lls en sont encore loin. Une théorie émerge néanmoins, issue des neuro- sciences computationnelles, discipline qui utilise des approches mathématiques, physiques et infor- matiques pour comprendre le cerveau. « Selon les neurosciences computationnelles, pour que I'hip- pocampe puisse prendre en charge toute une série de souvenirs épisodiques formés en une succession rapide, le codage doit étre clairsemé », rapporte John Wixted. Un trés faible pourcentage de neu- tones serait done impliqué, quelques centaines quelques milliers seulement, sur les milliards que compte le cerveau. Ainsi, le réveil d'une par- tie seulement de ce circuit — via la confrontation & une odeur, une image... - suffirait a réactiver I'en- semble de la trace conservée dans Ihippocampe 3 et, in fine, a raviverle souvenir! Une prédiction théorique que semble confirmer experimentation. En juin dernier, John Wixted et son équipe ont en effet annoncé étre parvenus @ enregistrer l'activité de neurones individuels dans Y'hippocampe de neuf patients, dont I'épilepsie né- cessitait implantation d’électrodes dans le cerveau. 3 fait mémoriser une premiere série de mots, créant pour chacun un souvenir contextualisé (Ia salle de test). Puis ils leur ont soumis une seconde série, qui contenait des mots précédemment vus et d'autres mots, jamais présentés. Or, ce qu'ils ont observé ne souffre aucune ambiguité : seule une petite fraction de neurones, environ 2 %, s‘activaient a la vue de chaque mot mémorisé. « Pour chaque souvenir, ’hip- Pocampe génére un motif spatio-temporel {un petit oy réseau de neurones qui générent des impulsions jectriques selon une fréquence donnée]. Cette carte d’activation neuronale est ’équivalent structu- rel de l'information qui est en train d’étre stockée », analyse Dominique Milller. Mais ce motif, cette carte neuronale, n'est pas encore stable. Le souvenir n'est qu’au bord d’étre durablement formé, DES CONNEXIONS RENFORCEES Pour que le réseau de neurones se maintienne et que le souvenir perdure, il doit étre consolidé. Les connexions entre neurones, les synapses, doivent étre renforcées. Comment? Grace a un processus appelé « potentialisation a long terme » (PLT), qui obéit a une loi simple la force de la synapse entre deux neurones se trouve renforcée si ces neurones sont simultanément actifs. « La PLT correspond a la propriété des synapses d’étre modifiables, de se renforcer aprés de braves décharges neuro- nales intenses et de rester modifiées pendant des semaines, des mois, voire des années, laissant une trace quasi permanente dans les réseaux neuronaux activés », précise Serge Laroche. Concrétement, lorsque ce réseau du souvenir s'ac- tive dans ’hippocampe, dés les premiéres minutes, une cascade de processus moléculaires au sein des Les synapses restent renforcées pendant des semaines, des mois, voire des années, laissant une trace quasi permanente dans les réseaux neuronaux activés DIRECTEUR DU CENTRE DE NEUROSCIENCES PARIS-SUD (niversir€ Paris-Suo-XI/CNRS), A Orsay. SB Hoc Stiee27 neurones s'enclenche, qui aboutit & 'insertion de nouvelles protéines, les récepteurs AMPA, au ni- veau des synapses. Sur ces récepteurs se fixe du glutamate, un neurotransmetteur qui assure la com- munication chimique entre les neurones. Le nombre de récepteurs augmentant, la communication entre neurones est ainsi rapidement amplifiée. Puis, dans Jes heures qui suivent, d'autres processus plus pro- fonds se mettent en branle. « Certaines protéines activent d'autres protéines, qui elles-mémes en activent d'autres... jusqu’a entrer dans le noyau ‘du neurone pour modifier "expression de génes », résume Serge Laroche. A partir de ces génes sont synthétisées de nouvelles protéines qui, progressi- vement, modifient la morphologie de la synapse, en augmentent a taille, en changent la courbure, voire engendrent la formation de nouvelles connexions, Peu a peu, le réseau de neurones activé dans I'hip- pocampe se renforce, et le souvenir s'ancre dans notre esprit. Avec un microscope adapté, on pourrait tune mémoire de ces objets et de leur position dans espace. Dans les heures qui suivent cette explora- tion, de nombreux génes sont actives dans les neu- ones de leur hippocampe, dont Zif268. Or des souris ‘mutantes, chez lesquelles ce géne est inactivé, sont incapables de former un souvenir durable de l'en- vironnement qu’elles ont exploré:: passé quelques, heures, elles ne reconnaissent plus les objets, ne savent plus en retrouver I'emplacement. UN TRANSFERT VERS LE CORTEX Mais ne nous y trompons pas, I’hippocampe n'est, pas le seul support de nos souvenirs. Son réle est ‘uniquement de conserver, en un réseau de neurones savamment orchestré, le chemin nous permettant d'y acoéder. De le « rappeler » comme disent les spécialistes. Car peut-étre que demain, ou dans quelques semaines, vous vous souviendrez fortui- ‘tement de cet article qui vous aura marqué pour une raison ou pour une autre. Un indice, un mot dans Avec un microscope adapté, on pourrait quasiment imaginer visualiser I’« engramme », l’empreinte biologique du souvenir! donc quasiment imaginer visualiser|'« engramme », Yempreinte biologique du souvenir! ‘Qu’un rouage défaille dans cette mécanique bien huilée et c'est le souvenir qui se perd. Plusieurs 6quipes 'ont démontré chez I'animal. Lorsque des souris sont placées dans un environnement nouveau oi elles peuvent explorer des objets, elles forment 28-S8V Hos Ste une conversation, une ambiance ou, plus simple- ment, le fait de vouloir vous en rappeler & l'occasion d'une discussion vous replongera dans 'instant ol ‘vous avez lu ce texte, Comment? Lors du rappel (vo- lontaire ou non) d'un souvenir, la carte neuronale imprimée dans I'hippocampe se réactive. Laquelle mobilise a son tour les régions cérébrales qui ont présidé a la formation du souvenir: cortex visuel, olfactif, auditif, ete. Tandis qu'un dialogue entre I'hippocampe et le cortex préfrontal permet au souvenir de ressurgir @ la conscience. 1 semblerait que les choses soient un peu dif- {férentes pour les souvenirs les plus anciens. Si le patient HM était incapable de forger de nouveaux souvenirs et de se rappeler les événements vécus Ses secrets [qu'est-ce qu'un souvenir 7] en revanche parfaitement d’épisodes vécus dans sa jeunesse. « Beaucoup de données suggérent qu'il existe une sorte de prise de pouvoir du cortex sur hippocampe pour les souvenirs les plus anciens », confirme Serge Laroche, Peu a peu, les mois, les an- nées passant, les souvenirs seraient comme transfé- és de 'hippocampe vers le cortex préfrontal, selon des mécanismes encore mal compris. Potentialisation a long terme, renforcement des connexions synap- tiques, « toutes les données actuelles suggerent qu'il se passe au niveau cortical les mémes mécanismes que ceux qui ont lieu dans I'hippocampe ». Progressi- ‘vernent, les neurones du cortex préfrontal créeraient des liens privilégiés entre eux. Cette externalisation du souvenir, cette sauvegarde a long terme dans le cortex, hors de 'hippocampe, explique donc en par- tie pourquoi, paradoxalement, ce sont souvent nos souvenirs les plus anciens qui sont les plus stables. Reste que les souvenirs, nous le savons tous, ne sont pas un enregistrement fiddle de l'expérience vécue. Nous les remodelons sans cesse (voir p. 62). Comment? Justement en les rappelant. Car se remémorer, c'est aussi reconsolider. Dans I'hippo- campe, des mécanismes de plasticité sont & nou- veau mis en route lors du rappel: activation de récepteurs synaptiques, régulation de génes, syn- thases de protéines... « Ce processus de reconsoli- dation permettrait aussi d'incorporer de nouvelles informations au souvenir, de le réactualiser. En fait, lors du rappel, il se produit une consolidation d'un souvenir légérement différent », releve Serge Laroche. Loin d’étre définitivement gravés dans les circuits cérébraux, les souvenirs sont donc mal- \éables, modifiables. Finalement, aucun ne refléte quelques années avant son opération, isesouvenait a 100 % la réalité de ce qui eut lieu... ° LA LONGUE QUETE DE LENGRAMME Cestle zoologiste Richard —_performancesmnésiques des souvenirs autobio- toute capacité a former Semon qui, en 1921, ddesrongeurs.llen déduit _graphiques. Lorsquilsle de nouveaux souvenirs proposeletermed'«en- quel/engrammernest pas _stimulent lectriquement, et manifeste une amnésie gramme » pour désigner _localisé dans une région des patients se mettent _rétrograde: ine serappelle Vempreinte biologique que _précse, mais répart Aévoquerdesépisodes _plus des événernents vécus laisse unsouvenirdansle _surensemble du cortex. _précisde eurvie! Laquéte quelques années avant cerveau.Dixans plustard, Mais, en1950,lesneuro- de 'engrammese précise _opération. Depuis, de le psychologue américain _chirurgiens canadiens encore quand,en 1953, __nombreuses études menées Karl Lashley se met en Wilder Penfield et Theodore le neurochirurgien Wiliam chez le rongeur, le singe et quéte de 'engramme chez Rasmussen découvrent, en. Scoville retire de larges por- homme ont confirmé le lerat,enpratiquant des\é- operant des patients épilep- tions des deuxhippocampes _rble crucial de Vhippocampe sions en différentes régions _tiques, que leobe temporal aupatient HM, danse but dans la formation et le stoc- ducerveauet enobservant mécian semble jouerun de soignerson éplepsie. kage des souvenirs. Cest 3 lesconséquencessurles _rle-clédansle stockage homme perd alors que résiderait engramme. SRV Hos Sties29 Ses secrets Quand la science prend le controle Non, ce n'est pas de la science-fiction : les scientifiques peuvent manipuler les souvenirs! Connaissant mieux le fonctionnement de notre mémoire, ils savent désormais bloquer la fixation de souvenirs ou en modifier le contenu. Par Marie-CaTHerINe MERAT ‘ans Total Recall, le film de Paul Verhoe- ‘ven (1990), Amold Schwartzenegger est ‘manipulé par de faux souvenirs implan- {és contre son gré dans son cerveau. Dans Btornal ‘Sunshine of the Spotiess Mind, de Michel Gondry (2004), Jim Carrey a recours la chirurgie pour etfacer Je souvenir obsédant de 90n ex-amoureuse. Les sct- naristes de Hollywood ne connaissent pes de limites lorsqu'll s‘agit de trafiquer la mémoire humaine, Pure science-fiction? Non! Manipuler les souve- nirs, Jes modifier, les etfacer... Depuis une quinzaine années, les scientifiques savent le fsire eux aussi! 3 Preuves en sont les spectaculaires expériences des § nourosciemtifiques Susumu Tonegawa, prix Nobel § japonais, ou Sadegh Nabavi, de Tuniversité de San § Diego, qui sont parvenus & manipuler des souvenirs ‘chez des rongeurs gréice & Toptogénétique, une tech- > nique qui consiste& rendre ies newrones sensbies & © Ja lumiére pour los activer ou les désactiver sur com: £ mando, via une fibre optique reliée a leur cerveau. Sti Hers Séee+31 ‘Mais c'est désormais chez I'homme que les expé- riences sont les plus troublantes. Fin 2013, le Néer- landais Marijn Kroes a réussi a gommer un souvenir précis chez des volontaires. Son équipe a demandé a 42 grands dépressifs, qui devaient subir des électro- cchocs pour traiter leur maladie, de participer & une étude. Deux histoires marquantes (un accident de voiture et une agression) leur étaient présentées sous la forme d'une suite d'images commentées, Une semaine plus tard, juste avant que ne débute la séance d’électrochocs, les scientifiques les ame- najent & se remémorer l'une des deux histoires, en. leur montrant une partie des images associées. « Notte idée était que le souvenir de cette histoire deviendrait ainsi instable et donc potentiellement effacable », rapporte Marijn Kroes. De fait, le jour suivant, les patients avaient toutes les peines du monde a se souvenir de I'une des deux histoires, précisément celle qu'ils avaient « réactivée » juste avant les électrochocs. En revanche, ils se rap- pelaient parfaitement de l'autre série d'images. Comment l'expliquer? « Quand vous réactivez un souvenir puis que vous perturbez ce processus, ici par les électrochocs, vous affaiblissez voire éliminez 32+S8V Hos Ste complétement les connexions qui s'étaient formées ‘pour stocker ce souvenir dans le cerveau », explique ‘Marijn Kroes. ly a ne serait-ce qu'une quinzaine d'années, le chercheur n’aurait pas osé envisager cet effet: « Nous pensions que les souvenirs ne chan- geaient pas, que nous pouvions les rappeler régulié- rement et qu'lls restaient toujours stockés tels quels dans le cerveau », se souvient-il. Mais c'était avant Vexpérience, déterminante, de Karim Nader. EFFACER LE SOUVENIR DE LA PEUR En 1999, l'équipe dirigée par ce chercheur de § Yuniversité McGill (Canada) conditionnait des rats & avoir pour d'un son en leur envoyant simul- tanément un choc électrique dans les pattes. Un apprentissage associatif trés courant en neuros- ciences : rapidement, la simple écoute du son suffit A terrifier les rats, quisefigent. La ollles Canadiens ont innové, c'est en réactivant ce souvenir doulou- reuxa 'aide du son, tout en injectant dans leur cer- ‘veatt une molécule chargée de bloquer la synthése de protéines. Le jour suivant, quand les chercheurs les exposaient a nouveau au son redouté, les ron- geurs n’avaient quasiment plus de réaction, preuve AES RADECUD UN z z qu'ils avaient éliminé de leur mémoire le souvenir de peur précédemment formé! Depuis, les études de ce phénoméne de reconso- lidation se sont multipliées, et montrent bien qu’a chaque fois qu'un souvenir est rappelé, il devient fragile. Pour se maintenit, il doit étre a nouveau consolidé. Comme lors de son stockage, de mul- tiples processus moléculaires sont nécessaires: des connexions entre neurones doivent étre renforoées, ce qui nécessite la synthase de protéines, l'activa- tion de génes (voir p. 22)... Pourquoi un tel ramdam_ cérébral & chaque remémoration? « Hormis les sou- venirs émotionnels, la mémoire se fragmente conti- nuellement et perd sa stabilité et son acuité avec Ses secrets [la science prend ntr6le] du souvenir, qui dure jusqu’a quelques heures, qui intéresso au plus haut point les scientifiques. Car Join du fantasme hollywoodien, ils ne cherchent pas manipuler l'identté de leurs patients, mais ima- ginent traiter certains troubles de la mémoire, au premier rang desquels le stress post-traumatique (u PTSD, selon Yacronyme anglais), une patholo- gie caractérisée par 'intrusion répétée de souvenirs indésirables. Soul probléme: les molécules actuel- Jement testées chez les animaux, parmi lesquelles les inhibiteurs de synthése protéique, sont toxiques our 'homme. Sans compter qu'il faut les injecter directement dans le cerveau! LES VERTUS DU PROPANOLOL Certaines équipes misent donc aujourd'hui plutot sur des molécules pharmacologiques déja commer- cialisées, comme le propanolol. Développé dans les années 1960, ce médicament est un bétabloquant destiné a traiter 'hypertension. Mais la également une autre propriété: il empéche le neurotransmet- teur noradrénaline de se fixer sur ses réceptours dans Y'amygdale, une petite région du cerveau im- pliquée dans le traitement des émotions. D'oi'dée de Vutiliser pour affaiblirles souvenirs traumatiques chez les personnes atteintes de PTSD, En 2007, une équipe conduite par les neuro- Psychiatres Alain Brunet, de I'université McGill a Montréal, et Roger Pitman, du Massachusetts General Hospital a Boston, a ainsi mené un premier essai retentissant avecle propanolol. Ils ont recruté 19 patients atteints de PTSD et leur ont demandé @’écrire un rapport détaillé de ce quileur était arrive sur une feuille de papier. Puis ils les ont séparés en deux groupes auxquels ls ont donné soit du propa- nolol ou soit une molécule placebo. Une semaine plus tard, les participants sont revenus au labo- Tatoire, ot ils ont écouté un enregistrement d'une personne quilisait a haute voixle récit qu’lls avaient Quand vous réactivez un souvenir puis que vous perturbez ce processus, vous l’empéchez de se maintenir dans le cerveau Je temps, explique Isabelle Mansuy, professeure & T'institut de recherche sur le cerveau a 'université de Zurich et a I'Eoole polytechnique fédérale de Zurich (Suisse). Cette re-stabilisation des traces mnésiques est une étape indispensable au maintien des souve- nirs. » Un rappel qui modifie parfois le contenu de ces traces, qui les actualise en y intégrant de nouveaux éléments, générant parfois des souvenirs complete- ‘ment faux (voir p. 62)! C'est cette fenétre de fragilité rédigé quelques jours plus tot. Pendant ce temps, les chercheurs enregistraient leurs battements cardiaques ainsi que divers parametres physio- logiques destinés a évaluer leur niveau de stress. Comme espéré, le groupe qui avait regu le propa- nolol a manifesté beaucoup moins de stress que le groupe placebo. Depuis, les scientifiques ont obtenu les mémes résultats dans d'autres études. « Nous terminons actuellement un essai au Népal, sur SRV Hors Stiee 33 Ses secrets [la science prend le contréle] des victimes de la torture. Nous avons comparé Teffet du propanolol avec celui d'un antidépres- seur classiquement donné contre le PTSD, et il apparait que le propanolol fonctionne aussi bien sion mieux », rapporte Alain Brunet, Diautres équipes ont choisi une approche diffé- rente pour manipuler la mémoire, en misant sur notre faculté & modifier nos souvenirs. C'est ainsi qu’en 2012 Yan-Xue Xue, de l'université de Pékin, est parvenu avec son équipe a éliminer le souvenir du besoin de drogue chez d'anciens héroinomanes, sans avoir recours a la pharmacologie. LA METHODE DU RAPPEL-EXTINCTION Yan-Xue Xue a tout misé sur la méthode du rappel- extinction. Elle consiste a réactiver le souvenir puis a profiter de la reconsolidation, pendant laquelle il est fragile, pour I'atténuer. Les scientifiques ont d'abord exposé les volontaires a des vidéos (une scéne d’injection d'héroine, par exemple), réacti- vant le souvenir du besoin de drogue. Puisles sujets ont été séparés en trois groupes. Immédiatement, dix minutes ou six heures plus tard, ils subissaient quatre sessions d'exposition a divers éléments rap- pelant I’héroine (vidéos, matériel, drogue factice...) Liidée était de réactiver plusieurs fois le souvenir, sans l'associer a la prise réelle d’héroine. Le souve- nir de la « récompense » associée au désir s'efface ainsi peu peu. « C'est comme quand un animal a 16 conditionné a recevoir un choc électrique dans un contexte donné:: ilredoute ce contexte. Mais sion Ty replace des dizaines de fois sans qu’aucun chocne survienne, son souvenir de peur finit par s'atténuer », ‘compare Serge Laroche, directeur du Centre de neu- rosciences Paris-Sud. Résultat de lexpérience: le souvenir pathologique s'est trouvé fortement atténué chez les héroinomanes qui avaient suivile protocole d'extinction dix minutes aprés la réactivation, juste contraire un mécanisme permanent et actif! « On ‘oublie tout le temps plein d'informations. Si je vous demande ce que vous avez pris au déjeuner ily a trois jours, vous ne vous en souviendrez pas, car co n'est pas nécessaire. » Loin d’étre une faiblesse, Youbli aurait ainsi pour fonction d'éviter la satura- tion de la mémoire et de permettre au cerveau de sélectionner les souvenirs utiles. Comment? Grace une molécule-clé, la protéine phosphatase 1 (PP1). C'est ce qu'a mont il y a quelques années l’équipe d'Isabelle Mansuy en modifiant génétiquement des souris de fagon & contrdler l'activité de cette molé- cule. Les scientifiques les ont soumises, ainsi que des La découverte de la protéine PP1 a montré que I’oubli est un processus actif. Se souvenir, c'est simplement arréter d’oublier! pendant la fenétre de reconsolidation du souvenir. A croire que chez eux, la trace avait été réactualisée, débarrassée des éléments & effacer. ._ Mais plutot que de perturber la consolidation ou 2 1a reconsolidation du souvenir, le Graal ne serait-l 2 pas de percer les mécanismes naturels de 'oubli? 7 Les neuroscientifiques s'en sont longtemps désinté- : ressés. « Pendant des années, on a considéré l'oubli 3 comme une simple usure de Ja mémoire », raconte = Isabelle Mansuy. Or il nen est rien: Youbli est au 34+ S8V Hos Ste souris normales, a un test de reconnaissance d'objets. ‘Résultat: les souris normales (non modifiées) appre- najent plus facilement a reconnaitre des objets quand cing sessions d’entrainement leur étaient proposées, séparées de 15 minutes chacune, plutét qu'une seule session de 25 minutes. Ce n'est pas une surprise: « Chez 'homme, c'est la méme chose. Si l'on veut apprendre le chapitre d'un livre, mieux vaut y consa- rer trois jours et se ménager des pauses, plutot que d’y passer la nuit! », observe Isabelle Mansuy. En. revanche, les souris génétiquement modifiées, chez lesquelles cette « molécule de Youbli » était suppri- méo, étaient capables d'apprendre aussi bien en plusieurs sessions qu'en une seule de 25 minutes. Comment l'expliquer? « La PP1 est active en per- ‘manence. Le cerveau a besoin de temps pour Iin- hiber », explique la neuroscientifique. Se souvenir, Cest anéter d’oublieren somme! Bt!’équipe est allée plus loin en démontrant quela FP1 est en partie res- ponsable des deficits de mémoire iés & lage. Suite aun apprentissage quel qu'il soit, des souris agées normales montrent déja des deficits de mémoire au Dout de un jour. Or des souris agées génétiquement modifiées, chez lesquelles la PP1 a été désactivée, se souviennent encore quatre semaines plus tard! Pourquoi, dés lors, ne pas imaginer inactiver la PP1 chez des personnes atteintes de a maladie d'Alzhei mer ou d'autres dégénérescences de la mémoire? « Le probleme, c'est que les protéines phospha- tases, comme la PP1, sont partout. Elles sont trés abondantes et n'interviennent pas seulement dans la mémoire, 1 est donc trés difficile de les cibler au niveau pharmacologique, précise Isabelle Mansuy. 11 faudrait trouver des composants que l'on puisse faire entrer dans le cerveau et qui n’atteignent pas d'autres organes. » Qua défaut, développer d'autres stimulants cognitifs, un champ de recherche en pleine explosion. Ampakines, BDNF, PKMzeta, D-cyclosérine... les pistes sont nombreuses et les modes d'actions multiples. Renforcement des connexions neuronales, activation de récepteurs cérébraux... Toutes ces molécules ont l'objectif de démultiplier les capacités de notre mémoire, Demain, il sera sans doute possible d’augmenter notre disque dur interne a 'aide d'une simple pilule. Quant savoir oi se positionneront ses limites, voila un champ de recherche sur lequel devront sérieuse- ment plancher les neuroscientifiques. Car si notre cerveau a développé une telle capacité a oublier, ce n'est sans doute pas pour rien, e SRV Hoc Stee 35 a a Ses secrets Le mystere des souvenirs d’enfance Pourquoi oublie-t-on sa toute petite enfance? La question de l'amnésie infantile intrigue les chercheurs depuis plus de un siécle. La psychologie et la neurobiologie apportent aujourd'hui des réponses, mais une part de mystére persiste. Par CorAtie HANCOK uel est votre plus ancien souvenir? La bouée a téte de canard de vos pre~ miéres vacances a la mer? Une ren- contre magique avec le pére Noéi dans un grand magasin? La naissance de votre petit frére? Quelle que soit sa nature, il y a peu de chance que votre tout premier souvenir soit antérieur a votre deu- xieme, voire troisiéme anniversaire: nous oublions tous nos premidres années de vie. Baptisé « amné- sie infantile », ce phénoméne universel intrigue psychanalystes et psychologues depuis plus d'un siécle. « A mon avis, on a tort d'acoepter comme un fait naturel le phénomene de I'amnésie infantile, de ‘absence de souvenirs se rapportant aux premiéres années. On devrait plutét voir dans ce fait une singu- liere énigme », écrivat ainsi Sigmund Freud en 1910. Le pare de la psychanalyse résolvait cette énigme par I'hypothése que les souvenirs de la prime en- fance, trop marqués par une problématique cdli- pienne et incestueuse, sont rendus inaccessibles & 5 SRV Hos Stiee37 Ses secrets [I notre conscience par un mécanisme de refoulement. Mais depuis la psychologie cognitive et la neurologie ont multiplié les recherches pour donner leur propre grille de lecture de 'amnésie infantile. ENTRE 7 ET 8 ANS, UN AGE CHARNIERE En janvier dernier, une étude publiée par la psy- chologue américaine Patricia Bauer, de l'université Emory, a Atlanta, permettait ainsi pour la premiére fois de cemer la chronologie précise du phénoméne. Lors d'une premiere session, des meres étaient in- vitées a engager la conversation avec leurs enfants gés de 3 ans et demi sur six événements récents. Puis, lorsqu’ils avaient 5, 6, 7, 8 ou 9 ans, les enfants revenaient au laboratoire pour étre interrogés par les chercheurs sur ces événements, Résultat: tan- dis que les enfants de §, 6 et 7 ans s’en souvenaient Aplus de 60 %, moins de 40 % de ceux de 8 et 9 ans s'en remémoraient. Autrement dit, c'est entre 7 et de Ihippocampe), moins les souvenirs étaient pré- sents. Or, 'hippocampe est justement l'aire céré- brale impliquée dans la formation de la mémoire épisodique! A inverse, lorsque la neurogendse était inhibée par I'action d'une substance chimique, les rongeurs gardaient plus de souvenirs. Méme s'il est impossible de réaliser des expériences identiques chez homme, « il est raisonnable de penser que Yamnésie infantile est due, au moins en partie, @ un niveau plus élevé de neurogenése durant ’en- fance », conclut Paul Frankland, apparition de nouveaux neurones permettrait donc de nouveaux apprentissages, aux dépens d'apprentissages plus anciens. « Le gyrus denté cst aire impliquée dans ce que Ion appell la fonc- tion de séparation de pattern. C'est elle qui nous permet de discriminer les événements les uns des autres. Sans lui, on sait qu'on a vécu un événement, ‘ais on ne sait pas le situer dans le temps, explique Pierre Lavenox, neurobiologiste a université de Fri bourg (Suisse). est donc tout a fait possible que la neurogenése qui s‘effectue dans le gyrus denté ait La synthése de nouveaux neurones, particuliérement active durant I’enfance, serait I'une des causes de I’amnésie infantile 8 ans que se situerait I'age chamiére de 'amnésio infantile. Reste a comprendre comment ces souve- nirs se sont effacés. A cette question, étude publiée en mai demier par 'équipe de neurobiologistes de I'université de Toronto propose une intéressante réponse. Lors d'expériences menées sur plusieurs espéces de ron- geurs, Paul Frankland et ses collagues se sont aper- (gus que plus la synthése de nouveaux neurones était, active dans le gyrus denté ('une des sous-structures 38 -S8V Hos Ste un impact sur cette fonction et, de ce fait, soit impli- quée dans Ie phénoméne de I'amnésie infantile. » Paul Frankland le reconnait néanmoins lui-méme «La création de nouveaux neurones dans I'hippo- campe ne constitue que I'un des multiples aspects de la maturation du cerveau. Durant les premiéres années de vie, de nombreuses choses changent dans le cerveau: les fibres nerveuses se myélinisent — ce qui permet un transfert des informations plus ra- ides -, le cerveau grossit (pas seulement du fait de Ja neurogénése, mais aussi parce que d'autres types de cellules se forment), les récepteurs réagissant aux différents neurotransmetteurs sont modifiés, etc. » Et c'est l'ensemble de ces mécanismes de matura- tion de I'hippocampe, dont le terme se situe vers, 5 ans, qui expliqueraient l'amnésie infantile. ‘Mais Youbli ne constitue que l'une des compo- santes de l'amnésie infantile. Si nous avons oublié nos premiers mois ou années de vie, c'est aussi parce ‘que les souvenirs qui leur correspondent n‘ont tout, simplement jamais été enregistrés! Ou quills ont été enregistrés de fagon partielle. C'est ce que montrent Jes travaux publiés en 1991 par Robyn Fivush, de ‘Tuniversité Emory aux Etats-Unis, sur des enfants ayant effectué une visite a Disneyworld. Alors que ‘certains d'entre eux n'avaient que 2 ans et demi au ‘moment de la visite, ils étaient capables, a 4 ans, de s'en souvenir, mais en moyenne, les enfants plus ges se souvenaient de plus de détails. Des conclu- sions - les enfants les plus jeunes se souvenant de plus d’événements mais avec moins de détails — ‘confirmées par'expérience de Patricia Bauer et par Jes travaux publiés en 2012 par 'équipe de Harlene Hayne, professeur en psychologie a Yuniversité Otago, en Nouvelle-Zélande. Aprés avoir interrogé 47 enfants agés de 2 4 5 ans dans les semaines qui suivaient la naissance de leur petit frére ou de leur ‘Petite scour, la chercheuse a constaté que les enfants Jes plus jeunes au moment de la naissance de leur frere ou de leur sozur se souvenaient de moins de dé- tails de événement que ceux qui étaient plus agés. « Lintervalle de temps qui s'est éooulé entre la nais- ssance de leur frére ou sceur est trop court pour qu’ils aient oublié ces détails. C'est doncqu'au moment de 1'événement, ils ont enregistré moins d informations ‘que les enfants plus 4gés », précise la chercheuse. Pour autant, les jeunes enfants, et méme les nourrissons, ont une mémoire implicite particulié- rement efficace: de nombreuses expériences ont montré qu'ils se souviennent trés bien d'odeurs et de sons auxquels ils ont été confrontés dans leurs premiers jours ou mois de vie, voire in utero (voir questions/réponses p. 119)! Leur capacité a reconnaitre des visages, et pas seulement ceux de leurs parents, a aussi fait l'objet de nombreuses études. La derniére en date, publi en fevrier 2014 par l'équipe d'Osman Skjold Kingo, de I'université Aarhus, au Danemark, a ainsi montré que des en- fants de 3 ans étaient capables de se souvenir d'un visage quils n'avaient vu qu'une seule fois & 'ige de 1 an! Dans une experience devenue célébre dite de « renforcement conjugué », Carolyn Rovee-Col- lier, de Vuniversité Rutgers atx Etats-Unis, a éga- lement montré que dés 2 mois, les nourrissons sont capables de se souvenir d'une expérience passée, Lorsqu'un mobile est relié a l'aide d'un ruban aux pieds d'un bébé, celui-i découvre quill peut faire bouger ledit mobile en bougeant des pieds. Plu- sieurs jours ou semaines plus tard, 'expérience est Teproduite et l'enfant, reconnaissant le mobile, se met a nouveau a agiter les pieds. LE ROLE DE LA CONSCIENCE DE SOI Sauf que ces souvenirs d'odeurs, de visages et d'ex- périences sont implicites, c'est-A-dire inconscients. Or, indique Patrick Perret, chercheur au centre de recherche en psychologie de la connaissance, du langage et de 'émotion a Aix-en-Provence, « pour qu'un souvenir soit explicite et conscient, il faut que nous ayons conscience que cet événement nous est arrivé a nous et que l'on ait done une conscience explicite du “soi, ce que les psychologues appellent & SRV Hos Stiee 39 Je “sens du soi cognitif". Or celui-ci n’apparait que vers la fin de la deuxiéme année et, pour beaucoup de psychologues, c'est I'une des raisons pour les- ‘quelles on ne peut envisager de mémoire réellement autobiographique avant 'ége de 2 ans. » LA MATURATION DE L'HIPPOCAMPE Pour les neurobiologistes également, 'ége de 2 ans apparait comme un age chamniére, mais pour une tout autre raison. « L/hippocampe est un systéme cérébral complexe constitué de différentes sous- structures dont le ythme de maturation différe de Tuned Yautre. Or, Is‘avére que si'aire CA1 est Tune des plus précoces, elle n'est mature que vers 'age de ans. Cela expliquerait absence totale de souvenirs autobiographiques avant cet age », déclare Pierre Lavenex. Au-dela de cet age, poursuit le neurobiolo- iste suisse, « les autres structures de 'hippocampe arrivent a maturation progressivement et c'est cette ‘maturation progressive qui expliquerait les amélio- rations de la mémoire entre 2 et 7 ans. » Les psychologues expliquent quant eux la rela- tive pauvreté de nos souvenirs entre 2 et 7 ans par le manque de maltrise du langage. « Nous accé- Tant qu’un enfant n’a pas les outils linguistiques pour élaborer un récit, les souvenirs autobiographiques demeurent fragiles 4g dons @ nos souvenirs en reconstruisant, intérieure- & ment, le récit des événements. Tant qu'un enfant = n'a pas les outils linguistiques pour élaborer oe ré- § cit et en structurer la narration, les souvenirs auto- 3 biographiques demeurent fragiles », précise Patrick 3 Perret. Des expériences ont ainsi montré que ce sont 3 les enfants qui ontle plus de vocabulaire au moment @ d'une expérience qui s’en souviennent ensuite le * mieux. Et quand bien méme ils en ont les capacités 40+ SV Hors Série linguistiques, « les jeunes enfants ne racontent pas spontanément les événements qui leur sont arzi- vés, indique Patrick Perret. Il s‘agit d’une pratique culturelle qu'lls vont investir trés progressivement. Or c'est justement en racontant que l'on structure sa mémoire autobiographique. » Et, de ce fait, les, ‘parents jouent un réle important dans celle-ci. « En incitant le récit, en I'enrichissant, en le soutenant ou en posant des questions complémentaires sur les protagonistes, le contexte, les états émotionnels (ce que Y'on appelle avoir un discours élaboratif), on aide son enfant a enrichir la représentation qu'il se construit de l'événement. Plus riche, le souvenir devient plus stable », détaille le psychologue aixois. Et c'est cette qualité du dialogue entre enfants et parents qui expliquerait la qualité et la préco- ccité de nos plus anciens souvenirs. « Les souvenirs des filles sont souvent plus anciens et plus détail- és que ceux des garcons. Or il a été montré que les parents sont souvent plus élaboratifs avec leurs, filles qu'avec leurs fils. De leur c6té, les méres amé- ricaines d'origine asiatique sont moins élaboratives que les meres américaines d'origine européenne, et cela se ressent sur I’ége du premier souvenir », 16- vele Robyn Fivush. Reste que niles neurobiologistes ni les psychologues ne parviennent pour I'heure & expliquer comment notre cerveau « choisit » les souvenirs & conserver. « Qu’est-ce qui explique que parmi tous les souvenirs autobiographiques constitués entre 3 et 7 ans, seule une partie d’entre eux sera stabilisée dans la mémoire autobiogra- phique 4 long terme? », s'interroge Patrick Perret. La question reste entiérement ouverte. e Découvrez oO Ws en version numérique ! ‘AU-DELA Peta seulement Vous pouvez désormais acheter, lire aulieu de 4€20° et conserver votre magazine sur lenuméro votre ordinateur, tablette ou smartphone. Disponible sur memig, Kiosquemag.com Téléchargez Science & Vie sur www.kiosquemag.com Ou via nos applis et chez nos partenaires : ei) kobo ra as J Read more. Newstand Relay Lekiosk Kobo Apple by FNAC 42-58 Hos Ste Dyke erie crcorny Ginn n(ai le ecstacy °F eee eer deec aie cad un éléphant, une mé- Corner Comte armies CTS Rae ee eR eels Eafe T1120 Ee eet erry ree scientifiques rivalisent mes années précédentes: leur survie dépond be Targement de leur capacité @ retrouver facile- d'ingéniosité pour le ment de grandes quantités d'eau et de nourri- ya <. 4 GC Cie eRe uC Rl Col Tool seo (UES. ol_ Saar any tert nr ne it c Pete ee aCe Coke ile Be 9a 2 ee ae eS see les animaux sont dotés _ piusieurs dizaines d’années d’éloignement. Et la t UE cee recy oan het d'une forme de MEmMOIFE. séveierque leur mémoire auative est également exceptionnelle tes éléphants qu'elle a étudiés ORCC R ete ec oR ong ‘Massai, qui ont tendance & les chasser, de celles RP eT DONE oo a Ses secrets [mémoires d’animaux) Mais loin des prouesses de 1'éléphant, qu'en est- dos autres animaux? La question est délicate pour les scientifiques: 'exploration de la mémoire est presque impossible sans le recours au langage! Chez I'animal, les éthologues sont donc contraints de déployer des stratagémes pour la sonder indi- rectement. Etce qu’ils constatent, c'est que tous les animaux ont au moins une forme de mémoire. La plus minimale, inconsciente, est mise en évidence par le test d'apprentissage dit d'habituation: les, Sujets mémorisent les stimulations habituelles et finissent par ne plus y réagir, dela méme maniére que le riverain d'une voie ferrée ne se réveille plus au passage des trains. Ce comportement est bien sr courant chez les vertébrés, mais il a aussi 616 mis en évidence au siécle dernier chez les hydres de mer perturbées par des remous dans l'eau, chez des vers tubicoles stressés par une ombre, chez des araignées attirées par un leurre ou encore chez les, bernard-l'ermite dérangés par un bruit. PLUSIEURS MEMOIRES INCONSCIENTES. Plus étonnant: d’aprés les travaux récents d'une équipe japonaise de l'université de Hokkaido, un processus similaire serait & louvre chez le cham- pignon microscopique Physarum polycephalum! Pour se nourrir dans les tapis de feuilles frais et humides ot il vit, ce plasmode a en effet 'habitude de se déplacer en faisant bouger son contenu, au rythme de un centimetre par heure. Mais sa vitesse ralentit quand I'air s'asséche. Orles chercheurs se sont apercus en cultivant ce champignon que s'il expérimente trois courts épisodes de sécheresse espacés de une heure chacun, ils’attend a un qua- tri@me et se met & ralentir méme si 'on n'asséche plus son milieu de culture. Il est donc lui aussi capable d'apprentissage! qu'un autre choix nous est proposé. De la méme maniére, des vers plats, des lombrics, des cloportes ou encore des insectes ont cette tendance sponta- née a réprimer ce qui leur a été imposé, dés que Yoccasion leur est donnée. Pour le tester, 'une des méthodes employées consiste a les placer face un labyrinthe en forme de T. Si1'on interdit ainsi pen dant un certain temps a un ver de terre de prendre: une des deux directions en bloquant le passage, alors animal la choisit trés rapidement des qu'elle habituation, forme minimale de mémoire, est gouvernée par une horloge biologique qui enregistre certains rythmes Sur quels mécanismes s'appuie cette mémoire: inconsciente? D'aprés les chercheurs, elle est probablement gouvernée par une sorte d'horloge biologique capable d'enregistrer certains rythmes et de réagir aux stress imposés par l'environne- ment. Ces micro-organismes échouent en revanche le plus souvent lorsqu’on les teste sur une autre forme de mémoire inconscience: I'inhibition réac- tive, De quoi s'agit-i1? Si nous sommes contraints de manger chaque jour des pommes de terre, nous n'hésitons pas a changer de menu des lors, 44+ SRV Hors Série devient enfin accessible. Et ce, sans qu'aucune ré- compense ou punition ne viene I'y encourager. Voila qui fait toute la différence avec un type d’ap- prentissage comme le conditionnement qui, lui, est, basé sur une autre forme de mémoire inconsciente, la mémoire procédurale. Le plus connu est celui qu'a élaboré le médecin russe Ivan Paviov au X2x* sidcle. Is'agit d’associer deux stimuli dans la mémoire de T'animal, On fait par exemple entendre a un chien le son d'un sif- flet, puis on lui présente un morceau de viande qui le fait saliver. Aprés quelques séances, il salivera automatiquement dés qu'il entendra siffler. On peut aussi conditionner la réponse d'un animal avec une récompense ou une punition, selon la mé- thode mise au point au siécle dernier par le psycho- logue américain Burrhus Frederic Skinner. Ce viewx principe de dressage, baptisé conditionnement opérant, est utilisé chez les bétes de cirque ou les chiens et chats de compagnie. Mais les chercheurs Yont également testé sur toutes sortes d'animaux, révélant notamment les capacités de leur mémoire procédurale: des étoiles de mer ont ainsi été dres- sées a descendre au fond d'un aquarium dans l'obs- curité, des vers, des araignées, des cloportes ou des fourmis a se déplacer dans un labyrinthe, des pieuvres a distinguer un carré d'un cercle, etc. Dans Ja nature, c'est done plutot dans I'action que cette mémoire serait sollcitée, de fagon automatique. Ve- nant renforcer un comportement inné, elle guide le RPT eA Ret Oe En 2008, des chercheursjaponais ont montré que le champignon microscopique Physarum polycephalum Peete en ee ees stress régulies (un bref asséchement de lar ambiant, qui ralentitnaturellement son déplacement), il anticipe ue a DTN eX SAT) A partir de 1921, en Angleterre, de plus en plus Ctr eer end Pee eu een eeu gestes de leurs congenéres que ces oiseaux ont adopté ce comportement. Un apprentissage qui révéle notamment leur mémoire procédurale. vol en plongée d’oiseaux marins ayant appris tout jeunes a pécher. Elle est également a l'couvre chez les fameuses mésanges anglaises qui, ayant ob- servé des congénéres en train de percer le capu chon de bouteilles de lait, retiennent le geste et le répetent, aprés s'étre délectées de créme. LA MEMOIRE SPATIALE Et dans le méme registre, moire qu'utilise I'éléphant pour se servir habi- lement de sa trompe, le chat pour grimper puis descendre d'un arbre, les oies pour prendre leur envol, les loutres pour nager, etc. Nous ne faisons rien d’autre en mettant spontanément un pied § devant l'autre, en pédalant sur notre vélo, ou en effectuant un tas de gestes routiniers. Mais pour nous déplacer d'un point a un autre, nous sollici tons également une autre forme de mémoire: la mémoire de I'espace. Qu’en est-il des animaux? Yest aussi cette mé- SRV Hos Stes 45 Ses secrets [mémoires d’animaux] Comme I'explique Ludovic Dickel, spécialiste du comportement des céphalopodes et enseignant a Tuniversité de Caen: « Bon nombre d’animaux s'appuient d'abord, non sur leur mémoire, mais sur une sorte de calcul permanent pour explorer leur environnement. » lis s'aident d'une boussole natu- relle ~ la position du soleil dans le ciel, le champ magnétique, etc. ~ pour évaluer les distances par- courues. Ce processus est connu chez les insectes, les araignées, les crustacés et quantité de verté- brés, Grace @ lui, la fourmi du désert est capable de retrouver le chemin de son nid aprés avoir erré des heures en quéte de nourriture. Mais si un parcours vient a étre emprunté régulié- rement, alors certains animaux peuvent aussi le mé- moriser en s‘aidant de repéres visuels, olfactifs... En combinant ces repéres avecle calcul des distances, ils élaborent une sorte de carte mentale de l'espace. Ces cartes dites cognitives n'ont probablement ni 46+ S8V Hors Ste La mémoire sémantique de labeille... Pour prouver que les abeilles sont capables 'intégrer es regles abstratestelles que « au-dessus » ou ee cd dans laquelle elles n‘taientrécompensées (par une ‘goutte eau sucrée) que lorsquelles se dirgeaient ‘ers des images placées l'une au-dessus de autre, la méme portée ni la méme sophistication chez tous les animaux. Leur existence fait encore objet de controverses chez les insectes. Mais tout le monde s‘accorde a dire qu’elles sont présentes chez les céphalopodes et les vertébrés que nous sommes. ‘Ainsi, quand un rat se retrouve dans une piscine circulaire remplie d'eau aprés avoir été au préalable entrainé a s'y déplacer, il peut s'aider de ses cartes mentales pour trouver le chemin d'une plateforme submergée invisible en surface. De méme, placé face @ une paroi transparente derriére laquelle se trouve de la nourriture, il apprendra en quelques essais & en faire le tour. Or cet apprentissage ne conduit pas qu'a des comportements automatiques: une fois la carte établie, 'animal peut en user a sa guise. $'l flaire une proie ou un mets recherché, il pourra quit- ter sa route habituelle pour aller se régaler sans se perdre. Mais si rion ne attire, il ne fera pas de détour inutile. Volla pourquoi certains scienti- fiques proposent de faire de la mémoire spatiale lune sous-catégorie de la mémoire sémantique, celle quinous sert également a 'apprentissage de régles abstraites. Des régles qui ne semblent maitrisées que par les céphalopodes et les vertébrés, parti- culiérement ceux a sang chaud, si 'on se fie aux tests dits « d'économie en réversion ». « II s‘agit de faire effectuer deux téches contraires V'ani- mal, précise Georges Chapouthier. Par exemple, il est conditionné pour se diriger 4 gauche dans un labyrinthe en forme de 7. Puis on lui demande de faire inverse, en le récompensant uniquement s'il va a droite. » Autrement dit, dds qu'il n'y a plus tien de positif a prendre une direction, il faut opter pour |'autre. Le ver de terre n'y parviendra pas sans tune nouvelle période dapprentissage. En tevanche Pepe [a d'apprentissage : quelques années avant sa mort, en 2007, il savait maitriser les nombres jusqu’ 6, recon- naissait les différences entre une cinquantaine d’ob- jets, et possédait un vocabulaire denviron 150 mots! Sa mémoire sémantique ressemble donc furieuse- ment ala nétre, Voila deux ans, 'équipe toulousaine de Martin Giurfa a aussi apporté la preuve que les abeilles peuvent mémoriser des ragles abstraites: dans une expérience associant des paires d'images (placées soit I'une au-dessus de l'autre, soit 'une o6té de autre) a de l'eau sucrée ou de la quinine, les aboilles finissent par reconnaitre sans faute la rela- tion quiles guide vers l'eau sucrée, la récompense. MEMORISER POUR MIEUX TROMPER Dans un autre style, les expériences menées avec des hyenes, des chimpanzés ou des éléphants, ani- maux habitués a vivre en société, prouvent qu’ils mémorisent des régles de coopération dans le tra- vail. Et cté vie sociale, il a été démontré que des ‘cogs, des corbeaux, des cochons ou des singes sont capables d'utiliser leur mémoire pour dissimulerla verité: aprés avoir repéré puis mémorisé l'emplace- ‘ment d'un seau plein de nourriture dans un enclos, un cochon méne ainsi un congénere sur une fausse piste, avant de retourner se gaver seul! Mieux, chez Je geai buissonnier, l'équipe britannique de Nicola Clayton, de université de Cambridge, a démontré que cet oiseau cache d’autant mieux ses réserves Nombre d’animaux s’appuient d’abord sur un calcul permanent . pour se déplacer, mais certains ont une réelle mémoire spatiale } le poulpe, comme les oiseaux et les mammiféres, & changera vite de direction, prouvant ainsi qu'il mé- § morise la régle. Et ces animaux se montrent aptes mémoriser des régles encore plus élaborées, Le cas d’Alex en est une bonne illustration. Dans le laboratoire de I'éthologue américaine Irene Pep- 2 perberg, ce perroquet gris du Gabon a pendant 2 trente ans participé a de nombreuses expériences de graines qu'il se sait observé, surtout s‘ilen alui- ‘méme volé a ses congénéres: c'est bien la preuve quil retient la legon. Mais la chercheuse a aussi constaté tout récemment qu'll sait anticiper d'une autre facon, en se projetant dans le temps... Pen- Mes coordonnées. CODE AVANTAGE:312800 Ce tutes xen a - OMe (qu'on a piquées & la nature Om, Om Om ie fab pasrer om rénam, nd car fs Ses os es _————— Otre epécisle @ Les | 251254 esse CiteeFedon natures améra devature | raazs Compltment adresse sar sat tak Pittou tableau ‘do bord GPS eae PLL ILI J ville Lyre + CO Oiseaux de France om ‘Ye, _________ ae ares Sea aR ART aR TR TTS event E-mail ‘SOUSTOTAL: Cem ane a aN eT NS RON GAOT FRAIS D’ENVOI| J Envoi normal 6,90 = (cache a case de votre cho > Mode de paiement. ) fs (Ce jsins mon cheque baneaire ou postal & Tord de SCIENCES VIE Ti Lireison rapide Cotes0 Saat Tareas neers ~~ 4 (se regle en 1 fois la totalité de ma commande gs TOTAL (ive régle en 3 fois sans frais (a partir de S9€ d'achat) Carte bancaire N°| Expire fin: LL LLY Cryptogramme TMOMOAGON MAGRINES FRANCE AS" OS AD 701 26 NANTERRE CAPTAL BOSD AOE . Cy Aeirs Benanek BY Ssincc\ Wale p bute otsecbale CPEB tonto) 70 Amnésie: quand DEB Tonle cece) WS UAnone een ala médecine TBE Jaw BEIGE dela mémoire absolue Ses troubles FAUX SOUVENIRS Leffrayante inconstance de la mémoire Loin d’enregistrer fidélement toutes nos expériences vécues, notre mémoire trie, efface et reconstruit en perma- nence nos souvenirs. Ce qui peut conduire a des dérapages... Par RAFAELE BRILLAUD. Dessins D/ANGELO Di MARCO ans un recueil d'entretiens publié en 1977, Jean Piaget, le oélébre psycho- logue suisse, se remémore une tentative d'enlevement dont il fut victime alors qu'il avait 2 ans et que sa nurse le promenait dans une pous- sette: « Les sangles m’ont retenu et la nurse s'est battue avec homme qui lui grifa le front, je peux encore voir les marques sur son visage », raconte-t- il. Treize ans aprés cet épisode, ses parents regurent une lettre de la nurse qui confessait qu'elle avait menti; elle avait inventé toute l'histoire du kidnap- ping et s était grffée elle-méme. « I1n'y avait pas un iota de vrai, alors que j'ai un souvenir trés vivant de cette expérience, méme aujourd'hui. Je peux vous dire exactement ot cela s'est produit et je peux voir toute la scéne », confiait-l. Cette expérience trou- blante, c'est celle d'un faux souvenir. Certes, il est courant de voir sa mémoire flancher, d'oublier le nom d'un collague ou la date d'un an- niversaire. On s’attend méme a ce que les choses SRV Hos Stes 63 Ses troubles [lo se gatent avec age. Mais de la & accepter T'idée que la mémoire affabule littéralement, ily a un pas énorme... que les chercheurs ont franchi il y a une vingtaine d'années, aprés avoir observé quelques cas avérés, comme celui des enfants d'une école de Los Angeles. Victimes, en 1984, d'une attaque faisant deux morts et treize blessés, ils furent pris, en charge par des psychologues qui constatérent, au fil des semaines, que leur souvenir de l'événe- ment traumatisant s'écartait de plus en plus de la réalité. Certains éléves se remémoraient des scenes précises... qu'ls ne pouvaient pas avoir vues de’en- droit ou ils se trouvaient! Is avaient intégré dans leurs souvenirs des informations qui ne leur étaient ourtant parvenues qu’aprés coup. UN EVENEMENT JAMAIS VECU Loin de fonctionner comme une caméra qui enregis- trerait fidélement ce que nous vivons, la mémoire Teconstruit, en effet, sans cesse notre passé. Elle s'écarte plus ou moins de la réalité, ajoute des dé- tails, ot va parfois jusqu’a fabriquer intégralement Ie faux souvenir d'un événement jamais vécu! ‘Meme si les faux souvenirs restent mystérieux & bien des égards, les scientifiques commencent @ en saisir les ressorts sous-jacents. lis sont, par exemple, arrivés a faire croire a une souris qu'elle avait vécu un choc électrique dans un endroit od i avenits} IMPLANTER DE FAUX SOUVENIRS ‘Cestl'expoit qu’ réalisé en 2013, sur des souris, ’équipe du neuroscientifique et prix Nobel Susumu Tonegawa. Les scientifiques du Riken (japon) et du MIT (Etats-Unis) ont suiv une procédure simple, proche dela technique dela désinformation ‘employée pa les psychologues: is ont associé dans la mémoire des souris deux événements qui ne l'étaient pas dans la réalité. Ils ont d'abord is les souris dans une boite A, sans danger, puis lesont places dans une boteB, La ils ont provoqué unléger choc électrique tout en « réactivant » le souvenir de la boite A. Comment ont-ils fait? Les scientifiques ont fait appel a loptogénétique, technique qui permet d'activer certains neurones ‘modifiésgénétiquement en les exposant& une source lumineuse. En Voccurrence iis ont vsé les ccellules liées a la boite A. Résultat: de retour dans cette boite, les souris se sont montrées craintives et ‘meéfiantes. Les scientifiques étaient parvenus & créer attfciellement dans leur mémoire le faux souvenir dun choc électrique dans ce lieu sans danger! (64+ SRV Hors Série ne s'était rien passé (voir encadré ci-dessous)! Une experience qui offre un éclairage inédit sur les pro- cessus mnésiques normaux et leurs défaillances, jusqu’au niveau des neurones. Sur les étres humains, Elizabeth Loftus, alors a Yuniversité Stanford, et Jacqueline Pickrell, de Yuniversité de Washington, ont, pour la premiére fois, réussi en 1995 a implanter le souvenir d'évé- nements n’ayant jamais eu lieu. Dans le cadre de leur expérience, elles ont réalisé pour chacun des vingt-quatre participants, agés de 18 a 53 ans, un petit livret contenant quatre anecdotes autobiogra- phiques: trois qui s’étaient effectivement déroulées dans 'enfance du participant ; et une quatriéme, fic- tive, relatant un épisode au cours duquel il se serait perdu dans un grand magasin vers I'age de § ans. Aprés la lecture du livret, les participants devaient reporter par écrit ce dont ils se souvenaient. Le résultat est étonnant: pas moins de sept per- sonnes, soit 29 % des participants, se sont rappelé, artiellement ou intégralement, du faux événement aprés la lecture du livret! Ala suite des entretiens me- nés plusieurs semaines apres, six ont méme confirmé leurs dires, 4 « Plus surprenant encore, écrivent Yves Corson et Nadége Verrier, de l'université de v Nantes, dans un ouvrage sur les faux souvenirs aux éditions De Boeck, ces faux souvenirs étaient souvent agrémentés de détails sensorils précis, et certains participants eurent de grandes difficultés @ accepterI'idée, lors du débriefing post-expérimental, quil s‘agissaiten fat un événement fctt. » / UN SOUVENIR IMPOSSIBLE On pourrait objecter que les participants se sont peut-étre réellement perdus un jour et ont simple ‘ment transposé leur expérience. Pour couper court & cette incertitude, Nicholas Spanos et ses col- 4 lagues de 'université de Carleton, au Canada, ont poussé l'expérience encore plus loin. Grace / Vhypnose pour les uns et une technique de suggestion pour les autres, ils ont fait se souvenir a des participants du mobile coloré ui était au-dessus de leur berceau de nouveau-né, Or ce type de sou- venir est parfaitement impossible! Durant les. premiéres années dela G vie, I'hippocampe, qui joue un role impor- tant dans les mé- canismes de la mémoire, SRV Hoc Stes 65 Ses troubles [les faux souvenirs} n'est pas suffisamment développé pour stocker des souvenirs susceptibles d’étre retrouvés a'age adulte (voir p. 36). On pourrait encore rétorquer qu'il s'agit la d’expé- riences en laboratoire, sans grand rapport avecla vie courante. Mais une étude publiée l'année demiére achéve d’écarter cette objection. Miriam Lommen et ses collegues de I'université d'Utrecht, aux Pays- Bas, ont suivi 249 soldats qui avaient été envoyés en. mission en Afghanistan pour quatre mois en 2009- 2010. Deux mois aprés leur retour, ils les ont inter- rogés sur les événements stressants qu'lls avaient 6prouvés et ont profité des entretiens pour évoquer un épisode qui ne s'était pas produit, mais qui était plausible: une attaque de missile le jour de la Saint- Sylvestre. Résultat: « Au bout de neuf mois, 26 % des participants ont déclaré avoir expérimenté cet événe- ‘ment fictf, alors méme qu'ils avaient dit le contraire sept mois auparavant », rapportent les chercheurs. DESINFORMATION ET INFLATION IMAGINAIRE Laisance déconcertante avec laquelle on peut im- planter des souvenirs d'expériences que l'on n'a pas vécues varie selon la qualité du souvenir initial « Nous avons notamment montré que les souvenirs Jes plus anciens sont les plus faciles 4 manipuler », écrit Elizabeth Loftus, aujourd'hui a runiversité de Califomie, a Irvine. Elle dépend aussi de plusieurs effets. La présentation ultérieure d'une information trompeuse peut ainsi altérer le souvenir que nous avons d'un événement, C'est la « désinformation », utilisée dans les exemples précédemment cités. En outre, plus nous imaginons un événement, plus cela le rend familier et donc susceptible de devenir un faux souvenir. C'est l'effet de Ie inflation ima- ginaire », qui peut intervenir lors d'une thérapie quand un patient donne libre cours a son imagina- tion. Enfin, la mémoire est sujette aux interférences. Lorsqu’on lit dans un roman que le héros s‘arréte une heure dans un restaurant, on en déduit quill ya mangé, alors que cela n'est pas spécifié. C'est cette cohérence globale, attribuée par notre mémoire a Yevénement, qui peut étre source d'erreurs. Et, bien entendu, tout le monde ne réagit pas de la méme maniere a ces divers effets. « Certains en sont souvent victimes, d'autres sont plutot immuni- ‘86s, pondére Yves Corson. Mais nous sommes encore Join de pouvoir dresser le portrait-robot de ceux qui sont le plus touchés par les faux souvenirs. » En si- tuation de désinformation, la mémoire des enfants est jugée moins fiable que celle des adultes: « Les ‘enfants les plus jeunes apparaissent plus sensibles 65+ Sav Hos Ste aux questions suggestives lorsque celles-ci sont po- sées par un adulte, note Nadage Verrier. Et plus la personne est autoritaire et insistante, plus le risque de faux souvenirs est important. » Mais comme leur capacité a faire des interférences est encore réduite, leurs souvenirs sont plutot davantage fidéles a la réalité que ceux des adultes. ‘Au final, notre mémoire fonctionne par associa- tions, en donnant sens aux événements qu'elle pergoit, en stockant de préférence le sens d'un message plutot que son verbatim. Elle reconstruit en permanence nos souvenirs en accord avec nos croyances, notre culture, nos schémas... Cela la rend plus efficace, mais cela peut aussi conduire des dérapages. Car une fois que le mal est fait, il nexiste aucun moyen de distinguer le vrai du faux, a moins de disposer d'une preuve extérieure tangible. « Il parait tout a fait ilusoire de discriminer ente les faits avérés, historiques, et les reconstruc- tions qui en émanent », assenent Yves Corson et Nadege Verrier. Vrais et faux souvenirs sont dotés des mémes caractéristiques. Ce brouillage des pistes pose probléme, notre mémoire occupant une fonction essentielle dans la construction de 'identité d'un individu : que croire si nous ne pouvons pas avoir confiance en nos propres souvenirs? Quelle est la part de réalité et d'imagi- naire dans notre mémoire autobiographique? Dans quelles proportions fabule-t-on nos vies, en toute bonne foi? En outre, la mémoire est un maillon cru- ial de a prooédure judiciaire. Or quel crédit accorder aux témoignages ou aux aveux s'ils se fondent sur des souvenirs potentiellement faux? Aux Etats-Unis, trois quarts des 250 personnes impliquées dans des deer PROTEGES PAR ALZHEIMER une maniére générale, les tudes montrent que les personnes agées sont plus enclnes & former de faux souvenirs. Les effets déétéres du vels- sement sue fonctionnement de la mémoire perturberaient en effet encodage des souvenirs oulleurrécupération, Mais les malades Alzheimer, connus pour avoir une mémoire dfaillante, semblent paradoxalement moins touches. « Cela peut paratre contre-intut,reconnatt Yves Corson det université de Nantes, mais asexplique trés bien. Notre mémoire fait des associations: lorsqu’on dittable, dée de chaise estactivée. Mais cesystéme {fonctionne moins bien chez les malades dAlcheimer, a AMNESIE Ses troubles Quand | la méemoire s'efface Souvent déclenchée par un accident, un traumatisme psychique ou ‘une opération, l’amnésie peut affecter la mémoire a court comme a long terme. Sans que les scientifiques en comprennent toujours les mécanismes. Par Lise BaRNEOUD ? homme est assis sur un banc, at miliew d'une place bruyante, spectateur d'un ‘monde qui lu est totalement étranger. ‘touche son visage, regarde sa peau. Comprend qu'il nest pas tout jeune, mais pas tellement vieux non plus. A son doigt, il voit une alliance et comprend immédiatement la signification de cet objet. « Ai-je une femme? Non, je m'en souviendrais. Peut-étre ‘suis-je divorcé? Alliance, mariage, femme, divorce: pourquoi est-ce que je connais ces mots alors que je ne connais pas mon nom? », retrace Jacques-Michel Hiuret, dans son livre autobiographique J'ai oublié trente ans de ma vie (éditions Michel Lafon, 2013). Parti garer sa voiture un soir de juin 1987 a Metz, cet architecte est retrouvé quelques jours plus tard a Paris, hagard, avec un énorme bleu a la base du cou. Depuis, les trente premieres années de sa vie se 5 sont volatilisées de sa mémoire. Mais il a conservé = uasiment intacts ses connaissances générales du 3 monde et ses apprentissages moteurs SRV Hoss Stie+71 Ses troubles | Si l'on doit aux patients amnésiques comme Jacques-Michel Huret la plupart de nos connais- sances sur la mémoire, leurs troubles restent encore mystérieux: leurs souvenirs ont-ils réellement dis- paru? Est-ce le chemin vers ces souvenirs qui est bloqué? Comment expliquer ces trous de mémoire lorsqu’aucune lésion n'est visible dans le cerveau? Autant de questions qui mobilisent les scientifiques depuis plus de cinquante ans, depuis que le pre- mier patient amnésique s'est présenté a une neuro- psychologue canadienne, marquant le début d'une série d'observations fascinantes, LE CAS HENRY MOLAISON Crest en 1955, en effet, que Henry Molaison se pré- sente pourla premiere fois a Institut neurologique de Montréal. Deux ans plus tot, ce jeune homme a subi une ablation de ses hippocampes, deux struc- tures profondément enfouies a la base du cerveau censées étre é 'origine des terribles crises d’épilep- sie dont il souffrait, Suite a cette opération inédite, Jes crises cessent, mais Henry Molaison se met a ou- blier tout ce qu'l fait au fur et & mesure qu'ille fait. I1se retrouve comme prisonnier dans un temps ré- volu, celui datant de quelques mois avant son opé- ration. Ilse rappelle parfaitement des événements Ts Sav Hoss Ste anciens de sa vie, mais pour lui, le temps s'est ar- rété quelques mois avant son opération. D'ailleurs, lorsque Brenda Milner, la neuropsychologue qui va le suivre pendant cinquante ans, lui demande son ge, Henry Molaison répond 27 ans, I'age quill avait, au moment de son opération! Nulle trace de folie chez ce patient, le plus étu- dié de histoire des neurosciences: il se montre normalement doué dans les tests d’intelligence et de capacités de raisonnement... & condition L/AMNESIE LA PLUS FREQUENTE: LICTUS Tlétait auvolant depuis pendant une opération, plusieursheures déja, ne sat plus od ilest, lorsquilse etrouve bien ni quel patient ilopére, garé, mais sans savoir mais quiasufin cor- Oblilest nice quilfait. _rectement son travail. Plusoriginaliljouedu ictus amnésique, cette Violon dans un concert _perte transitoire de et, lafin du spectacle, mémoire, est la forme iNdemande auxautres _laplus courante de rmusiciens cequilfait _'amnése. lle touche la.Onconnatt mémele plus de 25 personnes casd'unchirurgien qui, sur 100000 au-dela toutefois que ces tests puissent étre accomplis rapidement, Et pour cause, aprés son opération, Henry Molaison ne parvient plus a former de nouveaux souvenirs. Il arrive a retenir un nombre a trois chiffres pendant quelques minutes, mais s'il est distrait, le nombre disparait de sa mémoire et il ne se souvient méme pas qu'on lui a demandé de se souvenir de quelque chose. La preuve, conclut Brenda Milner, que la mémoire a long terme et la mémoire & court terme se déroulent dans des zones distinctes du cerveau. La preuve aussi que, privé de ses hippocampes, I'homme est incapable de transformer des souvenirs @ court terme en souvenirs a long terme (voir p.22). AMNESIQUE OU AMNESIE TRANSITOIRE deS0 ans.Sans aucun signe _sixheures. Bien que fon ‘annonciateur, ces personnes ne comprenne toujours pas perdentsubitement leur __orgine desictus amné- capacité & former denou- _siques, on sait désormais veauxsouvenirs(amnésie que pendant a phase aigué, antérograde) etoublient activité de certaines régions également une partie deleur _cérébrales diminue dras- passé (amnésierétrograde). _tiquement. achant quils. En revanche, leurs mémoires _surviennent souvent apré's sémantique et procédurale une forte émotion un effort restent ntactes.Ces troubles intense ou des changements durent en moyenne cinga de température brutaux, Lamnésie de Henry Molaison a également permis, de comprendre que la mémoire a long terme n'est, pas une faculté unique: elle est compartimentée. Ainsi, sa mémoire épisodique, celle qui permet de retenir les faits vécus importants, ne fonctionnait plus, mais sa mémoire procédurale, celle des gestes, était parfaitement conservée: il savait encore faire du vélo. Il pouvait méme apprendre tracer une 6toile a cing branches en ne regardant que le re- flet de son dessin dans un miroir. A chaque essai, son tracé se faisait plus stir, son cerveau guidait de mieux en mieux sa main. Mais lui-méme ne se souvenait pas avoir appris cet exercice::ille recom- mengait & chaque fois comme si c’était la premiére! De méme, sa mémoire sémantique, autrement dit, les connaissances générales qu'il avait acquises sur le monde, semblait préservée. DES LESIONS DANS LE CERVEAU ‘Aussi affolante qu’elle soit, Yamnésie de Henry ‘Molaison a ceci de rassurant que on comprend aisément sa cause: ablation de ses deux hippo- campes. On parle d'amnésie organique dés lors qu'une opération ou un choc physique, un acci- dent vasculaire, une infection ou encore une forte consommation d'alcool ou de drogues entrainent des lésions visibles dans le cerveau qui expliquent les troubles observés. Parmi ces patients, aucun, profil type: «le trouble de la mémoire est Vatteinte dominante par rapport au reste, mais les symp- t6mes sont trés variables en fonction du type de Jésions, de leur localisation et de leur étendue », précise Peggy Quinette, responsable des études sur Jes amnésios organiques et fonctionnelles au labo- ratoire de neuropsychologie de 'université de Caen. Par exemple, aprés un traumatisme cranien da cesictus amnésiques quia réalisé de nombreuses pourraientétreliés une tudes sur es patients baisse du débit sanguin dans au laboratore de neuro- certanes régions du cerveau, _psychologie de université ‘comme hippocampe de Caen. Autre fit: es «Onconstateégalementune patients qui perdent leurs cdésynchronisation entrela souvenirs anciens conservent région postérieure, ologent une représentation eux- les souvenirs etarégion memes. «Lapreuveque antérieure,quipermetde __Lidentiténese base pas seu- récupérercessouvenirs», _lementsurles souvenirs», en ‘témoigne Peggy Quinette, _d&duit la neuropsychologue.. SRV Hos Stew A DLCROULALANZA-OR 73 un accident de voiture, les troubles sont souvent diffus: des bribes de souvenirs disparaissent, no- tamment ceux formés quelques jours ou semaines avant 'accident. On trouve aussi fréquemment des difficultés dans la mémoire a court terme, mais elles sont reliées en général aux troubles de I'attention, un autre symptome frequent des traumatismes cré- niens. « Par contre, dans le cas d'opérations ou d'ac- cidents vasculaires, les troubles sont plus marqués: un patient se souvient par exemple des événements de sa vie passée, mais il est incapable de se remé- morer ce qu'il a mangé la veille », témoigne Julie ‘Maupeu, une psychologue qui suit les personnes dites « cérébro-lésées » dans un service d’accom- Pagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) & Aix-en-Provence. I est en revanche trés are que les mémoires procédurale et sémantique soient touchées, sauf durant les périodes de réveil Autre caractéristique: chez ces patients porteurs: de lésions neuronales, les troubles de mémoire sont, bien souvent irréversibles. DES PERTES DE MEMOIRE INCOMPRISES. Cependant, il existe une autre forme d'amnésie, encore plus mystérieuse, dans laquelle aucune lésion cérébrale n'explique les troubles. On parle alors d’amnésie fonctionnelle ou psychogene. « Blles sont beaucoup plus rares », précise Peggy Quinette: depuis cing ans qu'elle travaille avec le CHU de Caen dans ce domaine, seuls quatre pa- tients de ce type ont été pris en charge. « Souvent un choc, méme léger, initie l'amnésie, mais il ne Tengendre pas: il n'y a aucune perte neuronale constatée », explique la neuropsychologue. Géné- ralement, seuls les souvenirs anciens sont atteints. Dans de rares cas, cela peut aller jusqu’a la perte de Videntité méme du patient. C’est ce qui est arrivé a reconstruit artificiellement une identité a travers les récits de mes proches. » Aux médecins qui lui expliquent que ce type d’amnésie peut étre un probléme d'accés aux souvenirs, Jacques-Michel Huret répond qu'lln'y croit plus. « Ou alors, quelle faiblesse de ma part de ne pas parvenir a diriger Dans le cas, plus rare, d'une amnésie psychogéne, aucune Iésion cérébrale ne permet d’expliquer les troubles de la mémoire Jacques-Michel Huret. « Les médecins voient des microlésions dans mon cerveau, mais d’aprés eux, cela ne peut pas expliquer mon amnésie, détaille- til. Au début, on me disait de ne pas m'inquiéter, que je finirais par retrouver mes souvenirs. Une bonne partie de ma mémoire sémantique est effec- tivement revenue rapidement, mais je n’ai jamais retrouvé ma mémoire biographique. Je me suis 74 SRV Hors Série mes pensées pour les retrouver », Yéche-til triste- ment. A ceux qui parlent de « fuite », de blocage psychologique, il dit: « Ce n'est pas possible de se réfugier dans un oubli sur une vie complete, ou alors uniquement de fagon transitoire. » C'est d'ailleurs parce que les médecins ont d'abord cru cette hypothese d'une fuite plus ow moins consciente de son passé qu'ils l'ont soumis QUNETTE LAB NEUROPSYOHOLOGE CHU CAEN un interrogatoire sous narcose, censé lever ces blocages psychologiques. Mais le seul élément qu'lls parvinrent a glaner est un prénom original Charlétie, comme le chanteur Charlélie Couture. Or, artiste est originaire du nord-est de la France, ce qui correspondait au vocabulaire caractéristique de Jacques-Michel Huret. D'oi I'ultime tenta tive désespérée des médecins, qui demandérent Charlélie Couture de venir voir leur patient. Et C'est lui qui le reconnaltra et lui permettra de re- trouver son identité. « A priori, nous étions assez proches durant nos années 4 la fac des beaux-arts de Nancy. Nous avions fabriqué ensemble sa chan- son Comme un avion sans aile. Du fait qu'll soit devenu célébre, cet homme m'avait sans doute marqué », imagine Jacques-Michel Huret. Parfois, retrouver ses proches, les lieux de sa vie d’avant, des odeurs ou des sons familiers peut Ses troubles [|'amnésie] DINTRIGUANTES FAUSSES AMNESIES « Quelques jours aprés mon accident vasculaire, Jjemesuisrendu compte quejenarrivaisplus ‘identifier les vsages ur le vignettes de Facebook », raconte Bob Cockshott. Depuis il sit quit ne reconnait plus aucun visage, méme ceux desses proches. «Jeme ses des cheveux, des habits, du contexte. Mais si‘ai rendez-vous avec ma fille etquellea changésa coupe de cheveux, je ne peux pas la reconnaftre. » Bob Cockshott souffre d'un trouble appelé « prosopagnasie ». Depuis lasimple difficulté a identifier les personnes connuesjusqu’a incapacité de reconnaftre son propre reflet dans une glace, cette « amnésie des vsages » touche & des degrs dives environ 2,5 % de la population, certains depuis la naissance, autres suite &un accident. Bien quily at encore des discussions sur origne de cette déficience, ilsagirit d'un probleme de traitement de l'information: ces personnes sont incapables de trater les vsages d'une mane globale, mais ne présentent aucun probléme de mémoire ni de vision. De la méme maniére, certaines personnes ont perdu, suite un accident vasculare, la capacité& discermer les lettres. Elles n’arvent. plus lire, mas rstent capables dre. Diautres perdent la reconnaissance des objets: Ln patient ne reconnaissait plus sa chaussure, ‘mais distinguait encore les formes géométriques. abstraites. Contrairement aux apparences, ces troubles elévent non pas des amnesies, mais des agnosies: i s‘agit d'une diffculté Areconnaitre et & interpréter certains stimuli Visuels,audtifs ou méme taciles. permettre a ces patients d'accéder nouveau a leurs souvenirs. Ce fut le cas d'un Italien qui avait perdu jusqu’a son identité et qui a tout a coup retrouvé son passé aprés avoir entendu le bruit des gants qu'un chirurgien faisait claquer lors d'une opération. Ce bruit caractéristique lui avait rappelé une autre opération subie pendant son adolescence et avait entrainé un déferlement de souvenirs. On parle dans ce cas de « I'effet Madeleine de Proust ». Une preuve que, chez certains de ces patients, les souvenirs sont encore présents dans leur cerveau mais que, pour une raison encore mystérieuse, acces y est bloqué. « Personnellement, j'ai perdu plusieurs années de ma deuxiéme vie a chercher ces interrupteurs, mais je n’en ai pas trouvé, se désole Jaoques-Michel Huret. J'ai arrété, car je ne faisais qu'agrandir mon trou noir en vivant dans un passé qui m'était inconnu. » SRV Hos Stes 75 Ses troubles 'amnésie] Comme pour les amnésies organiques, ces pertes de mémoire dites fonctionnelles touchent rarement la mémoire sémantique, et plus rarement encore la mémoire procédurale. « Je ne m’explique tou- jours pas pourquoi je n'ai pas eu une mémoire du ccour comme j'ai eu une mémoire des gestes », interroge Jacques-Michel Huret. « La mémoire procédurale semble particuliérement résistante », répond Peggy Quinette. I!n'empéche, certains am- nésiques ne savent plus se raser ni faire du vélo. Mais ces habilités semblent se réapprendre rapide- ment. De méme, les pertes de mémoire sémantique restent exceptionnelles et rarement totales. « Un de nos patients ne savait plus ce qu’ était le foot », se souvient Peggy Quinette. Un autre avait oublié ~f ce qu’était un frigo. Jacques-Michel Huret pense également avoir perdu quelques connaissances historiques et géographiques. « Dans la pratique, il est difficile d'isoler les dif- férents troubles de la mémoire », rapporte Julie Maupeu, avant de souligner que ce qui perturbe le plus le quotidien, c'est la perte de la mémoire de travail, la mémoire & court terme. Ces patients-1a ont besoin d'astuces pour tenter de vivre normalement, ils gardent en permanence avec eux un dictaphone qu'ils consultent lorsqu'ils oublient qui ils sont ou ce qu'ils sont en train de faire. Is mettent des Post-it partout, exactement comme le faisait Henry Molaison. « Nous autres sommes des handicapés invisibles », conclut Jacques-Michel Huret, @ LES OUBLIS PARTIELS DE LAMNESIE POST-TRAUMATIQUE ‘Apres un événement ‘notamment les informa- tions contextuelles, et comme une guerre, une _développent en méme agression, un attentat temps une hypermnésie ‘ou un accident, certaines des aspects émotionnels », personnes peuvent rapporte Bérengére connaltre une altération _Guillery, du laboratoire de leur mémoire, de neuropsychologie «Ces personnes vont ‘et neuroanatomie fonc- négligerun certain nombre tionnelle dela mémoire informations sur ’évé- humaine, & Caen. Mais ce rnement traumatique, rest pas tout: la mémoire 76+ SRV Hors Série detravailetlamémoire _levolume de 'hippocampe, épisodiquefonctionnent _impliqué dans la mémoire, également moins bien est réduit chez ces chez ces personnes. patients. Mas, précise Sauf silssont testés avec la chercheuse, «nous des stimuli négatifsou _nesavonspas encore menacants: dans cecas, _sils‘agitd'une consé- le rappel des informations quence de événement fonctionne mieux que traumatisant ou plutot lamoyenne! Récemment, d'un facteur de prédis- lestravauxenimagerie position développer cérébrale montrent que _cegenre de syndrome. » ‘COURTESY |ANNESE,TME BRAIN RSERVATOR, SAN DIECO Retrouvez votre magazine tous les mois chez votre marchand de journaux bes Kobo" ne Ses troubles Alors qu'elle touche un nombre croissant de personnes, notamment en France, la maladie d'Alzheimer est encore mal cernée par les scienti- fiques. Méme si les méthodes de diagnostic progressent, les causes précises de la maladie restent mysté- Bale MolM CIMACT UT VOIR ABTA elo Comment, dés lors, la prise en charge Soule lor(cmolciilerc)I (cst Colcya eiswelclnlcvelh ig Pkeconta rr iaerd Ses troubles [Alzheimer] UN DIAGNOSTIC DE PLUS EN PLUS FIABLE es symptOmes font froid dans le dos. « Chez la plupart des patients, les premiers signes sont constitués par l'oubli des faits récents. Mais ils s'accompagnent, ou sont suivis, d'autres signes tels que des troubles du langage, des difficultés 4 s‘organiser ou a réaliser certains actes du quo- tidien comme utiliser un téléphone, des altéra- tions du jugement ou une diminution progressive du sens de I’orientation. Chez certains patients, ce type de troubles précéde méme ceux de la mé- moire », détaille Florence Pasquier, neurologue au CHU de Lille. Aprés la mémoire épisodique récente, c'est done tous les autres systémes qui sont touchés: mémoire de travail, mémoire épiso- Gique a long terme, mémoire sémantique et méme mémoire procédurale. Et malheureusement, la prévalence estimée dela maladie d’ Alzheimer est tout aussi effrayante que ses symptOmes. Si, en France, 0,5 % seulement des personnes de moins de 65 ans sont touchées, elles sont entre 2 et 4 % aprés 65 ans, pour atteindre 15 % & 80 ans. « D’environ 850000 malades au- jourd'hui, on devrait atteindre le million en 2020 et 1,6 million en 2040, indique Claudine Berr, méde- cin épidémiologiste a l'Inserm de Montpellier, 4 ‘moins que l'on parvienne a retarder I'age de l'ap- parition de la maladie, Une seule année gagnée sur celui-ci et on évite plus de 100000 cas en 2040. » Diailleurs, l'année derniére, deux études, l'une anglaise, 'autre suédoise, montraient pourla pre- miére fois une diminution du nombre de nouveaux cas. « Cela pourrait s‘expliquer par une meilleure prise en compte de certains facteurs de risque de Ja maladie, comme le risque cardio-vasculaire (voir p. 82). Mais en diminuant celui-ci, on augmente aussi mathématiquement I'espérance de vie et, revers de la médaille, le risque d'atteindre I'ége 80+S8V Hos Ste oi la maladie d’Alzheimer se développera! De ce fait, une diminution de incidence de la ma- ladie dans une classe d’age ne signifie pas pour autant une diminution du nombre de malades », explique Héléne Jacquin-Gadda, biostatisticienne alnserm de Bordeaux. ‘TESTS COGNITIFS, EXAMEN D'IMAGERIE Devant ces angoissants constats, nombreux sont ceux qui s'alarment en voyant leur mémoire, ou celle de leurs proches, faiblir avec I'age. Que pen- ser de ces clés sans cesse égarées? De ces lunettes trouvées rangées dans le frigo, et de ce livre, pour- ‘tant maintes fois lu, dont le titre semble irrémédia- Le temps ou Jes deux principaux marqueurs de la maladie n’étaient détectables qu’a l'autopsie est désormais révolu blement oublié? Le plus souvent, ces symptomes ne relevent que de trés anodins troubles atten- tionnels, Pour s‘en assurer, le médecin généraliste oriente son patient vers un centre spécialisé, ot Yon vérifie a V'aide de tests cognitifs standardisés que les troubles de la mémoire sont avérés. Si c'est Ie cas, le diagnostic de maladie a’ Alzheimer n'est pas pour autant pos6, car origine de ces problemes peut parfaitement étre une maladie infectieuse (comme 1a syphilis ou la maladie de Lyme), un trouble métabolique ou carentiel (hypergiycémie, hypercalcémie, hypothyroidie, etc.) ou encore une insuffisance rénale. D’oit la nécessité de prescrire des examens biologiques sanguins pour éliminer ces causes possibles. La Haute Autorité de santé préconise également un examen d'imagerie médi- cale systématique pour tout trouble cognitif avéré. IRM et/ou scanner permettent ainsi d'exciure cer- taines pathologies comme une tumeur ou des \ésions vasculaires. Présentant les mémes symp- tomes que la maladie d'Aizheimer, la démence vasculaire est ce que les médecins appellent une pathologie apparentée ou associée. Mais inverse de la maladie d Alzheimer, ele n'est pas neurodé- générative. Elle est due a des accidents de la cir- culation sanguine parfois passés inapergus. « Les dégénérescences fronto-temporales, une autre 4 Pathologie associée, sont également détectables 4 imagerie », indique Florence Pascquier. « Longtemps, r'imagerie médicale n'a servi qu’a ‘écarter le diagnostic de maladie ‘Alzheimer. Mais, g & 3 : : : plus en plus d’arguments positifs pour celui-ci, pré- cise de son c6té Francis Eustache, directeur du laboratoire de neuropsychologie et neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine, a Caen. Latrophie de I'hippocampe ou l'hypo-métabolisme de certaines zones cérébrales sont ainsi des indica- teurs fiables de la maladie d’Alzheimer. » ET DESORMAIS PONCTION LOMBAIRE Surtout, le temps ot les deux marqueurs princi- paux de la maladie ~1es plaques amyloides et les lésions neurofibrillaires ~ n’étaient détectables dans le cerveau qu'aprés la mort du sujet, lors de lautopsie, est désormais révolu. Et avec lui, celui ot de nombreux diagnostics étaient erro nés (jusqu’a 36 % selon certaines études), ce qui conduisait certains médecins a douter de la réalité méme de la maladie d’ Alzheimer! Fin 2008, le neu- rologue américain Peter Whitehouse affirmait ainsi dans un livre polémique (Le Mythe de la maladie d’Alzheimer, ce qu’on ne vous dit pas sur ce dia- gnostic tant redouté) qu'il était presque impossible de séparer la maladie d’Alzheimer du vieillisse- ment cérébral « normal ». Une difficulté dépas- sée aujourd'hui. Car, comme I'indique Florence Pasquier: « Méme si ce n'est pas encore fait de fagon systématique pour tous les patients dans tous les centres, une ponction lombaire permet désormais de détecter les deux marqueurs dans Ie liquide céphalorachidien. Lorsqu'une personne est effectivement touchée par la maladie d' Alzhei- mer, Ja protéine béta-amyloide s'accumule dans le cerveau. Et de ce fait, son taux est anormalement bas dans le liquide céphalorachidien. A I'inverse, on observe dans ce liquide une augmentation du taux de protéines tau phosphorilées. » e ‘On compte aujourd'hui en France 850.000 malades. Le nombre de cas prévu en 2020 devrait atteindre 1 million, et 1,6 million en 2040. La maladie conceme 0,5 % des personnes avant 65 ans, entre 2 et 4 % aprés 65 ans, et 15 % & 80 ans. Et, au sein d'une méme classe d'age, 3 femmes sont touchées par la maladie pour 2 hommes. iNexiste 28 CMRR (centres mémoires de ressources ‘et de recherche) et 469 consultations mémoire sont ‘organisées en milieu hosptalie. SAV Hos Séie«B1 INCOMPRISES €25 novembre 1901, Auguste Deter, 4gée de 61 ans, est admise a I’h6pital de Francfort, en Allemagne. Souffrant de ce que l'on appelle a l'époque « dé- ‘ence », elle est prise en charge par le docteur Alois Alzheimer qui la suivra jusqu’a ce qu'elle meure, quatre ans et demi plus tard. N’étant pas parvenu a expliquer, du vivant de sa patiente, les causes de sa maladie, le médecin allemand décidera d'autop- sier son cadavre et découvrira alors les lésions céré- brales qui, aujourd'hui encore, sont utilisées comme marqueurs de la maladie désormais connue sous le nom maladie d’Alzheimer. Des lésions qui sont de deux types. D'abord des « plaques amyloides », ou plaques séniles, formées par le dépét d'une petite protéine (le peptide béta-amyloide) al'extérieur des neurones. Ensuite des « dégénérescences neuro- fibrillaires » caractérisées par V'agrégation d'une autre protéine phosphorylée, la protéine tau, sous forme de filaments a lintérieur méme des cellules nerveuses. Mais l'accumulation anormale de ces deux protéines dans le cerveau des patients est- elle la cause de la maladie ou n’en est-elle que la conséquence? Quels liens existe-til entre ces deux types de lésions? Et surtout, qu'est-ce qui déclenche Yaccumulation de ces protéines? « Toutes ces questions manquent encore au- Jourd'hui de réponses », reconnait Luc Buée, di- recteur de l'équipe de recherche Alzheimer ‘Tauopathies, & Lille. Néanmoins, ajoute-til, « nous avons quand méme quelques certitudes. La premiére d'entre elles provient des rares cas ot la maladie d’Alzheimer est d'origine génétique (voir encadré . 85). Chez ces personnes, on observe a chaque fois des mutations sur des génes impliqués dans la surproduction de peptide béta-amyloide. » De cette observation sur ces patients trés particuliers est née, en 1991, hypothase dite de « la cascade amyloide », 82-58 Hos Ste selon laquelle ce serait I'accumulation de cette pro- téine qui entraineraitla destruction des cellules ner- veuses, a l'origine de la maladie. En se basant sur cette hypothese, les laboratoires pharmaceutiques et les chercheurs du monde entier se sont mis en quéte de molécules capables de lutter contre I'accu mulation de cette protéine dans le cerveau. Avec tun suocés clinique malheureusement trés relatif. Si certaines des molécules mises au point, comme par exemple le bapineuzumab ou le solanezumab, deux anticorps anti-béta-amyloides, parviennent effecti- vement a diminuer la quantité de protéines béta- amyloides dans le cerveau, les laboratoires Pfizer Deux décennies de travail n’ont toujours pas abouti a la preuve irréfutable du réle des plaques amyloides dans la maladie et Eli Lilly, respectivement a Vorigine de ces deux molécules, ont reconnu a l'issue des essais cliniques de phase II, publiés en 2012, que celles-cin’avaient permis aucune amélioration des fonctions cognitives des patients atteints de la maladie d'Alzheimer. « Beaucoup en ont alors conclu que I'hypothese de la cascade béta-amyloide était fausse », raconte Luc Buée. « Des millions de dollars et deux décennies de travail n'ont abouti ni @ la preuve irréfutable que les plaques séniles étaient bien responsables de la maladie, ni & un traitement qui fonctionne », com- mente ainsi Olivier Thibault, chercheur au départe- ment de pharmacologie moléculaire et biomédicale de I'université du Kentucky, aux Etats-Unis LA PROTEINE TAU, UN AGENT CENTRAL Luc Buée est plus prudent: « La plupart des per- sonnes impliquées dans les essais cliniques étaient deja a un stade avancé de la maladie, le mal était alors sans doute déja fait. Tenter de limiter la for- mation de plaques une fois la maladie établie, c'est un peu comme enleverla gachette d'un revolver une fois la balle partie. » Reisa Sperling, chercheuse au Centre pour la recherche sur Alzheimer de I'univer- sité médicale de Harvard, aux Etats Unis, partage cot avis: « La plupart des essais cliniques de thérapies anti-amyloides ont été engagés dix ans trop tard! », explique-t-elle. Cette année, la chercheuse vient de Ses troubles | débuter un essai clinique visant & mesurer non pas effet curatif du solanezumab, mais son effet préven: tifchez des personnes de plus de 65 ans considérées comme a risque. Pour ce faire, elle a identifié, grace a Vimagerie médicale et parmi 5000 personnes en bonne santé, celles qui présentaient une quantité importante de plaques amyloides dans le cerveau. Une démarche qui met aussi en exergue l'une des, autres failles de I'hypothése amyloide: « On peut trés bien vivre des années avec un excds de plaques sans développer aucun symptéme de la maladie. Et lorsque celle-ci se déclare, si elle se déclare, la sévé- rité des atteintes cognitives est peu corrélée avec Ia quantité de Iésions amyloides », analyse Florence Pasquier, neurologue au CHU de Lille. A inverse, ajoute-telle, « la corrélation est trés claire entre dégénérescence neurofibrilaire et déclin cognitif. De ce fait, il apparait désormais que la protéine tau SR Hoc Série 83 est un agent central, » Est-ce dire que la protéine béta-amyloide est une cible totalement discréditée? « Longtemps, on a assisté @ une sorte de guerre entre les baptistes, qui considéraient que la maladie était due ala protéine béta-amyloide, et les tauistes, ‘qui Vexpliquaient plutét par accumulation de pro- téine tau. Aujourd'hui, cette guerre est un peu dé- assée », estime Luc Buée. « On essaye désormais de comprendre le lien entre les deux et comment la protéine béta-amyloide pourrait faire Ie it des ano- ‘alies de tau », compléte Florence Pasquier. Pour autant, c’est bel et bien la lutte contre agré- gation de la protéine tau qui fait désormais objet de toutes les attentions de la part des laboratoires pharmaceutiques. « De nombreuses molécules sont actuellement testées contre la protéine tau. Des inhi- biteurs de phosphorylation, des anticomps, des vac- ins ont été mis au point, mais pourl'heure, aucun n'a encore atteint la phase finale des essais cliniques », détaille Luc Buée, Plus étonnant encore, des molé- cules connues depuis des décennies ont démontré Jour efficacité limiter agrégation de tau, « C'est par exemple le cas du bleu de méthyléne actuellement en phase II d'essai clinique », précise le biologiste lilo. LES LIPIDES, FACTEUR DE RISQUE La piste immunitaire est également explorée. «Le comps humain semble lutter contre la maladie @’Alzheimer et la stimulation du systéme immuni taire, via des anticorps ou des vaccins, constitue ailleurs 'une des voies thérapeutiques les plus 6tudiées aujourd'hui », indique Philippe Amouyel, professeur au CHU de Lille et directeur de 'unité de recherche Santé publique et Epidémiologie molécu- laire des maladies liées au viellissement, a Inst tut Pasteur. Sans résultats probants pour l'instant. A Yinverse, la surstimulation du systéme immuni- taire pourrait aussi étre a origine de la maladie: en produisant une trop grande quantite de molécules pro-inflammatoires, délétéres pour le cerveau, celui Gi favoriserait la mort neuronale a la fois de fagon ditecte, et de facon indirecte en stimulant Yagréga: tion de protéines béta-amyloides. I s'agirait donc dans ce cas plutot d'apaiser la réaction immunitaire. Les chercheurs s'intéressent aussi aux liens qui existent entre maladie d’Alzheimer et maladies cardio-vasculaires, Parmi les facteurs de risque les plus importants de développer la maladie ’Alzhei- mer figure, en effet, le risque vasculaie, lu-méme favorisé par un taux de cholestérol élevé et par Tobésité. « Le fait que le géne commandant la syn- thése de l'apolipoprotéine E, une protéine dont la 84+ Sev Hos Ste fonction est de transporter les lipides 4 'intérieur du corps, constitue I'un des facteurs de risque les plus importants de la maladie conduit penser que le métabolisme des lipides joue un réle important dans apparition de la maladie », note Philippe Amouyel. Une intuition confirmée par les travaux de Luc Buée. Celui-ci a ainsi démontré l'année demiére chez la souris que l'obésité aggravait les lésions de type tau et favorisait les pertes de mémoire. Autant de pistes qui pourraient aboutir, dans les années a venir, a I’élaboration de nouvelles molé cules thérapeutiques, mais qui ouvrent aussi la possibilité plus inattendue d'agir dés maintenant contre la maladie. Non pas pour la guérir certes, mais pour prévenir ou au moins différer son appa- rition. Ainsi, une étude épidémiologique publiée en 2003 et menée pendant neuf ans sur 702 Sué- dois avait montré une incidence plus faible de la maladie chez les personnes ayant consommé régu- lierement de fortes doses de la plus célébre des mo- ecules anti-inflammatoires qu'est l'aspirine. « Les mesures prises ces derniéres années pour réduire Je risque cardio-vasculaire expliquent aussi proba- blement, au moins en partie, pourquoi certaines études épidémiologiques récentes montrent une diminution du nombre de nouveaux cas », indique Francis Eustache, directeur du laboratoire de neuro- psychologie et neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine a Caen. « En mangeant mieux, en faisant de 'exercice, on n'empéchera certes pas Ja maladie d’Alzheimer d'apparaitre, mais il semble de plus en plus évident qu'on pourra en retarder apparition... et en freiner le développement », conclut Florence Pasquier. De quoi donner au moins Vimpression de faire un peu reculer la fatalité. @ Ses troubles | 1 UNE MALADIE GENETIQUE ? En France, sur les 850000 personnes touches par lamaladie dAlzheimer, environ un millier présente une forme trés particulire de a maladie: une forme précoce, dite familiale. Celle-ci apparaft avant 65 ans, voire avant 50 ans, et elle est héréditaire. Respectivement identifiés en 1991, 1995 et 1996, trois genes (APP, préséniline 1 et préséniline 2) sont impliqués dans ces formes famlales. Lorsque tun de ces genes est porteur d'une anomalie (une mutation ponctuelle ou une duplication), calle-c a une chance sur deux tre transmise auxenfants Et quand cette transmission lieu, ces demiers développent systématiquement lamalacie a age ot leur parent '2 développée DES FACTEURS DE SUSCEPTIBILITE Pour autant, la génétique n'est pas totalement absente dans les formes cites « sporadiques », Cest-8-ire non herécitaires, de la maladie Alzheimer «A leur actuelle, ona identifié 2 genes de susceptiblte.A Vinverse des genes impl- ‘quésdans les formes héréditaires et pourlesquelson 2 100 % de risque de développer la maladie sit'on est porteur, ces nes ne font qu’augmenter le risque, {aplupart du temps dans une proportion faible », explique Philippe Amouyel, professeur au CHU de Lil, Parmi ceux-c e gene dont effet est le plus important est celui de fpolipoprotéine €, un gene impliqué dans le transport des lipides. Découvert en 1993, iLa été le seul facteur de susceptibilité _génétique connu jusqu’en 2009, date a laquelle de nouvelles techniques de criblage ont merge. CChacun d'entre nous posséde deux copies (wallées) de ce gane qui existe sous trois formes (2,3et 4). « Lerisque de soufrde la maladie données. Or ¢a n'est pas le cas. Les forces du mar- 3 che poussent vers des supports rapides, compacts & et peu onéreux. Bt d'ajouter: Si certains supports, pierre, parchemins, papier... ont résisté au temps, est tout a fait par hasard. » Leur choix ne s'est pas fait dans un souci de transmission. Lorsqu'il le fait, c'est donc avec les moyens du # bord. Ainsi, l'ére du numérique, les grandes REVERARN FONTAN institutions concernées par la conservation d'in- formations sur de trés longues durées ~ archives nationales, bibliothéques, grands centres scienti- fiques... - n'ont désormais qu'une seule et unique solution: celle de faire migrer sans reléche d'un support a autre ensemble de leur fonds. « En une vingtaine d’années, nous avons changé cing fois de supports », indique Laurent Duplowy, chef du ser- ‘vice numérisation de la Bibliotheque nationale de France (BNF). « Tous Jes quatre ou cing ans, nous recopions les données dont nous avons la charge sur de nouveaux disques ou bandes », confirme Francis Daumas, directeur du Centre informatique national de Yenseignement supérieur (Cines), Montpellier, chargé de la conservation a long terme du patrimoine Les institutions n’ont qu'une solution : celle de faire migrer sans relache d’un support a I’autre Il’ensemble de leur fonds numérique de l'enseignement supérieur et de la nées de missions scientifiques... « C'est un considé- rable changement de paradigme, analyse Jean-Marc Fontaine. Avant, conserver signifiait maintenir de maniére statique dans les meilleures conditions pos- sibles. Désormais, le numérique impose un proces- ‘sus de conservation dynamique sans faille. » Les mémoires numériques [archives] Qu’on en juge: danse cas du Cines par exemple, ‘qui ne fait pas figure d'exception, quatre copies de ‘chaque document conservé sont disponibles en permanence, plus une sur un site distant, Toutes rotégées informatiquement contre le pitatage et physiquement contre les incendies et les coupures électricité. « Nous possédons une double alimenta- tion électrique via deux lignes EDF indépendantes », précise Francis Daumas. Et pas question pour qui- ‘conque d'acoéder aux armoires informatiques : elles, ‘sont gardées derriéres de lourdes grilles fermées & double tour qui ne s'ouvrent que sur autorisation. ‘Mesure visant essentiellement & se prémunir contre Jes erreurs humaines de manipulation. DES CONSEQUENCES DEVASTATRICES: Car en matiére de numérique, un simple clic peut avoir des conséquences dévastatrices. Ainsi, au ‘milieu des années 1990, en pleine production de Toy Story 2, es studios Pixar ont perdu toutes es données du film a la suite d'une manipulation informatique. Elles n'ont di leur salut qu’a une copie se trouvant sur Yordinateur d'un employé. Mais en janvier der- nier, la BC n'a pas eu cette chance : le systéme de ‘conservation numérique de ses archives d'actualité, ‘dans lequel elle venait 'investir 190 millions d'euros, a rendu ame la suite d'une erreur humaine. Bt encore ne parle-ton la que de sauvegarde en Y'état d'une information numérique. Or sa conserva- tion surle long terme implique un processus autre- ‘ment plus complexe qu'une simple préservation, des supports. A titre d’exemple, en 1994, le Centre national d'études spatiales (Cnes)crée le Service de ‘transfert et d'archivage des fichiers (Staf), dans le Dut de garantir dans le temps Vintégrté des trains de bits emmagasinés par les missions spatiales. Ainsi, toutes les données brutes du satellite D2B, dédié ‘dans les années 1970 a'astronomie et ala physique solaite, sont transférées vers le Staf. Sau que faute avoir conservé le systeme de traduction permet tant de les rendre intelligibes, elles sont réduites & ‘une série de 0 et de 1 sans la moindre signification | ‘Autre exemple avec la documentation d'un autre satellite du Cnes: saisie en Word 96, elle s'est révé- 1e ilisible quelques années plus tard sur Word 2, ‘malgré la garantie de compatibilté ascendante du ‘constructeur entre les versions successives de son logiciel. Et une nouvelle saisie a été nécessaire. SV Hors Série» 103 ‘Quoi qu'llen soit, la situation a été jugée suffisam- ‘ment prévocupante pour qu'en 1995, ! Organisation intemationale de normalisation (ISO) demande au Comité consultatif pour les systémes de données ‘spatiales (CCSDS) de réfléchir & une norme en matiare d'archivage longue durée pour les données spatiales, La problématique concerne l'ensemble des données numériques, d’oit association au projet des Archives nationales américaines et de plusieurs grandes bibliotheques. Résultat publié en 2002: un modéle de référence, I'OAIS (Open Archival Information System), spécifiant de maniére trds générale architecture logique et les fonction- nalités d'un systéme d'archivage numérique, érigé aujourd'hui en une norme international. UNE TRANSMISSION INCERTAINE Outre la détérioration du support, 'OAIS engage ainsi a se poser les questions suivantes: un lecteur ermettant de lire le support existere-til toujours dans quelques années? Le logiciel qui a servi a créer le fichier sera-t-l toujours disponible? Enfin, sera- til possible d'exécuter ce dernier sur un systéme exploitation? Sans oublier la mére de toutes les questions : le fichier est-il assez décrit pour qu'un uti- lisateur du futur comprenne ce qu'lla sous les yeux, les données d'un accélérateur de particules ou une recette de cuisine. « La question de la transmission de la description du contenu est la clé de la mémoire 4 Jong terme », insiste Frangoise Genova, directrice du Centre de données astronomiques de Strasbourg, spécialisé dans la conservation et la mise a disposition des données astronomiques mondiales, qui collecte et distribue des données numériques depuis 1972. Il nempéche, cette clé n’aura d'intérét qu’a la condition qu’aucune étape n’ait été négligée. « Si une brique manque & I'édifice, tout s’écroule », pré- vient Gérard Cathaly-Prétou, président du comité technique Applications en gestion des documents. des formats de fichiers afin de s'assurer de leur vali- ité, contréler lévolution des supports, etc. « Apres dix ans de réflexion et d’application de 'OAIS, nous sommes au tout début de la maturité, commente Laurent Duplouy. Nous savons que nous balayons Yensemble du territoire des problémes posés par Yarchivage numérique, pour autant, certains d’entre ‘eux méritent encore d'étre approfondis. » De fait, au-dela des prescriptions de principe de YOAIS, des questions quant & leur application restent en suspens. Un exemple? Alors que la communauté mondiale de physique des particules est actuellement en pleine réflexion sur la conser- Un support pérenne ne suffit pas. Le lecteur, le logiciel et le systéme d’exploitation qui y sont associés doivent I’étre aussi Raison pour laquelle toutes les institutions sériouses aujourd'hui responsables d'un fonds numérique dlisposent désormais d'un service dédié oft archi- vistes professionnels et informaticiens travaillent de concert Son éle: assurer une veille permanente afin @anticiper obsolescence des technologies, sélec tionner les plus durables, tester les outils de migration 3 d'un support ou d'un format dans un autre, déve- 5 lopper ou mettre jour des outils de caractérisation 104 SB Hos Série vation de ses archives numériques, elle n'est as encore parvenue a s'accorder sur un modéle générique. Ainsi, le synchrotron DESY, a Hambourg, arécemment opté pour une mise a jour des formats de ses fichiers, de ses logiciels et de ses systémes d'exploitation au gré des évolutions techno logiques. A I'inverse, les archivistes numériques de l'acoélérateur de 'université de Stanford (Slac), aux Etats-Unis, ont décidé de conserver l'ensemble de leurs formats initiaux et de jouer la carte de logiciels capables de les rendre compatibles avec Jes machines actuelles. « Les premiers conservent Ja recette de leur pizza, alors que les seconds optent ‘Pour la congélation de la pizza en espérant qu'elle sera toujours bonne une fois sortie du congélateur, explique de facon imagée Cristinel Diaconu, au centre de physique des particules de Marseille et coordinateur du groupe de travail international sur Je sujet, Bt de préciser: Hambourg prend le risque de la sensibilité de ses données brutes a de tout petits changements. A Yinverse, Stanford risque une divergence & un moment donné entre formats anciens et nouvelles machines. Mais dans les deux cas, n'y a aucune certitude. » Forte de ce constat, Academy of Motion Picture ‘Artsand Sciences, aux Etats-Unis, soulignaitdans un apport inttulé « Digital Dilemma » publié en 2007 quill r'existe pas d'alternative & archivage ana- Jogique pour conserver des films sur une période de cinquante ans ou plus. Au point que de chaque Les mémoires numériques [archives] cOté de I'Atlantique, les grands studios de cinéma ont pris la décision de conserver une copie sur film 35 mm de chaque ceuvre de leur catalogue et d’en {aire tirer une pour chaque nouvelle production. Mais, jusau’a quand, alors que Fuji a cessé de fabriquer des pellicules pour le cinéma en mars 2013 et que rien n‘indique que Kodak et Agfa poursuivent leur production éternellement, Pour limiter les risques de tout perdre, les profes- sionnels de Yarchivage numérique plaident pour des formats les plus ouverts possible. « C'est la seule fagon d'espérer avoir une totale maftrise de ce que nous faisons », explique Laurent Duplouy. Mais éga lement pour une prise de conscience du grand public. « Actuellement, chacun fait le maximum en espérant que ca marche, poursuit l'informaticien. Signalons que la plupart des clouds n’oftrent pas de véritable service d'archivage (c'est--dire un service qui tienne compte de l'évolution des formats), mais un simple stockage, sans aucune garantie contractuelle contre Japerte de données. Lorsque le grand public réalisera que rien ne garantitla consultation de ses fichiers de Photos de famille dans cinquante ans, lest probable que des avancées significatives auront lieu. » Pourl’heure, ce n'est pase cas. Btle risque de voir, a terme, nos archives numériques partir en fumée existe. Nous vivrions alors ce paradoxe oi toute information peut étre sauvegardée, mais ne sera eut-étre jamais transmise... @ SRV Hors Stes 105, , Laugmentation du volume des données 4 personnelles et la fragilité des supports obligent les particuliers a se préoccuper du stockage de leur patrimoine numé- tique. Tout ce qu'il faut + savoir sur les meilleures techniques d’archivage. Par Pierre-Yves BOCQUET Les mémoires numériques DONNEES PERSONNELLES Les regles d'une bonne sauvegarde fe constat est clair: les mémoires numé. riques s'enregistent aujourd'hui sur des supports fragiles long terme (voir p. 98) Comment faire pour conserver malgré tout au mioux ses propres données? La question est loin sre ano- dine: poussées par 'essor des technologies numé- ques et a dématéralisation des documents, les cquantités de données numériques personnelles & stocker n’ont jamais été aussi importantes. Selon lo cabinet c' tudes américain Gertner, les besoins moyens en stockage par foyer vont passer de 464 gigaoctets (Go) en 2011, 3,3 éraoctets (1 To = 1000 Go) en 2016, Soit une multiplication par sept en cing ans! Comment gérer cette aocumulation et assurer Yachivage pérenne et str de ce patrimoine numérique immatériel et envahissant? Présentées notamment par Claude Hue dans © Préserver son patrimoine numérique (éditions © Eyrolles), quelques régles permettent un azchivag sir. A commencer par encodage. Carles logiciels = SRV Hoc Sties 107 Les mémoires numériques [donné évoluent vite et leur derniére génération est par- fois incapable d'ouvrir des fichiers créés avec d versions antérieures. A quoi sert de conserver ses données, si l'on est incapable de les relire plus tard? Il est donc préférable de sauvegarder vos données sous des formats ouverts ou faisant l'objet de normes (.pdf/a ou .txt pour les documents écrits, ‘Jpeg 2000 pour les images, MPEG-4 pour la vidéo). Evitez les formats dits « propriétaires », limités & la lecture par un logiciel particulier (.rtf, doc, .psd, avi) et plus exposés a l'obsolescence. Il s‘agit ensuite de sélectionner le bon support. Pour cela, il convient d’évaluer la taille de votre pa- trimoine numérique et sa vitesse de croissance afin dopter d'emblée pour la capacité dont vous aurez besoin dans cing ou dix ans, selon la durée de vie du support. Il importe aussi d’en définir l'utilisa- tion: souhaitez-vous les transmettre, les partager facilement ou, au contraire, les conserver a l'abri des regards indiscrets? Quelles que soient vos prio- rités, vous trouverez dans les encadrés suivants un résumé des caractéristiques des différents supports qui vous guidera dans votre choix. DES COPIES A PLACER EN LIEU SOR Un archivage sir passe également par le clonage de vos données. La longévité n'étant le point fort aucun suppor, fest recommandé de dupliquer ‘son patrimoine numérique sur au moins deux sup- ports, en panachant les technologies, les marques ot les references. Nul n'étant a Yabri d'une pert, d'un vol, d'une inondation ou d'un incendie, i est également sage de conserver au moins lune des sauvegardes dans un lieu différent, si vous n'avez pas opté pour une sauvegarde sur cloud. Enfin, pour minimiser les risques d'effacement accidente, évitez de toucher trop souvent a votre collection de référence (celle qui sert de modele & vos copies de sauvegarde). Les nouveaux fichiers a stocker seront rassemblés dans un dossier séparé, aqui sera ajouté a votre collection en uno fis lors de votre conte périodique, par exemple. Cette mise a jour (au moins une fois par an) sera par ailleurs occasion de surveil l'état de votre collection et des supports, Inutile d’ouvrir tous les fichiers: un simple copier-oller de ensemble des fichiers vers le disque de votre ordinateur suffit pour détecter un support risque. Lorsquela vitesse de transfert d'un fichier est anormalement lngue ou qu'un message 3 g’errour final indique qu'un ou plusieurs fichiers 43 wont pu étre copies il est preferable de remplacer 2 le support défaillant par un nouveau. ° 108 SB Hos Série s personnelles] 5TYPES DE SUPPORTS ALALOUPE Les caractéristiques principales des disques durs externes, mémoires flash, DVD, Blu-ray et clouds. De quoi vous aider a choisir le bon support Cia ka hel ka Ck Oy et de l'usage que vous voulez en faire. ——————— ‘*Modedefonctionne- _eCapacité: supérieure ment: le disque est au téraoctet (1To composé d'un ude plu- = 1000 gigaoctets). sieurs plateaux uperposés Les boities de 4 ou 6 To recouverts d'une couche sont souvent composes magnétique active. Uécri- de plusieurs disques ture et la lecture sont de2 0u3 To superposts faites par une tétequise Prix: 0,10 euro/giga- déplace lasurfacedu octet (Go) en moyenne. plateau en rotation et qui, eLongevité/fiabilité: Al/zided'un courant ec Les disques durs sont trique, modifiele champ _sensibles 8 usure magnétique local. et aux chocs du f déplacements mécaniques dui disque et dela téte de lecture. La durée de vie ‘moyenne de ces supports est estimée & cing ans. La plupartintégrent la techno- logie Smart qui permet, en théorie, au disque de stautocontrber et davertir Cutiisateur en cas de risque de perte des données. Mais une étude réalisée par Google ily a quelques ‘¢Mode de fonctionne- ‘ment: ‘information est stockée sous forme d'élec- trons quirestent piégés dans des transistors méme sans alimentation élec- trique. Deux technologies sont utilisées: la SLC (Single-level cel), qui permet 2 niveaux de charge par cellule soit 1 bit de stockage) et la MLC (Multi- level cel), quiva jusqu’a Brniveaux de charge par années, sur 100000 disques drs grand public, a révélé que bon nombre de crashs navaient pas été anticipés par ce systéme. Elle a aussi constaté un taux de panne de 1,7 % des disques la premire année de leur mise en fonction; de 8 % la deuxigme année, et de 8,6 % latrosiéme année. Vitesse d’écriture: ele dépend surtout de sa vitesse cellule (4 bits). ‘*Capacité: jusqu’a S12 Go pour les clés USB et les disques SSD exteres. «Prix: de 0,80 plus de 2 euros/Go pour es clés USB et es disques SSD de technologie SLC, les plus courants. De 2,50 8 3,50 euros/Go pour ceux de technologie MLC. Longévité/fiabilité: les mémoires flash sont tres résistantes aux chocs, de rotation. Les disques durs présentent des vtesses de 5000 & plus de 10000 tours/min. Soit tun débit d environ 50 Mo/s en écriture, ce qui permet de copier 10 Go en un peu moins de trois minutes etdemie ‘Sécurité: la plupart des disques de 500 Go et plus intagrent des suites logicielles permettant En revanche, lcriture et effacement des données engendrent une usure et l- mite le nombre de cycles écritureleffacement & 10000 pour les puces MLC et 8 100.000 pour les SLC. Leur durée devie est es- timée entre cing et dix ans en moyenne. Vitesse d'écriture: de ordre de 10 Mo/s pour les clés USB 2.0. Les clés USB 3.0 dépassent, elles, de crypter les données etd'en protéger acces par un mot de passe. ‘*Conclusion: offrant de grandes capacités de stockage pour un prix compétitf le disque dur exterme reste le support pri- vilégié pour la manipulation de fichiers volurineux. Toutefcis sa longévité contraint & cloner la collec- tion sur d'autres supports = les 50 Mo/s. Quant aux disques SSD de technologie SIC ilsatteignent des vi tesses de plus de 300 Mois. ‘Sécurité: une protection Logicielle des données & (aide d'un mot de passe est parfois proposée. ‘Conclusion: peu encom- brantes et peu fragies, les clés USB sont adaptées au stockage de capacités inférieures & 512 Go. SRV Hors Séie+ 109, ‘¢Mode de fonctionne- ‘ment: le DVD est doté dune couche réfiéchis- sante et d'une couche de colorant organique qui se déforme sous leffet dela chaleur du laser du graveur. Des déformations Quise tradusent par des Variations de laréflexivite du signal lumineux ‘Capacité: de 47. Go 88,5 Go de données elon les models. Prix: 0,60 euro unite (soit 073 euro/Go) en ‘moyenne; 25 euros (0,53 euro/Go) pour les DVD-RW (réinscrptibles) de 4,7 Go; et 5 euros (0,59 euro/Go) pour les doubles-couches de 8,5 Go. Longévité/fiabilité: (absence de contact et de pices mécaniques rend le DVD insensible &usure Mais lest vuinérable au veilissernent chimique (accéléré parla lumigre), aux températures dlevées et Al/humidité. Une étude du Laboratoire national de métrologie et dessais M10+SRV Hors Série (INE) amontré, en 2071, quiaprés sept ans passés dans de bonnes conditions de stockage, 17 des disques présentaient des zones dégradées, dont 12 % avec des pertes irré- versibles de données, Et les DVD reinscriptibles sont deux fois moins résistants auvieilissement. Vitesse de gravure: de 1.35 Mols (1x) 8 32,4 Mols (24x). Soi trois minutes pour remplirun DVD 24x de 4,7Go. Attention, une vitesse de gravure trop élevée peut avoir un impact surla durée de vie. Les mei- leurs résultats sont obtenus avec une gravure 2 50 % de a vitesse maximale. ‘Sécurité: pas de limita- tion daccés la lecture Si besoin il faut protéger tes données avant gravure ‘Conclusion: malgré une capacitélimitée et un temps de gravure assez Long, le DVD reste un sup- port privilégié en raison de sa longévité (sion opte pour un disque de qualité) ‘¢Mode de fonctionne- ment: i existe deux tech- nologies de Blu-ray enregistrable (8D-R). La couche sensible sur laquelle sont stockées les données est constituée d'une double couche dallages meétalliques sur un disque HTL (High toLow), ou d'une couche de colorant organique sur un LTH (Low to High), Dans les deux cas, le laser du graveurentraine des ‘modifications chimiques ui changent la réflectivité des zones gravées, vers tune réflectivité moindre pour le HTL, et supérieure pour le UTH ‘*Capacité: 25 Go pour les BD-R simple couche et 50 Go pour les doubles- couches (8D-R Dl). ‘Prix: de 010 euro/Go pour les disques de 25 Go, 0,20 euro/Go pour les doubles-couches de 50 Go. Et une centaine euros pour le graveur. Longévité/fiabilité: tune étude du LNE publige en juin 2012 a révélé de fortes disparités entre les produits des principales marques. Lors d'un test de vellissement accéléré (exposition une tempé- rature de 80 °C et une hu- rmidité relative de 80 %), les disques Panasonic et personnelles] ‘¢Modedefonctionne- un SSD que vous pourriez __versleserveur (ypload), __systéme nest infailible. ‘ment: es données & avoir chez vous.Saufque _oudescendants, vers votre Du coup, les accros ala sauvegarder sonttrans- _laplupart des prestatares PC (download), varient. confidentialité préféreront férées surles serveurs d'un utilsent latechnologe _—lisdépendent du débit de _le cloud personnel. Prestatairedeservice. le RAID (Redundant Array votre connexion internet, (Network Attached Sto- stockage est réalisé surdes of Independent Dist), ainsi que dela bande pas- rage): un bottier de disques disques durs ouSSD dans pour assurerlapérennité _santemise &disposition drs branché sur une box des datacenters, et peut des données que vous leur par votre prestataire. internet permet de trans- tre consulté depuisrn‘im- confiez Elleconsisteré-_Lestests effectués par des _férer et de consulter porte quel terminal oté partir les fichiers sur divers sites spécialsés font état _ ses données &clistance tout d'une connexion intemet. supportsetdiférentssites, devitesses de transfert ents gardant chez soi *Capacité: de quelques _afind'assurereur complete assez fables: de 05 8 ‘Conclusion: comparé gigeoctets & une dizainede récupérationsil'undes 3,5 Mols, sot jusqu’a ‘aux autres solutions, le prix téracctets pourles abon- _disques ait défalant.__trente minutes pour trans- du cloud est élevé, méme rnements professionnels. Le cloud présente toutefois _férer 1 Go de données. siles prestataires offrent ‘Prix: es premiers gigaoc- un risque particulier: celui Sécurité: la plupartdes de plusen plus d'espace tetssont souvent gratuits de a dispartion du presta- services payants proposent gratuit. Malgré une faible (jusqu’2 25.Go cher Hubic), tae, comme celaestarivé des connexions sécursées vitesse de transfert, cst puisentre et 16 euros en2009.aumalnommé et utlisent uncryptage une solution pratique ar mois les 100 Go. ForfverSafe, ou plus ddesdonnées avant trans- pour archiver des fichiers ‘Longévité/fiabilité: elles récemment a MegaUpload. _ fert, avec la possibilté eu volumineux (docu- sonten théorieles mémes Vitesse: es terps de protéger 'accts par —_ments, photos) que fon ue pour un disque durou de transfertsmontants, mot de passe. Mais aucun veut consulter distance. Sony, detechnologieHTL, _# Vitesse: les graveurs ont montré defaibies taux et les disques Blu-ray erreurs jusqu’a 1750 et__enregistrables permettent 2000 heures de test. Alin- des vtesses de gravure verse, les disques de|VC et jusqu’ 12x, de quoi remplir de Verbatim, de technologie une galette de 25 Go en LTH, nfont pasrésisté au une douzaine de minutes dela de, respectivement, un debit de 35,8 Mos. 250 et 500 heures.Selon Sécurité: elle est iden- Jacques Perdereau, coordi- _tique a celle du DVD. rnateur R&D au LNE, ‘*Conclusion: avec une «cesrésultats semblent durée de vie comparable indiquerquelesmeilleurs celle du DVD et une capa- disques conserveront les cité supérieure, le Blu-ray données gravées sanserreur est adapté pour larchivage pendantplusieursdizaines de longue durée de photo- années, soitau-dela _graphies et de vidéos. desmeilleurs DVD-R. Etque _La vitesse de gravure le rend, latechnologie LTH ne peut en revanche, mal adapté ¢étre recommandée pour pour les collections quil faut Uarchivage numérique.» mettre jour fréquemment. SRV Hoss Séies TY Senet Saeeee en tees peat eet hte AREY ert rere Be. erpeett atti eee Ty ils'adapte aux évolutions de notre ea) Pree ar en Poets Les mémoires numériques Faut-il avoir peur de l'effet Google ’? Avec la généralisation ais comment s'appelle cet acteur, dj?» Qui, face une telle question, des smartphones, ne se précipite pas aujourd'hui sur a aya. Google pour chercher la réponse? Un mot-clé tapé Internet, véritable Diblio- ersie motur de recherche (un des fms dansis- théque mondiale numé- ses vous vous rappetez favor vu, un ec, et hop : reas »laxéponse appara, immeédiatement. Ine vous aura Tique, est toujours a portée faite que quelques secondes pour la trouver. Sans Internet, plusieurs minutes d’effort et de concen de main. Une réVvolution ration vous euraint probabloment 66 nécossaires qui n'est pas sans effet mse renoner es profondous do vs nov rones. Cet exemple du quotidien montre @ quel point sur notre mémoire. Pour le intemet est devenu un véritable prolongement de - a soi, de sa mémoire. Un outil omniprésent qui s'est meilleur ou pour le pire? feusis jusque dans notre poche, parle biais des ‘smartphones. Une béquille technologique présente en permanence, sur laquelle on s‘appuie insensible- ment a la moindre occasion. Selon Google, prés de 100 miliards de requétes sont effectuées chaque mois sur son moteur de recherche dans le monde! Par Pierre-Yves Bocuet SRV Hos Stee 13 eee Peer ery Pa ry oer ae pois emer erin Sutter dimprimer des livres et donc de les diffuser & Po er econ Pose Un tee Ce qui pose une question: cette énorme quan- tite de données disponible a portée de clic ~ qui nous rend tant de services au quotidien ~ a-t-elle un peu, beaucoup ou finalement pas vraiment de conséquences sur la facon dont nous utilisons notre cerveau et, en particulier, sur notre mémoire? C'est précisément ce que s'est demandé Betsy Sparrow, du département de psychologie de I'université de Columbia, a New York, dont les travaux publiés en 2011 dans Science ont donné leur nom & un phénomene qu'elle est une des premiéres @ avoir identifié: « effet Google ». D'ot ilressort qu'Inter- net rend notre mémoire paresseuse, du moins en apparence. Voici comment elle s'y est prise. Lors étaient stockées sur un ordinateur et seraient donc accessibles ultérieurement (« comme Je seraient des informations disponibles sur Internet », précise Betsy Sparrow dans son étude), alors que l'autre moitié pensait que ces informations ne seraient pas conservées, Résultat: les informations sont mieux mémorisées par les sujets qui pensent qu’elles seront effacées (29 % de rappel) que par coux qui croient qu’elles seront sauvegardées (19 %). Par ailleurs, lors de ces tests, la chercheuse a pu mettze en évidence que, durant I'expérience, face a des questions dont ils peinaient a se remémorer les réponses, les étudiants avaient en téte des noms de moteurs de recherche, comme s'ils prévoyaient Cela fait longtemps que notre cerveau a pris I’'habitude d’externaliser certaines parties de sa mémoire de différentes expériences menées sur des étu- diants de Columbia et de Harvard, elle a testé leur capacité de mémorisation d'informations variées, telles que « I'qil d'une autruche est plus gros que son cerveau », ou « la navette spatiale Columbia s'est désintégrée lors de son entrée au-dessus du ‘Texas en février 2003 », Mais avec une variante: lune moitié du groupe pensait que ces informations 4+ SRV Hors Série de les utiliser. « Comme les moteurs de recherche sont disponibles en permanence, nous éprou- vons souvent le sentiment que nous n’avons pas besoin d’encoder l'information en interne. Nous irons la chercher quand nous en aurons besoin », en conclut la chercheuse. En clair, selon ces résul- tats, le cerveau humain aurait intégré la présence permanente d'lnternet et s'en servirait comme Proce ry diffuse en continu des infor- Perr cor eer ond poe’ copa peer errr Peer tras ea sition universelle de 1855) une mémoire externe, une espéce de gros disque ur auquel il peut se connecter 4 loisir: pourquoi faire V'effort de graver des informations dans sa mémoire inteme si elles sont accessibles partout enun clic? Cet « effet Google » a depuis éte vérifié par d'autres études et fait largement consensus dans la communauté scientifique. GOOGLE, NOUVEAU MEMBRE DE LA FAMILLE Mais comment fonctionne ce mécanisme? Et, sur- tout, faut-il s'en inquiéter? Lusage intensif d’In- ternet et des moteurs de recherche risque-til de réduire nos capacités de mémorisation, notam- ment celles des jeunes générations biberonnées au Web? Doit-on craindre de voir les facultés intellec- tuelles humaines s'amoindrir, comme les muscles qui mollissent faute d'effort physique? En résumé, ce mécanisme est-il un moyen intelligent utilisé par le cerveau pour économiser ses ressources, ou ce demier est-il au contraire pris en flagrant délit, de paresse et de régression? Avant de bannir Google de votre vie, voici un pre- mier élément de réponse: notre cerveau n'a pas attendu Google pour en faire le moins possible. Cela fait longtemps qu'il pris 'habitude d'externaliser certaines parties de sa mémoire, comme|'a expliqué Resi tolcca at steel ron emer Peuatrretcg Fraime | Internet ainsi iz eed personnelles et creel erent Peres eared des 1985 le psychologue américain Daniel Wegner, au travers de sa théorie sur la mémoire « transac. 2 tionnelle », Selon ce concept, qui depuis a fait des © émules, une partie de notre mémoire, baptisée la & mémoire transactionnelle, transfére dés qu'elle le Z peut des informations dans notre environnement = plutét que de les conserver en elle. Exemple cou- 7 rant do.co mécanisme : la mémoire partagée au sein $ d'une famille. Un membre du couple va, par exemple, 2 compter sur son conjoint pour retenir les dates importantes, alors que ce dernier va en retour s‘appuyer sur l'autre pour se souvenir des noms des amis éloignés. Cette mémoire transaction- nelle reposerait sur le partage des compétences reconnues entre les différents membres du ré- seau. Ce qui conduit aussi a laisser volontaire- 3 mont I'ado de la famille s‘occuper de T'nstallation © ou du réglage du matériel informatique, alors §) 3 que chacun dispose des capacités de mémorisa- tion des opérations a effectuer. Avantage de ce mécanisme, l'information a mémoriser est sim- plifige: il suffit de savoir non pas « ce » qu'elle contient, mais « qui » la détient. Ala lumiére de cette théorie, Google serait simple- ment un nouveau membre du foyer, dont les compé- tences en matiére de mémorisation sont reconnues 3 E 3 4 z 5 3 SRV Hoc Stee 15 Les mémoires numériques [!effet Gc et sur lequel le cerveau estime pouvoir s'appuyer en. toute confiance. Avec l'avantage d'Internet sur les humains d’étre une source quasi inépuisable d'in- formations, qui plus est toujours accessible: jamais d'absence ou de voyage ne remettent en cause sa.) capacité de partage de mémoire avec le cercle. UN RISQUE DE DEPENDANCE « Internet n'est pas exposé a la mortalit, la forme ultime de 'indisponiblité; information stockée en ligne ne risque pas de disparaitre du systéme de _mémoire transactionnelle », résume Adrian Ward, de Yuniversité du Colorado, dans un article paru dans Psychological Inquiry fin 2013. Pour le chercheut, la puissance d'Tntemet est telle qu'll pourrait ne pas se contenter d’étre un nouveau membre de notre systéme de mémoire transactionnelle, mais devenir Je seul et prendre le pas sur les membres humains. « Les processus cognitits qui ont traditionnellement conduit a Ja formation d'une mémoire transaction- nelle distribuée pourraient bien conduire les gens @ dépendre exclusivement de la mémoire transaction- nelle numérique. Face a une nouvelle information, le premier réflexe sera non pas de la partager avec des, partenaires humains ni de la mémoriser soi-méme, ‘ais de la laisser passer avec le sentiment qu'elle sera mémorisée par Internet. » Google n'est ailleurs pasla seule prothése mémo- rielle non-humaine dont nous disposons: de nom- breux outils et technologies ont permis a homme d'extériorser une partie de sa mémoire, « Ce n'est ‘pas nouveau. L’étre humain ne peut pas vivre sans pprothése. Depuis la culture des galets tails, au fil des dewx a trois millions d’années qui ont suivi, ine vva pas cesser d'affiner ces processus d'extériorisa- tion », rappelle Benard Stiegler, professeur de phi Josophie & Tuniversité de technologie de Compiégne et directeur de'insttut de recherche et ‘innovation (RD. Un avis partagé par Pierte-Marie Lledo, neuro- scientifique spécialiste de la mémoire, qui souligne La quantité d’informations, la rapidité d’accés et la disponibilité d'Internet sont sans équivalents dans Ihistoire des technologies que « bion avant Internet, de nombreuses inventions, comme les livres et les journaux, ont impacté la fagon dont fonctionne notre cerveau » (voir entretien ci- contre). On peut y ajouter la photographie: un cliché qui immortalise une scéne permet de stocker sur pa- pier des informations qu'il devient en partie supertlu de mémoriser biologiquement, comme le montre une étude récente (voir questions/réponses p. 119). 116+ SRV Hors Série Est-ce a dire que le fait de disposer a domicile d'une bibliothéque riche et volumineuse pourrait avoir le méme impact qu'Internet et aboutir @ un «book effect » sur la mémoire? La chose n’a jamais 6té démontrée, et pour cause: avec Internet, la quan- tité d informations, la rapidité d'accés et la disponibi- lite sont décuplées et apparaissent sans équivalents dans l'histoire des technologies. « Cela n'a rien a voir, 'échelle et la facilité d’accés sont différentes, ‘tranche Bernard Stiegler. De plus, pour savoir ou se trouvent les informations dans une bibliothéque, il faut avoir lu tous les livres ot les avoirs intériorisés. Alors que utilisation de Google ne nécessite pas de faire fonctionner son cerveau. » Aussi, pourle philo- sophe, l'essor d'Internet doit impérativement s'ac- compagner d'une éducation & ses usages, sous peine de dommages lourds pour les individus et pour la so- ciété, avec notamment un risque de pertes de savoir- faire et de soumission aux technologies: « Google permet d'aceéder @ des informations que nous ne sommes pas formés a assimiler, a transformer en savoir. faut repenser l'éducation et la formation des éducateurs pour que les individus apprennent com- ‘ment le savoir s‘externalise dans les technologies 4 numériques, et comment se les réapproprier. C'est ce ‘qui déterminera si nous serons des citoyens éclairés ‘du numérique ou des robots abétis. » Labonne nouvelle, c'est qu'en s'affranchissant de certaines taches de mémorisation, le cerveau libére des ressources disponibles. « Le cerveau est plas- tique, ils'adapte en permanence aux outils qu'il crée et quill met lui-méme a sa disposition. L'apprentis- sage de l'écriture se fait déja au détriment d'une partie de nos capacités de mémorisation : la mémoire de travail est trois fois supérieure chez les singes, qui ne savent pas écrire, que chez l'homme », ex- plique Pierre-Marie Lledo. DES CAPACITES DE MEMORISATION LIBEREES Conclusion: le transfert des capacités cérébrales 5 d'une tache a une autre est un phénoméne natu- § rel adaptation, « ne faut pas s'en alarmer, au 5 contraire», estime le neuroscientifique. D'autant qu'il § s'accompagne d'une conséquence encore assez peu 3 étudiée: les ressources que le cerveau économise 8 lorsqu'll transfére une partie de sa mémoire vers Google se retrouvent donc disponibles pour appro- § fondir des fonctions cognitives ou en acquérir de now- § velles. Google nous permettrait-il, au contraire, de 3 devenir plus inteligents? « Tout 'enjeu est de savoir 3 sinous saurons tirer part de ces ressources libérées 2 pour augmenter Vinteligence collective », conclutle § directeur deTRL Vous ne vous souvenez plus de qui Bt ragfe, nl co que signe ot acoayme? Rasmurez- vous, Google a certainement la réponse! ° DIRECTEUR DE RECHERCHE A INSTITUT PASTEUR (UNiré PERCEPTION ET MémoiRe) ET AU CNRS (LABORATOIRE GENES, SYNAPSES ET COGNITION) Comment effet Google s'explique-t-il? P.-M. L.: effet Google nest que l'une des nombreuses ‘conséquences de la principale caractéristique de notre cerveau: saplastcté Autrement di, sa capacitéévoluer, se culpter@ la faveurde utilisation de nouveaux outs. CChaque apprentissage se traduit par des modfications physiques des connexions neuronales.lifautimaginer (ecerveau comme uncouteau suse: il forge a lame

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