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Les Annales de la recherche

urbaine

Reconstruire pour construire ou de la nécessité de naître en l'an 40


Madame Danièle Voldman

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Voldman Danièle. Reconstruire pour construire ou de la nécessité de naître en l'an 40. In: Les Annales de la recherche
urbaine, N°21, 1984. La technique et le reste. pp. 67-84;

doi : https://doi.org/10.3406/aru.1984.1131

https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1984_num_21_1_1131

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Résumé
Le ministère de la Reconstruction et l'administration mise en place à partir de la Libération ont fourni le
cadre d'impulsion et d'administration des politiques françaises d'urbanisme depuis près de quarante
ans. A sa création, cette institution innovait et en même temps reprenait un ensemble d'initiatives
politiques et administratives qui avaient vu le jour pendant les années précédentes.
L'article porte sur la période qui se termine en 1958 avec la IVe République : le régime de Vichy, dont
l'histoire administrative est encore mal connue, tente d'organiser les institutions chargées de la
reconstruction en les intégrant dans un dispositif d'ensemble chargé de gérer l'organisation
économique du pays, dans le cadre d'une économie dirigiste, comportant des plans de production par
branche industrielle. Cette modernisation du mode de travail de l'administration emprunte beaucoup
d'éléments aux méthodes de gestion moderne des grandes entreprises industrielles de l'époque
(automobile...).
Si les réalisations sont rares — pénurie de matériaux et d'hommes, priorité aux travaux militaires pour
l'occupant —, par contre le travail législatif est important pour compléter les lois sur les dommages de
guerre et sur l'urbanisme de 1919 et 1924. Ces textes — loi de 1943 — auront une postérité décisive
pour l'urbanisme français d'après-guerre concernant les dommages de guerre, les règlements
d'urbanisme, l'organisation de la profession d'architecte, la mise en place des services d'urbanisme
centraux et régionaux.
Danièle Voldman retrace la mise en place, après la Libération, de la nouvelle administration centrale et
locale qui sera chargée de la reconstruction, de la construction de logements et de l'aménagement du
territoire. Cette administration aura à appliquer les politiques du logement visant à assurer un équilibre
entre location et accession à la propriété du logement, à mettre en route les premiers grands
programmes de logements collectifs des années cinquante. Ces attributions politiques, administratives
et techniques ont été assurées par des corps nouveaux de fonctionnaires, notamment dans le domaine
de l'urbanisme.

Resumen
Reconstruir para construir o De la necesidad de nacer en el ano 40.
El ministerio de la Reconstruccion y la administración que se instaló a de la liberación dió el marco de
impulso y de administración de las políticas francesas de urbanismo desde hace cerca de cuarenta
años. Esta institución, en su creación, innovaba y retomaba un conjunto de iniciativas políticas y
administrativ as de los años precedentes.
El artículo trata sobre el periodo que se termina en 1958 con la IV República. El régimen de Vichy, del
cual la historia administrativ a es todavía mal conocida, intentó organizar las instituciones encargadas
de la reconstrucción integrándolas en un dispositivo de conjunto encargado de administrar la
organización económica del país, en el marco de una economía dirigista, incluyendo los planes de
producción por rama industrial. Esta modernizacion del modo de trabajo de la administración toma
muchos elementos de los métodos de gestión moderna de las grandes empresas industrials de la
época (automóvil, etc.).
Aunque las realizaciones son raras, penuria de materiales y de hombres, prioridad a los trabajos
militares para el ocupante, el trabajo legislativo es importante para completar las leyes sobre las
indemnizaciones de guerra y sobre el urbanisme de 1919 y 1924. Estos textos, ley de 1943, tendrán
una decisiva para el urbanismo francés posterior a la guerra sobre todo en lo que tiene que ver con las
indemnizaciones de guerra, los reglamentos de urbanismo, la organización de la profesión de
arquitecto y la instalación de los servicios de urbanismo centrales y regionales.
Danièle Voldman describe la instalación, después de la liberación, de la nueva administración central y
local encargada de la reconstrucción, de la construcción de viviendas y del fomento de los recursos
del país. Esta administración deberá aplicar la política de viviendas con el objetivo de asegurar un
equilibrio entre aquellas que están destinadas a ser alquiladas y las que se venderán, y a poner en
marcha los primeros grandes programas de viviendas colectivas de los años cincuenta. Estas
atribuciones políticas, administrativas y técnicas han sido aseguradas por nuevos cuerpos de
funcionarios, sobre todo en el dominio del urbanismo.

Abstract
Rebuilding for building's sake or Of the necessity of being born in the year 40.
The ministry of Reconstruction and the administration which was instituted at the time of the liberation of
France have provided the impetus and administrative framework for french city planning policies for almost
40 years. At the time of its creation, it was not only an innovative institution ; it also took up a whole set of
political and administrative initiatives which had been conceived in years prior.
This article covers the period up to 1958, the year in which the Fourth Republic ended. The Vichy Régime,
the administrative history of which is still not completely known, tried to set up various institutions to deal
with reconstruction. They were integrated into a larger administrative framework in charge of organizing and
running the national economy. Production plans were drawn up for each sector in industry. In modernizing
methods of operation and administration, many elements were borrowed from modern management
techniques used in major industry at the time (e.g. the automobile industry).
Although few projects were brought to full completion because of a lack of ressources and manpower, as
priority was given to military projects for the occupation forces, an important legislative apparatus was
created to finish work on laws on war damages and city planning enacted in 1919 and 1924. The articles of
1943 law were later to play a decisive role in postwar french urban planning. They covered war damages,
urban planning regulations, the architectural profession and the creation of national and regional urban
planning services.
Danièle Voldman retraces the steps by which the new central and local administration was set up after the
Liberation to co-ordinate reconstruction, the rebuilding of housing and regional development. Among its
tasks : the implimentation of a national housing policy which sought to strike a balance between rental
housing and the possibility of individual ownership, as well as the creation of the first large-scale collective
housing projects of the 50's. Its political, administrative and technical competencies were provided by new
corps of civil servants, especially in the area of city planning.
Reconstruire ou
pour construire

De la nécessité de naître en l'an 40

Danièle Voldman

Après le récit des batailles et celui des faits politiques, l'histoire des mentalités a scruté les
imaginaires et traqué les modes de vie. Et voici que les administrations sortent désormais du seul
intérêt des juristes et des administrateurs eux-mêmes pour passer sous le regard des historiens. La
présente étude en est le témoignage : peut-on faire et comment faire l'histoire d'un ministère qui ne
soit ni simple nomenclature des services, ni hagiographie des personnels, ni jugements sévères et a
posteriori sur son œuvre ? Commandée à l'origine par les services de l'urbanisme du ministère de
l'Urbanisme et du Logement, pour précéder un guide de ses archives, elle en porte, dans ses bornes
chronologiques, la marque. Le tournant de 1958 n'est donc ici qu'un terme de convention qui marque
symboliquement la fin de la reconstruction, en même temps que celle de la IVe République :
accompagnée des décrets de 1956 et de déplacements institutionnels, une nouvelle logique
urbanistique
tout cohérent.s'est en effet dessinée dès 1955. Néanmoins, la période qui va de 1940 à 1958 forme un

Le ministère de la Reconstruction et de l'Urbansime (MRU) est un grand ministère qui, sous des
appellations différentes, a joué de 1944 à 1958 un rôle essentiel, décisif même, dans la transformation
du paysage urbain français. Or, son histoire institutionnelle commence en octobre 1940 quand le
gouvernement de Vichy promulgue la première loi de reconstruction : sont alors mis en place des
organismes chargés de l'appliquer, nonobstant les incertitudes de la situation politique et
économique. Ce n'est qu'à la fin des années cinquante, entre 1958 et 1962, que s'amorce une autre
phase : la reconstruction est terminée, les ruines relevées, d'autres problèmes, davantage liés à la
construction et au développement urbain, viennent au premier plan, tandis que s'achève le règne des
grands urbanistes reconstructeurs, architectes et ingénieurs qui avaient été la cheville ouvrière des
différentes institutions ministérielles. Présents dès 1940, très actifs dans la décennie 1945-1955, ils
s'effacent devant l'arrivée d'une nouvelle génération, plus technocratique et administrative que
technicienne et urbanistique. La création de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action
régionale (DATAR) en 1963 consacre l'évolution.
Presque un quart de siècle pendant lequel, malgré les ruptures et les transformations politiques,
l'unité apparaît dans les volontés d'action et les moyens mis en œuvre.

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Un dessein continu

De 1940 à 1960, un dessein continu préside aux destinées institutionnelles des organismes dirigeant
la reconstruction et la construction. Il repose sur quatre principes qui en constituent les idées-forces.
Avant tout, c'est le premier après-guerre qui sert de réfèrent : toute la conception des « dommages
de guerre » prend pour modèle la législation mise au point à partir de 1919. Il n'est évidemment pas
question du financement, puisqu'on ne peut plus compter sur les réparations allemandes
difficilement négociées au traité de Versailles. Le quasi magique «l'Allemagne paiera» s'est
transformé, dès la défaite de juin 1940, en une formule moins exaltante : « C'est nous qui payons. »
Néanmoins, c'est la notion de « réparation du bien détruit » qui a orienté la législation. Pour ce qui a
trait aux déclarations de perte et à l'indemnisation des sinistrés, l'héritage des années 1918-1922 a
pesé lourd aussi bien dans les mentalités que dans les mécanismes administratifs et financiers.
Deuxièmement, il y a unanimité pour juger très sévèrement la situation du bâtiment dans les années
trente. Tous les milieux qui touchent à la construction dénoncent avec autant de vigueur le manque
de dynamisme des bâtisseurs, l'étroitesse des conceptions de l'aménagement des villes, l'absence
d'imagination des architectes trop préoccupés d'esthétisme. Il semble indispensable de remédier à
ces maux, tant sur le plan législatif qu'institutionnel. Pour cela, il fallait, d'une part, compléter les
lois de 1919 et de 1924 qui obligeaient les villes de plus de 10 000 habitants à se doter de plans
d'embellissement et d'aménagement ; d'autre part, créer des organes susceptibles de les mettre en
application.
La troisième grande idée concerne la notion même de reconstruction. Vichy, le gouvernement
provisoire et la IVe République ont, dans leur façon de l'envisager, des principes communs, issus là
encore de l'expérience des années vingt. Ne pouvant faire fi des réalités, les décisions ressemblent
bien plus souvent à des compromis qu'à des visions d'ensemble très établies : il s'agit de concilier
l'urgence d'un relogement pour une population sinistrée, la nécessité de ne pas heurter des
sensibilités, déjà traumatisées, en imposant des transformations urbaines radicales et la volonté de
sortir du malthusianisme des décennies précédentes.
Ainsi, reconstruire après la campagne de 1940 en tenant compte de la présence allemande, le
régime de Pétain s'y attache dans son premier été, réservant une place de choix aux «bâtiments et
travaux publics» dans la nouvelle organisation économique. De même, à Alger, le gouvernement
provisoire de la République ne sépare pas la volonté de reconstruire de celle de vaincre l'Allemagne
aux côtés des Alliés : le Commissariat à l'armement, à l'approvisionnement et à la reconstruction
prévoit, dès l'automne 1943, les mesures à prendre dans les futurs territoires libérés. Enfin, la tâche
assignée au ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme par le décret qui le fonde le
16 novembre 1944 est d'ordonner le chaos malgré la pénurie et de rebâtir les villes bombardées et
détruites. C'est donc bien une volonté qui émane d'instances fort différentes : reconstruire un pays
dévasté par les campagnes successives, loger tous les sans-abris, édifier des cités modernes.
La quatrième et dernière préoccupation, leitmotiv des discours et des directives ministérielles,
consiste à ne pas dissocier la vaste entreprise de restauration urbaine, nécessitée par les dommages
de la guerre, d'une action générale et concertée d'aménagement territorial. Cela implique, à la fois,
une vision à l'échelon national du développement démographique et économique, et la prévision des
besoins industriels dont le bâtiment dépend étroitement. Donc, ne plus bâtir au jour le jour, édifice
après édifice, mais, pour tout projet, concevoir dans un même élan reconstruction à court terme,
construction future et intégration dans le paysage, urbain et rural.

La période de Vichy

de La
vuepériode
de la construction
de Vichy est et
tropdeparticulière
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pour ne pas
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longue
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et étudiée
c'estenunelle-même.
moment particulier
Du point

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reconstruire pour construire
pendant lequel, du fait de l'occupation allemande et du temps de guerre, toute action entreprise
risque, ou de ne pouvoir se réaliser totalement, ou d'être détruite sitôt achevée.
Dès l'été 1940, le nouvel Etat français essaie d'assurer la vie économique. Le 16 août, des comités
d'organisation sont chargés de recenser les ressources disponibles et, autant que faire se peut, de
remettre sur pied la production. A chaque branche industrielle correspond un comité, « organisme à
caractère semi-public, dirigé et contrôlé par des hommes nommés directement par le ministère
concerné1» ; ces dirigeants sont des professionnels dont les décisions sont en principe exécutoires.
Chaque entreprise de la branche concernée doit s'y affilier et payer une cotisation obligatoire qui
alimente le budget du comité : «Le Comité d'organisation des travaux publics et du bâtiment
(COTPB) a, en 1941, un budget annuel de 30 millions de francs et 130 000 ressortissants
déclarés2. » L'étude de ce COTPB reste à faire : en particulier, nous ne savons pas encore quels
hommes en faisaient partie et si, comme j'en fais l'hypothèse, y siégeaient ceux que l'on retrouvera
dans les instances décisionnelles des gouvernements de Vichy. Quoi qu'il en soit, il se met
rapidement à l'œuvre et, à l'automne, il est rattaché à un organe plus vaste, le Commissariat
technique à la reconstruction immobilière. Créé le 11 novembre 1940, celui-ci a pour mission
d'exécuter tous les travaux prévus par la loi. Or, au lendemain de la débâcle et de l'exode, ceux-ci
concernent avant tout les ponts et chaussées. C'est sans doute pourquoi le commissariat est d'abord
rattaché au Secrétariat général des travaux et des transports et qu'il emploie un grand nombre
d'ingénieurs des ponts. Il reste néanmoins autonome jusqu'au 12 juillet 1941. A cette date, il prend
le titre de Commissariat à la reconstruction immobilière ; ses tâches sont précisées : projets
d'urbanisme, plans de reconstruction, projet d'assainissement, service de secours... Il est alors placé
sous l'autorité de la Délégation générale à l'équipement national (D G E N) sans pour autant sortir
du giron de son premier ministère de tutelle, devenu le Secrétariat aux communications. En effet,
depuis le 23 février 1941, la D G E N devait présider l'organisation économique de Vichy. Sa création
a été voulue par le régime pour essayer d'harmoniser les décisions prises par les diverses
administrations et, dans le cadre d'une économie dirigiste, tenter d'établir les plans concernant
chaque branche particulière en fonction d'un projet général. La délégation, qui comprend six
directions et sept commissariats3, a l'ambition de couvrir tous les secteurs de la production.
A sa tête, deux hommes incarnent les buts à atteindre. Quand il accède à cette charge en février
1941, le délégué général François Lehideux n'est pas au début de sa carrière. Diplômé de sciences
politiques, il a voulu parfaire sa formation par des voyages à l'étranger : fait relativement rare entre
les deux guerres, il est allé étudier sur place l'U R S S et les Etats-Unis. Quand il est nommé directeur
administratif chez Renault en 1934, il tente d'appliquer dans cette entreprise des principes
d'organisation rationnelle du travail et met à l'épreuve les idées des milieux planistes avec lesquels il
est lié. Président du Comité d'organisation de l'automobile depuis le 30 septembre 1940, il en
gardera la direction tout en assumant d'autres fonctions, jusqu'à sa dissolution à la fin de
l'Occupation. Dès le mois de novembre 1940, il est commissaire général à la lutte contre le chômage,
organisme qui a un grand souci d'efficacité et qui est à l'origine de la D G E N dans la mesure où
l'action de celle-ci était impossible sans perspectives d'ensemble. Délégué, avec rang et prérogatives
de secrétaire d'Etat, il met dans ses nouvelles fonctions une même ardeur pour coordonner les
travaux des ministères et donner une cohérence aux plans qui s'y élaborent pour le court, le moyen et
le long terme. Quand, en juillet 1941, il est nommé secrétaire d'Etat à la Production industrielle,
c'est un très proche collaborateur, Henri Giraud, secrétaire général de la délégation, qui assure
l'intérim. Ce dernier, comme plusieurs responsables de la D G EN, Surleau et Prothin notamment,
est issu des milieux de techniciens de l'administration et de l'urbanisme qui, dans les années trente,

1979.
2.1. Ibid.
H. Rousso, «l'Organisation industrielle de Vichy», Revue d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 116,

Electrification,
région
et 3.charbon
Urbanisme
parisienne,
destiné
Equipement
etlyonnaise,
àconstruction
la carburation.
colonial
de Nice,
immobilière,
forment
de Marseille,
les directions.
Equipement
TravauxLes
d'équipement
agricole,
commissariats
Equipement
rural,
sontApprovisionnement
: Chantiers
industriel,
ruraux,
Communications,
enTravaux
alcool, debois
la

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La Direction du déminage a contribué à forger l'image d'un ministère actif et efficace.

admiraient ce qu'on appelait le « mouvement moderne », c'est-à-dire les architectes et les urbanistes
qui, se réclamant du fonctionnalisme, s'essayaient à penser des villes rationnelles et des espaces
planifiés. Comme directeur général des services techniques de la préfecture de la Seine depuis 1939,
puis comme commissaire aux travaux de la région parisienne à partir de 1940, il connaît les
problèmes posés tant par la prévision que par la reconstruction et l'urbanisme. Du reste, c'est le
service des travaux de la Ville de Paris, bien rodé depuis le premier après-guerre, qui sert de cadre à
la fois pour le Commissariat techniqueà la reconstruction immobilière (C R I) et pour la Délégation
générale à l'équipement national (DGEN).
Mêmes milieux, mêmes hommes : les filiations entre les diverses administrations et institutions
sont d'autant plus logiques que ces services sont en relations assez étroites avec le Comité national de
la reconstruction, autre création de la loi du 11 octobre 1940, et avec le Comité national
d'urbanisme, né le 25 mai 1941. Ces deux comités, composés surtout d'architectes, sont moins
politiques que techniques. S'ils alourdissent les procédures administratives, faisant souvent écran aux
décisions du CRI et de la D GEN en matière de projet d'urbanisme, ils peuvent aussi, par leur
attention à l'esthétisme, atténuer la sécheresse économique de certaines directives, redonnant
parfois aux projets de reconstruction leur dimension d'ouvrages d'art. Freins à l'efficacité
administrative ou utiles contrepoids à la volonté des techniciens parfois trop emportés par l'esprit
bureaucratique et «technocratique»?
La question résume toutes les contradictions des institutions des gouvernements de Vichy, car
toutes manifestent une volonté d'agir : penser un urbanisme national, équiper le pays d'une
infrastructure moderne à la mesure d'une nation industrielle, prévoir l'expansion des villes, bref
travailler dans la grande dimension, le futur et le développement, agir dans la technicité et
l'efficacité... faire enfin, peut-être, la révolution nationale qui transformerait la France. Face à ses
buts, la réalité de l'Occupation paralyse les meilleures intentions, d'autant que le secteur du bâtiment
est un des plus touchés par les ponctions allemandes. Et les difficultés sont à la mesure du dessein :
de tous ordres, elles viennent en premier lieu des contradictions entre les visées gouvernementales et
celles de l'occupant.
Cela est particulièrement frappant dans le cas des projets de reconstruction pour les communes
sinistrées : qu'il s'agisse de petits bourgs ou de villes plus importantes, l'établissement du projet et sa
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reconstruire pour construire

mise en œuvre dépendent toujours du CRI et de la D GEN. De surcroît, pour des travaux d'une
certaine ampleur — à Orléans, par exemple — , l'avis du Comité pour la reconstruction, ainsi que
celui d'urbanisme, est également nécessaire ; les préfets, en liaison avec les autorités d'occupation,
veillent aux premières esquisses. A Orléans, l'entreprise est facilitée, car elle se fait sous l'impulsion
de J. Moranne, préfet en même temps qu'ingénieur des ponts4. Mais pour que débutent les
travaux, des autorisations, toutes études et formalités préalablement accomplies, dépendent des
Allemands. Ceux-ci ne donnent leur assentiment immédiat que pour des opérations d'intérêt
stratégique : de nombreuses communes des pays de Loire en ont ainsi bénéficié, tel Chemillé-sur-
Indrois qui commandait le passage vers Loches et Montrésor. Quant au reste, l'examen des dossiers
est extrêmement lent : il porte en priorité sur des demandes relatives à des constructions utiles pour
l'armement — encore les autorisations sont-elles rarement définitives. Souvent refusées, parfois
provisoires, il arrive aussi que des dossiers d'entreprises privées arrivent à la D GEN après la date
limite de durée de l'autorisation, ce qui rend caduque toute la procédure. Or, ces autorisations
indispensables ne sont pas le seul obstacle.
Outre la précarité des travaux, menacés jusqu'en 1945 de destruction militaire (même si, à cet
égard, toutes les régions ne sont pas également vulnérables), restent la pénurie des matériaux et les
drames personnels des sinistrés. Ceux-ci, qui ne peuvent attendre longtemps un toit définitif ou la
reconstruction de leur instrument de travail (bâtiments agricoles ou industriels, magasins,
ateliers...), exigent des abris de fortune. L'urgence oblige alors le ministère de la Production
industrielle à s'occuper, à partir d'avril 1941, du domaine des «constructions provisoires» : cela
revient à disperser entre deux administrations (C R I et ministère de la Production industrielle) des
attributions pourtant liées — division délicate, en particulier pour les décisions d'implantation,
l'emploi des procédés de fabrication, la fourniture des matériaux.
Sur le terrain donc, des difficultés quasi insurmontables. Dans une note remise à Raoul Dautry en
janvier 1945, André Muffang, qui fut à la tête du commissariat pendant toute la période de Vichy,
dresse le bilan de ses activités. Il peut souligner avec satisfaction le bien-fondé des directives données

4. La reconstruction d'Orléans a été étudiée par Y. Durand, à qui j'emprunte ces renseignements.
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par ses services (établissement des projets, création des associations de sinistrés, remembrement des
zones à reconstruire, calcul des indemnités, financement des travaux...). Mais force lui est de
constater le manque de réalité concrète donnée à toutes ces mesures : il en rejette la faute sur son
collègue de la D G E N : « Il nous sera sans doute permis d'exprimer quelque regret d'avoir vu [. . .] le
délégué général à l'équipement national accepter le rôle de supervision que lui imposèrent les
ordonnances allemandes, et que ne lui avait pas donné la loi française du 21 décembre 1941, dans les
réunions auxquelles il participait à l'hôtel Majestic avec le commissaire à la Reconstruction [et] ne
venir
sinistrés5...
en aucune
» façon à l'aide de celui-ci pour soutenir sa thèse uniquement inspirée de l'intérêt des
Au-delà du caractère justificatif de ce texte qui, comme tant d'autres de l'époque, sert aussi de
règlement de comptes, il faut voir dans ces divergences non des heurts d'administration, puisque le
commissaire et le délégué avaient partie liée, mais le fait de personnalités et de prises de position
différentes. Tandis que Muffang avait accentué l'aspect technique de ses responsabilités, Lehideux
affirmait une volonté politique : croyant pouvoir, par son action, contribuer à la modernisation de la
France, il se compromettait davantage et n'en réchappait pas.
Cependant, la minceur des réalisations concrètes ne doit pas minimiser l'ampleur de la tâche
accomplie conjointement par le commissariat et les directions d'urbanisme de la D GEN, activités
essentiellement au plan législatif, seule possibilité d'inscription dans le réel qui constitue le paradoxe
de ces années de guerre. Ne pouvant construire ni reconstruire, les services de Vichy légifèrent pour
un avenir meilleur, et tous ces textes que les résistants qualifiaient de «prétendues lois» auront
pourtant une postérité décisive pour l'urbanisme français après la guerre. Sans entrer dans le détail
des prescriptions élaborées de 1940 à 1944, notons qu'elles concernent, premièrement, les dommages
de guerre (conditions de réparation et reconstitution des immeubles privés et publics, des entreprises
industrielles, commerciales et artisanales, des bâtiments utilitaires... ; conditions de financement de
prêts et de crédits pour l'Etat de toutes ces opérations ; conditions d'association pour les sinistrés en
vue des processus de remembrement des zones sinistrées). Notons qu'elles sont conçues comme des
aides de l'Etat et non comme un droit reconnu à l'indemnisation. Deuxièmement, les règlements
d'urbanisme, auxquels est désormais soumise t6ute nouvelle construction tant urbaine que rurale

(plan etet projet


Troisièmement,
l'Etat
reconstructeur,
de lacréation
l'organisation
dereconstruction
reconstruction,
du corps
de la(création
desprofession
périmètre
urbanistes
de d'architecte,
del'ordre
d'Etat...).
reconstruction,
des que
Quatrièmement,
architectes,
celui-ci
prévision
soitcharte
oud'assainissement...).
la non
mise
deauenl'architecte
service
place de

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reconstruire pour construire

Les noms des ministères


Vocabulaire employé par ordre d'apparition chronologique
Reconstruction et urbanisme (ces deux termes sont associés dès 1944) ; travaux publics et transports (associés à la
reconstruction en 1946) ; commerce (qui fait deux brèves apparitions en 1947 et en 1956, associé à d'autres désignations) ;
logement (nommé pour la première fois en 1953) ; industrie (éphémère passage en 1956) et construction.
Le mot reconstruction, seul ou non, est utilisé 22 fois, c'est-à-dire continûment de 1944 à 1958 ; vient ensuite, dans l'ordre
décroissant : le logement (13 fois, dont la première en 1953) ; Vurbanisme (qui, au fronton dès la création du MRU, n'est
utilisé
et construction
que 6 fois): 1; lesfois).
autres vocables n'apparaissent que 2 ou 1 fois {commerce et travaux publics : 2 fois ; transport, industrie

services d'urbanisme centraux et régionaux (création de l'inspection générale de l'urbanisme et de


l'architecture, des différents comités...).
Parmi tous, un texte mérite une attention particulière : c'est la grande loi d'urbanisme du 15 juin
1943. En gestation depuis 1940, elle rassemble toutes les aspirations de l'administration. Même si elle
se situe dans la ligne des textes de l'entre-deux-guerres, elle innove à bien des égards, ne serait-ce
que dans la volonté de rassembler toutes les prescriptions en un seul « code ». En outre, elle tire les
leçons des erreurs des années trente, accentuant le caractère contraignant des plans d'urbanisme et
essayant de pallier certaines incohérences de procédure. Enfin, elle porte en germe des directives qui
ont suivi la Libération, particulièrement les idées d'aménagement du territoire. Donnant de très
larges pouvoirs à la D G E N pour tout ce qui concerne les projets d'aménagement et plaçant le
Comité national de l'urbanisme sous l'autorité directe de celle-ci, elle accentue le pouvoir des
techniciens de l'urbain : aucune décision, qu'elle soit d'ampleur nationale ou communale, ne peut
être prise sans consultation des services de la santé, des communications et des finances. C'est
reconnaître, en rendant hommage au travail des législateurs des décennies précédentes, que
l'urbanisme est interdépendant de tous les secteurs et qu'une vision partielle entraîne l'échec de tout
projet, restreint au seul domaine de l'architecture. De même, si les pouvoirs centralisateurs de la
D G E N sont fortement marqués, la création des circonscriptions d'urbanisme et des commissions
départementales témoigne d'un effort pour mettre en place des mécanismes efficaces à l'échelon
local. Surtout s'y affirme très fortement la notion d'aménagement du territoire : désormais, les
projets ne sont plus uniquement fonction des intérêts et des besoins de la seule commune : par le
truchement des groupements d'urbanisme, ils sont élaborés « conformément à un projet d'ensemble
qui s'applique à tout le groupement». Apparaît ici de façon affirmée la nécessité d'un projet
d'ensemble.

Enfin, diverses mesures tendent à maîtriser le développement anarchique de la construction : à


l'échelle urbaine, il s'agit, par exemple, de l'organisation des services d'urbanisme de la région
parisienne, en vue de contrôler l'extension de la capitale. Pour les édifices particuliers, l'obligation
de déposer un permis de construire permet à l'Etat d'avoir prise sur le projet, et la recommandation
d'utiliser les conseils d'un «homme de l'art» témoigne d'un souci de qualité architecturale.

Le legs de Vichy au MR U

commune
A la Libération,
mesure avec
la tâche
celles est
queimmense.
les bombardements
Les destructions
ont causés
duesà àpartir
la campagne
de 1943. Des
de 1940
villessont
entières
sans

5. Création du MRU, archives du MRU, sans cote.


ont été rasées ; des quartiers complets ont été démolis. La nécessité d'un organisme centralisé,
capable de gérer les ruines et de rebâtir sans délai n'est mise en doute par personne, d'autant que la
création du ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme ne repose pas, loin de là, sur un vide :
héritier direct du C R I et de la D G E N, il peut reprendre leur action en profitant des bases qu'ils ont
jetées. Un rapide bilan, malgré les limites évidentes, montre qu'à la fin de 1944 quelques procédures
et certaines habitudes sont désormais bien ancrées dans les esprits. C'est, d'une part, le processus de
reconstruction lui-même : les Français, grâce aussi, il est vrai, au souvenir de la Grande Guerre, ont
entamé des démarches de déclaration de sinistre, des demandes d'aides et d'allocations. Les
populations savent aussi que les ruines sont intégrées dans les périmètres de reconstruction et que les
«reconstitutions à l'identique» sont parfois contraires au souhait des gouvernements. L'expression,
il est vrai, a souvent servi de slogan électoral, le futur élu insistant sur l'aspiration à ce que tout
revienne « comme avant ». Toute la subtilité tient dans l'interprétation du mot identique : le nouveau
bâtiment sera-t-il semblable dans ses formes, sa valeur mobilière et immobilière, sa capacité de
rendement financier ou industriel ? Propriétaires et administrateurs ne l'entendent pas toujours de la
même façon.
D'autre part, c'est Vichy qui a mis en place les associations syndicales de sinistrés, gérées en fait
par le commissariat. Ceux-ci ont néanmoins dû se grouper et mettre au point en commun les
démarches à effectuer auprès des maires ou des préfets. De même, le remembrement obligatoire des
zones à reconstruire, s'il a oscillé entre la prudence et l'autoritarisme, a induit certains
comportements ultérieurs et, là encore, créé réflexes et habitudes. Dans la note déjà mentionnée,
André Muffang s'en explique et plaide que « la tendance du Commissariat à la reconstruction est
restée [...] de satisfaire au goût d'individualisme qui caractérise [...] particulièrement le Français
propriétaire, en s'efforçant [...] de faire du remembrement une opération qui tende à attribuer à
chaque sinistre une parcelle taillée sur mesure, [...] dont la situation convienne au sinistré et sur
laquelle il ait la possibilité de construire, avec la participation financière accordée par l'Etat, [...] un
immeuble donnant à la fois satisfaction à ses besoins, aux prescriptions du programme
d'aménagement et aux desiderata esthétiques fixés soit par une étude spéciale d'architecture, soit par
l'architecte en chef de la Reconstruction ». Il peut conclure : « Mais nous ne saurions trop insister sur
le caractère éminemment délicat que constitue le remembrement. [...] C'est essentiellement une
conscience assez précise des difficultés du problème qui a amené le commissariat à agir dans ce
domaine avec une prudence qu'il est naturellement facile aujourd'hui aux aristarques de taxer bien
injustement d'impuissance. »
Mettons toujours au crédit de ce bilan quelques innovations et expériences dont le MRU se
souviendra6. Ainsi la création d'«immeubles types» où devaient être mis au point des procédés de
fabrication rationalisés : même si ces immeubles sont restés au stade de l'étude, ceux qui verront le
jour dans la région parisienne, à Creil ou à Dunkerque, sous des appellations différentes, en sont les
héritiers directs. Il en est de même des concours pour l'amélioration des techniques de construction
et la recherche de normes applicables dans tout le bâtiment (qui fut conduite sous la direction du
Comité d'organisation des travaux publics et du bâtiment) et enfin d'un certain nombre d'études
commandées aux architectes reconstructeurs pour de grandes villes sinistrés (Perret à Amiens,
Arretche à Blois...).

De la reconstruction à la construction

Vingt-deux ministères, dix-sept hommes politiques, onze appellations différentes : la vie du


ministère de la Reconstruction, pour longue et aventureuse qu'elle semble être — de novembre 1944

des6. changements
Le sigle «MRU»
d'intitulé.
désignera ici le ministère jusqu'en 1958, faisant abstraction, pour la commodité de l'exposé,

74
Bilan des dommages de guerre de la Libération au 30 septembre 1950

I - ÉTENDUE DES DOMMAGES

I. 1. - Nombre de bâtiments détruits et reconstruits

Détruits Reconstruits
de la
Type d'habitations ou Libération A réparer Observations
irréparables au 30.9.50

Bâtiments à usage principal d'habi¬


tation ....................... 269 000 21 400 247 600 dont 33 700 en cours de recons¬
truction au 30 septembre 1 950.
Bâtiments des exploitations agrico¬
les .......................... 130 000 13 500 1 16 500 dont 17 400 en cours de recons¬
truction au 30 septembre 1 950.
Bâtiments industriels, commer¬
ciaux et artisanaux ............. 55 000 9 000 46 000 dont 10 000 en cours de recons¬
truction au 30 septembre 1950.
Bâtiments des collectivités locales 6 000 450 5 550 dont 1 300 en cours de recons¬
.

truction au 30 septembre 1 950.

I. 2. - Nombre de bâtiments partiellement sinistrés et réparés


Définitivement Ayant fait l'objet
Type d'habitations Partiellement réparés de réparations A réparer
sinistrés de la Libération de la Libération
au 30.9.49 au 30.9.49

Bâtiments à usage principal d'habitation. 1 082 000 473 400 487 600 121 000
409 400 169 000 175 000 65 400
.

Bâtiments des exploitations agricoles ....


Bâtiments industriels, commerciaux et
artisanaux ......................... 122 600 66 500 43 700 12 400
Bâtiments des collectivités locales ....... 46 800 22 070 22 410 2 320

I. 2 bis. - Réparations effectuées du 1.10.49 au 30.9.50


Type d'habitations Définitivement réparés Ayant
de réparation
fait l'objet

Bâtiments à usage principal d'habitation ................ 65 400 71 300


Bâtiments des exploitations agricoles ................... 26 500 28 400
Bâtiments industriels, commerciaux et artisanaux ........ 9 000 14 000
Bâtiments des collectivités locales ..................... 4 800 4 000

Source : Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme (ministre : Eugène Claudius-Petit), La Documentation française,


présidence dudeConseil.
financement la reconstruction.
En annexe au rapport sur la séance du Conseil économique du 20 décembre 1950 consacrée au
Cité par A. Kopp, F. Boucher, D. Pauly, l'Architecture de la reconstruction, Paris, Editions du Moniteur, Paris, 1982.
75
Le MRU : ministères et ministres. 1944-1958
Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme Raoul Dautry* 1944-1946
Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme François Billoux* 1946
Ministère des Travaux publics, des Transports et de la Reconstruction Jules Moch 1946
Sous-Secrétariat d'Etat à la Reconstruction René Schmitt 1946
Ministère de la Reconstruction Charles Tillon 1947
Ministère du Commerce, de la Reconstruction et de l'Urbanisme Jean Letourneau 1947
Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme René Coty 1947
Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme Eugène Claudius-Petit** 1947-1952
Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme Pierre Courant 1952
Ministère de la Reconstruction et du Logement Maurice Lemaire 1953
Ministère du Logement et de la Reconstruction Maurice Lemaire 1954
Ministère de la Reconstruction et du Logement Eugène Claudius-Petit (Intérim) 1954
Ministère des Travaux publics, du Logement et de la Reconstruction Jacques Chaban-Delmas 1954
Ministère du Logement et de la Reconstruction Maurice Lemaire 1954
Ministère de la Reconstruction et du Logement Roger Duchet 1955
Secrétariat d'Etat à la Reconstruction et au Logement, à l'Industrie et au Bernard Chochoy 1956
Commerce
Secrétariat d'Etat à la Reconstruction et au Logement Bernard Chochoy 1956
Sous-Secrétariat d'Etat à la Reconstruction et au Logement Pierre Felice 1956
Secrétariat d'Etat à la Reconstruction et au Logement Bernard Chochoy 1957
Sous-Secrétariat d'Etat à la Reconstruction et au Logement Jacqueline Thome-Patenôtre 1957
Ministère de la Reconstruction et du Logement Pierre Garet* 1957
Ministère de la Reconstruction et du Logement Michel Debré (Intérim) 1958

* Deux fois.
** Six fois.

à juin 1958 — , est tout entière orientée vers le passage de la reconstruction à la construction. Le mot
même de reconstruction ne disparaît pourtant pas des intitulés avant l'extrême fin de la période
étudiée : c'est l'arrivée de Pierre Sudreau qui inaugure la phase nouvelle quand il est nommé, le
9 juin 1958, ministre de la Construction. Auparavant, et depuis 1944, jamais le terme de construction
n'avait été employé pour désigner l'administration dont elle dépendait.
L'appellation des ministères n'est pas seulement issue de simples hasards sémantiques ; elle n'est
pas davantage l'unique résultat de savantes alchimies où entrent de subtils dosages politiques : à
toute dénomination équivaut une fonction. Une étude des fréquences avec lesquelles les termes sont
employés pour désigner l'organisme appelé à s'occuper des questions urbaines est dès lors
éclairante : huit mots, employés seuls ou associés à d'autres, en donnent les titres et attributions.
Dans l'ordre chronologique d'apparition, ce sont : reconstruction, urbanisme, travaux publics et
transports, commerce, logement, industrie et construction. Le mot reconstruction, seul ou non, est
utilisé vingt-deux fois, c'est-à-dire continûment, de 1944 à 1958 ; viennent ensuite, dans l'ordre
décroissant : logement, urbanisme, puis commerce et travaux publics, transports, industrie et
construction. Il faut attendre 1958 pour que le préfixe re de reconstruction soit abandonné. On ne
peut évidemment totalement dissocier la naissance d'un ministère de la Construction des
transformations dues à la fin de la IVe République et à l'arrivée de De Gaulle au pouvoir. Pour
celui-ci, les plaies matérielles de la guerre étaient cicatrisées. Les maux dont souffrait la France
étaient avant tout politiques, et s'il fallait reconstruire, c'était plus sur le plan institutionnel que dans
le secteur économique. Mais si le pâssage de la reconstruction à la construction coïncide avec le
changement de régime, il correspond aussi à l'évolution interne des problèmes propres au domaine
76
reconstruire pour construire
de l'après-guerre : treize années se sont écoulées depuis la victoire, la quasi-totalité des villes
ravagées ont désormais leur nouveau visage.
Moins significatif est l'emploi des mots commerce, transports, industrie : les nécessités politiques
des remaniements ministériels expliquent leur apparition et leur disparition. Par contre, les aléas de
la présence ou de l'absence des mots urbanisme et logement traduisent des choix délibérés.
L'urbanisme semblait une tâche prioritaire dès septembre 1944 : il figure dans les premières années
de l'existence du ministère. C'est la grande préoccupation de deux ministres appelés à sa tête pour
cette raison, Eugène Claudius-Petit et Pierre Courant. D'autres, plus «politiques» ou «administra¬
tifs», n'en font pas leur cheval de bataille. Pour des raisons fort différentes, ni René Schmitt, ni
Charles Tillon, ni Maurice Lemaire n'ont voulu particulièrement que le terme soit inscrit dans leur
administration. On peut tenir le même raisonnement, avec ce qu'il a de schématique et de réducteur,
pour le mot logement. A partir de 1953, la pression de l'opinion est trop grande pour que le
gouvernement ne s'attaque pas au problème, quitte à sacrifier une politique urbaine plus générale :
Eugène Claudius-Petit y voyait une régression génératrice de désordre et de dysfonctionnement à
moyen terme. Il ne pouvait que passer la main.
Noms de ministres et de ministères sont cependant insuffisants pour l'étude de l'institution.
Celle-ci, on l'a dit, reprend la succession de Vichy et, dans ses débuts, modifie peu les principes de
l'organisation générale, une fois accomplie la fusion entre le CRI et la DGEN. Celle-ci a été
acquise en quelques mois, entre l'automne 1944 et l'été 1945. Elle ne s'est pas accomplie sans heurts,
mais, dans l'ensemble, une épuration en douceur et une passation de pouvoirs graduelle ont aplani
les principales sources de conflit7. Cela a permis le démarrage rapide de l'action du MRU. Partagés
entre l'administration centrale et les services extérieurs, les «départements» (directions, services,
commissariats, délégations) reprennent les grands secteurs d'intervention. De fait, les services de
l'administration ont trois grandes préoccupations également importantes, identiquement urgentes,
mais senties fort différemment par l'opinion et par le gouvernement.
L'une concerne la reconstruction — et d'abord les dommages de guerre, attribution première du
MRU. Les services dont ils relèvent élaborent entre 1946 et 1950 un arsenal législatif : destiné à
envisager tous les cas de figure, il concerne aussi bien les reconstitutions à l'identique, les
associations de sinistrés, les procédures de remembrement et de cession que les différentes formes de
financement. Commissariat général aux dommages de guerre jusqu'en 1949, ensuite direction, puis
section dans les services de l'aménagement du territoire en 1956, ce secteur a été l'un des plus
importants du ministère, du fait des ramifications que ses attributions impliquaient et de la diversité
des domaines qu'il touchait. D'autres branches spécifiques de la reconstruction ont une existence
plus brève : la direction du déminage, par exemple, dont la mort administrative en 1948 correspond à
l'achèvement quasi total du travail, ou celle des matériaux et des constructions provisoires, rendue
caduque par l'enrichissement progressif du pays.
A côté de la préoccupation de reconstruire, au sens restreint du terme, vient celle — plus vaste —
de l'aménagement du territoire par un urbanisme raisonné. En 1945, bien que l'idée en soit présente,
c'est la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction qui en a la charge.
Puis, de façon continue jusqu'à la naissance de la DATAR (1963), un service s'individualise et
s'autonomise. Ainsi, avec l'arrivée de Claudius-Petit est créée, en 1949, la Direction de
l'aménagement du territoire à laquelle un service du logement est rattaché en 1951. Cette direction
coiffe à la fois les plans d'aménagement et de reconstruction, les opérations de zoning et celles de
décentralisation industrielle. C'est elle qui élabore le plan national de l'aménagement du territoire,
qui supervise certaines actions de remembrement d'une «politique de l'habitat». Au-delà d'un
certain nombre de remaniements de services dus souvent à des impératifs techniques (par exemple,
les transformations de l'aménagement du territoire) et parfois à des questions politico-
administratives (comme le rattachement du désobusage, dont le ministère de la Guerre ne voulait

personnel
apportera
7. L'étude
des
politico-administratif
de
éléments
la fusion
déterminants
entre de
le CRI
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de
l'hypothèse
la création
de du
la continuité
MRU estentre
à peine
les institutions
esquissée. etElle
le
plus, au service du déminage), les questions d'urbanisme et d'aménagement ont toujours semblé
primordiales aux techniciens. Cependant, la troisième préoccupation — dont l'importance grandit
dès la fin des années quarante et bien plus au début de la décennie suivante — devient peu à peu un
problème politique essentiel : il faut faire face à la crise du logement, qui assombrit la vie des
Français.
A partir de 1946, le logement relève de la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitation et de
la construction. Il ne constitue pas un domaine autonome, bien que le service des études de la
construction ait en particulier la main sur la politique générale de l'habitat, la recherche des procédés
et des matériaux nouveaux et les logements insalubres. Après 1953, avec la fin des grandes
opérations de reconstruction, la Direction de la construction, créée en 1949, renforce ses pouvoirs
notamment en recevant l'organisation des chantiers du secteur industrialisé. Pourtant, les questions
primordiales sont posées dès les débuts du M R U : un décret de décembre 1945 avait confié à celui-ci
les anciennes attributions du ministère de la Santé publique en matière d'habitations à bon marché
(H B M) 8. La problématique n'est pas différente dix ans plus tard, au moment où la direction se voit
confier le secteur des habitations à loyer modéré (HLM). A l'actif de ces différents services : le
délicat équilibre entre le locatif (c'est le sens de la loi de 1948 sur les loyers) et l'accession à la
propriété (mise en place des prêts à la construction, prêts spéciaux du Crédit foncier...), la mise en
route des grands programmes de construction de logements collectifs peu coûteux, la prise en compte
des développements démographiques (même si les décalages n'ont jamais pu être surmontés).
Derrière l'image complexe de l'organigramme des bureaux, sous-directions et services, une
administration très structurée se dessine où, malgré des méandres inattendus qui ont pu ralentir le
règlement de quelques dossiers, où une décennie est souvent nécessaire au règlement de certains
sinistres, les récriminations relativement peu nombreuses du public sont peut-être la preuve que des
techniciens se sont affairés pour obtenir les meilleurs résultats. Il me semble que, si le
développement de l'urbanisme français dans le troisième quart du xxe siècle a pu donner une
impression d'improvisation et même d'incohérence, cela ne doit pas être imputé aux défaillances
d'un seul ministère. N'y aurait-il pas plutôt une impossibilité globale et structurelle pour les
politiques urbaines à penser l'avenir des villes et de leurs habitants ? Car comment conceptualiser
l'urbain? Peut-on, au niveau politique, faire intervenir tous les paramètres et sacrifier le confort
immédiat d'un électorat exigeant à un aménagement futur dont la maîtrise de tous les éléments est
incertaine? Questions essentielles que l'activité au jour le jour de l'institution tend à laisser au
second plan et que les techniciens abandonnent avec plus ou moins de regret aux politiques.

Le personnel

grande
capacité
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reconstruction.
les
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1947.
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1944,
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la

8. Même si, dans les faits, il faut attendre 1947 pour que les HB M passent réellement sous son contrôle.
78
reconstruire pour construire
300 000 hectares, répartis essentiellement dans les départements côtiers et frontaliers. La tâche,
commencée par les ingénieurs du génie rural du ministère de l'Agriculture, incombait à la Guerre,
mais, considéré comme un préalable à la reconstruction, le déminage est confié au MRU. A sa tête,
Raoul Dautry nomme Raymond Aubrac, choisi moins en sa qualité d'ingénieur des ponts et
chaussées qu'en celle d'ancien commissaire de la République à Marseille. Nomination «politique»
donc, mais étroitement dépendante de la possibilité du nouveau directeur de s'entourer de
techniciens. Celui-ci a toute latitude pour former son outil comme il l'entend, dans la ligne cependant
de celle du MRU : organisation pyramidale où l'administration centrale, parisienne, est la pierre
angulaire d'un réseau décentralisé de délégations régionales et départementales. Ingénieurs,
officiers, camarades de résistance forment les cadres. La nouveauté du service vient, d'une part, des
moyens accordés : malgré la pénurie de véhicules et de détecteurs, les démineurs ont souvent
priorité, et les obstacles matériels, pour importants qu'ils soient, sont aplanis plus facilement que
pour d'autres secteurs. D'autre part, le MRU ne recrute que sur contrats à durée limitée : le pari
d'une mission brève permet de prévoir le licenciement dès l'embauche. Enfin, le caractère
spectaculaire du déminage n'est jamais minimisé : les conférences de presse, l'utilisation de la radio
et les contacts avec les collectivités locales permettent au MRU de soigner sa publicité.
Compatissant aux malheurs des blessés (démineurs et civils), attentive à calmer les impatiences de
populations traumatisées par la gravité et l'injustice des accidents, la Direction du déminage a
contribué à forger l'image d'un ministère actif et efficace, même si on l'a tout aussi promptement
accusée de lenteur et d'incompétence. Le fait que le déminage prévu pour durer de longues années
ait été accompli en deux ans et qu'un service liquidateur soit simplement chargé des séquelles dans
l'année 1948 reste, sur le plan administratif, probant.
Dans un autre registre, le cas de la Direction de l'urbanisme et de l'habitation est lui aussi
significatif. Les listes du personnel provenant de la D G E N et mis à sa disposition en 1945 sont
éloquentes : la plupart des noms sont les mêmes, à commencer par le directeur général André
Prothin et son adjoint Yves Salaün. Autour d'eux, on retrouve entre autres Gibel (service de
l'aménagement du territoire) et Thiébaut (service administratif). S'ils avaient eu des activités
communes dans les années noires, leur collaboration est plus ancienne : par exemple, avec
Jacqueline Sialleli qui s'occupera à partir de 1952 des questions de remembrement, ils ont joué un
rôle notable dans l'organisation de l'Exposition de 1937. C'est pourquoi, ici, la nomination est tout
aussi politique, car la meilleure façon de rendre hommage à la compétence des techniciens est la
décision éminemment politique de les confirmer dans leur fonction. Personnel formé dans les années
trente et qui assurera la continuité jusqu'à la fin des années cinquante, les directeurs restent à leur
poste, alors que passent les ministres. On retrouve là le dessein continu qui s'est heurté aux
contradictions entre les plans généraux sur le long terme — chers à tous ces techniciens — et les
nécessités politiques du court terme : rebâtir vite — au prix même d'un bricolage revendiqué par
François Billoux, par exemple, mais que les hommes de terrain ont toujours déploré.
C'est dans la question du logement que les oppositions ont été les plus graves et les plus marquées.
La plupart de ces fonctionnaires se réclament du « mouvement moderne » ; attentifs aux idées des
Congrès internationaux d'architecture moderne (CI AM), ils espéraient que l'après-guerre verrait la
généralisation d'un urbanisme nouveau : logis confortables, organisation fonctionnelle, aménage¬
ment planifié. Or, la crise aiguë du logement, les demandes pressantes de la population entraînent
des conflits entre politiques et techniciens. Les premiers agissent dans le court terme, au jour le jour,
pressent leurs services de leur donner les moyens de réaliser les promesses et leur vision générale de
la question. Ceux-ci ont alors à élaborer les normes, mettre sur pied des programmes à réalisation
rapide, généraliser les fabrications en série. Il s'agit pour le ministère d'atteindre les objectifs de mise
en chantier qui permettraient de disposer sur le marché de 300 000 logements nouveaux par an. Or,
on est loin du compte : à la fin de 1952, on atteint tout juste les 100 000. Cette nécessité politique,
renforcée l'année suivante par la campagne de l'abbé Pierre, est à l'origine des lois de 1953 (1 % du
montant des salaires versé par les entreprises pour le logement, Logecos. . .). Le décollage reste lent :
en 1951, le concours de Strasbourg pour un ensemble de logements collectifs, qui se voulait pourtant
industriel, ne portait que sur huit cents unités. On dépassera le millier les années suivantes pour
d'autres concours et, en 1954, l'inspecteur général Hugues de Fraysseix pourra se satisfaire des
79
résultats. Il annonce dans son rapport annuel pour 1954 la mise en chantier de 240 000 logements. Ce
qui ne veut pas dire qu'ils sont achevés.
Là réside la question : les techniciens déplorent les changements de normes, les correctifs aux
programmes, la hâte qui permet à des groupes d'habitations de sortir de terre en dehors de toute
infrastructure commerciale, de transport ou d'emplois. Il a fallu loger, vite. L'innovation et la
modernisation en ont pâti ; le parc immobilier aussi. S'est alors mal taillée la cote qui, des cités
d'urgence, a conduit aux grands ensembles et aux villes nouvelles.
Réponse imparfaite des urbanistes aux demandes contradictoires des politiques : reconstruire pour

Organisation du MRU d'après le décret du 23 mai 1946

Administration centrale
1. Inspection générale Inspection générale administrative
Contrôle général technique
2. Secrétariat des délégations départementales
3. Directions et services
• Direction de l'administration générale Service du personnel et du matériel
Service du budget et du contrôle financier
Direction
de l'habitation
générale
et dede lal'urbanisme,
construction Service de la documentation et du plan
Service de l'aménagement du territoire
Service des projets, des travaux et du remembrement
Service des études et de la construction
Service du contentieux et du logement
• Direction générale des travaux Sous-direction de la main-d'œuvre
Sous-direction des matériaux, transports et constructions
provisoires
Sous-direction des travaux exécutés par l'Etat
Sous-direction des entreprises et marchés
• Direction du déminage Sous-direction des études
Sous-direction des travaux

Service juridique
4. Commissariat général aux dommages de guerre
• Direction juridique
• Direction administrative Sous-direction des bâtiments et habitations
Sous-direction de l'agriculture et industries annexes
Service de l'industrie et du commerce
Sous-direction des bâtiments et services publics
• Direction financière
• Contrôle des services départementaux des
dommages de guerre
Services extérieurs
1. Délégations départementales
2. Représentations départementales du déminage

80
reconstruire pour construire

Ecole de déminage et de désobusage.

les sans-abri, construire pour satisfaire la demande de toutes les catégories de la population, adapter
les villes sans heurter les goûts des sinistrés, payer les reconstitutions par les dommages de guerre et
stimuler l'initiative malgré les lenteurs de l'examen des dossiers qui paralysaient maintes opérations.
Si la coupure est importante avec le personnel politique (avec bien des nuances selon les services et
les ministres), elle est moindre entre personnel technique et administratif. Une grande partie de
celui-ci, on l'a dit, est en place depuis 1940, et c'est une des caractéristiques des organismes de
l'époque d'avoir imbriqué les deux fonctions. Cette osmose a été durable. Sans revenir sur les
continuités dans les modes et les critères de recrutement, citons, pour l'exemple, le cas de Robert
Auzelle9. Ayant soutenu sa thèse à l'Institut d'urbanisme en 1942, il est sollicité par André Prothin,
qui constitue son équipe d'architectes. Son refus, pour des motifs politiques, ne lui porte pas
préjudice et ne décourage pas ses employeurs potentiels. A nouveau pressenti en 1945, toujours à
l'initiative de Prothin, mais cette fois par l'intermédiaire de Joseph Marrast, qui avait été délégué
régional de la DGEN, il devient inspecteur général adjoint pour la Bretagne. Il poursuivra sa
carrière au MRU, essayant, à la direction du Centre d'études, de mettre en application les idées de
ces milieux formes à l'urbanisme et à l'aménagement. N'ayant jamais abandonné la construction, il
est le type même des fonctionnaires pour qui, des couloirs des ministères aux chantiers provinciaux,
la route n'est pas rompue.
En effet, de l'administration centrale parisienne, logée à partir de 1948 dans les locaux neufs de
l'avenue du Parc de Passy, dépendent les services extérieurs, et c'est à travers eux que les directives
sont mises en application. Un rapport sur leurs activités pendant l'année 1956 donne la mesure des
difficultés et du travail accompli : l'inspecteur général y consigne les efforts des 90 directions
départementales. A cette date, une partie du personnel affecté depuis dix ans aux questions relatives
aux dommages de guerre peut enfin s'occuper d'urbanisme et de construction. De nombreux dossiers
restent en souffrance, mais ce n'est plus pour des raisons matérielles : bon nombre de bureaux
administratifs ont reçu une installation définitive ; les services disposent « à peu près tous de
machines à écrire, d'un duplicateur, d'un appareil à tirer les plans et d'une machine à calculer10».

9.10. JeArchives
remercieduRobert
MRU, Auzelle
IG 128.
de l'entretien qu'il a bien voulu m'accorder et au cours duquel il a confirmé ces faits.

81
Même évolution à la direction départementale des Côtes-du-Nord (1956) : «Cette direction
consacre désormais son activité aux tâches de caractère permanent. Il ne subsiste en effet, pour les
dommages de guerre, qu'un échelon constitué par deux agents, un commissaire et un vérificateur
technique, lesquels achèvent l'examen des dossiers immobiliers et assurent les liaisons nécessaires
avec le centre liquidateur de Rennes11.»
Sous la direction de l'inspecteur de l'urbanisme et de l'habitation Gorrel, vingt-huit agents
s'occupent de l'administration générale, de l'urbanisme (affaires foncières et lotissement, projets
d'aménagement), de la construction (permis de construire) et des «études et travaux» (contrôle des
HLM et du 1 % patronal, étude des prix de revient de la construction, gestion des constructions
provisoires et des îlots insalubres).
Au-delà du caractère anecdotique et descriptif de cet exemple, c'est toute l'organisation et la
marche du MRU qui se dessinent, marquant ainsi l'importance des inspecteurs généraux.
Déjà sous les gouvernements de Vichy, des «urbanistes d'Etat» avaient la charge de
circonscriptions groupant plusieurs départements (dix-neuf en 1943). Ils devaient superviser
l'ensemble des travaux d'urbanisme et coordonner les actions. En 1943, ils prirent le titre
d'inspecteurs généraux de l'urbanisme. Ils avaient alors des fonctions techniques et administratives,
menant à la fois des études d'aménagement et des opérations de contrôle dans lesquelles étaient
incluses des attributions financières. Leur domaine néanmoins était celui de l'urbanisme, et le M R U
les débaptisera en 1946 pour leur redonner le titre d'urbanistes en chef.
Cependant, des inspecteurs généraux, aux fonctions similaires, sont venus les remplacer : c'est par
un décret de juin 1946, en effet, qu'est réorganisée l'inspection générale. Trente-trois inspecteurs
deviennent alors les délégués directs du MRU dans les régions. Recrutés par concours, ils doivent
obligatoirement sortir d'une grande école 12 et ont un double rôle : administratif et technique. A la fin
de 1948, leurs attributions sont définitivement fixées : ce délai a été nécessaire pour régler le sort des
délégations départementales qui relevaient de leur autorité et dont il a fallu déterminer les

guerre,
11. Polytechnique,
12. Archives
Sup Aéro,
du MRU,
France
Centrale,
d'outre-mer.
rapports
Ponts-et-Chaussées,
des (Décrets
inspecteursn° Mines,
46-1344,
généraux,
Supélec,
6 juin
Côtes-du-Nord,
Agro,; n°Sciences
1946 47-1046,
1947-1959.
politiques,
10 juin 1947.)
Navale, Ecole de

82
reconstruire pour construire
regroupements en plus vastes circonscriptions. Celles-ci fonctionnaient depuis l'Occupation ; la perte
d'une autonomie relative, les disparitions administratives qu'impliquait l'avancement de la
reconstruction, l'allégeance qu'elles devaient aux nouveaux inspecteurs n'ont pas toujours été
facilement admises. Le système semble avoir bien fonctionné dès le début des années cinquante et, à
en croire les rapports annuels des inspecteurs généraux, les heurts d'attributions n'ont pas été si
fréquents.
Diriger, décider ; gérer, administrer ; inspecter. Reste une dernière catégorie de personnel
employée au M R U : ceux qui construisent, les bâtisseurs. « Hommes de l'art », comme les appellent
traditionnellement, respectueusement les textes ministériels, ils ont bénéficié de 1940 à 1958 d'une
grande sollicitude de la part des pouvoirs publics. Rappelons que Vichy avait créé l'ordre des
architectes. Au-delà du caractère corporatiste général de l'idéologie de la Révolution nationale, on
peut souligner là une volonté de réglementer la profession, volonté qui s'exprime par l'obligation de
principe pour tout architecte d'être diplômé. L'Etat s'arroge le privilège et de reconnaître le diplôme
et de l'attribuer au moyen du paiement par l'impétrant d'une sorte de taxe de reconnaissance 13 . Ainsi
le titre d'architecte « diplômé par le gouvernement » (D P L G) signifie à la fois que l'homme de l'art a
suivi l'enseignement d'une école ou qu'il a été suffisamment fortuné par «acheter» son titre au
gouvernant.
De plus, sitôt promulguées les lois sur la reconstruction, le CRI, puis la DGEN embauchent
architectes et urbanistes. Des contrats lient les recrues à l'administration : marchés avantageux dans
ces temps difficiles, puisqu'ils assurent un travail rémunéré par l'Etat. On a vu que les circonstances,
qui ne favorisent pas l'acte de bâtir, ont confiné les constructeurs dans le domaine du projet et que les
édifices sont le plus souvent restés couchés sur le papier ; mais des agences et des cabinets
d'architecture ont perpétué leur rôle de conseillers du pouvoir.
Cette activité de conseil est concrétisée par la place que les architectes occupent dans les deux
comités assistant le CRI et la D GEN dans le domaine de l'urbanisme et de la construction. Au
Comité national de la reconstruction, qui comprend quatre sections 14 , siègent obligatoirement deux
architectes et trois urbanistes. Renouvelable tous les ans, il commence à siéger au printemps 1942 ;
son dernier mandat expire en avril 1945. Pour sa dernière année d'existence s'y sont côtoyés les
architectes Auguste Perret et Camille Lefevre, les urbanistes Marrast, Renaudy et Bérard. Il
disparaît avec la victoire des Alliés et la naissance du MRU.
Par contre, le Comité national d'urbanisme, créé en mai 1941 et qui a eu la haute main, nous
l'avons vu, sur tous les projets de reconstruction, est reconduit par le MRU. Ses attributions sont
confirmées ; s'y ajoutent celles qui étaient auparavant dévolues au Comité national de la
reconstruction. Jusqu'en 1957, les architectes et urbanistes qui le composent orientent les décisions
de l'administration. Il est remplacé, à ce moment-là, par le Haut Conseil de l'aménagement du
territoire : transformation institutionnelle, mais qui correspond également à un tournant pour la
position des architectes. Jusqu'alors, ils étaient majoritaires dans toutes les instances qui présidaient
aux plans d'aménagement et de reconstruction. Ils ont fait adopter leurs conceptions urbaines et ont
orienté les décisions en fonction de leurs sensibilités esthétiques. Pour la plupart fidèles tenants de
l'Ecole des beaux-arts, d'abord architectes et ensuite urbanistes, ils n'ont pas infléchi très fortement
les conceptions (incertaines en matière d'architecture) des cabinets ministériels vers des engagements
neufs. A la fin des années cinquante, des ingénieurs des ponts et chaussées les remplacent peu à peu.
Champions de l'aménagement, des zones à urbaniser en priorité (ZUP) et des zones
d'aménagement différé (Z AD), ceux-ci tenteront avec un certain succès de renvoyer les architectes
baptisés urbanistes à leurs chères façades.
Jusqu'à ces changements, les architectes sont souverains. En particulier, leur rôle est primordial
dans les conseils d'architecture mis en place par un arrêté de juin 1946. Leurs attributions sont fort

En14.
la
agréments.
13.
part
1939,
Pour
Le
des
par
Comité
donner
architectes
rapport
national
leàtitre
l'ensemble
diplômés
de
d'architecte,
la reconstruction
de larelativement
est profession,
le régime
est composé
dequi
faible.
Vichy
admettait
de
demande
quatre
en son
à l'impétrant
sections
sein géomètres,
: urbanisme,
de payer
vérificateurs,
architecture,
ou d'avoirdessinateurs...,
payé
contentieux,
patente.

83
étendues : dans chaque département, ils donnent notamment leur avis « sur la doctrine générale de la
reconstruction», arbitrent «sur les différends qui peuvent surgir au point de vue de la conception
architecturale entre les architectes» et veillent «aux possibilités matérielles et financières de
réalisation
le MRU s'estde chaque
attaché
projet».
les services
Pouvoird'architectes
en définitivefonctionnaires
extraordinaire,: qui
selons'explique
une structure
par la façon
fortement
dont
hiérarchisée, un corps d'hommes de l'art agréés a été créé. Avant même l'examen de la demande
d'agrément, le candidat a dû prêter serment : « Je jure de bien et fidèlement remplir en mon honneur
et conscience les missions qui me seront confiées pour la législation sur la reconstruction et les
dommages de guerre 15 . »
Les commissions d'agrément fonctionnent à partir de juin 1946. Huit ans plus tard, elles
continuent d'examiner et de classer les demandes ; tous les architectes qui travaillent à temps complet
pour le M R U sont automantiquement reçus : ce sont des fonctionnaires du ministère. Pour ceux qui
continuent, au moins pour une part, l'exercice libéral de leur profession, recevoir l'agrément leur
donne le titre d'architectes reconstructeurs, sans qu'ils renoncent pour autant à leur clientèle privée.
Quelques postulants ont essuyé des refus motivés par leur incompétence, leur engagement politique
ou d'autres raisons qu'il n'est pas toujours clair de démêler. L'importance de l'architecte agréé et
assermenté vient de ce que « l'évaluation des dommages à laquelle il procède sert de base à la fixation
de l'indemnité due au sinistre 16 ». C'est donc un expert tout autant qu'un bâtisseur. S'il perd de vue la
mission qu'il lui est ainsi confiée, se laissant entraîner dans des évaluations fausses ou des marchés
tendancieux, l'agrément peut lui être retiré.
Pour les activités de construction proprement dites, la hiérarchie stricte d'architectes en chef, de
secteur et d'opération est un gage d'efficacité administrative ; elle a pu tout autant limiter les
initiatives, écarter des projets novateurs et favoriser des querelles intestines à l'intérieur de la
profession.
Malgré cela, cette période d'intense construction leur a été favorable : commandes nombreuses et
chantiers multiples permettaient d'exercer tous les talents, d'exprimer bien des tendances,
d'expérimenter nombre de façons. Pourtant, les bilans parfois nuancés que les bâtisseurs dressent de
leur action entre 1940 et 1960 ne sont pas exempts de critiques et de regrets. Sans aller jusqu'au
réquisitoire, des personnalités aussi diverses que Robert Auzelle ou Eugène Claudius-Petit sont
sévères, tant par leurs écrits que dans les entretiens qu'ils accordent aux historiens17. Mais, si un
certain effroi devant les transformations du paysage français, qu'ils ont contribué à façonner, peut
paraître ici et là18, la reconstruction reste pour beaucoup de bâtisseurs l'âge d'or où le travail était
possible et la planche à dessin rarement désertée.
Danièle Voldman

15. Article 7 de l'arrêté du 19 janvier 1946, Journal officiel , 26 janvier 1946.


16. Notice sur le rôle des architectes en matière de dommages de guerre, brochure de MRU, 1948 (IG 175).
17. Je remercie Eugène Claudius-Petit des longs entretiens qu'il a bien voulu m'accorder. Pour les témoignages
quelque
P. Randetpeulorsdésabusés
de séminaires
de grands
enregistrés
décideurs,
à l'Institut
je pensed'histoire
particulièrement
du tempsauxprésent.
récits de P. Dufournet, Y. Salaün et
d'urbanisme,
18. Par exemple,
Centrel'ouvrage
de recherches
édité par
et lade Confédération
rencontres d'urbanisme,
française pour
1981.
l'habitation et l'urbanisme, Trente-Cinq ans

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