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Histoire Épistémologie Langage

Verbes de mouvement, espace et dynamiques de constitution


M. Pierre Cadiot, M. Frank Lebas, Yves-Marie Visetti

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Cadiot Pierre, Lebas Frank, Visetti Yves-Marie. Verbes de mouvement, espace et dynamiques de constitution. In:
Histoire Épistémologie Langage, tome 26, fascicule 1, 2004. Langue et espace : retours sur l'approche cognitive. pp. 7-
42;

doi : https://doi.org/10.3406/hel.2004.2185

https://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_2004_num_26_1_2185

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Abstract
ABSTRACT: Beyond the fact that defining a class of 'verbs of movement’ is difficult in practice, it
appears that studying them gives rise to a diversity of approaches (formal ontology, cognitive
psychology, semantic features, case roles). By re-examining oppositions such as verb-framed /
satellite framed, objectivation / subjectivation, inaccusative / inergative, we will show that these
attempts are dependent upon inadequate conceptions of movement and space. Numerous
linguistic observations indeed indicate that movement (and space) should not be involved in
semantics on the basis of a primary model essentially made of topologies and displacements,
which would be constituted without any relation to other praxeological, qualitative, and intentional
dimensions. It appears that all these intricate aspects — all the more so as they are co-constituted
by language activity — cannot be simply dissociated into, for instance, path and manner, nor
properly assessed just by adding a coding of case roles. By referring to a quite different model of
perception and action, we show that the 'verbs of movement’ (as basic as monter, partir, sortir)
work out their semantics by specifying, through a variety of grammatical constructions, the
'dynamics of the constitution’ of a phenomenological, practical and discursive field. Such an
approach also sheds light on the genericity of verb meaning, allowing its transposition to the so-
called functional or figurative meanings.

Résumé
RÉSUMÉ: En pratique difficile à définir, la classe des 'verbes de mouvement’ donne lieu jusque
dans les travaux récents à des approches diverses (ontologies formelles, psychologies cognitives,
traits sémantiques, rôles casuels). En revenant sur des oppositions telles que 'verb-framed’ vs
'satelliteframed’, 'objectivation’ vs 'subjectivation’, 'inaccusativité’ vs 'ergativité’, nous montrons que
ces tentatives sont fondamentalement liées à des conceptions inadéquates de l’espace et du
mouvement. De nombreuses observations linguistiques indiquent en effet que le mouvement (et
l’espace) ne devraient pas être impliqués en sémantique à partir d’un modèle fait en premier lieu
de topologies et de déplacements, supposés donnés sans relation constitutive à des anticipations
de nature praxéologique, qualitative et intentionnelle. Une codification de ces anticipations en
termes de rôles casuels ne convient pas non plus. En prenant appui sur une toute autre
conception microgénétique de la perception et de l’action, nous montrons comment les 'verbes de
mouvement’ (aussi basiques que
monter, partir, sortir) contribuent à spécifier, au travers d’une variété de constructions, la
'dynamique de constitution’ d’un champ qui est à la fois phénoménologique, pratique et discursif.
La généricité de la signification verbale, attestée par les transpositions à des emplois dits
fonctionnels ou figurés, s’éclaire du même coup.
VERBES DE MOUVEMENT, ESPACE ET DYNAMIQUES
DE CONSTITUTION

Pierre CADIOT, Frank LEBAS, Yves-Marie VISETTI


Université Paris 8 et Lattice, Université de Clermont-Ferrand, Lattice-CNRS

RÉSUMÉ : En pratique difficile à définir, la ABSTRACT : Beyond the fact that defining a
classe des ‘verbes de mouvement’ donne class of ‘verbs of movement’ is difficult in
lieu jusque dans les travaux récents à des practice, it appears that studying them gives
approches diverses (ontologies formelles, rise to a diversity of approaches (formal
psychologies cognitives, traits sémantiques, ontology, cognitive psychology, semantic
features, case roles). By re-examining
rôles casuels). En revenant sur des opposi-
oppositions such as verb-framed / satellite
tions telles que ‘verb-framed’ vs ‘satellite- framed, objectivation / subjectivation,
framed’, ‘objectivation’ vs ‘subjectivation’, inaccusative / inergative, we will show that
‘inaccusativité’ vs ‘ergativité’, nous mon- these attempts are dependent upon
trons que ces tentatives sont fondamentale- inadequate conceptions of movement and
ment liées à des conceptions inadéquates de space.
l’espace et du mouvement. Numerous linguistic observations indeed
De nombreuses observations linguistiques indicate that movement (and space) should
indiquent en effet que le mouvement (et not be involved in semantics on the basis of
l’espace) ne devraient pas être impliqués en a primary model essentially made of
sémantique à partir d’un modèle fait en topologies and displacements, which would
premier lieu de topologies et de déplace- be constituted without any relation to other
ments, supposés donnés sans relation cons- praxeological, qualitative, and intentional
titutive à des anticipations de nature dimensions. It appears that all these
praxéologique, qualitative et intentionnelle. intricate aspects — all the more so as they
Une codification de ces anticipations en are co-constituted by language activity —
termes de rôles casuels ne convient pas non cannot be simply dissociated into, for
plus. instance, path and manner, nor properly
En prenant appui sur une toute autre assessed just by adding a coding of case
conception microgénétique de la perception roles.
et de l’action, nous montrons comment les By referring to a quite different model of
‘verbes de mouvement’ (aussi basiques que perception and action, we show that the
monter, partir, sortir) contribuent à spéci- ‘verbs of movement’ (as basic as monter,
fier, au travers d’une variété de construc- partir, sortir) work out their semantics by
tions, la ‘dynamique de constitution’ d’un specifying, through a variety of
champ qui est à la fois phénoménologique, grammatical constructions, the ‘dynamics
pratique et discursif. La généricité de la of the constitution’ of a phenomenological,
signification verbale, attestée par les trans- practical and discursive field. Such an
positions à des emplois dits fonctionnels ou approach also sheds light on the genericity
figurés, s’éclaire du même coup. of verb meaning, allowing its transposition
to the so-called functional or figurative
meanings.

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MOTS-CLÉS : Verbes de mouvement ; KEY WORDS : Verbs of movement ; Space ;


Espace ; Télicité ; Agentivité ; Verb- Telicity ; Agentivity ; Verb-framed ;
framed ; Satellite-framed ; Gestalt ; Satellite-framed ; Gestalt ; Microgenesis ;
Microgenèse ; Dynamique de constitution ; Dynamics of constitution ; Perceptive and
Anticipations perceptives et praxeologic anticipations ; Subjectivation ;
praxéologiques ; Subjectivation ; Unaccusative ; Unergative.
Inaccusatif ; Inergatif.

INTRODUCTION

JUSQUE dans les travaux récents, la classe des « verbes de mouvement » donne
lieu à des approches différentes. Certaines font appel à des répertoires de traits
descriptifs, d’autres ont recours à une ontologie de l’espace et du mouvement
de facture plus ou moins formelle ou psychologique, d’autres enfin
ressaisissent la question au niveau de schèmes phrastiques, liés à une
codification de l’action en termes de distribution, ou de projection, de rôles
actantiels et de circonstants.
Or ces tentatives, si nécessaires ou intéressantes soient-elles, ne permettent
pas par elles-mêmes de tenir compte de la diversité problématique des
interventions de l’espace, de ses types de présence ou de constitution au sein
des emplois analysés. On y observe notamment une dichotomie poussée, entre
un mouvement réduit à la dimension d’un déplacement dans un espace
préconstitué, et d’autres valeurs, rapportées à des catégories déliées de l’espace,
plus subjectives ou intentionnelles (comme manière, télicité, agentivité, par
exemple). Ce genre de dichotomie est en particulier à la base de la distinction
typologique entre langues verb-framed et satellite-framed. Il instaure d’autre
part une coupure dommageable avec les nombreux emplois dits fonctionnels ou
figurés.
La thèse qui sera développée ici est que la signification des verbes de
mouvement comporte de manière définitoire des anticipations praxéologiques,
qualitatives et évaluatives, dont la saillance s’organise au niveau
syntagmatique, et selon des échelles d’abstraction qui culminent davantage
dans une ‘condensation’ ou une ‘coalescence’ de qualités, que dans une
‘déperdition’ ou une ‘décoloration’ de ces mêmes qualités.
Ce faisant, on n’entend pas contester l’intérêt de pousser aussi loin que
possible l’idée d’une analogie, voire d’une mise en continuité, entre perception
et construction du sens. Au contraire, nous entendons nous inscrire dans cette
mouvance théorique et descriptive. D’où l’importance du choix d’une
« bonne » théorie de la perception et de l’action. C’est qu’en effet, le primat
éventuel de la perception ne peut signifier ici que le primat d’un sens perceptif.
Dans le sillage de la Gestaltheorie et de la phénoménologie, nous verrons ainsi,
qu’au delà des questions d’espace-temps, de mouvement et de topologie, c’est
avant tout dans les dynamiques de constitution d’un champ inextricablement
sémantico-perceptif que s’élabore le sémantisme des « verbes de mouvement »,

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et cela d’une façon qui permet de comprendre leur généricité et leur


transposabilité à d’autres domaines. Leur étude constitue ainsi un excellent
terrain de défense et d’illustration du type de sémantique lexicale, et
corrélativement grammaticale, que nous entendons promouvoir.
L’article est organisé comme suit. Une première section retravaille la notion
même de verbe de mouvement. La seconde rappelle les deux conceptions
théoriques les plus souvent mises en œuvre dans leur étude. Une troisième
partie introduit le modèle de la perception, de l’action — et de leurs
anticipations — sur lequel nous nous appuyons. La quatrième partie étudie
quelques exemples à la lumière de ces conceptions, et revient sur des thèses
comme celle de la « subjectivation », ainsi que sur certaines dimensions de
l’opposition entre inaccusativité et inergativité.

I. LA NOTION DE « VERBE DE MOUVEMENT »


Si l’on reprend de façon non critique la notion de « verbe de
mouvement » 1, on se trouve confronté à une variété de registres descriptifs
quelque peu disparates, de façon d’autant plus sensible que certains auteurs
situent la question au niveau des sens en discours, tandis que d’autres
l’abordent en termes d’identité sémantique lexicale (sans même parler des
interférences entre sémantique lexicale et morphologie).
Renvoyant alors au paragraphe suivant la question des phénomènes de
bornage, ou de repérage par rapport à des lieux 2, on pourra par exemple tenter
une esquisse élémentaire de classement à partir d’un stock de propriétés spatio-
temporelles, renvoyant à des modalités cinétiques relevant d’une spatialité déjà
géométrisée3. Soit par exemple ce tableau, organisé à partir des traits suivants :
S1 = progression dans l’espace
S2 = verticalité dans le déplacement
S3 = régularité dans le déplacement
__________

1. Comme l’introduction l’a annoncé, nous entendons reproblématiser ici la notion de


« verbe de mouvement », qu’on la conçoive à partir de prémisses ontologiques, ou qu’on
la définisse de façon plus grammaticale, comme verbe de procès intransitif, mettant
syntaxiquement en jeu, et impliquant dans sa valence sémantique, un unique actant,
combiné avec un repérage de type locatif, dont le statut peut d’ailleurs varier entre celui
de cadre, de circonstant, voire de quasi-actant (franchir la ligne, courir cent mètres).
Voir par exemple, François (1986).
2. Nous ne considérons dans le tableau ci-dessous que des verbes décrivant des ‘procès’,
non des ‘événements’ intégrant lexicalement leurs bornes. Cf. le test souvent invoqué de
l’alternance des groupes prépositionnels introduits par en et pendant : Pierre a
couru/dansé/marché… pendant cinq minutes vs *en cinq minutes. Ces verbes relèvent en
principe de la classe des inergatifs (sauf tomber, qui a des aspects de bornage et
d’inaccusativité), tandis que les verbes intégrant des indications de bornage ou de deixis
relèvent de l’inaccusativité (cf. nos remarques ci-dessous, en IV.3).
3. À la suite notamment de Geckeler (1973), Lamiroy (1987), Fradin (1988), Boons (1991),
Pottier (1997).

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S4 = rapidité dans le déplacement


S5 = qualité spécifiable comme ‘manière’, ‘modalité’, ‘instrument’ ou
autre (voler 4, skier, zigzaguer).
S1 S2 S3 S4 S5
Bouger o o o o o/+

Courir + - + + +

Danser o o + o +

Errer o/+ - - - +

Marcher + - + - +

Monter + + o o -

Remuer - o - o +

Sauter o + o o +

Tomber + + + + +

Zigzaguer + o + o +

Bien entendu, cette première esquisse laisse de côté de nombreux aspects


décisifs de la construction du sens des verbes, liés au discours et au contexte
d’emploi. Ces analyses de type sémique sont souvent peu satisfaisantes, en
dépit (ou plutôt, comme nous le verrons, à cause) du caractère « intuitif » et
« spontané » des traits mobilisés. Ce sont à la fois une conception du lexique, et
une vision du mouvement dans l’espace, qui trouvent conjointement leurs
limites dans ce type de tentative.
Un deuxième axe de classification, évoqué ci-dessus, est lié à l’ensemble
des phénomènes de zonage, de bornage, de franchissement de limites, de
construction de points de vue (ou de fenêtrages, dans certains modèles), dont
on sait qu’ils constituent l’essentiel des théories de l’aspect (cf. par exemple
l’Aktionsart dans la grammaire allemande, ou plus généralement l’aspect dans
la linguistique des langues slaves 5). L’attention se porte alors sur un certain
cadrage en termes de phases temporelles aspectualisées, de type initiale (partir,
sortir…), médiane (passer, cheminer, errer), ou finale (approcher, arriver,
atteindre, entrer, rejoindre), mais aussi en termes de traits comme

__________

4. Notons en passant que voler n’implique pas nécessairement de déplacement : il peut


signifier « se soutenir dans l’air au moyen d’ailes » (Martin 1983, p. 63).
5. Pour une préhistoire de l’aspect verbal dans les grammaires du russe, cf. Archaimbault
(1999).

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 11

l’imminence, la fréquence, l’unicité (‘semelfactivité’, dans certaines langues


slaves), voire aussi l’urgence 6.
Ce type de cadrage doit être complété par référence au mode de
détermination, ou de repérage, des lieux traversés, ou déterminés, par le
mouvement : soit en avançant des oppositions comme celle entre lieu comme
cadre (all. im Zimmer, datif), et lieu comme cible (all. in das Zimmer,
accusatif) ; soit en rejoignant les problèmes de deixis, comme dans sortez (all.
Hinaus !), entrez (all. Herein !).
Ces tentatives, si nécessaires soient-elles, ne permettent pas par elles-
mêmes de tenir compte de la diversité problématique des interventions de
l’espace, de ses types de présence ou de constitution au sein des emplois
analysés. Notre thèse est en effet que cela supposerait de prêter (au moins)
attention aux modalités qualitatives de l’action ou de la gestualité, qui
accompagnent toute évaluation topologique, en tout cas géométrique, de
l’espace. Nous avons déjà balisé ces questions dans différents travaux, à propos
de prépositions, de noms, plus récemment de verbes 7. Pour le moment,
retenons-en simplement l’idée d’une compromission permanente (bien que
variable) de l’espace avec des « catégories » qualitatives, perceptives et
praxéologiques, qui, si elles convoquent bien de la spatialité en arrière-plan,
n’en font pas nécessairement une instance ultime de repérage ou de focalisation
— et cela dans la mesure même où le mouvement proprement dit tendrait à se
résorber dans un procès de changement et d’action. Bien souvent, ces aspects
qualitatifs et praxéologiques sont plus facilement lisibles dans les emplois
ressentis comme ‘fonctionnels’, ‘grammaticalisés’8, ‘abstraits’, ou encore
‘figurés’. Mais ils sont opérants au même titre dans nombre d’emplois dits
‘spatiaux’. Bien loin de devoir être déférés à de ‘tardifs’ composants
pragmatiques, ils renvoient aussi, selon nous, à des dimensions constitutives du
sémantisme des verbes de mouvement, dont la généricité s’atteste dans une
meilleure disposition à se laisser transposer sans restriction de domaines. Alors
que, comme nous aurons amplement l’occasion d’y revenir, les dimensions que

__________

6 Rappelons que dans les langues slaves et dans bien d’autres, la base verbale exprimant
un verbe imperfectif est souvent préfixée par un morphème (particule, préposition) qui
exprime un ensemble d’indications de bornage. Ainsi, en serbo-croate de Bosnie
(V. Redzovic 2004, p. 32), à partir de la base ići-‘aller’, on forme na-ići-‘tomber [sur
quelqu’un]’, ot-ići-‘partir’, ‘iz-ići-‘sortir’, u-ći-‘entrer’, do-ći-‘arriver, pri-ći-
‘s’approcher’, s-ići-‘descendre’. En tibétain, ce sont aussi des particules préfixées qui
indiquent des repérages non nécessairement bornant, mais directionnels, tels amont/aval,
droite/gauche. Ou encore, comme le rappelle. R. Forest pour le russe : « venir se traduit,
pas toujours aisément, par prixodit’, ou à la rigueur par zaxodit’ (« venir pour un
moment »), podxodit’ (« s’approcher ») » (Forest 1999, p. 56).
7. Cf. Cadiot (1991, 1997, 1999, 2002), Cadiot & Visetti (2001a,b ; 2002), Lebas (1999,
2002), Lebas & Cadiot (2003), Visetti (2004), Visetti & Cadiot (2000, 2002).
8. Voir récemment le travail de S. Nicolle (2002).

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nous appelons configurationnelles 9 correspondent plutôt à ce que nous


appelons des profilages particuliers 10. La thèse qui sera développée ici est donc
que tous les verbes de mouvement, comme courir, marcher, tomber, ramper,
surfer, nager, passer, plonger, etc., comportent de manière définitoire, ou
fortement conventionnelle, des anticipations praxéologiques, qualitatives et
évaluatives, dont la saillance s’organise au niveau syntagmatique, et selon des
échelles d’abstraction qui culminent davantage dans une ‘condensation’ ou une
‘coalescence’ de qualités, que dans une ‘déperdition’ ou une ‘décoloration’ de
ces mêmes qualités. Pour marcher, par exemple, on invoquera déplacement,
mouvement, mais plus fondamentalement, régularité, mécanicité, bon
fonctionnement : le moteur marche, ça marche bien, ton affaire ? il nous a fait
marcher. Pour tomber, verticalité, survenance, soudaineté, mais aussi surprise,
non-contrôle, avec des gradations entre spatialité, agentivité, événementialité,
métaphoricité : la pluie tombe, tomber la veste, la température tombe ; la
nouvelle tombe, ça tombe bien ; tomber dans les pommes, tomber amoureux.
Quand bien même on voudrait rester dans un cadre dichotomisant (l’espace
d’abord, les autres valeurs ensuite), il paraît également difficile de faire comme
si la structure actantielle venait simplement s’ajouter à un schème de
mouvement préexistant et indépendant. Tout montre au contraire que le jeu
actantiel va de pair avec une co-élaboration ‘stylistique’ des mouvements, peu
propice au placement des invariants au niveau de représentations, ou
configurations, objectives. Ainsi dans la série Paul monte l'escalier / sur une
chaise / la valise / une maquette. Pour ces raisons mêmes, certains auteurs,
comme Langacker ou Talmy, recommandent de centrer l’analyse sur un noyau
de sens purement topologique, conçu en deçà de toute spatialité ‘objective’
(notamment euclidienne) : mais c’est au prix de rendre tout aussi artificielle
l’explication d’emplois (qui restent pourtant liés à l’espace) comme Paul monte
une maquette, où les aspects d’accroissement, d’agencement interne,
d’accomplissement, jouent le premier rôle (Lebas & Cadiot 2003). C’est qu’on
ne voit pas bien comment repousser dans un statut second la qualité du
mouvement, dès lors que le dit mouvement ne renverrait pas à un déplacement,
au sens d’un changement de position (serait-ce dans un espace topologique),
mais plutôt à une transition, ou à une transformation, affectant un seul et même
lieu.

__________

9. Par configurationnel, nous entendons ici ce qui se détermine entièrement sous la forme
de schèmes ou de diagrammes mis en saillance sur des fonds dont la topologie est
considérée comme préalablement déployée (sans autres considérations).
10. En un sens apparenté à celui de Langacker (1987). Cf. Cadiot & Visetti 2001a,
p. 127 sq., notamment la note p. 133.

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II. DEUX CADRES THÉORIQUES

Au delà de la diversité d’approches descriptives évoquées ci-dessus, deux


cadres théoriques majeurs se détachent, liés à l’évolution des linguistiques
cognitives, et qui polarisent ce qui serait mieux présenté comme un continuum
de problématiques. Le premier cadre (Langacker, Talmy, Vandeloise dans ses
premiers travaux) isole, au niveau des unités lexicales et grammaticales, un
noyau privilégié de signification, de type topologique ou configurationnel.
L’autre, de Tesnière à Goldberg, en passant par Fillmore, Anderson, Helbig, et
quelques autres, est plus explicitement lié à une analyse des schémas de phrase,
et privilégie le registre actantiel. Soulignons que, dans les deux cas, la notion
de mouvement dans l’espace, jugée trop étroitement référentielle, se trouve
reconstruite dans un cadre bien plus schématique, où des catégories tantôt
topologiques et dynamiques, tantôt casuelles, déliées en principe de l’espace
sensible, imposent leur médiation, et forcent à repenser à partir d’elles les
questions d’espace et de mouvement. Résumons de façon très rapide, donc
caricaturale, les traits majeurs de ces deux types d’approches.
Dans la première approche, et pour ce qui concerne l’expression du
mouvement, les aspects configurationnels (frame) et les aspects qualitatifs sont
nettement dissociés. Ces derniers sont parfois regroupés sous le nom de
manière (manner) du mouvement, ce qui tend à en faire des propriétés
secondes de déplacements présumés préalablement constitués dans une couche
de facture topologique. Quant aux aspects configurationnels, ils répondent à un
triple point de vue : représentationnel, comme cadre de placement des entités
signifiées ; grammatical, comme couche de sens générique (exprimée
notamment par des marqueurs spécialisés comme les prépositions, ou les
groupes adverbiaux) ; et typologique (certaines langues concentrant ces
dimensions sur le verbe, d’autres sur les satellites du groupe verbal). Ce qui
prime, c’est un cadre topologique autonome, qui définit des places et des
déplacements, pour des entités conçues comme extérieures les unes aux autres.
On renvoie alors à la théorie lexicale pour traiter de tous les aspects
praxéologiques et / ou qualitatifs, avec le présupposé d’une division forte entre
les unités véhiculant les aspects configurationnels (positions, frontières,
déplacements), et les autres.
Dans la seconde approche, les aspects configurationnels cèdent le pas à des
schèmes d’action codés, construits à partir de cas, ou de rôles actantiels. Ces
schèmes ouvrent par exemple, au pôle agent, une gamme de postes qui vont de
l’agentivité pleine (contrôle, télicité, volition) jusqu’à une ergativité faible,
n’impliquant qu’un apport d’énergie sans intentionnalité, généralisant un
certain mode physique (configuration + énergie). Il s’agit d’un modèle
beaucoup plus analytique et discrétisant que le précédent : il ignore, ou au
mieux factorise, la topologie du champ, en cherchant à la normaliser sous la
forme d’un répertoire discret de « cas de figure » locatifs. Comme dans toute
approche uniquement discrétisante de la catégorisation, on bute sur une
indéfinité de cas intermédiaires entre Agent, Patient, Expérienceur, Thème,

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Source, Motif, etc. : d’où les tentatives de donner un peu de souplesse à ce


système catégoriel en le reconstruisant à partir d’un répertoire de traits, et
d’échelles de gradualisation. Les travaux concernés s’appuient souvent à une
sorte d’iconicité discrétisée, et se donnent une visée principalement
grammaticale (énumération des structures de l’énoncé simple). L’impasse sur
le qualitatif est la règle, et le préjugé ontologique d’une extériorité des
protagonistes, préalable à leur mise en relation, joue à plein : ce qui a entraîné
historiquement une difficulté à traiter les prédications simples, les emplois
absolus, réfléchis, etc., la méthode employée — les traiter par des effacements
d’actants, ou par des subjectivisations — étant loin de donner satisfaction.
Bien entendu, de nombreux auteurs combinent des éléments venant des
deux approches, en leur conférant une portée ou une priorité variables. Ainsi
Langacker considère les rôles casuels comme la codification d’enrichissements
conceptuels, de source lexicale, venant s’ajouter à sa diagrammatique
grammaticale. De même, Goldberg a proposé, avec ses Construction
Grammars, une synthèse partielle de ces deux traditions théoriques.
Ces deux familles s’inscrivent sans guère la problématiser dans une
tradition qui considère les places comme individuées avant les déplacements,
les déplacements comme configurés à part de leurs modalités, les entités ou
actants comme individués avant leurs actions, transformations, ou fonctions (ce
qui n’est pas non plus sans effet sur la sémantique nominale). Tout cela
débouche sur une distinction à portée typologique, introduite par Talmy, et
largement reprise depuis dans les études psycholinguistiques et typologiques :
il s’agit de la distinction verb-framed vs satellite-framed, fondée sur la
séparation entre les aspects configurationnels (frame) et les dimensions
qualitatives (manner) du procès 11. Une classification des langues est donc
entreprise, sur la base des constituants prépondérants dans l’expression du
frame. Ainsi, la plupart des langues romanes seraient verb-framed, autrement
dit les verbes y prendraient en charge l’expression de la part configurationnelle
des procès, tâche qui dans des langues comme l’anglais ou l’allemand serait
dévolue au contraire aux satellites du verbe : le français dira par exemple elle
traverse la rivière à la nage, et l’anglais she swimms across the river. Cela
permet à Slobin de montrer d’une part l’existence d’une forme de partition des
langues relativement indépendante d’autres types de classement, et d’autre part
d’étudier de façon corrélée les parcours d’acquisition, et les modalités
d’expression des enfants dans diverses langues.
__________

11. Présentation récente dans Talmy (2000, vol. II, ch. 3). Il s’agit d’une distinction à vrai
dire très présente dans les grammaires traditionnelles, par exemple de l’allemand ou du
russe. Rappelons cependant que la notion de ‘satellite’, dans la mesure où elle désigne
d’abord des groupes prépositionnels distincts de la base verbale, doit être singulièrement
reproblématisée pour tenir compte des phénomènes d’affixation, notamment dans les
langues à ‘morphologie affixale’ qui en font un usage systématique au niveau de bases
verbales composites — dont on ne saurait attendre le type de compositionnalité
sémantique présumé caractéristique du satellite-framing.

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 15

Il paraît difficile de nier l’intérêt heuristique de cette distinction. En même


temps, elle a déjà été considérablement relativisée dans sa portée typologique,
comme Slobin lui-même le soulignait récemment (2003). Surtout, elle nous
paraît également devoir être interrogée dans son bien-fondé théorique. Le
français, par exemple, est présenté comme typiquement verb-framed. Mais
d’une part, c’est oublier des cas manifestement inverses, où le frame, c’est à
dire la configuration topologico-dynamique de la scène, est plutôt spécifié par
les satellites (il vole de branche en branche, il a dansé jusque chez lui, il a
sauté par dessus la barrière). D’autre part, c’est concevoir tous les verbes sur
le modèle de aller, sortir, partir, entrer, traverser… alors que, même pour ces
verbes, le frame construit au niveau de la phrase simple dépend d’interactions
avec les satellites, et notamment avec les prépositions. Ainsi, les différences
fines, mais assez bien caractérisées, entre partir à / pour / sur / vers Paris : la
cible peut être configurée comme point de visée définitoire du procès (à),
comme destination fortement anticipée (vers), comme visée sans anticipation
d’atteinte (pour), comme zone de contact projetée, constituée indépendamment
du procès (sur) ; corrélativement, l’extension du parcours paraît plus ou moins
acquise, selon le degré de focalisation sur telle ou telle de ses phases.
Même si, en toute rigueur, la distinction verb-framed vs satellite framed ne
concerne que l’expression des mouvements, on comprend bien qu’elle pousse à
conférer aux déplacements, effectifs ou virtuels, un statut par trop privilégié
dans les analyses. En valorisant de fait, parmi tous les changements qui ont lieu
dans l’espace, ceux qui comportent des déplacements, les auteurs tendent à en
réintroduire artificiellement dans bien des cas où ils ne sont pourtant guère
flagrants. D’où le procédé consistant à expliquer la route monte par animation
directe des entités (la route, en quelque sorte métaphorisée), ou par
subjectivisation (le regard, lui-même mobile, du ‘sujet’ ou du
‘conceptualisateur’, prend en charge le mouvement imputé).
Dans la ligne d’une remarque faite un peu plus haut, nous relevons
également une tendance à traiter sémantiquement des emplois absolus, ou
intransitifs (Paul monte, tombe, émerge, se promène, marche, court, zigzague,
nage, vole), comme résultant de l’ellipse d’une trajectoire et d’une cible
détachée, identiques à celles qui sont ordinairement impliquées dans les
déplacements effectifs 12. Il y a ici méconnaissance d’aspects davantage fixés
__________

12. Cela pousse aussi à qualifier certains de ces verbes de ‘verbes de manière’, en y voyant
une adjonction de type intensionnel au déplacement et au mouvement, réduits de leur
côté à de pures extensions spatiales. D’où la traduction mécanique de he swam over the
Channel, par il a traversé la Manche à la nage, ou en allemand, de er laüft in das Haus
par il entre dans la maison en courant : traductions certes complètes au plan référentiel,
mais trop analytiques, en ce qu’elles méconnaissent la coalescence lexicale du
mouvement et de la manière en anglais et en allemand, et imposent, en la détachant dans
la traduction française, une focalisation sur ladite ‘manière’, loin d’être toujours
naturelle au plan communicationnel. On peut penser que l’automatisme de telles
traductions procède de la surestimation, dans les énoncés d’origine, de la saillance de la
‘manière’ supposée être indiquée par les verbes en cause : or, en allemand, par exemple,

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16 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

sur les sujets, qui ne sont pas nécessairement associés au fait d’un déplacement,
mais plutôt à une modification perçue de l’intérieur et de l’extérieur, et qui ne
se réduit pas à la saisie d’une trajectoire extériorisée dans un espace
topologique (ah, tu tombes bien !). Il se peut même qu’aucun mouvement ne
soit signifié, alors que la scène reste perçue dans l’espace (cette fois, la photo
est bien sortie).
Ces remarques valent pour tous les emplois où mouvement et / ou espace
sont convoqués. Mais que dire alors des emplois plus fonctionnels déjà cités (la
montre marche, la plante vient bien (Forest 1999, p. 59), la nouvelle
tombe / sort), ou encore des emplois qu’on dit métaphoriques (marcher dans la
combine, tomber dans les pommes) 13, qui ne convoquent ces dimensions qu’en
arrière-plan, voire pas du tout ? En accordant un privilège systématique à des
schématismes de facture uniquement spatiale ou topologique (et la distinction
verb / satellite framing en est un rejeton), nombre de travaux en linguistique
cognitive (de la première tendance identifiée ci-dessus) ont cru pouvoir
distinguer un niveau sémantique autonome et tout à fait générique, susceptible
de se transposer dans une grande diversité de domaines, rejoignant ainsi la
fonction d’une couche grammaticale de la signification. Si ce niveau a la
constitution et la fonction qu’on lui prête, il devrait donc se comporter comme
un invariant pour chaque unité et chaque domaine mis en œuvre. Or nos
remarques, qui montrent déjà le caractère très problématique de l’isolation d’un
tel niveau schématique, débouchent a fortiori sur une mise en cause de sa
prétendue invariance. À l’opposé de ces conceptions, nous constatons en
sémantique un enchevêtrement profond des dimensions configurationnelles et
des autres — et cela quand bien même l’espace serait impliqué au premier
chef 14. Et parallèlement, apparaît la faiblesse de l’hypothèse d’invariance des
schèmes supposés caractéristiques des unités (verbes, prépositions, ou
autres) 15. A l’inverse, ce qui paraît se transposer le mieux d’un emploi à
l’autre, lorsque l’on passe d’un registre spatial à d’autres plus ‘fonctionnels’ ou
plus ‘figurés’, ce sont des dimensions que, par analogie avec l’expérience

__________

laufen peut s’entendre très ordinairement comme signifiant plutôt une aspectualité de
‘mise en mouvement sans délai’, et non la ‘manière’ bien spécifique de la course, en tant
qu’allure naturelle.
13 Sans compter d’autres emplois qui semblent combiner toutes ces dimensions, comme
allons bon, n’allez pas croire, etc., analysés longuement par R. Forest (1999, p. 59-79)
14 Au point qu’un même énoncé parfois peut se lire de « deux » manières peu stables, selon
que l’on centre son attention sur le frame extérieur, ou sur des modalités plus
‘empathiques’ et ‘stylistiques’ de l’action. Exemple : il a zigzagué à travers les vagues.
Le zig-zag, est tantôt est une manière de se déplacer, identifiée et extériorisée dans la
forme d’une trajectoire étendue, tantôt une façon plus indéterminée de se mouvoir au
sein d’un espace où les questions d’une direction d’ensemble, ou d’un changement de
lieu, ne se posent pas au premier chef.
15 La conséquence en est bien sûr la tendance à démultiplier les sous-entrées lexicales pour
une même unité.

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 17

sensible, nous pourrions qualifier de praxéologiques et évaluatives : dimensions


qu’il faut concevoir en amont de toute spatialité constituée d’avance, tout en
évitant de les rabattre sur une codification en termes de rôles actantiels ou de
cas, qui serait constituée de son côté sans relation au registre perceptif (si ce
n’est à travers un modèle praxéologique totalement normalisé).
Il y a ici un double enjeu : mieux décrire la relation entre perception et
langage au sein de l’expérience, et mieux fonder l’analogie fréquemment
invoquée entre construction de formes dans l’activité perceptive, et
construction de ‘formes sémantiques’ dans l’activité de langage. Notre message
est simple : pour relever ce double défi, il faut passer d’une approche
étroitement spatialiste ou topologiste, à une vision plus globale de l’expérience,
où les anticipations praxéologiques, qualitatives et empathiques 16 de la
perception jouent un rôle éminent, qui serait fort mal traduit si on en rendait
compte en termes d’une ‘manière’ venant simplement s’ajouter à des invariants
configurationnels. L’espace, vu comme un milieu vide, homogène et indistinct,
et le mouvement, réduit à l’épure d’une trajectoire, ne sont que des états
limites, au sein de l’activité globale de perception et d’organisation par les
sujets parlants. Pour en traiter, il est essentiel de dégager certains traits
génériques de cette activité globale.
La section suivante s’attache à discuter un ‘modèle’ perceptif et pratique qui
puisse répondre à ce double enjeu. Soulignons que sous le nom de modèle, nous
renvoyons en réalité au choix d’une perspective théorique sur l’expérience
perceptive — opération décisive pour toute linguistique qui penserait trouver là
un domaine d’application privilégié, a fortiori un de ses fondements.

III. LA QUESTION D’UN MODÈLE PERCEPTIF ET PRAXÉOLOGIQUE


Dans les deux sections précédentes, comme dans plusieurs de nos
publications antérieures, nous avons cherché à montrer la nécessité de
conjoindre un élargissement du domaine de l’observation, avec un appareil
théorique qui intègre à la base perception, action, et expression, et favorise les
descriptions du lexique, tout particulièrement du lexique dit spatial. Seule une
théorie de la perception qui puisse s’identifier à une modalité générale de
l’expérience (et non pas seulement à la structuration de champs sensoriels) peut
ici convenir, et se laisser transposer en sémantique — qu’il s’agisse d’associer
les travaux à des hypothèses cognitives, ou plus prudemment, de trouver un
format satisfaisant pour l’enquête proprement linguistique.
Le corpus théorique et expérimental que nous avons privilégié dans cette
perspective est celui de la mouvance phénoménologique, et de sa version
naturalisée, la théorie gestaltiste de la perception (avant tout celle de l’école de
Berlin), complété par l’apport des écoles liées de la microgenèse (Rosenthal
__________

16. Sur les équivoques liées au concept, et au terme même, d’empathie, voir ci-dessous, note
20.

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18 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

2003). Il ne peut être question de parcourir ici à nouveau l’ensemble des


travaux auxquels nous avons emprunté dans nos études précédentes 17. À titre
de rappel télégraphique, retenons-en les points suivants :
• constitution multimodale et synesthésique du champ et des unités
(exemples de la vague, du crescendo, de la rigidité / froideur directement
perçues dans la vision du verre ou du métal) ;
• valeurs causales, fonctionnelles ou agentives immédiatement perçues,
jusqu’à une différenciation des rôles dans le cadre d’une élaboration
actantielle (travaux de Heider & Simmel, Michotte, Kanizsa) 18 ;
• dimensions de la requiredness de Köhler, de l’Aufforderungscharakter
de Lewin, ou des affordances de Gibson (valeurs de réquisition,
d’exigence, d’appel, de suggestion…, avec l’exemple archétypique de la
perception des artefacts) : il y a une solidarité constitutive immédiate
entre objets et routines pratiques ; objets et champs pratiques suscitent en
nous, voire se confondent dans leur aspect-même, avec les projets
d’action dans lesquels ils se trouvent saisis ;
__________

17. Voir références en note 7 ci-dessus. Ces travaux ont été précédés par ceux de Cadiot &
Nemo (1997a,b,c), qui allaient dans les mêmes directions, en restant davantage liés à des
perspectives pragmatiques et de catégorisation nominale.
18. Les expériences de Heider et Simmel (1944) portent sur la perception des intentions,
étudiée à travers des petits films d’animation où l’on ne voit jamais que des figures
géométriques très simples (triangles, cercles, bâtonnets), en mouvement les unes par
rapport aux autres. Les sujets les perçoivent alors comme engagées dans autant de
scénarios complexes (agression, combat, fuite, protection, marques d’affection).
Michotte (dès 1946) a proposé à ses sujets des animations de formes semblables, dont les
mouvements donnent l’impression de chocs, poussées, lancements, poursuites,
contournements. Ces expériences ont mis en évidence la généralité de ces phénomènes,
en même temps que leur dépendance très fine par rapport aux conditions de trajectoires,
de distances et de vitesses (pour une discussion et des compléments, voir Kanizsa 1991,
ch. 6 et 7). Dans le cadre plus contemporain des neurosciences, on présente souvent les
neurones-miroirs comme une confirmation, au niveau du fonctionnement cérébral, de
cette structure « empathique » de la perception des comportements : lesdits neurones-
miroirs s’activant de la même façon chez le sujet (initialement un singe), qu’il s’agisse
pour lui de percevoir une certaine action spécifique effectuée par un autre (comme de
saisir une pomme), d’effectuer lui-même cette action, ou même seulement de se préparer
à l’effectuer. Toujours est-il qu’en prenant connaissance de ces différents travaux, on
réalise mieux, par exemple, que le trait de contrôle, souvent mis à contribution (sans être
analysé !) dans la description des verbes d’action, implique toujours un entrelacement de
dimensions temporelles, aspectuelles, attentionnelles, et qualitatives (intensité, modalités
effectives du contrôle) ; loin de procéder uniquement à partir d’une physique spontanée,
il qualifie tout le registre de l’intentionnalité, et par là s’inscrit tout aussi immédiatement
sur le plan de l’interaction entre sujets. Soulignons également un point d’interprétation
très important des expériences évoquées dans cette note. On peut évidemment les
résumer en disant qu’il y a investissement spontané du mouvement par des « schèmes »
d’action, qui animent ce qui devient de fait une scène ou un scénario. Mais une telle
formulation tend à isoler le mouvement, et à faire de sa perception un préalable. On peut
penser au contraire — et c’est l’option que nous prenons dans le débat qui nous intéresse
ici — que des dynamiques d’anticipation praxéologiques et émotionnelles participent de
façon précoce à la différenciation du champ, et donc à la constitution perceptive des
contrastes significatifs et des mouvements eux-mêmes.

Histoire Épistémologie Langage 26/I (2004) : 07-42 © SHESL


VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 19

• identifications stylistiques / comportementales immédiates (par exemple :


reconnaissance des silhouettes et de leurs allures naturelles : courir,
sauter, ramper, nager…) ;
• perception immédiate de la valeur émotionnelle des formes : non
seulement au sens d’une humeur, d’une ambiance, ou d’un affect, mais
aussi au sens de modalités événementielles singulières, telles que :
excitation, violence, brusquerie, monotonie, envahissement, rupture… ;
• dimensions physionomiques de la perception : sous cette désignation très
générique, les gestaltistes, à la suite de H. Werner, rangent toute une
série d’aspects, qui ne procèdent pas d’une structuration analytique ou
morphologique du champ, et qui tendent d’ailleurs à y diffuser plutôt
qu’à rester strictement cantonnés dans les limites d’entités-supports 19.
Le concept de physionomie concerne fondamentalement l’expressivité et
l’intériorité animatrice (donc la façon propre d’investir l’espace) qui sont
caractéristiques de certaines entités, que l’on pourrait dire perçues sur un
mode empathique — sans qu’elles soient nécessairement animées ou
vivantes 20. Contrairement à une certaine intuition, l’idiosyncrasie des
physionomies ne s’oppose nullement à la transposabilité de leurs traits
(rejoignant ici toute une polysémie sur fond de synesthésie : doux, amer,
dur, clair, etc.). Le holisme des saisies physionomiques s’accompagne
aussi d’un effacement relatif des articulations morphologiques, plus
généralement d’un retrait des modes d’individuation ancrés dans le
configurationnel : ce qui contribue encore à remettre en cause les
conceptions trop simplement spatialistes de la perception.
L’ensemble de ces caractérisations sont présentes dans la production
historique de l’école gestaltiste berlinoise (pour une reconstruction critique,
voir Rosenthal & Visetti 1999, 2003). Toutefois, le dynamicisme
caractéristique de cette psychologie, qui est en même temps une théorie
générale des formes, s’est trouvé limité par une prise en compte insuffisante du
caractère constituant (pour la perception elle-même) de l’action et de ses
anticipations, et cela jusqu’au niveau fondamental d’une motilité
perpétuellement opérante. En même temps, et pour différentes raisons liées au
contexte scientifique de l’époque, l’école n’a pas réussi à développer une
problématique génétique consistante. Si bien qu’il est fondamental, pour une
reprise contemporaine de ces idées, de les prolonger dans une théorie au moins
__________

19. Cf. Rosenthal 2003 ; Rosenthal & Visetti 2003, p. 177-191.


20. Il faut prendre garde que le terme d’empathie va souvent de pair avec l’idée d’une
projection subjective, qui surimposerait à des objets préalablement neutres des modalités
ou des valeurs spécifiques à une intériorité qui en serait la source. Le concept de
physionomie ici évoqué est à l’opposé de ce type de dédoublement : c’est directement au
contraire, au niveau de la donation même des choses, dans et par l’activité de langage,
que nous percevons ce type de qualités, en profonde solidarité par conséquent avec les
valeurs instituées par les langues et les cultures (des qualia linguistiques, en somme :
une chambre triste, un sourire fané, et même une voiture sexy). Nous insistons sur ce
point en écho notamment avec notre critique de la thèse de la subjectivation,
fréquemment avancée dans l’analyse de certains emplois verbaux (cf. section IV, ci-
dessous).

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20 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

microgénétique de la constitution des formes, qui fasse une part essentielle aux
anticipations (notamment celles liées à l’action) qui constituent le champ en s’y
actualisant à divers degrés, et qui correspondent, côté sujet, à une ‘mise sous
tension’ dont l’effet se situe possiblement en deçà de toute programmation
effective de mouvement (Rosenthal, 2003). Concevoir alors les formes comme
des « phénomènes d’un champ d’action » — selon une formule inspirée
d’E. Straus —, tel serait le programme, dont on comprend toute la pertinence
pour notre approche de la sémantique. Dans une telle théorie, soulignons-le
encore, ce qu’on appelle forme : (i) se constitue au sein d’un champ, dont la
spatialité n’est qu’une dimension fondamentale d’extériorisation, (ii) répond à
des degrés d’individuation et de localisation variables, (iii) correspond à des
modes d’unification qualitatifs et praxéologiques, et non pas seulement
morphologiques et positionnels, et (iv) se différencie, à des degrés divers, dans
le cadre de dynamiques de constitution à strates multiples, organisant ‘de
l’intérieur’ les dynamiques déployées et extériorisées dans l’espace-temps.
De l’héritage de la phénoménologie et de la Gestalthéorie, et à la différence
des auteurs de la linguistique cognitive qui s’y sont parfois référés (Lakoff et
Johnson, et de façon plus lointaine Langacker ou Talmy), nous retenons donc
avant tout le principe d’un approfondissement et d’un élargissement de la
couche perceptuelle 21, jusqu’aux dimensions d’une expérience immédiatement
et multiplement qualifiée. En somme, le primat de la perception ne peut
signifier que le primat d’un sens perceptif. Nous nous inscrivons ainsi en faux
contre les stratégies consistant à détacher un niveau schématique (Langacker),
ou à faire de l’espace le référent ultime et le point de départ de tout processus
de conceptualisation. Ce n’est pas seulement que les analyses sémantiques,
polysémiques et métaphoriques, en pâtissent : c’est le tableau-même de la
perception qui est faussé au départ. Dans ce recours à une supposée couche
universelle et univoque, de facture spatiale (sensible et / ou schématique), il n’y
a plus de place, sinon seconde, pour des déterminations plus profondément
relativistes, culturelles et / ou linguistiques : celles-ci, en effet, ne peuvent plus
s’exercer que dans les termes d’un système prédéterminé d’universaux
psychologiques, les langues n’y inscrivant que secondairement leurs options
propres 22.
__________

21. Nous utilisons parfois ‘perceptuel’ pour souligner qu’il s’agit d’une perception entendue
comme une modalité cognitive générale, ne se réduisant, ni à un schématisme
topologique pur et simple, ni à la seule saisie sensible avec ses modalités classiquement
séparées (les ‘cinq sens’, la proprioception, les kinesthèses, les émotions…).
22. A contrario, il convient de partir d’une théorie de la perception qui d’une part
reconnaisse les modalités de sa constitution sociale, à travers notamment la spécificité
des pratiques quotidiennes (et au-delà, de toutes les performances sémiotiques), et qui
d’autre part ne vise pas à rabattre les spécificités des langues sur des universaux
empruntés plus ou moins subrepticement à l’étude des langues indo-européennes. Pour
un exemple illustrant la relativité de l’opposition linguistique dans / sous, dans sa relation
aux gestes et ustensiles quotidiens (dont on peut penser que la vision elle-même en est
affectée), cf. Sinha et Jensen de Lopez 2000. À l’intérieur d’une même langue, se pose le

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 21

D’autres approches pensent trouver dans les étapes de l’acquisition d’une


langue maternelle une gradation faisant référence, dans la mesure où cette
acquisition passerait de façon privilégiée par la formation (ou l’existence non
problématisée) d’un cadre spatial conçu comme un système de positions et de
vecteurs d’orientation, détachés comme tels du temps et des modalités
d’engagement. Selon les travaux, l’espace joue tantôt le rôle d’un cadre
imposé, conditionnant de façon nécessaire l’installation du sens ; tantôt celui
d’un terme repérant la convergence progressive, dans l’ontogenèse, de la
langue et de certaines structures cognitives fondamentales. Or, quand bien
même ce cadre serait en effet universel, sa nature très abstraite et hautement
conventionnelle, neutre vis-à-vis de tout engagement pratique, rend difficile de
croire qu’il puisse s’imposer sans que le langage ne garde les traces de ce
processus de formation. L’intuition engage au contraire à supposer que la
majorité des unités que nous concevons a posteriori comme vouées à
l’expression de l’espace, portent jusque dans la langue adulte les traces du
travail que, selon ce type d’hypothèses (bien différentes des nôtres), il aurait
fallu faire pour ‘vider’ et ‘topologiser’ l’espace corporel et pratique, et le
constituer ainsi comme un domaine extériorisé de places, entre lesquelles
circuleraient des entités bien séparées, et à partir de là identifiables.
Nos critiques sur cette forme de recours à de présumées lois du
développement ont leur correspondant au niveau immédiat de la parole : ce
serait en effet un postulat pour le moins questionnable que d’assigner toujours
la parole à la saisie d’un espace déjà constitué. Le plus vraisemblable est au
contraire que l’espace (comme le temps) se recompose constamment en
fonction de la perspective d’action en jeu, et par conséquent que le langage doit
fondamentalement anticiper, accompagner et enregistrer ces ajustements
incessants.
Notre raisonnement par l’absurde, qui a feint un instant de partager des
hypothèses adverses, aboutit donc encore à la même conclusion : l’analyse n’a
pas à privilégier un niveau spatial univoque. Nous répéterons quant à nous
l’évidence que ce qui semble lié, et dans une connexion réciproque, à la
constitution des langues, c’est un Lebenswelt social et culturel, qui inclut bien
sûr l’expérience du corps, dans sa relation à l’environnement pratique et
interpersonnel. Les approches spatialistes et / ou topologistes n’en appréhendent
que certains effets, isolés à tort. Quitte à insister sur l’expérience corporelle,
nous préférons mettre en avant son caractère auto-centré, synesthésique et
__________

problème comparable du voir comme, consistant en ce que nous voyons les choses
comme nous les nommons — si bien que la diversité des désignations conditionne des
différences dans la perception, et ne se réduit pas à un étiquetage différent d’entités
laissées intactes par ailleurs. Pour des avancées dans cette direction, cf. The 2nd Annual
Language and Space Workshop, University of Notre Dame, June 23-24, 2001
(L. Carlson ; E. van der Zee, ed.). Avec notamment les articles de Smith ; Richards &
Coventry ; Tversky & coll.

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22 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

anticipateur, qui se révèle notamment et par exemple dans toute une série de
verbes : toucher, résister / céder, (re)serrer, maintenir, rompre, insérer, ajuster,
enterrer, noyer, recouvrir, camoufler, se débarrasser de, coller, (dé)bloquer…,
ou de substantifs : douceur, fluidité, rudesse, rugosité... Toutefois, il faut
prendre garde à ne pas imaginer ici un ‘corps’ qui ferait fonction d’emblème
pour la sémantique, tout en étant constitué indépendamment des langues,
comme celui dont Lakoff et Johnson se sont faits apparemment les avocats
avec leur concept d’embodiment. L’expérience du corps évoquée ci-dessus ne
renvoie pas à une pré-détermination causale, mais au foyer sensible, pratique,
et toujours déjà linguistique, des gestes et des pratiques sociales donatrices de
sens.
Une conséquence minimale de ce qui précède est la nécessité d’une
diversification radicale des dimensions requises pour l’analyse sémantique des
unités les plus ‘centrales’, ou les plus ‘grammaticales’. L’exemple des
prépositions manifeste ainsi, d’une façon frappante et qui se laisse analyser
dans le détail, l’insuffisance des caractérisations topologico-cinématiques
« abstraites » ; en même temps il invalide les reconstructions qui voudraient
partir d’un sens premier plus « tangible », de nature physique ou spatiale.
Comme nous l’avons argumenté à maintes reprises 23, il apparaît que les
emplois des prépositions sont conditionnés, entre autres, par des valeurs ayant
trait à « l’intériorité », à « l’expressivité », au « programme interne » des
entités-procès qu’elles relient ; qu’ils sont aussi conditionnés par des valeurs
renvoyant à la dépendance, au contrôle, à l’appropriation réciproque entre ces
diverses instances ; que ces valeurs enfin peuvent être aussi bien posées
nettement en extériorité, que retenues dans la dynamique constituante de la
parole, et se manifester seulement comme ‘aspect’ de ce qui est thématisé. On
constate également que ces valeurs, si elles surdéterminent parfois des valeurs
configurationnelles encore présentes, peuvent aussi bien se manifester sans
elles. On observe ainsi toute une gradation de cas : souvent les valeurs
configurationnelles, loin d’être les plus immédiates, paraissent des effets
seconds, sans doute impliqués, mais non véritablement profilés à l’avant-plan
de l’énoncé ; parfois même, elles disparaissent entièrement au profit des
précédentes. Loin de considérer celles-ci comme des suppléments que la
reconstruction linguistique devrait dériver dans un deuxième temps, il en
résulte au contraire qu’il faut les inscrire au cœur des motifs les plus originels
attribués aux prépositions. Ces valeurs ne sont donc pas des valeurs lexicales
excédant le noyau grammatical de la langue : précisément, ce sont bien des
valeurs grammaticales, c’est-à-dire des valeurs très génériques et
indispensables, « retravaillées » par chaque emploi. Elles se réalisent suivant
des « profils » divers, dans des emplois dits abstraits aussi bien que concrets :
donc en particulier en vue d’emplois spatiaux ou physiques (repérant par

__________

23. Cf. note 7 ci-dessus. Les lignes qui suivent sont extraites de Cadiot & Visetti (2001).

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 23

exemple des localisations, ou des interactions de type forces) qui ne présentent


à cet égard aucun privilège particulier.
Notamment (contra Langacker), les trois valeurs topologiques de
l’inclusion (dans, entre, au milieu de, parmi), de la proximité (vers, près de,
par, en face de, au dessus de) et du contact, entendu au sens d’un simple
positionnement contigu (sur, contre, le long de), sont, bien que
fondamentales 24, insuffisantes à exprimer le « motif » grammatical de quelque
préposition que ce soit : sauf à enchevêtrer d’emblée ces valeurs topologiques à
d’autres qui s’y expriment solidairement, et spécifiquement pour chaque
préposition.
Un motif prépositionnel est donc un mode de donation ou d’appréhension,
immédiatement disponible dans toutes les régions de l’activité de langage, sans
mécanisme de transfert analogique ou métaphorique à partir de valeurs plus
spécifiques, prétendument posées comme premières. C’est, si l’on veut, une
‘quasi-forme’ hautement instable, permettant de construire, par reprise et
stabilisation en syntagme, toute la diversité des valeurs observées. Un tel motif
unifie, et met en transaction des dimensions du sens qui ne peuvent être
dissociées à son niveau (même si l’analyse permet de les distinguer) : ces
dimensions ne se séparent éventuellement qu’à la faveur de leurs profilages,
i.e. par stabilisation différentielle et inscription dans des domaines sémantiques
plus spécifiques, et par mise en situation thématique. Ce processus de profilage
ne doit pas être confondu avec une simple instantiation : selon les cas, telle ou
telle dimension du motif peut être virtualisée, voire complètement neutralisée,
en même temps que d’autres spécifications (imprévisibles à partir du seul
motif) viennent l’enrichir. En somme, un motif est un germe instable (une
‘impulsion’, procédant dans ce cas du fonds linguistique commun), qui entre
dans un processus de détermination par stabilisation en co-texte. Il ne s’agit pas
là d’une dynamique qui serait immanente au motif, ce qui supposerait une
anticipation à son niveau de tous les paramètres de contrôle : mais plutôt d’une
reprise, d’une récupération par d’autres dynamiques déclenchées avec la mise
en syntagme, et donnant naissance à la variété des profils.
À titre d’exemple, que nous avons souvent repris dans nos travaux
précédents, parce qu’il peut paraître des plus défavorables à nos thèses 25, nous
__________

24. Les valeurs topologiques sont d’autant plus fondamentales qu’elles ne sont pas vraiment
localisatrices par elles-mêmes, ce qui se traduit jusque dans les emplois spatiaux des
prépositions. Comme l’ont montré tous les travaux sur la question, les prépositions en
emploi spatial ne contraignent pas absolument l’organisation des lieux : elles
construisent plutôt des repères régionaux, qui restent fortement sous-spécifiés. Ces
topologies, toutefois, ne sont pas pour nous des bases univoques et systématiques. Ce ne
sont que des dimensions de profilage parmi d’autres, qui doivent être elles-mêmes
constituées, au sein d’un dispositif beaucoup plus hétérogène.
25. On trouvera ainsi dans (Cadiot 1997, 1999b ; retravaillé dans Cadiot et Visetti 2001) des
analyses développées sur d’autres motifs prépositionnels (POUR, AVEC, SOUS, CONTRE,
DANS, EN, PAR, CHEZ), assortis d’exemples souvent négligés, ou esquivés par les
problématiques spatialistes.

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24 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

rappellerons le cas de SUR, qui ouvre sur un principe de définition-délimitation


de deux ‘segments’ ou ‘phases’ par le biais de leur ‘mise en contact’. En voici
quelques illustrations : les enfants jouent sur le trottoir, Pierre travaille sur
Paris/sur cette question, une menace plane sur la ville, condamner sur de faux
témoignages, payer l’impôt sur le revenu, fixer son regard sur quelqu’un, être
sur le départ, agir sur un coup de tête / sur le champ, sans oublier la valeur
d’enchaînement dans sur ce, il disparut à jamais. À la différence des figures
souvent invoquées de ‘surface’ (notion géométrique), ou encore de ‘hauteur’,
déjà bien trop spécifiques, la notion plus riche et ouverte de ‘mise en contact’
se propose comme un motif plausible. Il est évidemment bien difficile de
l’expliciter : en deçà ou au delà de sa valeur pleinement dynamique, il
comporte bien la possibilité d’un acquis statique qui en est comme un effet de
bord ou une variante stabilisée (localisation, assise, support) ; mais il est
fondamentalement un motif aspectuel et intentionnel de visée et d’approche, en
même temps qu’un motif d’exploitation, de valorisation du contact par un
certain travail (appui, rebond, perlaboration entre les deux ‘phases’ qui restent
cependant extérieures l’une à l’autre) : d’où les valeurs d’objectif,
d’imminence, d’atteinte, d’incidence, d’enchaînement. Son expression
configurationnelle, lorsqu’elle est pleinement déployée, comporte sans doute
un repérage ‘axial’ de la dynamique d’élan, un autre repérage ‘transversal’ pour
la zone de contact, et l’extériorité maintenue des deux ‘phases’ ainsi délimitées
(si la zone de contact est bien la frontière topologique de la zone d’accès, elle
n’est pourtant pas appropriée comme son bord, mais lui reste ‘extérieure’ : d’où
la tension paradoxale avec certaines réalisations thématiques comme dans Max
dort sur le dos). Il va de soi que les termes mobilisés par ce travail
d’explicitation (‘support’, ‘visée’, élan’…) sont à prendre avec toute
l’ouverture de sens possible, leur polysémie restant ici suspendue, et surtout pas
résolue (il ne s’agit absolument pas d’un métalangage !) 26.
En résumé, et comme le lecteur pourra mieux s’en convaincre en se
rapportant aux travaux cités plus haut, ce sont finalement les thèses suivantes
qui caractérisent au plus près notre démarche : (i) pas de privilège des emplois
__________

26. Le motif de la mise en contact (selon nos termes) ne se constitue pas « dans » le champ
extériorisé de l’espace physique et / ou sensible (notamment tactile) — même s’il passe
aussi par lui. Il est à comprendre en un sens générique, morphémique, comme débordant
toujours le registre d’une expérience sensible étroitement conçue, qu’il contribue en
réalité à creuser et stabiliser à partir de ses anticipations propres (elles-mêmes en
formation à travers l’activité de langage et les performances sémiotiques de tous ordres).
Certaines diagrammatiques réduisent ce que nous appelons ici contact à un point de
visée (pour une discussion à partir de cet autre point de vue, voir ici même l’article de J.-
M. Fortis, section A4) : mais c’est transformer en un schème purement optique, décalqué
sans doute d’une certaine conception de la vision, les dimensions qualitatives et
praxéologiques de cette « visée », qui est pour nous anticipation générique d’un contact
(non nécessairement sensible ou ‘figuratif’, mais au contraire décroché en principe de
ces strates de l’expérience). Insistons aussi sur son caractère proprement linguistique, i.e.
constitutivement dépendant de la singularité d’une langue.

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 25

spatiaux ou physiques (tels qu’habituellement conçus), et donc pas de doctrine


du transfert de sens, figuré ou métaphorique, (ii) recherche de motifs
grammaticaux, c’est-à-dire de modes de donation et d’appréhension qui soient
immédiatement disponibles dans toutes les régions de l’activité de langage, (iii)
refus d’une réduction de ces motifs à leur expression configurationnelle, qui
n’en est qu’un versant, et (iv) interprétation de ces motifs comme des ‘germes’
instables, aptes à se stabiliser à divers degrés en syntagme par reprise au sein de
dynamiques de profilages qui ne leur sont pas immanentes 27.
On objectera peut-être que la polyvalence des unités dites spatiales
n’empêche pas que l’on puisse y distinguer une première strate de signification,
qu’elle soit ou non modélisatrice pour les autres valeurs (qui sont alors dites par
contraste temporelles, modales, fonctionnelles, etc.). Cela justifierait, selon
certains, un programme de recherche distinct. Nous répondrions à cela par une
double remarque : épistémologique et / ou cognitive d’abord, en contestant
comme nous venons de le faire le modèle perceptif sous-jacent à cette
conception de la spatialité ; méthodologique et plus directement linguistique,
ensuite, en demandant quels sont les critères qui président à la catégorisation
d’un segment d’énoncé comme proprement spatial 28. Encore une fois, il ne
s’agit pas de nier l’omniprésence de l’espace, mais de souligner la diversité
extrême de ses modes de différenciation et d’intervention, les organisations
topologiques résultant, bien plus qu’elles ne les précèdent, de ‘programmes’
sémantiques d’une autre qualité.

IV. À PARTIR DES DYNAMIQUES DE CONSTITUTION


Pour développer les considérations qui précèdent, nous traiterons d’abord
rapidement de verbes basiques de mouvement, comme sortir et partir, qui
illustrent la non-séparation entre perception, action et qualité, et de façon
corrélée l’intrication entre leurs différentes valeurs, spatiales ou non. Nous
entrerons ensuite plus en détail dans une analyse comparable du verbe monter,
et critiquerons, à la suite de Lebas & Cadiot (2003), la thèse devenue classique
de la subjectivation, censée rendre compte d’emplois comme la route monte.

__________

27. Il convient de souligner l’absence de tout étalon absolu pour la dite stabilisation. A
supposer qu’une échelle adaptée à tel type de discours soit envisageable, rien n’impose
d’aligner toutes les unités sur un standard unique. Pour ce qui est par exemple de la
référence, il y a des « profondeurs » variables d’engagement thétique, qui peuvent
s’exprimer à des rythmes, et avec des degrés d’indexicalité, très différents.
28. Pour en donner très rapidement une idée, rappelons quelques séries concernant les
prépositions EN et PAR, qui montrent une implication très variable de l’espace, tant au
plan de sa différenciation en lieux que de sa saillance thématique. Pour EN : hommes en
mer, maison en flammes, pommier en fleurs, chienne en chaleur, femme en cheveux,
propos en l'air. Pour PAR : Voyager par la route ; être emporté par le courant ; passer
par le jardin ; prendre par la gauche ; regarder par le trou de la serrure ; attraper par
la cravate ; tuer par balle.

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26 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

Pour finir, nous rebondirons, du point de vue qui est le nôtre ici, sur
l’opposition entre verbes inaccusatifs et inergatifs, dont on sait qu’elle a fait, et
fait toujours, l’objet de discussions très animées.
IV.1 Retour sur les verbes de mouvement
Revenons pour commencer au cas des verbes dits de mouvement les plus
basiques du français (comme aller, arriver, se diriger, entrer, partir, sortir
traverser, venir…), qui sont parmi les premiers à être cités à l’appui du
classement du français comme langue verb-framed. Examinons par exemple en
les contrastant les verbes partir et sortir, et posons la question des indications
de construction du frame qu’ils comporteraient de façon inhérente. On pensera
peut-être ces exemples comme particulièrement difficiles pour la thèse que
nous voulons soutenir. Et pourtant, il nous semble que, plutôt que de spécifier
géométriquement une trajectoire, ou de se confondre avec le tracé d’un
parcours dans un espace topologique, ces indications inhérentes renvoient
plutôt à des modalités de survenance, dont on peut dire qu’elles se situent en
deçà d’une distinction affirmée entre événement et action.
De son phylum étymologique (Le Robert DHLF, p. 1439 : Lat. pop.
*partire, partiri : « partager »), partir retient le motif d’un détachement sur
fond de partage, dont atteste la polysémie du nom départ (faire le départ / être
sur le départ). Sortir, de son côté, garde de son étymologie latine le principe
d’un surgissement, ou d’une émergence ponctualisée (l’article du Robert DHLF
présente une double source, distribuée entre d’une part le latin sortiri, sortitus :
« qui a été tiré au sort, désigné par le sort », donc « qui échappe à, et se
manifeste au dehors », et d’autre part la série surrectus, surgere : « jaillir »,
p. 1980) 29. L’inchoativité, ou les indications de bornage amont dont ces deux
lexèmes sont porteurs, sont solidaires d’un ‘fond’ qui puisse valoir comme
instance de repérage. Mais elles ne forcent pas pour autant à hypostasier ce
fond en termes de sites. Il s’agirait plutôt de modalités de dégagement, parfois
appuyées à une spatialité déjà disponible (au niveau etic, au sens de Pike 1967),
parfois primant sur elle, et ne conditionnant en tout état de cause que des
schématisations assez peu différenciées. Il serait donc insuffisant de faire la
différence entre partir et sortir, en la fondant sur un framing primaire
extensionnel, en droit toujours dissociable, ou indépendamment récupérable.
Certes, sortir renvoie bien à une différence topologique entre intérieur et
extérieur, avec maintien de la perspective sur la phase de franchissement. Mais
partir procède moins de ce type de zonage : il évoque plutôt l’émission, le
__________

29. La dimension du (tirage au) sort, plus généralement de l’alea, qui pourrait paraître
cantonnée aux domaines couverts par le nom sort, reste très présente dans des emplois
de sortir comme : il n’est rien sorti de cette discussion, le numéro 37 est sorti au Loto,
etc. On peut émettre l’hypothèse que cette dimension reste toujours lovée en intension, à
travers l’idée que la phase extérieure d’une sortie reste indéterminée, et même
contingente, au niveau du verbe lui-même : ce qui contraste avec sa phase amont,
créditée d’une intériorité constitutive.

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 27

détachement, voire la mise en mouvement, sans imposer d’extension, ni même


de localisation déterminée, à ce qui constitue son point d’appui (sa « source »).
Il maintient aussi une perspective ouverte, déjà quelque peu balisée, qui
anticipe sur une cible entièrement détachée — un telos —, qu’il n’est pas
obligatoire d’atteindre (partir pour) 30.
Des exemples comme le lièvre est parti sous nos pieds, le coup est parti,
valorisent ce pôle toujours quelque peu ergatif du détachement (en l’occurrence
explosif !), tout en ouvrant la perspective d’un prolongement déjà entamé. Le
lièvre est sorti sous nos pieds construirait un tout autre profil, où il s’agirait
avant tout d’un surgissement et d’une émergence (d’un terrier, d’un fourré).
Partir pour Paris est évidemment paradigmatique pour l’analyse proposée. À
l’inverse, *sortir pour Paris ne convient pas, parce que pour met à distance la
cible relativement au procès de sortie, tout en l’inscrivant dans un télos
constitutif. Or, comme nous l’avons dit ci-dessus, sortir n’accepte de transition
directe que vers des ‘zones’, ou des ‘phases’ dont les bornes peuvent se
rattacher immédiatement au seuil franchi (sortir dans la rue). Avec sortir, on
ne peut faire jonction avec une cible détachée et programmée qu’à la condition
de reprendre le procès et de prédiquer à nouveau (sortir pour aller au
restaurant), ou du moins d’étendre la cible aux dimensions d’un parcours
assurant la transition (je sors pour mon cours). Pour la même raison, sortir vers
la rivière, ou côté rivière, passera facilement dès le moment où le régime
(rivière) n’est là que pour spécifier une direction, qui ne conditionne la
transition que dans la phase immédiatement contiguë au seuil 31.
Ajoutons que, à la différence de partir qui ponctualise son moment
inchoatif, sortir maintient ouverte une zone intérieure, en continuité avec la
transformation qui amène au franchissement « libératoire » du seuil. Cela est
évident s’agissant des sorties qui sont des déplacements. Mais cela reste une
analyse possible pour des emplois qui se focaliseraient sur des émergences sans
mouvement : la couleur sort bien sur ce fond, la couleur est bien sortie
(teinture, photographie). Ce qui tend à montrer que le rapport fond / forme — ce
leitmotiv des linguistiques cognitives — est loin de se réduire à une partition de
données uniquement configurationnelles (ici, spatiales) : il est inséparable
d’une dynamique qualitative de formation et d’une intériorité non spatiale du
champ, l’apport propre des unités linguistiques se répartissant entre effets de

__________

30. On retrouvera ces directions principales en suivant les listes parasynonymiques des
dictionnaires. Par exemple, pour partir : déguerpir, échapper, s’enfuir, s’effacer, filer, se
sauver, s’éclipser, disparaître, démarrer, commencer. Pour sortir : sourdre, dégager,
percer, poindre, pousser, apparaître, provenir de, naître, tirer, extraire, vider, publier.
Notons bien que nous ne traitons ici que des emplois intransitifs.
31. Rappelons la mise en continuité impliquée par vers, qui s’oppose en général à la solution
de continuité entre source et cible indiquée par pour. On peut même dire que de ce point
de vue, il y a instruction partagée entre sortir et vers, d’une part, partir et pour, d’autre
part.

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28 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

sens stabilisés en extériorité, et effets de sens mis en œuvre au niveau de ces


dynamiques internes de constitution.
Qu’on l’appelle donc topologie, configuration, ou framing, le schématisme
invoqué par les problématiques critiquées ici reste donc tributaire, pour son
installation, d’une aspectualisation et d’une mise en perspective qui reposent
sur des saisies fines de phases qualitatives comme : émission, interruption,
franchissement, émergence, anticipation d’une cible, d’un contact, d’une
jonction... Tout cela peut bien se tramer dans l’espace / temps, ou se profiler
dans les modalités d’une topologie qui ne serait plus limitée aux seuls
domaines sensibles. Mais si l’on prend en compte les dynamiques de
constitution, on ne peut que souligner plus encore les dimensions avant tout
qualitatives de ces procès perceptifs et pratiques généralisés. C’est dans la
dynamique de constitution que réside en effet le potentiel de généralisation
qu’invoquent les linguistiques cognitives, et non dans les topologies ou les
espaces constitués. C’est donc avant tout à ces dynamiques internes que
renvoie le fait, suggéré déjà par l’étymologie, que partir comporte une certaine
qualité de l’émission (une ponctualisation elle-même qualifiée, ou si l’on veut
aspectualisée ‘de l’intérieur’), qui procède d’un détachement, et renvoie à une
projection jusqu’à la disparition (Cadiot 1991, p. 49), tandis que sortir, comme
le dit aussi son étymologie, comporte de manière définitoire surgissement, ou
émergence, avec maintien de la perspective sur la phase-seuil. Les morphèmes
qui interviennent dans ces gloses intensifient quelque peu ces dimensions, pour
souligner l’extrême fusion des dimensions aspectuelles et qualitatives de la
signification des items lexicaux, avec les aspects configurationnels,
traditionnellement considérés comme plus grammaticaux, et qui sont
représentés dans les linguistiques cognitives par des diagrammes
spatialisants 32.
IV.2. L’exemple de MONTER et la subjectivation
Comme deuxième illustration de la thèse avancée ici — qui affirme le rôle
essentiel des anticipations praxéologiques et qualitatives agissant au sein des
dynamiques de constitution — nous reprenons, sous une forme ramassée, les
résultats principaux de Lebas & Cadiot (2003) : notamment l’analyse détaillée
du verbe monter, et la discussion de la thèse de la subjectivation, fréquemment
avancée pour rendre compte d’emplois tels que la route / l’escalier monte.

__________

32. Dans l’évolution, on observe parfois une tendance à « retraiter » ou moduler par
préfixation des aspects déjà émergeant au niveau d’un premier lexème, et qui vont dans
le sens de ceux que nous mettons en avant. Par exemple, on passe de sortir à ressortir,
non pour dire ‘sortir une seconde fois’, mais pour souligner les dimensions qualitatives
décrites ici, en somme pour signifier quelque chose comme ‘mieux se dégager’. De
même, dans rentrer, il ne s’agit pas tant de redoubler le processus d’entrée, que de
mettre l’accent sur une certaine ergativité qui le soutient, d’une façon qui reste d’ailleurs
ambiguë entre une intensité moindre ou supérieure.

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 29

Pour la commodité du lecteur, nous reproduisons directement les tableaux


ou les listes auxquels nous étions parvenus.
a. Première esquisse à partir des constructions, empruntant au Petit Robert 1
(1988) et au Robert Historique (1992).
Dans ses emplois prépositionnels avec sujet humain :
• associé à l’idée d’un mouvement de bas en haut : monter sur une hauteur
+ au grenier + dans sa chambre ;
• phase plus inchoative : monter dans un taxi ;
• générique avec horizon « épistémique » : monter à bicyclette, monter à
cheval ;
• transposition métaphorique qui se fixe préférentiellement dans des
expressions figées : monter en grade, monter sur ses ergot ;
• emplois à la lisière du domaine spatial, interprétables dans une modalité
plus intentionnelle (progression, promotion) : monter au front, monter en
première ligne.
Dans ses emplois intransitifs avec sujet non humain :
• emplois physiques ou spatiaux : le soleil monte à l’horizon, les
brouillards montent du fleuve ;
• analogies ‘spatialisées’ : bruits montant de la rue, les eaux montent ;
• augmentation sur des échelles projetées : les prix montent, la
température monte ;
• intensification quantitative, mais tout aussi directement qualitative, une
première valeur physique étant qualifiée modalement et / ou
intentionnellement : la fièvre monte, le ton monte, la tension monte, la
douleur monte, la moutarde me monte au nez ; notons les cas-« limite »,
où l’absence de progressivité interne contrevient à une montée
éventuelle : ?le plaisir monte, ?la souffrance monte.
Dans les emplois transitifs :
• des investissements de l’axe vertical : monter un escalier, une côte ;
• des transpositions sur des échelles construites, ‘projetées’ : monter le
son, ou la gamme ;
• des emplois plus statiques et « habituels » : monter un cheval ;
• emplois exprimant l’assemblage ou l’organisation (comme dans le dérivé
nominal montage) : monter une page, un dossier, un kit, projet, un
spectacle, un complot, un coup…, avec aussi des valeurs plus
spécifiques telles que ourdir (coup monté) ;
• à la charnière de l’assemblage / organisation et de la verticalité : monter
la mayonnaise, monter un mur.
b. Dimensions principales :
• Mouvement ascendant : escalader, grimper, gravir, s'élever ;
• Elévation : élever, hausser hisser, lever, percher, soulever, surélever ;
• Inchoation / Embarquement : partir, s’embarquer ;
• Accroissement : augmenter, croître, forcir, gonfler, grandir, grossir, se
développer, enfler, lever, progresser, s'étendre ;
• Assemblage : bâtir, construire, dresser, échafauder, édifier, fonder,
installer, placer, positionner, ajuster ;
• Artifice : combiner, organiser, ourdir, trafiquer ;

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30 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

• Combinaison : (s’)accoupler, (s’)opposer.


c. Distribution des nominaux associés
• mouvement ascendant: mont, montée 33 ;
• accroissement : montagne (cf. une montagne de problèmes) ;
• élévation : montée ;
• inchoation / embarquement : monture ;
• assemblage / artifice : montage.
Ces listes attestent déjà de la variété remarquable des régimes aspectuels et
intentionnels qui s’associent au verbe. Certes, le passage vers un état polarisé
HAUT caractérise fortement son sémantisme, mais à la condition de ne pas
réduire cette dimension de l’élévation à la seule condition spatiale de
verticalité 34. Il est essentiel d’en remarquer la dimension de programmation
intentionnelle, de préfiguration d’un terme, qui se lit plus directement dans les
emplois « d’assemblage » (monter un kit, ou même monter une maison, pour
peu que le processus de construction se laisse envisager dans le cadre d’une
programmation inhérente), ou qui se lit encore dans les emplois de
« constitution » (monter un projet). On reconnaît ainsi au cœur même du
sémantisme de monter une télicité constitutive, au sens d’une visée
programmée, et cela alors même que les bornes du procès ne sont pas
imposées, mais seulement inscrites dans un horizon qu’il reste toujours
possible de modaliser. Cette forme de télicité est également déterminante dans
des emplois où l’occurrence d’un déplacement pourrait paraître la recouvrir
entièrement, comme dans Anne monte se coucher, et même dans Anne monte
l’escalier, où l’on voit se dégager l’intentionnalité du sujet et la visée du
changement, bien plus fondamentalement que le seul déplacement, qui n’en est
qu’une modalité.
Cette même dimension assure la bonne transitivité entre monter et certains
objets, dès lors qu’ils sont vus comme des synthèses de séquentialité ou de
progression orientée : monter la côte, l’escalier, l’échelle, les gradins, les
degrés. Notons surtout que la seule possibilité de parcours vertical ne suffit pas
(?? monter l’arbre, la colline, les airs), comme le montrent à rebours les
exemples où une préposition médiatise cette nécessaire progressivité : monter à
l’arbre, sur la colline, dans les airs. C’est d’ailleurs encore cette progressivité
qui contraste monter le son avec ??monter le bruit et ?monter la musique, dans
la mesure où le ‘son’ incorpore un principe de modulation d’intensité, alors que
__________

33. Comme le signale François Nemo, même en usage dénominatif, un mont peut ne
correspondre qu’à un très faible « déplacement » ascendant, renvoyant à une éminence
autrement sensible qu’à partir d’échelles spatiales (exemple : le mont Beuvray en
Sologne, ou le mont de Vénus, dont l’emplacement varie selon les auteurs depuis la
Pléiade, cf. DHLF, p. 1267). On retrouve donc jusque dans le registre dénominatif un
retrait des dimensions de verticalité et de déplacement, que l’on reconnaît plus
facilement au verbe, et à son autre déverbal plus ‘processuel’ montée.
34. Même complétée d’une phase terminale de « recouvrement » de la cible, ainsi que le
suggérait B. Pottier.

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 31

le ‘bruit’, ou même la ‘musique’, se laissent moins immédiatement profiler sur


un mode séquentiel ou progressif.
Cette combinaison caractéristique de progressivité et de télicité s’harmonise
avec la possible implication du procès dans la constitution de son objet, qui
s’apparente alors à un objet davantage ‘effectué’ qu’affecté. Les emplois de
‘constitution’ exploitent à plein cette intrication, les qualités aspectuelles du
procès (avec saillance éventuelle d’un pôle générique HAUT) étant alors
converties dans celles de l’objet effectué : monter un coup, un projet, la
mayonnaise, les œufs en neige, etc. Plus démonstratifs encore sont les exemples
où intervient plus directement un effet différentiel de choix lexical : monter une
histoire s’oppose à inventer ou imaginer par la mise en avant d’une forte
anticipation du processus de création, d’autant plus déqualifiante qu’elle a été
située à un haut degré de complexité (ce sur quoi insiste monter toute une
histoire). Au contraire de cet effet d’« artifice », monter un restaurant valorise
positivement cette polarisation, différemment de créer ou ouvrir, mais
manifeste le même type de constitution de l’objet. De même, monter un cheval
présuppose de recomposer le cheval comme monture (programmation,
domination), dans un climat d’activité intensifiée, totalement absent de monter
sur un cheval.
Verticalité, assemblage, projet, embarquement, dominance, activité
prescrite, artifice, mécanique… ont ainsi le statut de modalités plus ou moins
profilées, liées à des mises en contraste implicites — des « facettes », si l’on
veut, déclinant une « ressemblance de famille », et se spécifiant selon les types
de contextes. Si l’on accepte toutefois de rapporter ces facettes à la notion de
motif linguistique introduite dans Cadiot & Visetti (2001, ch. 3), on y trouvera
une certaine forme d’unité, consistant en une requalification de la visée de
l’élévation selon l'axe de l'activité orientée et organisée du sujet (anticipation
d’un terme, état polarisé HAUT, devenir agencé, trajectoire séquentialisée et
cumulative). L’orientation spatiale et le mouvement ne précèdent donc pas leur
investissement par la perspective d’action : au contraire ils ne sont perçus
comme montée que dans la mesure où ils expriment cette perspective.
Il est également important de remarquer que les emplois transitifs de monter
saisissent leur objet dans des phases d’individuation, d’achèvement, et
d’extériorisation très variables (depuis monter les valises jusqu’à monter un
dossier, une mayonnaise, un coup). Si, plus radicalement, les « objets » se
constituent toujours au travers d’une langue et dans le jeu intersubjectif des
consciences comme des extensions du processus de leur visée, cela implique
que les référents eux-mêmes, en même temps qu’ils s’individuent, restent des
modalités des pratiques qui les constituent, que celles-ci soient inscrites dans
une « programmation » initiale, ou homologuées par le procès en cours.
C’est le même éclairage, apparemment orienté vers le sujet cette fois, qui
révèle le jeu complexe de constitution référentielle, qui est celui des emplois
dits « subjectivés » des verbes de mouvement, comme dans les exemples
suivants avec monter :

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32 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

La route monte franchement, puis arrive à un étang.


Son champ commence ici et monte jusqu’en haut de la colline là-bas.
Cet escalier monte à l’étage des chambres.
Pour décrire ces phénomènes, la tentation est forte de séparer de façon
radicale ce qui relèverait de la stabilité référentielle — les objets mis en
place — et ce qui renverrait à un déplacement ou une action — en l’occurrence
le « conceptualiseur » de la scène. Cette option est exprimée diversement par
les théories cognitives (Langacker, Sweetser, Traugott) et même par la théorie
de l’Argumentation dans la Langue (Verhagen 1995) 35. Elle se fonde sur
l’hypothèse d’une extériorité entre prédicat et arguments, que nous avons déjà
eu l’occasion de contester, tant au plan de ses corrélats phénoménologiques que
de celui de son statut linguistique. C’est à la fois le modèle nominal, bien plus
dynamique et discursif qu’il n’y paraît, et le modèle verbal, bien plus riche que
le balisage des rôles actanciels ne le décrit, qui doivent être assouplis et surtout
inscrits dans un fonctionnement fortement indexical du signe linguistique.
Quel est en effet le point de vue de ces auteurs ? Il s’agit pour eux et
d’abord de conserver le mouvement au cœur du sémantisme de monter. Et,
puisque mouvement il doit y avoir, et que toute intuition en effet n’en est pas
perdue, il ne peut être, pour une route qui monte, que déporté sur un plan
« subjectif ». L’activité du « conceptualiseur » entre alors en avant-plan pour
assumer ce qui ne peut plus être attribué à un actant dans la scène — si ce n’est
un actant virtuel qui se déplacerait effectivement « au dehors »,
télépathiquement manipulé par le conceptualiseur, ou avec lequel celui-ci
viendrait empathiquement s’identifier 36.
En quelque sorte, le « conceptualiseur » est invoqué pour la médiation entre
certains objets (tels que les routes, les chemins, moyens d’accès, etc.) et
certains types de mouvements (monter, descendre, aller, zigzaguer, etc.) pour
dire que ces objets sont des lieux parcourus par ces mouvements.
De tels dispositifs vont de pair avec une double séparation non questionnée :
- au plan d’une conception générale de l’activité de langage, en supposant
déjà acquise une séparation entre une sphère objective (la route comme
extension déjà stabilisée, le mouvement, cantonné au seul déplacement), et

__________

35. Voir Lebas & Cadiot (2003) pour plus de détails.


36. Il est difficile de déterminer la composition exacte du mélange de « subjectivité » et
« d’objectivité » que Langacker propose (1987, 1991, 1999). Et il est difficile également
de comprendre la nature éventuellement « empathique » de cette « subjectivité ». Mais
quel que soit le dosage de projection du sujet (selon ce type de conception
« empathique »), par rapport au mouvement objectivé sur la scène, l’idée demeure d’un
déplacement parcourant une extension stabilisée. On peut admettre qu’une dimension
« empathique » reste sensible dans la bonne acceptabilité de, par exemple, la route
monte avec peine jusqu’au sommet. Mais en même temps, cette interprétation trouve
rapidement ses limites, avec notamment les phénomènes de défectivité liés au temps et à
la spécificité : * la route est montée avec peine jusqu’au sommet, ou ? telle route monte
plus péniblement que telle autre. Cf. notre discussion immédiatement ci-dessous.

Histoire Épistémologie Langage 26/I (2004) : 07-42 © SHESL


VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 33

une sphère subjective (le conceptualiseur, instance de représentation


d’objets et d’événements objectivés) ;
- au plan linguistique, en supposant également acquise la séparation entre
argument et prédicat, selon un modèle trop exclusivement syntaxique.
Or les lexèmes route, chemin, escalier, etc., incorporent des aspects
prédicatifs essentiels, qui se spécifient en termes de perspectives de
mouvement, d’accès, de parcours. Et corrélativement les routes, chemins,
escaliers de notre monde pratique ne sont pas des « objets » disjoints de ces
mêmes perspectives 37. Les exemples ci-dessus expriment directement que,
constitutivement, tel lieu qualifié par le mot route, présente les qualités d’une
ascension, telle étendue qualifiée par le mot champ, présente les mêmes
qualités, ainsi que tel support d’une progression rythmée, « échelonnée »,
caractérisé par escalier. Les énoncés en cause ne présentent de particularité
d’emploi que si l’on s’attache à distinguer les actants mobiles et autonomes,
des actants qui sont des synthèses de mouvements, des projections et des
modalités de parcours. Ce qui, bien sûr, est légitime à un certain niveau de leur
saisie. Mais les explications que nous critiquons s’adossent trop exclusivement
à ce qu’elles ont constitué comme une nécessité pour elles, à savoir de disposer
d’un espace qui ne serait là que pour servir de balise et de support aux
mouvements d’actants, individués à la façon de mobiles sur des trajectoires
extérieures. À cela nous opposons une autre vision du champ, où la dissociation
entre actants, procès et cadre n’a pas à être assumée de la même manière, et où
le modèle mobile-trajectoire n’est plus qu’une vision particulière et réductrice
du mouvement 38. Pour rester sur nos exemples, on voit ainsi qu’il est
nécessaire de préserver dans l’analyse cette phase où le sujet (route, chemin,
escalier) est en cours de constitution dans le cours même de l’énonciation ; et
où, de façon solidaire, le prédicat monter ne fait qu’évoquer, ou esquisser, son
sens supposé être de référence — celui d’un mouvement actualisé comme
déplacement d’un mobile.
En somme, il n’est pas besoin d’instance « subjective » supplémentaire (le
« conceptualiseur » qui cheminerait mentalement sur la route pour que celle-ci
puisse monter) pour dire qu’une route qui monte est une route montante : non
seulement parce que la route n’est route qu’à raison d’un projet ou d’une
perspective anticipée de tels mouvements ; mais encore parce que ces
mouvements eux-mêmes ne sont que d’éventuelles expressions, des tracés si
l’on veut, mais à l’état d’esquisse ou d’ébauche, d’une perspective constitutive
__________

37. Encore une fois, nous défendons nos thèses sur un terrain qui peut paraître difficile, ou
délicat pour elles. Si au contraire, nous nous placions dans des registres que d’aucuns
diraient plus notionnels, ou abstraits, ces thèses se présenteraient sans doute sous un jour
plus intuitif (par exemple, dans les expressions idiomatiques comme route du bonheur,
chemin de la sagesse / du succès).
38. Pour une refonte phénoménologique du concept de mouvement, dans la suite de
M. Merleau-Ponty et J. Patočka, on pourra se reporter aux travaux de R. Barbaras (1998,
2003).

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34 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

saisie prioritairement dans sa phase inchoative (comme le signifie nettement


l’expression prendre la route).
Notre thèse trouve aussi à s’illustrer dans les phénomènes de forte
défectivité, liés à cette individuation particulière des actants et des procès que
les prémisses des linguistiques cognitives leur rendent difficile de prendre en
compte. Ainsi :
? La route était en train de monter.
*La route est monté(e) jusqu’au sommet.
? Telle route monte plus péniblement que telle autre.
Ces derniers exemples montre que c’est précisément lorsque l’extériorité
mutuelle des prédicats et des arguments est poussée trop loin que l’énoncé
devient impossible, dans la mesure où il ne reste plus alors comme valeur du
mouvement que celle d’un mobile suivant une trajectoire (ce qui requiert ici un
sujet de type animé, i.e. auto-mobile). Ce n’est qu’en restant en deçà d’une
dualité fixité / animation (elle-même tributaire de la dualité objectif / subjectif),
que l’on peut comprendre la complexité des profilages, qui tantôt embrassent
une modalité globale d’un mouvement de constitution (la route serpente à
travers les bois), tantôt resserrent le cadrage (la route zigzague à travers les
bois), tantôt profilent des alternances de fenêtrages, tout en maintenant une
identité continuée (la route ne cesse de monter puis de descendre).
Plus généralement, nous insisterons sur l’impératif de ne pas considérer
mouvement et / ou action uniquement dans leurs phases les plus extériorisées,
objectivées, ou ontologisées (sous la forme par exemple de distinctions
accomplies entre changement et mouvement, ou entre entités et processus). De
telles réductions entraînent, soit vers une conception de la spatialité comme
cadre extensionnel préformaté pour des repérages de déplacements, soit vers
une codification des dimensions praxéologiques en termes de rôles actantiels, là
encore formatés d’avance. À l’inverse, pour nous, les anticipations
praxéologiques pertinentes ne se reconnaissent qu’à la condition de ne pas
dissocier l’action-mouvement en espace d’abord (site / cadre de déroulement),
modalités ou manières ensuite, rôles casuels enfin ; et à la condition
d’envisager du même coup des niveaux variables d’individuation, et de
dissociation entre actants, cadres et procès.
IV.3 Sur la distinction inergatif / inaccusatif
Une autre possibilité serait de prolonger cette discussion dans un contexte
plus grammatical, et de se rattacher à la distinction entre verbes inaccusatifs et
inergatifs, en elle-même fort problématique, mais qui a incontestablement une
résonance particulière s’agissant des verbes de mouvement 39. Comme les
autres langues romanes, le français répartit ses verbes sur les deux pôles, ce qui
__________

39. Sans rappeler ici la très abondante littérature sur le sujet, signalons le récent article de
G. Legendre et A. Sorace sur les langues romanes (2004) ; également l’intéressante
discussion de R. Forest (1995).

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 35

au passage montre que sa caractérisation comme langue verb-framed est


largement caricaturale.
Rappelons la version configurationnelle pure et dure de l’hypothèse
inaccusative, telle que signalée dans Legendre & Sorace (2004). Selon cette
hypothèse, les verbes intransitifs se répartissent en :
• Inergatifs, qui ont pour argument unique un sujet agent profond : [NP [VP
V]]
• Inaccusatifs, qui ont pour argument unique un objet direct, promu en
surface en position sujet : [VP V NP].
De nombreuses tentatives d’inspiration syntaxique, se limitant en général à
des sémantiques restreintes (thêta-rôles, rôles casuels), ont été faites pour
établir et rendre mieux opératoire cette distinction. Un verbe inaccusatif, par
exemple, aurait un sujet de surface qui réalise un rôle de patient ou
d’expérienceur ; il s’intègrerait à des jugements thétiques de survenance, ou
d’existence (Paul arrive, le temps passe). Les inergatifs seraient plutôt du côté
de l’activité, c’est à dire tout aussi bien du côté ce qu’on appelle sa ‘manière’,
sans considération de bornage (marcher, nager). Certaines approches, dites
projectionnistes, cherchent à stabiliser cette distinction au niveau d’entrées
lexicales considérées hors énoncé. D’autres, dites constructionnelles, refusent
d’assigner par avance au niveau des entrées lexicales un statut définitif aux
arguments, et veulent déterminer la distinction à partir de la conjonction entre
les constructions et ces mêmes unités (Legendre & Sorace 2004, p. 189-190).
Certains tests ont été proposés pour soutenir l’idée d’une telle partition.
Mais il est apparu qu’en réalité ils conditionnent des distributions qui ne se
recouvrent pas. On cite la plupart du temps les critères suivants, que nous
énonçons ici sous une forme délibérément sommaire :
- L’auxiliaire au passé composé : ETRE est un indicateur de l’inaccusatif,
AVOIR de l’inergatif.
Je ( suis + *ai) allé, arrivé, entré, parti, venu
Je (*suis + ai) couru, sauté, nagé
- La cliticisation partitive : admissible avec les seuls inaccusatifs.
il en arrive / tombe sans cesse
*il en marche / nage sans cesse
- L’ordre Verbe-Sujet : admissible avec les seuls inaccusatifs.
il arrive / vient / paraît / de nombreux touristes
*il court / nage / saute / danse beaucoup de touristes
- Le passif impersonnel : admissible avec les seuls inergatifs.
Il a été couru / dansé sur cette piste
*Il a été monté / parti ici
- Les constructions participiales : admissible seulement avec des
inaccusatifs.
Paul arrivé / parti / sorti, la réunion commença
*Paul couru / sauté, la réunion commença
mais : * Paul allé (alors que aller est en première approche inaccusatif)

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Comme nous l’avons dit, ces tests s’avèrent modérément fiables, si l’on
cherche à les corroborer les uns par les autres. Même en les combinant, ou en
les pondérant, il s’est avéré difficile d’établir des règles permettant de définir
les classes lexicales recherchées.
On constate en réalité que ces distinctions, venues au départ d’un contexte
de typologie syntactico-lexicale, mettent aussi en jeu la question de savoir
ce qu’est une « activité agentive sans déplacement », par opposition à un
« changement dynamique télique », pour reprendre les termes de Legendre et
Sorace (2004). L’« activité » polariserait la classe des inergatifs, le
« changement » celle des inaccusatifs. L’unique argument de surface des
inergatifs aurait le statut d’un agent contrôlant une action, sans qu’elle
s’applique à un objet détaché (par définition de l’intransitivité), celui des
inaccusatifs serait plutôt un patient, ou le siège d’un procès de transformation
sous l’horizon d’une visée (« télicité »).
Toutefois, la distinction se brouille en fonction de traits aspectuels ou
d’arguments supplémentaires, qui tendent à faire de ces phénomènes plutôt des
effets de leurs modalités de constitution dans des contextes discursifs, qui eux-
mêmes se décrivent mieux en termes de champ, de modulation attentionnelle,
de distribution et d’individuation des fonds et des formes 40.
Ainsi, la sélection de l’auxiliaire être par les inaccusatifs semble indexée
avant tout sur une phase résultative, combinée à une forte dimension télique.
C’est précisément dans cette mesure que certains verbes, facilement classés
comme inergatifs, peuvent aussi, bien que peut-être marginalement, accepter
être pour auxiliaire.
L’avion a atterri vs à cette heure, votre avion doit certainement être atterri.
Il est reconnu que certains verbes (monter, passer), plutôt indexés sur des
phases médianes (au sens de Boons 1987), admettent dans de bonnes
conditions les deux auxiliaires, la sélection se faisant en fonction de ce critère
de phase (et d’une évaluation différentielle des alternances possibles), et non
d’une appartenance à une classe fixe :
il a monté la colline vs il est monté sur la colline.
il a passé par ici vs il est passé à huit heures.
Insistons sur le caractère paradoxal de ces oppositions : c’est lorsque la
progressivité et l’ergativité sont les plus accentuées (a monté, a passé) que la
télicité est résorbée ; inversement, ces mêmes progressivité et ergativité sont
__________

40. Dans un autre contexte théorique, et pour refléter la gradualité de la distinction


inergatif / inaccusatif, Sorace avait proposé une hiérarchie de traits conditionnant, par
exemple, la sélection de l’auxiliaire : changements de lieu, d’état, continuation d’un état
préexistant, processus incontrôlé, contrôlé (avec ou sans mouvement). Nous dirons
simplement que ce type de présentation, si utile qu’elle puisse être, tend encore trop à
rapporter la question à une vision étroitement lexicale. Du même coup, cette démarche
détache trop l’acceptabilité syntaxique des phrases, des dimensions de cohérence, voire
d’harmonie, proprement énonciatives et discursives.

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 37

neutralisées par la perspective d’une télicité englobante, dont il faut souligner


qu’elle n’est pas nécessairement programmée dans une intention préalable,
mais seulement indexée sur un repère extérieur au procès, qu’il soit local ou
temporel (est monté, est passé) 41.
De même, nous soulignerons, à la suite de Forest (1995, p. 181, sq.), que la
proposition participiale est sensible, non seulement à des facteurs aspectuels
(accompli, résultatif), mais aussi à des facteurs « empathiques » (en un sens
quelque peu différent de ceux que nous avons évoqués plus haut) :
(a) *Pierre couru, nous sommes passés à table
(b) ? Pierre arrivé, la pluie a commencé à tomber
(c) Pierre enfin arrivé, nous sommes passés à table.
Ces exemples illustrent bien ce que Forest, à la suite de S. Kuno, appelle
empathie: il s’agit dans ce cas d’un principe d’intéressement et d’harmonisation
discursif, « empathiquement » assumé par le ‘foyer énonciatif’, et auquel
doivent s’intégrer les deux propositions. La différence d’acceptabilité entre (b)
et (c) tient au fait que la participiale dans (c) se présente comme condition pour
la réalisation du contenu de la principale, du point de vue d’une perspective
identiquement partagée par le foyer énonciatif et en outre, dans ce cas, par
l’ensemble des actants.
Faisant suite à ces remarques concernant agentivité / télicité et empathie,
illustrons, à partir des autres critères, d’autres dimensions encore de cette
constitution discursive du champ, qui s’inscrivent plus nettement dans le cadre
de notre discussion de l’analogie, ou du modèle perceptif en sémantique. Ainsi,
les verbes classés inergatifs passent pour réagir négativement au critère de
cliticisation partitive. Or, il suffit d’élargir le discours pour mettre en œuvre des
points de vue qui affectent le mode de constitution des entités, dans un champ
mieux compris en termes perceptuels. Si l’on peut en effet admettre
l’inacceptabilité du deuxième des énoncés suivants :
des camions, il en arrive beaucoup ici
?des camions, il en zigzague beaucoup
on acceptera par contre très facilement :
des camions, il en roule beaucoup ici.
Cette acceptabilité contradictoire avec le classement de rouler comme verbe
inergatif tient sans doute au fait que le « processsus » de roulement n’est pas
__________

41. Dans des usages moins standards, on retrouve avec l’auxiliaire être des verbes pourtant
classés inergatifs, comme courir (il a couru chez le médecin), par exemple pour
accentuer un effet de survenance, de ponctualisation : aussitôt je suis couru chez le
médecin. En sens inverse, citons H. Bauche dans Le Langage populaire (1916, Payot,
p. 112) : « le verbe avoir remplace souvent comme auxiliaire le verbe être dans les
verbes neutres [i.e. en emploi intransitif] ou pronominaux. Exemple : « je suis monté au
second », devient j’ai monté au deuxième ; « je suis sorti dans l’après-midi », j’ai sorti le
tantôt ; « il est rentré ce matin », il a rentré ce matin ».

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38 P. CADIOT, F. LEBAS, Y.-M. VISETTI

envisagé sur un mode distributif au niveau de chaque camion, ni non plus


conçu comme déplacement. On construit plutôt sur un mode holistique une
scène de camions en mouvements (ou de mouvements de camions), qui advient
à la façon d’un événement global, indexé sur un « site » ou un point de vue
particulier (par exemple celui d’un riverain), selon lequel les camions sont des
aspects du mouvement plutôt que ses agents (on reconnaît ainsi une marque
essentielle de l’inaccusativité). De même, si tout pousse à rejeter comme
inacceptable une phrase isolée comme *il en skie beaucoup, on tolèrera dans
maintes circonstances énonciatives un énoncé plus complet, comme dans cette
station, des enfants, il en skie beaucoup, ou même, à la limite : ici, des
touristes, il en nage beaucoup.
Le critère de l’ordre Verbe-Sujet illustre les mêmes fonctionnements de
verbes pourtant classés inergatifs. Si l’on repousse a priori un exemple comme :
*il danse beaucoup de touristes
on acceptera plus facilement l’enrichissement suivant :
Sur cette piste, il a dansé beaucoup de vedettes d’un soir.
Là encore, on peut parler d’une saisie holiste, c’est à dire non distributive et
massifiée, qui fait l’objet d’un jugement thétique, où le pluriel pointe, non un
décompte d’individus, ni même, à l’inverse, une collectivisation, mais plutôt
une réitération d’événements indexée et unifiée par le site 42.

CONCLUSION

Ces dernières considérations peuvent sembler digressives par rapport au


sujet de cet article. En réalité, les phénomènes exemplifiés sous ces différentes
rubriques se comprennent mieux en termes de champs perceptuels et de
dynamiques de constitution. Evitant l’écueil d’une approche purement lexico-
syntaxique, et celui, symétrique, d’une approche qui se voudrait sémantique,
parce qu’elle s’appuierait à une ontologie préconstituée du mouvement et des
entités, l’approche que nous proposons inscrit le procès de constitution à la
source de la diversité des effets de sens, en écho avec celle des constructions.
C’est ainsi que nous installons le principe d’une diversité constitutive des
valeurs prises par un même lexème, entre agentivité / ergativité « forte » et
passivité / ergativité « faible », entre dissociation, ou au contraire
indifférenciation, des actants, des procès et des sites, entre événementialité liée
__________

42. On peut souligner le caractère holiste de la théticité elle-même, à saisir entre position
d’existence et localisation. Encore une fois, cette forme de théticité ne fait pas des entités
la source de l’activité qui leur est par ailleurs attribuée, ni n’individue et ne positionne
séparément les dites entités. Celles-ci deviennent des aspects de la scène globalement
visée, un peu comme dans les énoncés météorologiques (la pluie tombe, il pleut), dans
les constructions impersonnelles (il lui arrive de gros ennuis), et sans doute, pour une
part qui reste à préciser, dans les constructions intransitives qui s’interprètent sur le
versant inaccusatif (le rideau tombe, et même la montre marche).

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VERBES DE MOUVEMENT ET DYNAMIQUES DE CONSTITUTION 39

à un point de vue externe, et transformation vue sous un angle plus intérieur et


qualitatif.
À notre sens, il serait impossible de rapporter ces variations à des entrées
lexicales décrites sur un mode univoque, et qui procèderait d’une séparation
entre lexique et discours. Ce que nous préconisons, c’est de rapporter les
différents profils (y compris syntaxiques) des lexèmes à des régimes de
formation anticipant les diverses phases de la constitution du champ sémantico-
discursif. C’est en même temps tout le jeu des catégories sémantiques et
aspectuelles, comme télicité, perfectivité, résultativité, agentivité, itérativité, et
jusqu’à la référence au mouvement et au changement, que nous proposons de
recomprendre dans les termes d’une dynamique ‘interactive’ de constitution.
Autrement dit encore, ces catégories ne sont ni des termes primitifs, ni des
propriétés assignées à des unités qui en seraient de toute façon les dépositaires,
mais des propriétés émergentes avec le discours, qu’il faut éviter de faire
converger d’avance selon des pré-jugés ontologiques.
Si l’on veut absolument continuer de penser le lexique en termes
d’enregistrements stockés, ce doit être au moins à la condition de ne pas l’isoler
des différentes stratifications ou phases énonciativo-discursives. Ce que l’on
appelle entrée lexicale n’est alors qu’un regroupement de divers régimes
d’anticipation, non déductibles les uns des autres par des procédés
compositionnels, ni dérivables à partir d’un modèle « ontologique » uniforme
— notamment de l’espace et du mouvement. Un mode fondamental de la
description procède alors d’une conception microgénétique du champ
sémantique, qui soit de facture perceptuelle et praxéologique, refondée
phénoménologiquement comme celle que nous avons mise en avant ici.
Quitte à nous répéter, nous insisterons en conclusion sur l’intrication
constitutive d’anticipations perceptives, praxéologiques et qualitatives, au sein
de différentes phases de constitution, et donc sur une nécessaire corrélation
avec des modes variés de différenciation linguistique entre actants, cadres et
procès. Du même coup, les constructions ne doivent pas être comprises comme
des compositions d’unités individuées a priori, mais précisément comme des
parcours de différenciation et de constitution lisibles dans la diversité de ces
phases.
Cela implique à l’évidence de ne pas isoler la question des verbes, ici
traitée, de celle d’un réexamen comparable des autres parties du discours, et
des constructions elles-mêmes.
reçu décembre 2003 adresse des auteurs :
Pierre Cadiot :
Frank Lebas :
Visetti Yves-Marie : Lattice – CNRS UMR 8094
ENS, 1, rue Maurice Arnoux
92120 - Montrouge
Email : pierre.cadiot@ens.fr, franck.lebas@lrl.univ-
bpclermont.fr, yves-marie.visetti@ens.fr

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Histoire Épistémologie Langage 26/I (2004) : 07-42 © SHESL

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