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Projet

éducation des Roms | Histoire


Council Conseil
enfants roms
of Europe de l´Europe
en Europe L’Empire
2.1
Ottoman

L’empire ottoman Elena Marushiakova


Veselin Popov

Sources historiques relatives aux « Tsiganes » sous l’empire | Les « Tsiganes » dans les registres des impôts |
Loi concernant les « Tsiganes » dans la province de Rumélie | Le « Sanjak tsigane » – Les Roms dans l’armée
ottomane | Le « sanjak tsigane » : les Roms dans les services auxiliaires de l’armée | Le registre fiscal du sultan
Suleiman Ier le Magnifique | Mesures contre le nomadisme, sédentarisation des « Tsiganes » | Comment les
Roms gagnent leur vie | Déclin de l’empire ottoman | Statut juridique des « Tsiganes » : législation officielle et
réalité quotidienne | Début de l’émancipation des Roms

Les Roms dans les Balkans ne vivaient pas isolés de leur environnement culturel et historique ;
au contraire, ils en faisaient partie intégrante et, par conséquent, ont été nettement influencés par
les divers peuples de la région. Un nombre important de Roms sont restés dans les Balkans pendant
des siècles, d’autres en sont partis il y a plus ou moins longtemps, emportant avec eux des modèles
culturels et des traditions hérités de ces contrées. L’empire ottoman a dominé les Balkans pendant
plus de cinq siècles et laissé une profonde empreinte sur la culture et l’histoire de la région. De sorte
que le rôle de cet empire est un facteur clé de la formation et de l’évolution du peuple rom.

slovaquie

Empire ottoman Ill. 1


Hongrie Moldavie
Nikopol
Empire ottoman 1359 Transylvanie
Mer
Empire ottoman 1451 croatie Crimée d’Azov
Empire ottoman 1451-81
WalLachie
Empire ottoman 1512-20 Bosnie
Empire ottoman 1530-66
Serbie Sofia Sliven Me r N o i r e
Empire ottoman 1566-1683
Rumélie Kirklareli
Empire ottoman 1856 edirne Istanbul
Prilep
Italie
Conquête - Dates
Albanie

Edirne 1361, Sofia 1364, Mer


égée
Bulgarie 1393-96, Wallachie 1393,
Constantinople 1453 (Istanbul),
Morea 1458-60, Serbie 1459, Morea
Bosnie 1463, Crimée 1475, Tunis Rhodes
Albanie 1478, Moldavie 1504, Alep
Crète
Damas 1516, Alep 1516, chypre
Égypte 1517, Tripoli 1521, Me r m éd i t e r r a n ée
Rhodes 1522, Transylvanie 1541, Tripoli
Chypre 1571, Tunis 1574,
Crète 1669
damas
égypte

Introduction

L’empire ottoman (1299-1922) a ex- souvent que les Balkans sont « la deu- était concentrée dans les Balkans, de
ercé une grande influence sur le cours xième patrie des Roms », soulignant sorte que ces derniers revêtent une si-
de l’histoire mondiale, ainsi que sur le ainsi l’influence capitale exercée par gnification particulière pour son destin
sort spécifique de plusieurs peuples qui cette région sur l’histoire, la culture et historique et pour la compréhension de
en ont fait partie pour une période plus la langue des intéressés. La majorité de la situation contemporaine de la com-
ou moins longue. Les experts déclarent la population rom de l’empire ottoman munauté.
Sources historiques relatives aux « Tsiganes » sous l’empire
Les « Tsiganes » dans les registres des impôts
Loi concernant les « Tsiganes » dans la province de Rumélie
Le « sanjak tsigane » – Les Roms dans l’armée ottomane

Certains des articles les plus importants de la « Loi concernant les Tsiganes dans la province de Rumélie », promul-
guée par le sultan Suleiman Ier le Magnifique se lisent comme suit :

« 1. Les Tsiganes musulmans de Stamboul, Edirne et autres villes de Rumélie paient 22 akches pour chaque ménage et chaque célibataire.
Les Tsiganes infidèles (chrétiens) payent 25 akches et, s’ils sont veufs, 1 akche.
2. Ils paient un droit de mariage et les amendes pour les crimes et délits, comme le reste de nos sujets. [...]
3. Les Tsiganes qui persistent dans l’errance et se soustraient à leur district judiciaire en se cachant dans un autre ou dans les cours, s’ils
sont découverts, sont admonestés, sévèrement punis et ramenés dans leur district. [...]
4. Les amendes, impôts habituels et pénalités pour infraction pénale grave infligés aux Tsiganes par le sanjak tsigane appartiennent au chef
dudit sanjak. Aucun membre de l’administration locale ou des forces armées ne doit interférer. Les exceptions à cette règle concernent les
seuls Tsiganes enregistrés comme paysans dans un fief ou un domaine du sultan.
5. Les impôts frappant les Tsiganes des terres féodales susmentionnées sont collectés par le dirigeant des Tsiganes. Le chef du sanjak tsi-
gane, les chefs des régions dans chaque province, la police et les tiers n’ont aucun droit d’interférer en la matière.
6. Si des Tsiganes musulmans commencent à nomadiser avec des Tsiganes non musulmans, à cohabiter avec eux et à se mélanger à eux, ils
doivent être admonestés ; une fois punis, les Tsiganes infidèles doivent payer l’impôt comme d’habitude.
7. Les Tsiganes en possession d’une autorisation du sultan doivent acquitter l’impôt du sultan et non l’impôt foncier … et les autres impôts
habituels. »
Ill. 2 (extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov 2001, p. 32)

de la population et contrôlait stricte- semble indiquer l’application dans ce


Sources Historiques ment sa vie quotidienne. Les habitants domaine du principe de la responsabilité
relatives aux « Tsiganes » étaient aussi classés hiérarchiquement limitée du groupe.
sous l’Empire en diverses catégories dont les princi- La toute première mention des
pales étaient les « vrais croyants » (les « Tsiganes » dans la documentation fisca-
La première migration de Roms en Asie Musulmans) et les « infidèles » (la popu- le de l’empire ottoman remontre à 1430
mineure et dans les Balkans, sur les ter- lation chrétienne soumise). Ces catégo- et se trouve dans le Registre des Timars
ritoires de l’empire byzantin, remonte ries étaient traitées différemment et leurs (une espèce de propriété foncière) pour
à bien avant le XIVe siècle. De grands membres respectifs jouissaient d’un sta- le sanjak (circonscription administrative)
nombres de Roms arriveront plus tard à tut spécifique et d’obligations variées à de Nikopol, dans lequel 431 ménages
l’époque des invasions ottomanes aux l’égard de l’État central. « tsiganes » sont enregistrés, soit 3,5 %
XIVe et XVe siècles. Ils participent di- du total répertorié. Sur la base de ce pre-
rectement à ces invasions (surtout à ti- mier registre et de documents historiques
tre de soldat auxiliaire ou d’artisan au Les « Tsiganes » dans postérieurs, il devient clair que la majo-
service de l’armée) ou font partie de les registres des impôts rité des « Tsiganes » sont sédentarisés et
la population accompagnant les enva- se distinguent par leur appartenance eth-
hisseurs. Certains de ces Roms suivent Tous les sujets de l’empire ottoman sont nique et non par leur mode de vie.
l’armée dans ses incursions de plus en tenus d’acquitter divers impôts et sont Souvent, les « Tsiganes » figurent
plus profondes en Europe, mais une très inscrits dans plusieurs registres fiscaux. dans les registres fiscaux ordinaires de
grande partie d’entre eux reste dans les Les documents ottomans existants re- leurs circonscriptions territoriales re-
Balkans. flètent avec force détails le désir de spectives, par exemple dans la série de
Ils figurent dans divers documents l’administration d’incorporer la popu- documents administratifs et juridiques
officiels du Gouvernement ottoman et de lation « tsigane » dans ses registres et visant la population de la province de
l’administration locale, surtout dans les de lui faire payer les impôts requis. Les Rumélie (incluant la quasi-totalité de la
registres détaillés des impôts, ainsi que « Tsiganes » sont intégralement décrits péninsule des Balkans). Certains regis-
dans nombre d’ordonnances judiciaires par âge, par occupation et par situation de tres spéciaux visant uniquement les « Tsi-
visant des questions très diverses (ci- famille et, en fonction de ces facteurs et ganes » et dont les plus anciens remon-
viles, économiques, religieuses et fami- d’autres considérations, classés en grou- tent à 1475 — c’est-à-dire l’époque de
liales). Le système social, politique et pes fiscaux (jemaats) dirigés chacun par Mehmet II Fatih (Le Conquérant) — ont
économique ottoman était extrêmement un chef ; les communautés sont, à leur été préservés. C’est le cas, notamment,
complexe et reposait sur une structure tour, divisées en unités plus petites, en du registre répertoriant les « Tsiganes »
administrative, économique et religieuse fonction du quartier/campement rom de chrétiens acquittant le jizie (une capitati-
largement dominée par les militaires. Ce chaque ville ou village. Chacune de ces on frappant les non-Musulmans) depuis
système compliqué couvrait l’ensemble unités dispose de son propre chef, ce qui 1487-1489. Il répertorie 3 237 ménages


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Le décret du sultan Selim II


se lit comme suit :

« Les communautés tsiganes se trouvant en


Bosnie sont totalement exemptées de l’impôt
personnel (m’af), des autres impôts occasi-
onnels (takalif-i yorfiye) et de tout autre impôt
supplémentaire (avariz). Concernant les Tsi-
ganes susmentionnés, ils devront élire l’un des
leurs et désigner, dans chaque groupe de 50,
un responsable (jemaat bashi). Personne ne
devra interférer dans les affaires de ce derni-
er ou limiter son action de quelque manière.
Si quelqu’un viole la loi, il sera détenu et, à
condition que la communauté et son dirigeant
fournissent des garanties, jugé dans le cadre
d’une audience orale. »
Ill. 3 Ill. 4
Décret du sultan Selim II daté de 1574 (extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov
(extrait de Marushiakova/Popov 2001, p. 33, détail) 2001, p. 34)

« tsiganes », plus 211 veufs/veuves. Le spéciale des Roms par rapport aux deux bres. Cette interprétation est confirmée
registre en question contient, en annexe, principales catégories de sujets dans par d’autres preuves, notamment un dé-
un règlement spécial datant de 1491 et l’empire ottoman : les « vrais croyants » cret du sultan Selim II de 1574 contrai-
décrivant la capitation due, ainsi que et les « infidèles ». Tous les « Tsiganes », gnant les mineurs « tsiganes » de Banya
d’autres impôts tels que l’ispenche (un qu’ils soient chrétiens ou musulmans, ac- Luka — lesquels jouissaient d’un statut
impôt foncier frappant les chrétiens au quittent une capitation frappant norma- spécial — à constituer des groupes de
nombre desquels les « Tsiganes » séden- lement uniquement les non-Musulmans. 50 hommes, chaque groupe devant en-
tarisés). Les données relatives au grand Les « Tsiganes » chrétiens doivent payer suite désigner son propre chef responsa-
nombre de « Tsiganes » chrétiens séden- des impôts légèrement supérieurs à ceux ble devant les autorités. [Ills. 3, 4]
tarisés indiquent que les intéressés se sont exigés des Tsiganes musulmans, mais les
installés sur ces terres avant la conquête différences ne sont ni claires, ni définies
ottomane, alors que la religion dominan- de manière cohérente. Une exception Le « Sanjak tsigane » –
te était le christianisme. À en juger par concerne les « Tsiganes » rattachés au – LES Roms dans
les régions mentionnées, les « Tsiganes » « sanjak tsigane », y compris ceux qui l’armée Ottomane
chrétiens prédominaient apparemment fournissent des services à l’armée : par
dans la région de la Thrace (qui corre- exemple les « Tsiganes » vivant dans des La « Loi concernant les Tsiganes dans la
spond approximativement à la partie eu- forteresses où ils servent à l’entretien, province de Rumélie » confirme le statut
ropéenne de la Turquie moderne). les forgerons chargés de fabriquer ou de spécial administratif et juridique, ainsi
réparer différents types d’armes, les mu- que les droits élargis de prélèvement au-
siciens militaires et les autres membres tonome de l’impôt, aux sujets relevant du
Loi concernant les des troupes auxiliaires. [Ill. 5] « sanjak tsigane ». À partir de 1541, une
« Tsiganes » dans la De plus, cette loi révèle le désir loi spéciale énonce également les préro-
Province de Rumélie de l’administration ottomane de veiller gatives du dirigeant du sanjak. Cette in-
à la collecte intégrale des impôts auprès stitution trouve son origine en Anatolie,
Le sultan Suleiman Ier le Magnifique a de tous les sujets, y compris les « Tsi- mais a été modifiée pour répondre aux be-
régné sur l’empire au temps de sa splen- ganes » itinérants. De ce point de vue, la soins des « Tsiganes » dans les Balkans.
deur (1520-1566). Il est l’auteur d’une nette tendance à encourager des membres En l’occurrence, le terme sanjak ne revêt
législation spéciale dite « Loi concernant des communautés Tsiganes à assumer la pas son sens ordinaire de circonscription
les Tsiganes de la province de Rumélie », responsabilité de la collecte des impôts admimistrative, mais désigne une catégo-
promulguée en 1530. Ce texte nous aide en se portant garants de leur paiement à rie spéciale de « Tsiganes » s’acquittant
à mieux comprendre l’information gla- temps mérite une attention particulière. de toute une série de tâches auxiliaires au
née dans les registres fiscaux. [Ill. 2] En même temps, la responsabilité d’un service de l’armée.
Les règles énoncées dans la loi éventuel manquement à leurs obliga- Des Roms sont cependant incor-
démontrent une fois de plus la place tions fiscales incombe aux dits mem- porés également dans l’armée régulière.


Le « Sanjak Tsigane » : les Roms dans les services auxiliaires de l’armée
Le registre fiscal du sultan Suleiman I er le Magnifique
Mesures contre le nomadisme, sédentarisation des « Tsiganes »

Ill. 6
Impression et moule d’un sceau de couleur
rouge sang cornaline, du type de ceux utilisés
Ill. 5 par les autorités ottomanes pour attester que
L’armée ottomane avec des musiciens militaires (probablement des Roms) devant la porte les impôts ont été convenablement acquittés.
de Buda et de Pest. (extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov
(extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov 2001, p. 21) 2001, p. 40)

Des preuves remontant à 1566 révèlent accessoires à l’armée. Le chef du « san- ménages « tsiganes » musulmans (ces
qu’une partie des contribuables mobilisés jak tsigane » réside dans la ville de Kırk chiffres englobant 471 ménages de veuf/
sont des Roms musulmans. Les estima- Klise (la Kırkla d’aujourd’hui) en Thrace veuve). En outre, le « sanjak tsigane »,
tions réalisées sur la base des données orientale. abrite encore 2 694 ménages musul-
préservées font état de la présence de 15 mans. Selon les mêmes calculs, sur la
à 20 000 Tsiganes mahométans dans les base d’une moyenne de 5 personnes par
rangs de l’armée ottomane entre le XVIe Le registre fiscal du ménage, on estime que 66 000 « Tsi-
et le XVIIe siècle, lesquels occupent dif- sultan Suleiman Premier ganes » — dont 47 000 de confession
férents emplois (généralement auxili- Le Magnifique chrétienne — habitaient à l’époque les
aires). Balkans.
En 1522-1523, durant le règne du sultan Les autres calculs effectués sur la
Suleiman Ier le Magnifique, un autre regis- base de ce registre présentent également
Le « Sanjak Tsigane » : tre fiscal est établi sous le nom de « Rôle un grand intérêt. Ils permettent de con-
les roms dans les services complet des revenus et de l’imposition clure que 17 191 ménages « tsiganes »
auxiliaires de l’armée des Tsiganes de la province de Rumé- en tout résidaient sur le territoire de ce
lie ». Ce gros document se compose de qui constitue aujourd’hui les États bal-
Les « Tsiganes », y compris ceux du 347 pages consacrées spécifiquement aux kaniques modernes : 3 185 en Turquie,
« sanjak tsigane », sont regroupés dans « Tsiganes ». Il consigne le nombre de 2 512 en Grèce, 374 en Albanie, 4 382
des myusellem [sections] et leurs uni- ménages « tsiganes » classés en collec- en ex-Yougoslavie et 5 701 en Bulga-
tés auxiliaires. À la tête de chaque my- tivités fiscales réparties sur neuf districts rie (le lieu d’habitation exacte de 1 037
usyulem, on trouve un mir-liva [major] judiciaires englobant de grandes parties ménages demeurant incertain). Les re-
non tsigane ayant sous ses ordres quatre de ce qui constitue la péninsule balkane gistres fiscaux ottomans sont également
capitaines et onze caporaux. En échan- contemporaine. Il s’agit d’un document une source précieuse pour comprendre
ge de leurs services, les myusellem (au unique contenant une énorme quantité de l’affiliation religieuse des Roms. En rè-
nombre de 543) reçoivent des terrains, données sur la population « tsigane » des gle générale, pour résumer les données
449 en tout, dispersés dans 17 régions de Balkans au début du XVIe siècle. disponibles dans ces documents, on peut
Rumélie. Les membres de chaque myu- Le registre répertorie 10 294 affirmer que les Roms chrétiens prédo-
sellem sont tenus de fournir des services ménages « tsiganes » chrétiens et 4 203 minaient aux XVe et XVIe siècles.


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Le voyageur Evlia Çelebi a eu


l’occasion de recourir à la liste
des guildes (sinifs) d’artisans à
Istanbul. Cette liste répertoriait
57 guildes et les « Tsiganes »
étaient mentionnés pour la pre-
mière fois dans la dixième : cel-
le des éleveurs d’ours qui com-
prenait 70 hommes au total. La
quinzième guilde, celle des mar-
chands de chevaux (jambazes),
comptait 300 hommes et, comme
l’écrit Evlia Çelebi : « Les mar-
chands de chevaux sont des né-
gociants prospères et possèdent
chacun une écurie avec 40 à
50 chevaux arabes ; la plupart
sont des Tsiganes, même si cer-
tains appartiennent à d’autres
peuples. ». La quarante-troi-
sième guilde, celle des musiciens,
se compose de 300 personnes en
majorité « tsiganes ».
Ill. 7 Ill. 8
Mots écrits en romani par Evlia Çelebi au nom de Sheyahat, 1668. (extrait sous forme résumée de
(extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov 2001, p. 43, détail) Marushiakova/Popov 2001, p. 44)

nomades (de même que les modalités règlement du sultan Suleiman Ier le Ma-
Mesures contre le d’application de ces mesures) ne sont gnifique daté de 1551 et repris en termes
Nomadisme, sédentarisation pas clairement précisées : la preuve que, quasiment identiques dans un décret du
des « Tsiganes » pour une certaine raison, les autorités ot- sultan Murad III en 1574. Cependant, il
tomanes ne considéraient pas ces prob- est évident que ces mesures, de même
Une partie des Roms de l’empire otto- lèmes (nomadisme et paiement irrégulier que d’autres initiatives administratives,
man mène une vie nomade, ce qui crée de l’impôt) comme très sérieux. se sont soldées par un échec. En pratique,
des problèmes pour l’administration pu- Normalement, la principale coll- il semble que, pour les autorités, le noma-
blique. Des lois et des règlements ne tar- ectivité fiscale (jemaat) dans l’empire disme n’était pas un problème sérieux.
dent donc pas à pénaliser les « Tsiganes » ottoman est liée à une unité territoriale Dans les villes et villages des Bal-
— musulmans ou non musulmans — qui spécifique, quitte à englober des « Tsi- kans, les Roms vivent dans des « quartiers
« errent » (à savoir optent pour un mode ganes » nomades, dans la mesure où le tsiganes » (mahallas) isolés : un princi-
de vie nomade). droit fiscal ne distingue pas entre les ob- pe de base dans le mode d’habitation de
Le raisonnement derrière cette ligations des Tsiganes sédentaires et des toutes les minorités au sein de l’empire
politique devient clair si l’on lit le texte Tsiganes nomades. Les entrées du regis- ottoman. Le nombre de Roms sédenta-
de la « Loi concernant les Tsiganes dans tre pour 1522-1523 répertorient seule- risés est élevé. Une impression similaire
la province de Rumélie » susmentionnée, ment onze groupes nomades imposables est partagée en Anatolie au début du
telle qu’elle a été promulguée par Sulei- dans certains villages, ce qui reflète mal XVIIe siècle par le célèbre voyageur ot-
man Ier le Magnifique. Les auteurs de la- la situation réelle. Il est probable que des toman Evlia Çelebi (1611-1679). Celui-
dite loi précisent en effet que le problème nomades étaient souvent inscrits comme ci relève que la majorité des « Tsiganes »
réside non pas tant dans l’association de sédentaires tout en poursuivant leur mode vivant dans ces contrées sont sédentaires.
« Tsiganes » musulmans et non musul- de vie errant (le plus souvent pendant la [Ills. 7-8]
mans, mais dans le fait qu’en voyageant belle saison). Les registres fiscaux reflètent la
tous ces gens s’arrangent pour ne pas Des documents ottomans reflètent sédentarisation permanente, de même
payer régulièrement leurs impôts. Ce- le désir de l’administration de contraindre qu’un certain niveau de bien-être parmi
pendant, il est très significatif que les les « Tsiganes » nomades à se fixer ou, les « Tsiganes ». Ce type d’informations
autorités chargées d’exécuter les me- du moins, à restreindre la zone de leurs se retrouve, par exemple, dans des ar-
sures restrictives visant les « Tsiganes » déplacements. C’est ce qui ressort d’un chives judiciaires de la région de Sofia


Comment les Roms gagnent leur vie
Déclin de l’empire ottoman
Statut juridique des « Tsiganes » : législation officielle et réalité quotidienne
Début de l’émancipation des Roms

Dans le registre fiscal de 1522-1523, par-


mi les « Tsiganes » enregistrés comme
exerçant un métier, on trouve : des mu-
siciens, des ferronniers, des maréchaux-
ferrants, des orfèvres, des fabricants
d’épées, des fabricants de fours, des cor-
donniers, des cloutiers, des travailleurs
du cuir, des tailleurs, des fabricants de
tapis, des teinturiers, des quincailliers,
des fromagers, des bouchers, des mar-
chands de kebab, des jardiniers, des mu-
letiers, des gardes, des gardiens de pri-
son, des valets, des coursiers, des éleveurs
de singes, des puisatiers et autres corps
de métier. Occasionnellement, on trouve
aussi des officiers de l’armée, des janis-
saires, des policiers, des médecins, des
chirurgiens et des moines.
Ill. 9 Ill. 10
L’art des musiciens « tsiganes » a aussi favorisé les disciplines connexes comme les (extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov
représentations théâtrales musicales et notamment les spectacles de marionnettes. 2001, p. 44)
(extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov 2001, p. 66)

datant du début du XVIIe siècle. Parmi et, plus tard, différents instruments à


les impôts acquittés par les « Tsiganes » cordes. Par ailleurs, les preuves abondent Déclin de
figure une taxe unique de vente de ré- d’ensembles « tsiganes » comprenant des l’Empire ottoman
sidence levée sur 20 maisons, ainsi danseuses (le plus souvent roms, mais
qu’une taxe sur les moutons. De plus, parfois juives). Après ses heures de puissance et de gloire
d’autres preuves attestent de la présence Dans nombre d’endroits autour aux XVIe et XVIIe siècles, l’empire otto-
de « Tsiganes » relativement riches : en du monde, les Roms sont réputés comme man entre dans une période de stagnation
1611, le « Tsigane Stefan » vend sa mai- forgerons. Ce métier repose sur une tra- et, à compter de la fin du XVIIe siècle
son à Sofia, ainsi que sa boutique et des dition ancestrale et a été préservé dans et du début du XVIIIe siècle, amorce
arbres fruitiers, pour 2 400 akche (une les Balkans jusqu’à aujourd’hui. Même une longue période de déclin progressif
somme impressionnante, compte tenu si à certaines périodes — comme au dé- (mais de plus en plus profond). Cette pé-
de la somme moyenne habituellement but du XVIe siècle — les maréchaux-fer- riode — les XVIIIe et XIXe siècles — est
récoltée chaque année en impôts auprès rants et les ferronniers roms se font assez caractérisée par une crise permanente
de chaque ménage « tsigane » : environ rares dans l’empire ottoman, il est prouvé affectant les conditions sociales et éco-
25 akche). qu’à compter du XVIIe siècle les Roms nomiques, ainsi que le système adminis-
pratiquent en nombre les métiers du fer. tratif complexe, et s’accompagne d’une
[Ills. 9, 10] longue série de guerres infructueuses
Comment les roms Dans certains cas, les Roms aban- et de la perte de territoires. En raison
gagnent leur vie donnent leur ancien métier et s’adonnent d’une crise politique et économique
à l’agriculture, dans le cadre d’un sy- presque permanente, les divers registres
Les Roms dans l’empire ottoman occu- stème féodal dominé par des militaires de l’administration (fiscaux, judiciaires
pent toute une série d’emplois. Dans le propriétaires terriens. Par exemple, et autres) perdent graduellement leur
registre fiscal de 1522-1523, les « Tsi- un inventaire des fiefs de la région de importance. Les sources historiques sur
ganes » sont le plus souvent inscrits Sofia, daté de 1445-1446, contient des les Roms dans l’empire deviennent donc
comme musiciens (militaires ou « indé- informations détaillées sur les posses- plus fragmentaires et moins fiables.
pendants ») : un constat corroboré par sions d’un certain Ali, lesquelles englo- Durant cette période, un change-
d’autres sources. Les instruments mu- bent le hameau de Dabijiv composé de ment important dans l’affiliation religieu-
sicaux les plus couramment mentionnés 15 ménages complets et de 3 ménages se des Roms devient apparent. Durant les
sont le zurnas (une sorte de hautbois) de veuf/veuve. Et l’inventaire de pré- XVe et XVIe siècles les Roms chrétiens
et le tambour, mais d’autres sont aussi ciser que tous les intéressés « sont tsi- prédominaient, alors qu’au XIXe siècle la
nommés, parmi lesquels le tambourin ganes ». balance se modifie radicalement au profit


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la classe ouvrière rom

En 1836, le Bulgare Dobry Jeliazkov, connu


sous le surnom de « L’homme de l’usine »,
ouvre la première fabrique moderne de textile
de l’empire ottoman dans la ville de Sliven,
dans le but de fabriquer du tissu pour l’État
et surtout pour l’armée. Le plus gros de ses
effectifs est constitué de Roms de la ville de
Sliven, car à l’époque les Bulgares sont arti-
sans, marchands ou agriculteurs, de sorte que
les seuls travailleurs disponibles sont les Roms
(hommes, femmes et même enfants). Progres-
sivement, une classe ouvrière se forme autour
de familles roms travaillant pour l’industrie
textile, classe qui grandit considérablement
après la libération de la Bulgarie (1878) avec
l’ouverture de nouvelles usines à Sliven qui
devient un centre textile important.
Ill. 11 Ill. 12
(extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov 2001, p. 69) L’usine de Dobry Jeliazkov à Sliven vers 1870.
(extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov 2001, p. 69)

des Musulmans. Le rapport entre Chré- ne de l’empire ottoman ouvre ses portes : Cette différenciation ethnique
tiens et Musulmans aurait été de 1:3 ou elle produit du tissu pour répondre aux des « Tsiganes » n’est pas liée à ce qu’il
de 1:4 selon les estimations, mais il est besoins de l’armée ottomane. La plupart est convenu d’appeler le « système du
difficile d’obtenir des chiffres précis. On des ouvriers embauchés par cette usine milliet » comme on le pense souvent
peut cependant conclure à une tendance sont des Roms. [Ills. 11, 12] à tort. Ledit système — au sens d’une
persistante au fil des siècles à la conver- différenciation entre peuples distincts
sion à l’islam. (sous l’angle ethnique et non pas reli-
Les autorités ottomanes conti- Statut juridique des gieux) a été introduit comme une consé-
nuent à recourir à des mesures admini- « Tsiganes » : Législation quence des efforts déployés à partir du
stratives pour inciter les « Tsiganes » Officielle et réalité XIXe siècle par les Ottomans en vue de
nomades à se fixer définitivement mais, quotidienne réformer leur empire. La séparation des
comme lors des tentatives précédentes, « Tsiganes », toutefois, est enracinée
voient leurs efforts échouer. À compter Les « Tsiganes » occupent une place dans les mentalités : nombre de sources
de la fin du XVIIIe siècle, toutefois, les à part dans la structure sociale et ad- révèlent le mépris évident que leur vou-
sources révèlent un accroissement de la ministrative globale de l’empire. Tout ent les autres sujets, Ottomans et mem-
proportion des « Tsiganes » qui se fixent d’abord, ils sont « citoyens » de l’empire bres de la population locale mêlés. Pour
dans les villages et optent pour un mé- depuis son établissement. Malgré la divi- ces derniers, en effet, les « Tsiganes »
tier agricole : une tendance apparue pour sion de la population en deux catégories forment un peuple inférieur ne méritant
la première fois plusieurs siècles aupa- principales (les « vrais croyants » et les pas la moindre attention : un stéréotype
ravant dans l’empire ottoman. De nou- « infidèles »), ils jouissent de leur propre social à la vie dure, encore répandu
veaux villages — peuplés entièrement statut et sont distingués sur la base de aujourd’hui dans les Balkans.
de « Tsiganes » et situés à proximité de leur appartenance ethnique. La différen- En dépit de ces attitudes sociales
chifliks [grandes fermes] venant d’être ciation entre les « Tsiganes » musulmans persistantes — et peut-être à cause
créées — font aussi leur apparition : et chrétiens ou bien entre « Tsiganes » d’elles — les Roms parviennent à pré-
leurs habitants louent leurs bras aux ex- nomades et sédentarisés n’est pas très server, voire à renforcer, de nombreuses
ploitants agricoles. marquée. Dans l’ensemble, les intéres- caractéristiques éthnoculturelles sous le
Certains Roms optent pour des sés sont proches des populations loca- régime ottoman [par exemple, un mode
métiers complètement nouveaux. C’est les, même si de petits privilèges sont de vie (semi-)nomade ou certains mé-
ainsi qu’apparaît un « prolétariat tsi- accordés aux « Tsiganes » musulmans, tiers traditionnels] et, en définitive, à
gane » dans la ville de Sliven (Bulgarie). et des avantages considérables concédés demeurer un groupe ethnique relative-
En 1836, la première usine textile moder- à ceux qui travaillent pour l’armée. ment fermé. Globalement, toutefois, leur


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Projet éducation des enfants roms en Europe Roms | Histoire

L’Empire
2.1
Ottoman

Les Roms en combattants de la liberté

Les Roms prennent aussi part aux luttes de libération nationale tué en 1856). Des Roms de Sliven (les frères Yordan et Georgy
des peuples des Balkans. Le Rom Aliya Plavich et son frère Hajikostovi, Yordan Ruschev) prennent part à la guerre russo-
Muyo (décédé en 1807) participent à l’insurrection serbe contre turque (1877-1878) dans les rangs de l’armée tsariste en qualité
l’empire ottoman au début du XIXe siècle. L’un des plus fameux de volontaires bulgares.
haiduts [combattants de la liberté] au XIXe siècle est le Rom Ill. 13
Mustapha Shibil (né dans le village de Gradets, près de Sliven, (extrait sous forme résumée de Marushiakova/Popov 2001, p. 70)

statut juridique dans l’empire ottoman Naumchev habitant la ville de Prilep, revendiquer une place égale dans la
est plus favorable que celui concédé à défend le passé glorieux des « Tsi- nouvelle réalité sociale et culturelle
leurs cousins en Europe de l’Ouest qui, ganes » et leur droit à être traités sur « externe ». L’atmosphère générale
à la même époque, souffrent de persé- un pied d’égalité, ainsi qu’à posséder dans les Balkans à l’époque influe
cutions. « leur propre société et à prendre soin sur la forme revêtue par cette nou-
de l’éducation de leurs enfants », à dis- velle activité sociale. Comme le reste
poser « de prêtres tsiganes », etc. des peuples de la région (pour qui le
début de l’émancipation Dans l’ensemble, la lettre mar- XIX e siècle est celui du nationalisme
des roms que le début d’une nouvelle phase dans moderne), les Roms luttent activement
la prise de conscience de leur identité pour se réclamer d’un passé glorieux
En 1866, Petko Rachev Slaveikov, un par une partie au moins des Roms des et s’inventer une mythologie historique
fameux auteur bulgare, publie un ar- Balkans pendant le XIXe siècle. Cette nationale : deux conditions nécessaires
ticle signé par « un Égyptien » (« un phase se caractérise notamment par pour soutenir leur combat en faveur
Tsigane ») dans le journal stambouliote le désir de quitter le cadre commun- d’une émancipation civique.
Gaida. Dans cette lettre, l’auteur, Ilia autaire traditionnel « interne » afin de

Conclusion leur destinée et leur évolution en tant coutumes ou traditions associées héri-
que communauté sont entremêlées à tées par de grands nombres de Roms
Après la désintégration de l’empire celles des populations majoritaires dans les Balkans, soit sous la forme
ottoman, les Roms demeurent à desdits États. Toutefois, l’héritage de de l’influence que les traditions cul-
l’intérieur des nouvelles frontières des l’empire persiste à différents égards, turelles et historiques ottomanes ex-
pays des Balkans fondés sur le concept soit sous la forme de cultures eth- ercent toujours dans les États balka-
d’État-Nation. À partir de ce moment, niques établies comme l’islam et les niques contemporains.

Bibliographie

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den Anfängen bis 1599. Frankfurt am Main: Peter Lang | Gronemeyer, Reimer / Rakelmann, Georgia A. (1988) Die Zigeuner.
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– XIX vek. Socialno-ikonomichesko i demografsko razvitie. [The Balkan town: social, historical and demographic development]. Sofia:
Bulgarian Academy of Sciences

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