Vous êtes sur la page 1sur 20

EN FINIR AVEC LES FRONTIÈRES COLONIALES ?

L'UNION AFRICAINE
ET LA SÉCESSION DU SUD-SOUDAN

Umberto Tavolato, traduction Marie Gibert

Editions Karthala | « Politique africaine »

2011/2 N° 122 | pages 101 à 119


ISSN 0244-7827
ISBN 9782811105327
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.inforevue-politique-africaine-2011-2-page-101.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


Distribution électronique Cairn.info pour Editions Karthala.
© Editions Karthala. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Politique africaine n° 122 - juin 2011
101

Umberto Tavolato

En finir avec les frontières


coloniales ? L’Union africaine et
la sécession du Sud-Soudan
En janvier 2011, en application de l’Accord de paix global (CPA), les Sud-Soudanais
se sont exprimés à une écrasante majorité en faveur d’une sécession, qui fera du
Sud-Soudan le 54e État africain le 9 juillet 2011. Cet article s’attache à étudier la
dimension continentale de cette autodétermination. Il tente en particulier d’expliquer
comment l’Union africaine (UA) peut reconnaître un Sud-Soudan indépendant en dépit
de sa position en faveur de l’unité et de sa doctrine sur l’inviolabilité des frontières.
La signature du CPA, la façon dont l’UA (à travers le panel de haut niveau Mbeki) a
dirigé le processus de partition et le développement d’une approche panafricaine
originale figurent parmi les principaux éléments expliquant que les États membres de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


l’UA aient reconnu le Sud-Soudan comme un cas exceptionnel.

E n application de l’Accord de paix global (CPA) de 2005, qui a mis fin à


la guerre civile la plus longue de l’histoire du continent africain entre le
gouvernement du soudan et le Mouvement populaire de libération du
soudan (MPLs), les sud-soudanais se sont vu accorder le droit à l’auto-
détermination par référendum. en janvier 2011, ils ont voté à une majorité
écrasante en faveur d’une séparation d’avec le nord du pays. L’union africaine
(uA) et son prédécesseur, l’Organisation de l’unité africaine (OuA), ont
toujours exprimé de fortes réserves à l’idée de redessiner des frontières
nationales. La Charte de l’OuA cite « la souveraineté, l’intégrité territoriale
et le respect 1 » des frontières héritées à l’indépendance comme piliers de la
légitimé des États-nations africains 2. Pour les dirigeants africains lors de
l’indépendance, le maintien des frontières coloniales constituait une solution
pratique pour assurer une transition en bon ordre de l’ancien État colonial à
l’État indépendant, pour garantir l’unité du continent dans l’ère postcoloniale,
et pour éviter d’ouvrir la boîte de Pandore des disputes territoriales et des

1. Charte de l’OuA, article iii, 25 octobre 1965.


2. Voir e. n. Amadife et J. W. Warhola, « Africa’s Political boundaries : Colonial Cartography, the
OAu, and the Advisability of ethno-national Adjustment », International Journal of Politics, Culture
and Society, vol. 6, n° 4, 1993, p. 533-554.
le Dossier
102 Sud­Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État

revendications sécessionnistes 3. Ces préoccupations expliquent pourquoi


l’OuA a mis un accent particulier sur le respect des frontières héritées de l’ère
coloniale tout au long de son histoire et pourquoi elle s’est, par exemple,
opposée aux demandes de redécoupage des frontières émises par le Maroc
et la somalie ou aux demandes de sécession formulées par le Katanga, le
biafra ou l’Érythrée 4.
Plus de quarante ans après la création de l’OuA, les considérations qui ont
présidé à l’introduction du principe d’inviolabilité des frontières coloniales –
maintenu dans l’Acte constitutif de l’uA 5 – restent plus que jamais d’actualité
dans les couloirs de la Commission de l’uA. en dépit de la longévité de la
doctrine de l’inviolabilité des frontières coloniales, lorsque le sud-soudan
deviendra formellement indépendant en juillet 2011, nous assisterons donc à
la première remise en cause majeure des frontières coloniales dans l’Afrique
contemporaine 6. Alors que, suite au CPA, aucun État membre de l’uA n’a
formellement exprimé d’opposition au principe de création d’un nouvel État
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


au soudan, beaucoup ont, jusqu’à tout récemment, craint les conséquences
d’un tel processus pour le continent 7. dans une déclaration en janvier 2010,
en marge du sommet de l’uA à Addis-Abeba, par exemple, le président de la
Commission de l’uA, Jean Ping, a parlé de la perspective d’une partition du
soudan comme d’un scénario potentiellement « catastrophique ». Comparant
le soudan à une poudrière, il s’est interrogé : « l’indépendance du sud-soudan
ne risque-t-elle pas d’encourager d’autres mouvements, au darfour et dans
d’autres endroits, qui ne réclament pour l’instant pas l’indépendance, à
chercher à reproduire l’exemple sud-soudanais ? 8 ».
Au vu de la doctrine pro-unité de l’uA et de son principe sacro-saint de
respect des frontières coloniales, comment Jean Ping va-t-il accueillir l’arrivée
d’un 54e etat membre au sein de l’organisation ? dans la mesure où de nom-
breux États africains font face, à des degrés variés, à des menaces séces-
sionnistes, comment l’uA a-t-elle solennellement accepté le principe d’un
référendum et d’une future indépendance du sud-soudan ? si l’on accepte

3. J. herbst, « The Creation and Maintenance of national boundaries in Africa », International


Organization, vol. 43, n° 4, 1989, p. 673-685.
4. G. Calchi novati et P. Valsecchi, Africa : la storia ritrovata, Rome, Carocci, 2007, p. 297.
5. Acte constitutif de l’uA, article iii(b), 11 juillet 2000.
6. Le seul précédent de partition d’un pays dans l’histoire postcoloniale de l’Afrique est la sécession
de l’Érythrée de l’Éthiopie. Mais la sécession érythréenne ne peut pas, d’un point de vue technique,
être considérée comme un cas de remise en cause des frontières coloniales puisque la frontière
entre l’Érythrée et l’Éthiopie avait été reconnue à l’époque coloniale sur la base des accords
italo-éthiopiens de 1900, 1902 et 1908. Voir M. Tesfagiorgis G., Eritrea, santa barbara, AbC-Clio,
2010, p. 53-54.
7. entretien avec un haut fonctionnaire de l’uA, Addis-Abeba, mai 2011.
8. « sudan like a Powder Keg, says Au Chief Jean Ping », BBC, 28 janvier 2010.
Politique africaine
103 En finir avec les frontières coloniales? L’Union africaine et la sécession du Sud­Soudan

l’hypothèse de base du nouveau panafricanisme selon laquelle une Afrique


plus dynamique, unie, stable et prospère sera le résultat d’un processus d’in-
tégration renforcé, comment la partition du plus grand pays d’Afrique peut-
elle contribuer à cette évolution ? Enfin, étant donné que l’UA n’a pas joué de
rôle majeur dans les négociations menant au CPA, comment et pourquoi
l’organisation continentale se retrouve-t-elle maintenant sur le devant de la
scène pour négocier les conditions de la future partition du soudan ?
Tandis que nombre d’analyses ont été produites sur le rôle de l’uA au
darfour 9 et le débat qui a suivi l’émission d’un mandat d’arrêt par le Tribunal
pénal international (TPI) contre le président béchir 10, on s’est peu penché sur
le rôle de l’uA dans le processus ayant abouti à la scission du soudan. Cet
article tente de combler ce vide. Prenant en compte l’absence d’analyse uni-
versitaire de cette question, nous nous appuierons sur les principales décisions,
déclarations et communications publiques récentes de l’uA (toutes disponibles
sur le site Internet de l’organisation), sur des entretiens avec de hautes per-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


sonnalités de l’uA et/ou africaines, et sur les articles et interventions publiques
de Thabo Mbeki au cours de son mandat pour l’uA au soudan. L’analyse qui
suit se nourrit aussi d’une observation participante, facilitée par nos années
de travail pour l’union européenne au et sur le soudan 11. Cet article définit
tout d’abord le contexte de l’engagement de l’uA dans le CPA et analyse les
dynamiques qui ont mené l’organisation à assumer le rôle de leader dans le

9. Voir en particulier A. sarjoh bah, Dilemmas of Regional Peacemaking : The Dynamics of the AU’s
Response to Darfur, new York, Center on International Cooperation/new York university, 2010 ;
K. nerland, « building a Regional Peacekeeping Capacity : The Challenges facing the African union
in darfur », in R. sharamo et b. Mesfin (dir.), Regional Security in the Post-Cold War Horn of Africa,
Pretoria, Institute for security studies, 2011, p. 407-435 ; s. Appiah-Mensah, « Au’s Critical Assign-
ment in darfur : Challenges and Constraints », African Security Review, vol. 14, n° 2, 2005, p. 7-22 ;
h. boshoff, « The African union Mission in sudan », African Security Review, vol. 14, n° 3, 2005,
p. 57-60.
10. Voir par exemple A. natsios, « Waltz With bashir : Why the Arrest Warrant Against sudan’s
President will serve neither Peace nor Justice », Foreign Affairs, 23 mars 2009 ; P. Akhavan, « Are
International Criminal Tribunals a disincentive to Peace ? Reconciling Judicial Romanticism with
Political Realism », Human Rights Quarterly, vol. 31, n° 3, 2009, p. 624-654 ; K. A. Rodman, « darfur
and the Limits of Legal deterrance », Human Rights Quarterly, vol. 30, n° 3, 2008, p. 529-560 ;
M. Mamdani, Saviors and Survivors : Darfur, Politics, and the War on Terror, new York, Pantheon
books, 2009 ; A. de Waal et J. flint, « Case Closed : A Prosecutor Without borders », World Affairs,
vol. 171, n° 4, 2009, p. 23-38 ; d. Akande, M. du Plessis et C. C. Jalloh, An African Expert Study on the
African Union Concerns about Article 16 of the Rome Statute of the ICC, Pretoria, Institute for security
studies, 2010, disponible sur <iss.co.za>.
11. umberto Tavolato a été conseiller politique auprès du représentant spécial de l’union euro-
péenne au soudan de 2004 à 2008. depuis 2009, il est Premier secrétaire à la délégation de l’union
européenne auprès de l’union africaine. L’analyse et les opinions formulées dans cet article sont
uniquement les siennes et ne doivent en aucun cas être comprises comme reflétant la position
officielle de l’union européenne.
le Dossier
104 Sud­Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État

processus qui a abouti à la partition du soudan. Il expose ensuite les facteurs


qui ont amené l’uA à remettre en question sa stricte doctrine d’inviolabilité
des frontières coloniales et à finalement saluer l’indépendance du Sud-Soudan.
L’article conclut en analysant la portée de l’initiative de l’uA au soudan pour
l’organisation continentale et pour son futur rôle dans la recherche de la paix
et de la sécurité sur le continent.

Du Darfour au processus de paix Nord-Sud

Le rôle de leader assumé par l’uA dans le processus de paix nord-sud n’est
pas le premier engagement de l’organisation dans le pays mais résulte bien
d’un engagement diplomatique progressif et de long terme au soudan. Les
pays africains sont les premiers à fournir le cadre qui permet la signature
du CPA, sous le patronage de l’Autorité intergouvernementale pour le déve-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


loppement (Igad). Au cours du sommet de l’Igad en 1994, le président kenyan
d’alors, daniel Arap Moi, est désigné médiateur principal à la tête d’une
commission composée de l’Érythrée, de l’Éthiopie et de l’Ouganda. Même si
l’Igad parvient à faire accepter aux protagonistes une déclaration de principe
établissant un cadre de négociations en 1994, il devient évident, à la fin de
l’année 2001, que le processus a besoin d’être relancé. Il lui manque en
particulier l’engagement d’acteurs internationaux extérieurs à la région 12 ;
il souffre également des approches divergentes des acteurs continentaux –
notamment de l’initiative libyo-égyptienne lancée en 2000 afin d’empêcher
que soit reconnu tout droit à l’autodétermination pour le sud-soudan 13.
Ces obstacles sont dépassés grâce à deux événements importants. Le
lancement, tout d’abord, d’une nouvelle initiative de l’Igad en janvier 2002,
cette fois-ci avec le soutien des États-unis, du Royaume-uni et de la norvège
(la « troïka »), ainsi que de l’Italie (en sa capacité de présidente du forum des
partenaires de l’Igad) 14. ensuite, le soutien ferme de l’uA au processus initié
par l’Igad grâce à la nomination d’un envoyé spécial de l’uA (l’ancien ministre
des Affaires étrangères nigérian, baba Gana Kingibe) pour observer les

12. Voir T. Jeptoo seii, « The Intergovernmental Authority on development (Igad) and the sudanese
Peace Process », in K. G. Adar, J. G. nyuot Yoh et e. Maloka, Sudan Peace Process : Challenges and
Future Prospects, Pretoria, Africa Institute of south Africa, 2004, p. 15-18.
13. L’Égypte a généralement été perçue comme étant opposée à toute remise en cause du statu quo
entre le nord et le sud-soudan, en grande partie du fait de sa dépendance aux eaux du bassin du
nil. Voir f. A. Kornegay, « Regional and International Implications of the sudanese Peace
Agreement », in K. G. Adar, J. G. nyuot Yoh et e. Maloka, Sudan Peace Process…, op. cit., p. 62.
14. Cette initiative est lancée à l’occasion du 9e sommet des chefs d’État de l’Igad à Khartoum. Voir
K. Abraham, Sudan : The Politics of War and Peace, Addis-Abeba, hadad, 2005, p. 409.
Politique africaine
105 En finir avec les frontières coloniales? L’Union africaine et la sécession du Sud­Soudan

négociations pendant toute leur durée. Cette nomination contribue à faire


pencher la balance en faveur du processus mené par l’Igad et à compromettre
définitivement l’initiative libyo-égyptienne 15. Comme le souligne alors l’OnG
Justice Africa, le soutien externe apporté au processus de l’Igad joue un rôle
déterminant dans son succès, puisqu’il ne laisse pas d’autre option aux pro-
tagonistes que de « se mettre d’accord ou de tout simplement quitter la table
des négociations 16 ».
si le CPA n’est signé qu’en 2005, le principe même d’un droit à l’auto-
détermination pour le sud-soudan est approuvé dès 2002 grâce à la signature
du protocole de Machakos, qui est ensuite inclus dans la version finale du
CPA 17. Comme dans le cas de l’Érythrée et de l’Éthiopie, une clause de
sécession fait partie de l’accord de paix entre les deux parties : dès lors, elle
est acceptée par l’uA. Contrairement aux cas du Katanga ou du biafra, aucun
État membre de l’uA n’exprime d’opposition formelle à la création d’un nouvel
État au soudan : pour citer un observateur de l’uA pendant le processus,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


il n’y a pas de raison « d’être plus catholique que le pape 18 ». Au moment de la
signature du CPA, la perspective d’une indépendance du sud-soudan, prévue
sept ans plus tard, paraît par ailleurs encore lointaine, et le CPA encourage
clairement à favoriser l’unité. Ainsi, en dépit de la clause de sécession, l’uA
peut continuer à travailler pour l’unité du pays pendant la période intérimaire
prévue par l’accord.
suivant la signature du CPA, l’uA reste engagée dans le processus d’ap-
plication de l’accord, principalement grâce à sa participation à la Commission
de contrôle et d’évaluation créée par l’accord et à la création d’une commission
de reconstruction post-conflit dirigée par l’Afrique du Sud au sein de l’orga-
nisation. Toutefois, lorsque la crise du darfour survient en 2004, l’attention
de l’uA se tourne vers la région occidentale du soudan. L’uA y déploie un
effort de résolution du conflit et de maintien de la paix sans précédent, qui
en fait un test majeur pour la nouvelle architecture de paix et de sécurité
africaine 19. L’organisation prend l’initiative d’assumer la responsabilité du
processus de paix, en organisant des pourparlers de cessez-le-feu à ndjamena
(2004) et des négociations de paix à Abuja (2006). De façon plus significative

15. entretien avec un haut fonctionnaire de l’uA, Addis-Abeba, mai 2011.


16. Justice Africa, « sudan : Prospect for Peace », Review of African Political Economy, vol. 30, n° 97,
2003, p. 496.
17. Les éléments-clés du protocole de Machakos ont trait à la question de l’autodétermination et à
celle des relations entre État et religion.
18. entretien avec un haut fonctionnaire de l’uA, Addis-Abeba, mai 2011.
19. s. Appiah-Mensah, « Au’s Critical Assignment… », art. cit ; h. boshoff, « The African union
Mission… », art. cit.
le Dossier
106 Sud­Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État

encore, elle déploie la plus importante mission africaine de maintien de la


paix, la Mission de l’union africaine au soudan (Muas). À une époque où la
communauté internationale n’est pas prête à déployer une importante mission
de l’ONU au Darfour, l’UA reçoit immédiatement le soutien politique et financier
des principaux bailleurs de fonds. Toutefois, les tâches requises s’avèrent bien
plus complexes que ce que son architecture de paix et de sécurité, naissante,
peut fournir 20. À long terme, la Muas n’est viable ni d’un point de vue logis-
tique ni d’un point de vue gestionnaire et, face à l’opposition de Khartoum à
une mission de l’Onu, elle est remplacée à partir du 31 juillet 2007 par une
Mission hybride des nations unies et de l’union africaine au darfour (unamid) –
la première du genre. L’uA prend également une part active au processus
politique de résolution du conflit grâce à la médiation conjointe ONU-UA et
au dialogue darfour-darfour, mais son rôle dans la gestion générale de la
nouvelle mission est drastiquement réduit 21. Ceci lui donne le temps et les
moyens de redéfinir son rôle au Soudan et de tourner à nouveau son attention
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


vers le processus de paix nord-sud.
de multiples initiatives africaines et internationales ont donc suivi celle de
l’Igad. Toutefois, à partir du début de l’année 2009, beaucoup au sein de l’uA
sont conscients que les différents processus de paix engagés au soudan
n’avancent pas. de plus, le premier mandat d’arrêt délivré par le procureur
du TPI contre le président béchir en mars 2008 a lancé un débat sans précédent
sur les questions de paix et de justice en Afrique 22. L’uA tente d’adopter la
position du juste milieu dans ce débat, soulignant les risques qu’une telle
situation peut faire courir au processus de paix et demandant, sans succès,
au Conseil de sécurité des nations unies, de surseoir pour une année au
processus initié par la CPI, comme le permet l’article 16 du statut de Rome
de la CPI 23. La situation semble alors dans l’impasse et Khartoum multiplie
les efforts pour saper le soutien de l’Afrique au TPI. L’uA se doit d’apporter
une réponse forte 24. en mars 2009, dans un effort pour promouvoir sa position
sur les questions de justice et son retour en tant qu’acteur international majeur
au soudan, l’uA met en place un panel de haut niveau sur le darfour dirigé

20. K. nerland, « Regional security… », art. cit.


21. A. sarjoh bah, Dilemmas of Regional Peacemaking…, op. cit.
22. Il y a d’une part ceux qui approuvent la décision du Tribunal en mettant en avant l’importance
du facteur de dissuasion et, d’autre part, ceux qui estiment que la décision du TPI risque de
compliquer et de prolonger le conflit. Voir P. Akhavan, « Are International Criminal Tribunals… »,
art. cit.
23. décision du Conseil de paix et de sécurité de l’uA (PsC/MIn/Comm (CXLII)), 21 juillet 2008.
Cette position est approuvée par les chefs d’État de l’uA lors du sommet de février 2009.
24. s. baldo, Sudan : Impact of the Rome Statute and the International Criminal Court, new York,
International Center for Transitional Justice, 2010.
Politique africaine
107 En finir avec les frontières coloniales? L’Union africaine et la sécession du Sud­Soudan

par l’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki, pour examiner les questions
de justice, de paix et de réconciliation dans cette région 25. un an plus tard,
après de longues consultations au soudan, le panel Mbeki soumet un rapport
dans lequel il accuse Khartoum d’entraver l’accès à la justice des citoyens
soudanais et de saper la crédibilité du système de justice pénale du pays. Le
panel recommande que Khartoum réponde au TPI par des moyens légaux,
que soit mis en place un système intégré de justice au darfour, et qu’un
règlement final au conflit soit recherché à travers un processus plus inclusif 26.
Le rapport déplaît à Khartoum qui, au lieu de le rejeter et de se mettre à dos
l’organisation continentale, choisit de retarder, jusqu’à ce jour, l’application
de ses recommandations.
en dépit de la réaction négative de Khartoum, le rapport Mbeki est adopté
avec enthousiasme au sommet extraordinaire pour la paix et la sécurité,
exclusivement dédié au soudan, qui réunit les chefs d’État de l’uA à Abuja
en octobre 2009 27. Il y est accueilli comme une contribution africaine majeure
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


au processus de paix, de réconciliation et de justice au soudan 28. Tout en
approuvant le rapport, les chefs d’État et de gouvernements décident d’étendre
le mandat du panel Mbeki au-delà du darfour pour englober le processus de
paix nord-sud 29. Le nouvel objectif de l’uA est alors de créer les conditions
nécessaires à un engagement de l’organisation en faveur d’une issue pacifique
au CPA, ce qui inclut le référendum de janvier 2011 et ses suites.

Assumer la direction internationale du processus

Pour l’uA et Mbeki, obtenir la direction internationale d’un tel processus


n’est pas chose aisée et la diplomatie de l’uA doit jouer à différents niveaux.
Au niveau national, à la fin de l’année 2009, le jeu politique soudanais paraît
de plus en plus fragile et complexe. Alors que les élections nationales et le
référendum approchent, le Soudan fait face à d’importants défis. Il reste encore
beaucoup à faire pour s’assurer que les soudanais accepteront les résultats
des élections de 2010 (un préalable important au référendum de 2011) : mener

25. Communiqué de l’uA, 142e réunion du Conseil de paix et de sécurité, 21 juillet 2008.
26. Panel de haut niveau de l’uA pour le darfour, Darfur: The Quest for Peace, Justice and Reconciliation,
octobre 2009, disponible sur le site de l’uA : <africa-union.org>.
27. une décision confirmée ensuite lors de la 12e session ordinaire de l’Assemblée (Addis-Abeba,
3 février 2009).
28. déclaration du Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, au Conseil de paix et de sécurité de
l’uA, 207e réunion des chefs d’État et de gouvernement, Abuja, 29 octobre 2009.
29. Communiqué de l’uA, Conseil de paix et de sécurité, 207e réunion des chefs d’État et de gou-
vernement, Abuja, 29 octobre 2009.
le Dossier
108 Sud­Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État

à bien les réformes clés, négocier un accord sur l’organisation du recensement,


garantir (sans illusions) la possibilité d’une participation politique aux
personnes déplacées du darfour, et éviter tout boycott majeur. de façon
inquiétante, les relations entre les deux partis, le Parti du congrès national
(PCn) et le MPLs, ne sont pas propices à la préparation de la transition qui
suivra le référendum de 2011, notamment sur les accords de partage du
pétrole, essentiels à des relations de voisinage pacifiques entre le Nord et
le sud. C’est dans ce contexte que le rapport de l’OnG International Crisis
Group prévient que le soudan est en train de « glisser vers une partition
violente 30 ». Le contexte intérieur requiert alors une coordination et un
leadership internationaux forts. du point de vue de l’uA, du fait des retombées
stratégiques futures pour le continent et de la résistance traditionnelle de
Khartoum à toute intervention politique occidentale, un tel leadership doit
revenir à l’Afrique. L’UA répond au défi en faisant appel à Thabo Mbeki,
dont la crédibilité et le profil très en vue en font un chef des négociations
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


idéal. Mais les deux partis soudanais sont divisés sur la question du leader-
ship du processus : le sud-soudan donne sa préférence à l’Igad, dont les
principaux États membres (Éthiopie, Kenya et Ouganda) ont généralement
soutenu la cause du sud 31. Khartoum, de son côté, ne souhaite pas le retour
de l’Igad et préfère attribuer ce rôle à l’uA 32.
Au niveau régional, plusieurs années ont passé depuis que l’Igad a négocié
le CPA ; l’organisation régionale se trouve maintenant confrontée à de nou-
veaux obstacles et son équilibre interne a évolué. Le Kenya, qui avait été le
centre des initiatives pour la paix au soudan et en somalie au cours de la
décennie précédente 33, ne cache plus sa lassitude. De plus, suite au conflit
électoral de décembre 2007 et à la crise politique interne qui a suivi, nairobi
a perdu sa position diplomatique privilégiée. Ce vide est rapidement comblé
par l’Éthiopie, qui améliore ainsi sa position stratégique dans la région 34.
L’Éthiopie prend la présidence de l’Igad (jusque-là occupée par le Kenya),
se maintenant à la tête de l’organisation jusqu’à ce jour 35. Mais le rôle potentiel

30. Pour une analyse de la situation politique d’alors au soudan, voir International Crisis Group,
« sudan : Preventing Implosion », Briefing Afrique, n° 68, 17 décembre 2009.
31. Le MPLs, initialement opposé à l’initiative de l’uA, reviendra plus tard sur sa position (voir infra).
32. Voir d. helly (dir.), Post-2011 Scenarios in Sudan : What Role for the EU ?, Paris, Institut d’études
de sécurité de l’ue, 2009, p. 54-55.
33. Voir L. Cliffe, « Peace in the horn This Year ? », Review of African Political Economy, vol. 30, n° 97,
2003, p. 497-504.
34. b. bruton, « In the quicksands of somalia : Where doing Less helps More », Foreign Affairs,
vol. 88, n° 6, 2009, p. 79-94.
35. L’Éthiopie est élue à la présidence de l’Igad lors du 12e sommet ordinaire de l’organisation à
Addis-Abeba en juin 2008.
Politique africaine
109 En finir avec les frontières coloniales? L’Union africaine et la sécession du Sud­Soudan

de l’Igad est entravé par un certain nombre de facteurs : l’initiative de l’Igad


n’a jamais eu la bénédiction de Khartoum ; l’organisation atteint déjà ses
limites du fait de son engagement en somalie ; elle est divisée face aux tensions
entre l’Érythrée et l’Éthiopie ; enfin, elle n’est pas en mesure de représenter
les intérêts de protagonistes africains non-membres de l’Igad mais aux intérêts
importants au soudan, tels que l’Égypte 36. Ainsi, en dépit d’une tentative
kenyane de relancer son rôle au soudan lors du sommet des chefs d’État de
l’Igad en mars 2010 37, l’organisation régionale n’est plus favorite pour mener
le processus et décide donc de soutenir l’initiative de l’uA. Le soutien ferme
à l’initiative Mbeki du Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, qui occupe
une position diplomatique clé puisque son pays est le seul à partager une
frontière avec le nord et le sud-soudan, joue un rôle crucial dans le succès
de l’uA 38.
Au niveau continental, lorsque le processus de paix soudanais a commencé
dans les années 1990, l’uA était encore à naître et son prédécesseur, l’OuA,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


n’avait pas de mandat pour y jouer un rôle important. depuis cette époque,
cependant, beaucoup de choses ont changé. Grâce au développement d’une
nouvelle « culture de paix et de sécurité » sur le continent – qui préfère le
principe de non-indifférence à l’ancienne norme de non-ingérence –, le
programme de l’uA l’amène à rechercher un rôle de leader international dans
chaque crise africaine 39. Cette ambition est formulée lorsque les dirigeants
africains, réunis en sommet de l’uA à Addis-Abeba en janvier 2010, font de
l’année 2010 « l’année de la paix et de la sécurité en Afrique » 40. Au moment
de cette annonce, le rôle du panel de haut niveau Mbeki sur le soudan consiste
à mettre en pratique cette volonté de l’uA. La nomination en mars 2009 de
trois anciens présidents pour diriger le panel (Mbeki, Pierre buyoya du
burundi et le général Abubakar du nigeria) est la preuve que l’uA ne considère
pas le soudan comme simplement « un autre problème africain 41 » ; au
contraire, les conséquences stratégiques de la destinée du soudan sont fon-
damentales 42. si elle n’est pas bien gérée, la partition du soudan, voisin de

36. L’Érythrée suspend sa participation à l’Igad en avril 2007 du fait de ses divergences sur la crise
somalienne : « eritrea suspends its Membership in Igad over somalia », Sudan Tribune, 22 avril 2007.
37. Communiqué de la 14e session extraordinaire de l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement
de l’Igad sur le processus de paix au soudan, nairobi, 9 mars 2010.
38. « Kiir and Meles discuss sudanese elections », Sudan Tribune, 19 avril 2010.
39. Voir P. d. Williams, « from non-Intervention to non-Indifference: The Origins and development
of the African union’s security Culture », African Affairs, vol. 106, n° 423, 2007, p. 253-279.
40. Assemblée de l’uA, 14e session ordinaire, Addis-Abeba, 31 janvier-2 février 2010.
41. entretien avec un haut fonctionnaire de la Commission de l’uA, mai 2011.
42. selon les entretiens de l’auteur avec de hauts fonctionnaires de la Commission de l’uA,
la nomination du panel de haut niveau Mbeki est le fait du président de la Commission.
le Dossier
110 Sud­Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État

neuf pays pour la plupart fragiles, peut poser un réel défi à une large partie
du continent africain.
Obtenir le soutien des partenaires internationaux se révèle être une tâche
compliquée pour l’uA. Au darfour, ceux-ci ont soutenu le leadership de
l’uA avec enthousiasme à un moment où ils n’étaient pas prêts à intervenir
eux-mêmes. Mais le processus nord-sud est différent. Les États-unis, le
Royaume-uni et la norvège sont les garants historiques du CPA et, quand
l’uA commence à faire pression pour obtenir le rôle de leader du processus
de paix en 2009, leur réaction est réservée. d’autant plus que l’Onu, qui a
alors 10 000 soldats de maintien de la paix au soudan, espère légitimement
jouer un rôle prépondérant dans le processus 43. Ce manque d’enthousiasme
est visible lorsque Jean Ping se rend à new York en décembre 2009 pour
obtenir le soutien du Conseil de sécurité de l’Onu au rapport Mbeki, et
n’obtient du Conseil qu’un accueil favorable, au lieu de l’approbation sans
réserve espérée 44. Tandis que le rapport Mbeki se concentre essentiellement
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


sur le darfour, la première réaction du Conseil de sécurité est de souligner
qu’un plus grand effort diplomatique est nécessaire pour convaincre les par-
tenaires internationaux de soutenir une médiation de l’uA dans le processus
nord-sud. Plusieurs développements au niveau international ouvrent la
voie, au cours des mois qui suivent, à un consensus en faveur d’un leadership
de l’uA.
Tout d’abord, l’initiative américaine, lancée au moment où le soudan se
trouvait dans une impasse politique en 2009, commence à atteindre ses limites.
L’émissaire américain au soudan, le général scott Gration, doit faire face à de
nombreuses difficultés au Darfour, du fait du manque d’unité parmi les
rebelles 45, et au sud, à cause de l’opposition du MPLs à son approche plus
modérée envers Khartoum 46. si l’engagement des États-unis demeure crucial,
Washington a cependant besoin d’un partenaire solide en première ligne
pour améliorer les chances de succès. d’autre part, même après l’émission par
le TPI du mandat d’arrêt contre le président béchir et la période de crise qui
s’ensuit dans les relations entre l’Occident (l’union européenne, en particulier)
et le dirigeant soudanais, l’uA parvient à maintenir une relation solide avec
Khartoum. Mbeki est l’un des rares envoyés internationaux à bénéficier d’un
accès régulier au président béchir, et de l’autorisation de son institution pour
le rencontrer. Mbeki, en tant qu’ancien chef d’État 47, dispose du même statut

43. entretien avec un haut fonctionnaire de la Commission de l’uA, mai 2011.


44. Communiqué de presse du Conseil de sécurité de l’Onu, sC/9831 AfR/1925, 21 décembre 2009.
45. «darfur Rebels denounce destructive Approach of us envoy», Sudan Tribune, 18 novembre 2009.
46. « us Policy shift on sudan becomes More Vivid », Sudan Tribune, 30 juillet 2009.
47. Thabo Mbeki a quitté la présidence sud-africaine en décembre 2008.
Politique africaine
111 En finir avec les frontières coloniales? L’Union africaine et la sécession du Sud­Soudan

que béchir, un atout crucial qui renforce sa crédibilité en tant que médiateur
et augmente ses chances de succès. Cet avantage ainsi que le « partenariat
stratégique » de l’ue avec l’uA amènent la haute représentante de l’ue pour
les affaires étrangères, Catherine Ashton, à accorder son soutien – et l’assistance
financière et technique nécessaire – au panel Mbeki 48. L’architecture inter-
nationale du processus fait finalement consensus à la réunion internationale
organisée à l’initiative de Jean Ping au soudan en mai 2010, immédiatement
après les élections nationales tenues le mois précédent. Au cours de cette
réunion, tous les partenaires internationaux promettent de soutenir le forum
consultatif soudanais, placé sous l’égide de l’Onu et de l’uA et au sein duquel
toutes les initiatives de paix pour le soudan (y compris celle pour le darfour)
seront coordonnées 49. Cette décision procure au panel Mbeki la légitimité de
l’Onu pour jouer un rôle déterminant dans le processus qui mènera au
référendum et à la transition post-référendum, en coordination étroite avec
le représentant spécial de l’Onu, haile Menkerios.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


La fin de la mission de l’UA au Darfour en juillet 2007 est également salu-
taire puisqu’elle permet de soulager la Commission de l’uA, encore inexpéri-
mentée et mal préparée, du fardeau quotidien lié à la gestion d’une opération
de maintien de la paix. Ceci donne à l’uA le temps et les ressources nécessaires
pour se concentrer sur ce qu’elle fait de mieux : de la politique. Tandis que la
gestion d’importantes missions de la paix représente un défi majeur pour
l’organisation encore naissante, son organisation institutionnelle simple lui
donne la flexibilité nécessaire pour mener des initiatives politiques rapides
et de haut niveau. Le rôle du panel Mbeki au soudan en est un exemple. Mbeki
a plein mandat de l’UA (de la Commission et des États membres) et bénéficie
ainsi d’une grande autonomie pour mener le processus. Il présente par exemple
régulièrement, lors des réunions du Conseil de paix et de sécurité ou des
sommets de chefs d’État de l’uA, des rapports dont les recommandations sont
immédiatement approuvées par les dirigeants africains.
Il en résulte que la politique de l’UA au Soudan est très fortement influencée
par l’idéologie panafricaine de Mbeki. Le rapport du panel et la méthode de
médiation de Mbeki reflètent tous deux des idées clés de la politique étrangère
sud-africaine sous sa présidence 50 : la dimension panafricaine, évidente dans
l’approche de Mbeki et dans l’insistance de l’uA pour que le processus soit

48. Voir le communiqué de la haute représentante de l’union pour les affaires étrangères,
23 mars 2010, disponible sur <consilium.europa.eu>.
49. Voir le communiqué de l’uA à l’issue de la réunion consultative sur le soudan, Addis-Abeba,
8 mai 2010.
50. Voir L. nathan, « Interests, Ideas and Ideology : south Africa’s Policy on darfur », African Affairs,
vol. 110, n° 438, 2010, p. 55-74.
le Dossier
112 Sud­Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État

mené par l’Afrique ; un attachement à la démocratie démontré par les nom-


breuses références à la transformation du soudan et au besoin de justice au
Darfour parmi les recommandations du rapport ; l’anti-impérialisme reflété
par l’opposition de Mbeki à une solution militaire (externe) à tout problème
africain et par sa foi en une diplomatie discrète pour gérer au mieux les crises
africaines et béchir (une foi profondément ancrée dans l’expérience de
transition sud-africaine des années 1990). Tout au long de son mandat, Mbeki
souligne auprès des partenaires internationaux la nécessité d’effacer une
partie de la dette soudanaise et de mettre fin aux sanctions américaines. Ceci
fait partie d’une stratégie visant à dédommager le nord pour la perte du sud
et à éviter de renforcer les défenseurs d’une ligne dure au sein du régime
béchir qui estiment que de nouveaux compromis avec le sud risqueraient
d’affaiblir le régime, à l’intérieur comme à l’extérieur. L’accent mis par Mbeki
sur une approche panafricaine va de pair avec le besoin de l’UA de redéfinir
sa politique au soudan et de donner un nouvel élan à son rôle, alors en pleine
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


évolution, sur le continent.

Gérer la sécession du Sud-Soudan

Au-delà de sa position de garant du CPA, qui oblige l’uA à respecter le


droit du sud-soudan à faire sécession, trois facteurs contribuent à ce que
l’organisation accepte de remettre en cause sa doctrine d’inviolabilité des
frontières, surmonte ses relations difficiles avec le MPLS et salue le succès du
référendum au sud-soudan: le rôle de leader attribué à l’uA; le développement
par le panel Mbeki d’une approche panafricaine ; la déclaration solennelle
faisant de la sécession du sud-soudan un cas exceptionnel sans conséquence
pour le reste de l’Afrique.
Comme nous l’avons évoqué plus haut, la raison principale qui pousse l’uA
à accepter la clause de sécession est l’accord, obtenu en 2002, entre le nord et
le sud-soudan pour un droit à l’autodétermination des sud-soudanais.
néanmoins, pendant toute la durée d’application du CPA, l’uA n’a cessé de
souligner la clause de l’accord appelant les deux parties et leurs partenaires
à mettre en avant les avantages de l’unité 51. Cette position est en accord à la
fois avec son principe fondateur d’inviolabilité des frontières et avec ses
obligations en tant que signataire du CPA. L’uA continue à développer cette
position lorsqu’elle adopte officiellement le rapport du panel Mbeki sur le

51. Voir le communiqué de l’uA après la 201e réunion du Conseil de paix et de sécurité, 25 août 2009.
Politique africaine
113 En finir avec les frontières coloniales? L’Union africaine et la sécession du Sud­Soudan

darfour en octobre 2009 52, qui estime également que le conflit au Darfour
requiert un processus global négocié dans le contexte d’une transformation
démocratique du soudan. Les notes du panel Mbeki sont ainsi en accord avec
la vision d’un « nouveau soudan » embrassée par feu le leader historique du
MPLs, John Garang 53. L’appel de l’uA à l’unité du soudan s’accompagne donc
d’un appel à la transformation (ou démocratisation) de la scène politique
soudanaise grâce à une approche holistique. Mais, avec la disparition du
principal défenseur du « nouveau soudan », la sécession paraît de plus en
plus inévitable 54.
Avant d’être reconnue comme médiateur international dans le processus
nord-sud, l’uA doit faire face à l’opposition initiale des dirigeants du MPLs.
La diplomatie de l’OuA, à l’indépendance, avait établi une distinction claire
entre les mouvements de libération «légitimes» qui luttaient contre les régimes
minoritaires blancs et les rébellions « illégitimes » qui revendiquaient une
sécession ou des réformes en opposition à un État postcolonial 55. Là encore,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


feu John Garang avait su persuader les dirigeants de l’OuA de rompre avec
cette règle et avait rencontré en 1997 le secrétaire général de l’organisation,
salim Ahmed salim, entretenant ensuite des contacts réguliers avec la direction
de l’organisation, y compris avec le premier président de la Commission de
l’uA, Alpha Konaré (2003-2007) 56. Mais la mort de Garang, le 30 juillet 2005,
crée un nouveau vide entre le MPLs et l’uA. Lorsque, en 2009, les parties
doivent choisir un médiateur pour le processus menant à la partition, le
premier choix du sud est l’Igad. de par son passé de guérilla, le MPLs se sent
plus confiant sur la scène politique régionale que dans un contexte multilatéral
tel que celui de l’uA. en outre, dans la mesure où les gouvernements soudanais
successifs ont largement été dominés par l’élite soudanaise nordiste et n’ont
jamais tenté d’attirer l’attention de l’OuA/uA sur la perception sudiste des
problèmes soudanais, la Commission de l’uA est largement perçue comme

52. Panel de haut niveau de l’uA pour le darfour, Darfur : The Quest for Peace…, doc. cit, p. 14.
53. Pour John Garang, l’objectif de la lutte armée soudanaise devait être la création d’un soudan
uni et démocratique, régi par une politique économique et un ordre constitutionnel respectueux
de sa diversité.
54. Voir A. natsios et M. Abramowitz, « sudan’s secession Crisis », Foreign Affairs, vol. 90, n° 1, 2011,
p. 19-26.
55. C. Clapham (dir.), African Guerrillas, Oxford, James Currey, 1998, p. 4.
56. entretien avec Arop deng Kuol, représentant du gouvernement sud-soudanais en Éthiopie et
auprès de l’uA, mai 2011. selon lui, qui représentait déjà en 1997 le MPLs à Addis-Abeba, la tentative
d’assassinat contre le président égyptien Moubarak la même année, soupçonnée d’avoir été orga-
nisée par le nouveau régime islamiste à Khartoum, a joué un rôle décisif dans la décision du
secrétaire général de l’OuA d’abandonner les positions doctrinales de l’organisation et d’accepter
de rencontrer Garang.
le Dossier
114 Sud­Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État

étant pro-Khartoum par les sud-soudanais. Les nouveaux dirigeants du MPLs


craignent également que l’uA, à la tête du processus nord-sud, soit trop
influencée par le principe continental d’inviolabilité des frontières coloniales,
au point d’être prête à sacrifier la possibilité d’une indépendance sans heurts
pour le sud-soudan. Pour le MPLs, l’objectif est d’obtenir la pleine indé-
pendance politique, et il souhaite que l’uA s’engage clairement à respecter la
date et le résultat du référendum 57. Ces préoccupations du MPLs doivent
d’abord être prises en compte pour que l’uA soit acceptée comme médiateur
par les deux parties.
Le panel Mbeki joue un rôle décisif dans ce sens. Avant que l’uA n’obtienne
le leadership international au soudan, son approche est théorique, avec un
accent porté sur l’unité et la transformation, plutôt que pragmatique et orientée
vers une partition et une coexistence pacifiques. Mais à l’approche du
référendum, le panel Mbeki souligne auprès de la Commission et des États
membres de l’uA que la sécession du sud-soudan est inévitable et que tous
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


leurs efforts doivent maintenant se concentrer sur la mise en place d’une
partition pacifique. Cette attitude suscite alors le soutien du MPLS à l’initiative
Mbeki. Le MPLs réalise aussi que, pour que le reste de l’Afrique reconnaisse
le tout nouveau sud-soudan, l’uA va devoir jouer un rôle central dans le
processus d’indépendance, et qu’il doit donc tenter d’influencer les politiques
de l’uA grâce à des contacts réguliers au plus haut niveau. Ainsi, tandis que
le président de la Commission de l’uA exprime de temps à autre les préoccu-
pations du continent quant aux conséquences potentielles de la première
remise en cause officielle des frontières coloniales dans l’histoire de l’Afrique
indépendante 58, il souligne également la nécessité absolue d’avoir une feuille
de route pour l’avenir, que le soudan reste uni ou fasse scission 59. Ce message
est déterminant pour maintenir l’unité au sein de l’uA et, en même temps,
pour s’assurer que celle-ci, plutôt que d’autres organisations internationales,
dirigera la médiation au soudan.
L’approbation par le MPLs du rôle de médiateur de l’uA est formellement
obtenue le 8 mai 2010, lorsque le secrétaire général du MPLs, Pagan Amoun,
prononce un discours devant le forum consultatif soudanais, à peine huit mois
avant le référendum. devant le président de la Commission, Mbeki, les
États membres les plus importants et les émissaires internationaux au soudan,
Amoun prévient l’uA que le MPLs attend d’elle un « engagement pour que

57. entretien avec un dirigeant du MPLs, octobre 2009.


58. « sudan like a Powder Keg, says Au Chief Jean Ping », bbC, 28 janvier 2010.
59. Panel de haut niveau de l’uA sur le soudan, session fermée de réflexion avec les partenaires
internationaux, Addis-Abeba, 2-3 décembre 2009.
Politique africaine
115 En finir avec les frontières coloniales? L’Union africaine et la sécession du Sud­Soudan

le référendum ait lieu en janvier 2011 et pour que le choix du peuple soudanais
soit accepté et respecté ». Il souligne également que « tout délai ou toute
manœuvre pour reporter le référendum » amènera le sud-soudan à déclarer
unilatéralement son indépendance et entraînera de nouveau le pays vers la
guerre. Le président Ping répond immédiatement en réitérant la position
officielle de l’UA : « Nous avons pris acte de l’importance du référendum.
Je tiens à vous assurer, vous et le président béchir, de la volonté et du désir
de tous d’en respecter les résultats. Voter lors du référendum est la prérogative
du sud-soudan, pas la nôtre » 60. L’échange est historique : pour la première
fois de l’histoire de l’Afrique postcoloniale, un mouvement africain utilise la
scène panafricaine de l’uA pour promouvoir son programme sécessionniste.
Les garanties de Jean Ping à propos du référendum – et les visites fréquentes
de Mbeki à Juba – amènent, deux mois plus tard, le secrétaire général Amoun
à approuver sans réserve le leadership de l’uA dans le processus. Les partis
signent par la suite le protocole d’accord de Mekelle, qui confirme que
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


les négociations pour la transition post-référendum seront dirigées par le
panel Mbeki 61.
Le deuxième élément décisif est la mise au point, par le panel Mbeki, d’une
analyse originale des causes de la partition soudanaise, en accord avec la
perspective panafricaine de l’organisation continentale. Même si le soudan
colonial a été gouverné par une politique d’administration et de développement
séparés, les britanniques se sont gardés, lorsque le pays est devenu indépendant
en 1956, de proposer une partition – de peur qu’elle n’entraîne une union avec
l’Égypte. À la fin de la deuxième guerre mondiale, la structure coloniale,
intacte, avait alors été transférée des mains des britanniques à celles des
nationalistes nord-soudanais 62. Aux yeux de Mbeki, ce qui a déclenché la
revendication d’autonomie des sud-soudanais, ce sont donc la discrimination
politique et l’inégalité économique criantes entre le nord et le sud, initiées
par l’empire britannique puis perpétuées par l’élite nord-soudanaise après
l’indépendance. une fois la demande d’autonomie réprimée, les sud-soudanais
ont poussé la lutte plus loin et ont commencé à se battre pour l’indépendance.
s’adressant aux étudiants sud-soudanais à l’université de Juba, Mbeki souligne
que la guerre civile soudanaise « a fait comprendre à une majorité écrasante
de vos compagnons africains, à travers toute l’Afrique, que l’indépendance

60. Ces déclarations du secrétaire général Pagan Amoun et du président de la Commission


Jean Ping sont tirées des notes prises par l’auteur pendant la réunion consultative sur le soudan,
Addis-Abeba, 8 mai 2010.
61. Protocole d’accord de Mekelle entre le PCn et le MPLs sur la transition post-référendum,
juin 2010.
62. d. h. Johnson, The Root Causes of Sudan’s Civil Wars, Oxford, James Currey, 2003, p. 21.
le Dossier
116 Sud­Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État

du soudan n’était pas entière puisqu’il lui restait à compléter le processus de


décolonisation 63 ». en d’autres termes, le référendum au sud-soudan allait
être, pour le soudan et, par extension, pour toute l’Afrique le point culminant
d’une longue lutte pour l’autodétermination, la décolonisation et l’indé-
pendance. Cette idée est reprise par Jean Ping qui, lors de l’annonce des
résultats officiels du vote de janvier 2011, fait remarquer qu’« avec l’indé-
pendance du sud-soudan, le soudan a surmonté son histoire tragique 64 ».
L’idéologie panafricaine joue un rôle déterminant dans cette approche,
comme l’illustrent les nombreuses références à la libération de l’Afrique du
colonialisme. À la fin du xxe siècle pourtant, le sens, les objectifs et l’idéologie
du panafricanisme ont évolué. une nouvelle génération de dirigeants – dont
Mbeki est un des principaux représentants 65 – a popularisé l’idée d’une
« renaissance africaine 66 ». Le soudan représente donc une leçon importante
pour l’Afrique. son histoire postcoloniale, comme pour une grande partie
de l’Afrique, a été celle d’une lutte pour « se forger une unité dans la diversité ».
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


En s’appuyant sur cette vision, l’UA peut alors affirmer qu’en dépit de la
partition du Soudan, le Nord et le Sud doivent continuer à coopérer afin
de respecter leur engagement commun de créer deux États viables dans le
contexte plus large des efforts continentaux d’intégration.
Le troisième élément qui scelle la reconnaissance par l’uA de l’indépendance
du sud-soudan est la déclaration solennelle des chefs d’État africains dans
laquelle ils présentent la partition soudanaise comme un « cas exceptionnel 67 ».
L’approche panafricaine se révèle en effet insuffisante pour répondre aux
préoccupations de nombreux dirigeants africains qui craignent que la
sécession sud-soudanaise n’ouvre la voie à d’autres contestations des frontières
coloniales. si l’uA salue la réussite du référendum sur l’autodétermination,
elle se voit dans la nécessité de désigner la partition soudanaise comme un
cas spécifique afin d’éviter que d’autres mouvements sécessionnistes ne

63. T. Mbeki, « southern sudan on the eve of self-determination », intervention à l’université de


Juba, 7 janvier 2011.
64. « The Au Applauds the success of the Referendum in southern sudan », Président de la
Commission de l’uA, Jean Ping, communiqué de presse, 7 février 2011.
65. Voir T. Mbeki, « I am an African », discours prononcé à l’occasion de l’adoption de la Constitution
de la République d’Afrique du sud, Le Cap, 8 mai 1996, disponible entre autres sur <newzimbabwe.
com> ; « The African Renaissance, south Africa and the World », intervention à l’université des
nations unies, 9 avril 1998, disponible sur <archive.unu.edu>.
66. K. Mathews, « Renaissance of Pan-Africanism : The Au and the new Pan-Africanists »,
in J. Akokpari, A. ndinga Muvumba et T. Murithi (dir.), The African Union and Its Institutions,
Le Cap, Jacana Media, 2008, p. 30.
67. déclaration solennelle de l’Assemblée de l’uA sur le soudan, Addis-Abeba, 30-31 jan-
vier 2011.
Politique africaine
117 En finir avec les frontières coloniales? L’Union africaine et la sécession du Sud­Soudan

revendiquent la même chose. dans leur déclaration solennelle, les dirigeants


africains font ainsi référence à la résolution historique de l’Assemblée générale
de l’Onu en 1960. Cette résolution, tout en appelant à l’autodétermination
des peuples, condamne également toute tentative visant au « bouleversement
partiel ou total » de l’unité et de l’intégrité territoriale nationales des États
postcoloniaux 68. La déclaration solennelle conclut donc que la partition du
soudan ne remet « d’aucune façon » en cause le « principe sacro-saint du
respect des frontières » héritées à l’indépendance 69.
Après la déclaration d’indépendance du sud-soudan le 9 juillet 2011, sa
reconnaissance par l’uA devrait donc aller de soi. Les règles de l’uA ne
requièrent qu’un vote à la majorité simple de ses États membres pour que le
sud-soudan devienne un nouveau membre de l’organisation continentale.
Cela ne devrait pas poser de problème et le sud-soudan a d’ores et déjà été
invité au prochain sommet de l’UA qui doit se tenir à la fin du mois de juin
à Malabo. en janvier 2011, le président du sud-soudan, salva Kiir, a rendu
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


une visite historique au sommet de l’uA à Addis-Abeba. À cette occasion, le
président béchir a fait une déclaration positive reconnaissant que la partition
était maintenant devenue une réalité et réitérant l’engagement de son
gouvernement à accepter le résultat du référendum. Il a été le premier à
reconnaître le nouvel État et à promettre son entière coopération afin que
celui-ci puisse fonctionner de manière autonome. Kiir a, à son tour, fait l’éloge
de Béchir et souligné l’importance d’une coexistence pacifique entre le Nord
et le sud. Tous les intervenants ont salué le ton positif des déclarations des
deux dirigeants soudanais et l’hôte du sommet, le Premier ministre éthiopien,
Meles Zenawi, a accueilli salva Kiir comme « le dirigeant d’un nouvel État 70 ».

P ar la déclaration solennelle de l’uA, qui reconnaît la sécession du


sud-soudan comme un cas exceptionnel, le continent a démontré que son
engagement en faveur de la paix était plus fort que sa doctrine sur l’inviolabilité
des frontières coloniales. La question qui se pose encore, à l’heure actuelle,
est de savoir si cette déclaration solennelle sera suffisante pour prévenir de
nouveaux cas de partition en Afrique. La réponse est probablement négative.
La sécession du sud-soudan, comme dans le cas de l’Érythrée, montre que la

68. Résolution 1514(xv) de l’Assemblée générale des nations unies, « déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », new York, 14 décembre 1960, articles 5 et 6.
69. déclaration solennelle de l’Assemblée de l’uA sur le soudan, Addis-Abeba, 30-31 jan-
vier 2011.
70. Voir le communiqué de presse de l’uA, « Au Chairperson Receives first Vice President of sudan
and President of southern sudan salva Kiir », 31 janvier 2011.
le Dossier
118 Sud­Soudan. Conquérir l’indépendance, négocier l’État

partition d’un pays africain est possible lorsque la partie qui fait sécession et
celle dont elle se sépare acceptent toutes deux cette option par un accord
internationalement reconnu. dans un tel cas, l’organisation continentale ne
peut pas s’opposer à la partition sans remettre en cause sa doctrine fondatrice.
Au moment de la rédaction de cet article, nous ne savons pas encore si la
partition du Soudan sera pacifique ou si elle déclenchera de nouveaux
événements tragiques. Ceci dépendra en grande partie de la volonté des
deux parties de s’accorder sur les conditions précises de la partition – grâce,
notamment, aux dispositions post-référendaires proposées par le panel
Mbeki. bien que cet article se soit concentré sur l’examen du rôle de l’uA dans
le processus de partition du soudan, il est important de souligner, une fois
encore, que l’influence des médiations et des acteurs internationaux sur la
politique soudanaise a toujours été limitée. Les dynamiques internes, plutôt
que les acteurs externes, sont le principal facteur qui explique l’acceptation
par béchir des résultats du référendum sud-soudanais. Il est néanmoins
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


possible de conclure pour le moment que la tenue pacifique du référendum
et la reconnaissance du sud-soudan en juillet 2011 représentent un succès pour
l’uA et ses projets ambitieux pour le continent et le système international.
Lorsque l’uA a pris l’initiative d’intervenir sur le darfour, en accord avec
« sa détermination à appliquer une solution africaine aux problèmes
africains» 71, les défenseurs des droits de l’homme, journalistes et universitaires
y ont vu une façon bien pratique pour « les Américains et les européens de
se laver les mains de la crise » 72. L’uA a fait du chemin depuis. son rôle récent
au soudan démontre qu’elle ne se limite plus aux problèmes que la communauté
internationale feint d’ignorer, comme dans le cas du darfour. Au contraire,
la médiation par l’uA du processus qui a mené à la partition du soudan
démontre la capacité de l’organisation à jouer un rôle déterminant dans des
crises dont beaucoup estiment qu’elles touchent aux intérêts occidentaux. de
ce point de vue, l’initiative de l’uA dans le processus nord-sud représente
une étape cruciale vers un plus grand rôle de l’organisation continentale dans
le domaine de la paix et de la sécurité.
Il faut aussi rappeler que la nomination de Mbeki à la tête du panel de haut
niveau pour le soudan a été déterminante pour obtenir l’assentiment des deux
parties, le soutien unanime du continent et la reconnaissance internationale
du processus dirigé par l’uA. Cette nomination a ainsi donné une nouvelle

71. R. Cockett, Sudan, Darfur and the Failure of an African State, new haven, Yale university Press,
2010, p. 233.
72. M. W. daly, Darfur Sorrow : A History of Destruction and Genocide, Cambridge, Cambridge
university Press, 2007, p. 295.
Politique africaine
119 En finir avec les frontières coloniales? L’Union africaine et la sécession du Sud­Soudan

confiance à l’organisation continentale. Pourtant, l’initiative de l’UA au Soudan


a beaucoup dépendu de l’engagement personnel de Mbeki, dont les activités
de médiateur – en dépit de son approche panafricaine et anti-impérialiste –
ont été presque entièrement financées par l’Occident. À l’avenir, il sera de la
responsabilité des dirigeants africains d’investir dans l’uA, y compris
financièrement, de pérenniser la contribution de Mbeki et de garantir une
réponse adéquate de l’uA aux crises du continent n

Umberto Tavolato

Traduction : Marie Gibert

Abstract
Breaking colonial borders ? The African Union’s role in the secession of South
Sudan
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 118.200.58.63 - 08/09/2019 03:31 - © Editions Karthala


In January 2011, as per the Comprehensive Peace Agreement (CPA), the people
of South Sudan overwhelmingly voted for secession. This will make South Sudan the
54th African state on July 9 2011. This article focuses on the continental dimension of
the self­determination of Southern Sudan. In particular, it tries to explain how the
African Union (AU) could recognize a new independent Southern Sudan, despite its
pro­unity stand and strict doctrine on the inviolability of borders. The main factor
behind the AU recognition of Southern Sudan’s independence was its signature of
the CPA. This article further argues that the AU leadership of the process (through the
Mbeki Panel) leading to Sudan’s separation and the developing of an original Pan­
African narrative on it have been additional important factors in order to align AU
member states to recognize Southern Sudan as an exceptional case.

Vous aimerez peut-être aussi