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Revue des Études Grecques

La théologie de Platon
Édouard Des Places

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Des Places Édouard. La théologie de Platon. In: Revue des Études Grecques, tome 59-60, fascicule 279-283,1946. pp. 461-
466;

doi : https://doi.org/10.3406/reg.1946.3101

https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1946_num_59_279_3101

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LA THÉOLOGIE DE PLATON

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Notons dès la « préface » quelques idées directrices. « 11 y a une théologie


platonicienne distincte de la théorie des Idées, quoique naturellement non sans
relations avec elle ». Le livre X des Lois, comme le reste des Lois, a été
longtemps indûment négligé. On « rattachera cet important ensemble à la fois aux
phases plus centrales de la philosophie de Platon et au développement de la
pensée grecque en général ». Edward Caird, dont les Giff'ord Lectures t'ont
autorité en la matière, n'a pas asse* tenu compte des Lois (p. vu). Les relations
étroites entre l'État grec et la religion sont fondamentales pour la dernière
expression de la théologie platonicienne (p. vin).
Trois chapitres préliminaires forment la toile de fond, the Background. Le
premier s'intitule La Religion dans la cité (p. 3-14). La discussion théologique la
plus considérable de Platon fait partie d'un ouvrage consacré à la philosophie
politique, les Lois; c'est que pour lui les deux sujets sont intimement liés
(p. 3). 11 faut dire un mot des rapports entre ces deux sphères de la vie
humaine, la religion et la politique, dans les temps qui ont précodé Platon. La
présence des dieux dans la nature est plus généralement reconnue nue la «
religion civique » des Grecs (p. 4). Cependant les « dieux citoyens » (Eschyle, Sept,
v. 253) protègent la cité et partagent son sort (p. 5) : « dans la cité grecque
classique, dévotion à la divinité protectrice et loyalisme envers la cité sont une
seule et même chose » (p. 8); les dieux, éducateurs officiels de la jeunesse, lui
sont présentés comme des modèles de vertu, παραδείγματα αρετής 'ρ. 12).
Dans le chap. Il, La destruction de l'ancienne religion (p. 13-37), la révolte
d'Antigone, que Solmsen, à son honneur, refuse de condamner (p. ."iu. n. 3),
pose le problème des valeurs individuelles que les nobles natures, αγαθοί φύσεις,
ont à maintenir (p. 13-17). L'Influence délétère des sophistes sur la jeunesse
(p. 18), l'immoralité des dieux traditionnels (p. 19-24), le scandale du bonheur

(1) Friedrich Solmsen. Plato's Theology (Cornell Studies in Classical


Philology, XXVII). Ithaca (New-York), Cornell University Press, 1942. ln-8°, ix 201 p.
Prix : $ 2.50.
(2) Recherches de science religieuse, XXII, 1932, p. 338-340.
462 EDOUARD DBS PLACES
des méchants (p. 25-26) aboutissent aux trois impiétés que dénonce le IIe livre
de la République et que le Xe livre des Lois réfutera : négation de l'existence
des dieux, négation de la Providence, puissance des prières et des offrandes
pour séduire les dieux (p 27-28). Les sciences (Anaxagore) menacent la religion
de la cité (p. 29-31), le matérialisme (Thucydide) ébranle la morale (p. 3.1-33);
les dieux, dira Critias, sont l'œuvre des hommes (p. 33-35).
La religion va s'ôdilier sur de nouvelles bases (chap. Ill, Défense et
reconstruction de la religion, p. 38-59 j. Les idées dissolvantes n'atteignaient qu'une
minorité d'intellectuels, et encore ceux-ci admettaient- ils certaines propositions
sur les dieux (p. 38); c'est le cas de Xénophane (p. 39), d'Eschyle et de Pindare,
qui mériteraient chacun un livre (p. 39-40), d'Euripide surtout, qui reflète
toutes les vues sans les unifier (p. 40-48). Un texte comme le chapitre III du
IV· livre des Mémorables ne démontre pas une Providence individuelle, (p. 49-
31), et la philosophie de la nature n'avait pas réussi à prouver une divinité
juste et providente (p. 51-54). Dans les dernières pièces d'Euripide, Tyché,
l'élément irrationnel de la vie humaine, n'est pas encore la déesse hellénistique,
tuais intervient déjà dans l'action (p. 55 51) ; la religion du rationnel et celle de
l'irrationnel apparaissent en même temps ; la philosophie défend la première,
mais la seconde a plus d'adeptes; d'où la polémique antifataliste du
platonisme, de l'aristotélisme, du stoïcisme et même de l'épicurisme (p. 57) (1).

Je ne sais trop comment traduire le titre de la seconde partie (p. 61-127) : A


variety of approaches; il s'agit des différents pas qui conduisent Platon et son
disciple à la notion de Dieu. 11 faut commencer par expurger la religion
traditionnelle (chap. IV, Expurgation, p. 63-74). Peut-on, dit Euthyphron, admettre
les scandales de la mythologie {Eulhyphr., 6-7; p. 63-64)? Les livres II et III
de la République leur intentent un procès en règle et posent en principe la
bonté de Dieu (p. 65-71). La nouvelle cité repose sur une inorale laïque ; les
Idées, modèles que fixeront les gouvernants, ne sont pas identiques aux
dieux; mais ceux-ci, avec les héros, joueront pour les gardiens ce rôle de
modèles (p. 72-73 ; cf. les παραδείγματα άρεττ,ς qu'étaient les anciens dieux, p. 12).
Le second pas est la philosophie du mouvement (chap. V, p. 75-97). « Le
premier pas de Platon montre sa pensée dominée par le concept de perfection
morale... L'État idéal de la République est un modèle qui existe quelque part
dans le ciel » ; comment remédier à l'isolement des Idées (p. 74}'? Les
discussions du Tkéélète, du Parménide, du Sophiste aboutissent à une réhabilitation
du mouvement; l'âme, qui en est douée, sert d'intermédiaire entre les Idées et le
devenir (p. 75-85). Dans le mythe du Politique, l'intérêt de Platon se partage
entre les règnes de la permanence et du changement (p. 85-86). Platon découvre
aussi, par l'astronomie, que les relations des nombres entre eux sont du même
genre que celles des Idées entre elles (p. 86-87). L'onire des mouvements des
corps célestes suppose la puissance du νους, qui agit par le nombre et
l'harmonie (p. 88). Le mouvement parfait est le premier, et son principe est le Dieu
de Platon. Comme l'esprit n'est pas en contact avec le devenir et ne peut
produire la vie, c'est l'âme qui s'acquitte de ces fonctions; cf. Pkédon, 105 c sq.

(1) Le stoïcisme, en général, incline au fatalisme plus qu'il ne l'attaque; cf.


D. Amand, Fatalisme et liberté dans V antiquité grecque, Louvain, 1945, et mon
compte rendu dans L' Antiquité classique, XIV, 1945, p. 252-253.
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(p. 88-89). Dans le Phèdre (et de même Lois X et Timée), elle apparaît comme
la source de tout mouvement (p. 89-90). « La distinction entre le corps et rame
était un dogme fondamental des religions grecques à mystères ; les spéculations
de l'orphisme, du pythagorisme et d'Empédocle sur le sort de l'homme après
la mort, sur la transmigration, le salut et la rédemption ont dû être centrées
sur le concept d'unie... Platon incorpore ces spéculations, sous la forme de
mythes, à la lin de dialogues comme le Gorgias, le Phédon et la République » ;
dès cette période de sa pensée, il assigne à l'âme une place centrale dans sa
théorie de la connaissance; plus tard, il en fait l'intermédiaire entre les règnes
de l'être et du devenir (p. 90; cf. p. 18). La vie ainsi donnée à la nature restaure
celle-ci sur un plan supérieur; mais Platon se refuse à identifier le principe de
la vie avec un élément matériel, fût-ce l'éther, auquel Aristote reviendra (p. 91-
92); l'âme du monde l'emporte sur toutes les autres âmes, qui en sont des
parties ou du moins sont de même matière (p. 93); sur ses rapports avec les
Idées, on ne trouvera pas de discussion dans le mythe du Phèdre, mais bien
dans le Timée et le Xe livre' des Lois \[). 91-95).
Autre accès à Dieu : le pas léléolof/ique (chap. VI, p. 99-122). Il y a plusieurs
façons de sauver, c'est-à-dire d'expliquer le changement : la solution
géométrique du Timée, les concepts de mesure et de symétrie dans le Politique et le
Pkiiebe, les divisions du Sophiste. La méthode téléologique implique une
conception de la divinité fort différente de celle que suppose la théorie des
mouvements; elle est en germe dans la critique du système d'Anaxagore, Phédon,
97 c-99 e (p. 98-99). La cause est une un lionne qui inspire la conduite, celle de
Socrate, par exemple, quand il refuse de s'évader; il faut donc remonter au
Bien ;p. 100). Le Timée applique le principe téléologique aux phénomènes; il
sépare nettement les deux sphères de l'être et du devenir; mais le inonde
visible imite de son mieux le monde des Idées (p. 101-102,; sa beauté est faite
de raison et de rationalité; sa perfection, de mesure et de nombre (p. 103-104).
liaison et nécessité se livivnt bataille dans l'homme, où l'issue de la lutte entre
influences bonnes et mauvaises dépend de l'éducation et de la façon de vivre
(p. 105-107). Platon reste optimiste, par sa foi en la puissance de Dieu; sans
qu'on puisse parler de création, le Démiurge fait le monde et le fait par bonté,
« sans envie » (p. 108-111';. La victoire s'obtient par la persuasion, à laquelle
s'oppose la violence (jïia), non la force (κράτος): cf. Tim. 48 a; le pouvoir qui
forme le monde et lutte contre la nécessité est l'esprit, plus « téléologique »
que l'âme (p. 112 ; au contraire, au Xe livre des Lois, l'âme prime : p. 116). Il
n'est pas dit que le démiurge soit l'âme divine ; mais il crée l'âme du monde
avant les éléments matériels de l'univers (p. 113-114; cf. 116). « Les corps
célestes aussi sont divins, mais faits par le démiurge» (p. 117). Il n'y a pas
d'ironie sur les dieux à la p. 40 du Timée (1); Platon, dans ses dernières
œuvres, parle amicalement des dieux de la poésie, mais il leur assigne une
place, au-dessous du Démiurge (p. 117-118.)
Résumons de près le chapitre VII (L'influence des religions à mystères, p. 123-
127), qui, avec beaucoup de pondération, met au point une question difficile. La

(1) Où j'en verrais cependant assez volontiers, avec E. Zeller (Die Philosophie
der Griechen, II, 15, p. 932), A. E. Taylor (Plato3, p. 500;, M. Raeder (Plalons
Epinomis, p. 48-49); cf. Revue des Études grecques, L, 1937, p. 324. Mais le P. A.
Bremond, après Grote, admet que Platon veut se tenir à la tradition (Recherches
de science religieuse, XXII, 1932, p. 49-50).
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dette de Platon envers les Orphiques ressort de ses affirmations {Mén. 81 a-c ;
Phéd. 69 c, 81 a; Crat. 400 c ; Lois, IX. 870 d sq., 811 d sq. ; L. VU, 335 a);
Guthrie (Orpheus, p. 158-169; 238-244) a relevé le défi de Wilamowitz (Der
Glaube der Hellenen, II, p. 194 et 197) (1). Dans quelle mesure les mystères ont-
ils contribué à la formation des idées religieuses de Platon? Et quelle
conception de la divinité impliquent les passages où il travaille sur leurs croyances et
leur imagerie? Gorgias et Phédon attestent sa confiance en là Providence, qui
veille sur les âmes humaines, et en la divine justice. Les hommes sont le
troupeau (κτήματα) des dieux. Les discussions des premiers dialogues ne
concluaient pas ; ce sont les religions à mystères qui lui ont donné la certitude ;
elles enseignaient aussi une rémunération après la mort : Platon admet celle-ci,
pourvu que la pureté reste morale et ne dépende pas dune initiation fp. 123-
124). Autre article de foi des mystères : la dignité unique et la qualité divine
ou quasi-divine de l'âme. Cette foi a aidé Platon â faire de l'âme la source de
toute vie, même cosmique, tout en revendiquant philosophiquement la situation
unique de l'âme individuelle (p. 125). Piété et résignation vont bien avec ces
croyances; on trouve de pareils sentiments dans quelques-unes des discussions
religieuses de Platon, comme Lois X. Cette atmosphère des mystères l'a fasciné
et fait contrepoids à ce que ses démonstrations auraient de trop intellectuel
(p. 125-126). Les mythes eschatologiques de Gorgias et de Phédon sont plus près
de l'imagerie des mystères que celui de la République, où Platon voulait insister
sur le choix de l'homme; le mythe de Phèdre innove encore davantage (p. 127,
n. 8).

La troisième partie (The comprehensive picture, p. 129-175) s'occupe
exclusivement des Lois, et avec elles, fait la synthèse. Elle comprend trois chapitres :
VIII. Éoolution naturelle et philosophie de l'âme (p. 131-148) ; IX. Dieu et
l'individu. Téléologie et Providence (p. 149-160) ; X. L'État et le Cosmos. Philosophie de
la loi naturelle (p. 161-174). Bien que les « pas » examinés précédemment ne
s'occupent pas directement du problème religieux, Platon n'y ajoute rien dans
la défense religieuse que sont les Lois (p. 131-132). Platon admet la «
persécution religieuse », mais unit toujours la persuasion à l'autorité; de là les
préambules des lois (p. 132-133) (2). A l'évolution des matérialistes, qui réduisent la
nature à des éléments matériels sans vie, Platon oppose sa classification des
mouvements, dont le dernier nommé est ontologiquement le premier
autonome: il fait dépendre de l'âme la vie cosmique et le règne «le l'ordre (p. 133-
137); il admet incontestablement une « mauvaise âme » du monde, à
rapprocher de l'Ahriman mazdéen, qu'il connaissait (p. 141-142) (3). Que Dieu, lui, soit
bon, cela n'est pas en question ; il ne néglige aucun des intérêts de l'homme,
sa propriété (p. 149-lou). Mais comment expliquer le bonheur des méchants? Il
ne faut pas invoquer la bonté séparée et « autarcique » du Dieu d'Aristole. que
Platon ne connaît pas ; la réponse est dans le rapport des parties au Tout, et
cette subordination de l'individu, comme en politique, annonce le cosmopoli-

(1) J'ai analysé VOrpheus de Guthrie dans les Recherches de science religieuse,
XXVI11, 1938, p. 240-242.
(2) Cf. p. 112 d'après Tim. 48 a.
(3) Cf. E. des Places, in Mélanges Franz Cumont, Bruxelles, 1936, p. 139 ;
ajouter à la bibliographie de la n. 4 : Wilamowitz, Der Glaube der llellenen, \\,
1932, p. 255, n. 2; G. Pasquali, Le Letters di Platone, 1938, p. 153-154.
LA THÉOLOGIE DE PLATON 465
tismc stoïcien (p. 131-156) ; mais dans le plan d'ensemble qui ordonne l'homme
à une fin supérieure, rien n'est plus précieux que les âmes individuelles ; dans
le X° livre des Lois, le thème orphique de la migration des âmes et de leurs
incarnations successives n'est plus un élément rapporté, mais la conséquence
logique de la physique et de la cosmologie platoniciennes (p. 158) ; la nouvelle
conception de l'âme origine du mouvement et pouvoir intelligent qui contrôle
le monde du devenir se combine dans ce livre avec la tradition des mystères
pour suggérer un ordre du- monde où l'âme prédomine (p. 162). Platon essaie
d'établir une nouvelle alliance entre l'État et la Religion : « une étude plus
serrée de la place de la Loi dans son système révélera un rapport plus étroit
entre ses idées religieuses et sa théorie politique » (p. 163). La vraie loi est
une entité spirituelle qui fait partie du cortège de l'âme; elle regarde les biens
de l'âme comme primordiaux (p. 164-166). La base cosmique de la philosophie
du droit chez Platon en fait une théorie de la loi naturelle, entendue autrement
que comme la loi du plus fort (1). « Son attitude à l'égard de la religion est à
la fois archaïque et hellénistique... ; il a fondé la théologie naturelle » (p. 171).
L'âme du monde assume des fonctions précédemment remplies par les Idées,
qui ne sont d'ailleurs pas abandonnées, mais transportées au règne du devenir
(p. 172).
La conclusion (Chap. XI, Influences et transformations, p. 177-195) montre
dans le platonisme la source de tous les systèmes théologiques postérieurs
(p. 177). Seul, le premier moteur transcendant d'Aristote dépasse Platon
(p. 179; cf. 182, 186). La théologie négative du néoplatonisme et des mystiques
remonte au Parrnénide et même à Γ « au-delà de l'essence » de Rép. VI, "iO'J b
(p. 182); la hiérarchie dee êtres, avec Dieu au sommet, se retrouvera jusque
dans le thomisme (p. 181). L'amalgame de la tradition platonicienne et de Πιι-
fluence chrétienne est poussé à l'extrême chez Origène (p. 189-191). Et « l'idée
d'un médiateur entre Dieu et le monde est d'une importance vitale pour le
christianisme », dont « la théologie doit beaucoup à la conception platonicienne
du Démiurge » (p. 192).

Notre analyse ne saurait dispenser de recourir à un livre très dense, dont les
notes abondent eu inferences à Platon et aux commentateurs ou interprètes
modernes. Ces notes doivent se chercher à la fin du chapitre, encore plus
difficile à retrouver que la fin du volume. Ce qui gêne aussi la lecture, c'est l'anglais
un peu laborieux, qui se ressent peut-être de traduire un manuscrit allemand.
On regrette que l'auteur n'ait pas progressé depuis quinze ans sur la question
de VÈpinomis; en 1929, il s'en remettait à la dissertation de Fr. Millier pour
attribuer le dialogue à Philippe d'Oponte; aujourd'hui, il renvoie (p. 96, n. 34)
au compte rendu que B. Einarson a fait du dernier mémoire de II. Raeder (2).
Sans ce préjugé contre l'authenticité, que Taylor appelait « un dogme de l'école

(1) Rappelons à ce sujet le premier des Essays and Addresses de J. Burnet


(Londres, 1929), Loi et nature dans la morale grecque, et les études sur le
fragment de Pindare (169 Schrœder, Ad. 49 Puech) : 0. Schrœder, ΝΟΜΟΣ Ο
ΠΑΝΤΩΝ ΒΑΣΙΛΕΥΣ (Philologies, LXXIV, 1917, p. 195-204); Η. Ε. Stier, ΝΟΜΟΣ
ΒΑΣΙΛΕΥΣ (ibid., LXXX1II, 1927-28, p. 225-258), qui écîairent aussi Hérodote,
HT, 38.
(2) Amer. Journal of Philology, LXI, 1940, p. 365-369. Voir, en sens contraire,
ma chronique de Γ Antiquité classique, XI, 1942, p. 97-102.
REG, LIX-LX, 1916-1947, n° S79-283. 30
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de Jaeger » (1), sa description de la théologie astrale (surtout p. 93 sq.) eût
rapproché avec plus d'assurance les beaux textes de VÊpinomis de ceux de
Phèdre, de Timée et des Lois. En vertu d'une continuité remarquable, l'œuvre
contestée se situe à merveille dans la ligne des dialogues antérieurs, et les
cheminements de la théologie platonicienne, tels que F. Solmsen les retrace,
n'auraient aucune peine à y aboutir. Il reconnaît lui-même (p. 96, n. 25) l'accord
étroit d'Épin. 982 a-c avec « la propre pensée de Platon » (2).
L'unité de cette pensée apparaîtrait mieux encore si le livre se bornait moins
aux démonstrations rationnelles et accordait une place à la piété. Sujet délicat,
sms doute, et où la réserve s'impose; Alfred Groiset ne se défendait-il pas de
vouloir « pénétrer dans le sanctuaire intime » de la conscience de Pindare (3) ?
L'histoire des idées religieuses a pourtant le droit d'interroger les âmes; et il
est bon que la sympathie intuitive d'un André Brémond ou d'un Festugière
vivifie des analyses qui sans elle resteraient mortes ; je pense a la Religion de
Pindare (4) et à la Piété grecque du premier; au Socrate, à Lenfant d'Agri-
gente, à La sainteté du second. A vrai dire, Solmsen ne s'interdit pas
complètement un regard sur l'intérieur; s'il se montre un peu sobre à propos de l'Idée
du Bien, son chapitre sur l'influence des religions à mystères souligne
l'importance de l'atmosphère religieuse du platonisme, et il y revient pour opposer les
Lois à la République, trop exclusivement intellectuelle (p. 169). Les lecteurs de
La religion de la cité platonicienne auront vu la différence entre son livre et
celui d'O. Reverdin, qui ne consacre à « la Théodicée des Lois » qu'une
cinquantaine de pages, par manière de préliminaires, et s'occupe surtout du culte
et du droit religieux (5) : les deux ouvrages se complètent, au grand profit des
Lois.
Edouard des Places.

(1) Sans que W. Jaeger lui-même ait publié son « Essai sur VÊpinomis »
(1913) ; cf. Paideia, t. Ill, trad. G. Highet, Oxford, 1945, p. 337, n. 12. Mais la
conclusion de son chapitre sur les Lois [ibid., p. 262) se trouve formuler à
merveille le dessein de VÊpinomis.
(2) Sur la continuité qui unit Phèdre, Timée, Lois et Èpinomis, cf. mon article
déjà cité des Mélanges Franz Cumont, surtout p. 132-134.
(3) La poésie de Pindare, Paris, 1880, p. 164, n. 1.
(4) Le charme d'Athènes et autres essais, Paris, 1925, p. 74-108.
(5) Olivier Reverdin, La religion de la cité platonicienne, Paris, 1945; cf.
supra, pp. xlviii-l, infra, pp. 497-499, et Recherches de science religieuse,
XXXIV, 1947, pp. 244-2*6.

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