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Archives de Philosophie 49, 1986, 231-238.
POUVOIR ET TEMPORALITÉ
CHEZ MAX HORKHEIMER
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232 M . JIMENEZ
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POUVOIR ET TEMPORALITÉ 233
particulières, et que tout jugement de cette nature ne peut pr
qu'à une validité limitée à un certain temps »*.
Cette profession de foi relativiste de Sigwart n'est pas en so
très grande originalité. Montaigne, à quelques mots près, et
d'autres, a dit, bien avant, à peu près la même chose ; cette c
dans la citation n'aurait donc pas d'intérêt particulier si elle ne co
tuait le point de départ, chez Horkheimer, d'une critique du s
hégélien. Selon Horkheimer, en effet, l'hypostase de structures c
tuelles conduirait Hegel à un dogmatisme incapable de « satisfaire
tiquement et théoriquement à l'historicité de la pensée individuel
Ce que stigmatise ainsi Horkheimer c'est l'oubli, par Hegel
1'« intérêt temporel », ou mieux encore, selon son expressio
« présuppositions temporelles » : « Ses représentations (celles de H
du peuple et de la liberté ne sont pas reconnues dans leur cadu
leurs représentations temporelles ne sont pas perçues ; elles
contraire prises comme bases en tant que réalités et puissances co
tuelles, cela exactement à l'encontre des développements hist
dont elles sont abstraites »3.
Cette critique de Hegel révèle assez clairement le souci de Horkhei-
mer : reconnaître l'existence d'une vérité relative au temps sans tomber
dans le relativisme. C'est ainsi qu'il se prononce en faveur d'une
dialectique libérée de 1'« illusion idéaliste » et capable de surmonter la
contradiction du dogmatisme et du relativisme.
S'il critique si résolument la part de dogmatisme propre au système
hégélien, c'est parce que les composantes de ce dogmatisme : l'hypos-
tase de structures conceptuelles, l'oubli de l'intérêt temporel, lui
apparaissent comme autant d'éléments susceptibles de légitimer la
domination, les structures de pouvoir, la toute-puissance de l'État.
Comprenons bien cette critique de Hegel. Horkheimer n'attaque pas le
système hégélien de l'extérieur, ni globalement, au nom de principes
socio-politiques, ou de présupposés historico-philosophiques. La
dénonciation est, si l'on peut dire, interne. Hegel, philosophe de l'his-
toire s'il en fût, néglige la temporalité. Adorno reproche à Hegel de
« manquer de sympathie » pour le particulier ; Horkheimer reproche à
Hegel de ne pas satisfaire à l'historicité de la pensée individuelle.
Quelle que soit la validité de cette critique de Hegel, au demeurant
assortie de nuances, l'important est qu'elle révèle à quel point le temps,
la temporalité, l'histoire imprègnent les concepts de la Théorie critique.
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234 M . JIMENEZ
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POUVOIR ET TEMPORALITÉ 235
tonique, sur la cohérence systémique et systématique de ses
ments ?
Hegel n'est pas le plus mauvais exemple de cette prétentio
non plus d'ailleurs, dont YÊthique s'efforce de rendre comp
elles l'idée d'étendue et celle de perfection divine.
A l'inverse, il y aurait des philosophies de la tempora
lesquelles le temps est objet de réflexion et est plus ou moin
Sans remonter à Héraclite, on pourrait citer Nietzsche
Bergson.
Les philosophies qui animent la Théorie critique seraient dites
« temporelles » en ce que la temporalité imprègne le processus spécula-
tif et réflexif dans son ensemble, affectant les catégories et les concepts
eux-mêmes.
Chez Adorno, cette imprégnation affecte l'écriture même, décom-
posée en aphorismes et déroulée en constellations, et ce n'est pas un
hasard si la musique - art du temps - est au centre de son esthétique,
si elle est en quelque sorte consubstantielle à sa philosophie.
La référence au temps, qui n'est plus seulement simple référence
externe en ce qu'elle influe sur le mode de pensée philosophique lui-
même, est également au centre de la réflexion benjaminienne. La
notion de Jetztzeit quelque peu énigmatique et paradoxale à première
vue, intervient comme cristallisation de la pensée du temps à l'intérieur
de la philosophie de l'histoire de Benjamin. Le néologisme Jetztzeit
s'installe dans le «jeu » des concepts, dans l'espace laissé vide par les
catégories philosophiques traditionnelles. Le Jetztzeit est plénitude de
temps à l'intérieur du présent, et présentification soudaine du passé à
la conscience ; cette « actualisation » provoque une rupture au sein du
continuum historique. Le Jetztzeit assume de ce fait une vocation poli-
tico- et historico-philosophique, puisqu'il conduit à saisir l'histoire non
plus sous l'aspect de la victoire de la domination, mais sous l'aspect
des vaincus, des « oubliés » de l'histoire.
Ce qui est commun à Horkheimer, Benjamin et Adorno, ce serait
donc cette « immanence » du temps aussi bien dans les catégories et les
concepts que dans le mode de réflexion lui-même.
Cette immanence du temps est, chez chacun d'eux, ce qui alimente
secrètement, mais résolument, la critique de l'idéologie, du pouvoir, de
la domination.
La réflexion sur le temps - qu'il faut distinguer ici de la méditation
historique, de la reconstruction du passé par l'historien - apparaît
ainsi comme fondamentalement politique.
Dans le même temps, Horkheimer et les théoriciens critiques en
général, s'abstiennent de penser directement le politique, comme si le
politique était - conformément à l'étymologie - spatialisation de
l'histoire, sa projection circonscrite aux murs de la Cité. Comme si
penser le politique, c'était anticiper sur une vérité - que l'on connaît
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236 M. JIMENEZ
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POUVOIR ET TEMPORALITÉ 237
accroire, car ce qu'ils dominent, c'est le lieu, l'espace et
Dans son étude historique sur l 'Imagination dialectique M
déclare qu'en dépit de la difficulté qu'il y a à établir un ra
les antécédents juifs de l'École de Francfort et sa théorie dial
existe peut-être « une certaine disposition ». Martin Jay n
cette disposition. Il laisse entendre l'existence d'un rappo
position inconfortable des intellectuels juifs dans l'Allemagne
et l'attitude critique à l'égard de la société : « Cette impre
enfermé dans un rôle que doit avoir ressenti le Juif désireux
ses origines devait engendrer forcément quelque amertume,
pouvait aisément se transformer en critique radicale de la so
son ensemble »5.
Ce commentaire vaut pour l'historien. Mais l'explication ne satisfait
pas le philosophe. On peut concéder sans peine que le statut de mino-
rité opprimée, victime du racisme, engendre un sentiment de révolte.
En l'occurrence, l'explication est un peu courte.
En effet, l'héritage de la pensée juive, indubitablement présent dans
la Théorie critique, ne s'est pas inscrit de façon patente dans la
réflexion des penseurs francfortois. Cet héritage ne saurait être non
plus assimilé à un retour du refoulé, et il n'est besoin d'aucune
investigation psychanalytique pour l'identifier.
Il s'est infiltré dans la totalité du discours critique dans sa lutte
contre l'idéologie, en se faisant discours rationnel et conceptuel,
retourné contre la rationalité sous sa forme instrumentale, et contre la
positivitě du concept ; discours anti-dogmatique qui enseigne que la
recherche de la vérité, la quête philosophique, sont plus importantes,
somme toute, que le but visé.
La temporalité réhabilitée chez Horkheimer, le Jetztzeit de Walter
Benjamin, le tempo musical de la philosophie adornienne, la priorité
qu' Adorno accorde à l'art temporel sur les arts plastiques, nous disent
la même chose : ils nous ramènent au message essentiel du judaïsme,
qui nous invite à dénoncer - comme le précise Revault d'Allonnes6 -
idoles, pouvoir et domination de l'espace, toutes choses qui « ont partie
liée pour nous arracher au temps et à l'intériorité, c'est-à-dire à nous-
mêmes ».
« L'utopie saute par-dessus le temps » : cette métaphore saisissante
de Horkheimer éclaire à elle seule le rapport qu'il convient d'établir
entre la pensée de la temporalité et la critique de la domination.
Contrairement à une idée reçue, le thème de l'utopie n'a jamais été très
bien assimilé par les théoriciens critiques ; peut-être faut-il voir là une
5. Martin Jay, The Dialectical Imagination, Little Brown & Co, Boston/Toronto,
1973, p. 34 ; tr. f. : L'imagination dialectique , Payot, Paris 1977, p. 51.
6. Revault D'Allonnes, Musiques. Variations sur la pensée juive , Bourgois,
Paris 1979.
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238 M. JIMENEZ
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