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Corrigé

Au XIXe siècle naît un courant littéraire particulier : le réalisme. Les


auteurs de ce mouvement souhaitent rompre avec une certaine tradition
romanesque dans laquelle les héros ne montrent aucune de leur faiblesse
et vivent dans un monde idéalisé. Balzac, Stendhal, Flaubert ou Zola
veulent désormais montrer le monde tel qu’il est, sans rien occulter de sa
misère, de sa médiocrité. Ils ont pour but de reproduire le réel le plus
fidèlement possible. Balzac se déclarera même journaliste et Zola,
scientifique. Mais nous pouvons nous demander : « Lorsque le
romancier crée des personnages, ne cherche-t-il qu’à reproduire le réel ?
» N’est-il pas réducteur de réduire le roman réaliste à une simple
imitation du réel ? Le roman, genre libre et protéiforme (qui peut
prendre toutes les formes possibles), peut-il – doit-il - se cantonner à une
reproduction quasiment photographique du réel ? Nous verrons dans une
première partie comment le romancier peut s’inspirer de la réalité qui
l’entoure pour décrire le monde dans lequel il vit. Puis, nous montrerons
que, malgré toutes les déclarations de principe des écrivains, leurs
œuvres sont une reproduction déformée, de la réalité. Finalement, nous
examinerons en quoi le propre de toute œuvre littéraire est d’être une
recréation de la réalité.
Corrigé
I) Une imitation du réel
1) Les romanciers puisent leur inspiration dans la réalité.
a) Faits divers
Les romanciers réalistes, notamment, se sont fixé pour objectif de
reproduire le réel. Ainsi, pour créer leur œuvre, ils s’inspirent du monde
qui les entoure. Certains puisent dans les faits divers. Flaubert écrit Mme
Bovary après avoir lu dans un quotidien, l’histoire d’une femme qui
s’était suicidée en province. Emma Bovary est la fille d’un riche paysan,
élevée dans un couvent et qui a passé son adolescence à lire des romans
d’amour à l’eau de rose. Lorsqu’elle épouse Charles Bovary, elle croit
trouver en lui le prince charmant de ses lectures enfantines. Rapidement
déçue par son quotidien de femme au foyer et par la médiocrité de son
mari, elle essaie de réaliser ses rêves d’amour passionné auprès de ses
amants, qui se montreront aussi veules que rustres. Définitivement
désillusionnée par la vie, elle finit par avaler de l’arsenic afin de mettre
fin à ses jours. Ce roman inspiré d’un fait réel, illustre le mal-être de ces
femmes qui croient au prince charmant.

b) Histoire et histoire personnelle


Si certains s’inspirent de faits divers, d’autres puisent dans l’Histoire.
Ainsi, Victor Hugo écrit-il Quatre-vingt-treize, véritable fresque
historique sur la révolution française. Les écrivains peuvent aussi décrire
la société qui leur est contemporaine. Kundera, dans L’Insoutenable
légèreté de l’être, nous parle de la répression qu’exerce le régime
communiste en Tchécoslovaquie. À travers Thomas, le protagoniste du
roman, il raconte comment le régime persécutait son peuple. Médecin,
Thomas a été obligé d’arrêter son métier et a dû devenir ouvrier pour
subsister.
Marcel Proust, lui, s’inspire de sa propre vie pour créer ses personnages,
et ses protagonistes lui ressemblent beaucoup. En effet, dans Un Amour
de Swann, on retrouve le personnage de l’intellectuel parisien qui
souffre de névroses. Que les écrivains s’inspirent de faits divers, de
l’Histoire, de la société ou de leur histoire personnelle, ils cherchent à
reproduire le monde qui les entoure afin de trouver une forme de vérité
humaine ou historique.

2) L’illusion du réel
a) Description et cadre spatio-temporel réalistes
Ainsi, les romanciers s’attachent à retranscrire sous forme romanesque
une expérience réelle, qu’elle soit ou non la leur et, par là, imitent le réel
dans la création de leurs personnages, comme dans l’élaboration de leur
intrigue. D’ailleurs, ils utilisent tout leur savoir-faire pour donner à leur
lecteur « l’illusion du vrai », notamment en inscrivant leurs personnages
dans un cadre spatio-temporel réaliste et précis. La première page
de L’Éducation sentimentale de Flaubert commence par la description
extrêmement précise d’un bateau, la Ville-de-Montereau : le lecteur voit
tout, jusqu’à la fumée qui s’échappe de la cheminée du bateau. Il entend
l’agitation qui règne sur le bateau qui s’apprête à partir. Il connaît
exactement le jour et même l’heure qu’il est, une date réelle qui s’inscrit
dans l’actualité du romancier. Les personnages sont décrits
minutieusement, jusqu’aux moindres détails. Ainsi, le romancier
présente-t-il un cadre qui s’inscrit dans une temporalité très précise.
Bien sûr, tous ces détails sont faux, puisqu’il s’agit d’une histoire
fictive. Si l’auteur s’ingénie à les retranscrire, c’est pour donner au
lecteur une impression de réel. Il parvient ainsi à produire une réalité,
qu’on pourrait qualifier de fictive, avec une extrême précision.

b) Description de la misère du monde


Les écrivains réalistes souhaitent montrer tous les aspects de la société,
les meilleurs comme les pires. Ils pensent en effet que le roman ne doit
pas se limiter aux seules couches aisées de la société, mais doit dire
aussi la condition des pauvres gens, de ceux qui ne sont ni beaux, ni
nobles, et qui vivent dans des conditions épouvantables. Dans
L’Assommoir, Zola décrit la misère de Gervaise et de sa famille.
Abandonnée par le père de ses enfants, l’héroïne réussit à survivre en
travaillant, malgré son handicap, comme une bête de somme. Elle
rencontre un ouvrier qui l’épouse et, avec son aide, monte une
blanchisserie. Mais son mari se casse la jambe en tombant d’un toit et
devient alcoolique. Commence alors une descente aux enfers pour la
famille, qui va peu à peu sombrer dans l’alcool et la misère. La
description de l’hiver qui arrive est très émouvante et nous montre les
conditions terribles dans lesquelles les pauvres gens vivaient à cette
époque.
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II) Une déformation du réel
1) Des personnages hors du commun
a) Les héros des romans de chevalerie
Stendhal dira que le roman est « un miroir qui se promène sur une
grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange
des bourbiers de la route ». Mais est-il vraiment possible de recréer
artificiellement la réalité ? Rien que matériellement, il serait beaucoup
trop long et fastidieux de relater le moindre petit événement de
l’existence. Et surtout cela serait-il intéressant ? Nous verrons donc que
le roman ne saurait se réduire à une simple imitation du réel, et qu’il
apparaît plutôt comme un miroir déformant de la réalité.
En effet, nombre de romans mettent en scène des personnages hors du
commun. C’est d’ailleurs ce que nous prouve Don Quichotte de
Cervantès. Cet hidalgo (petit noble espagnol) décide de sillonner son
pays afin de défendre et secourir les plus vulnérables. Il tire cette idée
saugrenue des romans de chevalerie médiévaux qu’il a passé sa vie à
lire. Il a pour modèle de grands chevaliers aussi nobles de cœur que
d’esprit, capable de réaliser des exploits et passant leur vie à sauver
veuves et orphelins. Mais cet idéal chevaleresque ne peut exister que
dans les livres. Don Quichotte va se heurter à la dure réalité. Il sera
ridiculisé, spolié et blessé dans sa quête d’héroïsme, car en voulant
concrétiser l’héroïsme dans le monde réel, on se bat contre des moulins
à vent. Les romans de chevalerie avaient pour objectif de faire rêver leur
lecteur en leur offrant une image idéalisée de la nature humaine, et il
fallait avoir l’esprit exalté de Don Quichotte pour les prendre pour
argent comptant.

b) La Princesse de Clèves : noblesse, beauté physique et morale


Les auteurs, au XVIIe siècle notamment, ne parlent pratiquement que
des plus hautes strates de la société. La Princesse de Clèves est une
femme noble et donc, selon l’idéologie de cette époque, belle au
physique comme au moral. En effet, l’on pensait alors que la noblesse de
sang se reflétait naturellement dans le physique et le cœur. Ainsi, le duc
de Nemours et la Princesse de Clèves se reconnaissent et tombent
amoureux immédiatement. La scène de leur rencontre au bal montre un
univers idéalisé où les gens sont beaux, vertueux, et évoluent dans un
décor à leur image. Mme de Lafayette nous donne la preuve dans son
ouvrage qui, rappelons-le, s’inscrit dans un cadre historique réel, que les
romanciers peuvent créer un monde et des personnages idéaux qui n’ont
rien de réaliste.

2) L’imaginaire illimité du roman


a) Le roman de science-fiction
Ainsi, les personnages ne sont pas toujours une simple imitation du réel,
loin s’en faut, mais sont aussi des êtres idéalisés, voire de vrais modèles,
relevant parfois d’un univers totalement fictionnel. En effet, le propre du
roman est de n’avoir pas de règles, il est un genre protéiforme,
autrement dit capable de changer complètement d’apparence et de passer
d’un certain réalisme à une fantaisie débridée comme dans les romans de
science-fiction. Dans Le Seigneur des Anneaux, Tolkien met en scène un
univers complètement féérique où les elfes côtoient hobbits et dragons.
Ce roman n’a rien de rationnel, il n’a pour but que de nous faire rêver en
créant un univers féérique et guerrier. Le roman n’a aucune borne à son
imagination.

b) Le roman fantastique : entre rationnel et irrationnel


Les romanciers peuvent inventer un monde totalement imaginaire, mais
sont aussi capables de brouiller les pistes entre la réalité et le surnaturel.
C’est en effet le propre du roman fantastique, qui insère dans un cadre
totalement réaliste, un événement qui ne peut s’expliquer de façon tout à
fait rationnelle. Pensons à La Vénus d’Ille de Mérimée, qui met en scène
un meurtre, dans un petit village de province. Le narrateur qui a fait une
halte dans une auberge ne croit pas aux soupçons qui se portent sur une
statue qui aurait pris vie durant la nuit pour tuer le fils de son hôte. Mais
il aperçoit dans la nuit ses yeux briller… On ne saura jamais la cause de
cette mort dramatique : est-ce la statue de la Vénus d’Ille qui est venue
accomplir cette vengeance ? Ainsi, le roman peut créer une atmosphère
surnaturelle. La tâche du romancier peut donc aussi consister à nous
faire rêver et à explorer les champs de l’imaginaire. En tant que création
artistique, le roman semble davantage une recréation du monde, qu’une
simple imitation du réel.
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III) Une recréation esthétique du monde
1) Le projet de l’auteur
a) La création d’un univers fictif capable d’illustrer la vision du
monde de l’auteur
Le roman ne peut pas être une simple photographie du monde. Il relève
d’une création à part entière, d’un nouvel objet du monde, unique et
innovant. En effet, le romancier invente une intrigue, des personnages,
des événements, des lieux, des époques… Et tous ces éléments
concourent à retranscrire une nouvelle vision du monde : celle de
l’écrivain. Par exemple, La Peste de Camus a des allures très réalistes.
L’histoire se déroule au milieu du XXe siècle, dans la ville d’Oran, où se
déclare une épidémie de peste. Les rues de la ville sont décrites
précisément, ainsi que les personnages. Mais le plus étonnant est le
réalisme des descriptions des symptômes de la maladie sur les habitants.
Les manifestations physiques de la peste sont si saisissantes qu’on
croirait être dans la ville au milieu des mourants. Et pourtant, il s’agit
d’une épidémie fictive, qui est en fait une allégorie de la guerre et de
toute forme de totalitarisme. Cette épidémie est le symbole du mal.
Rappelons que la seconde guerre mondiale vient de faire des milliers de
morts et que la génération qui a vécu ce traumatisme a du mal à trouver
un sens à cette vie qui semble si terrible. Les personnages du roman
incarnent les différentes attitudes possibles dans un contexte de crise
aussi paroxystique que celui induit par l’épidémie. Certains partiront
alors que d’autres, comme le personnage principal, le médecin, resteront
et lutteront jusqu’au bout. Ainsi, nous pouvons dire que le roman crée
un univers imaginaire, bien qu’il soit réaliste, afin d’incarner une vision
du monde et délivrer un message.

b) Une nouvelle vision du monde plus réelle que la vie elle-même


Proust dira dans À la recherche du temps perdu, que son roman est plus
réel que la réalité même. En effet, il explique qu’il cherche dans sa
mémoire des événements qu’il analyse, et dont il extrait l’essence même,
pour la retranscrire dans son oeuvre. Maupassant, quant à lui, disait que :
« le réaliste, s’il est un artiste cherchera non pas à nous montrer la
photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision la plus
complète, plus saisissante, plus probante que la vie même. ». Le
romancier, en effet, opère des choix, trie les informations qu’il livre au
lecteur, choisit chaque mot et recentre son texte sur les thèmes qui
l’intéressent véritablement. Ainsi, le romancier qui a un projet réaliste ne
se contente-t-il pas d’imiter purement et simplement le réel : il fait naître
par son écriture singulière une oeuvre unique, grâce au geste créateur de
l’écrivain.
2) L’acte créateur du romancier : symbiose d’une intrigue et d’un
style.
a) L’alchimie du fond et de la forme
Le roman renvoie au geste créateur du romancier. L’écrivain par son
style, sa façon singulière d’écrire nous délivre sa vision très personnelle
du monde. En effet, c’est l’alchimie (la fusion) de la forme (le style) et
du fond (l’intrigue), qui deviennent indissociables, qui est capable de
créer un chef-d’œuvre littéraire. Sans cette symbiose le roman reste plat
et inintéressant. Par exemple, L’Assommoir de Zola est un roman
réaliste comme nous l’avons vu précédemment. Mais il devient un chef
d’œuvre grâce au style unique de Zola, qui est capable de transformer le
quotidien en une épopée passionnante et inquiétante. Le fameux
assommoir (machine pour fabriquer de l’alcool) est décrit comme une
bête féroce prête à vous sauter dessus. Gervaise le voit comme un
monstre, qui luit dans l’obscurité. Cet accent épique donne toute son
épaisseur à l’écriture de Zola et fait de ce roman réaliste relatant la
banale existence d’une famille une véritable épopée sociale.

b) L’importance du style
En effet, le style est plus important, pour certains auteurs, que l’intrigue
; et Flaubert ira même jusqu’à dire qu’il a réussi à écrire un roman sur
rien : Un Cœur simple. Il s’agit de l’histoire d’une servante de province,
qui se prend de passion pour un perroquet. Il est vrai que l’histoire, ainsi
résumée, peut paraître peu palpitante. Et pourtant, Flaubert a écrit un
chef d’œuvre qui tire toute sa grandeur de l’alliance d’un style parfait et
d’une intrigue allégorique : la simplicité d’un cœur, plein de
dévouement, et qui ne reçoit aucun amour, aucune reconnaissance en
retour. Ainsi, les éléments de réel deviennent fiction, transformés par le
style. La réalité dans le roman est donc une utopie : le romancier n’est ni
historien, ni journaliste, il ne peut pas concurrencer l’état civil, mais
faire naître une œuvre d’art qui correspond à sa vision du monde,
retranscrite grâce à la puissance de son style.
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Le roman implique donc nécessairement un rapport avec le réel car les
écrivains puisent leur inspiration dans la réalité et sont capables de créer
l’illusion du réel grâce à différentes techniques littéraires. L’écrivain
peut choisir de se rapprocher de l’univers réel ou au contraire, s’en
éloigner et inventer un monde imaginaire. Quoi qu’il en soit, on ne peut
dissocier le roman de la création artistique. Le romancier est avant tout «
un illusionniste » comme le dira Maupassant, qui met en scène, à sa
manière, selon son style et sa vision du monde un univers qui ressemble
au nôtre, sans jamais se confondre avec lui. C’est d’ailleurs là,
certainement, l’intérêt de la littérature : nous présenter une nouvelle
vision du monde qui nous touche et nous enrichit.

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