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Publié avec le concours

du Centre national de la recherche scientifique


et du Centre national du livre

TIRé À PART
tome 99- 1

au siège de la société
musée du quai branly
pa r i s
2013
JOURNAL DE LA
SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES

SOMMAIRE DU TOME 99-1

ARTICLES
7 Nathan J. Meissner, Katherine E. South and Andrew K. Balkansky : Figurine embodiment
and household ritual in an early Mixtec village
45 Laurent Segalini : Du discours dynastique au corps social. Retour sur la terminologie des
groupes aristocratiques incas de Cuzco
77 Laurent Fontaine : Les nouveaux espaces publics chez les Yucuna d’Amazonie colombienne
105 Ernst Halbmayer : Securing a life for the dead among the Yukpa. The exhumation ritual as a
temporary synchronisation of worlds
141 Federico Ferretti : Un regard hétérodoxe sur le Nouveau Monde : la géographie d’Élisée
Reclus et l’extermination des Amérindiens (1861-1905)

DOSSIER : FOOTBALL EN AMAZONIE INDIGÈNE


167 Philippe Erikson : Une affaire qui roule ? De l’introduction du football en Amazonie indigène

NOTES DE RECHERCHE
173 Eduardo Pires Rosse : Du foot en terres amérindiennes. Notes sur les cas a’uwẽ et tikmũ’ũn du
Brésil
183 Magda Helena Dziubinska : Upiti kwaiti. Un idéal du football kakataibo (Amazonie
péruvienne)

COMPTES RENDUS
195 Danièle Dehouve, Relatos de pecados en la evangelización de los Indios de México
(siglos XVI-XVIII), Aliocha Maldavsky
200 Pedro Pitarch, The Jaguar and the Priest. An Ethnography of Tzeltal Souls, Perig Pitrou
206 Germán Freire (ed.), Perspectivas en salud indígena. Cosmovisión, enfermedad y políticas públi-
cas, Céline Valadeau
211 Edilene Coffaci de Lima e Lorena Córdoba (eds), Os outros dos outros: relações de alteridade na
etnologia Sul-Americana, Nicole Soares Pinto
216 Jonathan D. Hill and Jean-Pierre Chaumeil (eds), Burst of breath. Indigenous ritual wind
instruments in Lowland South America, Tommaso Montagnani
219 Sébastien Baud et Christian Ghasarian (éd.), Des plantes psychotropes. Initiations, thérapies et
quêtes de soi, Magali Demanget
224 Jean-Pierre Chaumeil y Juan Manuel Delgado Estrada (eds), Atlas geográfico del Perú por
Mariano Felipe Paz Soldán, Pablo F. Sendón
230 Andrés Leake (coordinador), Los pueblos indígenas cazadores-recolectores del Chaco salteño:
población, economía y tierras, Rodrigo Montani
236 Mariana Alfonsina Elías y Ariel Mencia, Textiles del Chaco. Catálogo del MEAB, Rodrigo
Montani
243 Pastor Arenas (ed.), Etnobotánica en zonas áridas y semiáridas del Cono Sur de Sudamérica,
Diego Villar

NÉCROLOGIE
247 Marie-France Fauvet-Berthelot : Susana Monzon (1931-2013)

ISSN : 0037-9174
COMPTES RENDUS

Dehouve Danièle, Relatos de pecados en la evangelización de los Indios de


México (siglos XVI-XVIII), traduction de Josefina Anaya, préface de Marie-
Anne de Beaulieu, Centro de investigaciones y estudios superiores en
antropología social/Centro de estudios mexicanos y centroamericanos,
coll. « Publicaciones de la Casa Chata », 2010, 383 p., 1 CD encarté en 3e de
couv., bibliogr., ill.

Le livre de Danièle Dehouve propose l’étude d’un vaste corpus de 45 exempla,


qui sont des récits exemplaires courts à usage didactique dans la prédication
catholique. Traduits en nahuatl ou rédigés dans cette langue par des jésuites de
Nouvelle Espagne entre les xvie et xviiie siècles, ces narrations ont été compilées
dans des recueils de sermons et catéchismes manuscrits et imprimés conservés à la
bibliothèque nationale de Mexico. Cette traduction en espagnol de l’ouvrage,
paru en français en 2004, propose quelques développements supplémentaires
dans l’avertissement initial, un léger remaniement de l’introduction et, surtout, la
publication en annexe, dans un CD accompagnant le volume, des 45 récits
étudiés, avec leur version nahuatl et des traductions en français et en espagnol.
Danièle Dehouve pose la question des relations interculturelles à l’aune des
transformations de cet outil d’évangélisation utilisé depuis le Moyen Âge dans la
prédication chrétienne. La principale proposition de l’ouvrage est de concevoir
les exempla prêchés en Nouvelle Espagne en langue nahuatl comme les outils
d’un dialogue interculturel marqué par le malentendu. L’auteur prend à bras le
corps cette notion de malentendu, conçue comme le mode même d’existence de
tout dialogue culturel. Dans cette entreprise, elle exploite avec bonheur ses
compétences de linguiste, spécialiste du nahuatl et de sa culture, mais aussi
d’historienne et d’ethnologue. Soucieuse de saisir les origines médiévales de son
objet, elle en analyse également les transformations dans un contexte non
seulement neuf, mais double, marqué aux xvie et xviie siècles à la fois par la
rupture de la Réforme catholique en Europe et par la conquête des corps et des
âmes des populations amérindiennes. Enfin, et parce qu’à l’origine de cette
enquête se trouve une expérience de terrain, les traces et les usages contemporains
de ces récits exemplaires n’échappent pas au regard d’ethnologue de l’auteur.
L’universalité du péché est réaffirmée par la découverte de populations non
converties au christianisme, mais considérées comme humaines, alors que, dans

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l’Europe du xvie siècle, les débats sur la nature de l’homme et du péché divisent
catholiques et protestants et se poursuivent au sein de l’Église catholique au
xviie siècle. Ce contexte est à l’origine d’un renouvellement, au xvie siècle, du
genre de l’exemplum, ce « récit bref, donné comme véridique, destiné à être inséré
dans un sermon pour dispenser une leçon édifiante » et utile à l’aveu et à
l’expiation des péchés des fidèles, dans le cadre d’une pédagogie de la peur de
l’Enfer. Danièle Dehouve puise largement dans les travaux des médiévistes et des
spécialistes des exempla, dont elle maîtrise et mobilise la méthodologie. On peut
néanmoins regretter que la contextualisation de cette revitalisation de l’exemplum
à l’époque moderne ne convoque pas l’historiographie italienne sur la prédication
au-delà de la période médiévale et, notamment, les travaux de Carlo Delcorno et
Roberto Rusconi 1.
L’apport de cet ouvrage ne réside pas dans un éventuel dévoilement du
renouvellement de l’exemplum à l’époque moderne, mais plutôt dans la documen-
tation sur sa formidable amplification à travers la prédication menée en langues
indigènes par les ordres religieux en Amérique, dont les textes constituent le
corpus étudié par Danièle Dehouve. Il s’agit donc d’un échantillon de 45 exempla
tirés de sermonnaires imprimés ou manuscrits rédigés en langue nahuatl, choisis
en fonction de leur renommée, c’est-à-dire de la fréquence de leur apparition dans
le corpus, et complétés par un choix illustrant des thèmes variés. Pour analyser ces
récits, Dehouve s’inspire des méthodes des historiens médiévistes et choisit de les
considérer comme des textes, dont elle analyse l’itinéraire à travers les siècles, la
structure, souvent récurrente et stable, et le contenu, la morale et la symbolique,
changeants et révélateurs des adaptations aux contextes de profération et des
sociétés auxquelles s’adressent les prédicateurs. C’est pourquoi on constate que
les exempla modernes s’inspirent en général de textes très anciens, dont les
comportements et les anecdotes sont remaniés et mis au goût du jour.
Dans les deux premiers chapitres, l’auteur présente le corpus des sources
européennes à la disposition des prédicateurs du Mexique, puis examine les
exempla mexicains à l’aune des évolutions du processus d’évangélisation.
Les prédicateurs de la Nouvelle Espagne ont en effet puisé aux sources d’une
tradition longue de plusieurs siècles, étudiée par les historiens médiévistes, depuis
l’apparition de récits anecdotiques dans la littérature ecclésiastique entre les ive
et viiie siècles jusqu’à leur formalisation dans le cadre de la prédication du
xiiie siècle européen, dans des compilations telles que les recueils encyclopédiques
de Vincent de Beauvais. Ces ouvrages médiévaux vivent un nouvel essor à partir
du xve siècle grâce à l’imprimerie, donnant lieu à des remaniements et à de
nouvelles compilations dont l’anonyme Speculum exemplorum, édité une
première fois en 1512, et sa traduction castillane par Santoro, le Prado espiritual,
publiée en 1592, qui constituent les principales sources de Danièle Dehouve pour
reconstituer l’itinéraire des exempla en nahuatl au xvie siècle. Avec la Réforme
catholique et le concile de Trente (1545-1563), l’Église définit clairement sa

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Dehouve comptes rendus

doctrine face aux protestants et affirme la place fondamentale du sacrement de


pénitence, inaugurant un renouveau de la prédication destinée à préparer la
confession. C’est dans ce contexte que sont publiés de nouveaux ouvrages en latin
comme en langues vulgaires, recueillant de nombreux exempla et nourris de
nouvelles anecdotes puisées dans l’expérience récente, aussi bien dans l’Ancien
que dans le Nouveau Monde. Ces publications coïncident avec le vif intérêt
que suscitent plus généralement alors les récits moralisateurs (les fables) et les
emblèmes. À l’instar des emblèmes ou des ex-voto, elles adoptent des procédés
associant narration et image.
Si quelques exempla figurent dans les textes d’évangélisation écrits par les
premiers missionnaires au Mexique, c’est après le concile de Trente et avec
l’arrivée des jésuites, que l’usage de l’exemplum connaît un véritable essor
dans la prédication, aussi bien en nahuatl qu’en castillan. Puisant de nouveaux
récits dans l’expérience missionnaire récente au moins jusqu’au début du
xviiie siècle, cette littérature rend compte également de la société urbaine
américaine. Présents dans les lettres annuelles envoyées par les jésuites du
Mexique à leurs supérieurs en Europe, certains de ces récits passent dans
des recueils compilés en Europe et rejoignent les exempla tirés d’expériences
missionnaires ailleurs dans le monde.
Le troisième chapitre explicite la structure narrative du récit exemplaire avec
ses variantes, ce qui conduit l’auteur à construire une typologie composée de trois
ensembles de récits, l’un associant le péché à un châtiment surnaturel, l’autre à la
mort, et le dernier mettant en scène une mise à l’épreuve et un repentir libératoire.
L’analyse des exempla du corpus retenu permet d’étudier les glissements d’un
type à l’autre à l’occasion de la traduction en nahuatl de récits déjà présents dans
le corpus européen. Les traducteurs ont néanmoins conservé des signes d’identi-
fication qui permettent de suivre la trace des narrations, tels que le nom de
l’auteur, les lieux, les dates, le nom des personnages, leurs qualités, les citations
latines et les images mentales permettant de se les représenter. Le texte nahuatl
conserve, en règle générale, les noms d’auteurs et de personnages, laissant
principalement de côté les dates.
Le contenu des exempla est abordé dans les quatrième et cinquième chapitres,
à travers une analyse des péchés privilégiés par les récits et une étude des images
et des symboles. Ainsi, constate-t-on une très forte représentation du péché de
gula, illustré la plupart du temps par l’ivrognerie, alors que l’adultère laisse le pas
au « concubinage » et à la sollicitation, révélant des motifs propres à la société de
la Nouvelle Espagne, caractérisée par une consommation rituelle d’alcool avant
la Conquête, par la polygamie dans certaines couches de la société indigène et par
la bigamie des migrants espagnols. Alors que la société mexicaine pratique
couramment le prêt à intérêt, en principe condamné par l’Église, le péché d’usure
des récits médiévaux se déguise en avarice dans la traduction en nahuatl. Le
blasphème et la malédiction figurent également parmi les péchés exportés dans le

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Nouveau Monde. Malgré les variations constatées, les mêmes récits servent à
illustrer ces différents péchés aussi bien en Europe qu’en Amérique. Alors
que, dans les exempla européens médiévaux, à chaque péché correspondait un
châtiment précis, selon un principe d’inversion, les récits en nahuatl ont tendance
à simplifier les supplices, limités à la torture et au duel. Les différentes manières de
mourir et le destin du cadavre mettent en avant l’importance du corps dans les
récits exemplaires, en relation avec un renforcement du symbolisme du corps dans
l’imagerie baroque. Reflet de l’âme et marqueur des fautes, le corps subit les
stigmates du châtiment.
Les chapitres six à neuf étudient dans le détail les innovations mexicaines en
termes linguistiques et culturels. La comparaison des versions castillane, latine et
nahuatl d’un même exemplum constitue un moyen de mesurer l’évolution du
nahuatl utilisé par les jésuites entre le xvie et le xviie siècles. Prenant appui sur
l’expression du temps, de l’opposition et de la concession, la comparaison montre
que les jésuites privilégient certaines expressions nahuatl au détriment d’autres,
créant, le cas échéant, des néologismes calqués sur les langues européennes. Les
versions nahuatl des textes utilisent systématiquement le style indirect, l’exclama-
tion et les interrogations rhétoriques, permis par des formes verbales et des
expressions très variées. Les explications sont également plus fréquentes dans les
textes en nahuatl. La spécificité de la langue nahuatl apparaît dans l’usage du
parallélisme, c’est-à-dire « la disposition des mots et des phrases par paires », et
en particulier du procédé impliquant deux mots ou expressions apposés pour
désigner une troisième chose ou action (disfrasismo). Le parallélisme et l’emploi
métaphorique des mots reflètent le principe dualiste de la pensée mésoaméricaine,
qui ne se réduit pas à une opposition. Habitués à d’autres formes de parallélisme
(synonymes, énumérations, périphrases et antithèses), les jésuites investissent
le procédé nahuatl en opérant des sélections drastiques dans le corpus de
disfrasismos existant, tout en traduisant en nahuatl des paires fréquentes en
espagnol ou en utilisant le principe du parallélisme pour exprimer des notions
difficiles du christianisme. Selon Dehouve, les jésuites procèdent à une véritable
déconstruction de la langue. La désignation des personnages et des décors des
exempla s’appuie sur le travail de traduction de leurs prédécesseurs franciscains
et, notamment, sur des néologismes devenus anachroniques par la suite. L’appro-
priation d’un style archaïsant et d’un vocabulaire cérémoniel précolombien
pouvait être facteur de confusion. Elle apparaît par exemple dans les termes
exprimant en nahuatl la notion de chaos (utilisé pour rendre compte de la vision
ou du scandale), d’offrande (pour l’enlèvement) et de colère (pour évoquer le
pécheur et le damné du christianisme). À travers l’étude de l’utilisation du binôme
pierre-bois, d’une grande richesse symbolique dans la langue nahuatl, ou des
termes désignant le feu, Dehouve illustre les glissements sémantiques et les limites
des convergences métaphoriques opérées par les prédicateurs chrétiens. La
déconstruction de la langue passe essentiellement par un démantèlement du

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Dehouve comptes rendus

dualisme contenu dans le vocabulaire choisi par les jésuites, en expulsant tout
élément positif de la signification des mots.
Les récits d’expériences spirituelles indiennes de mort approchée, parce
qu’elles se rapprochent du voyage outre-tombe des traditions européennes,
constituent un terrain fécond pour aborder la démarche de déconstruction que
les jésuites opèrent sur la culture indigène. Rapportant systématiquement les
expériences indiennes de conversion, de guérison ou de répit associées à la mort
approchée, les prédicateurs les assimilaient à des schémas qu’ils pensaient recon-
naître. Pourtant, ces récits étaient également tributaires de narrations indiennes
d’initiation chamanique ou de possession éthylique qui obéissaient à des
séquences comparables à celles des récits chrétiens : mort apparente, rencontre
surnaturelle et changement de vie au réveil. Les correspondances entre les
narrations d’expériences spirituelles des Indiens et les récits exemplaires
européens étaient par conséquent exploitées par les prédicateurs.
Cette déconstruction de l’univers mental indien, composé d’une sélection
drastique dans la langue et dans leurs expériences spirituelles rapportées au
moment de la confession, s’accompagne de la construction d’une humanité
pécheresse dans laquelle les évangélisateurs intègrent logiquement les habitants
des Indes occidentales. Passant en revue les différents récits aux origines géogra-
phiques diverses qu’on lit dans des compilations du xviie siècle, Dehouve insiste
dans le dixième chapitre sur la volonté des compilateurs de confirmer la validité
universelle des préceptes chrétiens, estimant néanmoins que « quelque chose de la
réalité du monde se glissait dans les récits à leur insu ». C’est pourtant une action
volontaire qui gomme, depuis la source américaine jusqu’au récit circulant en
Europe, les spécificités locales, contribuant à standardiser les exempla du Nou-
veau Monde. Cette mise aux normes s’accompagne également d’un retour en
Europe de la narration, souvent accolée à un récit comparable, d’une autre
origine géographique.
Fidèle à sa formation et à sa pratique pluridisciplinaire, Danièle Dehouve
traite dans le dernier chapitre de son ouvrage des traces de ces récits dans la
société mexicaine contemporaine, en prenant comme source des compilations de
contes en nahuatl ou des traditions orales, mais aussi des récits tirés de rumeurs,
notamment urbaines, dont l’itinéraire précis n’est pas facilement identifiable.
L’essentiel de la collection d’exempla contemporains de la Contre-Réforme met
en scène les fautes de l’humanité pécheresse et s’articule autour de la transgres-
sion et de la mort ou du repentir qui en résulte. Dans le contexte culturel
et linguistique mexicain, ce rapport entre la transgression et la mort se traduit
par le terme de tetzahuitl, qui signifie à la fois « le chaos, la terreur sacrée, le
mauvais augure et le scandale » et procède de la « transgression d’une règle de
comportement ». Le terme en vient à désigner le récit exemplaire lui-même.
En onze chapitres, qui se fondent à la fois sur une analyse serrée de la langue
employée par les prédicateurs et sur une comparaison systématique avec les

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corpus d’exempla européens à leur disposition, Danièle Dehouve révèle la


démarche à la fois linguistique et culturelle des évangélisateurs. Soucieux de
séduire le public indigène en exploitant les ressorts rhétoriques du nahuatl, les
jésuites les adaptent au latin et font disparaître le champ sémantique de la dualité,
caractéristique de la conception indigène du monde. Ce « déni de différence »
s’accompagne d’une intégration des récits américains au corpus global des exem-
pla qui circulent alors dans le monde catholique, contribuant ainsi à la création
d’un « pécheur universel », heureuse formule qui ne figure pourtant pas dans
le titre traduit en espagnol. Avec cet ouvrage Danièle Dehouve livre une leçon
méthodologique pour les études américanistes, en insistant sur le double
contexte, à la fois américain et européen, de son corpus, et en prenant
sérieusement en considération sa profondeur historique.

Note
1. Delcorno Carlo, Exemplum e letteratura : tra Medioevo e Rinascimento, Il Mulino, Bologna,
1989 ; Rusconi Roberto, Predicazione e vita religiosa nella società italiana : da Carlo Magno alla
Controriforma, Loescher, Turin, 1981 ; Rusconi Roberto, L’ordine dei peccati : la confessione tra
Medioevo ed età moderna, Il Mulino, Bologne, 2002. On peut également regretter quelques coquilles,
telles que la date de 1547, au lieu de 1521, pour l’excommunication de Luther (p. 54) ; les jésuites sont,
quant à eux, expulsés en 1767 et non en 1770 (p. 70).

Aliocha Maldavsky
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Mondes américains UMR8168

Pitarch Pedro, The Jaguar and the Priest. An Ethnography of Tzeltal Souls
(avant-propos de Roy Wagner), « Linda Schele Series in Maya and Pre-
Columbian Studies », University of Texas Press, Austin, 2010, 284 p.,
bibliogr., ill., index [traduction de Ch’ulel. Una etnografía de las almas
tzeltales, Fondo de Cultura Económica, Mexico, 1996].

En Mésoamérique, la complexité des théories indiennes des composantes de


la personne n’a cessé d’attirer l’attention des commentateurs et, depuis les
premiers chroniqueurs espagnols jusqu’à nos jours, elle a suscité de nombreux
débats, en particulier pour élucider le phénomène du tonalisme (du nahuatl
tonal), une conception selon laquelle la vie de chaque humain est associée durant
son existence à celle d’un non-humain, tel un animal ou un phénomène météo-
rologique par exemple. Une quantité impressionnante d’ouvrages et d’articles, de
qualité très inégale, se sont notamment efforcés, avec plus ou moins de rigueur et
de succès, d’articuler ce mode d’identification avec les récits dans lesquels des
humains sont déclarés pouvoir se transformer en un non-humain, phénomène

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Pitarch comptes rendus

souvent appelé nahualisme (du nahuatl : nahualli). Pour une grande part, la
difficulté à rendre intelligibles ces formes très spécifiques de relation à l’environ-
nement tient à ce qu’elles sont trop souvent abordées à partir de considérations
sémantiques alors que seule une approche globale, connectant des ordres de faits
tels que les conceptions de la personne, les représentations de la nature et les
dynamiques sociales engagées dans les pratiques sorcellaires, se révèle capable
d’apporter un éclairage pertinent sur un phénomène aussi composite. C’est
précisément une des grandes forces de l’ouvrage de Pedro Pitarch que de
s’attaquer au problème de cette façon, en s’appuyant sur une analyse fine et
originale de matériaux ethnographiques recueillis au début des années 1990 à
Cancuc, une communauté villageoise du Chiapas dans laquelle vivaient à cette
époque environ 20 000 Tzeltal.Vingt ans après la publication de Ch’ulel. Una
etnografía de las almas tzeltales (1996), la traduction en anglais offre une
excellente occasion d’évaluer les apports de ce texte, en passe de devenir un
classique en Amérique latine.
Dans ce livre à l’architecture subtile, le chapitre 2, qui expose la multiplicité
des entités animiques, appelées « âmes » par l’auteur et réputées composer la
personne chez les Tzeltal, est un peu troublant, surtout pour un lecteur soucieux
de voir émerger les propositions analytiques de la description de séquences
d’actions ou d’interactions. Même si la précision avec laquelle l’auteur restitue
cette multiplicité ¢ expliquant qu’un même individu possède jusqu’à treize
âmes ¢ force l’admiration, on a parfois l’impression que la réorganisation de
fragments d’entretiens avec des informateurs aboutit à une systématisation trop
stabilisée. Il ne faut cependant pas en rester à cette première impression car, au
contraire, tout l’effort de P. Pitarch vise à démontrer la dimension éminemment
instable, tant au point de vue phénoménologique que conceptuel, de l’expérience
que les Tzeltal font du monde et de leur corps. Comme nous l’apprend le
chapitre 3, intitulé Souls and Signs, la connaissance de l’identité personnelle 1,
c’est-à-dire de la combinaison des diverses entités animiques qui la constituent,
n’est jamais donnée et fait toujours l’objet de pratiques herméneutiques, à l’issue
incertaine, s’appuyant sur l’observation de l’apparence physique, des traits de
caractère, des symptômes pathologiques ou encore sur l’analyse de récits oniri-
ques. Comme le résume bien un utile appendice (p. 213), au fil du temps on
découvre que chaque individu porte dans son cœur un « Bird of the Heart », tel
qu’un coq, une poule, un pigeon ou un quiscale bronzé, qui représente une sorte
d’énergie vitale impersonnelle dont la fuite ou l’extraction menace la survie du
corps. Si l’animal sert ici à penser une force interne, il faut souligner que c’est
seulement sous l’angle de la passivité puisque, en fin de compte ¢ comme c’est le
cas de beaucoup de récits mésoaméricains mentionnant des tonalli ¢, l’enjeu est
surtout de métaphoriser des chocs brutaux susceptibles de causer la maladie, la
perte de conscience, voire la mort chez un humain. Par contraste, les lab auxquels
un individu peut aussi être apparié renvoient davantage à une position active,

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éventuellement agressive, à l’intérieur de relations agonistiques. Une personne


possède entre un et treize lab qui existent à la fois dans le cœur, comme des
ombres, et à l’extérieur de l’enveloppe corporelle sous diverses apparences :
animaux, serpents aquatiques avec des têtes d’outils en métal, phénomènes
météoriques ou encore personnages néfastes (« illness-givers ») prenant des for-
mes aussi diverses que celles de prêtres catholiques, de scribes, de maîtres d’école,
de cow-boys ou de musiciens évangélistes. Par l’entremise de ces personnages,
certains humains possèdent ainsi le pouvoir d’exercer des activités
malveillantes sur autrui. À ce tableau déjà bien complexe, il faut encore ajouter
une troisième catégorie d’entités animiques, le ch’ulel, une ombre d’apparence
humaine, qui confère à chacun son tempérament propre. Le fait qu’à l’instar
des lab, le ch’ulel existe simultanément dans le cœur de l’individu et dans une des
montagnes (« le lieu de la croissance », ch’iibal), où des entités maternantes
prennent soin de lui, soulève le problème à partir duquel se déploie l’ensemble
de la démonstration de l’auteur. Comment penser une identité personnelle
combinant des éléments aussi bien internes qu’externes ? Quels sont les principes
d’agencement grâce auxquels cette hétérogénéité trouve une forme d’unité ou, à
tout le moins, d’équilibre ?
Pour traiter ces questions, P. Pitarch a judicieusement recours au concept de
pli, élaboré par Deleuze dans son étude consacrée à Leibniz 2. Alors que trop
souvent, surtout dans le monde anglo-saxon, la référence à un philosophe relève
d’un effet de manche ou de mode, dans le cas présent, ce détour par la philosophie
occidentale apporte un véritable supplément analytique à la compréhension de la
réalité indienne. C’est tout d’abord l’existence même de la personne qui gagne à
être observée à travers ce prisme, étant entendu que : « The human being is, in the
end, an entity made up of various nodes of consciousness, intention, and emotion,
distributed in time and space, that interact with each other in a complex way and are
determined by alien forces with which it is necessary to negotiate constantly. [...]
This constellation is provisionally and unstably united by a focal point that I have
called a ‘‘fold’’, which is what permits individual life » (p. 210). Sans avoir besoin
d’instaurer une transcendance ou un arrière-monde, le pli aide ainsi à penser la
façon dont les coordonnées de l’existence humaine ¢ ses pouvoirs, ses faiblesses,
ses compétences, ses émotions ¢ dépendent d’un assemblage temporaire avec une
multitude d’êtres présents dans l’environnement ; la mort, quant à elle, se conçoit
comme un dépliage qui déconnecte chaque élément individuel, le laissant en
réserve pour de nouvelles associations.
L’auteur ne se contente cependant pas d’apporter un éclairage nouveau à la
façon dont les êtres de la nature et, en particulier, les animaux servent de support
à des symbolisations ou à des procédures d’identification. Tout comme l’ouvrage
classique d’Alfredo López Austin l’avait fait en connectant les conceptions du
corps des anciens Nahua avec un cadre à la fois cosmologique et politique 3, une
des grandes puissances du modèle théorique élaboré par P. Pitarch tient en effet

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Pitarch comptes rendus

dans sa capacité à englober une réflexion sur la temporalité et la mémoire dans


son exploration sur les théories de la personne, comme l’annonce le titre du
chapitre 5, Animism as History. Il n’aura pas échappé que, dans l’énumération des
différents types de lab, il est fait référence à des personnages appartenant à
l’univers occidental. Ainsi, l’étiologie indigène s’appuie-t-elle fréquemment sur
des récits dans lesquels l’apparition de ces êtres, en particulier les palè (de
l’espagnol padre, « père », c’est-à-dire curé dans ce contexte), est perçue comme
un événement pathogène. À la différence d’entités animiques mobilisées dans le
présent d’un rapport de forces, ces formes humaines inquiétantes relient chaque
personne à un passé, parfois très lointain puisque, comme le précise P. Pitarch :
« The fold, as internalized part of the outside, also drags history into the person. The
past is fold in the present within the body in the form of soul; the heart literally
contains the past » (p. 205). C’est indéniablement dans le lien analytique établi
entre les théories de la personne et le devenir historique des communautés
amérindiennes que réside une des dimensions les plus stimulantes de The Jaguar
and the Priest qui, comme son titre en garde la trace, combine avec talent une
anthropologie de la nature avec une anthropologie de l’histoire et de la mémoire.
Alors que de nombreuses ethnographies, relevant en particulier de l’ethnomé-
decine, tendent à placer les pratiques médicales et les conceptions du corps dans
une sorte d’éther atemporel, on se trouve ici ramené au plus près de la perspective
indienne pour laquelle « what could be interpreted as an explanation of a medical
nature is also considered to be a social and political profile » (p. xix).
La recherche mexicaniste ne manque pas de catégories analytiques élaborées
pour approcher la réalité de la coexistence, souvent conflictuelle, entre les
populations indiennes et les différents représentants du pouvoir colonial, puis
étatique. Il serait d’ailleurs intéressant d’engager un examen critique, pour
évaluer les mérites et les défauts des notions de « conquête spirituelle » (Ricard),
d’« acculturation » (Beltran), de « México profundo » (Bonfil Batalla), de
« synthèse créative » (Burkhart), de « collective entreprise of survival » (Farriss)
ou encore de « culture conquest » (Foster). À partir de la fin des années 1980, les
phénomènes de métissage, brillamment étudiés par Serge Gruzinski 4, ont sou-
vent été mis en avant pour rendre compte de la construction de nouvelles réalités
sociales à partir d’éléments provenant de civilisations distinctes. Pourtant, sans
nier la modernisation des conditions de vie, de nombreux anthropologues n’ont
cessé, lors de leurs enquêtes de longue durée, de faire l’expérience de la rémanence
du passé préhispanique, tout autant que de la continuelle réactualisation de
conflits pluriséculaires. En affirmant que « The Indian heart contains, all in the
form of souls, the history of the relationship between Indians and Europeans from
the beginning of the Spanish Conquest to the present » (p. 6), P. Pitarch rejoint
évidemment ces analystes attentifs à la spécificité des régimes d’historicité chez
les Indiens. Il est d’ailleurs intéressant de rapprocher son effort pour penser
la coprésence ou la contiguïté des strates temporelles de la métapsychologie

203
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

élaborée par Jacques Galinier à partir des matériaux recueillis chez les Otomi 5.
Alors que Galinier affirme la valeur des concepts freudiens pour saisir les
théories locales, The Jaguar and the Priest nous rapproche beaucoup plus de
L’Anti-Œdipe 6, ouvrage dans lequel Deleuze et Guattari défendent l’idée d’un
inconscient ouvert sur la multiplicité des êtres du monde et pas seulement
conditionné par la sphère familiale.
Une fois entré dans le kaléidoscope dessiné et poli par celui que Roy Wagner,
dans l’avant-propos, définit comme « a first-rate ethnographer », le lecteur est en
effet conduit à suivre de nouvelles connexions et à modifier son regard sur
l’univers mésoaméricain. Un parallèle est ainsi établi entre le corps et la place du
village, où la mairie et l’église manifestent la présence dominante des pouvoirs
étrangers, car « the square occupies a position analogous to the one assigned to the
heart of the Tzeltal anatomy. It is what is ‘‘alien’’ in its own space; inside it replicates
both what is outside Cancuc and what is Cancuc’s past. » (p. 139). Tout comme les
croix disséminées sur le territoire (p. 148), cet espace central permet aux habitants
de Cancuc de se connecter avec les activités d’une multiplicité d’êtres et d’instan-
ces, humains comme non-humains, proches et lointains. Le chapitre 7 offre un
autre bon exemple du renouvellement du regard produit par l’enquête puisque
l’auteur y explique comment les saints, conservés dans l’église et recouverts d’une
bigarrure de vêtements et de couleurs, « are considered to be ‘‘reversed’’, with their
inside out, so to speak. The figure of saints are the inverted images of normal human
beings » (p. 156).
Je ne chercherai pas à entrer ici davantage dans les détails de l’argumentation,
notamment concernant les modalités, rituelles ou narratives, par lesquelles les
éléments exogènes sont incorporés ou introjectés dans l’existence individuelle et
collective. Tout comme le fait R. Wagner, il me semble plus intéressant de
souligner que les travaux de P. Pitarch s’inscrivent dans un mouvement global
de reconnaissance des ontologies indigènes qui anime l’anthropologie contem-
poraine depuis quelques décennies et qui a connu ses développements les plus
fructueux en Océanie et en Amazonie. Par contraste, en dépit de l’abondante
littérature ethnographique, l’élaboration théorique concernant le monde
mésoaméricain pris dans son ensemble n’a pas encore atteint le même degré
d’approfondissement. Pourtant, plutôt que d’importer mécaniquement ¢ comme
cela arrive parfois au Mexique ¢ des concepts tels que le perspectivisme, il se
révèle nettement plus fécond de chercher à suivre, comme le fait P. Pitarch, les
chemins sinueux de l’enquête ethnographique afin de trouver les concepts les plus
adéquats pour rendre intelligibles les phénomènes qui s’y rencontrent. Sur cette
voie, il apparaît ainsi que, dans l’ontologie tzeltal, ce n’est nullement la possibilité
d’adopter la perspective de l’autre qui constitue le principal problème, mais
bien de maintenir co-présente une multiplicité de positions dans le monde,
positions qui sont tout à la fois des points de force et des surfaces de fragilité,
exposées aux agressions.

204
Pitarch comptes rendus

Dans cette configuration où, pour reprendre une phrase citée plus haut,
l’existence humaine est conçue comme une « constellation [...] provisionally
and unstably united by a focal point » (p. 210), on remarquera que ce point focal
est bien souvent un point aveugle, la multiplication des entités animiques
manifestant un effort pour se représenter et s’expliquer des états psychocorporels
dont la causalité demeure en partie soustraite à la vue des patients. Le dernier
chapitre du livre, consacré à un rite thérapeutique, fait d’ailleurs sentir
l’importance cruciale des discours rituels pour s’orienter dans un tel labyrinthe
où la vision du proche et du lointain n’est pas accessible aux humains 7. La
polyphonie (pp. 193 sq.) qui s’instaure lors de la séance chamanique rend en effet
sensible l’étendue des pouvoirs de la parole, capable de provoquer la maladie
comme de guérir, mais aussi de créer des associations grâce auxquelles les
humains enrôlent des entités non humaines pour qu’elles deviennent actives et
apportent leur aide.
La possibilité d’une telle collaboration semble d’ailleurs souligner le point de
tension à partir duquel la notion de pli demande à être complétée afin de rendre
compte de la complexité des formes de coordination de l’action qui s’observent
dans les communautés indiennes du Mexique. Si, à la manière d’une monade,
chaque individu englobe la multiplicité des êtres et des événements, y compris
passés ¢ à tel point que P. Pitarch termine son livre en inversant la formule
rimbaldienne : « the other is I » (p. 211) ¢, la relation à l’altérité ne risque-t-elle
pas d’être dissoute dans une forme de solipsisme ? Sur ce point, il convient d’être
attentif aux variations d’échelle, en effet : « expressed in a schematic fashion, the
Tzeltal conceive of the human being as a relatively homogeneous entity as far as its
external appearance is concerned, but completely heterogeneous internally »
(p. 205). Selon la perspective adoptée, un individu est donc à la fois un et multiple.
Comme en attestent de nombreuses ethnographies réalisées en Mésoamérique, un
tel principe vaut à la fois pour le corps, la famille, le village et les entités non
humaines à qui les rites s’adressent. Dans cette ontologie, où les plis et replis sont
intégrés dans des jeux de répliques et de fractales, on comprend donc qu’une place
est laissée libre pour les relations interindividuelles. L’enjeu, comme je l’ai montré
à propos des Mixe 8, est alors de déterminer les régimes d’action (co-activité,
délégation, réitération, etc.) à l’intérieur desquels la participation d’agents se
mobilisant à différents niveaux parvient à être coordonnée de façon satisfaisante.
Les pratiques curatives ne représentent alors qu’une situation parmi d’autres
d’un dispositif grâce auquel la participation des agents non humains vient
s’enchâsser au cœur de l’action humaine, en occupant de multiples positions. De
ce point de vue, les descriptions du ch’iibal, « le lieu de la croissance » (pp. 27-32),
à la fois lieu de production de la vie et duplication de la cour de justice humaine
dans laquelle les ch’ulel résolvent leurs conflits, offre une bonne illustration de la
polyvalence de ces agents à l’intérieur d’un « collectif » que seule une approche
« cosmopolitique » 9 semble susceptible de décrire adéquatement.

205
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

Que ce soit pour la qualité de son ethnographie ou pour l’originalité de ses


positions théoriques et des problèmes qu’il soulève, The Jaguar and the Priest
est donc sans conteste un texte-clé dans l’élaboration d’une conceptualisation
susceptible d’engager l’anthropologie mésoaméricaniste dans un dialogue fécond
avec les propositions théoriques qui ont émergé d’autres aires culturelles.

Notes
1. Plusieurs références sont faites à la philosophie de P. Ricœur, en particulier à Soi-même comme
un autre, Le Seuil, Paris, 1990.
2. Gilles Deleuze, Le pli : Leibniz et le baroque, Éditions de Minuit, Paris, 1988.
3. Alfredo López Austin, Cuerpo humano e ideología, Las concepciones de los antiguos nahuas,
2 vols, UNAM, Mexico, 1980.
4. Serge Gruzinski, La colonisation de l’imaginaire : sociétés indigènes et occidentalisation dans le
Mexique espagnol, XVIe-XVIIIe siècles, Gallimard, Paris, 1988.
5. Jacques Galinier, La moitié du monde : le corps et le cosmos dans le rituel des Indiens otomi, PUF,
Paris, 1997.
6. Gilles Deleuze et Felix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, 1. L’Anti-Œdipe, Éditions de
Minuit, Paris, 1972.
7. On se rappellera que, selon le Popol Vuh, avant que les dieux ne limitent leurs pouvoirs,
les premiers hommes créés possédaient précisément le pouvoir de percevoir « le proche et le lointain ».
8. Perig Pitrou, Parcours rituel, dépôt cérémoniel et sacrifice dans la Mixe Alta de Oaxaca
(Mexique). L’intégration de l’activité des agents non-humains entre construction de la vie et résolution
des conflits, thèse de doctorat, EHESS, Paris, 2010.
9. Bruno Latour, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des Modernes, La
Découverte, Paris, 2012 ; Isabelle Stengers, Cosmopolitiques, La Découverte, Paris, 2003.

Perig Pitrou
Laboratoire d’anthropologie sociale/CNRS

Freire Germán (ed.), Perspectivas en salud indígena. Cosmovisión, enfermedad y


políticas públicas, Ediciones Abya-Yala, Quito, 2011, 497 p., réf. dissém., ill.,
carte.

Le choléra, la rougeole, la grippe, le paludisme ou encore le typhus sont


autant de maladies qui se propagèrent sur les terres amazoniennes au moment
de la Conquête. Historiquement, nous connaissons les graves conséquences
sanitaires, démographiques et sociales de leur vectorisation. Aujourd’hui encore,
l’introduction d’autres souches malignes réanime les préoccupations des ins-
tances sanitaires. Ces inquiétudes font suite à des requêtes provenant de
populations amazoniennes et elles ont mené à la rédaction de rapports désas-
treux. Les principaux points soulevés sont l’irrégularité et la déficience des
services de santé dans les zones rurales ainsi que l’incompréhension des soins
dispensés par les populations locales. Dans bien des confins, la médecine dite

206
Freire comptes rendus

traditionnelle reste le seul et unique recours connu. Les taux élevés de mortalité
s’expliquent par plusieurs facteurs : l’exposition volontaire ou involontaire aux
pathogènes urbains, le processus d’exclusion et de marginalisation sociale et, la
plupart du temps, l’ignorance à propos des troubles sanitaires existants. Souvent,
l’interface entre les populations et les instances de santé est bien opaque.
Dynamisées notamment par la Convention de Rio sur la diversité biologique
(1992), par la déclaration des Nations Unies au sujet des droits des peuples
indigènes (2007) ou encore par la stratégie de l’OMS concernant le rôle et l’usage
des médecines traditionnelles, complémentaires et parallèles dans un contexte
global et globalisant (2002-2005), certaines instances de santé au Pérou, en
Équateur et au Venezuela ont tenté d’aménager des politiques adéquates. Malgré
ces changements, les avancées en matière de santé publique amazonienne sont
minimes et la situation sanitaire de certaines populations reste critique. Aussi, dans
son prologue, Pierre Rivière évoque la réaction trop lente des politiques de santé
à combler les lacunes sanitaires, ne se trouvant alors pas en mesure d’assurer une
« santé indigène » convenable face à une rapide augmentation démographique.
Cette problématique se situe au cœur des préoccupations de ce volume.
Résultat de plusieurs années de travail collectif, cet ouvrage a eu comme origine
l’élaboration d’un guide d’information pratique destiné aux institutions
élaborant les politiques publiques en matière de santé et aux administrateurs
médicaux officiant auprès des différentes sociétés résidant au Venezuela.
Il regroupe douze contributions rédigées par des anthropologues, des
ethnohistoriens et des ethnobotanistes. L’objectif de ce livre est d’amorcer une
discussion en esquissant à travers descriptions et analyses une représentation des
politiques sanitaires vénézuéliennes.
L’introduction rédigée par Germán Freire ouvre le sujet à travers plusieurs
perspectives. Un volet ethnohistorique des maladies importées du vieux conti-
nent, la santé indigène, les étiologies, l’efficacité du soin chamanique et l’interface
entre la biomédecine et les populations indigènes sont les thèmes clés reliant les
collaborations des auteurs. Cet ouvrage se compose de trois ensembles de textes.
La première partie, nommée « Epidemiología histórica », regroupe deux écrits
exposant une vision historique des impacts sociaux et de la gravité pathogénique
des maladies importées du vieux continent sur les basses terres vénézuéliennes.
Cette « épidémiologie historique » est amorcée par le texte de Frank Scaramelli
et Kary Trable. S’appuyant sur des documents d’archives et des preuves archéo-
logiques, les auteurs exposent l’état épidémiologique dans la région du bassin
central de l’Orénoque. En suivant la chronologie, ils décrivent l’époque de la
Conquête, la période coloniale et le temps républicain. Les différentes vagues
épidémiques et les pressions exercées par les expéditions coloniales relatives aux
trafics d’esclaves expliquent les fortes diminutions démographiques, desquelles
découleront de forts mouvements migratoires. Cette argumentation historique
est renforcée par quelques preuves archéologiques. La perte démographique a

207
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

provoqué la désunion de certains systèmes de transmission, entraînant


par exemple la simplification des céramiques et de leurs motifs. Comme autre
attestation, les hyperostoses frontales identifiées sur des crânes exhumés
d’anciens sites abandonnés sont probablement des conséquences sympto-
matiques d’anémies palustres. La contribution de Roberto et Manuel Lizarralde
illustre cette argumentation à travers l’histoire contemporaine de l’épistémologie
barí. Ce texte relate l’impact dramatique du contact sur la population barí à partir
de 1960, date à laquelle elle fut visitée pour la première fois. Des descriptions
épidémiologiques chiffrées évoquent principalement trois grandes épidémies
virales : la rougeole, le paludisme et certaines hépatites. La violence sanitaire
engendrée par ces maladies entraîna une migration des Barí en direction des
basses terres. Cette population très amoindrie et, aujourd’hui, diminuée numéri-
quement se trouve de nouveau affectée par d’autres pathogènes tels que la
tuberculose, la leishmaniose ou des troubles infectieux parasitaires.
Une seconde partie du volume traite de la santé indigène sous le titre
de « Salud indígena ». En introduction de celle-ci, est reproduit un texte de
Jacques Lizot initialement rédigé pour le service de documentation du Centro
Amazónico de investigación y control de enfermedades tropicales et destiné
à apporter des informations aux futurs médecins appelés à exercer auprès
des populations amazoniennes. Ce document débute par une description
ethnographique. De manière à la fois synthétique et générale, il décrit des
éléments de la cosmovision, les conceptions de la personne, certains facteurs
pathologiques et quelques rituels thérapeutiques et funéraires des Yanomami.
L’interprétation des perceptions liées à la mort et les descriptions des rituels
funéraires ouvrent ensuite sur une réflexion plus théorique sur l’anthropophagie
rituelle. Pour leur part, Egleé et Stanford Zent abordent la question de « l’être et
du devenir jodï » (p. 91). Construit à partir d’un épisode narratif, leur article
développe différentes notions autour de la santé en décrivant des conceptions
associées aux idées de personne saine, de sujet malade et de causalité avant
d’exposer les thérapeutiques préventives, propitiatoires et curatives mises en jeu
lors d’épisodes morbides. Enfin, une dernière partie de la contribution est dédiée
aux perceptions des maladies épidémiques introduites et des interventions
biomédicales. Ces dernières sont jugées insuffisantes et inappropriées. Les auteurs
concluent alors sur l’importance d’autonomisation des populations jodï afin de
les rendre protagonistes de leur propre système de soin. Le troisième article de cet
ensemble de textes est dû à Michel Perrin. Il discute l’efficacité de la cure
chamanique (p. 227). En évoquant les rêves thérapeutiques comme notion-clé de
l’idée d’efficacité, il développe son argumentation selon trois perspectives :
biomédicale, wayúu et anthropologique. Sans surprise, le rêve n’a pas de place
dans la thérapeutique biomédicale, mais il contribue bien au rétablissement des
personnes souffrantes chez les Wayúu. La dernière perspective considérée est
celle de l’anthropologie selon laquelle l’efficacité se mesure en prenant en

208
Freire comptes rendus

considération les plans intellectuels, sensoriels, affectifs et sociaux. Afin d’étayer


son propos, l’auteur présente plusieurs exemples de thérapeutiques oniriques et
conclut en s’interrogeant sur la difficulté d’entendement que manifeste la biomé-
decine lorsqu’elle est confrontée à ces questions. Jonathan Hill et Myla Oliver
développent une ethnographie des rituels de soins curripaco et des soins distri-
bués dans les dispensaires tels qu’ils sont perçus par cette société. La description
des chants ayant la faculté de générer les pouvoirs curatifs des esprits des abeilles
s’oppose, en quelque sorte, aux thérapeutiques allopathiques, propres à ces
structures de soin encore défaillantes. Or, de manière pertinente, les auteurs
concluent que le contact et l’assimilation des processus et des outils biomédicaux
ne conduisent pas irrémédiablement les Curripaco à un abandon définitif de
leurs pratiques chamaniques. Malgré un phénomène d’émigration urbaine, ce
coudoiement mène en réalité davantage à une chamanisation des pratiques
modernes de soin. Maria Villalon et Henry Corradini proposent, pour leur part,
une mise en relief des aspects de productions sociales de la souffrance et de la
mort chez les E’ñape à partir de trois cas de dépression mélancolique qui sont
exposés et expliqués. Cette introduction à la thanatologie e’ñape décrit tour à tour
l’apparition génésique de la souffrance et de la mort, la nosologie impliquée dans
les paralysies mortelles et les transgressions de règles morales préjudiciables. En
privilégiant la forme discursive, ces quelques pages permettent de rendre compte
des notions existant autour du corps, de la personne, de la maladie, de la santé, de
la vie et de la mort chez les E’ñape. En guise de clôture, Werner Wilbert et Cecilia
Ayala Lafée-Wilbert abordent les « fondements théoriques de la phytothérapie
warao » (p. 307). Ces auteurs proposent une espèce de modélisation des essences,
des airs. Il en existe trois catégories : fétides (pathogènes), odorants (théra-
peutiques) et neutre (sains). Selon cette théorie pneumique, les airs fétides
affectent une ou plusieurs des quatre âmes warao et affaiblissent la vitalité
sanguine. La phytothérapie mise en pratique permet de les neutraliser par l’action
des airs odorants. Une pharmacopée d’une centaine d’espèces est évoquée : elle
est organisée selon une grille d’usages symptomatiques simples. La notion de
véhicule ¢ solide, liquide ou gazeux comme support véhiculant les airs odorants ¢
permet aux auteurs d’expliquer la pathogénie des airs fétides et l’action des airs
odorants. Le savoir phytothérapeutique est fondé sur la sélection des odeurs
au moment de l’élaboration du remède. C’est ainsi qu’aidée par ce processus
biodynamique de neutralisation des airs, la personne souffrante retrouve la bonne
santé, une odeur neutre.
La dernière partie de l’ouvrage « Salud pública », regroupe, quant à elle,
quatre contributions. Des exemples concrets et très documentés relatent
l’articulation existant entre les politiques de la santé publique vénézuélienne et les
populations amazoniennes ainsi que les questions que soulèvent ces interactions.
La première contribution est celle de Stanford Zent et Germán Freire. De manière
convaincante, les auteurs affirment qu’afin de comprendre les dynamiques

209
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

engagées ¢ responsables des conditions sanitaires actuelles des peuples


amazoniens ¢, il est fondamental d’évaluer les facteurs micro- et macro-
structurels desquels elles dépendent. La santé peut être évaluée comme un
concept relatif prenant forme à partir d’une relation dialectique entre la
personne, le milieu environnemental, la société, les conditions de ressource et de
distribution, les relations politiques, etc. En retraçant différents épisodes
épidémiques, il apparaît que les politiques sanitaires étatiques et le système
chamanique piaroa positionnent, tous deux, la santé comme un outil de pouvoir
et de contrôle. Ainsi, dans un contexte de fragilité dû à une autonomie réduite
(colonisation territoriale, production agricole intensive, etc.), l’absence de
prestations sanitaires étatiques se présente comme une stratégie pour asseoir un
pouvoir. Les auteurs réclament donc l’intégration au système de soin des points
de vue et des nécessités des peuples, afin de garantir une « santé pour tous »
(p. 384). En résonance avec cette prise de conscience des inégalités,
Clara Mantini-Briggs et Charles Briggs s’interrogent sur les causes de la précarité
sanitaire de la population warao lors de l’épidémie de choléra survenue en 1992,
maladie dont la médication était connue et efficace. La variabilité de contenu des
différentes narrations qui ont circulé à l’époque démontre clairement comment
cette crise sanitaire devint un épisode privilégié d’influence pour les politiques
publiques, pratiques mobilisées pour asseoir positions et privilèges. Cet exemple
permet de voir comment les inégalités en matière de santé sont idéologiquement
encadrées. Les réponses sanitaires apportées à ces citoyens « secondaires »
dépendent donc principalement de la façon dont est considérée la maladie
lorsque cette dernière est instrumentalisée dans un contexte sociopolitique précis.
Allant dans le sens de ces deux derniers textes, José Kelly Luciani commente les
propositions politiques destinées aux sociétés indigènes du Venezuela. Dans un
premier temps, l’auteur examine les manques de discernement qu’engendre une
attention focalisée essentiellement sur les cultures sans considérer les réseaux qui
existent entre ces communautés reculées et les institutions étatiques. La seconde
partie de sa contribution explore les discussions entre l’État et les Yanomami.
Établies lors d’une rencontre internationale, elles eurent pour objet la dispo-
nibilité des soins d’attention primaire. À partir des différences commodes de
« culture » et d’« identité », les notions d’équivoque, de malentendu et de
jugement sont au cœur de l’analyse. L’auteur conclut en précisant qu’il serait plus
intéressant de prendre en compte les discours et d’évaluer les situations selon les
expectatives des populations. La détermination de critères adéquats permettrait
ainsi d’améliorer la situation sanitaire de bien des endroits. Pour clore l’ouvrage,
Arelis Suranbilla analyse les contextes sociopolitiques et économiques qui lient la
santé à la violence dans deux communautés voisines, Jivi et Llanos. Sur ce
territoire, nouvellement occupé par des structures pétrolières à fort intérêt
économique, la violence est devenue, ces dernières années, un problème aux
implications sanitaires croissantes. La violence peut être, en effet, considérée

210
Coffaci de Lima e Córdoba comptes rendus

comme un déterminant sanitaire immédiat. Dans ce climat de violence engendrée


notamment par la présence de groupes armés, les communautés jivi se déplacent.
Leur territoire est réduit, leurs aires de chasse et d’agriculture diminuent affectant
considérablement la production et la disponibilité des ressources. À la mal-
nutrition s’ajoutent des vagues épidémiques provoquées par les divers flux de
populations. Des parasitoses sont de plus en plus fréquentes. Elles sont étiologi-
quement dues à un manque d’hygiène dans des zones d’habitations trop souvent
déplacées. Ne pouvant être considérée comme un simple facteur aggravant de
l’état sanitaire local, la violence apparaît au contraire comme le principal facteur
de risque sanitaire de la région.
L’ouvrage est donc une réussite puisque la découverte des perspectives
exposées en matière de santé indigène fait peur. Les solutions possibles aux
problèmes apparaissent comme asphyxiées faute d’une vision « imbriquée » des
choses. Reprenant de nombreux exemples souvent déjà bien connus concernant le
thème de la santé en milieu indien, de la conquête à nos jours, ce livre ne cherche
pas à donner des réponses tranchées, ni à mettre en avant des protocoles
spécifiques à suivre. Destiné à un large public, l’ouvrage prétend seulement ouvrir
une discussion sur les problèmes multiples que pose l’interface entre biomédecine
et médecine traditionnelle. Le message s’adresse d’ailleurs à l’ensemble des pays
amazoniens : il est temps de penser la santé de façon interculturelle.

Céline Valadeau
Post-doctorat au Centre EREA du LESC (UPO/CNRS)

Coffaci de Lima Edilene e Lorena Córdoba (eds), Os outros dos outros: relações
de alteridade na etnologia Sul-Americana, Ed. UFPR, Curitiba, 2011, 274 p.,
réf. dissém., ill., cartes.

It was as if these depths, constantly bridged over by a structure that was firm enough in
spite of its lightness and of its occasional oscillation in the somewhat vertiginous air,
invited on occasion, in the interest of their nerves, a dropping of the plumet and a
measurement of the abyss. (Henry James, The Beast in the Jungle, 1915, p. 44)

Rares sont les questions qui, bien qu’étant restées longtemps sous-jacentes, en
viennent, dès lors qu’elles émergent, à finalement déstabiliser les conditions
mêmes de leur formulation. Il est donc heureux que, quitte à remettre en cause
certains de ses dogmes les mieux enracinés, l’ethnologie sud-américaine aborde
enfin frontalement, à la lumière de données empiriques, la question de l’altérité
(ou des altérités) telle qu’envisagée du point de vue des Autres. Comment se
décline-t-elle ? Dans quels contextes émerge-t-elle ? Et comment peut-on la
décrire ? Qu’en est-il des modalités indigènes de la différenciation et des effets que

211
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

celle-ci peut avoir sur ceux qui ont jusqu’ici attiré l’essentiel de l’attention
anthropologique ? Les auteurs regroupés dans Os outros dos outros: relações de
alteridade na etnologia Sul-Americana ont pris à bras le corps ces interrogations
lancinantes et apporté des réponses susceptibles de faire date.
Ce livre rassemble les contributions de divers chercheurs qui se sont réunis en
2009 à Buenos Aires, à l’occasion de la viii° Reunião de Antropologia do Mercosul.
À l’initiative d’Edilene Coffaci de Lima et de Lorena Córdoba, coordinatrices du
groupe de travail éponyme de l’ouvrage, ont donc été réunis en un beau volume
des articles d’ethnologues tous fortement ancrés dans leurs terrains respectifs et
résolus à rendre compte du point de vue indigène sur l’altérité. Point de vue qui,
comme le laissent clairement voir les textes, dépasse largement la simple dicho-
tomie Indiens/Blancs et qui, du reste, s’accommode assez mal de nos propres
conceptions. Est ici nettement mise à mal la soi-disant évidence de concepts tels
que ceux de « groupe ethnique », « sous-groupe », « collectivité », voire, à la
limite, la notion même d’« humanité ». Le dynamisme de ces remises en cause met
en évidence les impasses dans lesquelles s’étaient fourvoyées les descriptions
antérieures et, dans une large mesure, permet d’y échapper.
Les contributions sont organisées en trois ensembles thématiques : « Guerre,
commerce et réseaux d’échange » ; « Modes de classification et ethnonymes » ;
« Figures de l’altérité : mythes, pratiques et rituels ». Le champ des recherches va
du Chaco au piémont andin, en passant par le Brésil central, les Guyanes, le haut
Rio Negro et le bassin du Javari. En dépit de cette grande diversité, tous les textes,
dans la mesure où ils mettent l’accent sur les acceptions et objectifications de
l’altérité dans les divers mondes produits par les groupes en question, présentent
l’énorme avantage de délivrer les Amérindiens (ceux dépeints par l’anthropo-
logie, du moins) de la fixation hiératique, autrement dit, de leur triste condition
de caricatures d’eux-mêmes. Les articles nous présentent des morphologies à
l’intériorité multiple : des sociétés ouvertes dont le sentiment d’identité reste
perméable à l’Autre ; des événements historiques à la force d’impact telle qu’elle
en vient à bouleverser les contours des collectifs humains ; des réseaux de sujets
disposés à suspendre les corrélats relationnels modelés par l’idée de relations non
ambigües (stables, prédéterminées et récurrentes) entre les personnes et les choses,
les sujets et les objets, la nature et la culture.
C’est dans cette voie que s’orientent les recherches portant soit sur les
malentendus, soit sur les réappropriations dont les désignations officielles font
l’objet lorsqu’elles interfèrent avec les auto-désignations proprement indigènes.
L’entreprise comparative de Denise Fajardo Grupioni montre bien dans quelle
mesure des schémas taxinomiques (éminemment élastiques, contextuels et
flexibles) et des dénominations particulièrement englobantes couramment
utilisées pour classer les gens sont le prétexte d’intolérables visées substantivistes
qui occultent les formes structurelles d’un « multivers » amérindien caractérisé
par son extraordinaire penchant pour les reconfigurations sociales. D’autres

212
Coffaci de Lima e Córdoba comptes rendus

textes se consacrent à l’ethnographie des manières de se positionner vis-à-vis des


autres groupes amérindiens, en tenant compte des micro-enjeux politiques à
échelle locale. Edilene Coffaci de Lima décrypte l’ethnonyme des Katukina
(Pano), aujourd’hui connus sous le nom de Noke Kuin, terme forgé en transfor-
mant un pronom personnel en désignation collective « authentique », après
bien des péripéties faisant intervenir des emprunts linguistiques, des disputes
provoquées par des femmes, de la musique, des tatouages, des sécrétions de
grenouilles, etc. L’auteur montre ainsi le chemin de ce que pourrait être une
« histoire des ethnonymes » (p. 146).
C’est dans cette même voie de l’exploration des modes d’attribution et de
l’historicité des noms que Lorena Córdoba et Diego Villar s’attardent sur les
groupes pano d’Amazonie bolivienne, analysant en détail le va-et-vient des
dénominations interethniques utilisées pour se référer aux Chacobo, Pacaguara
et Caripuna, du xviie au xxe siècle. Sans jamais désigner une population stable et
précise, les catégories opèrent par le passage de l’une à l’autre, au moyen de
contrastes réversibles (indiens sauvages et civilisés, par exemple), de manière
orientée et circonscrite, mais certainement contextuelle et en continuelle transfor-
mation. Isabelle Combès, pour sa part, se plaît à décortiquer le casse-tête de
l’énigme des ethnonymes du Chaco, engagée, selon la belle expression de l’auteur,
dans une entreprise « d’embrouillage des nations et de démonstration par
l’absurde de la vanité de toute tentative de classification » (p. 100). S’intéressant
aux fugaces et mystérieux Moros du Chaco boréal, Combès rassemble les
différentes classifications indigènes les concernant et montre dans quelle mesure
ces noms indigènes ne reflètent pas plus l’essence d’un groupe qu’elles ne
s’accordent pleinement avec les taxinomies scientifiques, réfractaires qu’elles
sont à la netteté que présuppose le panorama ethnique. Migraine assurée pour
les chercheurs...
À propos de la logique concentrique qui définit les relations d’altérité chez les
Wayãpi, Silvia Macedo remet en question non seulement son plus petit dénomi-
nateur commun (le groupe local), mais aussi les limites mêmes de ses frontières
externes (les non-Indiens). Le premier, point de départ de l’encartage de ces
relations, est par définition relationnel et moins unifié qu’on ne pourrait l’ima-
giner, tandis que le second ne saurait plus, de nos jours, être conçu comme limité
à l’extériorité extrême. En effet, à chaque étape historique, chaque groupe définit
quels seront ses « autres ». En dépit des contingences relationnelles et contex-
tuelles, Macedo se penche sur le paradoxe de la nécessité logique de penser
conjointement l’identité et l’altérité amérindiennes. Sans y parvenir vraiment,
l’auteur suggère subtilement une manière de résolution du problème : considérer
ces identités (ou cultures), à la manière de Lévi-Strauss, comme des « écarts
significatifs » [Note du traducteur : en français dans le texte].
C’est par le biais de ces « regards décentrés » (analogues à ceux que
l’inspirante préface de Philippe Erikson situe au cœur même du projet

213
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

anthropologique, p. 7) que Karenina Andrade déchiffre le sens des relations


interethniques des Ye’kuana. Elle part, en effet, de leurs récits mythologiques, où
les images inversées des autres (leurs voisins Mawiisha, Maaku, Sanuma et
Iadanaawi) révèlent, comme dans un jeu de miroirs, leur image idéale du soi. De
manière différente, comme une main passant à travers un miroir pour scalper ce
qu’elle trouve de l’autre côté, on retiendra le portrait des Pilagá et Nivaclé du
moyen Pilcomayo, engagés dans des guerres intestines dans les années 1880-1910
jusqu’à ce qu’inéluctablement ils en viennent à vouloir impliquer les explorateurs
blancs dans leurs propres luttes contre leurs ennemis indigènes. Selon Bossert,
Braunstein et Siffredi, dans les décennies suivantes, et en particulier durant la
guerre du Chaco (1932-1935), ces désirs prirent une tournure concrète, aboutis-
sant à des alliances avec les missions anglicanes à une époque où les nationalités
fonctionnaient encore comme catalyseuses des vengeances et où les scalps
s’ordonnaient selon une subtile hiérarchie, la chevelure des officiers valant plus
que celle des simples soldats.
Poursuivant dans le registre guerrier en retraçant l’historique de l’expansion
territoriale des Tupi-Kagwahib du sud d’Amazonas et de l’actuel État de
Rondônia, Edmundo Peggion décrit des configurations politiques où les dissen-
sions ¢ et la multiplication des villages qui s’ensuit ¢ vont jusqu’à se produire au
sein même des groupes locaux. Ainsi, l’auteur illustre la possibilité de recréation
incessante d’altérité au sein d’un espace relationnel pourtant minimal, où la valse
des têtes d’ennemis, des femmes à échanger et des leaders de groupes locaux
dessine de subtiles arabesques structurales. Une géographie relationnelle tout
aussi mystérieuse est présentée par Laura Pérez Gil, à propos des Yaminawa. À la
manière pionnière des Pano interfluviaux, l’auteur pourfend l’idée du contact
comme relevant de l’événement ponctuel : plutôt que d’une occurrence unique
entraînant l’immersion dans le monde des Blancs, il s’agit d’un processus
graduel aboutissant, paradoxalement, à l’adoption de concepts et de pratiques
typiquement indigènes. C’est dans la relation avec les Ashaninka, point de fuite
dans une succession de transformations, que les Yaminawa ont le sentiment de
s’être « civilisés », selon des modalités qui aboutissent moins à des manières d’être
permanentes qu’à la quête incessante d’états évanescents.
Dans un registre différent, mettant la focale sur la dimension « genrée » de la
connaissance de l’Autre, Clarice Cohn présente avec une grande richesse de
détails l’action des femmes xikrin dans les domaines de la parenté et de la quête
du beau, notamment par le soin apporté aux jardins et à la diversification des
plantes cultivées. Résultant du travail féminin, de leur biographie et de leur
histoire, la configuration des jardins dépend des connaissances et des aptitudes de
chaque agricultrice, en lien direct avec sa capacité de soutirer de nouvelles
boutures et semences aux Autres. Ainsi, si les relations masculines à l’altérité se
déroulent avant tout en rapport avec l’« extérieur », on ne s’étonnera pas
d’apprendre qu’une part importante des innovations qui en découlent se

214
Coffaci de Lima e Córdoba comptes rendus

manifeste dans l’espace domestique et les activités quotidiennes, sous l’égide des
femmes.
Francis Ferrié choisit, pour sa part, comme instrument heuristique l’analyse
des danses des fêtes patronales d’Apolo, La Paz, où se déploient différentes
figures de l’altérité. L’attention portée à la participation des groupes sociaux dans
ces fêtes permet de mettre au jour les singularités de cette zone du piémont
bolivien, à cheval entre les Andes et l’Amazonie. Les danses mettent en évidence
les rivalités entre les éleveurs de bétail, les paysans et les indigènes, qui s’affrontent
autour de la thématique de « l’appartenance ancestrale » (p. 165), dans le
contexte de la seconde réforme agraire bolivienne (loi INRA) et de l’attribution
de terres selon des critères ethniques retenus par le programme des « Tierras
comunitarias de origen ».
C’est précisément dans les espaces ritualisés et les échanges qui s’y déroulent,
que Pedro Lolli inscrit sa description, qui porte cette fois sur les Yuhupdeh du
haut Rio Negro. La notion de réseau ouvert et illimité qu’il utilise éclaire les
dédoublements révélés par un dabucuri, offrande rituelle de nourriture entre
groupes affins au cours de laquelle sont exhibées les flûtes sacrées jurupari. Ces
flûtes reçoivent le nom du clan auquel elles appartiennent et sont, selon la belle
formule de Lolli, « les courroies de transmission qui assurent la liaison au sein de
l’espace partagé de l’ontologie socio-cosmique entre les différents clans et
groupes de la région, bien que les Yuhupdeh y occupent une position hiérarchique
subalterne » (p. 170).
Alejandro López propose une ethnographie des relations entre les Mocoví et
les Toba, que les premiers considèrent généralement comme des ennemis dange-
reux et des traîtres, mais qu’ils n’hésitent cependant pas à qualifier de « frères
indigènes » (p. 183) lorsque le besoin s’en fait sentir dans le cadre de luttes
politiques à l’échelle nationale. L’auteur analyse ces attributions de prestige
dépourvues d’incidence sur la hiérarchie, ainsi que les relations ambivalentes
entre ces deux peuples du Chaco qui semblent avoir autant de terrains d’entente
(de l’Église aux médias, en passant par les associations politiques) que de champs
de dispute (de la mythologie à la linguistique), et qui laissent fluctuer les frontières
qui tantôt les opposent, tantôt les unissent.
Également considéré par Pablo Sendón comme un espace où la notion de
« limites » doit être délaissée, le district péruvien de Marcapata nous invite à
exploiter la vitalité d’un important corpus mythologique des Andes centrales.
La figure des ch’ullpas, ancêtres sauvages antérieurs aux Incas et erratiques
survivants d’une hécatombe, permet notamment de faire allusion à la relativité
de la condition humaine actuelle (celle des Chipaya et des Aymara con-
temporains) en la contrastant avec celle, inatteignable, qu’incarne cette
pré-humanité. Les différentes versions du mythe semblent renvoyer à deux
définitions opposées de l’humain et de son potentiel métaphysique (dont
un des pôles est parfois incarné par les Ch’unchus), et aux mouvements

215
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

pendulaires qui valorisent la simultanéité des contrastes et l’inadéquation des


déchirures qui les opposent.
Pour clore le volume, Marina Vanzolini illustre la complexité des mouve-
ments de changement et de continuité des relations de parenté chez les Aweti. En
s’intéressant à l’incidence de la sorcellerie, elle remet en cause non seulement la
problématique unité du Haut Xingu, mais encore l’emphase généralement mise
sur les tensions affinales comme cela ressort des accusations : du pacifisme affiché
aux accusations de sorcellerie, de l’endogamie de groupe local aweti (mode moins
dangereux d’établir une relation) à la récurrence des conflits intra-villageois. S’il
suffit d’être reconnu comme tel pour bénéficier de la qualité de parent, c’est dans
la perversion du jeu des distances et des approches (ainsi que de la circulation des
biens et des personnes) caractéristiques de la parenté que les flèches de la
sorcellerie s’insinuent sournoisement dans les corps d’autrui.
Précisons enfin que, dans tous ces cas, la notion d’altérité est remise sur la
sellette et semble bien souvent, pour le dire ainsi, autoportée (par ses propres
cheveux, à la mode du baron de Münchausen). Dès lors qu’on la projette sur les
mondes indigènes, elle semble s’agiter comme des grains de poussière sur un fond
obscur, « a vertiginous air » illuminé seulement par le va-et-vient des formes qu’ils
engendrent. Les formes qu’elle met au jour sont certes bien réelles, mais non
moins évanescentes, s’échappant à mesure qu’elles se créent, à l’instar de l’image
qu’Italo Calvino (1990, p. 27) utilisait à propos des poèmes de Guido Caval-
canti : « Tout bouge tellement vite qu’on ne peut se rendre compte que des effets,
nullement des consistances ».

Référence citée

Calvino Italo
1990 Seis propostas para o próximo milênio, Companhia das Letras, São Paulo
[trad. : Ivo Barroso, Lezione americane : Sei proposte per il prossimo millenio,
1988].
Nicole Soares Pinto
Universidade de Brasília
[traduit du portugais (Brésil) par Philippe Erikson]

Hill Jonathan D. and Jean-Pierre Chaumeil (eds), Burst of breath. Indigenous


ritual wind instruments in Lowland South America, University of Nebraska
Press, Lincoln NE, 2011, 440 p., réf. dissém., index, ill., tabl. fig., carte.

Les travaux consacrés aux aérophones dans les basses terres d’Amérique du
Sud ont reçu une attention particulière ces dernières années et le nombre de

216
Hill and Chaumeil comptes rendus

chercheurs travaillant sur ce sujet n’a cessé d’augmenter. L’ouvrage collectif


Burst of breath..., dirigé par Jonathan Hill et Jean-Pierre Chaumeil, réunit des
auteurs, parmi les plus importants, dans un remarquable projet donnant à l’étude
de la musique de cette région une cohérence et une exhaustivité jusqu’ici inédites.
Des thématiques communes à différentes régions d’Amazonie, telles que
le genre, le sexe, la relation avec les entités surnaturelles et le chamanisme,
apparaissent tout au long des chapitres. Ces questions émergent presque
systématiquement lors de l’observation des rituels impliquant l’utilisation
d’aérophones.
Parmi les textes publiés dans cet ouvrage, celui de Jean-Pierre Chaumeil
propose une analyse des connexions entre musique de flûte et chamanisme chez
les Yagua d’Amazonie occidentale. À la fois dans la musique et dans le chama-
nisme, nous sommes face à une forme de communication avec les esprits grâce à
un medium sonore non verbal. Le langage chamanique étant de type ésotérique,
non compréhensible pour les non-initiés, nous sommes dans une communication
où le son est plus important que le contenu. Les chants chamaniques nécessitent
un long processus d’apprentissage pendant lequel on assiste à la mise en forme
d’une « hiérarchie des sens » (p. 62), analogue à celle qui caractérise l’apprentis-
sage et l’écoute des flûtes du rituel d’initiation masculine ñá. Les cinq sens
n’opèrent pas simultanément, mais l’un après l’autre, l’ouïe étant le premier dans
la séquence, la vue n’étant utilisée que plus tard. Cela permet aussi d’introduire
l’une des distinctions fondamentales caractérisant une grande partie des rituels
d’aérophones des basses terres, à savoir celle entre voir et écouter. Chaumeil
montre, de façon claire et précise, que cette distinction est strictement liée à
l’opposition des genres masculin et féminin. Les femmes, dans le cas yagua ainsi
que dans presque tous les exemples présentés dans les différents chapitres, ne
peuvent pas voir les hommes jouer, mais elles sont censées les écouter depuis
l’intérieur de leurs maisons. Cette opposition de genres et cette dissociation des
sens permettent ainsi, comme le montrent d’autres auteurs tout au long de
l’ouvrage, d’analyser la relation entre humains et esprits à partir de la répartition
des rôles hommes/femmes dans le contexte du rituel.
La relation entre humains et esprits est l’un des thèmes principaux de
Jonathan Hill sur la musique de flûte chez les Wakuénai du haut Rio Negro. Hill
utilise l’idée très évocatrice de « musical soundscapes » (p. 93), processus caracté-
risé par le mouvement, au moyen de la musique rituelle, à travers l’espace, les
régions du cosmos et les catégories sociales et ontologiques. Si, dans le cas yagua
présenté par Chaumeil, on assiste à une hiérarchie favorisant nettement le son sur
le contenu sémantique et le langage, dans le cas wakuénai, la musicalité et la
lexicalité interagissent dans une dynamique que Hill définit comme « interplay »,
où la musique et la narration mythique doivent être mises en relation.
La performance musicale dans le récit mythique assume donc une saillance
particulière dans la perspective proposée par Hill. On assiste chez les Wakuénai à

217
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

deux formes de soundscaping : le cultural soundscaping, consistant en la sociali-


sation de la nature animale et reposant sur la construction verbale de catégories
d’entités mythiques surnaturelles, et le natural soundscaping, appelé aussi par
Hill musicalization (p. 94), à savoir la naturalisation des êtres sociaux. Il s’agit
d’un processus de production d’altérité reposant sur les effets transformateurs
de la musicalité.
Écouter sans voir, l’une des actions au cœur des pratiques musicales avec flûtes
décrites dans cet ouvrage, est le thème principal du texte de Nicolas Journet. Cet
auteur présente la pratique des flûtes chez les Curripaco de Colombie et insiste sur
l’importance de la dissimulation et du secret dans la relation hommes/femmes,
présent dans le rituel de flûte curripaco. S’appuyant sur les travaux de Michael
Houseman, Journet juge nécessaire de distinguer deux types de secrets : caché et
exhibé. Dans le cas des flûtes curripaco (et ceci est vrai aussi pour d’autres
exemples présentés dans l’ouvrage), le rôle du secret exhibé est crucial, il est en
relation avec l’interdiction faite aux femmes de voir les flûtes. Garder une sorte
d’ambiguïté sur la provenance de la source sonore semble être l’un des éléments
indispensables à l’établissement et au maintien des relations rituelles entre
femmes, hommes et esprits.
La partie centrale du livre, ainsi que l’article de Rafael Menezes Bastos en
première partie, offre une remarquable vision d’ensemble des complexes relations
rituelles de genres dans l’une des régions du monde où le hearing without seeing
joue un rôle important, à savoir le Haut Xingu. Grâce aux textes tout à fait
complémentaires d’Acacio Piedade, de Maria Ignez Cruz Mello et d’Ulrike Prinz
(remarquons, au passage, le judicieux choix éditorial de leur placement sous
forme de séquence), le lecteur aura la possibilité de connaître le fonctionnement
du système inter-rituel formé par la musique de flûtes et les chants féminins dans
le Haut Xingu. Les textes de Piedade et de Mello en particulier, en plus d’être les
plus détaillés du point de vue de l’analyse musicologique, sont d’une remarquable
finesse en ce qui concerne l’analyse des relations hommes/femmes exprimées par
la musique, car ces deux chercheurs ont effectué un travail extensif sur les
répertoires des Wauja du Haut Xingu, la musique des flûtes masculines kawoka et
les chants féminins iamurikumalu. Ces répertoires sont connectés par la mytho-
logie, par la pratique rituelle et par un nombre important d’analogies musicales,
brillamment décrites dans ces textes. Comme le fait Chaumeil en ouverture de
l’ouvrage à propos des Yagua, Piedade et Mello soulignent l’existence de liens
entre la musique de flûte et le chamanisme chez les Wauja. Prinz effectue, pour sa
part, une fine analyse sur les interdits et la menace de viol collectif qui pèse sur les
femmes xinguaniennes au cas où elles auraient vu les flûtes, un sujet largement
débattu mais pour lequel il manque sans doute encore une explication satisfai-
sante, comme le rappelle l’auteur. Dans l’analyse de Prinz, l’espace rituel devient
le lieu où les règles sont inversées et où les différences entre hommes et femmes,
d’une part, la démarcation ontologique entre humains et esprits, d’autre part, se

218
Baud et Ghasarian comptes rendus

font floues. Le viol collectif est ainsi expliqué comme une transformation des
hommes en esprits, ce qui justifie leur comportement et permet l’expression de la
rage des esprits.
À la fin de l’ouvrage, Jean-Michel Beaudet reprend les thèmes communs de
tous les chapitres et effectue une mise en perspective pertinente et essentielle à la
compréhension du parcours intellectuel effectué par les auteurs. Beaudet revient
sur l’importance du secret et de la polarisation homme/femme dans la dynamique
rituelle des musiques d’aérophones analysées dans l’ouvrage. Comme le met en
évidence le titre général du volume, le souffle est non seulement à la base de la
production du son des flûtes, trompes et clarinettes, mais aussi l’élément qui crée
l’association la plus immédiate avec le travail chamanique, pendant lequel le
souffle est si souvent utilisé. À la fois dans la musique et dans le chamanisme, le
souffle permet la manifestation de ce qui peut être entendu, mais pas vu, à savoir
les entités surnaturelles impliquées dans l’activité de hearing without seeing à la
base des rituels d’aérophones des basses terres d’Amérique du Sud.
Dans l’ensemble, Burst of breath... constitue une référence essentielle pour
tous ceux qui souhaitent élargir leurs connaissances sur les rituels d’aérophones.
Les lecteurs musicologues peuvent certes regretter l’absence de transcriptions ou
d’analyses musicales (excepté dans le texte de Cruz Mello). Mais une des grandes
qualités de cet ouvrage reste d’avoir fait le point sur un thème essentiel et de le
faire dans un style qui le rend accessible à un large public.

Tommaso Montagnani
Labex « Créations, arts et patrimoines »
Musée du quai Branly, IRCAM

Baud Sébastien et Christian Ghasarian (éd.), Des plantes psychotropes.


Initiations, thérapies et quêtes de soi, Éditions Imago, Paris, 2010, 436 p., réf.
dissém., ill.

Il y a déjà plus de soixante ans que les usages rituels des substances
psychotropes captent l’intérêt des chercheurs, aux côtés des phénomènes religieux
identifiés comme relevant du chamanisme. Le phénomène de mode, alimenté
par de nombreuses publications ¢ scientifiques ou non ¢, a débouché sur
l’exportation des usages initiatiques relatifs aux « techniques de l’extase » et, plus
précisément, aux substances psychoactives. L’Amérique latine constitue un
vivier de choix pour les emprunts et les collages multiples ayant pour origine ces
quêtes mystiques. En témoigne cet ouvrage coordonné par Sébastien Baud et
Christian Ghasarian où le lecteur voyagera entre l’Amérique et l’Europe au fil des
circulations de gens, (néo)chamanes ou voyageurs en quête de spiritualité. La
large représentation de l’Amérique latine dans le jeu des recompositions (néo)

219
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

chamaniques fonde l’intérêt principal de ce livre pour un américaniste.


Ces recompositions ne sont cependant pas contenues dans cette aire
géographique, tant nous sommes là face à un phénomène globalisé. En plus
des diverses pratiques liées notamment à l’ayahuasca (Amazonie au Pérou,États-
Unis, Europe), au cactus San Pedro ¢ Trichocereus pachanoi ¢ (Pérou,
États-Unis, Europe), aux champignons hallucinogènes (amanites tue-mouche en
Amérique du Nord ou psilocybes mexicains), à la coca (Pérou), au kampo
¢ Phyllomedusa ¢ (Brésil), au peyotl (Mexique, France), au tabac (Amazonie en
Colombie, Pérou, Brésil), on trouvera des contributions portant sur les nouveaux
usages de l’iboga en France ou sur les rituels contemporains de consommation
d’absinthe.
Contrastant avec cette circulation sans frontières des techniques de l’extase,
les études des pratiques (néo)chamaniques en sciences sociales apparaissent bien
partagées entre deux orientations de recherche distribuées de part et d’autre de
l’Atlantique. Cette démarcation se trouve notamment illustrée en anthropologie
par l’emploi anglophone d’une terminologie empruntée à la psychologie ¢ altered
state of consciousness (ASC) ¢ pour désigner l’expérience hallucinogène, peu
utilisée de notre côté, ou, encore, par l’intérêt porté par les chercheurs aux
expérimentations d’hallucinogènes, souvent écartées ici pour des raisons métho-
dologiques. C’est cette frontière qu’entend traverser l’ouvrage en comblant le
vide, dans la littérature francophone, de cet intérêt omniprésent outre-atlantique
pour les différents états de la conscience.
Au-delà des considérations géographiques, les démarcations disciplinaires
sont aussi franchies : même si l’ouvrage compte une majorité de contributeurs
en anthropologie, la participation d’auteurs venant de la psychologie, de la
psychiatrie, de la médecine et des sciences cognitives notamment, montre que le
volume se conçoit aussi comme une invitation à un dialogue interdisciplinaire.
L’axe autour duquel se développe ce dialogue concerne les représentations
contemporaines relatives aux usages de psychotropes d’origine naturelle.
Les coordinateurs proposent ainsi de porter une attention soutenue aux
investissements humains qui entourent ces usages. Le titre Des plantes
psychotropes se révèlerait finalement trompeur s’il n’était complété par son
sous-titre plus révélateur du contenu. Les auteurs entendent en effet traiter
moins des substances psychotropes proprement dites que de la multiplicité des
expériences qui leur sont associées.
Faisant écho à cette multiplicité, la compilation regroupe des contributions
très diverses et ne compte pas moins de seize chapitres en plus de l’introduction.
Le premier, rédigé par les coordinateurs, constitue un développement des pages
introductives. Une place importante est accordée aux questions d’ordre termino-
logique concernant la désignation des substances et notamment de leurs effets.
Les auteurs reviennent notamment sur leur choix assumé d’employer le terme
d’« état modifié de conscience ». Selon eux, l’adoption d’une perspective relati-

220
Baud et Ghasarian comptes rendus

viste exclusive ne serait en effet guère pertinente ici, puisqu’il s’agit d’approcher la
multiplicité des explorations contemporaines conduites avec des substances psy-
choactives. Les auteurs se proposent alors de réduire la mise à distance établie en
anthropologie avec le vécu hallucinogène, en soulignant combien l’analyse des
modalités de production de réalités alternatives et d’expériences vécues à travers
le monde est véritablement digne d’intérêt (p. 44). Il importe, selon eux, de ne pas
stigmatiser les usages modernes de ces substances en prenant la mesure de la
méfiance qu’elles suscitent dans notre société, comme le montre la multiplication
des réactions juridiques qui les sanctionnent.
Les quinze contributions qui suivent, de qualité inégale, sont distribuées sur la
base d’une répartition géographique entre l’Amérique, réservoir des chama-
nismes coutumiers et source d’inspiration pour les nouveaux usages occidentaux,
et l’Europe. Le cheminement est loin d’être linéaire. Au fil des chapitres, le
lecteur découvre la diversité des emplois de ces substances autrefois sacrées et
le mouvement incessant des adaptations, emprunts et redéfinition des pratiques
indigènes. À la suite du chapitre introductif, deux chapitres sont consacrés
aux usages et conceptions des champignons d’Amérique du Nord et centrale. Ces
contributions s’appuient sur l’abondante littérature mycologique qui a largement
alimenté le phénomène de mode du chamanisme évoqué plus haut, auquel
participèrent aussi bien des anthropologues, biologistes, historiens, médecins ou
des auteurs inclassables, tel R. Gordon Wasson, autodidacte qui se définit comme
« ethnomycologue ». Les usages hors contexte de ces champignons sacrés, sans
doute aussi déterminés par des surinterprétations à visée scientifique, nous
conduisent à ce qui constitue la matière paradoxale de l’ouvrage : la diversité des
pratiques contemporaines qui encadrent les prises de ces substances.
Comme le souligne l’un des auteurs, les pratiques néochamaniques, qui
reprennent des notions importantes des chamanismes traditionnels, sont aussi
diverses que les praticiens qui les mettent en œuvre (Ghasarian, p. 291). Ainsi,
dans la région amazonienne des trois frontières, un chamane yagua, tout en
s’adaptant à un mode de vie urbain, continue d’employer le tabac dans ses rituels
thérapeutiques (Schick, pp. 89-108). Comme par contraste avec cette trajectoire
dans le monde moderne, le chapitre suivant traite de la personnification de la coca
par les paysans andins et de son emploi comme intermédiaire avec le monde des
esprits (Baud, pp. 109-136). Au Brésil, retour au jeu des adaptations, avec l’obser-
vation de l’expansion urbaine insolite d’une substance ¢ le kampo ¢ une sécrétion
de grenouilles ¢ anciennement utilisée comme stimulant ou fortifiant pour la
chasse (Coffaci de Lima et Caiuby Labate, pp. 137-172). Chez les Huichol au
Mexique, l’usage du peyotl est abordé de façon plus abstraite, avec la mise en
perspective d’un corps qui pense et qui s’exprime dans le contexte de l’expérience
psychotrope (Rossi, p. 173).
Les deux chapitres suivants s’écartent nettement de l’approche anthro-
pologique avec des analyses d’expériences psychotropes relevant de la

221
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

phénoménologie et de la psychologie cognitive. Il s’agit alors d’élucider de quelle


perception et de quelle réalité relève une hallucination (Gonzalez, pp. 195-232) ou
encore l’énigme du psychisme posée par les états de conscience
non ordinaires induits par la prise de l’ayahuasca (Shanon, pp. 233-266). Ces
chapitres semblent introduire aux autres développements qui portent sur les
appropriations occidentales de pratiques chamaniques radicalement coupées
de leurs contextes sociaux et symboliques. Le cheminement se poursuit ensuite
en Haute Amazonie péruvienne, dans un centre de désintoxication, où des
thérapeutes, s’inspirant des pratiques chamaniques amazoniennes, encadrent
l’initiation des toxicomanes à l’ingestion d’ayahuasca (Mabit, pp. 267-286).
Les relations dynamiques entre pratiques chamaniques et inventions néo-
chamaniques apparaissent à la mesure de celles opérant entre les continents.
Dans cette trame dialogique, s’effectuent les réappropriations occidentales des
substances non européennes. Le chapitre sur l’exploration des introspections
néochamaniques multi-situées ¢ au Pérou, aux États-Unis et en Europe ¢ nous
offre une approche détaillée des conceptions entourant les usages hors contexte
du cactus San Pedro (Ghasarian, pp. 287-312). Il semble opérer la charnière avec
les autres contributions, elles aussi à cheval sur plusieurs espaces. Cap sur la
France où l’on découvre la transplantation de l’usage de l’iboga gabonais.
L’enseignement initiatique laisse place, dans le cadre d’une logique individualiste,
à un véritable « fétichisme de la substance » (Bonhomme, p. 328). En Suisse, le
chamanisme huichol devient universel, avec, comme toile de fond, l’organisation
d’une cérémonie dédiée à la prise collective du peyotl et présidée par un chamane
huichol invité pour l’occasion (Kaech, pp. 337-362). Ces réappropriations sont
ensuite abordées avec l’analyse des relations établies entre les preneurs d’aya-
huasca ¢ majoritairement français dans cette enquête ¢ et les curanderos shipibo
au Pérou, qu’ils rencontrent lors de leur pérégrination. Une attention particulière
est portée ici au dialogue interculturel et notamment à l’adaptation du discours
des curanderos aux attentes de leurs hôtes et aux réinterprétations qui résultent de
cet échange (Leclerc, pp. 363-386). Selon une autre perspective, l’avant-dernière
contribution aborde la question problématique des effets dévastateurs, dans les
communautés locales d’Amazonie, du « narcotourisme » (Dobkin de Rios,
pp. 387-400). L’ouvrage se clôt par l’analyse des « manières de s’absinther » et les
différents rituels de consommation d’absinthe, substance auréolée par les inter-
dits qui ont jalonné sa consommation (Van de Castelee, pp. 401-428).
Au terme de ce cheminement sinueux, il apparaît difficile de dégager un aspect
qui rendrait compte de toutes ces contributions, tant celles-ci diffèrent par leurs
angles d’approche et par les sujets abordés. Elles montrent en tout cas les
applications concrètes résultant de l’engouement contemporain pour les anciens
savoirs liés à ces substances, aussi bien au niveau de pratiques chamaniques
in situ, qu’à celui de pratiques réutilisées, redéfinies voire radicalement coupées de
leur contexte. De nombreuses questions restent en suspens, car la porte d’entrée

222
Baud et Ghasarian comptes rendus

des usages contemporains liés aux substances psychotropes


d’origine naturelle ouvre sur un vaste éventail de problématiques. Les questions
posées par la méthodologie d’enquête ethnographique et l’objectivité du
chercheur, les logiques propres aux processus de redéfinition, d’invention sociale
auxquelles donnent lieu ces nouveaux phénomènes spirituels ou, encore, celles
relatives à la définition d’une frontière entre ce que l’on qualifie de
« chamanisme » et de « néochamanismes », etc., toutes ces questions restent
ouvertes. Citons, par exemple, celle qui concerne le dialogue interdisciplinaire
que rendrait possible l’emploi systématique de la catégorie d’« état modifié de
conscience ». Certes, les analyses émanant de la psychologie et de la philosophie
sur cette question de la conscience et de ses états modifiés sont d’un intérêt
indéniable. Une telle catégorie reste cependant problématique en anthropologie,
comme l’attestent d’ailleurs les remarques de certains auteurs de l’ouvrage (Cof-
faci de Lima et Caiuby Labate, p. 145 ; Kaech, p. 340), ou sa simple absence
dans d’autres contributions 1. Mais il faut rappeler combien ce type de question-
nement n’est en réalité pas propre à cette thématique, puisqu’on le retrouve plus
généralement dans les débats terminologiques qui entourent les analyses
des nouveaux mouvements religieux. On l’aura compris, cette difficulté termino-
logique non élucidée fait écho à la dimension pionnière et exploratoire de ce
recueil. On peut aussi être dérouté par les traversées à la fois des aires géographi-
ques et des régions disciplinaires, ces chassés-croisés tendant à lester la lecture
d’une impression d’éclectisme. Il est vrai cependant que ces chassés-croisés
composent la caractéristique des nouvelles expériences hallucinogènes, la diver-
sité des pratiques répondant à celle des conceptions qui les entourent. L’ouvrage
nous en offre un large aperçu. Il a le mérite d’aborder un sujet peu traité de façon
systématique, et pourtant pleinement contemporain, celui de l’adaptation des
usages et conceptions liés aux substances psychoactives, de leur exportation hors
de leur contexte rituel, de la « spiritualisation » des chamanismes modernes et du
caractère éclaté des expériences qui lui sont liées.

Note

1. À ce sujet, on peut renvoyer à l’analyse de l’un des contributeurs de ce volume : Julien


Bonhomme 2001, « À propos des usages rituels de psychotropes hallucinogènes (substances,
dispositifs, mondes) », Ethnopsy, 2, numéro spécial : Drogues et remèdes, pp. 171-190.

Magali Demanget
Université Paul-Valéry
Montpellier 3

223
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

Chaumeil Jean-Pierre y Juan Manuel Delgado Estrada (eds), Atlas geográfico


del Perú por Mariano Felipe Paz Soldán, Instituto Francés de Estudios
Andinos/Fondo Editorial de la Universidad Nacional Mayor de San
Marcos/Embajada de Francia en el Perú, Lima, 2012, xii-82 p., bibliogr., ill.,
cartes.

Dichas tres láminas son tomadas de unas muy buenas fotografías que M. Garreaud
sacó durante su viaje al interior del Perú. Estas estampas darán de los indígenas mejor
idea que cualquier descripción ó dibujo, ó mejor dicho de caricaturas que se han hecho
hasta ahora. Se distingue en su cara esa mezcla de tristeza y desconfianza que consti-
tuye el fondo de su carácter, como que han sido durante largos años víctimas de la
rapacidad y trapacería de cuantos no les pertenecen en raza. Las recomendamos á los
etnógrafos. (p. 65, subrayado en el original)

De esta manera caracterizaba Mariano Felipe Paz Soldán tres de las láminas
que conforman su Atlas geográfico del Perú ¢ publicado en París por la Librería
Fermin Didot Hermanos, Hijos y Ca. en 1865 ¢ que muestran a un grupo de
indígenas del departamento del Cuzco tal y como fueron retratados por el
fotógrafo francés Émile Garreaud en algunos de sus viajes a provincia entre 1855
y 1862 (Riviale 2000, p. 136, 2008, pp. 163-164; Schwarz 2007). Tuvieron que
pasar ciento cuarenta y siete años para que el Atlas viera su segunda edición
impresa, saliera de los anaqueles de las bibliotecas especializadas o privadas y
ofrecer así al lector contemporáneo una visión decimonónica del Perú en materia
geográfica y cartográfica cuyas virtudes y posibilidades heurísticas parecen no
agotarse con el paso del tiempo.
Mariano Felipe Paz Soldán y Ureta (1821-1886) nació en Arequipa, estudió
abogacía, fue juez de primera instancia, estuvo a cargo de las edificaciones
carcelarias de Cajamarca y Lima, ocupó varios cargos de envergadura en la
administración pública y escribió a lo largo de su vida varias obras dedicadas a la
geografía y la historia del Perú. Desde el año 1845, por encargo del presidente
Ramón Castilla y siguiendo una vocación autodidacta en materia geográfica,
estuvo comprometido durante dos décadas en acopiar cuanto material documen-
tal y bibliográfico estuviera a su alcance, tanto en su país como en Europa, con
miras a concretizar la que ha sido valorada como « la obra cartográfica más
importante a lo largo del siglo xix » (p. V) dedicada al Perú. La presente edición
facsimilar del Atlas cuenta con cuatro ensayos introductorios e incorpora el mapa
del Perú (con viñetas) elaborado por Paz Soldán en 1864, premiado en la
Exposición Universal de París en 1867 y no incluido en la publicación original 1.
Inaugura el volumen el ensayo de Carlos Peñaherrera del Águila que contex-
tualiza el Atlas desde la perspectiva que ofrece la producción cartográfica de los
siglos xix y xx en el Perú, asociada, por un lado, con los nombres de Clemente
Althaus, Antonio Raimondi, Ernesto Lacombe y con instituciones como la
Sociedad Geográfica de Lima, el Archivo de Límites de Relaciones Exteriores y el

224
Chaumeil y Delgado Estrada comptes rendus

Servicio Geográfico del Ejército y, por el otro, con Victor Maúrtua, Georges
Thomas y con instituciones que cambiaron su nombre tales como el Instituto
Geográfico Militar, el Instituto Geográfico Nacional y el Instituto Nacional de
Planificación. Jean-Pierre Chaumeil, por su parte, ofrece una serie de informa-
ción sobre la obra de Paz Soldán, vuelve a contextualizarla en los términos que
propone la periodización que realizó Raúl Porras Barrenechea de la cartografía
republicana, señala la existencia de dos ediciones similares del Atlas impresas en
París el mismo año, observa los estrechos vínculos que mantuvo el jurista
devenido geógrafo con el viajero italiano Antonio Raimondi y dedica una serie de
comentarios precisos acerca del juicio que Paz Soldán tenía de los viajeros de su
tiempo. Destacan en este segundo ensayo unos breves párrafos dedicados a
ponderar el rol desempeñado por el « primer mapa oficial del Perú republicano »
(p. VII) en el imaginario geográfico nacional y el papel que desempeñó en el
impulso de definir con mayor precisión las fronteras amazónicas de su territorio.
Juan Manuel Delgado Estrada se detiene en la primera de estas cuestiones al
subrayar que el elemento dominante del pensamiento geográfico peruano hacia
mediados del siglo xix fue el « capital monopolista de control imperialista de la
burguesía local costeña » (p. IX). La primera geografía republicana fue sinónimo
de cartografía, y el Atlas constituyó un instrumento del que se sirvió un Estado
incipiente para crear un sentido de peruanidad con pretensiones territoriales
homogeneizadoras. El abismo existente entre la visión eurocéntrica de la elite
costeña ilustrada y el analfabetismo imperante en la inmensa mayoría del resto de
la sociedad involucró una suerte de distanciamiento con respecto al ejercicio de
comprensión abstracta de la cartografía de la época así como también la caída en
el olvido del Atlas y de su autor a lo largo del siglo xx. El ensayo de Pascal Riviale,
finalmente, está dedicado a la contribución de los talleres franceses ¢ tipográficos,
impresores, grabadores o litógrafos ¢ al desarrollo de la cartografía peruana
durante el período contemplado. El nombre del litógrafo Ferdinand Théodore
Delamare está asociado a la casi totalidad de las hojas (mapas, planos y vistas)
que fueron grabadas para el Atlas.
El Atlas geográfico del Perú cuenta con 68 láminas (a las que se agrega, en la
presente edición, el mapa del Perú adornado con viñetas de 1964) antecedidas por
una serie de materias relativas a las posiciones geográficas y elevación sobre el
nivel del mar de algunos lugares y puntos del territorio; las distancias, expresadas
en leguas, de los itinerarios existentes en el interior de los respectivos departa-
mentos, entre ellos y algunas carreteras que los cruzan; la discusión sobre algunas
observaciones relativas a la latitud, longitud y altitud de algunos sitios realizadas
por diversos autores durante los siglos xviii y xix; las observaciones sobre el
magnetismo terrestre, el clima y la superficie; la división política del país que, por
entonces, contaba con 13 departamentos y 3 provincias pluviales; la descripción
de los dibujos y viñetas que ilustran el mapa general de 1964 y la explicación de
algunos de los mapas, cuadros y vistas contenidos en el Atlas. La lista de materias

225
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

es coronada con una de por sí impresionante bibliografía comentada que reco-


pila, con perspicacia aguda y juicio crítico, gran parte de las obras dedicadas al
Perú por parte de expedicionarios, viajeros y hombres de ciencia publicadas en
castellano, francés, inglés y alemán.
Las láminas del Atlas presentan dos mapas generales del Perú; los mapas de
sus respectivos departamentos y provincias litorales; los planos topográficos de
las capitales y ciudades importantes de unos y otras; un mapa mineralógico; un
cuadro general de alturas comparativas; una serie de cortes geológicos de la
porción sur del país; los fondeaderos de algunos puertos importantes; y una serie
de grabados en los que se puede apreciar, entre otras cosas, vistas panorámicas de
ciudades, plazas mayores, la arquitectura de catedrales, iglesias, claustros de
conventos y alamedas, así como las imágenes de pampas, puertos, centros mine-
ros y valles en las que las siluetas diminutas de sus personajes, ya sean arrieros,
pescadores o transeúntes, contrastan con el tamaño y detalle reservados a las
figuras de los indígenas en tres de las hojas de la obra.
El valor del Atlas, tras casi un siglo y medio de su publicación original, no se
agota en su belleza estética ¢ que la presente edición ha sabido cuidar de manera
admirable para el deleite del bibliófilo ¢ ni tampoco en su contenido ¢ que por
más de una razón podría suscitar el interés del anticuario. Permítasenos ilustrar
esto a propósito de un ejemplo.
El distrito de Marcapata se encuentra ubicado en la porción oriental de la
provincia de Quispicanchi, a la vera del flanco septentrional del macizo del
Ausangate, en el departamento del Cuzco. Desde la perspectiva que ofrece un eje
norte-sur, el territorio distrital se presenta como un gigantesco tobogán que
desciende, desde el Ausangate, hasta el distrito de Camanti, localizado en la
misma provincia en la región piedemontana, antesala del departamento amazó-
nico de Madre de Dios. Una de las características significativas de la población
marcapateña ¢ quechua-hablante y comprometida en una economía mixta agrí-
cola y pastoril ¢ es la presencia de elementos amazónicos en varias esferas de su
vida social, fundamentalmente aquellas relativas al pensamiento mítico y las
prácticas rituales (Sendón 2010, 2012). Esta mera constatación invita a conside-
rar el universo social de las « tierras altas » de esta región de los Andes en
términos de los eventuales contactos que sus respectivas poblaciones supieron
mantener con sus pares de las « tierras bajas ».
Si bien hoy sabemos acerca de la existencia del pueblo de Marcapata desde, al
menos, fines del siglo xvii (Villanueva Urteaga 1982, pp. 171-173), lo cierto es que
en el Atlas brilla por su ausencia. En la sección de materias dedicada a la división
política del Perú, se informa que la provincia de Quispicanchi está compuesta por
los distritos de Urcos, Quiquijana, Oropeza y Ocongate (p. 53) y en las láminas I
y XXXII, correspondientes respectivamente al mapa general del Perú y al mapa
del departamento del Cuzco, el topónimo Marcapata no aparece en ningún sitio.
Sin embargo, el Atlas ofrece algunos elementos para rastrear, aunque más no sea

226
Chaumeil y Delgado Estrada comptes rendus

de manera preliminar, el lugar de Marcapata en la región hacia mediados del


siglo xix, si no en términos político-administrativos, al menos en términos geo-
gráficos. En la lámina I se aprecia que el departamento del Cuzco, en su porción
septentrional, termina allí donde comienza el inmenso desierto verde que en la
cartografía de Paz Soldán es denominado « La Montaña o Región de los Bos-
ques ». En la lámina XXXII, por su parte, la lupa deja apreciar con mayor detalle
que la porción correspondiente a la « montaña » se encuentra habitada por tres
macro grupos indígenas denominados « piros » o « chontaquiros », « antis » o
« campas » y « sirineris ». Este último grupo se encuentra localizado en el
extremo sudoriental de la « región de los bosques », adyacente al piedemonte
hacia el que descienden las cordilleras, valles y ríos de las provincias de Quispi-
canchi y Paucartambo. En su explicación de esta lámina, Paz Soldán realiza una
digresión relativa a la importancia que tiene para el conocimiento científico y el
desarrollo económico del Cuzco la exploración de sus ríos. Observa que en el
departamento nacen una serie de ríos entre los que destaca el Purús, también
denominado Azara o Araza, tratándose del mayor afluente que desciende hasta el
Amazonas y que, de acuerdo con las observaciones de algunos exploradores, está
conformado por tres sistemas: el Madre de Dios, el Marcapata (sistema medio) y
el Inambari. Concluye el autor: « En fin todo lo que hay sobre estas regiones es
vago y á menudo contradictorio: así los geógrafos antiguos creian que el Paucar-
tambo se unia al Ucayali, cuando los otros suponen que se une al Purús; que se
examinen los mapas de los viajeros y se verá que no hay dos en armonía. Se
presenta pues á los geógrafos una cuestion digna de ocupar su atención » (p. 64).
El hecho de que el distrito de Marcapata no figure en el Atlas no debe ser
objeto de sorpresa, ya que éste fue creado en 1869 y recién en 1951 se produjo un
desdoblamiento de su territorio a propósito de la creación del distrito de Camanti
(Bernex y Equipo CCAIJO 1997, p. 117). Ahora bien, en el Atlas se menciona una
sola vez el término « Marcapata » en relación con el sistema hidrográfico del
Cuzco y, en particular, con el del río Purús, Azara o Araza. Detengámonos
exclusivamente en el nivel de las nomenclaturas a propósito de una serie de
información temprana publicada por tres autores en el órgano oficial de la
Sociedad Geográfica de Lima.
En su descripción de las hoyas del Madre de Dios y Paucartambo, Romualdo
Aguilar informa que el río principal del valle de Marcapata es llamado Arasa o
Marcapata, objeto de exploración por parte de trabajadores naturales y extran-
jeros en busca de oro y cascarilla, muchos de los cuales encontraron la muerte a
manos de los chunchus o salvajes ¢ asociados a la tribu de los « tuyuniris » ¢ en el
punto denominado Isaybamba, cabecera de valle ubicada a cinco leguas del
pueblo de Marcapata (Aguilar 1896, p. 322). Scipión Llona, por su parte, en una
reseña histórico-geográfica de los ríos Paucartambo y Madre de Dios, subraya la
confusión existente durante la mayor parte del siglo xix sobre la hidrografía de la
región y corrobora, entre otras cosas, que el río Madre de Dios era designado con

227
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

varios nombres entre los que destacan los de Chunchu y Araza y que, incluso, fue
confundido en repetidas ocasiones con el mismo Marcapata. Con respecto al
Araza, este autor observa que la extensión que se le atribuyó en algunas relacio-
nes y documentos antiguos explica el motivo por el cual no sólo las tribus
indígenas que vivían cerca del valle de Marcapata o Araza, sino también otras
que estaban fuera de su órbita, eran designadas « arazairis » (Llona 1903, pp. 72
y 83). Finalmente, Jorge von Hassel, en su lista y descripción de las tribus salvajes
de la región amazónica del oriente peruano, consigna, entre otros grupos, a los
« mashcos » o « sirineiris », los « arazaires » y los « tuyuneiris » (Hassel 1905,
p. 32). Los « mashcos » o « sirineris » constituyen un mismo macro grupo de
los que existen varias sub-tribus (ibid., p. 47), entre las que se encuentran los
« tuyuneiris » (ibid., p. 52) y los « arazairis », estos últimos localizados en las
inmediaciones de Marcapata (ibid., p. 35).
Mientras que en el Atlas el nombre de Marcapata está asociado a un tramo del
río Purús o Araza, en los informes de viajeros y hombres de ciencia contem-
poráneos o inmediatamente posteriores a su publicación, Marcapata es el nom-
bre de un pueblo, un valle y un río también denominado Arasa; Araza y
Chunchu, a su vez, son nombres de ríos con los que se confunde el Madre de Dios;
y « arazaires », asimismo, es el nombre de una de las sub-tribus pertenecientes al
grupo « mascho » o « sirineiris » que habita en las proximidades del valle. Más
allá de las eventuales confusiones, de las polémicas por ellas suscitadas ¢ que
inundaron muchas de las páginas del Boletín de la Sociedad Geográfica de Lima ¢
y de la desaparición de muchos etnónimos, lo cierto es que la nomenclatura
barajada remite a un mismo conjunto semántico y sociológico en virtud del cual
las fronteras entre las « tierras altas » y las « tierras bajas » en esta porción de los
Andes parecieran desdibujarse.
Actualmente, el distrito de Marcapata está conformado por ocho comunida-
des campesinas, producto de la fragmentación de los antiguos cuatro ayllus que
ocupaban su territorio. El nombre de uno de estos ayllus es Puiqa y, hasta no hace
mucho tiempo, sus tierras estaban divididas en dos grandes mitades denominadas
Puiqa Alta y Puiqa Baja ¢ la segunda de ellas correspondiente a la porción
piedemontana. Tras su fragmentación Puiqa Baja pasó a llamarse Unión Araza.
El río más importante que cruza el distrito en dirección a la selva es el Marcapata
que, en sus cursos medio e inferior, recibe el nombre de Araza. Son estos nombres,
precisamente, junto con varios mitos y una serie de rituales a ellos asociados
¢ unos y otros concentrados en torno de la figura paradigmática del ch’unchu
selvático ¢ testigos fieles de lo que hasta un pasado no tan lejano pudo haber
constituido una misma vía de tránsito y encuentro para hombres, bienes e ideas
provenientes de sitios disímiles.
La cartografía contemporánea, en su labor por reflejar de manera fiel el
ejercicio de administración y demarcación que el Estado hace de su territorio,
impide muchas veces apreciar continuidades geográficas, ecológicas y, en fin,

228
Chaumeil y Delgado Estrada comptes rendus

territoriales como resultado de los límites que se han trazado entre ellas. En los
mapas del Atlas muchos de estos límites no existen y de allí su valía al momento
no sólo de concebir los territorios ocupados por poblaciones campesino-
indígenas del Perú hace aproximadamente un siglo y medio sino también, y
quizás fundamentalmente, al momento de procurar entender las formas en que
estas mismas poblaciones los conciben hoy. En este sentido, el valor del Atlas no
sólo reside en su contenido, sino también en sus omisiones.
En la presentación a esta edición, Waldemar Espinoza Soriano estima que
ella puede resultar del deleite de « geógrafos, cartógrafos, pintores, acuarelistas,
dibujantes y científicos en general » (p. V). A lo largo de estas páginas hemos
procurado hacernos eco de la recomendación de su autor e insistir en su impor-
tancia para la empresa etnográfica, incluso atendiendo a razones con las que
Mariano Felipe Paz Soldán no tendría por qué estar del todo de acuerdo.

Notas
1 Asimismo, en esta edición se redujo en un 20 % el formato original en folio del volumen de 1865
y se realizó un cambio de compaginación debido a la falta en la edición original de las páginas 55-56 que
pasan a ser, en ésta, las páginas 57-58. Ahora bien, al menos en lo que concierne al ejemplar que el
presente lector tiene en sus manos, se advierte la ausencia de las páginas 39-40 y la repetición de las
páginas 41-42, así como también la repetición de las páginas 57-58 y la ausencia de las páginas 59-60
¢ motivo por el cual, en este último caso, no se incluyen el listado y las explicaciones de las primeras
once láminas del Atlas.

Referencias citadas

Aguilar Romualdo
1896 « Las hoyas del Madre de Dios y Paucartambo », Boletín de la Sociedad
Geográfica de Lima, VI, pp. 308-328.
Bernex Nicole y Equipo CCAIJO
1997 Atlas provincial del Quispicanchi, Centro de Capacitación Agro-Industrial
« Jesús Obrero »/Pontificia Universidad Católica del Perú, Lima.
Hassel Jorge M. von
1905 « Las tribus salvajes de la región amazónica del Perú », Boletín de la Sociedad
Geográfica de Lima, XVII, pp. 27-73.
Llona Scipión
1903 « Reseña histórico-geográfica de los ríos Paucartambo y Madre de Dios »,
Boletín de la Sociedad Geográfica de Lima, XIV, pp. 63-176.
Riviale Pascal
2000 Los viajeros franceses en busca del Perú Antiguo (1821-1914), Fondo Edito-
rial de la Pontificia Universidad Católica del Perú/Instituto Francés de
Estudios Andinos, Lima [1996].

229
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

2008 Una historia de la presencia francesa en el Perú, del siglo de las Luces a los
Años Locos, Instituto Francés de Estudios Andinos/Instituto de Estudios
Peruanos/Fondo Editorial del Congreso del Perú/Embajada de Francia en el
Perú, Lima.
Schwarz Herman
2007 « Fotógrafos franceses en el Perú del siglo xix », Boletín del Instituto Francés
de Estudios Andinos, 36 (1), pp. 39-49.
Sendón Pablo F.
2010 « Los límites de la humanidad. El mito de los ch’ullpa en Marcapata
(Quispicanchi), Perú », Journal de la Société des Américanistes, 96 (2),
pp. 133-179.
2012 « Fundamentos etnográficos para una etno-historia comparativa de los
valles orientales del macizo del Ausangate: distrito de Marcapata, departa-
mento del Cuzco, Perú, 1821-1960 », in Diego Villar e Isabelle Combès (eds),
Las tierras bajas de Bolivia: miradas históricas y antropológicas, Editorial
El País, Santa Cruz de la Sierra, pp. 87-106.
Villanueva Urteaga Horacio (Prólogo y transcripción)
1982 Cuzco 1689 Documentos. Economía y sociedad en el sur andino. Informe de los
párrocos al obispo Mollinedo, Centro de Estudios Regionales Andinos
Bartolomé de las Casas, Cusco.

Pablo F. Sendón
CONICET, Argentina

Leake Andrés (coordinador), Los pueblos indígenas cazadores-recolectores del


Chaco salteño: población, economía y tierras. Fundación ASOCIANA,
Instituto Nacional de Asuntos Indígenas y Universidad Nacional de Salta,
Salta, 2010, 157 p.

En general, la ignorancia de la sociedad argentina y del Estado sobre la


cantidad y la ubicación de las comunidades indígenas en el país es grande ¢ por
no hablar del desconocimiento sobre la economía, la organización social, la
religión o las lenguas de dichas comunidades. Pero en lo que concierne a infor-
mación estadística actualizada, detallada y confiable sobre los indígenas cha-
queños, los antropólogos no estamos mejor parados. Este libro ¢ que Andrés
Leake firma como « coordinador » por el carácter colectivo y participativo del
proyecto que le dio origen ¢ responde al menos tres preguntas urgentes tanto para
el Estado como para los propios indígenas que habitan la región chaqueña de la
provincia de Salta, y para las ONGs y los antropólogos que trabajan con ellos:
¿cuántos indígenas viven en la región?, ¿dónde, cómo y de qué viven?, ¿de qué
tierras disponen? El libro además echa por tierra varios preconceptos: que los

230
Leake comptes rendus

indígenas no usan los bosques, que poseen las tierras que necesitan, que el avance
de la deforestación está detenido, que la prospección petrolera no daña el
ecosistema, que las nuevas economías agroindustriales mejoran los ingresos y la
calidad de vida de los « pueblos originarios ».
La obra está organizada en siete capítulos; uno la introduce, otro describe la
metodología de la investigación y los cinco restantes abordan temas sustantivos:
el marco ecológico y social del Chaco Salteño, su población indígena, las activi-
dades económicas, el uso de la tierra y los derechos efectivos que tiene sobre la
misma. Las conclusiones están distribuidas en cada capítulo. 19 mapas, 22 grá-
ficos y 25 cuadros, 5 anexos, las referencias bibliográficas y un índice de nombres
y temas complementan adecuadamente el texto.
El capítulo 3 presenta la principal fuente documental del libro: la « Base de
Datos de los Pueblos Indígenas del Chaco Salteño ». Esta base es el resultado de
un proyecto que el propio Leake coordinó en calidad de director de la Fundación
ASOCIANA, que tuvo como protagonistas a la Fundación y a la Facultad de
Humanidades de la Universidad Nacional de Salta, y en el que colaboraron otras
ONGs, asociaciones indígenas e individuos. Los datos fueron generados
mediante técnicas censales estándares y participativas durante ocho años (1999-
2007). Se utilizaron cuatro formularios de encuesta: uno para el perfil de la
comunidad, otro para censar la población de cada hogar, otro para indagar los
vínculos de los hogares con otras comunidades o localidades, y un último
formulario para registrar las actividades económicas de los miembros de
los hogares (por desgracia, no se explicita cómo se definió el « hogar » indígena,
una tarea que no suele ser fácil). Además, la base incorporó datos gráficos para
el mapeo de los territorios indígenas e información sobre temas específicos
provista por organizaciones indígenas, ONGs locales u oficinas del Estado
provincial o nacional.
Partiendo del axioma de que es « ilusoria la pretensión de conocer y compren-
der la vida indígena si no entendemos, aunque sea en forma limitada, el medio
[ecológico y social] en que se desenvuelve » (p. 10), el capítulo 2 (« Marco
ecológico-social ») traza los rasgos fundamentales de dicho medio. En la presen-
tación del marco ecológico, Leake argumenta que, contrariamente a lo que dicta
el sentido común, la « ecorregión » del Gran Chaco es un mosaico de ambientes
diferenciados, tanto en su topografía como en su cobertura vegetal, que se
traduce en una alta biodiversidad. Consonantemente, para los indígenas el
bosque chaqueño es un universo de enorme variedad y vitalidad que no sólo les
provee de alimentos (carne, frutos, mieles), combustible (leñas), materias primas
(con las que fabricar viviendas, utensilios, artesanías, muebles, etc.) para el
autoconsumo y para el comercio, sino que es además el lugar donde sus ideas
sobre el hombre y el mundo cobran sentido. En la presentación del marco social,
el autor sitúa a los grupos indígenas cazadores-recolectores en el contexto
interétnico del Chaco salteño (donde también viven unos 21,000 chiriguanos,

231
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

unos 1,400 chanés y los minoritarios tapietes, todos ellos guaraní-hablantes) y


presenta algunas características importantes de las sociedades estudiadas (« la
dispersión de pequeños grupos familiares, por períodos limitados, dentro de un
territorio determinado » [p. 17] como una estrategia adaptativa óptima al ecosis-
tema chaqueño, el « carácter no excluyente en lo espacial » [ídem] de la propiedad
territorial desde la perspectiva indígena y la consecuente « superposición no
conflictiva de los territorios de grupos vecinos » [ídem]). Asimismo, pasa revista
a las nefastas consecuencias socio-ambientales de la colonización: « Más de cien
años de explotación ganadera y maderera descontrolada, agravada por las pros-
pecciones petroleras y, últimamente, la deforestación indiscriminada, provoca la
alteración radical de un ambiente tan propenso a la erosión y la desertificación
como lo es el Chaco Salteño [...] Desde los años [19]90, la producción agroindus-
trial [especialmente de soja] evidencia un aumento vertiginoso » (p. 23). Respal-
dado en datos firmes, Leake nos recuerda que la deforestación afecta negativa-
mente la seguridad alimentaria y los derechos al uso de la tierra de los sectores
más pobres, particularmente de los indígenas, y que la sociedad en su conjunto
solventa la incorporación de tierras para la agricultura, a un coste mucho mayor
a los beneficios que realmente obtiene.
El capítulo 4 estudia el número, la composición étnica, la estructura demo-
gráfica y la distribución de la población indígena del Chaco Salteño, y presenta
un análisis detallado zona por zona. Es imposible sintetizar en pocas líneas la
información que el texto, con ayuda de tablas, gráficos y mapas, expone y analiza.
Sin embargo, he aquí algunas de las constataciones más importantes. Según datos
relevados entre 2000 y 2003, la estimación mínima de la población indígena bajo
estudio es de 23,225 personas (el 9 % del total de la población de la región), de las
cuales 86.4 % se autoidentifican como wichís, 7.7 % como chorotes, 2 % como
tobas y 1.8 % como nivaclés (el resto corresponde a individuos de otros grupos o
con adscripciones mixtas). El análisis de las edades indica que se trata de « una
población joven cuya edad promedio es de 21.3 años » (p. 38). En lo que a
distribución geográfica respecta, « [l]as zonas de Pilcomayo, Embarcación y
Tartagal comprenden el 73 % de la población » (p. 39). Luego se presentan los
números de personas y comunidades para cada zona, acompañados de cuadros
que desagregan las cifras por comunidad y mapas que ubican las comunidades
(pp. 44-55). Hay una crítica posible: la falta de una definición explícita del
concepto de « comunidad » da lugar a ciertos abusos. Así, en la p. 57, se habla
de comunidades compuestas de dos o cuatro personas. El autor reconoce
este problema en el acápite final, donde analiza la información concerniente
a las « 161 personerías jurídicas gestionadas por la población considerada bajo
estudio » (p. 58).
La monografía de Jan-A Í ke Alvarsson (1988) o la de Pastor Arenas (2003) son
dos buenos ejemplos de lo mucho que sabemos sobre la economía de indígenas
del Chaco semiárido, particularmente de los wichís. Sin embargo, la información

232
Leake comptes rendus

estadística sobre las actividades económicas de las poblaciones indígenas del


Chaco Salteño que presenta el capítulo 5 del libro reseñado actualiza lo que se
sabe y le otorga una precisión envidiable. Leake expone e interpreta las cifras
zonales y regionales de las actividades económicas desagregadas en siete « acti-
vidades tradicionales » (caza, recolección de frutos, cosecha de miel...) y diez « no
tradicionales » (cría de gallinas, cría de cabras y ovejas, cría de vacas...). Algunas
de las conclusiones del análisis zonal son bastante previsibles: por ejemplo, que
« donde menos se ha perturbado la relación de los indígenas con la tierra, más
disfrutan ellos de libertad en cuanto a sus opciones económicas » (p. 65), o que
existen distinciones importantes en la economía de las « comunidades urbanas »
y de las « forestales » (p. 67). En el análisis regional, sobre un total de 3,337
hogares encuestados, se llega al siguiente ranking de actividades: en el 90 % de los
hogares se junta leña, en el 80 % de ellos alguien realiza changas, en el 77 %
alguien recolecta frutos, en el 71 % alguien produce alguna artesanía, en el 63 %
alguien cosecha miel silvestre, en el 61 % se crían gallinas, en el 60 % alguien caza,
en el 51 % alguien pesca, en el 35 % alguien practica la agricultura, en menos de
1/3 del total de los hogares alguien practica actividades no tradicionales (carbón
31 %, postes 28 %, carpintería 24 %, cría de cabras 25 %), en el 12 % de los
hogares alguien recibe una pensión, en el 6 % alguien tiene un empleo fijo, en el
1 % se practica la apicultura o se crían vacas. Las variaciones zonales no son
desdeñables, por ejemplo: en el 96 % de los hogares de la zona de Anta/Metán
alguien realiza changas, mientras que en la de Pilcomayo sólo en el 62 %. El
capítulo concluye con un análisis cuantitativo rubro por rubro que renueva un
tema que al menos desde La vida de los indios de Nordenskiöld [1912] ningún
etnógrafo del área pasa por alto: la división sexual del trabajo.
El capítulo en su conjunto reúne información de sobra como para reafirmar
lo que otros investigadores ya han sugerido: que los indígenas de la región
practican « una economía basada en una diversidad de actividades combinadas
en una variedad de estrategias [...] en sintonía con el entorno » (p. 76) y que « el
menoscabo de las actividades indígenas tradicionales [por la deforestación] no
está adecuadamente compensado con la adopción de actividades alternativas »
(p. 78). La conclusión es alarmante: la deforestación vuelve inviables las activi-
dades económicas ¢ tradicionales y no tradicionales ¢ de los indígenas, reduce
la diversidad ocupacional y disminuye la capacidad de las comunidades
para afrontar cambios imprevistos; además, como las actividades económicas
femeninas están ligadas intrínsecamente al bosque y como las nuevas alternativas
económicas están orientadas a los hombres, la deforestación perjudica más a las
mujeres y cobra un sesgo negativo de género.
El capítulo 6, « Uso de la tierra », es un esfuerzo pionero por ubicar
y determinar en el nivel regional la extensión de las tierras que las comunidades
utilizan para sus actividades económicas, y se abre con dos aclaraciones
preliminares. Una refiere al concepto de « tierra »: apoyándose en la definición

233
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

del Convenio 169 de la OIT, Leake sostiene que, para los indígenas, la tierra es el
territorio más sus recursos naturales y tiene tanto un valor económico como
social, político y cultural. La otra afirmación es que los indígenas tienen una
« conciencia ecológica fundada en el reconocimiento de que el descuido de la
tierra y sus recursos acarrea consecuencias perjudiciales para el grupo [..., pero]
que esa conciencia ecológica está perdiendo terreno ante el predominio del
criterio utilitario promovido por la sociedad circundante, dando lugar a que en
muchas partes del Chaco Salteño los indígenas se involucran en prácticas que
impactan negativamente sobre el equilibrio ecológico » (p. 79). Si consideramos
el público amplio al que la obra está dirigida, estas afirmaciones tienen un valor
positivo: reivindican la posición de los indígenas. En otro contexto, deben ser
discutidas: ¿cuáles son exactamente las concepciones sobre la tierra de los cha-
queños?, ¿realmente existió o existe una conciencia ecológica indígena? (cf.
Arenas 2003, pp. 135-137), ¿en qué sentido?
Llegado el caso, lo sustancial del capítulo es el análisis del uso de la tierra en
la escala regional y zonal. He aquí algunas de las muchas conclusiones relevantes
del análisis regional: las cuencas de los ríos y las rutas « son componentes
arteriales del paisaje y constituyen ejes sobre los que se articula el sistema
territorial indígena » (p. 80); aunque el conjunto de vectores que salen de un
asentamiento hacia los lugares de aprovisionamiento de recursos (« estrellazos »)
fuese completo, ellos « no terminan de dar cuenta del espacio requerido para
garantizar la viabilidad de un territorio indígena [...] porque la integridad ecoló-
gica del territorio está inseparablemente vinculada al contexto más amplio del
entorno en que está inserto [..., en el] que áreas no aprovechadas [...] constituyen
eslabones indispensables para la conformación de corredores ecológicos que
sostienen la viabilidad ecológica de los territorios indígenas » (p. 81); « [l]a
mayoría de los promedios de distancias de recorrido [para cada actividad] caen
dentro del radio de los 15 kilómetros » (p. 82). En el análisis zonal las cifras
muestran, por un lado, que en los departamentos de Anta, Metán y Orán « [n]o
sólo los patrones tradicionales de uso del territorio sino también los grupos
residenciales están desarticulados como consecuencia de la expansión agroindus-
trial que se está llevando a cabo » (p. 83); por el otro, enseñan que « a pesar del
cercenamiento de sus territorios, las comunidades indígenas del Chaco salteño
mantienen vigentes muchos aspectos de su sistema tradicional de uso » (p. 106):
el territorio de cada comunidad está en estrecha relación con la estructura del
paisaje y la distribución de los recursos, está compuesto por múltiples sitios
dispersos por superficies extensas, y se superpone con el de las comunidades
vecinas. Las conclusiones del capítulo están estrechamente vinculadas a las del
precedente: « los pueblos indígenas demuestran un alto grado de resiliencia ¢ no
sin un costo en lo atinente a su salud y bienestar cultural ¢ ante la degradación del
ambiente [...], el alambrado de las tierras que impide tanto el movimiento
residencial como el acceso a los recursos, y la progresiva eliminación del bosque

234
Leake comptes rendus

nativo debido a la expansión de la agroindustria » (ídem); los nuevos océanos de


soja u otros monocultivos no tienen ningún valor para la economía de las
comunidades, « [a]l contrario, todo indica que las conduce a una situación de
mayor pobreza y vulnerabilidad » (ídem).
Uno podría preguntarse por qué los indígenas no impiden que se deforesten
sus tierras. La respuesta está en el capítulo final, dedicado a la tenencia de la
tierra. « Para los indígenas del Chaco Salteño el problema consiste en lograr que
el Estado implemente el proceso de regulación a través del cual sean efectivizados
sus derechos territoriales consuetudinarios » (p. 109). No obstante, « el hecho de
que una comunidad tenga un título de tierras no es indicativo de que tiene la
seguridad de tenencia sobre todas las tierras que ocupa y utiliza para sus fines de
subsistencia, ni hablar de su territorio tradicional como espacio cultural. Al
contrario [...] el proceso de regulación de la tenencia de tierras indígenas en el
Chaco Salteño obedece, hasta la fecha, a un modelo que tiende al progresivo
acorralamiento de las comunidades en parcelas relativamente pequeñas, aisladas
y, con frecuencia, ubicadas a distancias considerables de su lugar de residencia y
de uso cotidiano » (p. 110). Al igual que los anteriores, este capítulo también
encara un análisis zonal y regional. A pesar de que existen marcadas disparidades
zonales, las cifras regionales son elocuentes: las 44,168 ha tituladas hasta el
momento (el 0.6 % de la superficie de los departamentos en cuestión) pertenecen
a 34 de las 204 comunidades o, dicho en términos demográficos, al 28 % de la
población indígena del Chaco salteño. El 83 % de sus comunidades y 71 % de su
población no tienen regularizada la tenencia de tierras. La pregunta tácita es si,
llegado el caso, la tierra ya titulada, redistribuida, les alcanzaría para vivir. En el
capítulo precedente, citando a otros autores, Leake formuló que « las culturas
cazadoras-recolectoras hacen uso de superficies que [...] van desde las 250 hec-
táreas por persona en las zonas favorables [...] hasta 14,000 hectáreas en zonas
muy desfavorables [...]. Aun suponiendo que el Chaco Salteño fuera una zona
favorable, [...] una familia de cuatro miembros que subsiste exclusivamente del
uso de los recursos naturales requiere, como mínimo, un territorio de 1,000 hec-
táreas » (p. 107). El contraste de esta estimación con la realidad es nítido: « en
toda la región del Chaco salteño las tierras indígenas tituladas equivalen a la cifra
de 10 has. [sic] por familia » (p. 118). El corolario es obvio: los indígenas tienen
acceso a muchísima menos tierra de la que necesitan.
Editado hace ya algunos años, este libro parece haber pasado bastante
desapercibido en el ámbito académico. Asombrosamente, sus resultados también
han sido desatendidos por los organismos del Estado vinculados de uno u otro
modo con la problemática de los « pueblos originarios ». Algunos detalles del
libro pueden ser discutidos: ¿qué tan válido es para este estudio mantener la
clasificación tradicional de agricultores guaraní-hablantes versus « chaqueños
típicos », aquí, cazadores-recolectores hablantes de una lengua guaycurú y tres
mataguayas?, ¿etiquetar de « cazadores-recolectores » a los pueblos en cuestión

235
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

¢ cuando el mismo libro da cuenta de que también cultivan, crían animales,


pescan, etc. ¢ puede confundir al público no especializado? Sin embargo, la obra
presenta de modo conciso y claro resultados cuantitativos abundantes, detallados
y confiables que ratifican, actualizan y completan los conocimientos antropoló-
gicos ¢ en su gran mayoría, cualitativos ¢ sobre la región. Leake interpreta los
números cautelosamente, contextualizándolos con otras variables cuanti o cua-
litativas (ambientales, económicas y sociales y, en menor medida, « culturales »,
vinculadas con la cosmovisión o la religión), y los utiliza para construir argumen-
tos robustos con los que procura corregir preconceptos e instigar acciones
gubernamentales. La metodología detrás del libro es ejemplar, y lo hace trascen-
der el mero estatuto de estudio de caso regional. Todo esto carga al libro de
sentido y permite afirmar lo que de otro modo parece sólo una muletilla de las
ciencias sociales: que el conocimiento tiene un rol político.

Referencias bibliográficas

Alvarsson Jan-A
Í ke
1988 The Mataco of the Gran Chaco: An Ethnografic Account of Change and
Continuity in Mataco Socio-Economic Organization, Acta Universitatis
Upsaliensis, 11, Uppsala.
Arenas Pastor
2003 Etnografía y alimentación entre los toba-ñachilamoleek y wichí-lhuku’tas del
Chaco central (Argentina), Edición del autor, Buenos Aires.
Nordenskiöld Erland
2002 La vida de los indios: El Gran Chaco (Sudamérica), APCOB, La Paz [1912].

Rodrigo Montani
Becario posdoctoral del CONICET, Argentina

Elías Mariana Alfonsina y Ariel Mencia, Textiles del Chaco. Catálogo del
MEAB, Museo Etnográfico « Dr. Andrés Barbero », Asunción, 2012, 252 p.

Aunque a primera vista los textiles del Gran Chaco no presentan la calidad
técnica, la variedad formal ni el simbolismo pasmoso de los andinos, son, sin
embargo, la parcela de la cultura material de los indígenas chaqueños más
diversa, compleja y significativa. Bolsos enlazados y tejidos, mantas y ponchos,
fajas, vinchas y tocados, entre otros artefactos de su clase, dan cuenta de la
ecología y de la historia de cada pueblo y despliegan además un código elocuente
en el cual los chaqueños cifran categorías y relaciones cosmológicas y rituales,
interétnicas, estatutarias, de género o de edad. El precioso catálogo de su

236
Elı́as y Mencia comptes rendus

importantísima colección, que el Museo Etnográfico Dr. Andrés Barbero


(MEAB) de la ciudad de Asunción del Paraguay acaba de publicar, documenta
precisamente la variedad y finura de las formas textiles chaqueñas y repasa lo que
se sabe sobre sus funciones y significados.
Suscripto por la argentina Mariana Alfonsina Elías y por el paraguayo Ariel
Mencia, el libro (de 22 por 33 cm, en papel ilustración, con dibujos y fotos a todo
color) está dividido en dos grandes secciones: por un lado, una larga introducción
sobre la materia; por el otro, el catálogo propiamente dicho de los artefactos
textiles del MEAB.
El estudio introductorio, a su vez, está dividido en tres textos. El primero,
escrito por ambos autores, es una breve presentación de la investigación que
originó el volumen (el análisis morfológico de las 373 piezas que forman el acervo
textil del MEAB y el estudio de las fuentes bibliográficas y fotográficas asocia-
das), de los artefactos que contiene el catálogo y del criterio clasificatorio seguido.
Luego figura un brevísimo texto general sobre los textiles chaqueños firmado por
Mencia, cuyo valor reside en precisar el origen de los objetos textiles de la
colección del MEAB (los viajes etnográficos de Max Schmidt y de Branislava
Susnik, además de algunas donaciones de particulares), en puntualizar parte de
la bibliografía publicada por Schmidt y Susnik que refiere a dichos objetos y en
señalar algo que personalmente desconocía: una mención ¢ quizá la más tem-
prana ¢ de las telas enlazadas chaqueñas en los escritos de Alvar Núñez Cabeza
de Vaca. El último texto de la introducción se titula « Textiles indígenas del Gran
Chaco Sudamericano » y es un extenso análisis comparativo de las formas, las
funciones y los significados de los textiles en las distintas sociedades indígenas de
la región, que Elías redactó después de estudiar las colecciones del MEAB y del
Museo Etnográfico Juan B. Ambrosetti de la Universidad de Buenos Aires, y de
revisar el grueso de la bibliografía publicada sobre el tema. (Hay un detalle formal
poco feliz tanto en el escrito de Mencia como en el de Elías: en sendas biblio-
grafías se duplican las referencias que ya figuran en las notas; por otro lado,
dada la abundancia de citas hubiese convenido reemplazar las notas ¢ difíciles
de seguir ¢ por el sistema de autor año.) Ilustran el texto de Elías 14 fotos
y 27 dibujos, reproducidos u originales, además de un glosario textil, también
con imágenes.
Las 51 páginas de Elías son las que merecen mayor comentario. Acertada-
mente, la autora abre su texto recordándonos que Textiles del Chaco... da cuenta
de una colección museológica formada durante la primera mitad del siglo xx con
artefactos recolectados en la frontera entre los territorios indígenas y los vectores
de colonización (ingenios azucareros, misiones, fortines, estancias ganaderas y
¢ sumo ¢ explotaciones madereras), y nos evita caer en una visión estática tanto
de las sociedades indígenas como de su cultura material. Agregaría que sin duda
la colección refleja también los sesgos personales y de época de Schmidt, de
Susnik y de las otras personas que donaron artefactos (quizá, por ejemplo, un

237
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

interés por lo tradicional en detrimento de lo considerado aculturado, o por lo


ritual o festivo en desmedro de los objetos de uso diario), así como las circuns-
tancias fortuitas que permitieron recolectar determinadas piezas y no otras (por
ejemplo, lo disponible, lo que los indígenas quisieron trocar, lo que era posible
transportar, etc.). Tener presentes estas precondiciones nos evita creer que los
materiales de museo puedan reflejar exhaustivamente los textiles producidos o
usados por cada sociedad chaqueña ¢ algo que el texto, en ocasiones, parece
olvidar. La colección, y por ende también el catálogo, pasan necesariamente por
alto ciertas técnicas, formas, colores, etc. conocidas y usadas por determinados
grupos. Por ejemplo, como bien lo señala Elías, « [e]n las colecciones
wichí, ayoreo e ishir [...] no se registran » (p. 47) bolsas semiesféricas con dos
estructuras textiles; sin embargo, conozco de primera mano que entre los wichís
estas bolsas sí existen.
« Textiles indígenas del Gran Chaco Sudamericano » aborda primero una
serie de aspectos tecno-morfológicos generales (las materias primas y las formas
de confección del hilo, las tinturas y las técnicas de teñido, las estructuras textiles
y las formas de los artefactos) para luego describir las distintas categorías de
textiles, repasar sus características pueblo por pueblo y detenerse en ciertas
dimensiones formales que lo ameritan (especialmente en los diseños y los colores
de los bolsos enlazados, de los bolsos de lana y de las mantas, ponchos y fajas).
Pueden realizarse algunas objeciones menores a la descripción de los aspectos
tecno-morfológicos. Por ejemplo, la autora señala que en el Chaco se utilizan
tinturas de origen vegetal, animal y mineral, además de la anilina industrial
incorporada durante el siglo xx (p. 33). La afirmación es sospechosa. La extensa
mayoría de tinturas chaqueñas son de origen vegetal. Los wichís, por ejemplo,
conocen sólo una tintura animal (la misma que consigna la autora): la cochinilla,
que se utilizaba para la lana. Ignoro el uso de tinturas minerales, y el texto no
aporta ninguna referencia al respecto. Cenizas y barros, si es que pueden contarse
como minerales, no son tinturas, sino mordientes. Otra pequeña objeción es que
el repertorio de puntos de enlazado es bastante incompleto; tan sólo entre los
wichís, por ejemplo, existen varios otros que Elias no consigna: enlazados simple
con una torsión (la variación loop-and-twist del simple looping de Emery 1980), el
enlazado largo (una variación del figure-8 looping de Emery 1980) y el enlazado
en ocho doble (la variación overlapping and interlaced del figure-8 looping de
Emery 1980). Asimismo, en lo que concierne a la exposición de los aspectos
técnicos y formales ¢ y no sólo de ellos ¢ hubiese sido más útil que los gráficos
estuviesen intercalados en la parte correspondiente del texto, y que las referencias
a las piezas del catálogo siguiesen la numeración arbitraria con la que realmente
figuran de forma sucesiva en el catálogo (y no un número de catálogo que
encabeza la ficha, pero cuya razón de ser permanece para el lector completamente
oscura). Se puede corroborar, además, que en el glosario aparece un error
descriptivo importante: los gráficos de los « sentidos de torcido de las fibras

238
Elı́as y Mencia comptes rendus

textiles » (p. 98) están mal construidos, pues S y Z señalan precisamente la


inclinación que puede observarse en las hebras del hilo colocado en posición
vertical: \ y /, respectivamente.
Después de la descripción tecno-morfológica general, Elías repasa las cate-
gorías textiles que ordenan las 190 fichas del catálogo propiamente dicho: 1) bol-
sas cuadrangulares enlazadas con las fibras de las especies de bromelias textiles
conocidas como caraguatá o cháguar, 2) bolsas hemisféricas ¢ prefiero llamarlas
semiesféricas ¢ de caraguatá, 3) bolsas con base redondeada de caraguatá, 4) bol-
sas cuadrangulares de lana, 5) alforjas, 6) faldas, 7) typói, 8) mantas, 9) ponchos,
10) fajas, 11) cinturones, 12) coronas, 13) bandas frontales, 14) cintas para la
cabeza, 15) cintillos y 16) collares, pendientes y brazaletes. Al leer la presentación
de cada una de estas categorías uno queda convencido de que la autora ha
observado atentamente muchísimas piezas y ha consultado con esmero una
amplísima bibliografía sobre la cultura material de los chaqueños (lamentable y
justificadamente, la autora no tuvo acceso a cuatro trabajos sobre los bolsos
enlazados wichís que hubiesen enriquecido su análisis: Alvarsson 1992, 1994;
Montani 2004, 2012). Fruto de la observación y de la lectura esmeradas, el texto
de Elías presenta, pues, una contextualización sociocultural admirable de los
textiles chaqueños y sugiere varias generalizaciones que a continuación comento
dándoles una forma más arriesgada y definida.
Existe en el Chaco una asociación bastante sistemática entre las formas de los
bolsos enlazados y las categorías de usuarios: los bolsos cuadrangulares media-
nos y grandes, enlazados generalmente en ocho con caraguatá, eran o son usados
por los hombres para transportar las herramientas y los productos de sus
actividades típicas (la caza y la pesca); las bolsas pequeñas, fabricadas principal-
mente con enlazado simple, en cordón o anudadas, en caraguatá, o bien más
tardíamente tricotadas o tejidas en lana, eran usadas por los hombres para
guardar y acarrear sus bienes personales (implementos para el fuego, amuletos de
caza, adornos); los bolsos cuadrangulares grandes y las bolsas semiesféricas,
ambas también enlazadas en caraguatá, eran o son artefactos femeninos destina-
dos fundamentalmente a la recolección y al almacenamiento de bienes del grupo
doméstico; por último, las bolsas enlazadas medianas muchas veces también se
destinan al mercado de artesanías étnicas (pp. 40-42, 55-56). Elías argumenta,
retomando esencialmente a Susnik, que las bolsas semiesféricas están estrecha-
mente vinculadas con las mujeres porque eran o son usadas fundamentalmente
en actividades femeninas (recolección y almacenamiento de los alimentos del
grupo doméstico), y porque enlazarlas fue o sigue siendo la tarea femenina
arquetípica, una actividad con « múltiples reminiscencias mitológicas » (p. 45).
En efecto, al menos entre los wichís, tanto desde el punto de vista sociológico,
formal, funcional como simbólico, las bolsas semiesféricas pueden ser pensadas
como artefactos construidos por las mujeres sobre la metáfora del útero: como he
propuesto en otro lado (Montani 2008, 2012), estas bolsas cargueras son una

239
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

suerte de « útero externo » y son, por lo tanto, un artefacto definitorio de la


feminidad.
Del análisis de los diseños de los bolsos enlazados, tricotados y tejidos con
trama y urdimbre se puede deducir también algunas constataciones generales. La
primera concierne a las mismas fuentes documentales del trabajo regional com-
parativo. Por desgracia, a pesar de que los bolsos con diseños son típicos de las
sociedades chaqueñas, hasta el momento sólo contamos con estudios sistemáti-
cos sobre los diseños enlazados wichís (Alvarsson 1994; Koschitzky 1992; Millán
1944; Montani 2004, 2007, 2012). La investigación de los diseños es una tarea
ardua, porque luego de comprender las posibilidad y constreñimientos técnicos
debemos estudiar las formas de los diseños (he propuesto que, al menos en el caso
wichí, resulta útil separar el motivo del patrón de simetría que guía su distribu-
ción en el plano) y, simultáneamente, la relación compleja de estas formas con los
nombres de diseño. Tampoco contamos con estudios exhaustivos de los diseños
tricotados y tejidos para ninguna sociedad chaqueña. Como consecuencia, el
análisis comparativo de la autora difícilmente pueda sobrepasar el aspecto
formal. Otra constatación importante es aquella que concierne a la varianza y la
recurrencia de los diseños chaqueños, y a la posibilidad de establecer estilos
étnicos, regionales (de sectores del Chaco) o areales (del Chaco en su conjunto).
Como correctamente señala Elías, tanto en los diseños enlazados como en los
tricotados y tejidos, y tanto en los bolsos como en las mantas, ponchos, fajas y
vinchas, existen diseños nombrados que son comunes a varios pueblos (e incluso,
agrego en lo personal, a pueblos fuera del Chaco, como el zigzag horizontal con
nombre de pieles de serpientes); y, contrariamente, existen otros que son exclusi-
vos de un grupo étnico o intraétnico, o de un conjunto « microregional ». El
estudio de las colecciones de museo puede servir para abordar el aspecto formal
del asunto, pero la comprensión cabal del problema demanda, de modo urgente,
más y mejor etnografía.
Otra sugerencia generalizadora del texto de Elías es la importancia que tiene
en el diseño lo que denomino « la tríada cromática chaqueña »: blanco, rojo,
negro. Sociedad tras sociedad vemos que los dibujos textiles están las más de las
veces construidos con estos « colores » (o con dos de ellos), a veces de manera
solapada, reemplazando, por ejemplo, el blanco por el crema o el negro por el azul
o el rojo por el rosa. (Recordemos que en wichí al azul se le dice -chalaj, el verbo
neutro que denomina al « negro ».) Es indudable que para comprender el croma-
tismo textil y el valor de dicho cromatismo se impone un estudio previo de la
clasificación cromática indígena.
Dije que el trabajo de Elías es una síntesis regional sobre los textiles
chaqueños. Como tal, además de brindarle al etnógrafo especializado en un
grupo una visión regional de conjunto, le permite encontrar o rencontrar detalles
comparativos interesantes. Leyendo « Textiles indígenas... » recordé que
Fernández Distel (1983) hablaba de la bolsa semiesférica ubekaháni, que le sirve

240
Elı́as y Mencia comptes rendus

a la madre ayoreo para transportar durante las marchas a sus hijos pequeños y los
bienes domésticos. A su vez, el detalle me trajo a la memoria que existe por lo
menos una mención histórica de bolsos semiesféricos usados por los wichís como
recipiente para cargar el bebé (Baldrich 1890, pp. 236-237), y que en una escena
poco conocida de su mitología la hija de Sol carga en su sichet (la bolsa semies-
férica) al trickster Tukwaj. Un nuevo detalle comparativo que se suma a una lista
amplia y llamativa de semejanzas entre la cultura material ayoreo y la wichí
(Montani 2012).
Elías no es antropóloga, sino licenciada en Artes, y algunas inexactitudes de
su escrito se justifican quizá por dicha filiación profesional. En ocasiones, por
ejemplo, rigidiza las clasificaciones indígenas de los textiles. Repite, pues, algo
inverosímil: que los tobas del oeste de Formosa, estudiados por Arenas (2003),
clasifican las bolsas cuadrangulares según el punto de enlazado (p. 40). Lo
inverosímil no es que lo hagan, sino que pensemos que dicha tipología constituye
algo realmente sistemático y excluyente de otras posibles. El error se vincula
también con el uso siempre complejo de las expresiones indígenas ¢ en este caso,
de las referidas a los artefactos textiles ¢ por fuera de una compresión global de la
lengua; esta falta de perspectiva distorsiona la traducción y termina por presentar
como palabras inanalizables lo que en realidad son nombres simples, derivados,
compuestos, verbos, frases, etc. (al estilo del hile wichí, « bolsa cuadrangular
enlazada », y sus formas vinculadas: hile-lhos, « bolsa cuadrangular enlazada
chica », hile-lhos ta hu’aqtsaj-ch’utey, « bolsa cuadrangular enlazada chica con el
diseño orejas de la mulita », etc.) o bien por presentar como nombre de un
artefacto un término que en realidad refiere a algo más general (como puede
suceder con otra de las denominaciones del bolso semiesférico wichí, ulhekw, que
literalmente quiere decir « mi carga »). Requiere también rectificación la repeti-
ción que Elías hace de la opinión de Koschitzky (1992, p. 40) según la cual sichet,
el nombre wichí para el bolso semiesférico, es una palabra de origen quichua
usada sólo en la Argentina. Esto es algo que la propia Koschitzky no prueba y que
hasta donde sé los diccionarios quechuas y quichuas desdicen. Por último, no
puede pasar inadvertido el problema del significado de las categorías que ordenan
los artefactos textiles en el trabajo de Elías y en el catálogo mismo: ¿reflejan el
punto de vista nativo?, ¿en qué sentido?, ¿siguen clasificaciones lingüísticas,
funcionales, etc. de los indígenas o son simples etiquetas museográficas construi-
das a partir del análisis morfológico combinado con nuestras categorías intuiti-
vas de artefactos (i. e., las que nuestras lenguas distinguen, las que normalmente
fabricamos y usamos, etc.)? Hay por lo menos una distinción que creo demasiado
externa: aquella que separa las « bandas frontales » de las « cintas para la
cabeza » (pp. 226-236); los wichís, por ponerlos nuevamente como ejemplo,
agrupan unas y otras bajo el único rótulo de « su vincha » (lap’aqiche).
Los problemas de estilo en el texto de Elías no son achacables a su formación
y por desgracia no son pocos: un abuso de la barra para separar sinónimos, como

241
journal de la société des américanistes Vol. 99-1, 2013

si se tratase de la conjunción disyuntiva « o » (algo de por sí incorrecto), un


exceso de sinónimos que entorpecen la lectura, una puntuación defectuosa que se
repite (una coma separando el sujeto del predicado), etc. Pero más allá de estos
aspectos algo desconcertantes, Textiles del Chaco... no deja de ser una obra
preciosa e importantísima, porque nada puede opacar el valor estético y docu-
mental de las 16 fotos originales a página completa y de las 190 exhaustivas fichas
de artefactos ¢ realizadas a partir de las de Susnik ¢ con sus respectivas foto-
grafías ¢ también originales ¢ que conforman el catálogo propiamente dicho. En
él, bolsos, faldas, vestidos, manta, ponchos, fajas, cintos, tocados, vinchas, colla-
res, pendientes y brazaletes exhiben sus formas, texturas y colores para dar cuenta
de la destreza técnica, de la inventiva y de las preocupaciones pragmáticas, éticas
y estéticas de los pueblos del Gran Chaco.

Referencias citadas

Alvarsson Jan-AÍ ke
1992 « Artifacts in ethnographic description: some ideas based on an analysis of
three string-bags from the Mataco Indians of Bolivia », Antropoloska Stu-
dier, 49, pp. 2-25.
1994 Through the web of the string-bag: weenhayek culture and symbolism as
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Arenas Pastor
2003 Etnografía y alimentación entre los toba-ñachilamoleek y wichí-lhuku’tas del
Chaco central (Argentina), Edición del autor, Buenos Aires.
Baldrich Amadeo
1890 Las comarcas vírgenes: el Chaco central norte, Peuser, Buenos Aires.
Emery Irene
1980 The primary structure of fabrics: an illustrated classification, The Textile
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Fernández Distel Alicia
1983 « La cultura material de los ayoreo del Chaco boreal », Scripta Ethnologica
(supplementa 3), pp. 4-78.
Koschitzky Monica (von)
1992 Las telas de malla de los wichí-Mataco: su elaboración, su función y una posible
interpretación de los motivos, Centro Argentino de Etnología Americana,
Buenos Aires.
Millán María Delia
1944 « Forma y significado de los motivos ornamentales de las ‘‘llicas’’ cha-
quenses », Relaciones de la Sociedad Argentina de Antropología, 4, pp. 69-76.

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Arenas comptes rendus

Montani Rodrigo
2004 Categorías materiales y formas sociales entre los wichís de Los Baldes (Salta,
Argentina), tesis de licenciatura en Antropología, Universidad Nacional de
Rosario.
2007 « Formas y significados de los diseños de los bolsos enlazados por los wichí
del Gran Chaco », Separata, 5 (12), pp. 35-67.
2008 «Metáforas sólidas del género: mujeres y tejido entre los wichí », in Silvia
Hirsch (ed.), Mujeres indígenas en la Argentina: cuerpo, trabajo y poder,
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2012 El mundo de las cosas entre los wichís del Gran Chaco: un ensayo etnolingüís-
tico, tesis de doctorado en Letras, Universidad Nacional de Córdoba.

Rodrigo Montani
Becario posdoctoral del CONICET, Argentina

Arenas Pastor (ed.), Etnobotánica en zonas áridas y semiáridas del Cono Sur de
Sudamérica, CEFYBO-CONICET, Buenos Aires, 2012, 270 p.

Este libro compila una serie de investigaciones etnobotánicas y etnobioló-


gicas realizadas durante los últimos años en el marco del proyecto colectivo
« Categorías utilitarias y perceptuales de la vegetación empleadas por grupos
aborígenes y criollos de zonas áridas y semiáridas de la Argentina: Situación
actual y perspectivas futuras », financiado por la Agencia Nacional de
Promoción Científica y Tecnológica de Argentina. Titulado « Estudio etnobotá-
nico en regiones áridas y semiáridas de Argentina y zonas limítrofes: experiencias
y reflexiones metodológicas de un grupo de investigación », el primer artículo
sirve de introducción general. Escrito por el propio editor y por Gustavo
Martínez, ubica el proyecto en el marco más amplio de la historia general de la
investigación etnobotánica (por ej. en los debates entre etnobotánica « cuantita-
tiva » y « cualitativa ») detallando las estrategias teóricas y metodológicas
escogidas: protocolos científicos, recorte de datos, modalidades de registro, tipos
de fuentes, etc. Asimismo ofrece un recorrido panorámico de los aportes del
grupo de trabajo al conocimiento etnobiológico regional: en particular, a los
casos de los wichís, chorotes y tapietes de Salta, los toba-pilagás de Formosa y los
tobas de Chaco, así como también a las poblaciones criollas de Córdoba, La
Pampa, San Juan, Salta y Formosa.
Los siguientes seis trabajos son sobre la región del Gran Chaco. En el segundo
capítulo (« Identificaciones botánicas de las plantas empleadas entre los
mocovíes en la reducción San Javier durante el siglo xviii a partir de la obra de
Florián Paucke, S. J. »), Cintia Rosso y Gustavo Scarpa identifican cerca de un
centenar de especies botánicas utilizadas por los mocovíes de las reducciones
jesuíticas del siglo xviii releyendo la pintoresca obra de Florián Paucke, uno de

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los jesuitas fundamentales para la etnología del Gran Chaco junto con Pedro
Lozano, José Sánchez Labrador o Martín Dobrizhoffer. En el tercer capítulo
(« La colecta de miel o ‘‘meleo’’ en el Gran Chaco: su relevancia en etnobotá-
nica »), Nicolás Kamienkowski y Pastor Arenas describen el papel fundamental
de la colecta de miel en la subsistencia de los cazadores-recolectores chaqueños a
partir de una revisión sistemática de fuentes históricas, etnográficas y biológicas,
detallando en cada caso las especies, los usos de los productos y una serie de
aspectos asociados como técnicas de meleo, mitología o ritualidad ¢ hay que
decir que resulta de particular interés, en este caso, la extensa revisión de la
cultura material asociada con la colecta de miel.
Con el empírico título de « Palos, yuyos, pencas, bejucos y pastos », Gustavo
Scarpa analiza en el cuarto trabajo la taxonomía etnobotánica de los criollos del
nordeste de Salta y el oeste de Formosa. Inventaría los conjuntos lexemáticos por
medio de los cuales nombran a las plantas (672 denominaciones vernáculas de
370 taxas botánicas y 525 fitónimos asociados), procura identificar los patrones
nomenclaturales de la fitonimia vernácula sobre la base de estructuras lingüísti-
cas (lexemas primarios, secundarios, nombres genéricos, nombres específicos,
etc.), e incluso bosqueja un modelo general a partir de los datos. A la hora de
categorizar el reino vegetal, la distinción fundamental opone las plantas cultiva-
das (« plantas » a secas) con las plantas silvestres (« del campo » o « del monte »),
que pueden ser « palos » (árboles, arbustos, subarbustos), « yuyos » o « yerbas »
(hierbas), « pencas » (cactáceas y suculentas), « bejucos » (enredaderas y lianas)
o « pastos » (poáceas y ciperáceas).
Reflotando la vieja crítica durkheimiana a la categoría de « sobrenatural », el
quinto capítulo (« Espíritus vinculados con el bosque y sus plantas en el mundo
de los wichís del Chaco Semiárido salteño, Argentina ») se adentra en la cosmo-
logía wichí a partir de un punto de partida más orientado a lo cualitativo,
catalogando una veintena de espíritus o personajes que poseen algún tipo de
conexión significativa con plantas u hongos del monte. La intención de Eugenia
Suárez consiste evidentemente en complementar el abordaje etnobiológico con
una perspectiva interpretativa más integradora, que contemple tanto el análisis
de la cosmología como asimismo de los procesos de cambio socioambiental. En
el mismo sentido, el sexto estudio (« Hechicería, muerte y prácticas funerarias
para vengar maleficios entre los toba del occidente de Formosa, Argentina. Una
aproximación etnobiológica »), del propio Pastor Arenas, parte de una narrativa
toba-pilagá sobre el papel de un ave a la hora de vengar ritualmente un daño por
brujería. Arenas revisa exhaustivamente la narrativa oral del grupo y a la vez la
literatura etnográfica regional, a fin de contextualizar las diversas modalidades de
hechicería retributiva en las sociedades indígenas del Gran Chaco. Por su parte,
en el séptimo capítulo (« Recolección, disponibilidad y uso de plantas en la
actividad artesanal de comunidades tobas del Chaco Central, Argentina »),
Gustavo Martínez describe el vocabulario utilizado por los tobas para designar la

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Arenas comptes rendus

materia prima, los productos, los motivos y cromatismos en textiles, cordelería,


tejidos, cestería, alfarería y tallas en madera; la identificación botánica de las
especies vegetales utilizadas; las prácticas de recolección, procesamiento, deco-
ración e interpretación del significado de las artesanías; las percepciones nativas
respecto de la ecología medioambiental; el impacto progresivo de la globalización
en los procesos de producción, circulación y consumo de artesanías, así como
también su relación con la definición cotidiana la identidad étnica.
Los dos últimos capítulos, en cambio, son dedicados a casos provenientes de
otras áreas culturales. En « Los ‘‘puestos’’ del oeste pampeano: la relación de los
campesinos criollos con las plantas a través de los huertos y jardines », Walter
Muiño analiza la significación del « puesto » como categoría significativa entre
los criollos del oeste pampeano. A partir de una doble perspectiva etnográfica y
etnobotánica, comprueba que el « puesto » incluye aquellas especies vegetales
que rodean concéntricamente la vivienda rural, cultivadas con diversos fines
prácticos, ornamentales, alimenticios o medicinales. El último capítulo de María
Cecilia Montani (« Uso medicinal de plantas entre descendientes huarpes en la
comunidad de Lagunas del Rosario, Mendoza, Argentina »), por su parte, docu-
menta la farmacopea vegetal de un grupo de campesinos mendocinos autodefi-
nidos como descendientes de huarpes en el ámbito específico de la etnobotánica
médica. Montani cataloga un centenar y medio de aplicaciones terapéuticas
(para paliar desórdenes digestivos, afecciones respiratorias y trastornos de la piel)
de 61 especies agrupadas en 28 familias botánicas, y rastrea los criterios etioló-
gicos y terapéuticos referidos por los actores a la hora de interpretar dichas
prácticas (el síndrome cálido-fresco, el principio de oposición hipocrático, la
preponderancia simbólica del número impar).
Naturalmente, en un libro de esta índole podrían discutirse algunas cuestio-
nes. Puede sonar discordante la pretensión de trascender el dualismo
naturaleza/cultura desde la perspectiva de las llamadas « etnociencias ». De igual
modo, a la hora de describir las clasificaciones indígenas de plantas o espíritus,
sería interesante alguna tentativa de trabajar con clasificaciones politéticas, que
permitirían comprender mejor cómo se reúnen especímenes en conjuntos no
definidos por criterios o atributos esenciales ¢ y ni siquiera prototípicos ¢ sino
por « aires de familia » que no son necesariamente excluyentes, ni menos aún
consistentes en términos de la tradicional lógica aristotélica. También se percibe
alguna tensión irresuelta entre las interpretaciones universalistas o particularis-
tas a la hora de correlacionar la plasmación lingüística de los nombres de especies
con la articulación cognitiva de la taxonomía. En términos comparativos, final-
mente, hay que decir que si bien la gran mayoría de los trabajos versan sobre el
Gran Chaco, lo hacen haciendo con un énfasis excesivo en el Chaco argentino.
Con excepción del propio Arenas, que conoce bien la etnografía chaqueña en
general y paraguaya en particular (Boggiani, Schmidt, Susnik, Chase-Sardi), el
resto de los autores tiende a pensar casi exclusivamente en términos de los

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llamados « chaqueños típicos » ¢ es decir, en los grupos étnicos pertenecientes a


los troncos lingüísticos Mataco-Mataguayo y Guaycurú. No se trata necesaria-
mente de un error, pero el sesgo deja de lado posibles relaciones significativas con
los grupos chaqueños « marginales » o « periféricos » (Zamuco, Lule-Vilela,
Maskoy, Guaraní) que en ocasiones podrían echar luz sobre los problemas tra-
tados. Así, por ejemplo, en el catálogo de personajes cosmológicos wichís, el dueño
de las tormentas, la lluvia y el trueno, llamado Tupa, aparece consignado como
« sinónimo » del espíritu Suweletaj. Pero esto difícilmente sorprenda a quien sepa
que existe una larga tradición tupí-guaraní del concepto de Tumpa (Tupá, Tüpa,
Toupan, etc.), personificación del trueno tomada por los misioneros para traducir
las ideas cristianas de « Dios », « Sagrado », etc.; que los wichís occidentales están
en estrecha relación con los grupos guaraní-hablantes del piedemonte desde hace
siglos; y que para esos mismos wichís la categoría suwele no sólo significa
« hombre blanco » o « criollo » sino también « chiriguano » o « guaraní ».
Estas inquietudes puntuales no empañan en modo alguno los muchos méritos
del libro. El más evidente es la abrumadora cantidad de información. Más allá de
las eventuales exégesis, el lector accede a un cúmulo inestimable de datos
etnográficos cuantitativos y cualitativos: las prácticas de hechicería retributiva
(Arenas), los préstamos andinos en las clasificaciones indígenas y criollas
(Scarpa), el estudio articulado de la praxis taxonómica indígena y criolla ¢ cedido
demasiadas veces a la labilidad anecdótica de los estudios folclóricos ¢ tanto a
nivel etnográfico (Scarpa, Muiño, Montani) como histórico (Kamienkowski y
Arenas). Así como las continuidades, el libro también da cuenta de los contrastes:
mientras que las clasificaciones criollas emplean calificativos (ej. bajo/alto,
tierra/agua) para diferenciar tajantemente los dominios conceptuales de « lo
silvestre » y « lo cultivado », los sistemas taxonómicos de los indígenas cha-
queños suelen integrar en un mismo nivel clasificatorio las plantas silvestres y las
cultivadas (Scarpa). Asimismo, resulta sugestiva la posibilidad de leer las fuentes
jesuíticas a partir de las modernas etnociencias (Rosso y Scarpa), o bien de cruzar
las taxonomías etnobotánicas con los estudios recientes sobre las cosmologías
amerindias (Suárez, Arenas y Martínez).
A contrapelo de las modas académicas, los trabajos de la compilación reivin-
dican en su conjunto los viejos ideales empiristas: la división formal ¢ o ritual ¢
en secciones tituladas « Materiales y métodos », « Resultados » y « Discusión »;
la enumeración puntillosa de las metodologías o de las edades de los informantes;
la profusión de cuadros de doble entrada, tablas, diagramas y gráficos; el celo por
evitar ambigüedades y posicionamientos equívocos; el sano escepticismo
respecto de los modelos generalistas que pretenden abarcarlo todo, y en definitiva
la preferencia por la prolijidad argumental y la acumulación de datos en lugar de
las delicias de la persuasión retórica.
Diego Villar
CONICET, Argentine

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