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Argument en guise d’Introduction

Si la pertinence d’une étude littéraire suppose un enchaînement cohérent d’arguments menant


à une conclusion et ne reliant qu’à la fin deux fils distincts de l’histoire de l’art, serait-ce de
l’impertinence que d’amener sur une même scène deux figures déchaînées sans aucune filiation entre
elles, pour ne les faire confronter qu’à partir de l’idée qu’elles se ressemblent ? Avançons alors
l’hypothèse – l’intrigue de la représentation qui suit : les deux personnages, figures vagues encore, qui
n’auront qu’à se construire l’un l’autre et l’un malgré l’autre, tout au long d’une action qui ne cessera
pas après la mort : Don Juan, le personnage de théâtre, et l’artiste d’avant-garde, lui aussi, joueur.

Recommençons – Mesdames, Messieurs, bien qu’on ne soit plus au XVIIe siècle (mais
prétendons y être !) et qu’il ne faille plus se justifier moralement par avance afin d’écarter toute
présupposition de mauvaise foi, une justification s’impose par les règles du jeu. Les protagonistes
d’une telle entreprise, il faut les désigner soigneusement. Et les voilà : Don Juan, vaste mythe
littéraire, nous fera l’honneur de se présenter devant nous en personnage classique – trois textes
serviront de support, à savoir la première pièce de théâtre connue à ce sujet, L’Abuseur de Séville et
l’Invité de pierre de Tirso de Molina (1630) ; à cela s’ajoute la version peut-être la plus célèbre, Dom
Juan ou le Festin de pierre de Molière (1665) ; finalement, l’apogée du mythe, l’opéra Don Giovanni
de Mozart et Da Ponte (1787). Le choix se fonde sur un aspect commun pour les trois œuvres
susmentionnées et qui commence à manquer de plus en plus aux autres versions de Don Juan avec le
temps qui passe. Il s’agit de l’effet de choc provoqué par le défi du Ciel aux yeux des contemporains.
Le choc – et voilà comment entrent tous les deux en scène par le même trou du rideau, le Don Juan le
plus classique du théâtre et l’artiste d’avant-garde naturellement le plus anticlassique.
L’artiste d’avant-garde, alors : pour se débrouiller sur un plan si vaste et si embrouillé, il faut
d’abord requérir à une sélection : quelques images, quelques points représentatifs de ce qui est loin
d’être une unité – une sélection faite presque au hasard, qui démontrera que toute autre sélection faite,
pareillement, au hasard donnerait le même résultat sur le plan essentiel, c’est-à-dire dans l’essai de
construire un portrait – diffus, peut-être ; semblable à un collage –de l’artiste d’avant-garde. Fions-
nous donc à l’accident, qui avait conduit les dadaïstes dans leurs entreprises ; mélangeons dans un
chapeau quelques figures insolites de la première moitié du XXe siècle, et en tirons – trois noms,
vraisemblablement interchangeables, car les noms ne disent rien, même s’ils disent tout : Marcel.
Breton. Artaud. André. Antonin. Duchamp. Ou j’aurais dû écrire le nom et le prénom sur le même
morceau de papier ?

Mesdames et Messieurs de notre belle époque classique – le même hasard qui avait poussé
Duchamp à intituler son grand œuvre d’art LHOOQ nous a déterminé à imposer la condition suivante
dans le choix des trois textes sur Don Juan : que les noms des auteurs commencent par M. Oubliez-
le. Vous savez bien que cela n’est qu’un jeu – du théâtre ! Au contraire, en vérité… cette vérité que
vous chérissez autant… rien ne se passe sans le concours des causes primes. Rien n’existe en dehors
de la Raison universelle. Et alors, vous allez me demander, pourquoi procéder différemment sur
scène, car le théâtre, n’est-ce pas, reproduit justement la Raison du monde… ? Vous me mettez en
difficulté… Et bien… Voyons !


Une réserve s’impose pourtant, car il faut voir si Don Juan n’est pas en effet lui-même anticlassique, bien qu’il
apparaisse à cette époque. Le classicisme semble avoir créé un personnage qui le provoque, le contredit, n’ayant
rien des valeurs de la rigueur et du sens de la mesure.

Le hasard.

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