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S.E.R. | « Études »
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Aliénation parentale,
un concept à haut risque
N
ous avons désiré rédiger une sorte d’essai qui fasse
le point sur notre pratique clinique et sur nos
connaissances, autour de ce douloureux problème
des séparations parentales très difficiles. Nous voulions
apporter notre témoignage à leur propos, sans simplifier, et
en espérant que les pistes de prise en charge proposées puis-
sent aider nos collègues ou/et susciter un débat avec eux.
D’autant que nous sommes persuadés que ces problèmes ne
feront que croître, à l’unisson de l’augmentation persistante
des couples qui se séparent.
Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Février 2009 – n° 4102 187
difficultés de circulation de l’enfant1 entre ses parents. Elles 1. Pour simplifier, nous
emploierons le ter me
peuvent s’avérer importantes et durables, jusqu’au refus total
« enfant » pour désigner le
et permanent de séjourner chez un parent. ou les enfants issu(s) du
Il y a une vingtaine d’années, Richard Gardner a couple parental qui s’est
séparé. S’il y a plusieurs
donné une identité officielle à ces situations connues depuis enfants en jeu, il n’est pas
longtemps, en les appelant « syndrome d’aliénation paren- impossible que la position
tale » ; il a donné aussi à ce terme une apparence scientifique, de chacun par rapport à la
c i rc u l at ion ent re s e s
en schématisant et en résumant sa description en critères cli- parents soit différente,
niques très concrets, dont la présence en nombre significatif mais nous ne le discuterons
pas ici.
doit faire diagnostiquer la présence de son syndrome.
Les plus importants tournent autour du dénigrement
inobjectif et passionné du parent contesté par l’enfant, sous
l’influence déterminante du parent chez qui se passe la vie
quotidienne. Gardner y inclut un critère qui coupe l’herbe
sous le pied à tout doute et à toute critique : dans l’ambiance
générale de sa description, l’enfant serait incapable d’avoir
une pensée personnelle bien qu’il affirme vigoureusement le
contraire : s’il se prétend être un « penseur indépendant » et
insiste à ce propos, l’auteur y voit précisément la preuve qu’il
ne l’est pas.
Ce cadre conceptuel étant proposé, il s’est passé ce que
l’on pouvait redouter : on y a fait entrer beaucoup de vignet-
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2. Ce sont les mêmes lob- véritables lobbies2, cherchant à influencer les scientifiques,
bies qui revendiquent les magistrats, l’opinion publique, etc. Or, la composition de
énergiquement la garde
alternée comme « la » solu- ces groupes est plus complexe qu’elle n’en a l’air. A côté d’une
tion de vie pour l’enfant présence minoritaire de parents réellement victimes d’injus-
après la séparation.
tice et d’aliénation, il y en a davantage qui sont en bagarre et
en rivalité permanentes avec leur ex-conjoint : sorte d’énor-
mes bras de fer où ce qui compte, ce n’est pas vraiment le
bonheur de l’enfant, mais plutôt de l’emporter sur l’autre.
Ces lobbies sont souvent intellectuellement puissants et leurs
membres ont des statuts sociaux forts. Leurs revendications
et leurs pressions sur les idées de la communauté sont donc
efficaces. Les mouvements féministes voient même dans cel-
les-ci une passe d’armes plus générale dans la lutte sociale
entre le pouvoir des hommes et celui des femmes.
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l’autre façon6.
L’enfant peut également persister par orgueil : tout, plutôt que
d’avouer que l’on s’est trompé !
– Ailleurs, l’enfant demeure de bonne foi, mais il souffre de
ce que le parent gardien présente de façon si récurrente son
autre parent comme un vrai monstre. Cela peut l’angoisser,
surtout s’il est petit (« Un monstre, ça peut surgir n’importe
quand avec un sac pour vous kidnapper, n’est-ce pas ? »). Cela
peut aussi rendre l’enfant triste et préoccupé, même s’il ne le
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Quelles solutions ?
Dans de rares cas, il est clair que le parent gardien actuel est
un agent hautement toxique, en ordre principal ou exclusif
par exemple : mère en perpétuel débordement émotionnel,
paranoïde, sans la moindre objectivité, qui entraîne indéfini-
ment l’enfant dans une forte ambiance de persécution ; mère
psychotique ; parent qui a déjà arraché un enfant à l’autre
parent, bien investi et aimé, dans le cadre d’un enlèvement
religieux, culturel ou narcissique.
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venants de se venger du
parent gardien, en lui mon- allers et retours. Jusqu’à quel point insister pour faire obéir le
trant que ce sont eux les
plus forts.
parent gardien lorsqu’il demeure rétif même aux jugements
des Tribunaux ? Dans ce contexte, les efforts des magistrats et
des autres intervenants psychosociaux s’effritent souvent face à
la résistance du parent gardien.
Une application, heureusement rare, est particulière-
ment problématique : c’est le cas où un parent – par exemple la
mère – kidnappe l’enfant : lors d’un moment de visite chez elle,
elle l’emmène dans un autre pays et commet de la sorte une
grave erreur, même si c’est le désespoir ou la conviction que
l’autre est mauvais qui l’anime. Lorsque, souvent bien plus
tard, la chose est jugée, le Tribunal a tendance à rendre l’enfant
à l’autre parent, en référence à la gravité du délit et à la valeur
exemplative du jugement. Ici, nous devons réfléchir dans une
logique du moindre mal. Surtout pour montrer à une société
que certaines règles sont importantes à respecter, nous avons
tendance à adhérer à cette prise de position des Tribunaux.
Nous ne sommes néanmoins pas sûrs que c’est toujours au
nom du plus grand bien de l’enfant, qui va de nouveau s’en
trouver déraciné. Il faut également veiller à ce que, par la suite,
le parent qui a procédé à l’enlèvement garde des bons contacts
avec son enfant, et qu’on ne le diabolise pas.
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