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Le pain,

un objet culturel, sujet


aux inter modalités
sensorielles
J.F.Bassereau, Professeur associé, ENSAM Directeur
scientifique E.P.O.C.H.,
N. Simon, In Process, Doctorante Paris 7

Résumé

Avant toute consommation le plus souvent quotidienne, le


pain s’obtient par une approche cognitive, perceptive
séquencée temporellement, « sur des modalités
sensorielles et rationnelles » aussi (Cf. Le pain une image
multi sensorielle). Mais le pain s’il se voit, ne se touche
pas immédiatement, il a un nom, et un emballage qui
vient le servir dans une image marchande qui varie
suivant les lieux de vente et les dispositifs de mise en
scène. Le pain a conservé les traces de ses décorations
signifiantes. Nous proposons de les situer dans une
première approche historique et culturelle. L’occasion de
découvrir les parcours de cet objet très particulier,
sacralisé, puis sacré, profane mais conservant les
décorations du sacré, standardisé puis, aujourd’hui
particularisé.
En effet, avec le pain « industriel» plutôt « moins bon
qu’avant », depuis plusieurs années, les moulins,
industries boulangères ont considérablement enrichi leur
offre.
Nous montrons l’hyper choix qui co existe et les discours
qui accompagnent cet objet culturel qu’est le pain. Sa
possession est directement liée à l’action « aller chercher
son pain », que nous étudions. Nous étudions les
enchaînements d’actômes et d’inter modalités
sensorielles et leur mobilisation consciente ou non (dans
leurs variations selon les saisonnalités, les temporalités,
les dispositifs de présentation et de lieux de vente). Une
première mise en émergence des diversités d’emballage,
de discours (sémantique, linguistique, sémiotique et
sensoriel...) est proposée accompagnant le pain. Nous
montrons l’intérêt d’accéder une vraie culture sur la
famille d’appartenance d’un objet au moment de le
concevoir, ne serait-ce que pour s’en détacher, jouer avec
ses codes, prolonger ou rompre une tendance.

Introduction

Il est possible de lire le message d’un objet, d’étudier ses


ancêtres (Généalogie d’objets, Cf. Bassereau 97), de le
situer dans son environnement, si spécifique soit-il pour
nous aider à sa re conception. Ici, nous ne traitons que de
clés de lecture pour comprendre l’objet dans un premier
temps, et mieux le concevoir dans un second temps. Le
pain, comme tout objet, lorsqu’il est perçu met en jeu un
système de références intermodales. Leurs natures
varient. Dans le temps, des souvenirs personnels liés à
une expérience vécue surfissent, jusqu’à une perception
immédiatement stockée et comparée, mais intervient un
rapport d’échelle, d’un niveau intra individuel à un aspect
sociétal ; la palette est large. Nous avons choisi un objet
très particulier, quotidien qui possède une histoire riche,
des statuts divers suivant les époques et les contextes. Le
pain associé à la symbolique du français ? En tout cas,
aujourd’hui, le pain est mis en scène, lui-même (forme,
enveloppe, décoration), dans sa dénomination puis dans
son emballage (la nature de celui-ci, les inscriptions qui y
figurent), durant le trajet (la tenue du pain, les gestes
associés à la marche), pendant le repas. Nous proposons
d’apporter quelques clés de lecture pour comprendre
comment cet objet est devenu si proche, en osmose avec
nos pratiques culturelles. Le pain possède cette
autonomie perceptive accompagnée d’un réseau de halos
de signification qui fait sens.

LE PAIN A SON ORIGINE


Le mot « pain » dans le temps

Pain n.m. du latin « panis » (dérivé du sanscrit pâ,


nourrir) qui décrit l’objet alimentaire.

Mais, l’aliment fait de farine pétrie et cuite prend aussi le


sens de la nourriture en général celle de chaque jour : le
pain quotidien. Les mots qui entourent le pain sont tous
spécifiques et anciens1. Mais si l’étymologie renseigne elle

1
Selon Ducange, le nom de « Boulanger », serait à l'origine, pendant le
moyen-âge, d’un pain présenté sous forme de boule. Le nom de
« talemelier » est une corruption de « talmisier » ou « tamisier », qui
nous garde aussi de contre sens. En effet, les mots de
l’alimentation de la vie courante sont de faux amis dont il
faut se méfier, (surtout quand on veut se faire
comprendre en des langues différentes). « En anglais on
mange des « foods », en français des aliments2. Le mot
« aliment » a disparu de l’anglais actuel. Le sens du mot
« food » ne concerne que l’apport nutritionnel. « La note
de plaisir et d’évocation symbolique a disparu [...] mais en
France, on semble refuser obstinément de nier le sens du
désir et celui du symbole »3. Nous restons loin d’un
épicurisme gaulois4 ; le cinéma a su avec « le Festin de
Babette » scénariser cette réalité.
Mais le langage n’est jamais innocent, et traduit toujours
une réalité représentée, voire conceptualisée. En effet,
« le langage des aliments est trop fluctuant et trop
mystérieux pour qu’on puisse faire plus que signaler sa
force. Bethléem, [par exemple, signifie « maison du pain »
et annonce la sacralisation de l’objet alimentaire à travers
une pratique quasi anthropophage5]. A la conception de
l’aliment victime, s’est ajoutée celle de l’aliment fruit du
travail, récompense ou équivalent d’une peine. « Que
celui qui ne travaille pas ne mange pas » disait Paul »6.
« Le pain se lève » était le cri de ralliement des premières
révolutions populaires, celle des Jacques. Dans la
valorisation des aliments, le prestige des conditions de
travail qui les ont produites intervient puissamment, si
bien que manger du pain, ce n’est pas seulement utiliser
ses propriétés, c’est communiquer aux conditions du
travail qui l’ont produit. Dans le cas du pain, son action
nommée a fini par caractériser celui qui l’a réalisé. Ainsi,
« boulanger » est avant tout le verbe qui décrit l’action de
pétrir le pain et le faire cuire. Cette action a donné son
nom à celui qui la réalise. Ainsi, une autre connotation
vient s’ajouter à cette désignation première, le boulanger
(la boulangère) fait le pain et le vend.

proviendrait du tamis qu'utilisaient les boulanger pour séparer la farine


du son. Le mot « panetier », vient du verbe oublié, « paneter ».
2
Le mot « aliment » existait pourtant dans l’encyclopédie britannique
de 1848. Il désignait très exactement, comme en français, une denrée
qui nourrit, c’est-à-dire qui comporte des nutriments, qui est
appétente, c’est-à-dire qui stimule le désir de nos sens et est
coutumière... » « ... c’est-à-dire a pris un sens évocateur symbolique
dans la société ». TREMOLIERES J. Unité de Nutrition de l’Hôpital Bichat,
Paris (1980).
3
TREMOLIERES J. , SERVILLE Y., JACQUOT R. - Manuel élémentaire
d’alimentation humaine, Unité de Nutrition de l’Hôpital Bichat, 7ème éd.,
Paris (1977).
4
Montaigne remarque que « Nature a maternellement observé que les
actes qui nous sont le plus nécessaires nous soient enjoints non
seulement par la raison mais aussi par volupté [...] Y a-t-il quelque
volupté qui me chatouille, je ne la laisse pas friponner aux sens. L’âme
doit y venir, non pour s’y engager mais pour s’y agréer, non pour s’y
perdre mais pour s’y trouver. La tempérance n’est pas la peste de la
volupté mais son assaisonnement ». MONTAIGNES
5
« Ceci est mon corps (en montrant le pain), prenez et mangez-le… »
6
Cf. CLAUDIAN J. , - « », Sciences et vie, N° H. Série 130, 1980, P. 29
Tous les aliments ont un statut particulier dans notre
culture française, mais c’est en fait, pour le pain et le vin
que cette extension de la valeur des aliments a été le
mieux exprimée, et que le langage l’a utilisé autant en
images qu’en métaphores. Le compagnon, est celui avec
qui on partage le pain, littéralement. Le langage populaire
mobilise souvent la représentation du pain.

Les expressions du pain

Parmi plusieurs expressions populaire, emprunte de bon


sens et utilisant le pain de manière imagée ou
symbolique. D’autres sont rejetés au terme de cet article.

A pain de quinzaine, faim de trois semaines, du temps où


l’on faisait son pain soi-même (comme son beurre), si on
mangeait trop vite son stock, il fallait attendre la fournée
suivante souvent sur un rythme mensuel.

Avoir du pain sur la planche, avoir du travail pour


longtemps, puis aujourd’hui avoir beaucoup de travail à
réaliser

Avoir mangé son pain blanc le premier, avoir été heureux


dans sa jeunesse et ne l'être plus

Avoir son pain cuit, avoir sa vie assurée

Au pain sec et à l’eau, survivre plus que vivre

Bon comme le bon pain, charitable, bienveillant, doux

c’est pain béni, il a bien mérité ce qui lui arrive

Gagner son pain à la sueur de son front, gagner durement


sa vie

"ils n'ont pas de pain? qu'ils mangent de la brioche!"


(1785) Réflexion attribuée à la Reine Marie Antoinette,
s’étonnant de voir le peule criant famine devant les portes
de son Château.

Long comme un jour sans pain, triste, ennuyeux

manger son pain blanc, avoir épuisé ce qui était le


meilleur

ne pas en perdre une miette, ne rien laisser, être attentif

Oter le pain de la main à quelqu'un, lui ôter le moyen de


subsister
Pain tant qu'il dure, mais vin à mesure, le pain se mange
sans retenu, le vin se consomme avec attention

Panem et circenses (du pain et des jeux du cirque) mots


d’amer mépris par Juvénal aux romains de la décadence
qui ne demandaient plus que du blé et des spectacles
gratuits.

Pour une bouchée de pain, pour presque rien

pour un morceau de pain, pour presque rien

Quand les sabres sont rouillés et les bêches luisantes, les


prisons vides et les greniers pleins, les degrés des
temples usés par les pas des fidèles et les cours des
tribunaux couvertes d'herbes, les médecins à pied et les
boulangers à cheval, l'empire est bien gouverné.
(proverbe chinois)

s’en payer une bonne tranche, prendre du bon temps

retirer le pain de la bouche, supprimer tout moyen


d’existence7

être dans le pétrin, dans l’embarras

« Le peuple français est, comme on le sait,


celui qui consomme le plus de pain,
et c’est sans doute pour cela
qu’il y règne moins de maladies ;
avantage que plus d’un médecin attribue
à l’usage que nous avons de manger
beaucoup de pain à nos repas »
A. Dumas
(dictio
nnaire de
la cuisine)

Le pain peut être vécu comme un objet ou un aliment. Sa


consommation quotidienne peut lui faire perdre son
caractère d’objet extrême8. « Le pain est bien plus qu’un
aliment quotidien »9. Le pain en tant que terme générique
désigne un aliment culturel qui puise ses racines au plus
profond de notre histoire. D’autres cultures que la nôtre y
voit d’ailleurs sa représentation.

7
Cette image est reprise par les partisans d’une fermeture des
frontières d’un pays en soupçonnant que toute personne étrangère
pays représente un danger en risquant de prendre le travail d’un
autochtone. Cela s’exprime par : « ils vont nous retirer le pain de la
bouche !!! ».
8
Cf. RENARD C. , - « », mémoire de DEA, CPI, ENSAM Paris (2004)
9
QUINTON P., - « le pain : une image multi sensorielle », Colloque
Communiquer le sensoriel, 13 et 14 mars Montpellier (2003).
Le pain peut être vécu comme un objet ou un aliment. Sa
consommation quotidienne peut lui faire perdre son
caractère d’objet extrême10. « Le pain est bien plus qu’un
aliment quotidien »11. Le pain en tant que terme générique
désigne un aliment culturel qui puise ses racines au plus
profond de notre histoire. D’autres cultures que la nôtre y
voit d’ailleurs sa représentation.

Le pain, son histoire …


Les premières représentations connues du pain se
rencontrent en Egypte sur les murs des tombeaux de
l'ancien Empire soit trois mille ans avant notre ère. Utilisé
comme offrande aux dieux ou comme provision emportée
en voyage par le défunt, le pain va peu à peu prendre une
importance considérable dans la vie quotidienne des
Égyptiens jusqu'à devenir un aliment essentiel mais aussi
une monnaie12. Une quinzaine de pains existe a cette
époque mais ce sont surtout des galettes, fermentées ou
non, qui sont présentées sous différentes formes.

D'après une légende, on doit au égyptiens


l'invention de la fermentation13 :

"Une esclave du pharaon avait oublié de la pâte


à pain (sans levain), à l'extérieur.
Il se mit à pleuvoir et à la suite de cette pluie, la
pâte tourna et gonfla.
Pour ne pas être punie, la servante mit quand
même à cuire cette pâte qui pour elle était
avariée. Oh! miracle, l'action de la pluie avait
créé du levain et le pain ainsi cuit était le pain
tel que nous le connaissons. Après y avoir goûté,
Pharaon voulu connaître la provenance de ce
met digne des dieux. La servante du avouer sa
faute.
Pharaon déclara alors que ce pain était divin
puisque créé à partir de la pluie qu'il baptisa :
« Les larmes d’OSIRIS ».

Une véritable culture du pain commence à naître qui


distingue fréquemment pain levé de pain azyme (non
levé).

10
Cf. RENARD C. , - « », mémoire de DEA, CPI, ENSAM Paris (2004)
11
QUINTON P., - « le pain : une image multi sensorielle », Colloque
Communiquer le sensoriel, 13 et 14 mars Montpellier (2003).
12
Ainsi les ouvriers agricoles étaient-ils payés avec 3 pains par jour et un
fonctionnaire avec 100 galettes et 3 pains fins de froment.
13
La lecture de la Bible tendrait à établir que ce sont les Hébreux qui ont été les
artisans de la découverte ou de la vulgarisation de la pâte fermentée avec du
levain. Mais les Hébreux ,nomades, ce nourrissant de viande de mouton qu'ils
élevaient eurent leur premier contact avec le pain lors de leurs esclavages en
Égypte.
Le pain levé est plutôt un aliment quotidien et le pain non
levé un objet d'offrande divine14.

Chez les Grecs

Le pain le plus courant de la Grèce antique est une galette


non fermentée cuite sur une pierre chaude. C'est au cours
d'échanges commerciaux que les grecs vont découvrir le
pain fermenté.

Bien que la construction des premiers fours paraisse avoir


pris naissance dans le Proche-Orient, on peut dire que ce
sont les Grecs qui en perfectionnèrent la technique et en
vulgarisèrent l'emploi. Ils devaient rapidement améliorer
la qualité et, surtout, augmenter la diversité des pains.
Peu à peu le pain va quitter l'aire domestique pour les
fournils des boulangers professionnels. Dès lors, le four
remplace définitivement les archaïques cloches de terre
posées sur une pierre ou les moules chauffés. Au II ° siècle
avant J-C on dénombre dans les boulangeries d'Athènes
pas moins de soixante-douze variétés de pains et gâteaux.

L'importance symbolique du pain est si prépondérante


que le culte de Déméter, "déesse des grands pains et des
moissons", devient la religion officielle d'Athènes.

Chez les romains

Il faudra attendre le II° siècle avant JC pour que les


premiers boulangers professionnels apparaissent. En effet,
si l'on en croit Caton, à l'époque où les boulangeries
d'Athènes regorgeaient de pains délicieux, les romains
considéraient la fermentation fortuite de la pâte comme
une catastrophe.

Les Romains fondèrent à Rome un collège de boulangers


et en firent une corporation privilégiée.

Les pains confectionnés à cette époque étaient de forme


ronde, et étaient censés stimuler l'appétit des convives15.

L'art de faire le pain fut importé dans les Gaules à la suite


de leur occupation par Jules César et les légions romaines,
50 ans, environ, avant notre ère. De cette période
troublée, où les Romains furent chassés de la Gaule et
leur civilisation anéantie, on ne sait que peu de chose sur
l'état de la fabrication du pain. S'il est raisonnable de
penser que l'on continue, dans la majorité des cas, à
14
Pour célébrer la Pâque en souvenir de la sortie d'Égypte les écritures disent :
-"On mangera des azymes pendant sept jours ; on ne verra pas chez toi de
pain levé, ni dans tout ton territoire" ( Exode, XIII, 7).
15
Les pains "grivois" ou "obscènes" dont plusieurs exemplaires ont été
retrouvés intacts dans les ruines de Pompéi. Comme on a pu en juger par ceux
retrouvés dans le four d'une boulangerie de la ville de Pompéi ensevelie en 1'an
79 durant une éruption du Vésuve.
ensemencer la pâte avec du levain, il est vraisemblable
que la cuisson de celle-ci est encore très souvent réalisée
sous la cendre et que la fabrication du pain demeure
surtout familiale.

LE PAIN : OBJET PROFANE, OBJET SACRE

Le pain sacralisé
Avec la naissance de Jésus à Bethléem, ville dont le nom
signifie d'ailleurs « ville » ou « maison du pain" en
araméen, le pain va prendre une dimension inconnue
jusqu’alors.

Largement distribué dans les très nombreuses


boulangeries professionnelles qui fleurissent dans les
villes de Palestine, le pain - l'aliment le plus répandu de
cette époque - va devenir le symbole du Christ même : "
Prenez et mangez. Ceci est mon corps" (Matthieu XXVI, 26
) ou encore : "Je suis le pain de la vie, celui qui vient vers
moi n'aura pas faim " (Jean VI, 26, 27, 35).

En s'identifiant au pain, le Christ lui confère une


dimension définitivement sacrée, qu'il conserve encore
aujourd'hui pour toute une partie de l'humanité. Seules
ont presque disparu les coutumes consistant à ne pas
donner de pain aux animaux, à faire un signe de croix sur
le pain avant de le rompre, à embrasser le pain tombé sur
le sol comme pour racheter la faute de l'avoir laissé choir,
à ne pas poser le pain à l'envers pour ne pas attirer le
malheur etc...

… dans l’histoire de la France, Le Moyen Age

La période du Moyen Âge, qui s'étend de la fin du Ve


siècle au début du XVe, sera marquée (exception faite
pour le XIIIe siècle), et la fabrication du pain n'y
échappera pas, d'obscurantisme, de stagnation,
d'exactions et de désordres. L'art de la panification
progressera peu, longtemps dans les villes, durant des
siècles dans les campagnes, cette fabrication demeurera
familiale.

Régime féodal oblige, le grain et le pain n'appartiennent


pas à celui qui les cultive. Ils appartiennent au seigneur
qui possède les moulins à farine et les fours "banals"
utilisables contre paiement d'une redevance.
Bien que les techniques ne cessent de s'améliorer, le
fossé ne cesse de se creuser entre le pain des pauvres et
le pain des riches.
Entre les XI° et XIV° siècles, les campagnes européennes
connaissent de fréquentes famines. Le pain des pauvres
est alors rarement constitué de froment pur, mais d'un
mélange de méteil, d'orge et de froment à peine tamisé. A
cette époque apparaissent aussi les pains de famine :
pains de farine mêlée de paille, d'argile ou d'écorces
d'arbre broyées, de farine de glands, de racines, ou
d'herbes pillées, le tout plus ou moins cuits sous la
cendre.

Au château,

Les seigneurs posaient les morceaux de viande sur de


grandes tranches de pain bis très épaisses appelées
tranchoirs. Le jus et la graisse de la viande imbibaient ces
tranches de pain qui étaient alors distribuées aux pauvres
affamés qui se pressaient aux portes des châteaux. Vers
la fin du Moyen Âge, ces épais tranchoirs étaient déposés
au fond d'un plat sur lequel on versait du potage. On
appelait ainsi tout ce qui était cuit dans les pots et non
pas rôti : viandes, légumes, poissons ; c'est l'ancêtre de la
soupe qui ressemble, en réalité, plus à une potée.

Les céréales dont on disposait à l'époque étaient le


froment, le méteil, l'avoine et l'orge. Au XVI, siècle, de
grandes disettes décimèrent la population. La misère,
jusqu'à présent cantonnée à la campagne, s'étendit à
Paris. La situation était dramatique et une grande partie
du peuple fut obligée de mendier pour survivre.

Il faudra attendre 1260 pour que les boulangers parisiens


s'organisent en corporation placés sous l'autorité royale.
Un peu plus tard sous Charles V, ils acquièrent le droit de
fabriquer trois sortes de pains : pain blanc bourgeois, pain
brun et pain noir de seigle "armé de toute sa fleur de son".

Le pain noir était le pain du peuple, du pauvre, tandis que


le pain blanc, fait avec de la farine de froment dite
"de fine fleur" était réservé à la noblesse, aux bourgeois,
aux officiers du roi.

Denrée de première nécessité, parfois l'unique aliment en


période de disette, le pain a été taxé très tôt dans
l'histoire de France. Au VIIe siècle, le roi Dagobert est la
première autorité connue à faire usage de la taxation.

Vers la révolution

A partir du XVI° siècle tout se gâte. La misère croissante


des campagnes pousse dans les villes des populations
affamées et le prix des céréales s'accroît de façon
démesurée. À la fin du XVIe siècle le pouvoir royal
s'efforce de réglementer uniformément la fabrication et la
vente du pain dans toutes les provinces.
En 1594, à la suite d'exagérations sur le prix, les
boulangers se voient contraints, pour en permettre
l'identification et le contrôle, d'apposer leur marque
particulière et le prix sur leurs pains.
Au XVII° siècle les disettes continuent avec quelques
dates particulièrement tragiques : 1643; 1661-1662,1683,
1693 . Les révoltes croissent partout en Europe et la loi
est sévère : un enfant qui vole un pain est condamné aux
galères à vie.
Les disettes font mesurer tout le prix que représentent, à
cette époque, le blé et le pain pour le peuple français. On
fabrique alors le pain avec la farine non tamisée et on
utilise toutes les céréales disponibles. En ces périodes on
confectionne un " pain de disette " avec de l'orge et le
souvenir en demeure toujours vivace à travers
l'expression bien connue: "mauvais ou grossier comme du
pain d'orge".

Le XVIIIe siècle voit les sortes de pain se multiplier. A Paris


pour une faible part, dans le pain de munition pour un
tiers et pour moitié ou en totalité dans les provinces au sol
pauvre ou au relief montagneux, où le blé a du mal à
venir, la farine de seigle est couramment employée à la
panification. Quant à la forme des pains, au début du
Moyen Âge, elle paraît avoir été uniformément ronde. Par
la suite les pains de petite taille seront de forme oblongue,
alors que les gros pains, en majorité, demeureront ronds.

Les boulangers regroupés en corporation étaient, au début


du XVIII° siècle, surveillés lors de la composition, de la
fabrication et de la cuisson du pain. Une compagnie ayant
eu le monopole des grains créa même une disette factice
pour pouvoir spéculer. Au début de 1789, le pain était à
un prix très élevé et des émeutes éclatèrent pour faire
baisser son prix.

Au mois de mai 1789, le prix du pain atteint des sommets


et personne ne peut plus se le payer. Les émeutes
éclatent dans toutes les villes de province. Et lorsque le 14
juillet 1789 le peuple en colère s'empare de la Bastille,
c'est pour y saisir surtout le stock de blé qui était supposé
y être entreposé. Pendant le mois d'août, les privilèges
féodaux sont abolis. Une sécheresse abominable s'abat
sur le pays. Le pain devient encore plus hors de prix qu'il
n'était.

Plus tard, les corporations furent supprimées et le 19


juillet 1791, l'Assemblée Constituante impose des prix
obligatoires au pain et autorise les boulangers à cuire un
seul type de pain : le "pain d'égalité" fait d'une farine
mélangée de 3/4 de blé et 1/4 de seigle avec le son.

LE PAIN, OBJET ALIMENTAIRE


Les progrès de fabrication
La seconde moitié du XIX, siècle vit de grands progrès
dans la fabrication du pain.

Le traité de panification " Le parfait boulanger" de


Parmentier (le découvreur de la pomme de terre) publié à
la veille de la révolution fait état de toutes les techniques,
y compris les plus avancées comme celle de la
fermentation au levain naturel, l'ajout de sel dans la pâte
et l'utilisation de la levure de bière déjà employée dans le
pain "mollet", le favori de Louis XIV.

Dans le domaine du pétrissage, d'importants progrès


furent réalisés à partir de l'invention du pétrin mécanique,
au XIX ° siècle. Toutes sortes de mécanismes virent alors
le jour : pétrin à manivelles, pétrin hippomobiles sur le
modèle des pétrins antiques, pétrin hydraulique...
De surcroît les consommateurs sont farouchement
hostiles au pain fabriqué à la a mécanique ». Cependant
les pouvoirs publics encouragent ce mode de pétrissage
moins pénible, plus salutaire.
En 1838 ils organisent des essais comparatifs entre le
pétrissage manuel et le pétrissage mécanique; mais ces
essais pâtissent de la partialité des professionnels qui
favorisent le pétrissage à la main.
il faudra attendre la fin du siècle et l'apparition des
moteurs à essence et électriques pour des avancées
convaincantes.

Dans le domaine des méthodes de fermentation,


l'emploi de la levure de bière, au début du siècle dernier,
continue sous la forme d'une culture d'appoint pour
accélérer et augmenter la poussée gazeuse du levain de
pâte qui demeure la base de la fermentation.
Mais ce fut un officier autrichien du nom de Zang,
accompagné d'ouvriers boulangers viennois, installé à
Paris, 92, rue Richelieu, qui franchit un pas décisif en
trouvant le moyen de se passer de levain. Cette méthode
connue sous le nom de "poolish" permettait d'obtenir un
pain moins acide connut sous le nom de "pain viennois".

Son succès en France fut considérable jusqu'aux années


1920.
Puis, il fut remplacé par un nouveau "pain fantaisie", tout
en longueur, à la croûte fine et craquante et à la mie
couleur crème, légère et alvéolée célèbre sous le nom de
"baguette", "bâtard", ou "ficelle".

Entre-temps une nouvelle levure, la levure de grain, est


mise au point au début du XIXe siècle en Hollande et
spécialement fabriquée pour la boulangerie. Plus active,
plus constante, de saveur agréable et, surtout, de
meilleure conservation, elle va faciliter le développement
de la panification à la levure. Toutefois la première usine
de levure de boulangerie ne verra le jour en France qu'en
1872.

Les fours bénéficièrent sensiblement des mêmes progrès.


La plupart des fours étaient maçonnés. La sole était faite
de briques réfractaires et, dans la voûte, une cheminée
évacuait les gaz
de combustion. Jusqu'au début de notre siècle, le seul
combustible était le bois, directement brûlé à l'intérieur du
four.
Progressivement, le foyer de combustion fut placé en-
dessous de la sole, la chaleur sortant par le "gueulard".

Cependant, après bien des tâtonnements, c'est l'époque


où commencent à apparaître les fours à chauffage
indirect. Ici, la source de chaleur est extérieure à la
chambre de cuisson et l'utilisation de celle-ci continue. Ils
sont chauffés soit à l'aide de l'air chaud, ce sont les fours
aérothermes, soit à l'aide de tubes à vapeur, ce sont les
fours à vapeur: les seconds, en ces débuts, sont les mieux
appropriés. Ils sont chauffés au charbon ou au coke. Plus
tard, ils le seront aussi au gaz et au mazout.

Dans le domaine des accessoires, les fours seront, durant


la deuxième partie du XIXe siècle, de plus en plus équipés
d'appareils à produire de la vapeur d'eau, de la buée, dont
la présence, au début de la cuisson, facilite le
développement des pâtons et permet de donner au pain
cuit de la sorte la coloration jaune dorée qui nous est
aujourd'hui familière, alors qu'en son absence le pain,
extérieurement, demeure gris et mat.

Les deux grandes guerres mondiales ont fait apparaître


les tickets de rationnement du pain et les périodes
difficiles dont nos
parents peuvent encore raconter certains moments. Le
pain sera à nouveau en vente libre en 1954.

Dans les années 50, une nouvelle technique de pétrissage


dite "intensifiée" permet d'obtenir, grâce à une oxydation
excessive de la pâte, un pain d'une blancheur immaculée.
C'était exactement ce que réclamait l'époque lasse des
pains grisâtres de la guerre, synonymes de mauvaise
qualité et de rationnement.
Mais cette blancheur aura un prix : la fadeur,
l'inconsistance de la mie et surtout une conservation du
pain réduite à quelques heures.

Les années 1960 sont l'époque de la croisade des


nutritionnistes contre la consommation du pain.
Reconnaissant leur erreur, aujourd'hui, ils soulignent à
juste titre la grande valeur nutritive du pain.
Durant toute la période contemporaine, sauf pendant les
périodes de restrictions, le pain est confectionné avec de
la farine blanche et tout autant dans les villes que dans
les campagnes où les sons et les remoulages sont
précieusement utilisés à la nourriture des animaux.

LES ASPECTS FORMELS DU PAIN

Quant à la forme des pains, durant cette même période,


elle évoluera peu. En province, dans la plupart de nos
campagnes, on confectionne des pains ronds, le gros
pesant 10 livres, les petits 5 livres. Au nord et à l'est de la
région parisienne, parfois aussi à l'ouest, on rencontre des
pains de forme allongée de 4 et 6 livres. Dans la capitale
et les environs, le gros pain est couramment de 4 livres,
alors que les pains fantaisie de deux et d'une livre
deviennent de plus en plus longs. Par ailleurs la
fabrication des petits pains viennois et de gruau connaît
beaucoup de succès, tandis que croissants et brioches ont
également la faveur des consommateurs aisés et jouissent
d'une réputation mondiale.

Aujourd'hui les goûts des consommateurs opèrent un


retour vers les pains d'autrefois avec des saveurs qui
rappellent celles de notre enfance.
Les pains sont "rustiques" souvent pétris très doucement
pour leur garder une couleur crème voir jaune.
On retrouve des techniques abandonnées qui redonne un
léger goût acide au pain grâce aussi à l'ajout de pâte
fermentée.
De nombreux labels apparaissent pour que le client puisse
repérer les pains de qualités et ainsi pouvoir déposer sur
la table un pain délicieux encore à la base de notre
alimentation.

Les formes du pain

Jadis on avait une infinité de sortes de pains de fantaisie


uniformément fait, avec de la belle farine de froment, et
où il entrait soit du lait, soit du beurre, soit du jaune
d'œuf; par exemple : le pain à la reine, le pain à la
Montauron, le pain de Gentilly, le pain de condition, le
pain de Ségovie, le pain de Gonesse, le pain Chaland, le
pain mouton; nous ne sommes pas moins favorisés, sous
ce rapport, que les consommateurs du dix-huitième siècle,
et l'on peut dire que nos boulangers sont passés maîtres
dans l'art de panifier, témoin le pain riche, le pain dit
viennois, le pain de fine fleur de froment, le pain de
gluten, inventé pour les diabétiques, et quantité d'autres
variétés de pains succulents qui tendent à rapprocher la
boulangerie de la pâtisserie.

Mentionnons encore le pain de munition, fait avec de la


farine de froment blutée à 15 pour 100, ou dont on a
extrait 15 kilogrammes de son sur 100 kilogrammes de
grain moulu (en raison de sa composition, ce pain se
laisse si mal pénétrer par les liquides qu'on est obligé. de
le remplacer, dans la soupe, par du pain blanc); le biscuit
de mer, pain de pâte ferme découpé à l'emporte-pièce en
tablettes qui sont ensuite percés de trous pour faciliter
l'échappement des gaz quelles renferment et les
empêcher de lever, et qu'on cuit jusqu'à dessiccation; les
grissini, de Turin, petits bâtons de 30 à 40 centimètres de
longueur, très croustillants, fabriqués avec de la farine de
gruau, légers à l'estomac et agréables au palais; le pain
bénit, réminiscence des agapes des premiers siècles du
christianisme, et le pain d'épice, qui est, à Paris, l'objet
d'une foire fameuse. Le pain bénit est mêlé d'œuf et de
beurre; le pain d'épice est un composé de belle farine, de
miel et d'épices: cannelle et clous de girofle réduits en
poudre, auquel on ajoute, à volonté, des amandes, des
zestes de citron et des écorces d'orange confits et hachés
menus, de l'anis et de la coriandre. N'oublions pas non
plus le pain de riz, le pain de maïs et le pain de manioc.

1- Pain de consommation courante

2- Baguette anglaise

3 - Baguette gruau

4 -Joko court

5 - Joko long
Pains originaux pour préparations diverses

1 - Pain de mie n°3

2 et 3 - Mie royale

4 et 5 - Royal Sandwich

6 - Pain de seigle à huîtres

7 - Pain gibier

8 - seigle russe

9 - Boule de seigle

10 - Miche de seigle

Petits pains

1 - 2 et 3 - Empereur

4 - galette

5 - Benoiston

6 - Pistolet
7 et 9 - Grand Opéra

8, 10, 11 et 12 - Opéra

13 - Lunch

14 - Brillat-Savarin

15 - Pain Buda

16 - Croissant

17 - Pain sandwich

18 - Boule de fromage

19 - galette

LE PAIN PROFANE
En résumé sur la consommation du pain en France
Il y a 175 ans, le pain constituait encore 70% de
l’alimentation des Français. Il y a 95 ans, la consommation
de matières grasses était moitié moindre que celle
d’aujourd’hui. Ce qui apparaît clairement au cours de ces
deux siècles, de 1789 à aujourd’hui, c’est d’abord le
passage d’une économie de pénurie alimentaire à une
économie d’abondance.
« A la fin du XVIII ème siècle cependant, Parmentier,
encouragé par Louis XVI, cherche à développer la culture
et l’usage alimentaire de la pomme de terre »16. Le pain
reste l’aliment de base (Cf. le langage du pain dans le
temps). Et à la veille de la révolution de 1789 et au-delà,
la population parisienne préfère faire la queue devant les
portes des boulangeries pour obtenir un mauvais pain
plutôt que consommer les pommes de terre. Jusque là,
l’alimentation de la population est pauvre en valeur
énergétique17. Pendant la centaine d’années entre 1789 et
1870, les périodes de disette sont nombreuses (pour des
raisons différentes18), et la monotonie des
approvisionnements est grande. L’aliment de base reste le
pain accompagné de céréales auxquelles s’ajoutent les
choux, les navets, les châtaignes, les fèves et les légumes
secs. On peut résumer les choses en disant qu’à cette
époque le type alimentaire est entièrement conditionné
par la nature et le nombre réduit des produits disponibles.

16
« Mais, il faudra deux à trois décennies pour que celle-ci soit accréditée
comme aliment essentiel », BOUR H. , Sciences et vie, N° H. Série 130, 1980, P.
6
17
1 800 calories par jour et par personne, en moyenne constituées d’aliments
moyens en qualité nutritionnelle ( 54 g de protéines par personnes et par jour,
avec une prédominance des protéines végétales, céréalières essentiellement,
de moindre valeur biologique).
18
Sans remonter à la grande famine de 1720, on peut citer les mauvaises
récoltes secondaires dues à des conditions climatiques adverses et la rétention
des produits par les paysans lors des périodes troublées.
« Il existe de monstrueuses inégalités sociales. Une petite
partie de la population, évaluée à 15 %, vit certes
largement dépensant sans compter et avec ostentation
pour la nourriture. On reste confondu devant les menus
proposés par les grands de la haute société à leurs
invités»19. La fonction symbolique et socioculturelle de
l’alimentation apparaît dans toute son ampleur au XIXème
siècle ( Cf. ARON P. et BLOND G.). L’alimentation remplit
une fonction de valorisation. C’est après la révolution
qu’apparaissent le restaurant et les Chefs aux noms
toujours prestigieux. A la fin du XIXème siècle, il apparaît
clairement que ce qui commande à cette époque le type
alimentaire, ce sont d’une part, l’importance des revenus
et d’autre part, pour les revenus les plus étroits, les
approvisionnements alimentaires les plus courants - c’est-
à-dire les disponibilités en aliments de base les moins
onéreux, le pain reste au cœur de ceux-ci.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les
disponibilités alimentaires ont été largement développées,
bien des productions sont devenues excédentaires en
France, le niveau de vie s’est élevé - et la part du revenu
consacré à l’aliment n’a cessé de diminuer20.
Le pain a été jusqu'à une date relativement récente,
considéré comme l’aliment de base : il constituait jusqu'à
70 % de la ration au début du XVIIIème siècle. Le respect
pour le pain nourricier était total et généralisé. Il n’a
ensuite plus été respecté de la même façon jusqu’il y a
une douzaine d’années. Certains n’en mangent plus,
jamais : il n’est plus pour eux l’aliment essentiel.

Date 1781- 1835- 1860 191 192 1936 1965 1975 1985 1995 2003
90 44 0 0
consommati
on de pain, 550 g 670 g 600 500 630 325 230 182 145 100g
par g g g g g g g
personne et
par jour

Tableau N° 1 - Variation de la consommation de pain par


personne et par jour en moyenne

Il est alors assez explicable de constater une forte baisse


de qualité organoleptique du pain, de la baguette à partir
de la fin des années 1980. Vaguement maquillé par une
couche de farine blanche sur sa croûte cuite, le pain,
continue pourtant à posséder une image et une
représentation nutritionnelle et symboliques qui ne sont
plus en adéquation avec le mode de vie de l’époque : le
pain fait grossir. Le pain est accusé de contribuer à faire
prendre du poids.

19
BOUR H. , DEROT M. - « Guide pratique de diététique », 2ème édition, Paris,
(1974).
20
En 1976, l’alimentation représente 26 % du budget de dépenses familiales
contre 29 % en 1970, 38 % en 1967 et 46 % en 1950.
Les efforts marketing des minoteries, des moulins
fournisseurs de farine et un des premiers boulangers
Poilâne21, (et cela ne date pas d’aujourd’hui22), montrent
alors qu’il existe, malgré cette image, cette représentation
sociale et cette diminution de consommation du pain, une
place pour un pain aux qualités organoleptiques
exacerbées. Fleurissent alors un hyper choix de pains aux
noms évocateurs (Cf. Tableau des noms), aux
présentations imagées ( Cf. tableau des discours écrits sur
les emballages du pain, et cf. en annexe les emballages).
Après la métrologie sensorielle, le design sensoriel, le
marketing sensoriel orienté produit scelle un accord avec
le design sensoriel. Mais revenons sur l’image et la
représentation sociale du pain, leur construction.

La maxime de Rabelais F. : « il vaut mieux manger pour


vivre que vivre pour manger » va nous servir un temps
pour dissocier les aspects apolliniens et dionysiaques23 du
manger. Le pain, sur bien de ses aspects continue à
balancer entre ces deux extrêmes.

Manger pour vivre


Ce sont des mécanismes physiologiques très complexes,
ceux de la faim, de la satiété, de régulation du bilan
d’énergie et de la masse adipeuse, du conditionnement
sensoriel, qui fixent spontanément chez l’animal son
programme alimentaire quotidien (mais l’homme n’a pas
de différence sur ces aspects ci avec les autres
mammifères)24.

Vivre pour manger


Ayant su maîtriser la matière et donc les aliments,
capable à travers sa nourriture, d’accéder à toute une
gamme d’émotions, ayant fait de son repas une fonction
sociale, intégrant le manger dans sa culture et ses
coutumes, l’homme a transgressé les lois
physiologiques25.

LES TRACES DU SACRE SUR LE PAIN PROFANE


Les facteurs spécifiques du pain

21
Ce pain est composé de produits naturels et sélectionnés avec une attention
extrême. Outre le Sel de Guérande, le blé d'épeautre représente 30 % de la
farine Poilâne, qui contient 15 % de son. Le levain naturel, la mouture à la meule
de pierre et la cuisson au four à bois, confèrent au Pain Poilâne un goût affiné de
caractère agreste et de nature légèrement aigrelette. . De plus la farine
imprégnée d'huile de germe de blé, riche en vitamines et en sels minéraux, de
teinte grisâtre et d'aspect plus gras et épais, produit un pain qui se conserve
mieux. Mais le coup de main apporté par l'artisan reste le secret d'une qualité.
22
Pierre Poilâne, artisan boulanger, monte à Paris après son tour de France et
ouvre une boulangerie rue du Cherche Midi en 1932. La concurrence est rude,
mais il décide de fabriquer le pain à sa manière. Après la guerre, les français
préfèrent le pain blanc, mais fidèle à ses choix il continuera la fabrication du
pain traditionnel, qui deviendra bientôt célèbre sous le nom de Pain Poilâne.
23
Cf. NIETZSCHE F. - « La naissance de la tragédie », éd. ?, 19 ?
24
Cf. LE MAGNEN J. - « », Sciences et vie, N° H. Série 130, 1980, P. 14 à 20
25
Cf. CLAUDIAN J. , - « », Sciences et vie, N° H. Série 130, 1980, P. 21 à 29
La psychophysiologie expérimentale nous renseigne sur le
mécanisme des conduites et des réactions devant la
nourriture, communes à l’homme et aux animaux doués
d’un équipement plus ou moins identique. Elles laissent de
côté deux facteurs qui jouent dans le comportement
alimentaire de l’être vivant un rôle très important dans la
consommation du pain : les particularités spécifiques, le
contexte social26.
L’hédonisme, la recherche du plaisir, sous toutes ses
formes : plaisir des yeux, plaisir du toucher, plaisir des
oreilles, plaisir de la bouche (palatabilité) et plaisir du
corps (sensations générales post ingestives), représente
chez l’homme (comme chez l’animal) la principale
motivation de l’acte alimentaire27.
L’importance des conduites acquises par la répétition
d’une expérience heureuse pour la santé ou simplement
agréable pour les organes des sens.
Le rôle du facteur social est également très important ;
nous avons tendance à manger plus en société28.

Schématiquement le spécifique de l’homme face à


l’aliment apparaît sous trois aspects principaux :

1°) la morphologie de l’Homme, la main et le pain,


2°) les fonctions psychiques, le pain par nécessité, par
goût, par aspiration spirituelle,
3°) le double contexte social et culturel, le pain et le vin.

1°) la morphologie de l’Homme, la main et le pain


L’Homme est un omnivore mais son omnivorisme se
différencie des autres mammifères. Le type alimentaire de
notre espèce s’apparente phylogénétiquement à celui des
« primates frugivores à mains préhensibles »29 spécialisés
dans la cueillette des petites prises (une poignée). La
main qui s’interpose entre la bouche qui a faim et le pain
qui s’offre, imprime à son comportement alimentaire en
général un caractère très particulier. La main rompt le
pain. La taille de la part proposée à la bouche correspond
à une bouchée, une unité individuelle spécifique. La partie
de croûte et de mie détachée du reste du pain par la pince
( pouce et index en opposition) et un contre effort de
l’autre main, devient, de poignée (la prise réalisée par la
main), bouchée (cette même prise mise à la bouche).
Bien sûr, il est toujours possible de prélever un morceau
de pain avec la bouche. Mordre à pleine dents dedans,
26
L’animal de laboratoire est un être semi-domestique, vivant dans des
conditions très particulières t pratiquement désocialisé. Il est évident qu’un sujet
ainsi conditionné a perdu la plupart des ressources de l’éthologie alimentaire de
l’espèce en milieu naturel. CLAUDIAN J.
27
« L’animal fuit l’insipidité et évite la monotonie alimentaire, manifestant une
curiosité évidente pour toute substance nouvelle inconnue. Pour lui, comme
pour nous, la succession des aliments différents dans leurs saveurs et odeurs
représente un puissant stimulant de l’appétit ».
28
« Les volailles en société consomment davantage que la volaille isolée ».
CLAUDIAN J. , - « », Sciences et vie, N° H. Série 130, 1980, P. 22
29
Sciences et vie, N° H. Série 130, 1980, P. 23
c’est aussi utiliser une possibilité de l’appareil buccal
autre que celle plus spécifique pour la succion des liquides
et des aliments juteux (Cf. 3°) le double contexte social et
culturel, le pain et le vin).
Ces caractères morphologiques, dont l’Homme a hérité, et
qu’il a développés se reflètent d’une manière ou d’une
autre, dans ses goûts, dans ses préférences, dans son
attitude devant la nourriture en général.

2°) les fonctions psychiques, le pain par nécessité,


par goût, par aspiration spirituelle
Le développement extraordinaire des fonctions
psychiques fait de l’Homme un être pensant. Mais sa
pensée est très diversifiée. On peut y voir trois
catégories :
a) la pensée utilitaire,
b) la pensée rationnelle,
c) et la pensée symbolique.

a) la pensée utilitaire
Doué d’une pensée technique orientée vers la maîtrise de
la matière, depuis l’Homo Faber, l’Homme est capable de
transformer des substances alimentaires (blé, farine) et à
partir de ces ingrédients produits de créer des aliments
nouveaux (pâte, levure, levain), selon ses goûts. Le pain
en est un exemple millénaire et toujours vivant. C’est
grâce à cette qualité de conception et de technique de
développement que l’Homme est capable d’humaniser
des substances qui à l’état naturel sont incomestibes ou
insipides (grain de froment).

b) la pensée rationnelle
Véritable symbole de l’outil de la connaissance objective,
c’est grâce à elle qu’il est capable de corriger certains
égarements de ses appétits et de rendre sa nourriture un
peu raisonnable.

c) la pensée symbolique
Mais cette tendance d’associer aux objets matériels et
utilitaires des images chargées de signification constitue
la différence fondamentale qui nous diffère des autres
espèces. Mettre du sens dans ses actions, ses
consommations, ses attitudes, voire les événements
extérieurs, c’est plus fort que lui chez l’Homme. Cette
curieuse faculté grâce à laquelle des objets sont dotés
d’une dimension nouvelle s’exerce avec prédilection dans
le domaine des fonctions vitales. On peut citer la
reproduction et la nutrition. Ainsi, le rôle du symbole dans
le comportement alimentaire du pain, à peine soupçonné
il y a quelques décennies, s’avère aujourd’hui
considérable voire fondamentale. On peut penser que
cette découverte nous vaut cet hyper offre des pains et
des baguettes d’aujourd’hui (Cf. Tableau N° 2).
3°) le double contexte social et culturel, le pain et
le vin
Doué de riches qualités organoleptiques, le vin recèle
aussi une valeur symbolique dont l’origine est très
ancienne. Au fil des siècles, s’est dessiné un art de boire
qui fait rechercher la joie alliant aux plaisirs de la bouche
ceux du cœur et de l’esprit. Cette dernière recherche
s’applique aussi au pain.
En effet, l’Homme en tant qu’être profondément socialisé,
fait que son comportement envers la nourriture ne se
rapporte pas qu’à l’individu isolé, mais à l’homme
considéré dans son milieu social. Le pain a été la première
des nourritures à partager qui ait donné un terme propre.
Le compagnon (du latin cum, avec et panis pain) est celui
à l’origine avec qui on partageait le pain. L’aliment
partagé, mangé ensemble, reste un des trois liens sociaux
fondamentaux. « Je le connais bien nous avons mangé
ensemble ». Le geste éternel de l’hospitalité, c’est-à-dire
d’accepter comme sien, est de rompre le pain ensemble
Le pain structure le repas qui remplit une fonction sociale.
La nourriture, avec son riche contenu symbolique plus ou
moins conscient, occupe, dans toutes les civilisations, une
place considérable dans les rites de l’amitié et de
l’hospitalité, ainsi que dans l’expression de la « fête ».
Brillat -Savarin dans sa « physiologie du goût » n’écrit-il
pas : « La destinée des nations dépend de la manière dont
elles se nourrissent ».
L’Homme est un être culturalisé, c’est-à-dire qu’il s’intègre
dans un groupe humain qui l’intègre dans une
construction d’ethnométhodes continue. Les aspects
structurant et structuré de la nourriture font que la
personne mange comme on mange autour d’elle, suivant
des règles implicites. « Greffés sur un substrat
psychophysiologique de base, sur « un fond animal »
commun, ces différents facteurs arrivent à constituer « les
habitudes alimentaires de l’Homme » »30.
Le terme « habitudes » désigne pour certains
psychologues l’ensemble des conduites qui, à force de
répétitions, ont fini par acquérir un certain caractère
« d’automatisme » et de ce fait, n’accèdent que
faiblement au niveau du champ de la conscience. De ce
fait, ces « habitudes » échappent à toute verbalisation.
Seule une observation participante peut faire émerger ces
« habitus » (Cf. BOURDIEU P.). Dans le domaine de
l’alimentation, le terme « habitus » des sociologues
couvre en réalité des comportements de types très
différents. Pour l’accès au pain, il y a des habitudes
traditionnelles, des « coutumes » éthiques ou sociales,
c’est-à-dire des comportements conditionnés par un type
de civilisation ou un milieu social particulier. Il existe aussi
un stock important d’habitudes communes à toute
l’humanité (liées semble-t-il à la spécificité zoologique de

30
Cf. CLAUDIAN J. , - « », Sciences et vie, N° H. Série 130, 1980, P. 24
l’Homme, aux traces du cerveau reptilien que nous
possédons tous)31.

LE PAIN RITUALISE
Aller chercher son pain
L’ensemble a fini par constituer un rituel que l’on peut
résumer d’une expression : « aller chercher son pain ».
Derrière ce terme générique se cache une grande
variabilité. L’analyse micro psychologique nous propose
de la représenter dans un effort phénoménologique.
La première des variations concerne la saisonnalité, et
avec elle ses intempéries et son hydrométrie dont le pain
est si intimement lié. Aller chercher le pain l’hiver, quand
il est chaud dans la main, le printemps, l’été, l’automne.
La deuxième variation concerne le moment de la semaine,
le pain de tous les jours et le pain du Week end.

Le pain du Week-end

La troisième variation concerne la temporalité, le moment


de la journée où l’on va chercher son pain. Le pain du
matin, le pain du soir.

Le pain du matin
Le pain du matin correspond au pain du petit déjeuner
lorsque le pain de la veille a été fini ou est devenu trop
dur.

Le pain du soir
C’est le pain cherché et rapporté à la maison après ma
journée de travail. Quelquefois même, on rentre chez soi
et on ressort pour aller chercher son pain. C’est le pain,
qui va présider au repas du soir et du petit déjeuner le
lendemain matin.

Suite à ce premier travail nous recueillons une multitude


de termes, et d’expressions qui accompagnent le pain, sa
dénomination, son emballage voire sa mise en scène (Cf.
tableau N° 2). Une première réflexion s’impose, le grand
débat, celui qui oppose l’aliment « naturel » à l’aliment
« artificiel » n’existe en apparence plus. Tous les termes
font références à la qualité organoleptique du pain
valorisant le vrai, l’authentique, le sain, le personnalisé
tout en rassurant avec la référence aux réglementations,
aux labels et aux normes. En apparence, car le débat est
pourtant latent entre ceux qui se méfient du « chimique »,
de « l’imitation », du « faux » et ceux qui croient aux
bienfaits de la technique qui désirent du « purifié », du
« scientifiquement contrôlé », du « standard ».
Il est aisé de reconnaître dans ces deux attitudes les deux
penchants qui semblent avoir hanté l’esprit des hommes
depuis le début des temps : «d’un côté le « péché de
l’art », le tabou de la main qui ne doit pas souiller la
31
Cf. JUNG K. G. , « »,
substance sacrée, de l’autre la tendance prométhéenne
de l’Homo Faber, qui sent en lui la vocation et le droit de
transformer, de contrôler, de purifier la matière
terrestre »32.
Le pain a entretenu ce débat jusque il y a encore 15 ans,
suscitant de nombreuses controverses.

LE PAIN, OBJET PHENOMENOLOGIQUE RETROUVE


Controverses des années 80 sur le pain
Peu de produits ont essuyé autant de critiques que le pain
blanc, une nouvelle preuve de l’image de cet « objet
polysensoriel » selon le terme de BOUTAUD et MARTIN
(2001) et culturel. Ces critiques concernaient en
particulier : le choix de variétés de blés à haut rendement
donnant une farine médiocre ; l’emploi généralisé
d’engrais chimiques ; la substitution de la mouture sur
cylindres à la mouture sur meules ; celle de la panification
sur levure à la panification sur levain,...

le grain de blé
« Les caractéristiques nutritionnelles du grain de blé
dépendent à la fois de facteurs génétiques et de facteurs
de milieu, naturels ou provoqués. En ce qui concerne la
teneur en protéines, l’influence du milieu est si nette qu’il
est difficile d’établir des différences significatives entre
variétés »33. Compte tenu de variations saisonnières
souvent importantes, on voit que le problème est
complexe et qu’il est difficile d’opposer les blés
contemporains à ceux d’autrefois en ce qui concerne leur
valeur nutritionnelle. Cela ne signifie pourtant pas que les
blés actuels soient tous de très bonne qualité. Certains
d’entre eux donnent des farines boulangères de qualité
très médiocre. Mais valeur boulangère et valeur
nutritionnelle sont des caractéristiques indépendantes et
distinctes.

la mouture
La mouture sur cylindre augmente l’élimination des
enveloppes du grain en faisant perdre à la farine blanche
de 70 à 80 % des oligo éléments et des vitamines B du
blé. Il reste difficile de trancher définitivement la question
sur la portée de cette modification, faute d’une
connaissance suffisamment précise sur la valeur des
besoins de l’organisme en vitamines et en minéraux, ainsi
que des niveaux d’ingestion de ces nutriments.

la panification
La substitution de la panification sur levure à la
panification sur levain a entraîné certaines modifications
des caractéristiques de la pâte (diminution de son acidité,
du degré de solubilité). Mais si ces modifications ne
32
Cf. CLAUDIAN J. , - « », Sciences et vie, N° H. Série 130, 1980, P. 29
33
Cf. DUPIN H., - « L’alimentation n des français », éd ?, Paris, 1978
semblent pas avoir d’effets sur la valeur nutritionnelle du
pain, signalons que l’association de la fermentation
exclusive sur levure et de la technique de pétrissage
intensifié donne un pain à la mie très gonflée, très
blanche, et d’un goût amenuisé.

Tous ces éléments ont abouti à une offre qui s’est réduite,
où les centres villes disposaient de peu d’endroit où se
procurer un bon pain. Poilâne résistait, avec une image de
haut de gamme, qui réservait son pain à des occasions
exceptionnelles. Il n’était pas rare, à l’époque, d’entendre
« le pain n’est plus ce qu’il était ». En dehors des
spécialistes qui ne prenaient pas cette réflexion à la
légère, (parce que le taux de fibres dans la farine est trois
fois moindre qu’autrefois, ils constataient déjà l’apparition
de maladies intestinales liées de toute évidence aux
régimes pauvres en résidus fibreux), un certain nombre de
décret ont tenté de clarifier les appellations. Ainsi l’article
4 de l’un des premiers décrets du 5.4.1935 déclare que
«seule peut être vendue sous la désignation farine de blé
(ou farine de froment) celle qui provient exclusivement de
la mouture exclusive de blé sain, loyal et marchand, c’est-
à-dire de blé contenant moins de 16 % d’humidité, sans
odeur désagréable, pesant au moins 65 kg à l’hectolitre,
contenant moins de 5% d’impuretés autres que le blé
cassé et moins de 8 % de ce dernier».
Depuis les décrets se sont succédés pas seulement pour
définir l’emploi du terme de farine de blé mais aussi celui
de pain ( Cf. Décret ).

L’hyper choix aujourd’hui

La qualité de bien des pains s’est améliorée, depuis


quelques années. Les minotiers ont mis au point des
farines et des techniques qu’ils fournissent « clé en mains
» aux boulangers et créent ainsi des marques.
Mélange de farines et appellations varient selon les
régions mais aussi selon ces marques.

• Ficelle : pain blanc de 125 g.

• Baguette : pain blanc ou « de campagne » de 250


g.

• Flûte et pain parisien : pain blanc de 400 g.

• Pain « au levain » : fabriqué selon la méthode


traditionnelle avec farine, eau, sel et levain, sans
levure de boulangerie. Il a un goût un peu plus
acide et il se conserve plus longtemps.

• Pain « de campagne » : farine plus ou moins


raffinée, le plus souvent blanche. On le saupoudre
généreusement de farine pour lui donner un aspect
plus rustique.

• Pain « aux céréales » : fabriqué avec un mélange


de farine de blé, orge, sarrasin, millet, maïs.

• Pain « complet » ou « intégral » : fabriqué avec


une farine entière (la totalité du grain sauf le
germe) mais le plus souvent avec une farine
blanche dans laquelle on a rajouté une certaine
quantité de son.

• Pain « au son » contient du son : les proportions


ne sont pas précisées.

• Pain « de son » : il doit légalement être fabriqué


avec un mélange de 250 g de son et 750 g de farine
blanche.

• Pain « de seigle » : il contient au moins 65 % de


farine de seigle.

• Pain « au seigle » : 10 % de farine de seigle


seulement.

• Pain « de gruau » : fait d’une farine particulière,


plus riche en gluten, et de lait.

• Pain au lait, pain de mie et pain viennois : ils


contiennent aussi du lait, du beurre, du sucre et des
œufs.

• Pain brioché : proche de la brioche, il contient des


matières grasses et des œufs.

• Pain biologique : fabriqué à partir de farines


issues de l’agriculture biologique et avec du levain,
il est blanc, complet ou autre et soumis aux normes
de cette dernière.

La consommation du pain en France aujourd’hui

Les Français consomment de nos jours cinq fois moins de


pain qu'au début du siècle (de 328 kg par personne et par
an en 1900, la consommation moyenne est passée à 58
kg aujourd'hui), ils n'en restent pas moins des amateurs
avertis, très attentifs à la qualité. Une exigence qui fait
avancer la profession. Les Français font confiance, en
priorité, aux 35 000 boulangeries artisanales disséminées
sur l'ensemble du territoire. Avec un chiffre d'affaires de
53 milliards de francs (soit 10,6 milliards de dollars sur la
base de 1 franc = 0,20 dollar), celles-ci produisent plus de
75 % du pain distribué, soit plus d'un million et demi de
tonnes de pain par an. En dépit d'une uniformisation
amorcée dans les années 40, la France dispose encore de
nos jours de 81 pains régionaux, sans compter l'éventail
des pains « spéciaux » aux noix, aux raisins... Le marché
reste néanmoins largement dominé par la miche
traditionnelle au levain et surtout par la baguette (80 %
des achats).

Outre les artisans, deux cents industriels de la


boulangerie/pâtisserie tiennent 18 % du marché et 600
distributeurs se partagent les 7 % restants. Des chiffres à
revoir à la hausse. En effet, la création de fours
(terminaux de cuisson) pour la pâte surgelée crue et,
encore mieux, précuite, encourage le développement du
pain industriel, dont la qualité se rapproche de plus en
plus de celle du pain artisanal. La cuisson à la demande
permet de disposer de produits croustillants à toute heure
du jour. Il s'agit d'un courant « fraîcheur » dans lequel se
sont engouffrés les industriels du pain (Panavi, Sofrapain,
Holder, groupe Le Duff avec Bridor et la Brioche dorée),
qui devraient réaliser en 1996 un chiffre d'affaires global
de 12 milliards de francs (2,4 milliards de dollars). Les
avancées technologiques - en assurant une garantie de
qualité au feuilletage - favorisent particulièrement la
production en masse des croissants, dont un sur deux est
aujourd'hui produit industriellement.

A l'étranger, les spécialités boulangères françaises, telles


que baguettes et croissants, universellement connus sous
leur nom d'origine, véhiculent un certain art de vivre à la
française. Marché de proximité, l'Europe reste l'un des
débouchés privilégiés des industriels français, tant en
produits frais qu'en surgelés précuits. Sur les marchés
plus lointains, baguettes et croissants français sont
considérés comme des produits de luxe, que l'on s'offre
pour le plaisir. Marché porteur, l'Asie - Japon et Corée en
tête - voit, depuis plusieurs années, l'implantation de
grands traiteurs français tels que Fauchon et Lenôtre
(respectivement 40 et 14 points de vente au Japon). Au
Canada, aux Etats-Unis ou au Moyen-Orient, pain et
viennoiserie à la française connaissent aussi un succès
grandissant.

En raison de la spécificité de ses produits, la France


exporte également beaucoup en amont de la filière pain, à
commencer par la farine dont elle vend 1,64 million de
tonnes à l'étranger - ce qui la place au premier rang
mondial -, ainsi que les machines spécialisées (Eurofour,
Bongard, Electrolux Baking), ce qui représente 40 % du
chiffre d'affaires global des fabricants (3 milliards de
francs, soit 0,6 milliard de dollars). Enfin, des écoles
françaises de restauration, telles que l'Institut national de
boulangerie-pâtisserie de Rouen, l'Ecole nationale de
boulangerie-pâtisserie de Paris, Lenôtre ou encore
Ferrandi assurent, chaque année, la formation de
centaines de boulangers étrangers.

« Poilâne » : quand tradition rime avec innovation

Fabriqués à partir des farines de meule les plus fines et de


sel de Guérande (Bretagne), fermentés naturellement,
façonnés à la main puis cuits au feu de bois dans des
fours construits à l'ancienne, les pains « Poilâne » sont
connus du monde entier. Ils sont réalisés dans deux
boulangeries parisiennes ou dans la manufacture de
Bièvres (équipée de 24 fours), aux environs de Paris, selon
une recette qui remonte au XVIIIe siècle et qui se perpétue
grâce à la formation spécifique dispensée dans chacune
des boutiques, en France comme à l'étranger, par un
compagnon boulanger. Le pain reste l'œuvre de la main
humaine, un savoir-faire dont Lionel Poilâne est l'un des
défenseurs les plus fervents. Les résultats sont éloquents :
70 millions de chiffre d'affaires (14 millions de dollars),
130 employés, 600 dépositaires en France... Les belles
miches à la croûte dorée s'envolent quotidiennement vers
le Japon, l'Arabie Saoudite ou les Etats-Unis, où se
consomment dans la seule ville de New York 16 000 pains
chaque année.

Le Pain ritualisé
Le pain est un aliment des origines, de nos origines34, celui
dont Delteil disait qu’il répond au rêve de notre âme
comme à l’appétit de nos entrailles35.
Le pain est devenu cet aliment métaphorique, porteur de
signes forts, de mythes...qui finissent dans l’estomac. En
comparant le pain à son corps, le Christ a sacralisé ce pain
quotidien, mais il a également ouvert à tous ceux qui le
mangent, la porte du cannibalisme présent dans
l’inconscient collectif36. Le pain chrétien, ou pour les

34
En 2001, l’exposition le diable sucré, à la Villette (Christine
Armengaud, commissaire de l’exposition), nous invitait à
comparer l’étrange similitude existant entre les figurines
éphémères de pain et de pâte avec des figurines d’argile
primitive, avec l’art brut, dont on sait qu’il s’ancre loin dans
notre patrimoine commun à l’humanité.
35
Cf. ARMENGAUD C., - « Le diable sucré, gâteaux,
cannibalisme, mort et fécondité », éd. De la Martinière, Paris,
(2000)
36
Cf. JUNG C.G., « Dialectique du Moi et de l’inconscient », éd.
Gallimard, Paris, 1ère éd. (1933), (1964) et Cf. FREUD S., -
« Totem et tabou », interprétation par la psychanalyse de la vie
sociale des peuples primitifs, éd. Petite Bibliothèque Payot, N°
77, Paris, 19 ?, ISBN 2-228-30772-6
chrétiens revêt ce symbole, le pain païen possède aussi
ces traces d’un monde qui finirait dans l’oubli sans les
travaux ethnologiques qui nous rendent accessible une
métaphysique alimentaire vieille de plusieurs millénaires.
« Modeler la pâte à pain, transformer cet aliment vital en
images relève d’une pratique vieille comme le blé : sa
panification fut au cœur des rites religieux des peuples
pré européens sédentaires des siècles avant le
christianisme, et produisit de nombreux pains et gâteaux
figurant le corps humain. Ils l’évoquent parfois sur un
mode réaliste et même cru, parfois d’un simple signe
abstrait ou encore de façon fantasmagorique : femmes à
trois seins, femmes ailées et femmes poissons, diables,
homme serpents, corps d’animaux à tête humaine, corps
sans tête, tête sans corps»37.
La religion chrétienne s’est dès le début opposé à ces
rites, pour finalement reprendre à son compte les
métaphores liées au cycle végétal du blé et la plupart des
dates rituelles qui vont des semailles à la moisson.
Tentant d’interdire le répertoire antérieur des images
comestibles, certaines coutumes païennes ayant la vie
dure furent « accompagnées » jusqu'à une espèce de
récupération. Mais il y eut « une multitude de poches de
résistance ou tout simplement de lieux perdus pour
l’Histoire avec un grand H38, des « microclimats » où
perdurent tranquillement jusqu’au XXe siècle des rites,
des pains et des gâteaux qui n’étaient pas très
catholiques et nous renvoient l’écho lointain de pratiques
profondément enfouies dans l’oubli, liées au chamanisme
de l’ours, aux arbres totémiques, aux cultes solaires »39.
Plusieurs artistes se sont engouffrés dans le déclin de ces
figures rituelles éphémères. Cet abandon libérant pour
l’Art un espace nouveau à occuper. Salvador Dali le
premier et sa chambre à coucher en pains, César et ses
expansions au levain, avant celles de mousse de
polyuréthanes, en passant par les futuristes ou Spoerri40
(avec son banquet « performance » intitulé le «déjeuner
sous l’herbe», dont les restes ont été enterrés au Château
de Montcelles, dans l’ancien site de la Fondation Cartier à
Jouy en Josas. Toujours à la fondation Cartier, (mais dans

37
ARMENGAUD C., - « Le diable sucré, gâteaux, cannibalisme,
mort et fécondité », éd. De la Martinière, Paris, (2000), p. 11
38
Cette perte étant naturellement liée au caractère éphémère
du pain mis en forme figurative. Destiné à être absorbé, lors de
rituels sans traces écrites, ni photographies.
39
ARMENGAUD C., - « Le diable sucré, gâteaux, cannibalisme,
mort et fécondité », éd. De la Martinière, Paris, (2000), p. 12
40
En 1983, le 23 avril; Spoerri organise pour ses amis (adeptes
et initiateurs du mouvement des nouveaux réalistes), « le
banquet de tripes » dans une fosse ouverte par des grues
pendant le dîner « enterrement du tableau piège » qui est
ensuite enterré sur place, Centre culturel du Montcelles ;
RESTANY P., - « 1960 Les nouveaux réalistes », éd. MAM, Paris,
1986).
le lieu d’exposition actuel41), moins conceptuel et plus
artiste, Le pain couture ré interprété par J.P. Gautier.

Petit voyage au pays (l’Europe) des rites

Tous les ans, pour la St Joseph, le 19 mars, des familles


qui ont fait un vœu ou des associations qui entretiennent
les traditions locales, dressent des autels sous des arches
de verdures couvertes de pains rituels, d’oranges et de
citrons. Les 300 kg de pains, accrochés sur chaque arbre,
nécessitent deux à trois semaines de travail pour toute
une famille ou un groupe de femmes42.
Les métaphores du sacrifice
Les sacrifices humains et ceux d’animaux des époques
lointaines furent peu à peu remplacés par des imitations,
des effigies de pâte. Ces nourritures ritualisées devinrent
les boucs émissaires métaphoriques de la violence
collective, et l’occasion d’une communion (ici aussi
comme plus tard avec le pain dans sa forme
contemporaines), d’un partage destiné à conforter la
cohésion du groupe.
Les ex voto
La représentation du corps humain, ou d’une de ses
parties, sert parfois d’offrande pour une guérison
demandée ou obtenue. Mais ces ex-voto de pains et de
gâteaux conjurent aussi la maladie43 et la hantise de la
mort44 en exaltant la vie. Ils sont aussi appétissants.

Les rites de fécondité


A plusieurs périodes de l’année, la fécondité est invoquée
pas seulement au printemps, lors des rites du temps des
amours, des fiançailles et du mariage, mais aussi au

41
Boulevard Raspail
42
Ce rite du début du printemps culmine lors d’un repas au
cours duquel trois enfants pauvres sont conviés à manger plus
de cent mets différents.
43
Il existe des nouveaux nés (mladene en bulgarie), portant des
marques de varicelle réalisées avec un morceau de bois de
sureau évidé et une fourchette, sont souvent badigeonnés de
miel après la cuisson. Ils étaient offerts aux enfants pour les
protéger de Baba Charka, la redoutable grande mère varicelle.
En France, autrefois, les maladies de peau n’échappaient pas
non plus à ce rituel. Le pâtissier François de la Varenne donne,
en 1655, une recette de « gasteau vérolé » et le le Ménage des
champs et de la ville surenchérit avec un « gâteau vérolé et
...galeux ». DUPAIGNE B., - « Le pain de l’homme », éd. De la
Martinière, Paris, 19?
44
Les santos ou panes de muerto des villages de la région de
Tolède se faisaient chaque année, pour la Toussaint, en pain
parfumé avec des grains d’anis. Ils étaient censés représenter le
mort dans son linceul. Aujourd’hui, les santos traditionnels ne
se font que sur commandes et encore il ne s’agit que d’une
fougasse ovale sans anis et sans bras non plus, saupoudrée de
sucre et simplement fendue pour figurer les pieds, faute de
temps.
solstice d’hiver. En effet, il est un moment clé et
dramatique du calendrier solaire.
Le solstice d’hiver
Les ténèbres semblent pouvoir avaler la lumière, et donc
anéantir tout espoir de fécondité future, y compris pour la
terre nourricière qui va produire le blé dont dépend si
étroitement le pain. En décidant de situer la naissance du
Christ au moment des nuits les plus longues de l’année,
l’Eglise chrétienne espérait désamorcer l’angoisse
primitive (inconscient collectif Cf. K.G. Jung) et les rites
archaïques censés la dissiper.
Pourtant, la persistance des formes anciennes indique que
les pains et les gâteaux de cette période de l’année
pérennisent l’héritage de ces croyances.
La fécondité de la femme
Les pains, mais aussi les gâteaux liés à la fécondité la
femme reviennent périodiquement sur la table au moment
des fêtes traditionnelles du printemps où à l’occasion des
rites du temps des amours, des fiançailles et du mariage.
Nourries de doutes, de peurs, de fantasmes et de
croyances qui viennent du fond des âges, ces incarnations
à la fertilité génèrent des dévorations rituelles de bébés,
de sexes, de seins, et d’une infinité d’images mythiques,
étrange, naïves, érudites, secrètes, libertines ou pudiques.
Le pain a laissé sa place dans le mariage aux grands
gâteaux, même si les pains surprises peuvent apparaître
comme des références au début du buffet, du vin
d’honneur à ce qui couronnera le repas du mariage 45. Il
reste quelques coutumes survivantes en Sardaigne par
exemple46.
Le temps des amours
Les pains, gâteaux fabriqués par la jeune fille ou offerts
par le jeune homme servent de messagers, jalonnent les
étapes ritualisées qui conduisent au mariage.
La mort et la fécondité.
« Aujourd’hui, presque partout disparue, la
commémoration des défunts, indissociable des grandes
fêtes agraires, du cycle de l’éternel retour, a longtemps

45
En Russie, perdure une coutume qui consiste à réaliser un
grand pain d’épice en forme de poisson. Le jour du mariage, il
est présenté et donne tacitement pour qui le voit le signal du
départ. Chaque convive comprend que la fête est finie.
46
Soleil blanc à tête d’oiseau de Chiaramonti (Sardaigne). « A la
circonférence de ce soleil nuptial, les têtes d’oiseau ne
devraient pas surprendre : l’oiseau fait partie d’un vocabulaire
symbolique du mariage que l’on retrouve dans tous les pays
européens. Mais l’énigmatique beauté de ce disque est
rehaussée par sa cuisson blanche : à mi-cuisson, ce pain est
retiré du four et trempé dans de l’eau bouillante qui en fait
briller la surface. Accroché au lit des mariés, il n’était pas
mangé et, s’il se conservait intact pendant plusieurs années,
c’était un heureux présage ». ARMENGAUD C., - « Le diable
sucré, gâteaux, cannibalisme, mort et fécondité », éd. De la
Martinière, Paris, 2000, p. 136
perduré sous les espèces de l’œuf et du grain, l’un et
l’autre symbole d’éternité»47.
Souvent les pains se sont transformés en gâteaux servis
aussi bien pour la célébration de la naissance ou la mort,
témoignant de cette intrication paradoxale et
profondément ancrée dans la conscience populaire, celle
de la vie, u sexe et de la mort.

Le pain modelé, marqué, décoré


Avant d’être décoré, le pain a été marqué. Chaque foyer
marquait avec une empreinte les pains qu’il portait au
four communal, afin qu’une fois cuits ils ne puissent se
confondre avec ceux de leurs voisins48. Et avant cela, le
vassal faisait de même lorsqu’il apportait à cuire ces pains
au four de son Seigneur. Lorsqu’une offrande était
préparée, elle était moulée dans une forme sculptée à
l’image de la déesse ou du dieu convoqué pour qu’on la
distingue du pain quotidien. Et lorsqu’il concernait une
grande fête du calendrier, le moule particulier était sorti
en grande cérémonie. Utilisé, que ce jour là, il marquait
l’occasion. Le moule est lors utilisé comme un signe, un
marqueur de temps avant d’être considéré comme un
chef d’œuvre49.
Avant d’aborder les décors rapportés, il y eut, (il y a) des
figures et des modelages qui proposent un vocabulaire
formel spécifique à la fabrication du pain ; le colombin, qui
est soit dit en passant également utilisé en poterie (Cf. La
vie des objets). Le colombin est un long pâton roulé sous
la main, comme une baguette en plus petit. Sa taille lui
permet d’être mis en forme en trois catégories :

47
ARMENGAUD C., - « Le diable sucré», éd. Parc de la Villette
guide de l’exposition, Paris, 2000-2001, p. 8
48
La main qui travaille la pâte laisse une empreinte précise
analogue à celle de l’animal chassé par nos ancêtres. Ils en
connaissaient la valeur de ces traces. Peut-être est-ce par
analogie qu’ils s’en sont servis pour laisser dans la pâte à pain
une empreinte, une marque, identifiant celui qui a fait le pain,
ou son destinataire. Mais cette marque se spécialise, elle
devient un marquage plus subtil, celui qui permet de se repérer
dans le temps, de dater. La femme à sept jambes (en
Sardaigne) ponctue le temps du carême : à la fin de chaque
semaine, on casse une jambe que l’on croque. C’est un gâteau,
cette fois qui existe en Crête mais avec la même forme (cf.
DUPAIGNE B., - « Le pain de l’homme », éd. De la Martinière,
Paris, 19? ).
49
Le moule a une autre fonction pour nous, concepteur et/ou
amateur ou encore observateur d’objets ; il perdure alors que
les pains, objets éphémères, disparaissent dans les estomacs.
1°) l’enroulé50, avec son emblème iconographique de la
femme serpent51,
2°) l’entaillé52. Le colombin travaillé au canif, permet
aussi bien des formes simples et puissantes (mains de
mort, pieds de mariés, pieds de bœuf...) que le
développement d’un art d’une extrême virtuosité où le
geste et son effecteur sont directement impliqués dans la
trace de l’entaille. Bernard Leach, dans son Livre du
potier, cite un célèbre potier japonais à qui l’on demandait
comment reconnaître ce qui est bon en poterie et qui
répondait laconiquement : « avec son corps ». Ce qui
50
Un pâton enroulé en spirale représente le feu, le soleil. Mais,
la même spirale peut aussi représenter l’escargot ou le serpent.
Lorsque le serpent, lové sur lui-même, spirale vivante, se met
en mouvement, il ondule. Associé à la figure humaine, il figure
chronologiquement dans les scènes qui représentent la
tentation d’Adam et Eve au Paradis terrestre, mais aussi sur le
corps même des personnages : sur la robe d’une femme de pain
d’épice (à Soriano en Sardaigne), sur le torse d’un bonhomme
polonais, sur le corps brioché d’un diable tchèque (Pragues) ou
sur les jambes d’un homme de pain du sud de l’Italie.
On trouve de fins colombins parfumés à la cannelle ai Portugal.
Ils ne suivent pas l’enroulement unifié qui donne à la spirale une
orientation. Ils dessinent un système formel, graphique aléatoire
mais clos. Au Portugal on les appelle les « enragés ». (Dixit
PEREIRA Carmen, Gardienne 35, rue St Georges, Paris 9ème,,
2004).
Lorsque le serpent
51
« La femme-serpent, c’est Mélusine, un être hybride femme
jusqu’au nombril, dit la légende, homme par sa queue de
serpent». ARMENGAUD C., - « Le diable sucré, gâteaux,
cannibalisme, mort et fécondité », éd. De la Martinière, Paris,
2000, p. 68. « Féminine jusqu’aux boursaults et le reste du
corps andouille serpentine », écrit Rabelais F. Comme beaucoup
de diables du Moyen-Age, elle est donc bisexuée, ce qui ne peut
que fasciner et terrifier les hommes. L’histoire de la Mélusine
telle qu’on la raconte en Poitou est celle d’un être féerique, doté
d’une queue, qui épouse un simple mortel. Le mari doit ignorer
la nature réelle de sa femme, le bonheur ne peut durer qu’à
cette condition. Bien entendu, il ne résiste pas à la tentation e la
voir nue dans son bain, découvre son secret et la rejette.
Mélusine s’élance alors dans les airs, transformée en serpent
volant, pousse des cris déchirants. Elle se cache, mais revient la
nuit nourrir ses enfants en pleurant. A Vence ( Alpes Maritime)
on l’appelle la Mélaudino, ailleurs Merewin, Mermaid.
Si l’Eglise a pu tolérer un tel succès européen c’est
certainement qu’il est impossible de lutter contre une image
ambiguë venue de la nuit des temps primordiaux, avec en plus
le besoin de disposer de quelques repoussoirs Toutes les
déesses païennes ne peuvent pas être recyclées en Saintes.
52
L’art de l’entaille s’exprime dans l’hommage rendu aux bêtes
qui labourent le cheval et le bœuf. Ce pain se fait encore dans le
cadre de l’association artistique Alberto Favara de Salemi.
Traditionnellement, on utilise la farine obtenue avec les
premiers grains de la première moisson. Trois images se
superposent avec une extraordinaire économie de moyens :
pour évoquer le cheval, le colombin est d’abord plié en fer à
cheval. S’agissant d’un cheval de labour, deux coups de canif
revient au concept de tactilité émergeant du travail de
recherche de Carole BAUDIN53. Une compréhension
sensorielle qui ne peut être que décuplée par une pratique
expérimentale personnelle destinée à un encodage
complet (pluri modal) d’un savoir. Surtout lorsque celui-ci
est vernaculaire.
3°) le noué et le tressé54.
Nouer ou tresser renvoie à cet artisanat premier, le
tressage de fibres végétales qui est une des premières
acquisitions de l’humanité, activité manuelle digitale fine
des peuples nomades, avant la sédentarisation. Mais
s’agissant de pains et de gâteaux, c’est moins la vannerie,
les nœuds des marins que les nattes capillaires qu’il faut
invoquer55.
Les pains et gâteaux de fête pérennisent tout un
répertoire de signes-symboles qui existaient déjà au
néolithique et restent encore associés à des rites
archaïques. Dans certains cas, ils constituent une écriture
idéographique. Cet art premier, sans trace (sans moule)
transformé, déformé, est rendu innocent face à certains
tabous, seules quelques formes peuvent être rattachées à
cette évolution phylogénétique particulière56.

ouvrent la pâte au niveau de l’arrondi t transforment ce fer à


cheval en joug, un joug qui, grâce à deux coups de canif
supplémentaires aux deux extrémités, cède la place aux pieds
de bœuf.
53
BAUDIN C., - « objet conçu, objet vécu », Thèse de doctorat,
Laboratoire d’ethnologie des mondes contemporains (Eric
Gallais)) , soutenu le 5 décembre 2003.
54
Aujourd’hui encore la tresse est l’idéogramme de la femme
(Balkan). En Bulgarie, par exemple même s’il existe de
nombreux pains rituels, aucun ne représente une femme de
manière figurative, un tant soit peu réaliste ou même
caricaturale (avec une tête, un corps, des membres, un visage)
par contre de nombreux pains la représente sous forme de
signes, des « tresses de pains-cheveux ». Pour Noël, il est fait
une figure appelée « l’homme et la femme » constituée de deux
colombins enroulés l’un sur l’autre et formant un V ouvert vers
le haut . « L’homme et la femme lèvent les bras pour recevoir
ce qui vient du ciel » , TEMENUCHKA L., Bulgarie.
Cette forme n’est pas à confondre avec le pâton croisé qui
symbolise la fille dans les pains mortuaires.
55
Il semblerait que la natte se soit substituée à un sacrifice
archaïque (Vikings) qui voulait que la femme fut enterrée
vivante dans la tombe de son mari lorsqu’il venait à mourir le
premier. La douleur venait à faire tordre ses cheveux à la veuve.
Le corps de l’épouse fut bientôt représenté par ses cheveux
tressés. Et c’est sa natte qu’on enterrait jusqu'à ce que celle-ci
fût à son tour remplacé par une natte de pain. Ce serait l’origine
es pains nattés.
56
C’est le cas du bretzel, par exemple, (Cf. ARMENGAUD C., - «
Le diable sucré, gâteaux, cannibalisme, mort et fécondité », éd.
De la Martinière, Paris, 2000, p. 73) une lente évolution d’une
femme à deux queues, une sirène telle qu’on la voit souvent sur
les chapiteaux romans, dans la divine comédie de Dante (Cf.
DANTE La divine comédie Manuscrit enluminé du XVe siècle) et
dans l’iconographie alchimique (Cf. TOURNIER R.,
Les pains d’autrefois, comme tout ce qui touche aux fêtes
populaires, furent très décorés, parfois affublés de plumes
de poule teintées, de rubans, de miroirs ou de papiers
brillants. Mais derrière les conventions décoratives et les
apparences festives se cachent des métaphores
ancestrales qui en décuplent les effets57. Ainsi les dorures
- à l’or, à l’œuf ou au safran, renvoient à des rites liés aux
anciens cultes solaires58. Bref, décorer lorsqu’il s’agit de
pains traditionnels, ce n’est pas seulement ajouter les
plaisirs de la vue à ceux du goût (sans parler des plaisirs
du toucher et du geste dans la réalisation de ces décors),
c’est aussi raconter une histoire et l’inscrire dans la
continuité d’un langage symbolique.

Le pain d’épice
Le pain a été transformé et « dessertisé ». Le pain décoré
peut être vu comme le début de cette tendance. Le pain
d’épice constitue cet objet frontière entre pain et
gâteau59. En Allemagne (Aix la chapelle, les printen
d’Aaren) l’homme d’Aaren est constitué de délicieux pains
d’épice imprimés, les Printen. Fabriqués et consommés au
moment de Noël, ils sont réalisés par emporte pièce.

SAVERLANDER W., OURSEL R., - « Franche-Comté romane », éd.


Zodiaque la nuit des temps, 52ème N° spécial de Noël. Abbaye
Ste Marie de la pierre-qui-vire 1979, p. 75), jusque dans la
symbolique franc maçonnique où toute sorte d’arbres
(originairement arbre de vie) réalisés dans différents matériaux
( if ou frêne, métallique) viennent symboliser le corps, à
l’inverse des tressages, et nouage en pain. « Le bel arbre est le
milieu du corps, le branchage, la tête, la hauteur de l’arbre le
sommet du crâne. L’arbre droit, l’index ; l’arbre noué les
genoux, les dix arches, les dix doigts ». PALOU J., - La franc
maçonnerie, éd. Payot).
57
Conservé au musée de Nuoro, le « pane’e arzola », est un
pain rituel d’environ 15x20 cm mangé les jours de battages à
Dulchi (dans la région de Nuoro, Sardaigne). Cette tradition du
« pain de l’aire », que l’on trouve pour ritualiser les premières
moissons. Ce pain est réalisé avec les premiers grains de blé
récoltés, correspond aux poupées de paille que l’on tressait
dans d’autres régions de toute l’Europe entière.
58
« Au plus noir de l’Hiver l’homme mange le soleil et cuisine la
lumière qui rend les formes immatérielles t les fait passer dans
l’espace du sacré. Jusqu'à Pâques il ne cesse d’invoquer et de
fêter le glorieux retour de l’astre qui éclaire ses jours, dans une
intention similaire à celle des ex-voto ; offerts au plus fort de la
maladie pour demander la santé, ou après la guérison, en action
de grâce ». ARMENGAUD C., - « Le diable sucré, gâteaux,
cannibalisme, mort et fécondité », éd. De la Martinière, Paris,
2000, p. 126. On trouve la trace de soleil doré à la feuille d’or
(France) Cette technique insolite qui perdure dans certaine
chocolaterie, était utilisée pour les festins du XVe siècle.
Différents mets sont passés au blanc d’œuf puis enveloppés de
feuilles d’or (ou d’argent).
59
La notion d’objets frontière a été utilisée dans un processus
de conception de fontaine à eau. Objet frontière entre un objet,
un meuble ( Cf. MAYA J., BASSEREAU J.F. - « », Colloque
CONFERE
Ensuit selon le décor réalisé sur la surface avec les
amandes, on obtient un bonhomme plus ou moins réaliste.
S’il est simplement réalisé en sucre glace, la finition
reprendra l’apparence des statues archaïques en pierre60.
La fonction la plus évidente de ces pains et gâteaux est
magique, religieuse, parfois simplement ludique. Mais
aujourd’hui, nous ne continuons à consommer les
évolutions de ces formes qui renvoient « au cannibalisme,
à l’érotisme ou à la mort61 » que dans la distanciation et le
déni, c’est-à-dire après en avoir consciencieusement
oublié le sens puis leur en avoir donné une nouvelle
histoire anodine et un nouveau nom qui les rend
inoffensifs.

LE PAIN OBJET IDENTITAIRE, CULTUREL OU


SYMBOLIQUE (ou les 3)
Le pain, un objet identitaire de la nation française ?
Le pain, comme « le vin est senti par la nation française
comme un bien qui lui est propre, au même titre que ses
trois cent soixante espèces de fromages et sa culture »62.
Le pain est un aliment-totem63, il se dresse comme celui-ci
dans sa bannette d’osier tressé. Bachelard s’est penché
sur le vin et lui a donné sa psychanalyse substantielle, à la
fin de son essai sur les rêveries de la volonté, montrant
que le vin et suc de soleil et de terre, que son état de base
est, non pas l’humide mais le sec. Bachelard ne s’est pas
penché sur le pain, peut-être parce que comme tout totem
vivace, le pain supporte une mythologie variée qui ne
s’embarrasse pas de contradictions.

Facteurs psychosensoriels du pain contemporain

Les modalités sensorielles et leur chronologie impactant


Sensations visuelles, tactiles, olfactives et gustatives, et
sonores
Le pain constitue un objet pluri sensoriel ; dans le sens, à
expliciter par rapport à ce terme en apparence global,
d’une inter modalité sensorielle, psychosensoriel. Une
intrication de tous nos sens au service de la redécouverte
du pain. Les sensations jouent des rôles différents suivant
les niveaux de conscience, d’attente et d’attention voire
60
Souvent la référence aux statuaires de l’Ile de Pâques est
citée ( Cf. ARMENGAUD C., - « Le diable sucré, gâteaux,
cannibalisme, mort et fécondité », éd. De la Martinière, Paris,
2000, DUPAIGNE B., - « Le pain de l’homme », éd. De la
Martinière, Paris, 19? )
61
ARMENGAUD C., - « Le diable sucré, gâteaux, cannibalisme,
mort et fécondité », éd. De la Martinière, Paris, 2000 , p. 43
62
BARTHES R., - « mythologies », éd. Du seuil, Paris, (1957), p.
74
63
Cf. FREUD S., - « Totem et tabou », interprétation par la
psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, éd. Petite
Bibliothèque Payot, N° 77, Paris, 19 ?, ISBN 2-228-30772-6
de concentration. Le plus souvent utilisé, soit pour
identifier les pains ou les reconnaître. Le plaisir premier
apparaît issu du résultat entre conjonction de l’agent
excitant et la valeur que l’interprétation du récepteur
humain lui confère.
De tous les plats nouveaux plus ou moins acceptés, le
pain (son type) est l’aliment dont on change le plus
difficilement64.
Plus l’inconscient et l’affectif tiennent de place, plus la
sensation buccale de sucer ou de mâcher et les sensations
gustatives sont importantes. Suivant la latéralisation, on
observe chez les droitiers l’emploi de leur main gauche
pour le toucher plus sensuel et réciproquement65. Trop
souvent, le tactile a été réduit à un rôle de vérification, de
contrôle. Pourtant, Barthes nous avait déjà prévenu le
toucher est bien plus : «dans les halls d’exposition, la
voiture témoin est visitée avec une application intense,
amoureuse : c’est la grande phase tactile de la découverte
[où se mêle confirmation et plaisir] le moment où le
merveilleux visuel va subir l’assaut raisonnant du toucher
(car le toucher est le plus démystificateur de tous les
sens, au contraire de la vue, qui est le plus magique) : les
tôles, les joints sont touchés, les rembourrages palpés, les
sièges essayés, les portes caressés, les coussins pelotés ;
devant le volant, on mime la conduite avec tout le
corps »66. L’objet est ici approprié par la modalité
sensorielle tactile, ou plutôt e complément des autres
modalités sensorielles la somesthésie achève
l’appropriation dans une tactilité réussie67.

64
VINIT S., TREMOLIERES J., - « enquête sur l’alimentation des
tuberculeux en sanatorium », 196 ? C’est dans cette enquête
que l’on apprend que le Français du milieu ouvrier ou paysan
garde à l’âge adulte les goûts pris dans son milieu d’origine.
65
BASSEREAU J.F., (Introspection puis observations chez des
sujets familiers 2004, suite aux études expérimentales menées
par HATWEL Y.).
66
BARTHES R., - « mythologies », éd. Du seuil, Paris, (1957), p.
152
67
Cf. BAUDIN C., - « objet conçu, objet vécu », Thèse de
doctorat, Laboratoire d’ethnologie des mondes contemporains
(Eric Gallais)) , soutenu le 5 décembre 2003.

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