CASEAU
Dossier
de
publications
4
Hagiographie,
culte
des
saints,
Histoire
du
monachisme,
Histoire
de
l’enfance
et
de
la
famille
Béatrice Caseau
Résumé
REB 63, 2005, p. 71-96.
Béatrice Caseau, Syméon Stylite l'Ancien entre puanteur et parfum. - La puanteur est le plus souvent associée avec le péché
dans la littérature chrétienne antique, elle est la conséquence de certaines maladies qui sont perçues comme un châtiment divin.
Cependant, quelques saints ont choisi d'éprouver par eux-mêmes la douleur et le rejet liés à la mauvaise odeur dégagée par les
plaies infectées. Par cette expérience, ils apprennent à éprouver de la compassion pour l'humanité et la patience dans la
souffrance. En cela, ils reprennent le modèle de Job. Les différentes Vies de Syméon stylite l'ancien montrent une variété dans la
manière d'évoquer la puanteur du saint, liée plutôt au choix de l'hagiographe qu'à une différence culturelle entre monde latin,
monde grec et monde syriaque.
Abstract
In late antique Christian literature, stench was usually connected with sin, it was the consequence of some illnesses that were
perceived as a divine punishment. A few saints, however, chose of their own account to experience the pain and rejection linked
to the stench of infected wounds. Through this experience, they acquired compassion for human misery and patience in suffering.
Doing this, they followed Job's model. The different Lives of Symeon Stylite the Elder show great variety when it comes to narrate
the saint's stench, which is not the result of cultural differences between Latin, Greek and Syriac worlds, but rather a matter of
personal choice on the part of the hagiographer.
Caseau Béatrice. Syméon Stylite l'Ancien entre puanteur et parfum. In: Revue des études byzantines, tome 63, 2005. pp. 71-
96.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_2005_num_63_1_2306
Béatrice CASEAU
1 Athénagore, Supplique au sujet des Chrétiens, XIII, 2, éd. B. Pouderon, Supplique au sujet des
.
Chrétiens et Sur la résurrection des morts, Paris 1992, p. 1 10 Ό τούδε του παντός δημιουργός και
:
πατήρ ου δεΐται αίματος ούδ'ε κνίσης ούδε της από των ανθών κα\ θυμιαμάτων εύωδίας, αυτός ων
ή τελεία εύωδία.
2. 2Co. 2, 14, Nouveau Testament, Traduction œcuménique de la Bible, cinquième édition revue.
Paris 1978, p. 375 : The Greek New Testament, fourth revised edition, éd. Β. Aland et alii, Stuttgart
1993. p. 614 την όσμήν της γνώσεως αύτοΰ.
:
3. 2Co. 2, 15-16, Nouveau Testament, comme n. précédente, p. 375 ; The Greek New Testament.
comme n. précédente, p. 615 Χρίστου εύωδία έσμεν τω θεώ έν τοις σωζομένοις και έν τοΙς άπολλυ-
:
μενοις. ο'ις μεν οσμή έκ θανάτου εις θάνατον ο'ις δε οσμή έκ ζωής εις ζωήν.
Revue des Études Byzantines 63. 2005, p. 71-96.
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (4)
72 BÉATRICE CASEAU
4. Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, IV, 15, 37, éd. G. Bardy, Paris 1986, p. 188 : Και
γαρ εύωδίας τοσαύτης άντελαβόμεθα ώς λιβανωτοΰ πνέοντος ή άλλου τινός των τιμίων αρωμά
των ; Le Martyre de Polycarpe, 15, éd. H. Musurillo, The Acts of the Christian Martyrs, Oxford 1972,
p. 14-15.
5. P. Meloni, // profumo dell'immortalità. L'interpretazione patristica di Cantico 1, 3, Rome
1975.
6. B. Caseau, ΕΥΩΔΙΑ. The Use and Meaning of Fragrances in the Ancient World and their
Christianization (100-900 AD), Ann Arbor 1994 ; S. Ashbrook Harvey, The Fragrance of Sanctity:
Incense and Spirituality in the Early Byzantine East, Dumbarton Oaks Public Lecture, mars 1992 ;
S. Ashbrook Harvey, Scenting Salvation: Ancient Christianity and the Olfactory Imagination (à
paraître).
7. P. Boglioni, La scène de la mort dans les premières hagiographies latines, Essais sur la mort :
Travaux d'un séminaire de recherche sur la mort, Montréal 1985, p. 269-298.
8. J.-Cl. Larchet, Théologie de la maladie, Paris 1994.
9. Ps. 37, 6 : προσώζεσαν και έσάπησαν οι μώλωπες μου από προσώπου της αφροσύνης μου.
quoi Job est accusé d'avoir mal agi envers Dieu quand sa maladie le transforme en
être puant.
La puanteur est aussi un châtiment dans la mesure où elle révèle ce qui était
caché et impose donc au pécheur une humiliation, en plus de lui faire connaît
re d'affreuses souffrances. L'idée n'est pas nouvelle : la puanteur extraordinaire,
née de maladies comme la gangrène ou tout simplement des plaies infectées, est
en effet comprise comme un châtiment divin dès la plus haute Antiquité. Les
Lemniennes n'avaient-elles pas été punies de puanteur par Aphrodite pour avoir
négligé son culte10? Dans le judaïsme ancien, c'est un châtiment qui pèse particu
lièrement sur les impies et les profanateurs. Dans le Second Livre des Maccabées,
Antiochos IV, qui avait menacé de détruire Jérusalem et qui s'était souillé par des
profanations, finit sa vie comme un objet de dégoût pour toute son armée tant la
puanteur qui se dégageait de sa personne était désagréable".
De la même manière, pour certains auteurs chrétiens, les persécuteurs ou les
hérétiques, punis par des maladies qui révèlent la puanteur de leur âme en lui
donnant un exutoire sensible, reçoivent une rétribution qui met au jour leur impiét
é. Lactance, par exemple, relève la fin tragique des empereurs persécuteurs des
chrétiens comme Galère et il insiste, en particulier, sur la puanteur qui accompagne
leur agonie, dans le traité De la mort des persécuteurs*2. La gangrène, les vers,
l'infection puante et le pourrissement des chairs deviennent des thèmes favoris
pour montrer comment la justice divine s'en prend aux sacrilèges, aux impies et
aux hérésiarques de leur vivant et annoncent le sort qui les attend en Enfer, lieu par
excellence de la puanteur et de la souffrance. L'odeur devient alors le révélateur de
la quintessence d'un être, un révélateur de la vie spirituelle et morale, voire du salut
ou de la perdition. Dans la littérature chrétienne ancienne, on trouve ainsi une
vaste utilisation du champ olfactif qui passe de la métaphore à la réalité. Dans les
Vies de saints qui insistent sur le travail ascétique, et qui font du corps un lieu
du combat et de la victoire du saint, les références olfactives ne sont pas rares et
montrent le progrès spirituel du saint.
Il existe cependant dans la littérature hagiographique chrétienne de la fin de
l'Antiquité des Vies de saints dans lesquelles les saints font l'expérience de la
puanteur liée à la maladie. Leurs chairs se corrompent et se putréfient à la suite de
blessures ou de maladies. La puanteur qui en résulte n'est pas alors la preuve d'un
grave péché personnel caché ou d'une possession démoniaque, mais elle est une
forme d'épreuve, puisque Dieu laisse le Diable soumettre le saint à la maladie, et
une forme d'ascèse, puisque le saint accepte la souffrance morale et physique qui
accompagne cette puanteur. Qu'elle soit liée à une maladie ou qu'elle soit l'effet de
10. G. Dumézil. Le crime des Lemniennes. Rites et légendes du monde égéen, édition présentée.
mise à jour et augmentée par B. I.kclf.rcq-Nf.vfu. Paris 1998.
11.2 Macc, 9 : υπό δε της οσμής αύτοΰ παν το στρατόπεδον βαρύνεσθοα την σαπρίαν ;
F. M. Abf.l. Les Livres des Maccabées, Paris 1949. p. 400. Traduction latine de la Vulgate adore etiam
:
blessures non soignées, cette expérience permet au saint de partager le sort tragique
de l'humanité tombée et de définir une forme de sainteté dans la souffrance. Parce
que la maladie puante est associée à l'impiété et au péché, l'acceptation de cette
puanteur et du rejet qu'elle entraîne nécessite une forme de sainte humilité. Le saint
qui fait une telle expérience renonce à sa respectabilité et à sa réputation de sain
teté. Il ou elle accepte la suspicion qui porte sur un péché personnel caché. Il est,
comme les autres malades puants, exposé à l'hostilité et à la crainte de son entou
rage. Cette expérience lui permet d'entrer en communion avec la souffrance
humaine des malades rejetés par leur entourage. Dans plusieurs Vies de saints,
celles des stylites syriens par exemple, elle joue un rôle essentiel dans le dévelop
pement spirituel du saint qui ne peut faire œuvre de thaumaturge et soigner, avec
compassion et empathie, les malades qui viennent à lui, qu'après avoir fait l'expé
rience de la souffrance et de la puanteur. Il s'agit, à l'époque de Syméon l'Ancien,
d'une forme d'ascèse nouvelle qu'il fut difficile de faire admettre à ses contempor
ains comme chemin vers la sainteté, puisque la mauvaise odeur était volontiers
associée au monde démoniaque et au péché13. Le premier, semble-t-il, à faire de
cette expérience une étape vers la sainteté et un rite de passage vers le pouvoir
thaumaturgique est Syméon stylite l'Ancien. Ce dernier, au début de sa carrière
monastique, s'entoure le corps d'une corde qui lui entaille la chair. Il s'inflige donc
délibérément une blessure qui s'infecte et dont la puanteur finit par incommoder
son entourage. C'est cet épisode qui met Syméon au rang des malades malodor
ants.
Syméon stylite l'Ancien possède un dossier hagiographique complexe14. On
dispose de Vies de Syméon en grec, en syriaque, en copte et en latin ainsi qu'en
géorgien et en arménien. Après avoir brièvement exposé quelles sont les différent
es Vies de Syméon qui nous sont parvenues, nous examinerons comment celles
que nous avons consultées traitent de l'épisode de la corde enroulée autour du
corps de Syméon. Si la mention de sa blessure et de son infection, ainsi que les
réactions hostiles de l'entourage de Syméon à cette ascèse extrême, sont rapportées
dans toutes les Vies de ce saint consultées, le thème de la puanteur des plaies infec
téesn'est pas repris par tous les rédacteurs et traducteurs. La question se pose de
savoir si la sensibilité aux odeurs est plus particulièrement affirmée dans certaines
sphères linguistiques ou culturelles. Ces variantes sont-elles le fait d'un choix
personnel de ces auteurs ou recoupent-elles des différences culturelles ?
Cette forme d'ascèse un peu particulière a fait des émules. Contrairement aux
impies, aux sacrilèges et aux hérétiques dont la mauvaise odeur ne cesse pas, les
saints orientaux qui ont choisi ce type de kénose et fait l'expérience d'une puanteur
momentanée se voient récompensés par une fin de vie entourée de parfums. Le
champ lexical olfactif est dont très présent dans ces Vies de saints. La théologie
sous-jacente n'est pas une simple théologie morale opposant le bien et le mal, la
13. J.-M. Sansterre, Les saints stylites du 5e au Ι Γ siècle : permanence et évolution d'un type de
sainteté, éd. J. Marx, Sainteté et martyrs dans les religions du Livre, Bruxelles 1989, p. 33-45.
14. S. Ashbrook Harvey, The Sense of a Stylite: Perspectives on Simeon the Elder, Vigiliae
Christianae 42, 1988, p. 376-394.
sainteté et le péché, mais une théologie historique centrée sur la Chute et la rédempt
ion, sur la maladie et la guérison, sur l'influence des démons et sur la victoire du
Christ à laquelle participent les saints. L'odeur sert de repère dans ces textes. La
mauvaise odeur rappelle la Chute et ses conséquences : la maladie et la corruption
de la chair. La bonne odeur évoque la vie divine et le retour au Paradis de ceux qui
ont mené une sainte vie.
Rappelons brièvement la carrière du plus célèbre des stylites. Syméon est né à
la fin du 4e siècle dans la région de Nicopolis, entre la Cilicie et l'Euphratésie, dans
le village de Sisa. Les différentes Vies ne s'accordent pas sur les parents de Syméon.
Ils sont parfois considérés comme des chrétiens ayant fait baptiser Syméon (Vie
Syriaque A), mais parfois Syméon découvre le christianisme par lui-même. Les
différentes Vies, en revanche, s'accordent pour admettre que Syméon gardait les
troupeaux de sa famille et découvrit la vie ascétique à travers les lectures bibliques
qu'il entendit à l'église.
Syméon décide d'embrasser la vie monastique et il devient moine cénobite.
Dans la Vie syriaque et chez Théodoret de Cyr, Syméon pratique d'abord la vie
ascétique chez lui, puis il entre dans un monastère à Téléda, où il passe entre trois
et dix ans années. Il y développe une ascèse personnelle et s'attire l'hostilité des
moines. Il jeûne plus qu'eux et c'est dans ce monastère qu'il décide de s'enrouler
dans une corde qui le blesse. Il ne se soigne pas, les blessures s'infectent et l'odeur
insupportable que dégage Syméon révèle aux autres moines le traitement que
Syméon inflige à son corps. Il est chassé du monastère par l'higoumène à la deman
de des moines. Il vit quelque temps, seul, dans un puits, une citerne, ou dans un
marais (dans la Vie copte), en s'exposant aux serpents et aux scorpions. Rappelé
au monastère par l'archimandrite, qui reconnaît finalement sa grande sainteté, il
quitte cependant définitivement la communauté cénobitique pour mener une vie
solitaire.
Syméon devient anachorète, puis stylite. Près d'un village du nom de Télanissos/
Telneshe, situé un peu au nord de Téléda, il choisit un sommet et se fait d'abord un
enclos à l'air libre. Il vit pendant trois ans dans une hutte, puis, inspiré par la vision
d'un ange qui prend la place de l'encensoir posé sur la pierre qui lui servait d'autel,
Syméon se construit une première colonne pour devenir lui-même encensoir, c'est-
à-dire pour faire monter vers Dieu ses prières. Plusieurs colonnes, entre trois et
cinq selon les différentes Vies, sont par la suite construites, de plus en plus hautes,
pour accueillir Syméon. Sur la dernière, qui mesurait 60 pieds de haut, il restera
jusqu'à sa mort en 459. Il meurt à plus de soixante-dix ans, en saint homme très
célèbre.
Son corps, objet de convoitise, est transporté du monastère jusqu'à Antioche,
où il est déposé, dans la cathédrale15. Le monastère de Télanissos fait alors de sa
colonne une relique et dans les dernières décennies du 5e siècle"1, un imposant
15. A. Exstmond. Body vs. Column: The Cults of St Symeon Stylites. Desire and Denial in
Byzantium, éd. I . J whs. Aldershot 1C)W. p. 87-100.
16. D. Frwkh rti.r. Stylites et Phallobates: Pillar Religions in Late Antique Syria, Vi^iliae
Chnstianae 44. 1W0. p. 168-198.
complexe est construit dont les restes sont encore visibles : le monastère de Qalat
Sem'an17 (actuellement en Syrie).
Les différentes Vies insistent sur le pouvoir thaumaturgique du saint. Sa réputa
tion de saint guérisseur, d'abord locale, s'étend à la région d'Antioche puis à toute
la Syrie, et au-delà, dans le monde perse. Son influence se développe en particulier
sur les populations arabes nomades qui campent non loin du monastère et dont les
Vies nous rapportent qu'il les convertit au christianisme. De son vivant, un pèleri
nagese met donc en place dans le but de voir le saint perché sur sa colonne et de
lui présenter sa requête. Syméon, en effet, ne descend jamais de sa colonne, mais il
accepte que certains suppliants - jamais de femmes - montent le voir. Syméon
utilise sa position entre terre et ciel pour intercéder auprès de Dieu en faveur des
malades et des opprimés18. Il opère de multiples guérisons et il utilise certaines
d'entre elles pour convertir ses patients au christianisme. Il prêche, enfin, réguli
èrement du haut de sa colonne. Il utilise aussi cette position au-dessus de la mêlée,
pour résoudre les conflits locaux et pour intervenir dans les affaires de l'Église :
il réconcilie par exemple l'évêque Théodoret de Cyr avec le patriarche d'Antioche.
Il œuvre aussi sur un plan cosmique pour protéger les villages environnants des
animaux sauvages, des épidémies et de la sécheresse et pour rétablir, par son inter
cession, l'harmonie originelle, paradisiaque, entre hommes et animaux.
B. Flusin a pu parler de légendes polymorphes au sujet des Vies de Syméon, car
on dispose de plusieurs Vies qui divergent entre elles sensiblement19. R. Doran20
comme B. Flusin, les deux philologues qui ont travaillé sur le saint en dernier lieu,
s'accordent pour dire qu'il n'est pas possible de retrouver le Urtext dans le cas de
Syméon l'Ancien, car on a affaire à des traditions séparées qui représentent en fait
les différents lieux qui avaient intérêt à promouvoir le culte du saint.
Théodoret de Cyr est le premier à avoir écrit sur Syméon. Il compose en 444
une Histoire des moines de Syrie, appelée aussi Histoire philothée ou Historia
Religiosa2\ Dans cette œuvre, on peut lire une trentaine de notices hagiographi
ques, chacune portant sur la vie d'un ou de deux saints. En comptant les anonymes,
on peut donc dénombrer une soixantaine d'ascètes, d'anachorètes ou de cénobites
vivant dans une région s'étendant d'ouest en est, entre le golfe de Cilicie et Édesse
17. J.-P. Sodini, La hiérarchisation des espaces à Qal'at Sem'an, éd. M. Kaplan, Le sacré et son
inscription dans l 'espace à Byzance et en Occident, Paris 200 1 , p. 25 1 -262.
18. P. Brown, The Rise and Function of the Holy Man in Late Antiquity, Journal of Roman
Studies 61, 1971, p. 80-101 (repris dans Society and the Holy in Late Antiquity, Londres 1982) ;
P. Brown, Arbiters of Ambiguity: a Role of the Late Antique Holy Man, Cassiodorus 2, 1996, p. 123-
142 ; sur les débats autour de cet article : M. Van Uyfthanghe, L'origine, l'essor et les fonctions du
culte des saints. Quelques repères pour un débat rouvert, Cassiodorus 2, 1996, p. 143-196 ; J. Howard-
Johnston, P. A. Hayward, The Cult of Saints in Late Antiquity and the Early Middles Ages, Oxford
1999 ; l'ensemble des articles de Journal of Early Christian Studies, 6, 1998.
19. B. Flusin, Syméon et les philologues, ou la mort du stylite, Les saints et leur sanctuaire à
Byzance. Textes, images et monuments, éd. C. Jolivet-Lévy, M. Kaplan, J. P. Sodini, Paris 1993,
p. 1-23.
20. R. Doran, Compositional Comments on the Syriac Versions of the Life of Simeon Stylites,
An. Boll. 102, 1984, p. 35-48 ; Id., The Lives of Simeon Stylites, Spencer 1992.
2 1 . Théodoret de Cyr, Histoire des moines de Syrie, éd. P. Canivrt et A. Leroy-Molinghen, 2 vol.,
Paris 1977-1979.
25. Syméon est considéré comme un imposteur par Ardabur, le magister militum per orientem, et
un homme de son entourage, Vies grecques de Syméon, 27, recension A et Β, Lietzmann, p. 64-65 ; Vie
latine, 27, Lietzmann, p. 65. (A. J. Festugière considère l'épisode apocryphe : Festugière, Antioche
païenne et chrétienne. Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, Paris 1959, p. 373 ; R. Doran le
met en appendice, parce qu'il ne se trouve pas dans tous les manuscrits : R. Doran, The Lives ofSimeon
Stylites, op. cit. n. 20, p. 228-229). Critiques explicites de moines mésopotamiens sur l'orgueil de
Syméon dans la Vie de Daniel le Stylite, 7, éd. H. Delehaye, Les saints stylites, Bruxelles, 1923, p. 7-8 ;
commentaire dans C. Gaspar, Cassian's Syrian Monastic Contemporaries, Jean Cassien entre l'Orient
et l'Occident, éd. C. Badilita, A. Jakab, Paris - Iasi 2003, p. 15-32.
26. Théodoret de Cyr, VSy, 26, 12, p. 187-189 : Γίνεσθαι δε τούτων εκαστον προσέταττε των
όλων ό πρύτανις, τους λόγω μη πειθομένους μηδέ της προφητείας έπαίειν άνεχομένους τω της
θεωρίας παραδόξω συλλέγων και των θεσπισμάτων άκούειν παρασκευάζω ν. Τίς γαρ ουκ άν έξε-
πλάγη θείον ανθρωπον γυμνον βαδίζοντα θεωρών ; [...] ούτω και το καινόν τοΰτο και παράδοξον
έπρυτάνευσε θέαμα τω ξένω πάντας ελκών εις θεωρίαν και πιθανήν τοις άφικνουμένοις παρα-
σκευάζων την προσφερομένην παραίνεσιν [...] ό εις θεωρίαν άφικνούμενος τα θεία παιδευθε\ς
επανέρχεται.
vue d'un évêque dont la carrière monastique a été avant tout celle d'un cénobite.
Contrairement à un Jean Chrysostome ou à un Jérôme, Théodoret n'a pas fait le
choix de la vie anachorétique. Tl est assez naturel qu'il se mette du côté des moines
cénobites qui protestent contre les excès ascétiques de Syméon. Il est un témoin
oculaire et il a certainement été très conscient de la popularité de Syméon qui est
au faîte de sa gloire au moment où Théodoret écrit, mais il ne saurait être considéré
comme un disciple de Syméon et il le regarde de loin, comme le faisait sans doute
la majorité des visiteurs.
La diffusion de l'œuvre de Théodoret a connu des avatars liés à la condamnation
dont Théodoret a été l'objet sous Justinien. Pierre Canivetet Alice Leroy-Molinghen
ont édité et traduit sous le titre Histoire des moines de Syrie, le travail de Théodoret.
Leur édition repose sur 17 manuscrits grecs datés du 10e siècle pour le plus ancien
et du 19e siècle pour le plus récent. L'œuvre de Théodoret a été traduite en syriaque
avec peu de variantes par rapport au texte grec. Les manuscrits sont beaucoup plus
anciens mais lacunaires. Sur les neuf manuscrits syriaques cités par les éditeurs du
texte grec, quatre sont antérieurs au 7e siècle. Un est même daté du 5e ou 6e siècle
(British Museum Add. 14644), mais il ne contient malheureusement pas la Vie de
Syméon.
Il existe une traduction en géorgien et une autre en arabe, qui dateraient l'une
du 1 Γ siècle, l'autre du 12e siècle. L'absence de traduction latine disponible peut
s'expliquer par le discrédit dont Théodoret de Cyr a été victime, puisqu'il est l'un
des trois auteurs dont Justinien souhaitait voir le nom condamné et les œuvres
brûlées lors de la querelle des Trois Chapitres. Même si les occidentaux, en parti
culier les Africains et les Italiens du Nord ont protesté contre la condamnation des
Trois Chapitres, ils n'ont apparemment pas eu l'idée de faire traduire en latin
Γ Histoire des moines de Théodoret. Les manuscrits de l'œuvre de Théodoret ont
eu une circulation très limitée à partir des années 530-540, dans les zones contrô
lées par les armées byzantines, ce qui explique peut-être l'absence de traduction
latine en Afrique27 et en Italie, alors même que le culte de Syméon était connu en
Occident28, peut-être grâce à la présence de colonies syriennes29.
Occident, des Espagnols, des Bretons et des Gaulois qui occupent l'entre-deux. Quant à l'Italie, il est en
effet superflu d'en parler, puisque, dans Rome la grande, il est devenu, dit-on si célèbre qu'à l'entrée de
toutes les boutiques on lui a dressé de petits portraits sur une colonne pour assurer par là aux habitants
une sorte de sauvegarde et de protection. » ; sur la popularité du culte en Occident, Vita Genovefae
virginis Parisiensis, 27, MGH SRMÏll. éd. B. Krusch, Hanovre 1896, p. 226 ; J.-C. Poulin. Les cinq
premières vitae de sainte Geneviève. Analyse formelle, comparaison, essai de datation. Les Vies ancien
nes de sainte Geneviève de Paris. Etudes critiques, éd. M. Heinzelmann, J.-C. Poulin. Paris 1986.
p. 143-144 : J. Nasrallah, Survie de saint Siméon Stylite l'Alépin dans les Gaules, Sxria 51, 1974,
p. 171-197 ; G. Vikan. Byzantine Pilgrimage Art, Washington 1982 : C. Metzger, Les ampoules à
eulogies du Musée du Louvre, Paris 198 1 ; J. P. Sodini, Nouvelles eulogies de Syméon. Les saints et leur
sanctuaire ù Bvzance, op. cit.. n. 19. p. 25-33.
29. I. Heidrich. Syrische Kirchengemeiden im Frankenreich des 6. Jahrunderts. Au.s Anluven und
Bibliotheken. Festschrift für Raymond Kottje zum 65. Gehurstag, éd. H. Mordek. Francfort sur le Main
- Paris 1 992. p. 21-31 ; L. Brfhifr. 1 .es colonies d'Orientaux en Occident au commencement du Moyen
Âge (v'-vni1·' siècle). BZ 12. 1903. p. 1-39.
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (12)
80 BÉATRICE CASEAU
30. BHG 1682-1685 k ; éd. H. Lietzmann, Das Leben des heiligen Symeon Stylites, (TU 32, 4)
Leipzig 1908 ; trad. fr. dans A. J. Festugière, Antioche païenne et chrétienne, Paris 1959, p. 493-506.
31. P. Peeters, Saint Syméon Stylite et ses premiers biographes, An. Boll. 61, 1943, p. 29-71, repris
sous le titre significatif « Un saint hellénisé par annexion : Syméon Stylite » dans Orient et Byzance. Le
tréfonds oriental de l'hagiographie byzantine, Bruxelles 1950, p. 93-136.
32. A. J. Festugière, op. cit. n. 19, p. 386 ; H. Delehaye, Les saints stylites, Bruxelles 1923.
33. B. Flusin, Syméon et les philologues, Les saints et leur sanctuaire à Byzance, op. cit. n. 19.
34. J. R. Martindai.h. The Prosopography of the Later Roman Empire, vol. II : A.D. 395-527,
Cambridge 1980, p. 135-136 (Ardabur iunior 1). Il a été magister militum per Orientem de c. 453 à
466.
35. R. Van Dam. Introduction à Gregory of Tours, Glorv of the Confessors, Liverpool 1988, p. 41,
η. 32.
36. Grégoire de Tours, Histoire, X, 24. Ce Symon « évêque d'outre mer » est peut-être arménien :
M. Heinzelmann, Gregory of Tours. History and Society in the Sixth Century, Cambridge 2001, p. 82 ;
sur l'intérêt de Grégoire pour les affaires orientales. A. Cameron, The Byzantine Sources of Gregory of
Tours, Journal of Theological Studies 26. 1975. p. 421-426 ; M. Perrin. Grégoire de Tours et l'espace
extra-gaulois le gallocentrisme grégorien revisité. Grégoire de Tours et l'espace gaulois, éd.
N. Galthier et H. Galinié. 13e supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France. Tours
:
1997, p. 35-45.
dans le texte qu'on peut lire le livre de sa vie (ut legitur in eius vitae libro37), on a
pu en conclure que Grégoire avait sous les yeux une traduction latine de la Vie
grecque d'Antoine38. Mais rien en fait ne permet d'affirmer que la traduction que
pouvait lire Grégoire de Tours était fondée sur le texte d'Antoine, car l'épisode
qu'il rapporte dans sa brève notice ne se trouve pas dans les recensions de la Vie
grecque attribuée à Antoine39, ce qu'avaient déjà repéré les éditeurs du De gloria
confessorum40 et l'évêque tourangeau ne cite pas Antoine comme auteur de cette
Vie. Il est possible et même probable que Grégoire ait eu sous les yeux une traduc
tion faite à partir d'une autre Vie grecque aujourd'hui perdue41. Certains manuscrits
latins semblent conserver le souvenir de cette Vie grecque perdue, dont l'existence
est attestée par des inscriptions peintes sur une chapelle de Cappadoce datant du
9e siècle42. En effet, le texte peint pour illustrer quelques épisodes de la vie de
Syméon dans la chapelle de Zilvé correspond assez fidèlement au texte latin édité
dans les Ada Sanctorum (BHL 7957). L'allusion de Grégoire de Tours ne permet
donc pas avec certitude de placer le terminus ante quern de la rédaction de la Vie
par Antoine à la mort de l'évêque tourangeau. Le terminus ante quern est en fait
constitué par ce qui semble être le plus ancien manuscrit à conserver une Vita
Symeonis faisant explicitement référence à Antoine, un manuscrit latin conservé à
la bibliothèque de Chartres43. Il est daté entre 776 et 800 par les Bollandistes (BHL
7959).
La date de rédaction de la Vie par Antoine se situe donc entre la mort de Syméon
en 459 et le 8e siècle. Il est possible de proposer une hypothèse qui restreint cette
fenêtre chronologique. Rédigée dans un milieu chalcédonien, alors que le monast
ère de Télanissos/Qalat Sem 'an est devenu monophysite et attire beaucoup de
pèlerins, cette Vie sert à réclamer saint Syméon pour la tradition chalcédonien-
ne, au moment où les anti-chalcédoniens peuvent se prévaloir d'avoir gagné ses
moines à leur cause. C'est précisément vers la fin du 6e siècle qu'Évagre le scho-
37. W. Arndt, Β. Krusch, Gregorii episcopi Turonensis Liber in Gloria Confessorum, 26, MGH,
Hanovre 1885, p. 764.
38. B. Flusin, Syméon et les philologues, op. cit. n. 19, p. 9.
39. Grégoire de Tours inclut un épisode au cours duquel une femme se déguise pour s'appro
cher de Syméon. Mais au moment où elle s'apprête à franchir le seuil de l'église, elle tombe et meurt,
ce qui sert d'avertissement aux autres femmes. Il y a dans la Vie grecque de Svrnéon par Antoine un
épisode qui comporte une femme déguisée en soldat qui a aussi l'intention de voir le saint. Mais dans la
recension A de Lietzmann, elle propose à ses camarades d'aller voir le saint pendant qu'elle garde les
animaux et le saint lui fait savoir que sa prière a été exaucée (sans qu'elle ait besoin d'entrer) ; dans
l'autre recension, elle n'ose pas entrer et le saint exauce aussi sa prière. Cette dernière version est
reprise dans la traduction latine éditée par H. Lietzmann. Il n'y a donc pas de punition dans ces versions,
à la différence de celle rapportée par Grégoire de Tours.
40. W. Arndt, Β. Krusch, op. cit. n. 37, p. 764, n. 2 : Vita S. Simeonis, qua Gregorius usus est, iam
latet. [...] Quod Gregorius scripsit, feminam morte audaciam luisse, alias non legi.
41. Sur l'hypothèse de cette Vie grecque perdue, B. Flusin, Syméon et les philologues, op. cit.
n. 19, p. 8.
42. G. de Jerphanion, Les inscriptions cappadociennes et le texte de la Vita Simeonis auctore
Antonio, dans La Voix des Monuments. Études d'archéologie, Rome - Paris 1938, p. 134-152.
43. BHL 7959 : Manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Chartres, BM 5. Je remercie le
conservateur de la bibliothèque A. Malraux de m'y avoir donné accès. Au folio 163 la Vita commence
ainsi : Incipit Vita Sanctus Symeonis scripta ab uno de discipulis suis nomine Antonio.
44. Évagre, Histoire ecclésiastique, II, 10, éd. J. Bidez. L. Parmentier, Amsterdam 1964, p. 61-
62.
45. B. Caseau, Les accusations de magie portées contre des membres du clergé au vi' siècle,
présenté au XX'' Congrès des Études byzantines, Paris 2001 (à paraître).
46. Jean Malalas. Chronique, XIV, 37, éd. J. Thurn, loannis Malalae Chroiwgraphia, CFHB 35,
Berlin 2000, p. 291-292 : Έπ\ δε της αύτοΰ βασιλείας έτελεύτα ό άγιος Συμεών ό μέγας ό στυλίτης,
οΰτος τότε "Αρδαβουρίου τοΰ πατρικίου, του υ'ιοΰ "Ασπαρος, στρατηλάτου ανατολής κα\ κραξάν-
των των "Αντιοχέων κα\ αίτησάντων το σώμα τοΰ δικαίου επεμψεν ό αύτος Άρδαβούριος Γοτθικήν
βοήθειαν κα\ ήνεγκε το λείψανον τοΰ αγίου Συμεώνος έν 'Αντιόχεια τη μεγάλη· και έκτίσθη αύτω
μαρτυρίου οίκος μέγας κα'ΐ ετέθη έν αύτω εις σορόν.
47. J. R. Martindai.e. The Prosopography of the Later Roman Empire, vol. IIIB A.D. 527-641.
:
Cambridge 1992. p. 1022-1026 (Philippicus 3). Il est magister militum per orientein de c. 584 à
587/588.
48. Évagre. Histoire ecclésiastique, I. 13. op. cit., n. 44. p. 22-23.
49. P. Αι ι en. Evagrius Scholasticus, the Church Historian. Louvain 1981. p. 86.
50. R. Lane Fox a même proposé que la Vit' grecque de Syméon par Antoine ait été rédigée après
620, et donc après la longue Vie de Syméon le Jeune. R. Lanh Fox. The Life of Daniel. Portraits:
Biographical Representation in the Greek and Latin Literature of the Roman Empire, éd. M. J. Edwards.
S. Swain. Oxford 1997. p. 184.
La troisième source majeure est fournie par les Vies en syriaque qui offrent un
récit sur la vie et la mort de Syméon, reflétant le point de vue de la communauté des
moines de Télanissos et dont l'ancienneté est attestée par la tradition manuscrite.
La tradition syriaque est non seulement indépendante de la Vie attribuée à
Antoine, elle est aussi très vraisemblablement antérieure. Il y a deux recensions édi
tées de la Vie syriaque (A et B), qui sont de longueur et de composition différentes.
La tradition manuscrite de la recension A se compose du manuscrit syriaque 1 60 de
la Bibliothèque Vaticane dont le colophon porte la date du « 1 7 nisan, quatrième
jour de la semaine, de l'année 521 selon le décompte des Antiochiens », ce qui
correspond à l'année 474. On a donc affaire à un manuscrit qui est probablement
contemporain de la construction du grand sanctuaire de Qal'at Sem'an51. C'est le
plus ancien manuscrit conservé comportant un témoignage sur Syméon. Il a été
écrit moins de vingt ans après la mort du saint.
Deux autres manuscrits de la British Library conservent la Vie syriaque A : l'un
date du 6e siècle et comporte, outre une Vie complète de Syméon, un fragment
d'une autre copie de la même Vie. L'autre manuscrit date de 1 197. Cette Vie a été
éditée une première fois en 1748, d'après le manuscrit du Vatican, par Étienne-
Évode Assemani avec une paraphrase en latin52. Les deux manuscrits londoniens
ont été édités par Paul Bedjan au 19e siècle, sans tenir compte du second texte
fragmentaire de la Vie de Syméon53. L'édition de Paul Bedjan comporte un appen
dicenotant les variantes avec le manuscrit du Vatican. La traduction allemande de
Heinrich Hilgenfeld (jointe à l'édition de Hans Lietzmann) et la traduction anglai
se de F. Lent ont été faites d'après le texte de Paul Bedjan. La traduction anglaise
plus récente de Robert Doran publiée en 1992 est faite à partir du manuscrit le plus
ancien, celui du Vatican. Il a aussi inclus les variantes d'un manuscrit de Mardin
qui comporte une autre Vie syriaque non encore éditée. En effet, Arthur Vöobus a
découvert que trois autres manuscrits conservés respectivement à Damas, Mardin
et Alep comportent une Vie syriaque différente des deux recensions déjà éditées54.
Il reste donc du travail à faire dans l'édition des Vies syriaques.
Le culte de saint Syméon s'est suffisamment développé dans le monde méditer
ranéenet caucasien pour que des traductions de ses Vies voient le jour. Il existe une
Vie Copte éditée et traduite par Marius Chaîne53, une Vie géorgienne qui découle de
la version syriaque et qui est connue par deux manuscrits du 10e siècle56, des Vies
51. J.-P. Sodini, La hiérarchisation des espaces à Qal'at Sem'an, dans Le sacré et son inscription
dans l'espace à Byzance et en Occident, op. cit., n. 17, p. 251-262 : la construction commence à une
date inconnue après la mort du saint en 459. L'église cruciforme est achevée vers 490.
52. É. Assemani, Acta martyrum orientalium et occidentaliurn, Rome 1748, t. 2, p. 268-394.
53. P. Bedjan, Acta martyrum et Sanctorum, t. 4, Paris 1 894, p. 507-644.
54. A. Vööbus, Discovery of New Manuscript Sources for the Biography of Symeon the Stylite,
dans After Chalcedon. Studies in Theology and Church History offered to Professor Albert van Roey,
éd. C. Laga et alii (Orientalia Louvaniensia Analecta 18), Louvain 1985, p. 479-484.
55. M. Chaîne, La vie et les miracles de saint Syméon Stylite l'Ancien (Bibliothèque d'études
coptes 3), Le Caire 1 948 (Vie copte).
56. G. Garitte, Vies géorgiennes de S. Syméon Stylite l'Ancien et de S. Éphrem (CSCO 171/172,
Iber.7), Louvain 1957, p. 1-77 (édite le Sinaïticus ibericus 6, et fournit une traduction latine);
G. Garitte, Compléments à l'édition de la Vie géorgienne de S. Syméon Stylite l'Ancien, Le Muséon 76,
1963, p. 79-93.
en arménien et en arabe. Les Vies latines sont très intéressantes. Sur les treize
Vies latines de Syméon recensées par les Bollandistes57, seules deux ont été édi
tées à partir d'un petit nombre de manuscrits : BHL 7957 avec l'édition de
Heribert Rosweyde et celle des Acta Sanctorum™, BHL 7956 avec l'édition de
Hans Lietzmann d'après deux manuscrits de la Bibliothèque nationale de France39.
Lorsque Hans Lietzmann a fait son édition du texte grec, il s'est rendu compte qu'il
avait deux groupes de manuscrits qui divergeaient sur certains points. Il a donc
donné deux recensions de la Vie grecque. Il a fourni sur la page de gauche, la
recension grecque de la Vie établie d'après un manuscrit (appelé A par Lietzmann)
qui est le Parisinus Graecus 1468, daté du 1 Ie siècle. Il fournit les variantes de six
autres manuscrits. En vis-à-vis, sur la page de droite, il a fourni une autre recension
grecque établie d'après deux manuscrits du Vatican datés du 11e siècle, et en-
dessous une recension latine très proche de cette tradition, établie d'après deux
manuscrits des 12e et 15 siècles.
Les recensions latines éditées sont plus courtes que celles conservées en grec.
On a pu penser qu'il s'agissait de versions abrégées, mais Guillaume de Jerphanion
a montré que leur texte, en particulier la Vie éditée dans les Acta Sanctorum {BHL
7957), est une traduction proche du texte peint dans une chapelle cappadocienne du
9e siècle. Il est donc possible que certaines des traductions latines donnent accès à
une Vie grecque perdue.
Le succès du culte de Syméon, l'attrait pour cette forme de sainteté originale
expliquent sans doute la riche et complexe tradition manuscrite et les multiples
recensions qui nous sont parvenues. Il est possible de se livrer à une analyse du
registre olfactif dans les différentes Vies éditées et de pouvoir ainsi se demander si
les choix opérés par les rédacteurs ou traducteurs des Vies de Syméon sont des
choix personnels ou correspondent à des biais culturels particuliers. Ces choix
recoupent-ils des différences linguistiques par exemple, ou sont-ils le fait d'un
auteur, voire d'un traducteur ? Il est possible de proposer une réponse à cette ques
tion en analysant un épisode dans lequel l'odeur est mentionnée de façon insistante
dans certaines Vies et pas dans d'autres : le fameux épisode de la corde.
Syméon, accueilli au monastère de Téléda, sort un jour et s'empare de la corde
d'un puits qu'il s'enroule autour du corps, sous son vêtement. La corde blesse
Syméon, la plaie s'infecte. Les différentes Vies éditées mentionnent cet épisode
important dans la carrière monastique de Syméon. Mais toutes n'ont pas consigné
les mêmes détails. Dans le domaine olfactif en particulier, les Vies diffèrent.
Certains font une place importante à cet aspect repoussant des plaies de Syméon,
d'autres insistent davantage sur les signaux visuels de la plaie cachée sous les vête
ments.
57. Le site web des Bollandistes (http///bhlms. fltr.ucl.ac.be) indique 13 Vitae Symeonis BHL 7956
:
à 7962 plus Syméon 06. Toutes ces Vies sont attribuées à Antoine sauf BHL 7961 , 7962 et Syméon 06.
H. Lieîzmann a édité BHL 7956 d'après deux manuscrits de la BnF (L, 15e s.. M. 12e siècle).
58. H. Roswfvdf. Vitae putrum. I. Anvers 1 628. texte repris en PL 73. c. 325-334 : Acta Sanctorum.
Jan.. 1. p. 269-274.
59. Le Parisimts latimts 2289 du 15e s., et le Parisians latinus 3793 du 12e siècle.
60. Théodoret de Cyr, VSy, 26, 5, p. 168-169 "Ηκουσα δε αύτοΰ εκείνου διηγουμένου καν του
:
νυν της αυτής αγέλης ηγεμονεύοντος ώς σχοΐνόν ποτέ από φοινίκων κατεσκευασμένην λαβών
- τραχυτάτη δε αΰτη λίαν και χερσι προσψαυούσαις - ταύτη διέζωσε την όσφύν, ούκ έξωθεν περι-
θείς, άλλ' αύτω προσφύσας τω δέρματι- κα\ οΰτω λίαν συνέσφιγξεν ώς άπαν εκείνο έν κύκλω το
μέρος έλκώσαι, ώ περιέκειτο. Ώς δε πλείους ή δέκα ημέρας τούτον διετέλεσε τον τρόπον και το
έλκος χαλεπώτερον γιγνόμενον αίματος ήφίει σταγόνας ήρετό τις αυτόν θεασάμενος τίς ή αιτία
του αίματος. Τοΰ δε μηδέν εχειν άνιαρόν λέγοντος, βιασάμενος ό συναγωνιστής κα\ τήν χείρα
ένέλαβε και τήν αίτίαν κατέμαθε κα\ ταύτην τω προστατεύοντι κατεμήνυσεν. Αύτίκα τοίνυν και
επίτιμων και παρακαλών και τοΰ πράγματος τήν ωμότητα διαβάλλων μόλις εκείνον διέλυσε τόν
δεσμόν. 'Αλλ' οϋδ' οΰτως έπεισε θεραπείαν τινά έκείνω τω έλκει προσενεγκεΊν.
61. S. Ashbrook Harvey, Olfactory Knowing: Signs of Smell in the Vitae of Simeon Stylites, After
Bardaisan: Studies on Continuity and Change in Syriac Christianity in Honour of Professor Han
J.W. Drijvers, Louvain 1999, p. 23-34.
62. R. Doran, The Lives of Simeon Stylites, Spencer 1992, p. 212 ; P. Bedjan, Acta Martyrum et
Sanctorum, t. 4, Hildesheim, 1968, p. 577.
63. Ibid., p. 131-132.
Les autres Vies accordent toutes une place à la puanteur de l'infection liée à la
corde. La Vie grecque attribuée à Antoine (en particulier dans les chapitres 5 à 8 de
la recension A) accorde une grande importance à cet épisode qui a duré plus d'un
an : « Un jour étant sorti du monastère, il trouve au-dessus d'un puits un seau,
grâce auquel on puisait de l'eau, avec une corde : il détache la corde et s 'étant
rendu dans un lieu isolé, s'en lie comme d'un bandage sur tout le corps ; puis, au-
dessus de la corde, il se revêt d'une tunique de poil, rentre au monastère et dit aux
frères : "Je suis sorti puiser de l'eau et je n'ai pas trouvé la corde attachée au seau."
Les frères lui disent : "Tais-toi, que personne ne l'apprenne à l'archimandrite." Nul
ne savait qu'il s'était, sous la tunique, fait un bandage de la corde. Il resta donc
jusqu'à un an et plus ayant la corde enroulée dans son corps et qui lui mangeait la
chair, en sorte que la corde était recouverte des chairs pourries du juste, et qu'en
raison de la puanteur, on ne pouvait se tenir dans son voisinage, et personne ne
reconnut le mystère. Sa couche était remplie de vers, et nul ne comprenait ce qui
s'était passé »64.
Cette recension retient la corde, la blessure, la chair pourrie et la puanteur
(δυσωδία) qui revient à plusieurs reprises. Le signal de la blessure est olfactif et
visuel (les vers). La plainte des moines est de ne plus pouvoir supporter la mauvais
e odeur de Syméon : « il se dégage de son corps une puanteur intolérable au point
qu'on ne peut se tenir dans son voisinage »6\ L'archimandrite examine la couche
de Syméon, la trouve effectivement pleine de vers et « ne peut se tenir là en raison
de la puanteur ». Il s'exclame : « Vois donc le nouveau Job ! »66 II chasse cependant
Syméon du monastère.
La version Β de la Vie grecque attribuée à Antoine reprend le même récit et
diffère seulement de la recension A par des nuances de vocabulaire ou de gram
maire.
La traduction copte de la Vie grecque attribuée à Antoine insiste sur les signaux
visuels et olfactifs de la plaie dont l'écoulement sur le pied de Syméon est repéré
par un moine. Le texte souligne à plusieurs reprises qu'il était impossible de se
tenir près de lui, tant la puanteur était terrible. Le moine qui dénonce Syméon à
l'abbé s'exclame : « il est encore une forte odeur fétide qui s'exhale de son corps
et pue extrêmement à tel point que personne ne peut l'approcher. »67 Dans cette
Vie, Syméon commente les raisons de son geste : il mérite d'endurer de grandes
souffrances à cause de ses péchés. Syméon dit de lui-même : « je suis un chien
64. Festlichere, p. 494 : Vie grecque de Syméon, 5, recension A, Lietzmann. p. 24 Έξήλθον άντλή-
:
σαι ΰδωρ και το σχοινίον ούχ εύρον έν τη σίτλα. λέγουσιν αύτω οι αδελφοί · Σιώπα, μηδεις μάθη
τω αρχιμανδρίτη. και ούδεις ηδει οτι εσωθεν ήν πεφασκιωμένος το σχοινίον. εμεινεν ούν εως
ένιαυτοΰ ενός και πλεΊον έχων το σχοινίον έν τη σαρκι αύτοΰ ενειλιγμενον και κατέφαγεν τας
σάρκας αύτοΰ, ώστε σκεπασθήναι το σχοινίον άπό των σεσημμένων σαρκών του δικαίου, και άπό
της δυσωδίας αύτοΰ ούκ έδύνατό τις έγγιστα αύτοΰ στήναι, και ούδεις εγνω το μυστήριυν. ή δε
κοίτη αύτοΰ έπληροΰτο σκωλήκοιν, κα\ ουδείς ήδει το γεγονός.
65. Festugière, p. 494; Vie grecque de Syméon, 6, recension A. Lietzmann, p. 26 από τοΰ σώ
:
ματος αυτοΰ δυσωδία ανέρχεται αφόρητος, ως μη δύνασθαι εγγιστα αυτοΰ στήναί τίνα.
66. Festlgiere. p. 495. VVc grecque de Syméon. 7. recension A. Likt/.mann. p. 26 'Ιδού κα\ ο νέο;
Ίώβ.
:
puant, laisse-moi, père, recevoir ma rétribution selon mes péchés »68. On retrouve
cette expression dans la Vie grecque lors d'un autre épisode. Dans la Vie copte,
Syméon est soigné par un médecin. Une fois guéri, l'higoumène lui suggère de
vivre seul et de quitter le monastère.
La traduction latine éditée par H. Lietzmann insiste peu sur la mauvaise odeur.
On note même que dans plusieurs passages où le texte grec évoque la mauvaise
odeur, le traducteur latin choisit de préférence l'aspect visuel, et remplace mauvaise
odeur par putréfaction. « On ne peut se tenir près de lui à cause de sa puanteur69 »,
(έκ της δυσωδίας αύτοΰ ουκ έδύνατό τις στήναι εγγιστα αυτού") se trouve tran
sformé en latin en « prae putredine autem nemo poterat propinquare ef° » (mais à
cause de la pourriture, personne ne pouvait s'approcher de lui).
Le traducteur a aussi choisi de rendre δυσωδία par putredo dans d'autres
passages de cette même Vie. Au paragraphe 7, là où le texte grec a « πόθεν ή
δυσωδία αΰτη; » (d'où vient cette puanteur ?), le texte latin comporte « unde
putredo haec ? »ll (d'où vient cette pourriture ?). Au paragraphe 7, l'archimandrit
e vient constater les faits reprochés à Syméon et, à cause de la puanteur, il ne peut
se tenir là, précise le texte grec. Le texte latin dit seulement : « Haec audiens archi-
mandrita stupefactus appropinquans stratui eius invertit cum vermibus plenum. »
(Entendant cela, l'archimandrite stupéfait s 'approchant de sa couche trouve plein
de vers)72. L'allusion à la puanteur a tout simplement disparu.
Le champ olfactif n'est pas complètement éliminé si l'on considère qu'il est
introduit par foeteo, ere, un verbe intransitif, dont le sens évolue de « avoir une
odeur fétide », « puer » à être un objet de répugnance73. Au paragraphe 6, le texte
grec a : από του σώματος αύτοΰ δυσωδία ανέρχεται ανείκαστος ώς μη δύνα-
σθαί τίνα εγγιστα αύτοΰ στήναι (De son corps monte une puanteur inimaginable
de sorte qu'on ne peut se tenir près de lui) ce que le traducteur latin rend par : « sed
et corpus eius putridum itafetet, ut nemo ei valeat propinquare », (mais la pourri
ture de son corps est à ce point puante que personne ne peut l'approcher). De
même, lorsque au paragraphe 8, Syméon se traite lui-même de chien puant dans la
Vie grecque74, le texte latin ne retient pas cette insulte, mais évoque la mauvaise
odeur du corps et celle du péché : « sinite,fratres mei, sic obire fetidum corpore,
ut anima afetoribus sinceretur peccaminum » (permettez moi, mes frères, d'aller
au-devant de la puanteur par le corps de sorte que l'âme soit purifiée des puanteurs
des péchés).
Le texte latin édité par Lietzmann ne colle donc pas au texte grec dans le
domaine du repère olfactif. Il choisit le vocabulaire de la pourriture de préférence
au vocabulaire de l'odeur nauséabonde. Quand il choisit un mot du vocabulaire
olfactif comme foeteo ou fetidus, il tend à lui donner aussi le sens figuré de
« souillé », de « répugnant » plutôt que celui simplement de « malodorant ». Le
champ olfactif n'est donc pas totalement ignoré, mais il est relégué au second plan
par ce traducteur latin.
Doit-on déceler dans ce choix une volonté d'effacer un élément perturbant de la
Vie grecque, à savoir la puanteur du saint ? Est-ce là un trait spécifique de l'hagio
graphie latine qui préfère insister sur la bonne odeur des saints plutôt que sur leur
puanteur ? De fait, il y a un effort d'adaptation de certains aspects de la Vie de
Syméon à des normes acceptables dans le monde monastique latin. Le texte latin
adapte l'ascèse de Syméon aux normes de l'auditoire potentiel. Par exemple, là où
la Vie grecque fait jeûner Syméon du dimanche au dimanche, la Vie latine le fait
jeûner un triduum75. Il est donc possible d'envisager que, pour cet hagiographe
latin, la puanteur du saint soit un élément gênant, perçu comme contradictoire avec
la bonne odeur que l'on se doit d'attendre d'un saint. Peut-on parler d'adaptation
culturelle dans ce cas précis ? Pour tirer une telle conclusion, il faudrait que les
autres Vies latines aient aussi éliminé ce trait particulier du début de la carrière de
Syméon. Or, force est de constater que ce n'est pas le cas. Dans la Vie latine BHL
7957 éditée dans les Acta Sanctorum, le traducteur latin n'hésite pas à parler de la
puanteur de Syméon : « foetor gravissimus de corpore eius ascendit, ita ut nullus
iuxta eum stare possit : etiam cum ambulat vermes de corpore eius cadunt »76.
(Une puanteur très pénible monte de son corps, de sorte que nul ne peut se tenir
près de lui : et aussi, lorsqu'il marche, des vers tombent de son corps). Lorsque
l'higoumène vient trouver Syméon, il pose la question : «foetor iste talis unde
procedit ? »77 (d'où vient une telle puanteur ?). Il faut donc conclure que la puan
teurn'est pas passée sous silence par tous les traducteurs latins. Le choix d'insister
sur les aspects visuels plutôt qu'olfactifs de la blessure causée par la corde est donc
un choix personnel du traducteur. Il est possible que ce choix soit motivé par une
forte conscience de l'association souhaitable entre parfum et sainteté78. S'il y a un
tabou à associer un saint avec la puanteur qui est le propre des démons, ce tabou
n'est pas universellement accepté dans le monde latin.
75. Vie grecque de Syméon, 4 recension A, Lietzmann. p. 22 : Και ταΰτα άκουσας ό άγιος Συμεών
έξήλθεν της εκκλησίας και απέρχεται εις ερημον τόπον και τίθησιν εαυτόν έπι πρόσωπον ημέρας
επτά κλαίων και ευχόμενος τω Θεώ μήτε βρώσεως μήτε πόσεως μεταλαμβάνων. Recension Β, ρ. 23
:
ταΰτα άκουσας ό μακάριος Συμεών έξελθών της εκκλησίας απέρχεται είς ερημον τόπον και τίθη
σινεαυτόν έπι πρόσωπον ημέρας επτά κλαίων και ευχόμενος τω Θεώ μήτε βρωτόν μήτε έπι ποτον
πώποτε άναστάς ; Vie latine. Lietzmann p. 23 : Haec ut audivit Syméon, egressus de ecclesia abiit in
desertum lom et proiciens semet ipsum in faciem super terrain per triduum υ ran dominum et nec ad
manducandum ne que ad bibendum se erexit.
76. BHL 7957. Acta Sanctorum. Jamiarii. t. 1 . Paris 1863. p. 269.
77. BHL 7957. ibid.. p. 270.
78. S. Ashbrook Harvey, On Holy Stench: When the Odor of Sanctity Sickens. Studia Patristica 35.
Papers presented at the Thirteenth international Conference on Patristic Studies, éd. M. F. Wii.rs.
Ε. J. Y Arnold. Louvain 2001, p. 90-101.
Conclusion
79. VSyJ, 26, t. 1, p. 22, trad. t. 2, p. 30 : Έν μια δε των ήμερων ήχησε το παιδίον τινά των ε
ρχομένων προς αυτόν ένέγκαι αύτώ μάσινον σχοινίον, όπερ και ήνέχθη· κα\ λαβών αυτό ένείλησεν
ολω τω σώματι αύτοΰ. Διετέλεσε δε οΰτως έπ\ χρόνον, ώστε καταδαπανηθήναι τας σάρκας αύτοΰ
μέχρι των πλευρών αύτοΰ έκ της σφίγξεως και της τραχΰτητος του σχοινιού εκείνου και έκχεΐσθαι
τα αίματα και συγκολλάσθαι τω τριχίνω αύτοΰ στιχαρίω. Ύπέμεινε δε προθΰμως καταφρονών
των τοιούτων άλγηδόνων. Πολλής δε δυσωδίας φερομένης τω πρεσβύτη κα\ τοΤς προσιοΰσιν άδελ-
φοίς, έζήτουν είκότως πόθεν έστιν ή τοιαύτη δυσωδία, και ήρώτων αυτόν περί αυτής.
80. VSyJ, 31, t. 1, p. 38, trad. t. 2, p. 38 : Μετά ταύτα έτέραν άθλησιν άναδέχεται ό τοΰ θεοϋ
εκλεκτός και καθέζεται επάνω των ποδών αύτοΰ ένιαυτόν. Έσάπησαν δε οι μηροί αύτοΰ και α'ι
άγκύλαι, και έποζέσαντες και κολλήσαντες εν τι γεγόνασιν. [...] Τότε υπό της δυσωδίας γνόντες οι
αδελφοί συν τω πρεσβύτη έξέστησαν.
81. Vie de Théodore de Sykéon, 20. Traduction, commentaire et appendice par A. J. Ff.stuchère,
Bruxelles 1970, t. 2, p. 20, Texte grec, t. 1. p. 17 THv δε ή κεφαλή αύτοΰ δυσωδίαν πολλήν έχουσα
:
άπό των τραυμάτων και τοΰ ίχώρος, ώστε κα\ σκώληκας άνεικάστους φωλεΰσαι, κα\ τα οστά αύ
τοΰ γυμνωθήναι, κα\ την κόμην αύτοΰ συνδεθήνακ και μηδένα δύνασθαι στήναι πλησίον αύτοΰ
από τε της δυσωδίας κα\ των ερπόντων έπ' αύτω σκωλήκων ή $ε ορασις αύτοΰ ήν ως νεκρού. κα\
απαςαπλώς ειπείν νέος Ίώβ ένομίζετο είναι δια την τοιαύτην άλγηδόνα.
82 Festugihrh. p. 494 ; Vie grecque de Svméon. 6, Lihtzmann. p. 26
.
que la puanteur que dégage Syméon est pour eux un signal de danger. C'est aussi
la réaction des moines et des pèlerins en visite auprès de Syméon stylite le jeune
lorsque le monastère est envahi par une terrible puanteur : « II se répandit une
puanteur extraordinaire, au point que tous ceux qui se trouvaient au monastère
étaient en danger à cause d'elle83. » La mauvaise odeur est en fait à la fois symptô
me et vecteur de la maladie pour les gens de cette époque. Même si la notion de
contagion microbienne est inconnue du monde antique, le pouvoir des mauvaises
odeurs joue similairement un rôle de cause explicative de ce que l'entourage des
malades et les médecins étaient souvent atteints du même mal lors des épidémies,
un fait qui n'a pas échappé aux observateurs et qui se trouve exprimé dans la litt
érature grecque comme latine84. Les odeurs fétides véhiculent les maladies, qui se
manifestent, chez le sujet atteint, précisément par une odeur nauséabonde. Cette
dernière met en danger ceux qui la respirent car ils se trouvent ainsi exposés à la
maladie. L'air pestilentiel est en effet porteur de maladies. On a donc une boucle
dans laquelle la mauvaise odeur joue un rôle essentiel85. Cette conviction est passée
de la littérature médicale à la littérature chrétienne. Hippocrate rappelle que « chaque
fois que l'air a été infecté par une pollution (telle que celles qui sont néfastes à la
race humaine), l'homme tombe malade »86. Eusèbe de Césarée explique, à son tour,
que si l'on vit dans une atmosphère pestilentielle, on est sûr de tomber malade87. La
nocivité de l'air se repère à la mauvaise odeur88. La puanteur n'est donc pas simple
mentdésagréable, elle est dangereuse et il faut la chasser ou l'éviter autant que
possible. Cette peur des effets nocifs de la mauvaise odeur explique le dur trait
ement imposé à certains malades malodorants qui étaient isolés quand ils n'étaient
pas tout simplement abandonnés. Sophocle met en scène le triste sort de Philoctète
abandonné à Lemnos en raison de la puanteur qui se dégageait de sa blessure.
Diodore de Sicile rapporte que lors du siège de Syracuse les malades de la « peste »
étaient abandonnés par leur famille, par crainte de la maladie89. Selon Arétée de
83. VSyJ, 222, t. 1, p. 192 : διεδόθη οσμή δυσωδίας ύπερβαλλούσης, ώστε πάντας τους εύρεθέν-
τας έν τω μοναστηρίφ κινδυνεΰσαι εξ αυτής, trad. P. van den Ven, t. 2, Bruxelles 1970, p. 218.
84. Thucydide, La guerre du Péloponnèse, II, 49, 2 ; II, 51, éd. J. de Romilly, Paris 1973, p. 36-
37 : και cm έτερος άφ' έτερου θεραπείας άναπιμπλάμενοι ώσπερ τα πρόβατα εθνησκον ; Diodore
de Sicile, Bibliothèque Historique, XIV, 71, éd. M. Bonnet, E. R. Bennett, Paris 1997, p. 97 : και γαρ
οι τοις κάμνουσι παρεδρεΰοντες ένέπιπτον εις τήν νόσον άπαντες ; Ovide, Métamorphoses, VII, 55 1 ,
éd. G. Lafaye, Paris 1955, p. 48 ; Basile de Séleucie, Vie et miracles de Sainte Thècle, éd. et trad.
G. Dagron, Bruxelles 1978, p. 352-354.
85. R. Palmer, Bad Odour: Smell and its Significance in Medicine from Antiquity to the
Seventeenth Century, Medicine and the Five Senses, éd. W. F. Bynum, R. Porter, Cambridge 1993,
p. 61-68.
86. Hippocrate, De la respiration, 6, éd. W. H. S. Jones, Londres/New York 1923, p. 234-235 :
όταν μεν ούν ό αήρ τοιούτοισι χρωσθή μιάσμασιν, α τή άνθρωπείτ) φΰσει πολέμια έστιν, άνθρωποι
τότε νοσέουσιν.
87. Eusëbe de Césarée, Préparation Évangélique, VIII, 14, 23, éd. E. des Places, Paris 1991,
p. 154-155 : Και γαρ ει έν αέρι γεγένητο λοιμικω, πάντως ώφειλον νοσήσαι.
88. J. -P. Ayoon, Météorologie et épidémie: le topos de la peste chez les poètes latins, La Météor
ologie dans l'Antiquité. Entre science et croyance, éd. Ch. Cusset, Saint-Étienne 2003, p. 275-289.
89. Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, XIV, 7 1 , op. cit. n. 84, p. 96* : μετά δε ταΰτα διά
τε τό πλήθος των νεκρών και δια το τους νοσοκομοΰντας ϋπο τής νόσου διαρπάζεσθαι, ουδείς έτόλμα
προσιέναι τοις κάμνουσιν.
Cappadoce (80-138), il arrivait que les lépreux soient isolés dans des lieux reculés,
tels que des montagnes ou des déserts90. Procope évoque le refus d'ouvrir la porte
à ses amis lors de la peste qui sévit à Constantinople à partir de 541 et le cas des
malades qui meurent de faim parce que personne ne s'occupe d'eux91. Dans les
textes hagiographiques, comme la Vie de Syméon stylite le Jeune, nombreuses sont
les références à la puanteur des malades malodorants que leurs familles ou qu'un
fidèle esclave emmènent dans le sanctuaire du saint en dernier recours92.
Dans la mesure où la puanteur des malades était perçue comme dangereus
e pour les proches, la souffrance psychologique des malades était accentuée par
le dégoût et la crainte qu'ils inspiraient. Même quand les malades malodorants
n'étaient pas abandonnés, le rejet dont ils étaient l'objet était en soi une source de
souffrance. Les malades malodorants intériorisaient le fait qu'ils étaient dangereux
et insupportables pour leur entourage. Philoctète évoque lui-même la difficulté
certaine qu'auraient les marins à supporter la puanteur qui se dégage de son pied
purulent93.
Très souvent donc, les références à la puanteur des malades n'ont pas seule
ment pour objet de donner une description réaliste des corps infectés, mais plutôt
d'exprimer la misère morale des malades dont personne ne s'approche sans dégoût.
Les malades malodorants souffraient donc beaucoup dans le monde antique. Ils
pouvaient invoquer la complainte de Job assis sur un tas de fumier, loin de sa
maison et hors de la ville : « Je suis repoussant pour ma femme, dégoûtant pour
les fils de ma propre mère »94. Le Livre de Job est en effet la référence vers laquell
e les chrétiens se tournent pour donner un sens théologique à la maladie. Jean
Chrysostome offre ce modèle en réconfort aux malades : « Si une mutilation ou une
odeur fétide poussent certaines personnes à se cacher, qu'elles songent à ce héros.
Quoi de plus nauséabond que lui ? Quoi de plus hideux ? Quoi de plus repoussant
? Mais rien n'embaumait plus que son âme »9\ Les malades doivent, selon Jean
Chrysostome, prendre conscience que le diable est jaloux des gens vertueux et qu'il
s'en prend aux justes96. Il leur faut de plus dissocier leur âme incorruptible, si elle
n'est pas ternie par le péché, et leur corps corruptible. La puanteur à craindre est
celle du péché et non celle du corps malade.
90. Aretée de Cappadoce, Περί αιτιών και σημείων οξέων παθών, II, 13, 9, éd. C. Hude, Corpus
Medicorum Graecorum, 2, Berlin 1958, p. 89-90.
91 Procopius, History of the Wars, II, 22-23, ed. H. B. Dewing, t. 1, Londres 1914, p. 450-472.
92. La Vie ancienne de S. Syméon Stylite le Jeune, 212 (puanteur de l'ulcère d'un enfant), 214
.
(puanteur de la gangrène), 227 (puanteur de l'ulcère d'un Isaurien que tous fuient), 245 (humeurs
nauséabondes d'un homme malade du ventre). 254 (femmes délivrées de la puanteur).
93. Sophocle. Philoctète, v. 890-892. éd. A. Dain. trad. P. Mazon. Paris 1967, p. 43
:
Dieu, insistent les Pères de l'Église comme Basile de Césarée97, n'est pas
l'auteur des maladies : « Dieu qui a fait le corps n'a point fait la maladie, de même
qu'il a fait l'âme mais n'a point fait le péché »98. Job 2, 6-7 montre en effet l'action
directe du diable auprès de Dieu pour obtenir la permission d'attaquer Job. La
maladie et la souffrance, tout en n'étant pas suscitées par Dieu, peuvent donc entrer
dans le plan de sa Providence. Avec l'autorisation divine, le diable s'attaque à Job
en lui faisant perdre ses biens, puis ses enfants et finalement la santé. Il lui inflige
une maladie puante, qui l'isole des siens et qui le rend si repoussant, qu'il doit
quitter l'espace habité. Par cette dernière épreuve, le démon veut pousser Job à
renier Dieu et ses bienfaits. Job, qui est un saint homme, ne maudira pas Dieu mais
seulement le jour de sa naissance. Le Livre de Job expose la souffrance et les plain
tes de Job qui non seulement a perdu ses biens, ses enfants, et sa santé mais qui de
surcroît est injustement accusé d'avoir désobéi à Dieu. La maladie n'est pas perçue
par son entourage comme l'épreuve du juste mais comme le châtiment du pécheur.
Il a, selon ses amis, commis une faute cachée que Dieu révèle par cette maladie
puante. L'épreuve de Job est donc double. Il doit faire face à la souffrance physique
liée à sa maladie sans maudire Dieu. Il doit faire face à la suspicion et aux mauvais
traitements de son entourage (aux reproches de son épouse en particulier) sans
perdre espoir en Dieu. C'est sa fidélité, sa patience et son obéissance à Dieu qui
sont donc testées à travers cette épreuve.
Le Livre de Job a été maintes fois commenté par des auteurs chrétiens. Origène,
Jean Chrysostome, Ambroise, Grégoire le Grand, pour ne citer que quelques auteurs,
ont écrit d'amples commentaires sur la souffrance de Job. Le Livre de Job est
aussi l'une des lectures favorites des milieux monastiques, en Orient comme en
Occident. C'est précisément le livre de Job que Syméon stylite le Jeune (521-592)
fait lire à sa communauté : « Et prenant le livre du saint homme Job, il leur ordonna
de faire silence et de prêter des oreilles attentives à sa lecture »". Ce modèle bibli
quea été choisi et suivi par certains saints orientaux, qui comme Job font l'expé
rience de la maladie dans sa puanteur et qui deviennent un objet de dégoût pour
leur entourage. Il existe quelques cas très similaires à celui de Job dans l'hagiogra
phie grecque. Sainte Synclétique, par exemple, dont la Vie est placée dans les
spuria de saint Athanase, tombe malade parce que le diable l'a prise en haine100.
Elle souffre, au départ, d'une dent cariée puis la gencive s'infecte, l'os est atteint.
« Tout son corps se putréfie et exhale une puanteur si pénible que celles qui la
servent souffrent plus qu'elle-même. Le plus souvent, elles se retiraient, ne pouvant
supporter cette odeur affreuse »101. Synclétique doit donc affronter seule une fin
de vie terrible.
97. Basile de Césarée, homélie : Quod deus non est auctor malorum, 2, PG 3 1 , 329-354.
98. Ibid., 344 Β : Ούκοΰν σώμα μεν εκτισεν ό θεός, ούχι νόσον και ψυχήν τοίνυν έποίησεν ό
θεός, ούχι δε άμαρτίαν.
99. VSyJ, 124, t. 2, trad. p. 130, texte, t. 1, p. 106 : Και λαβών την βίβλον τοΰ αγίου Ίώ8 σιγήν
γενέσθαι έκέλευσε και εις άκρόασιν ακριβή τας εαυτών άκοας έκδοΰναι.
100. Vie de sainte Synclétique, PG 65, c. 1487-1558.
101. Vie de sainte Synclétique, 111, trad. Β. Bernard, Abbaye de Bellefontaine 1 972, p. 77 ; PG 65,
c. 1556 : σήψις δε και βαρύτατη δυσωδία καθ' όλον τό σώμα έκράτει· ώς τας ύπουργούσας πλέον
αυτής πάσχειν. Και τον μεν πλείονα χρόνον έχωρίζοντο, μη φέρουσαι την απάνθρωπον όσμήν.
102 Ρ. Horden, The Death of Ascetics : Sickness and Monasticism in the Early Byzantine East,
Mais Synclétique se distingue de Job et rejoint les autres saints chrétiens qui ont
fait l'expérience de la maladie malodorante quand elle refuse les onctions parfu
mées et les soins d'un médecin, préférant lutter seule contre la maladie envoyée par
le diable. Pour ces athlètes de Dieu que sont souvent les saints chrétiens de cette
époque, la lutte contre la maladie fait partie de l'activité habituelle de lutte contre
le démon. C'est en fait l'une des tentations les plus fréquentes du démon que de
soumettre le saint à la maladie pour que l'affaiblissement de son corps le décou
ragedans son ascèse. La réponse du saint à cette épreuve doit être de faire preuve
de patience et non d'appeler le médecin102. Le refus des nombreux saints ascè
tesde se soigner tient au fait qu'ils considèrent cette puanteur et cette souffrance
comme partie intégrante de leur ascèse, une descente non aux enfers mais dans les
bas-fonds de la misère et de la souffrance humaine. C'est ce choix qui explique le
comportement ascétique des deux Syméon ou d'un Théodore de Sykéôn.
Alors que pour Job comme pour Synclétique, la maladie malodorante est une
épreuve envoyée par le démon, pour ces moines orientaux, cette expérience affreu
se de la maladie malodorante, de l'infection des plaies allant jusqu'à la pourriture
des chairs est un exercice ascétique qu'ils s'imposent à eux-mêmes. Contrairement
à Job qui est leur modèle, la puanteur ne leur est pas imposée, mais elle est créée
volontairement non seulement par leur ascèse mais par des blessures qu'ils s'infl
igenteux-mêmes. Ils prennent sur eux la souffrance humaine en faisant l'expérience
de la maladie et de la corruption de la chair. Ils cherchent ainsi à rejoindre l'human
ité dans ce qu'elle a de plus déchue, de plus misérable. Ils peuvent aussi faire
l'expérience du rejet par leur entourage et de la suspicion. Ils vivent une forme de
mort, symbolisée par l'odeur de chair décomposée, qui se dégage de leur corps.
Cette expérience de la maladie joue, de plus, un rôle central dans leur future carriè
re de thaumaturge. C'est elle qui leur permet d'avoir une compassion à la mesure
de la souffrance humaine. C'est elle qui les met de plain-pied avec le malade le plus
abject et le plus rejeté. Un épisode de la Vie de S. Syméon sty lite le Jeune rend
explicite le rôle éducatif que peut avoir la maladie dans le plan de la Providence
divine. Elle sert à apprendre la compassion avec l'humanité souffrante. Selon la
Vie de Syméon le Jeune, un patriarche d'Antioche, sans doute Domninos103, se
montrait peu soucieux des pauvres qui s'en plaignirent dans leurs prières : « À cette
heure, en effet, leur dit Syméon, Dieu a entendu votre plainte, et le Seigneur permett
ra que le patriarche tombe malade ces jours-ci, afin qu'il apprenne à être compat
issant, ce que la nature ne lui a pas appris ». Il en fut ainsi, car peu de temps après,
ses mains et ses pieds se contractèrent, de telle sorte qu'il ne pouvait plus marcher,
mais devait être porté pour remplir tous les devoirs de sa charge. À cause donc de
cela, il vécut entouré d'un profond mépris »104. Il y a donc, selon ce modèle, ceux à
Monks. Hermits and the Ascetic Tradition, éd. W. J. Shf.ils, Oxford 1985, p. 41-52.
103. Patriarche d'Antioche de 545 à 559. sa mauvaise réputation est aussi transmise par la Chronique
de Michel le Syrien, patriarche jacobite d'Antioche (1 166-1 199), IX. 32, éd. et trad. J. B. Chabot. Paris
1901, t. 2, p. 267: « il s'occupait uniquement de la nourriture de son corps, montait à cheval et persécut
ait pour satisfaire son estomac. »
104. VSyJ, 72. t. 1, p. 62, trad. t. 2. Bruxelles 1970, p. 80 Τοΰ γαρ στεναγμού υμών έν ταύτη τη
:
ώρα εΐσακήκοεν ό Κύριος κα\ πάθει συγχωρήσει κα\ αύτον ο Κύριος έν ταύταις τα!ς ημέραις περι-
πεσείν, ίνα γνώ δια της πείρας συμπάσχει ν. όπερ δια της φύσεως ούκ έδιδάχθη. Συνέβη δε ούτως-
qui la nature a donné d'être compatissant, ceux qui comme les deux Syméon
s'imposent de connaître la souffrance pour le devenir et ceux à qui l'épreuve de
la souffrance est imposée pour les ramener à une plus juste charité. Au-delà des
divergences d'écriture, les différents hagiographes qui ont fait de ces épisodes
ascétiques un moment important dans la carrière du saint thaumaturge s'accordent
sans doute pour considérer qu'apprendre la compassion est finalement la raison
d'être de ces tortures décrites avec force détails peu amènes. Les textes hagiogra
phiques évoquent la souffrance physique et morale des malades mais aussi la
charité des saints qui s'occupent d'eux. Syméon le Jeune, fort de son expérience
personnelle, recommande particulièrement à ses disciples de ne pas se détour
ner des malades dont la puanteur dérange, mais de les accueillir et de les soigner
avec sollicitude : « Si votre frère tombe malade et que, à cause de cela, il dégage
une odeur nauséabonde, n'ayez pas honte de le toucher, mais soyez à son service
comme un serviteur servant son maître105. »
Béatrice Caseau
Centre d'histoire et de civilisation de Byzance
Université de Paris IV Sorbonne
Abréviations
ολίγου γαρ χρόνου διαδραμόντος, συνεκάμφθησαν αύτοΰ αϊ χείρες και οι πόδες, ώστε μη δΰνασθαι
αύτον έπιβαίνειν της γης, αλλά βασταγμώ τα αρμόζοντα αύτώ πάντα ποιείν. Τούτου ούν ένεκα έν
πολλή περιφρονήσει διήγεν.
105. VSyJ, 27, t. 1, ρ. 28 : Ει συμ6η τον άδελφον πάθει περιπεσεΐν και έκ τούτου δυσωδία
προσγένηται αύτώ, μή έπαισχυνθης αψασθαι αύτοΰ, άλλα διακόνησον αύτώ, ώς δούλος τω ίδίω
δεσπότη !
1. Grimm 1996.
2. Senninger 2004.
3. W.N. Davis, « Postface » à Bell 1985 : « Il est intéressant de rappeler ici les observations de Bell sur les
changements qui se produisirent au sein de la hiérarchie catholique lorsque l’anorexie sainte devint
de plus en plus prisée par les femmes du Moyen Âge. Le respect et la crainte révérencielles disparu-
rent, et ces femmes furent soupçonnées, de plus en plus franchement, d’être possédées. »
4. Bell 1985 ; Maître 2000.
5. Walker Bynum 1987.
6. Vandereycken & Van Deth 1994.
7. Fraisse 2000.
180
8. Musurillo 1956 ; Rousselle 1974 ; Brown 1988, 218 ; Hirschfeld 1992, 82-91. Pour se faire une idée de
l’échelle des régimes alimentaires à cette époque : Patlagean 1977, 36-53.
9. Devos 1986.
10. Elle est en partie fondée sur les connaissances médicales de leur époque ; Rousselle 1983.
11. Grimm 1996, 156.
12. De Vogüé 1994.
13. Rousselle 1974, 246.
14. Andersen (éd.) 1990 ; non vidi Halfon 1994.
181
L’influence maternelle
Syméon est né en 521, à Antioche dans une famille chrétienne très pieuse. Son
père, originaire d’Édesse, était parfumeur. Sa mère dont le désir de vie ascétique
avait été frustré par le mariage que ses parents lui avaient imposé, transmet le goût
pour la vie ascétique à Syméon. Marthe aurait souhaité garder la virginité, dit le
texte, « par obéissance aux Saintes Écritures, qui disent comment les corps des vier-
ges sont présentés purs au Seigneur » 18. La notion de pureté du corps joue à l’évi-
dence un rôle important dans toute cette biographie. Comme ce souhait de rester
vierge lui est refusé, elle se marie et renonce à ce que le texte appelle l’ornement de
sa virginité. Elle décide toutefois de transformer son mari en homme très pieux :
elle lui impose une vie ascétique stricte, des jeûnes et un couchage à la dure. Elle
trouve en son mari un homme qui se laisse volontiers convaincre du bien-fondé de
cette vie pieuse, puisqu’il lit des Vies de saints lors de ses moments de liberté. Mais
c’est sur sa descendance que repose tout son espoir. Elle se rend au sanctuaire de
Saint-Jean-Baptiste pour demander une descendance sainte. Sa prière exaucée,
Marthe reçoit des instructions sur la façon de procéder pour que cet enfant destiné
à mener la vie angélique dès avant sa naissance, puisse atteindre la sainteté. Saint
Jean-Baptiste lui apparaît pour lui donner des consignes strictes sur la future ali-
mentation de l’enfant :
182
La sainteté se prépare dès la plus tendre enfance par un régime alimentaire dif-
férent de celui des autres enfants. Jean Chrysostome qui a écrit un petit traité sur
l’éducation des enfants en vue d’en faire des athlètes du Christ, des chrétiens à ten-
dance ascétique, n’envisage de les faire jeûner que deux jours par semaine, le mer-
credi et le vendredi. Marthe veut faire de son enfant un être à part, et il lui revient
de le préparer à sa destinée exceptionnelle, en lui imposant un régime alimentaire
exceptionnel.
Certes, la Vie de Syméon est écrite pour montrer la grande sainteté de Syméon
et son élection par Dieu dès sa conception. N’a-t-il pas été conçu après une vision
dans un sanctuaire ? Le biographe de Syméon ne fait pas preuve d’originalité en
soulignant cette élection dès la conception 20. Il dispose déjà de plusieurs modèles
pour souligner l’élection divine dès l’enfance, parmi lesquels le plus archétypal est
celui de Jésus 21. Il a peut-être eu vent des panégyriques impériaux qui soulignent
les vertus précoces des futurs empereurs 22. Le biographe présente Syméon comme
un vase sacré, σκευος αγιον. Il s’inspire en cela de la seconde lettre à Timothée :
Si donc quelqu’un se conserve pur de ces choses (impiété, mal), il sera un vase [σκευος]
servant à un usage noble, sanctifié, fort utile au maître de la maison, propre à toute
bonne œuvre 23.
Mais alors que le texte néotestamentaire fait référence à l’impiété, aux paroles oiseu-
ses et au mal, le biographe de Syméon prend la pureté dans un sens plus terre à terre,
en faisant référence aux aliments. Syméon est un vase dans lequel il ne faut déposer
que des aliments qui ne le rendent pas impur et qui n’entravent pas son ascension
vers le ciel. Ce qui lui est imposé dès la plus tendre enfance est donc bien un régime
monastique.
Marthe, la mère de Syméon, teste ce qui lui a été annoncé dans le sanctuaire de
Saint-Jean-Baptiste. Elle tente de donner au nourrisson son sein gauche, et il s’en
19. VS 3, grec, p. 5 : Κρεων η οινου η των αλλων των απο ανθρωπινης τεχνης σκευαζοµενων ου µε−
ταληψεται τον δεξιον σου µασθον παρασχου αυτω εις αποτροφην, του δε ευωνυµου ολως ουχ
αψεται των γαρ δεξιων εστι το παιδαριον. Αρτος και µελι και αλας και υδωρ δοθησεται αυτω
εις αποτροφην. ; trad. p. 3.
20. Kalogeras 2000. En Occident, Bejczy 1994.
21. Cox 1983 ; Festugière 1960.
22. Weidemann 1989.
23. 2 Ti, 2 : 21 : εαν ουν τις εκκαθαρη εαυτον απο τουτων, εσται σκευος εις τιµην, ηγιασµενον,
ευχρηστον τω δεσποτη, εις παν εργον αγαθον ητοιµασµενον.
183
24. VS 4.
25. VS 6, grec p. 7 : Εξ εκεινου ουν οσακις συνεβαινε την τιµιωτατην αυτου µητερα κρεων θυτου
µεταλαµβανειν, παντοιως ουκ επειθετο το παιδαριον του γαλακτος αυτης απογευσασθαι,
αλλα πασαν την ηµεραν διεµενεν ουδενος µεταλαµβανον ; trad. p. 11 : Chaque fois qu’il arrivait
à sa très estimable mère de manger de la viande de sacrificateur, l’enfant ne se laissait d’aucune façon
persuader de goûter à son lait et il restait sans nourriture toute la journée.
26. Déroche 1996, 78.
27. VS 57.
28. Conformément à ce que souhaite mais n’ose imposer Jean Chrysostome : Sur la Vaine Gloire et
l’éducation des enfants (Malingrey 1972).
184
29. Jérôme, Ad Laetam (Labourt 1955), p. 152 : « Qu’elle ne mange pas en public, c’est-à-dire au repas
de ses parents pour ne pas voir des mets qu’elle pourrait désirer. […] Qu’elle apprenne à ne pas
boire de vin, “source de luxure”. Avant qu’ils aient atteint la force de l’âge, une sévère austérité est
dangereuse pour les tout jeunes. Jusqu’à cette époque, si la nécessité l’exige, qu’elle aille dans les
bains, qu’elle use un peu de vin pour la santé de son estomac, qu’elle mange de la viande pour se
soutenir, de peur que ses pieds ne défaillent avant de commencer leur course. » Il est vrai qu’il s’agit
d’une enfant de l’aristocratie romaine, et non d’un orphelin de père appartenant au monde de l’arti-
sanat d’Antioche.
30. Vööbus 1960, 59.
31. Gould 1994.
32. VS 7.
33. Clarck 1994.
34. VS 8, trad. p. 12-13 : « J’ai désiré voir ta divine ascension, ô enfant, afin que le Seigneur me laisse
aller en paix, moi sa servante. »
35. VS 10, grec p. 10 : ανδρα λευχειµοµουντα, trad. p. 14.
185
186
44. VS 12, grec p. 11 : Ην δε πυρρακης ολος µετα καλλους οφθαλµων κατα το γεγραµµενον και ευ−
πρεπειας προσωπου ; trad. p. 17.
45. VS 14, grec p. 13 : των αλγ ηδονων σφοδρως επιτιθεµενων αυτω και του ολου σωµατος αυτου
κατατακεντος ; trad. p. 18.
46. VS 16, grec p. 14 : Εκτοτε ουν ο του Θεου θεραπων επελαθετο του σωµατος και αγγελικον βιον
ανεδεξατο ; trad. p. 20.
47. Frank 1964.
48. VS 17.
187
49. VS 17, grec p. 14 : Μεταλαµβανε δε ως ορας καµε, οτι βρωσις και ποσις ου κοινοι τον ανθρωπον ;
trad. p. 22. Le stylite Jean se conforme aux recommandations du Christ, cf. Mc 7, 14-23 : « Puis, ap-
pelant de nouveau la foule, il leur disait : « Écoutez-moi tous et comprenez. Il n’y a rien d’extérieur
à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui
rend l’homme impur. » Lorsqu’il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l’interrogè-
rent sur cette parole énigmatique. Il leur dit : « Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence ? Ne savez-
vous pas que rien de ce qui pénètre de l’extérieur dans l’homme ne peut le rendre impur, puisque
cela ne pénètre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis s’en va à la fosse ? » Il déclarait ainsi
que tous les aliments sont purs. Il disait : « Ce qui sort de l’homme, c’est cela qui rend l’homme impur.
En effet, c’est de l’intérieur, c’est du cœur des hommes que sortent les intentions mauvaises, incon-
duite, vols, meurtres, adultères, cupidités, perversités, ruse, débauche, envie, injures, vanité, dérai-
son. Tout ce mal sort de l’intérieur et rend l’homme impur. »
50. VS 17, grec p. 14 : Παντα ως λαχανα χορτου δεδωκα υµιν φαγειν. (Gen 9 : 3).
51. VS 17, grec p. 14-15 : Ουδενα κοινοι το φαγειν, αλλα τους κοινουντας λογισµους κινει και θολοι
και παχυνει και ενυλον απεργαζεται τον λεπτοτατον νουν ; trad. p. 22.
52. VS 17, grec p. 15 : θειοις υµνοις εδιατριβοντες ου συναπραζοµεθα τη µεθη του υπνου των
δαιµονων ουτε εκλυοµεθα υπο της του σωµατος αναπαυσεως ; trad. p. 22.
188
53. VS 18.
54. Caseau 1994.
55. Sur les rites baptismaux, cf. Varghese 1989, 129-133 ; Saxer 1987.
56. Passion de Perpétue et de Félicité, 10 (Amat 1996).
57. VS 23, grec p. 19 : και ευρον αυτον χαπας πεπληρωµενον και το προσωπον αυτου εξαστραπτον
ωσει προσωπον αγγελου. ; trad. p. 27.
58. VS 24, grec p. 20 : Ουδει ς γαρ ηµων δυναται µη επιθυµειν ; trad. p. 27.
59. VS 24, grec p. 20 : της ηµετερας εστι προαιρεσεως ; trad. p. 28.
60. VS 24, grec p. 20 : τον θυµον δια του αυτου λογισµου καταπαυειν δυναµεθα γαστριµαργιαν
τε και τους εκ ταυτης τικτοµενους γαργαλισµους δια προσευκης και επιπονου νηστειας
χαλιναγωγ ησωµεν ; trad. p. 28.
189
Syméon et le diable
Pour Syméon, le démon se sert de l’estomac pour susciter de mauvaises pen-
sées et soumettre les moines à la tentation. « Par leurs assauts, les démons allument
la guerre, ayant comme armure le rassasiement de l’estomac » 61. Ne jamais manger
à satiété est donc une nécessité dans la lutte contre les démons. Le vin est l’autre
arme des démons pour vaincre les résistances des fidèles. Syméon met en garde les
moines contre les effets du vin :
L’abus du vin signifie le voisinage des démons et échauffe le corps dans des désirs fié-
vreux, rend le sommeil lourd et accroît la paresse de l’esprit ; il fait de tout le corps
l’habitation du démon, si bien qu’on dit ce qu’il ne faut pas dire et qu’on fait ce qu’il
convient de ne pas faire 62.
Le diable et ses serviteurs les démons jouent un rôle aussi important que les
anges dans les récits hagiographiques de cette époque 63. Dans le cosmos de l’homme
de l’Antiquité tardive, il y a la sphère divine et celle des hommes. Entre les deux, il
y a la sphère des êtres intermédiaires, anges et démons, qui jouent un rôle impor-
tant dans la gestion des affaires courantes. Aux anges blancs ou lumineux, messa-
gers célestes, s’opposent les noirs démons tentateurs. Les premiers sont seulement
des messagers divins, mais aussi des protecteurs des chrétiens, quand ils ne chan-
tent pas la gloire divine au ciel. Les seconds sont au service de l’ange déchu qu’est
Satan 64. Ils sont présents au milieu des fidèles, dans le but de remplir leurs missions
de tentation.
Alors que les anges sont présentés comme des adultes lumineux, la description
du diable est celle d’un enfant déraisonnable, qui peut prendre des formes anima-
lières. Satan « ayant des ailes comme un oiseau et un visage d’enfant, lui sauta à la
face » 65. Un peu plus tard, « il lui apparaît comme un enfant noir et effronté » 66. Il
peut prendre la forme du serpent, mais, le plus souvent, il suscite des visions de ser-
pents. Les textes hagiographiques hésitent toujours entre le phantasme et la réalité 67.
Les visions s’évanouissent en fumée à la seule mention du nom du Christ, ou après un
61. VS 27, grec p. 26 : Τη γαρ προσβολη εκπυρουσιν οι δαιµονες τον πολεµον, πανοπλιαν εχοντες
το πληρωµα της γαστρος ; trad. p. 33.
62. VS 27, grec p. 28 : παροικια δαιµονων εστιν η πολυοινια και εν τη πυρωσει υφαττει τω σωµατι,
τον δε υπνον βαρυν απεργαζεται και τας πρενας αργοτερας ποιει, και ολον το αγγειον οικητηριον
διαβολου καθιστησιν, ωστε λαλειν τα µη δεοντα και πραττειν τα µη πρεποντα ; trad. p. 34.
63. Brown 1970.
64. Pagels 1996.
65. VS 39, grec p. 38 : παλιν δε ως πετεινον εχων πτερυγας και ως παιδιου προσωπον ωρµησε κατα
του προσωπου αυτου ; trad. p. 47.
66. VS 39, grec p. 38 : ωσπερ αναιδης αυτω φαινεται παις µελας ολος ; trad. p. 48.
67. Guillaumont 1957.
190
Une autre fois, il saisit le diable et lui lie les mains dans le dos, comme un prisonnier.
Cette brillante victoire lui vaut les félicitations du Christ lui-même entouré de
Michel et de Gabriel. Lors de cette vision à ciel ouvert, il obtient le pouvoir de faire
fuir les démons :
Il lui vint dans la main un bâton, et les démons s’enfuirent de devant lui. Alors tous
ceux qui étaient accablés de diverses maladies allèrent vers lui et leurs maux disparais-
saient, les démons étant expulsés, et tous s’en allaient en glorifiant Dieu. Et trois anges
debout apparurent, l’un à droite, l’autre à gauche, et le troisième derrière Syméon,
qui tenaient des écritoires brillants comme l’or, et sur un mot du saint, ils inscrivaient
chacun de ceux qui allaient obtenir leur guérison comme sur un parchemin plus blanc
que la neige 69.
191
70. VS 27.
71. VS 27, grec p. 27 : Εσθιων δε θου φυλακην τω στοµατι σου ; trad. p. 34.
72. VS 27.
73. VS 27, grec p. 27 : προτρεψαι αυτον λαβειν αγαπην τον της ζωης στερεον αρτον ; trad. p. 34.
74. VS 47, grec p. 44 : Κυριε, ει µετα αγιων κελευεις µε βασιλευειν, ουκ εσται ετι µεταλαµβανειν
µε των του βιου βρωµατων χαριτι της σης αγαθοτητος. ; trad. p. 53.
75. VS 47, grec p. 44 : Και εν τουτω ηυξησα του ποιησαι το θεληµα σου ; trad. p. 53.
192
Syméon a donc survécu de longues années à son régime grâce à une sorte de manne
nourrissante apportée par un ange.
76. VS 256, grec p. 221-222 : Ετι γαρ νηπιαν αγοντος µου την ηλικιαν, των εδωδιµων του βιου κατα−
φρονησας, συν καµψει γονατων και χυσει δακρυων πολλων εδυσωπησα αυτον τον αληθινον
Θεον ηµων ειρηκως Ευδοκησον δη, ο Θεος, επι τω σω δουλω και απαλλαξον µε της µεταληψεως
των βρωµατων του αιωνος τουτου, τροπω και σχηµατι ω αυτος ευδοκων θελησεις ; trad. p. 246.
77. VS 256, grec p. 222 : ανδρα λευχειµονουντα, ιεροπρεπες περιβεβληµενον σχηµα, ορασιν τε
εξαστραπτουσαν εχοντα και τουτον εωρακως εξεστην επι τη ενδοξω αυτου θεα. Ουτος ουν
εν ταις χερσιν αγιον σκευος επεφερετο και δια των αερων εγενετο προς µε και ειδον και ιδου
εν αυτω τω αγιω σκευει ως ειδος ορυζης λευκοτατον, οιον ουδεποτε εθεασαµην ουδε κατα−
λαβεσθαι ισχυω και τριτον εξ αυτου επεβαλεν ως δια κοχλιαριου τω ταπεινω µου στοµατι
εξ εκεινου τε του χρονου και µεχρι νυν κατα αγιαν αναστασιµον ηµεραν της αγιας κυριακης
µετα την αγιαν λειτουργιαν εωρουν αυτον τον πανιερον και θεοειδη ανδρα συν τω αγιω
σκευει ερχοµενον προς µε και της τοιαυτης αξιουντα µε µεταληψεως, ητις διηρκει ευφραινουσα
την εµην ταπεινωσιν µεχρι της επιουσης αγιας κυριακης. ; trad. p. 246. Sur l’usage de la
cuiller cf. Caseau 2002 ; sur la communion des stylites cf. Bingelli (à paraître).
78. Voir dans ce volume sa contribution : « Déni du corps et de la féminité ».
193
79. VS 38 : « Il appelait le sommeil, comme un serviteur, lui ordonnant de l’assister et de l’aider pen-
dant le temps d’un court repos ; mais souvent il ne dormait pas du tout. Une autre fois, pendant
trente jours et trente nuits, il s’abstint de dormir. »
80. Une prudence recommandée par G. Clarck (Clarck 1994).
194
L’ancien lui imposa de ne plus recourir à une pratique aussi cruelle et inhumaine.
Mais il persista à le faire, non pas une ou deux fois mais fréquemment, en se bornant
à serrer moins fort la corde autour de son corps 81.
195
196
le visage du saint devint comme celui d’un ange, et l’un de ses disciples qui allait près
de lui au point du jour fut rempli de frayeur en le voyant, parce que le saint resplen-
dissait par la grâce du Saint-Esprit. Par l’effet de la gloire qui le protégeait, un abon-
dant parfum de myrrhe et d’encens flottait autour de lui 86.
83. VS 33, grec p. 32 : Το δε παιδιον εκλαµπον ως ο ηλιος, αγγελικης πολιτειας και θειων χαρισµατων
πεπληρωµενον ; trad. p. 40.
84. VS 34, grec p. 33 : Αυτα γαρ τα χερουβιµ και τα σεραφιµ εµιµειτο ασιγ ητοις ξειλεσιν εµφοβως
δοξολογων τον Θεον ; trad. p. 41.
85. VS 37.
86. VS 59, grec p. 53 : Και εγενετο το προσωπον του αγιου ωσει προσωπον αγγελου, και προσελθων
εις των µαθητων αυτου υπο τον ορθρον ειδε και εφοβηθη σφοδρα, οτι ην ο αγιος δεδοξασµενος
εκ της χαριτος του αγιου πνευµατος πληθος δε ευωδιας µυρων και θυµιαµατων ην περι αυτον
υπο της δοξης της φυλαττουσης αυτον ; trad. p. 66.
197
À cause de ton saint nom, j’ai méprisé même mes pieds en les laissant tomber en pour-
riture, et afin que Satan sache que je ne suis pas ébranlé 88.
Instruits par la puanteur, les moines envoient chercher un médecin. Mais Syméon
refuse de se faire soigner, car sa maladie, la gangrène et la puanteur deviennent alors
des métaphores du péché que seul le médecin céleste peut guérir. La maladie a selon
Syméon et de nombreux autres écrivains chrétiens de son époque une origine démo-
niaque. Elle est donc le terrain de lutte normal du moine contre les démons. Appeler
le médecin revient donc à faire une erreur de diagnostic sur l’origine de la maladie
qui est une épreuve pour le saint moine 89. Syméon donne un sens à sa douleur en
décidant de porter en son corps la souffrance et le péché de l’humanité. En accep-
tant cette décomposition physique, il vit pleinement jusqu’à la lie, la souffrance et
la déchéance humaine. En liant cette souffrance à la chute de l’humanité et au péché,
il verse d’innombrables larmes, larmes de douleur mais aussi larmes de la pénitence.
Son corps devient donc terrain d’expérimentation spirituelle. Il devient embléma-
tique du sort de l’humanité déchue, mais aussi instrument de salut, puisque par ses
souffrances acceptées au nom du Christ, il obtient de devenir un instrument de la
guérison opérée par Dieu. La notion de souffrance rédemptrice apparaît clairement.
Syméon est crucifié comme le Christ avec lequel il s’identifie.
La destinée du corps réel est loin de l’idéal imaginé du corps angélique. En deve-
nant stylite, Syméon a accepté de renoncer à son corps pour une récompense dans
l’au-delà. Il compare volontiers les outrages du corps malade à la félicité future des
saints au Paradis. « Ici, explique Syméon, des vers mangeront le corps, et là-bas un
87. VS 31, grec p. 30-31 : Εσαπησαν δε οι µηροι αυτου και αι αγκυλαι, και εποζεσαντες και κολλη−
σαντες εν τι γεγονασιν ; trad. p. 38.
88. VS 31, grec p. 31 : ∆ια το ονοµα σου το αγιον και των ιδιων ποδων κατεφρονησα γενοµενος
σεσηπως, και οπως γινωσκη ο σατανας οτι ασαλευτος ειµι ; trad. p. 38.
89. Larchet 1997.
198
Conclusion
Il semble possible de conclure de cette étude que le cas de Syméon est un cas
d’anorexie mentale. Il manipule son entourage via son refus alimentaire, comme
les anorexiques. Grâce à ce jeûne extrême, l’enfant Syméon cherche à se faire accep-
ter dans un premier temps, puis admirer par la suite. Comme de nombreuses ano-
rexiques, il gagne par son contrôle sur lui-même, un sentiment de puissance, voire
de supériorité sur les autres, qui s’affirme de plus en plus dans ses visions. Il se voit
armé d’un bâton dominant les démons, puis revêtu de pourpre et obtenant de Dieu
ce qu’il lui demande. Il se voit entouré d’anges à son service qui écrivent sous sa dic-
tée. Ces visions sont bien nécessaires pour compenser la triste réalité d’un Syméon
au corps endolori et miné par la maladie. Son hagiographe va plus loin encore, sans
doute pour les besoins du monastère : il présente Syméon comme un être si favorisé
par Dieu que les pèlerins venus le prier d’intercéder pour eux peuvent obtenir la gué-
rison divine par un simple contact avec le vêtement du saint, puis après sa mort avec
une « eulogie » 91. Le monastère fournit alors sans nul doute de quoi satisfaire les pèle-
rins en mal de contact avec le saint, après le décès de ce dernier 92. Mais on sait que
Syméon distribuait des eulogies déjà de son vivant pour les guérisons de personnes
au loin. Il était donc clairement conscient de l’attente des pèlerins à son égard et de
sa capacité à la satisfaire. Il semble bien que la victoire qu’il avait remportée sur son
corps en supprimant en lui le besoin de manger ou de dormir ou de se vêtir comme
l’humanité ordinaire, lui avait donné le sentiment d’être au-dessus des mortels, entre
terre et ciel, non seulement grâce à la colonne mais plus encore grâce à son ascèse
obstinée. Ce dernier trait, ce sentiment de contrôle et de puissance permet de faire
entrer Syméon dans la petite communauté des saintes anorexiques. On ne peut qu’ad-
mirer sa résistance exceptionnelle, puisqu’il vécut soixante et onze ans, dont soixante-
cinq ans au monastère et soixante-quatre ans sur une colonne de stylite.
Béatrice Caseau
Université Paris-Sorbonne, Paris IV
90. VS 30, grec p. 30 : ενθεν το σωµα σκωληκες εδονται, κακει δε σκωληξ ολεσει τους
κρινοµενους ; trad. p. 37.
91. VS 41 ; Déroche 1996, 80.
92. Sodini 1993 ; Lafontaine-Dosogne & Orgels 1967.
199
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Passion de Perpétue et de Félicité, 10, J. Amat (éd. et trad.) (1996), Paris, Éditions du Cerf
(Sources chrétiennes).
202
203
Entre les dernières années du règne de Nicéphore II Phocas, et l’arrivée des Turcs
seldjoukides, dans les années 1070-1080, la région d'Antioche est sous autorité byzantine et
les deux monastères des saints stylites, Syméon l'Ancien et Syméon le jeune bénéficient du
retour d'un pouvoir chrétien qui est favorable à la vie monastique. Il est de nouveau possible
de construire ou de restaurer les églises et la vie monastique ne connaît pas d’obstacle à son
développement. La reconquête par les armées byzantines d’Antioche en 969 permet à la
communauté melkite de retrouver l’appui politique dont elle avait été privée depuis la
conquête arabe. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l'intérêt renouvelé pour les deux
stylites les plus célèbres de l’histoire monastique que furent Syméon l’Ancien et Syméon le
Jeune.
A l’époque médio-byzantine, les deux Syméon ne sont pas tout à fait sur un pied d’égalité. Le
culte de Syméon le Jeune progresse davantage. L’Ancien était installé non loin d’Alep et le
Jeune non loin d’Antioche. Les deux stylites ont attiré autour de leur personne disciples et
pèlerins et ont bénéficié d’appuis financiers permettant la construction de deux imposants
monastères,2 mais les divisions christologiques et ecclésiales ont conduit le monastère de
Syméon l’Ancien du côté des Jacobites tandis que celui de Syméon le Jeune était Melkite. La
concurrence entre les deux centres est illustrée par le fait que la Vie de Syméon le Jeune
probablement rédigée au début du 7e siècle, emprunte des épisodes aux Vies de Syméon
l’Ancien, sans même le mentionner.3 Dès avant la reconquête byzantine du 10e siècle, les
deux monastères sont habités par des moines chalcédoniens et après la reconquête, ils
bénéficient de l’afflux de visiteurs lié à la progression de la communauté chrétienne melkite, à
laquelle appartient le personnel civil et militaire partageant la foi de l’empereur arrive en effet
de Constantinople pour gouverner et protéger la région. Des chrétiens réfugiés de l’Egypte
Fatimide, comme Yahya d’Antioche4 ont pu aussi contribuer à cette croissance
1
. Nous souhaitons remercier Anna Lampadaridi et Jean-Claude Cheynet pour leur relecture et
conseils.
2
. Monastère de Syméon l’ancien : la construction commence à une date inconnue après la mort du
saint en 459. L'église cruciforme est achevée vers 490, J.-P. SODINI, La hiérarchisation des espaces à
Qal'at Sem'an, in M. KAPLAN (ed.), Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en
Occident. Paris 2001, 251-262 ; J.-L. BISCOP, Réorganisation du monachisme syrien autour du
sanctuaire de Saint-Syméon, in F. BRIQUEL CHATONNET (éd), Les églises en monde syriaque. Paris
2013, 131-167, à 136-144 ; monastère de Syméon le jeune inauguré en 551 du vivant du saint, J.
LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires archéologiques dans la région d’Antioche. Recherches sur le
Monastère et sur l’iconographie de S. Syméon Stylite le Jeune. Brussels 1967, 67–135 ; W.
DJOBADZE, Archeological Investigations in the Region West of Antioch on-the-Orontes. Stuttgart
1986, 57–115.
3
. V. DEROCHE, Quelques interrogations à propos de la Vie de Syméon Stylite le Jeune. Eranos. 94
(1996) 65-83
4
. Histoire de Yah.ya¯ ibn-Sa’¯ıd al-Anta¯k¯ı, Continuateur de Sa’¯ıd ibn-Bi.tr¯ıq, éd. et trad. I.
1
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (55)
démographique.5 Cette communauté melkite est placée sous l’autorité d’un patriarche qui est
désormais nommé par Constantinople. La charge est rarement confiée à un clerc local6, un
grand nombre des patriarches d’Antioche est choisi dans le clergé de Sainte-Sophie ou dans
les monastères proches de la capitale.7 La localisation du monastère de Syméon le Jeune, plus
proche d’Antioche et donc du centre régional du gouvernement byzantin le favorise par
rapport au monastère de Syméon l’Ancien, plus à l’est. On constate que le 11e siècle est une
période prospère pour le monastère du Mont Admirable comme pour la région au témoignage
d’Ibn Butlan qui la parcourut en 1051.8 De ce siècle de présence byzantine à Antioche, date
une floraison de textes hagiographiques concernant saint Syméon le Jeune et la reprise de la
production d'objets (eulogies) montrant le saint sur sa colonne. Ces deux types de production,
littéraire et matérielle, illustrent la vitalité du culte des Syméon stylites dont la diffusion au-
delà de la région d’Antioche se repère notamment par l’insertion des deux stylites dans les
programmes iconographiques des églises médio-byzantines9, par le choix des stylites comme
motif iconographique sur des sceaux byzantins et par l’onomastique monastique.
Cet article se penche sur la production hagiographique autour de Syméon Stylite le Jeune
durant cette période et plus particulièrement sur les choix qui sont opérés lors de la rédaction
d’une vie abrégée du saint.
2
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (56)
Syméon l'Alépin, en raison de sa proximité avec Alep, a été construit autour de la colonne du
saint au 5e siècle, sous les règnes de Léon et de Zénon. Le monastère doté d’imposants
bâtiments devint un centre de pèlerinage renommé et de nombreuses eulogies ont été
produites à l’effigie de Saint Syméon l’Ancien10. Les moines du monastère optent pour le
monophysisme et sont sous l’autorité de Sévère d’Antioche. Une tentative de reconquête par
des moines chalcédoniens échoue et aboutit à un massacre.11 Entouré d'un enclos, le
monastère servit de refuge à la population des villages voisins lors des attaques qui se
produisirent à partir du 7e siècle. En 638, les troupes arabes firent cependant irruption dans le
monastère et emmenèrent en captivité les hommes et les femmes qui y avaient trouvé refuge.
Une inscription syriaque datée de 843/844 évoque un certain Serge comme higoumène et
atteste que le monastère continue cependant à fonctionner sous les Omeyyades puis sous les
Abbassides. Toutefois, une partie du monastère n’est plus aux mains des moines : les
mosaïques du baptistère sont détruites et des tombes musulmanes montrent que cette zone a
été confisquée et une partie du monastère a servi d’habitation. G. Tchalenko fait l’hypothèse
d’une interruption de l’occupation du monastère par les moines qui se seraient repliés à Deir
Siman.12 Le monastère passe des monophysites aux chalcédoniens. On ignore si le
changement a déjà eu lieu au 9e siècle mais au 10e siècle ce sont des moines melkites qui
vivent à Qal’at Sem’an.13 Peu avant la reconquête byzantine, à l'époque du patriarche
Christophoros, en 966, un kastron fut construit dans une partie de l'ancienne église. Les accès
en pente douce créés pour les pèlerins furent détruits, et le monastère fut fortifié14. Au
témoignage de Yahya d’Antioche, c’était alors un monastère peuplé et florissant.15 Le
patriarche avait fui la révolte d’Antioche contre l’émir d’Alep, en se réfugiant au monastère.
Le patriarche Christophoros est une figure intéressante, qui s'entendait très bien avec l'émir
d'Alep Sayf ad-Dawla mais c’est ce qui causa sa fin tragique : il fut assassiné par des notables
musulmans en 967, à la mort de l'émir16. Les travaux de fortification, entrepris en 966 au
monastère, se poursuivent avec davantage de ressources en 979, alors que la région est sous
autorité byzantine. Ces travaux n'empêchèrent pas la prise du monastère à la fin du 10e siècle.
Une armée musulmane venue d'Alep massacre les moines et les villageois refugiés dans
10
. J.-P. SODINI, Remarques sur l’iconographie de Syméon l’Alépin, le premier stylite. Monuments
Piot 70 (1989) 38–40 ; Id., Nouvelles eulogies de Syméon, C. JOLIVET-LEVY/J. P. SODINI/M. KAPLAN
(eds.), Les Saints et leur sanctuaire à Byzance. Paris 1993, 25–33
11
. F. ALPI, La route royale. Sévère d’Antioche et les Eglises d’Orient (512-518). Beyrouth 2009, 232.
12
. G. TCHALENKO, Villages antiques de la Syrie du Nord. Le Massif du Bélus à l’époque romaine.
Paris 1953, t. 1, 242.
13
. K.-P. TODT, Region und griechisch-orthodoxes Patriarchat von Antiocheia in mittelbyzantinischer
Zeit und im Zeitalter der Kreuzzüge (969-1204). (Typescript of thesis, Wiesbaden, 1998), 918-919.
14
J.-L. BISCOP, The “Kastron” of Qal‘at Sim‘ān. Muslim Architecture in Greater Syria, from the
Coming of Islam to the Ottoman Period, éd. H. KENNEDY, Leiden 2006, 75-83; J.-P. SODINI, Saint
Syméon, lieu de pèlerinage. Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa 38 (2007) 107-120
15
. Histoire de Yah.ya¯ ibn-Sa’¯ıd al-Anta¯k¯ı, Continuateur de Sa’¯ıd ibn-Bi.tr¯ıq, éd. et trad. I.
KRATCHOVSKY, A. VASILIEV, Patrologia Orientalis 23, Paris 1932, II, 416
16
Une vie arabe de ce patriarche a été traduite: H. ZAYAT, Vie du patriarche melkite d’Antioche
Christophore († 967) par le protospathaire Ibrahîm b. Yuhanna. Document inédit du Xe siècle. Proche-
Orient chrétien 2 (1952), 11-38 et 333-366
3
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (57)
l'enceinte du monastère en septembre 98517. Un véritable charnier de corps décapités et
mutilés a en effet été découvert18. Une armée fatimide est probablement à l’origine d’une
autre attaque qui incendie le monastère vers 1017. Si la vie monastique a repris sur le site -
puisque des moines sont attestés au 12e siècle - le monastère n'est guère florissant et ne
semble pas être un centre de rédaction hagiographique à cette époque. Le monastère est
déserté et semble détruit en 1200.
L'autre monastère qui a bénéficié du retour au pouvoir des Byzantins est le monastère de
Syméon le Jeune (521-592), situé non loin d'Antioche, à environ 500 mètres d’altitude sur une
colline dominant l’embouchure de l’Oronte, non loin de la route liant Antioche à la plaine de
Séleucie de Piérie, à son port et au delà à Laodicée.19 Le monastère de Syméon a été construit
de son vivant et inauguré en 551. Peu après la mort de Syméon, ses miracles sont narrés dans
une Vita très longue, comportant 259 chapitres, compilation de sources diverses, qui est pour
plusieurs épisodes calquée sur celle du premier stylite. De si nombreux miracles sont attribués
au saint que ce dernier est connu ensuite sous le nom de Syméon le thaumaturge et que la
colline prend le nom de Mont Admirable. Vincent Déroche propose que cette Vita ait été
précisément écrite sous le règne de Phocas, entre 602 et 610.20 Par rapport à Syméon l'Ancien
dont la vocation à monter sur une colonne a lieu à l'âge adulte, Syméon le Jeune est devenu
stylite à l'âge de 6-7ans. Il est admiré pour cette ascèse d'enfance par le patriarche d'Antioche,
qui le consacre diacre à 12 ans. Contrairement aussi à son homonyme alépin, il est donc
membre du clergé et devient prêtre. L’influence du premier stylite sur le second est tacite : la
Vie de Syméon le Jeune s'inspire sans la citer de celle de Syméon l'Ancien et reprend certains
épisodes comme le fait de se meurtrir le corps en s'entourant de cordes, ou encore les
descriptions des plaies sur les pieds. Il semble clair que Syméon le jeune a aussi trouvé son
inspiration architecturale à Qal’at Sem’an, même s'il prétend tenir des anges le plan du
bâtiment.21 Le silence sur ces emprunts évoque une situation de concurrence entre les deux
monastères qui s’explique aussi par les conflits christologiques, qui ont divisé le patriarcat
d’Antioche et conduit à la création de deux Eglises à la hiérarchie séparée à partir du 6e siècle.
Contrairement à Qal’at Sem’an, le monastère du Mont Admirable est resté dans les mains des
chalcédoniens, désormais nommés Melkites.
Ce monastère a été pendant les siècles de son existence un lieu de vie intellectuelle et de
transferts culturels. Il a conservé son ancrage dans la culture grecque, même pendant la
période arabe, mais l’arabisation progressant, les moines bilingues ont pu transmettre
17
. Histoire de Yahyá - ibn - Sa'íd, Continuateur de Sa'id - ibn - Bitriq, éd. et traduction. I.
KRATCHOVSKY, A. VASILIEV, Patrologie orientale 23, Paris 1932, II, 416.
18
L. BUCHET, J.-P. SODINI, J.-L. BISCOP, P.-M. BLANC, M. KAZANSKI, D. PIERI, Massacre dans le
monastère de Qal'at Sem'an, Syrie (extrêmité ouest du martyrium, sondage BW5), Vers une
anthropologie des catastrophes. Actes des 9e journées anthropologiques de Valbonne. Paris 2009,
317-332.
19
. J. MECERIAN, Le monastère de Saint-Syméon-Stylite-le-jeune, exposé des fouilles. Comptes rendus
des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres 92: 3 (1948), 323-328.
20
. V. DEROCHE, Quelques interrogations à propos de la Vie de Syméon Stylite le Jeune. Eranos. 94
(1996) 74-75
21
. J. LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires archéologiques dans la région d’Antioche. Recherche sur le
monastère et sur l’iconographie de S. Syméon Stylite le jeune, Bruxelles 1967, 67.
4
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (58)
l’enseignement de la patristique grecque en arabe. Des inscriptions funéraires bilingues
montrent que le grec a continué à être lu et écrit. Ce bilinguisme permit à certains des moines
de devenir traducteurs et de transmettre des œuvres grecques au monde arabe. Ce travail a
commencé avant la reconquête byzantine et s’est poursuivi ensuite. Antoine, higoumène de
Saint-Syméon du Mont admirable traduit Jean Damascène et des homélies de Jean
Chrysostome. Parmi les œuvres traduites à Saint-Syméon au 10e siècle, on peut citer des
catéchèses de Théodore Stoudite traduites par l’archimandrite Chariton.22
Après la reconquête byzantine, l’hellénisme regagne encore du terrain. Julien Aliquot a
récemment réuni le corpus des inscriptions grecques des territoires de la reconquête byzantine
en Syrie, depuis la fin du 10e et au cours du 11e s. Au monastère de Syméon le jeune, il relève
deux inscriptions sur mosaïque, qui datent du 11e siècle :
-‐ une dédicace versifiée dans l’église de la sainte Trinité,
-‐ et une inscription sur mosaïque au nom de l’archimandrite Syméon dans la même
église.23 (photo)
Le monastère du Mont Admirable a bénéficié de l'implantation de moines géorgiens, eux
aussi chalcédoniens, qui se sont montrés très actifs dans le travail de traductions de textes
hagiographiques.24 Il y avait environ soixante moines Géorgiens vers 1057 qui eurent accès
comme les autres moines du monastère à la bibliothèque du patriarche Théodore III (1034-
1042) que ce dernier avait déposée au monastère et qui contenait quelques quatre cent vingt
volumes. Les moines géorgiens jouèrent un rôle important dans la diffusion du culte de saint
Syméon dans leur pays d’origine. Ils disposaient de leur propre église au sein du monastère et
il est possible que les moines aient eu aussi un scriptorium. Ils se sont montrés dynamiques
dans leur une activité littéraire.25 Une Vie de Marthe, la mère de Syméon a été traduite en
géorgien par un certain David dont G. Garitte pensait qu’il était moine au Mont Admirable,
alors que Kekelidze l’identifiait avec David Tbeli un traducteur actif à la fin du 10e siècle, qui
avait traduit des Vies de saints de Syméon Métaphraste.26 Une Vie de Syméon le jeune existe
aussi en traduction géorgienne et comme son modèle grec, signale la vénération de nombreux
Géorgiens pour le saint.27 Il est probable que cette traduction géorgienne ait été composée
dans ce même monastère. Elle est datée diversement mais elle est antérieure à la fin du 10e
22
J. NASRALLAH, Deux auteurs melchites inconnus du Xe siècle. Oriens christianus 63 (1979) 75-86.
Ce Chariton est à placer entre Antonios et Pierre, mais la question reste de savoir si cet archimandrite
du monastère Saint-Syméon est ensuite devenu higoumène du monastère d’Arsaya. C’est sous le nom
de Chariton d’Arsaya que des extraits des Petites catéchèses de Théodore Stoudite ont été traduits.
23
Z. ALEKSIDZE et J. ALIQUOT, La reconquête byzantine de la Syrie à la lumière des sources
épigraphiques: autour de Balāṭunus (Qal‘at Mehelbé). Revue des études byzantines 70 (2012), 175-
208.
24
. B. MARTIN-HISARD, Georgian Hagiography, in S. EFTHYMIADIS, The Ashgate Research
Companion to Byzantine Hagiography. Vol. 1, Periods and Places, Farnham 2011, 285-298.
25
. W. Z. DJOBADZE, Materials for the Study of Georgian Monasteries in the Western Environs of
Antioch on the Orontes. Louvain 1976, 87-88.
26
. G. GARITTE, Version géorgienne de la Vie de Sainte Marthe. CSCO 285, Louvain 1968, XXIV; K.
KEKELIDZE, Keimena I, Tbilisi 1918, 215-340.
27
. P. VAN DEN VEN (éd), La Vie ancienne de S. Syméon Stylite le Jeune (521-592), t. 1 : Introduction
et texte grec. Bruxelles 1962, 54*.
5
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (59)
siècle, puisqu’elle contenue dans un manuscrit antérieur à 978.28 Georges le reclus qui vivait
au Mont Admirable près du monastère de saint Syméon a commandité la copie de la Vie de
sainte Marthe et de celle de saint Barlaam pour en faire cadeau au monastère d’Iviron au
Mont Athos. Il a du faire copier le texte au monastère de Saint-Syméon dans les années 1042-
1045.29 Le monastère est aussi à l’origine des deux autres copies connues de la Vie de sainte
Marthe en géorgien : l’un a été apporté à Jérusalem30 et l’autre est actuellement à l’institut des
manuscrits à Tiflis.31 Il est donc clair que le monastère est ainsi devenu un centre de rédaction,
de traduction et de copie de textes hagiographiques au 11e siècle. Il a aussi servi de centre
d’échanges culturels entre chrétiens d’horizons divers.
Le monastère attire en effet des visiteurs et reprend avec éclat son rôle de lieu de pèlerinage,
ce qui stimule la production d’eulogies et finalement sert à la diffusion du culte de Syméon au
delà de la région d’Antioche. Deux moines byzantins, assez célèbres en leur temps, sont
passés par le monastère au 11e siècle. Saint Lazare le Galésiote (†1053) fait un pèlerinage au
monastère de Syméon le thaumaturge alors qu’il se rend de Laodicée à Antioche.32 Saint
Nikon de la montagne Noire (né v. 1025), un aristocrate de Constantinople devenu moine,
vient résider un temps au monastère de Saint-Syméon et y vit en ermite dans une hutte.33
Avant de se rendre au Mont Athos, Georges l’hagiorite (†1066) a vécu au Mont Admirable,
dans un ermitage dépendant du monastère. La Vie de saint Georges l’hagiorite,34 raconte les
relations difficiles entre les moines géorgiens et les moines autochtones. On a ainsi quelques
mentions éparses du monastère dans la littérature grecque du 11e siècle, indépendamment des
textes qui traitent de saint Syméon lui-même et ces mentions prouvent l’attractivité du
monastère.
La première moitié du 11e siècle est une période faste pour le monastère. Le monastère a sans
doute bénéficié de dons de terres lors de la reconquête et devient l’un des monastères les plus
riches de l’empire. Ibn Butlan au milieu 11e s. explique que le monastère et ses terres couvrent
une superficie égale à la moitié de la capitale du calife. Il célèbre aussi l’accueil reçu à
l’hôtellerie.35 Yakout qui reprend Ibn Butlan ajoute que le monastère avait d’importants
28
. Ibidem.
29
. G. GARITTE, Version géorgienne de la Vie de Sainte Marthe. CSCO 285, Louvain 1968, V-VI.
Mont Athos, Iviron, cod. Géorgien 84 (A).
30
. Manuscrits du patriarcat grec, cod. Géorgien 156 (J)
31
. Institut des manuscrits à Tiflis, cod A 142 (T)
32
Vie de Lazare le Galésiote, 25, trad anglaise par R.P. GREENFIELD, Life of Lazaros of Mt. Galesion:
An Eleventh Century Pillar. Washington 2000, 109
33
. A. SOLIGNAC, Nicon de la Montagne-Noire. DS, vol. 11, Paris 1982, cols. 319–20 ; J. NASRALLAH,
Un auteur antiochien du XIe siècle : Nicon de la Montagne Noire (vers 1025-début XIIe s.). Proche
Orient Chrétien 19 (1969), 150-161.
34
. B. MARTIN-HISARD (éd.), La Vie de Georges l’Hagiorite (1009/1010-29 juin 1065) : introduction,
traduction du texte géorgien, notes et éclaircissements. Revue des Etudes Byzantines 64-65 (2007) 5-
204.
35
Ibn Butlan’s Description d’Antioche et du monastère, trad. anglaise dans G. LE STRANGE, Palestine
under the Muslims. A Description of Syria and the Holy Land from A.D. 650 to 1500. Translated from
the Works of the Medieval Arab Geographers. Beyrouth 1965, 434
6
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (60)
revenus annuels, ce qui suppose de grands domaines.36 Les moines sont non seulement riches,
mais puissants et ils savent comment faire fonctionner les rouages du pouvoir. Ils font appel à
l’impératrice pour régler une dispute entre le monastère et le patriarche d'Antioche Emilien.
Pour cela, ils envoient une délégation jusqu’à Constantinople et demandent à Michel Psellos
d’intercéder en leur faveur et de devenir leur protecteur. Jean-Claude Cheynet suggère de voir
en Psellos un épitrope et non un charisticaire. L’épisode se situe en 1067, date à laquelle
Eudocie Makrembolitissa gouverne seule l’empire.37 Il donne une idée de la richesse du
monastère et des relations entre ce monastère provincial et le centre politique
constantinopolitain. C’est un élément à retenir pour la diffusion du culte dans la capitale.
Comme Qalat Seman, le monastère du Mont Admirable a été fortifié au 10e siècle, par
la construction d'une seconde enceinte. Le monastère semble florissant pendant la seconde
période d’occupation byzantine, et continue de fonctionner pendant la période latine mais il
est attaqué par les Mamlouks en 1260 et ne se relève pas de cette destruction. La dernière
inscription funéraire date de 1266. La principauté d'Antioche tombe aux mains des
musulmans en 1268 et on n'entend plus parler des moines du monastère par la suite. Le site
est abandonné et pillé, dans les siècles suivants et cela jusqu’à une date récente. Jacqueline
Lafontaine-Dosogne se plaignait à la fin des années 60 du pillage des pierres très important au
monastère de Syméon le Jeune et notait les déprédations qui eurent lieu sur place entre
l'époque de Mécérian autour de la seconde guerre mondiale et son temps.38
II Métaphrase et abrégés
La seconde période d’occupation byzantine de la région d’Antioche a été une époque faste
pour le monastère du Mont Admirable, ce qui lui permit de faire davantage connaître Syméon
stylite le Jeune dont le culte connaît un regain. Une floraison de textes hagiographiques vient
honorer le saint stylite. Ce sont des textes qui s’inspirent de la Vie ancienne et qui ont été
rédigés pour les besoins liturgiques ou spirituels. Si nous laissons de côté les langues autres
que le grec, nous disposons de plusieurs textes qui permettent de mesurer ce qui est retenu de
la Vie ancienne et donc d’évaluer quels éléments sont retenus comme éléments constitutifs de
la sainteté au tournant du 10e et du 11e siècle. Voici les textes grecs qui ont été rédigés en
l’honneur du saint, probablement à cette époque.
1) Nicéphore Ouranos a rédigé une métaphrase (BHG 1690) de la Vie ancienne, qui a été
éditée dès le 17e siècle dans les Acta sanctorum sur la base d’un seul manuscrit.39 Ce texte
36
. Voir note 7
37
J.-Cl. CHEYNET, L’administration provinciale dans la correspondance de Michel Psellos, 45th Spring
Symposium in Byzantine Studies, Oxford 2012, à paraître
38
J. LAFONTAINE-DOSOGNE, Itinéraires archéologiques dans la région d'Antioche. Recherches sur le
monastère et sur l'iconographie de S. Syméon Stylite le Jeune. Bruxelles, 1967.
39
Vie de Syméon (Xe – XIe s.), éd. C. JANNINCK, Acta Sanctorum. V, Anvers 1685. (d’après un
manuscrit B 14 de la bibliothèque Vallicellane, XI e s.) D’autres manuscrits de cette métaphrase
existent mais ils ne sont pas publiés.
7
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (61)
reprend pour l’essentiel les miracles du thaumaturge dans une langue classicisante.40
Nicéphore Ouranos était l’ami de Syméon Métaphraste et sa manière de transformer les Vies
de saints anciennes n’est pas dissimilaire. C’est un homme pieux, qui ne s’est jamais marié et
qui porte un regard attentif à la vie monastique.41 Le texte a probablement été rédigé alors que
Nicéphore Ouranos était duc d’Antioche. Il avait la Vie ancienne sous les yeux quand il a
rédigé sa propre version : il avait pu en faire venir une copie du monastère de saint Syméon
ou peut-être plus probablement, en commanditer une copie pour son usage personnel.
Nicéphore Ouranos était alors en charge de la région, commandant d’une importante armée,
après une carrière qui lui avait permis de gagner la confiance impériale. Il avait été auparavant
préposé à l’encrier, épi tou kanikleiou, « une charge très importante, puisqu'elle mettait en
contact quotidiennement avec la personne de l'empereur auquel le préposé présentait une
plume et l'encre pourpre ».42 Il avait obtenu la très prestigieuse dignité de magistre en 996 et
s’était vu confier l’armée pour combattre les Bulgares en Occident, ce qu’il fit avec succès,
avant d’être envoyé en Orient. Selon Yahya d’Antioche, il est nommé gouverneur d’Antioche
en 999.43 Il est décrit comme un proche de Basile II, avec lequel il fait campagne en Arménie
au tout début du 11e siècle. Il demeure en poste à Antioche jusqu’en 1006/7 et meurt dans
l’année ou les années qui suivent. Nicéphore Ouranos n’est pas seulement un militaire
brillant, il est aussi un protecteur des monastères. Il intervient dans les affaires de l’Athos,
alors qu’il est en poste en Occident. Le monastère de Lavra avait comme épitrope quiconque
était épi tou kanikleiou. C’est à ce titre qu’Ouranos fut chargé de veiller sur le monastère.
Mais sa sollicitude pour les monastères va au-delà. Une partie de sa correspondance a été
conservée et montre que différents monastères ont demandé son aide.44 Il écrit par exemple
pour protéger le monastère Saint-Taraise, sur le Bosphore.45 Ce même intérêt a dû se
manifester pour le monastère de Syméon le Thaumaturge. Que ce proche de l’empereur
qu’était le magistros et duc d'Antioche Nicéphore Ouranos ait pris la peine d'écrire une
métaphrase de cette longue Vie ancienne de Syméon le jeune n’a pu que contribuer à diffuser
le culte du stylite dans l’empire et surtout dans les milieux de la cour. Il est probable qu’il fit
connaître sa métaphrase à Constantinople et contribua à populariser le culte de saint Syméon
dans la capitale.
2) Trois Vies abrégée de Syméon sont connues et s’inspirent de la Vie ancienne. Les Vies
brèves avaient une utilité pour la lecture liturgique ou monastique lors des fêtes des saints.46
Elles servaient aussi de lecture pieuse pour les lettrés. Du point de vue de l’histoire des genres
littéraires, les Vies brèves se situent entre les rédactions longues, comme la Vie ancienne, et
40
Présentation détaillée de cette métaphrase dans P. VAN DEN VEN, op. cit. n. 25, I, p. 34*-45*.
41
. D. KRAUSMÜLLER, Religious Instruction for Laypeople in Byzantium: Stephen of Nicomedia,
Nicephoros Ouranos and the Pseudo-Athanasian Syntagma ad quondam politicum, Byzantion, 77
(2007), 239-250.
42
J.-Cl. CHEYNET, Recruter les officiers à Byzance. Actes des congrès de la société des historiens
médiévistesde l’enseignement supérieur public, 29e congress. Pau 1988, 21-31, à 27.
43
. Histoire de Yahyá - ibn - Sa'íd, Continuateur de Sa'id - ibn - Bitriq, éd. et traduction. I.
KRATCHOVSKY, A. VASILIEV, Patrologie orientale 23, Paris 1932, 400; 446; 459-60.
44
. J. DARROUZES, Epistoliers byzantins du Xe siècle. Paris 1960, 45-46.
45
. J. DARROUZES, Epistoliers byzantins du Xe siècle, ibidem, 231.
46
. H. DELEHAYE, Le synaxaire de Sirmond. Analecta Bollandiana 14 (1895), 396-434.
8
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (62)
les notices très courtes des Synaxaires qui souvent abrègent les Vies brèves. C’est le cas pour
la notice de Syméon le Jeune dans le Synaxaire de Sirmond (Berolinensis Phil. 1622) qui
reprend les informations d’abrégés de la Vie ancienne.47 La notice est encore plus courte dans
le synaxaire du Patmiacus 266 édité par Dmitrievskij puisqu’elle se résume à dire où et quand
vivait Syméon, le nom de ses parents et d’où ils venaient.48 Il semble que les Vies brèves
correspondent à une étape dans la constitution des ménologes, et que nombre d’entre elles
soient antérieures ou contemporaines avec le travail de réécriture de Syméon Métaphraste.
Sur Syméon le Jeune, on dispose de témoignages qui datent des 7e et 8e siècles, rien
n’empêche qu’une Vie brève ait été rédigée au 9e siècle ou au début du 10e siècle, mais il n’y
a pas de notice pour Syméon dans le synaxaire dit de Constantin VII (recension H).49 Il est
donc plus probable que la rédaction des Vies brèves soient liées à la seconde période
byzantine dans la région d’Antioche et au développement du culte de saint Syméon le jeune à
Constantinople. J. Bompaire qui publie le texte des abrégés ne les date pas.50 A partir des
analyses de Paul Van den Ven, on peut les situer globalement au 11e siècle.
a) BHG 1691 : L’auteur de cette Vie abrégée de Syméon51 est Jean Pétrinos, moine au
monastère de Petra, si l’on admet que Pétrinos est un adjectif qui désigne son monastère. P.
Ven den Ven et J. Bompaire ont considéré que ce Jean Pétrinos vivait au monastère
constantinopolitain de Pétra,52 nom du monastère saint Jean Prodrome situé non loin des
Blachernes.53 Ce monastère était particulièrement prospère et disposait d’une importante
bibliothèque aux 11e et 12e siècles. Si Jean Pétrinos était bien moine à Constantinople, cet
abrégé nous montre, d'une part, l'existence de la Vie ancienne à Constantinople et, d’autre
part, le souhait d'avoir un résumé de la Vie dans le milieu monastique dans lequel vivait
l’auteur. Cependant le nom de « Pétra » est assez courant et V. Laurent pense qu’il pourrait
plutôt s’agir d’un monastère de la région d’Antioche, qui se serait appelé Pétra. Il commente
le sceau d’un monastère des pierres (tw'n petrw'n) qui a été retrouvé à Chypre et qui porte
l’effigie de Syméon Stylite, sans que soit précisé de quel Syméon il s’agit.54 L’iconographie
rappelle celle des eulogies : Syméon couronné par deux anges de part et d’autre du saint, de
face, dont le buste est posé sur une colonne. Le sceau est daté par Laurent des 7e-8e siècles.
47.
H. DELEHAYE, Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae e codice Sirmondiano nunc Berolinensi
adiectis synaxariis selectis opera et studio. Bruxelles 1902, col. 703-705.
48.
A.
A.
DMITRIEVSKIJ,
Opisanie liturgiceskich…, I, Typika, Kiev 1895, 75.
49
. Sur les synaxaires, A. Luzzi, Synaxaria and the Synaxarion of Constantinople”, in S. Efthymiadis,
The Ashgate Research Companion to Byzantine Hagiography. Volume II: Genres and Contexts,
Farnham 2014, 197-208; Id., La piu antica recensione del Sinassario di Costantinopoli, in K.
Stantchev, S. Parenti (eds) Liturgia e agiografia tra Roma e Costantinopoli, Grottaferrata 2007, 109-
113 (Analecta Kryptoferres 5); Id., Note sulla recensione del sinassario di Costantinopoli patrocinata
da Costantino VII Porfirogenito, Rivista di Studi Byzantini et Neoellenici 26 (1989-1990), 142-143.
50
. J. BOMPAIRE, Abrégés de la Vie de saint Syméon Stylite le Jeune, ̔Ελληνικα. 13 (1954) 71-110.
51
. Jean Petrinos, Vie de Syméon, éd. J. B BOMPAIRE, Abrégés de la Vie de saint Syméon Stylite le
Jeune, ̔Ελληνικα. 13 (1954) 79-88.
52
. J. BOMPAIRE, Abrégés de la Vie de saint Syméon Stylite le Jeune, ̔Ελληνικα. 13 (1954) 71.
53
. R. JANIN, La géographie ecclésiastique de l’empire byzantin. I : Le siège de Constantinople et le
patriarcat œcuménique. T. III : Les monastères. Paris 1969, 421-429.
54
. V. LAURENT, Corpus des sceaux de l’empire byzantin, T.V: 2 L’Eglise. Paris 1965, n. 1280 bis.
9
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (63)
L’emploi du génitif fait pencher plutôt pour le 7e siècle. Toutefois, la datation du sceau n’est
pas assez précise pour permettre de donner un contexte historique : il peut dater d’avant ou
d’après la conquête arabe de la région d’Antioche. On peut objecter qu’un tel monastère « des
Pierres » n’est pas identifié, alors qu’il existe à Constantinople un monastère du Prodrome
dans le quartier de Pétra. Mais on peut légitimement s’attendre à trouver une image de Saint
Jean-Baptiste, le précurseur, sur un sceau du monastère constantinopolitain dédié à ce saint.
Le sceau doit donc provenir d’un autre monastère dit « des Pierres » qui soit chypriote, ou
proche-oriental. On peut imaginer que des réfugiés d’Antioche soient venus s’installer à
Chypre ou que le culte des stylites se soit diffusé dans l’île.
Le rapprochement entre le sceau du monastère des pierres et le moine Jean Pétrinos, auteur
d’une vie de Syméon, se fonde sur l’iconographie du sceau qui représente un saint Syméon.
Laurent essaie de mettre en garde ses collègues contre l’idée que Jean soit nécessairement un
moine de Constantinople, puisqu’il existe un autre monastère « des Pierres » pouvant justifier
le surnom et qui de surcroît était probablement dédié à saint Syméon stylite. Bien que le sceau
ait été retrouvé en Chypre, l’argument de Laurent pour proposer une localisation antiochienne
à ce monastère repose sur l’absence d’un culte des stylites clairement implanté dans l’île
d’Aphrodite ou dans la capitale. Cette absence est relative, car on peut noter l’existence d’une
église saint Syméon dans la capitale, construite pour abriter des reliques de Syméon l’Ancien
non loin de la colonne de Daniel le stylite à Sosthénion, sur le Bosphore et la présence de
Syméon stylite, prêtre et archimandrite (donc Syméon le Jeune), dans le synaxaire de l’Eglise
de Constantinople. Ces deux éléments montrent que leur culte est attesté dans la capitale.55
Son idée de faire de Jean Pétrinos un provincial ne semble pas assez étayée pour être retenue.
On ne donne à un moine un surnom fondé sur le surnom de son monastère que si ce dernier
est assez célèbre pour être immédiatement identifié. Il semble plus probable de le rattacher au
monastère constantinopolitain qui est l’un des monastères les plus prospères de la capitale,
plutôt qu’à un obscur couvent signalé seulement par un sceau du 7e siècle. Cela ne signifie pas
que ce Jean Pétrinos était originaire de la capitale. Pour expliquer l’intérêt de ce Jean pour le
stylite, on peut imaginer que ce Jean soit originaire de la région d’Antioche ou ait voyagé
dans la région et ait séjourné au monastère du Mont admirable. Ce ne sont que des
conjectures, même si la mobilité des moines byzantins au Moyen âge est un phénomène bien
attesté.
Finalement, on sait très peu de choses du contexte de la rédaction de cette Vie abrégée. Tout
au plus peut-on affirmer que la rédaction d’une Vie abrégée a été faite pour les besoins des
milieux monastiques et qu’elle a pu contribuer à l’intensification du culte de Syméon le
Jeune. Il est probable que sa rédaction ait été faite par un moine vivant à Constantinople, au
monastère de Pétra. J. Bompaire affirme qu’il aurait vécu au plus tard au 10e siècle, mais il
n’explique pas les raisons de cette datation.56 Pour Paul Van den Ven, le texte a été écrit dans
55
. R. JANIN, La géographie ecclésiastique de l’empire byzantin. I : Le siège de Constantinople et le
patriarcat œcuménique. T. III : Les monastères. Paris 1969, 479. Il y a dans la capitale deux autres
monastères de Syméon, mais sans précision.
56
. J. BOMPAIRE, Abrégés de la Vie de saint Syméon Stylite le Jeune , ̔Ελληνικα. 13 (1954) 71.
10
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (64)
« le style puriste du XIe siècle ».57 Le plus ancien manuscrit date du 12e siècle et a appartenu
au monastère de Pétra.
Cette Vie abrégée de Pétrinos est constituée de dix-sept chapitres relatant principalement la
première partie de la vie du saint : des faits qui ont précédé sa naissance, son enfance et ses
débuts dans la vie ascétique.58 Puis, l’abrégé comporte des prophéties et miracles du saint,
note son appartenance au clergé et la construction du monastère. La Vie découle de la Vie
ancienne dont une prière est même recopiée mot à mot.
c) BHG 1691b : Cet abrégé est différent des deux autres62. Qu’il soit anonyme comme le
pensait Paul Ven den Ven ou attribué au moine Michel, ce qui est l’opinion de J. Bompaire, il
a fait partie du ménologe impérial, dédié à Michel IV (1034-1041). Il est contenu dans un
manuscrit provenant du monastère Saint-Jean à Patmos (manuscrit 736, daté du 13e ou 14e s.).
Il comporte seize chapitres, qui portent naturellement en premier lieu sur l’enfance, mais avec
moins de détails que les deux autres. Il comporte, en revanche, beaucoup plus de récits de
miracles que les deux autres abrégés. Il s’intéresse aussi davantage aux différentes colonnes
du saint. Enfin, il mentionne la présence des Ibères au monastère. Comme la notice du
Synaxaire, l’auteur fait vivre Syméon au temps de Justinien.
Ces textes ont peu retenu l’attention des chercheurs. Comme le faisait remarquer Marina
Detoraki, les abrégés sont vraiment le parent pauvre de la réécriture hagiographique : "très
fréquents dans les dossiers hagiographiques, ces abrégés apparaissent en effet comme une
poussière de textes secondaires, difficiles à situer, dont la raison échappe et qui n'ont guère
57
. P. VAN DEN VEN (éd), op. cit. n. 25, 46*
58
chap 1 à 12
59
éd. J. BOMPAIRE, Abrégés de la Vie de saint Syméon Stylite le Jeune, ̔Ελληνικα. 13 (1954) 104-
108.
60
. Sur les abrégés et les ménologes de Vies abrégées, H. DELEHAYE, Les ménologes grecs. Analecta
Bollandiana XVI 1897, repris dans Synaxaires byzantins, ménologes, typica, Farnham 1977, III, 325;
J. NORET, Ménologes, synaxaires, ménées. Essai de clarification d’une terminologie. Analecta
Bollandiana 86 (1968), 21-24.
61
H. DELEHAYE, Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae e codice Sirmondiano nunc Berolinensi
adiectis synaxariis selectis opera et studio. Bruxelles 1902, col. 703-705.
62
. éd. J. BOMPAIRE, Abrégés de la Vie de saint Syméon Stylite le Jeune, ̔Ελληνικα. 13 (1954) 89-90.
11
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (65)
d'intérêt que dans la mesure où les textes qu'ils résument ont disparu63." Comme les abrégés
sur Syméon Stylite le Jeune ne font que résumer la Vie ancienne dont le texte a été conservé,
ils n’ont pas cette fonction supplétive, ce qui explique le peu d'intérêt qui leur a été accordé.
L'éditeur et traducteur de la Vie ancienne, Paul Van den Ven n'avait pas de mots assez
durs pour ce groupe de Vies de Syméon du 10e/11e siècle. De la Vie de Syméon par Nicéphore
Ouranos, il écrit que c’est une médiocre paraphrase. Il pense que l’auteur a choisi de sauter
par dessus certains miracles car il en avait assez de cette Vie trop longue ou par fantaisie.64
Son opinion des abrégés n’est guère plus favorable. Il pense comme Jacques Bompaire leur
éditeur, qu’ils ont peu d’intérêt. Il avait d’ailleurs renoncé à les éditer et avait confié le dossier
à Jacques Bompaire. Ce dernier écrivait dans son introduction à leur édition en 1954, soit
plusieurs années avant la publication du texte de la Vie ancienne par Paul Van den Ven : « Ce
sont certes des textes mineurs, mais non négligeables comme témoins et même, en attendant
l’édition définitive de la Vie ancienne comme substituts65. » En fait, tant Paul Van den Ven
que Jacques Bompaire cherchaient dans ces textes une source complémentaire à la Vie
ancienne, qui puisse apporter un éclairage différent sur Syméon le Jeune, or tous ces textes
sont dérivés de la Vie ancienne et en dépendent étroitement. Ils n’apportent aucun élément
nouveau qui permette d'ajouter un épisode à la vie de Syméon. Pour ces savants en quête
d’hagiographie ancienne, ils sont tout simplement décevants. Au mieux une pierre d’attente…
Toutefois, si au lieu de les prendre comme témoins de l’hagiographie ancienne, on les
considère en eux-mêmes comme témoins du culte des saints à l'époque médio-byzantine, ils
reprennent de l'intérêt. Si l’on étudie les choix faits par les abréviateurs dans le texte ancien,
en admettant que ces choix reflètent les valeurs de la société de leur temps vécues par leur
auteur, ils peuvent nous renseigner sur la manière de concevoir la sainteté au 11e siècle et sur
ce qui paraît obsolète. Or c’est cette notion de choix significatif que rejettent Paul Van den
Ven ou Jacques Bompaire. Selon ce dernier, l’abrégé de Paris, tout comme celui de Jean
Pétrinos, « méritent à peine ce nom, tant ils sont disproportionnés dans le rapport des parties,
et fantaisistes dans le choix des épisodes »66. Cette idée de choix opéré au hasard et de
fantaisie est partagée et reprise par Paul Van den Ven qui écrit que « les emprunts à la source
paraissent avoir été dictés par la fantaisie »67. Ces deux savants avaient-il raison ? L’idée que
la fantaisie ait pu présider au choix opéré par le rédacteur de l’abrégé est pour le moins
surprenante. Les choix des abréviateurs ont-ils été seulement dictés par le hasard ou peut-on
admettre que les abréviateurs ont repris certains épisodes parce qu’ils trouvaient un écho en
eux ? Que retient-on au 11e siècle d’une Vie ancienne aussi longue que celle de Syméon ?
Livrons nous à un examen méthodique pour le contenu comme pour la forme, des rapports
entre un abrégé particulier, l’abrégé de Paris (BHG 1691c), et sa source. Il s’agit de dégager
63
. M. DETORAKI, Un parent pauvre de la réécriture hagiographique : l’abrégé, in S. MARJANOVIC-
DUSANIC et B. FLUSIN (éds.), Remanier, métaphraser. Fonctions et techniques de la réécriture dans
le monde byzantine. Belgrade 2011, 71-84.
64
. P. VAN DEN VEN (éd), op. cit. n. 25, 40*
65
. J. BOMPAIRE, Abrégés de la Vie de saint Syméon Stylite le Jeune, ̔Ελληνικα. 13 (1954) 71
66
. J. BOMPAIRE, Abrégés de la Vie de saint Syméon Stylite le Jeune, ̔Ελληνικα. 13 (1954) 73.
67
. P. VAN DEN VEN, op. cit. n. 25, I, p. 51*.
12
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (66)
les points sur lesquels se concentre l’intérêt de l’abréviateur et d’analyser les aspects de la Vie
ancienne qui sont au contraire passés sous silence.
Stylitisme
Paradoxalement, l’abréviateur est peu concerné par le stylitisme. Il évoque
l’installation sur la première colonne, mais le reste du texte élimine les mentions de la colonne
alors même qu’elles se trouvent dans le texte ancien.
Par exemple, dans la Vie ancienne, l’ordination sacerdotale a lieu au sommet de la
colonne, où monte l’évêque de Séleucie en personne (ch. 135) ; l’abrégé, qui a conservé
l’épisode de l’ordination, ne mentionne pas la colonne. Les changements de colonne ne sont
mentionnés que dans la chronologie finale. Le stylitisme, qui est une forme d’imitatio Christi
en rapport avec la crucifixion (chap 9) n’est pas valorisé pour lui-même. Aucun détail concret
relatif aux conditions matérielles de vie du stylite n’apparaît dans l’abrégé. On a là peut-être
un signe de l’évolution de la vie monastique aux 10e-11e siècle : les pratiques ascétiques
extrêmes ne sont plus valorisées comme signe de sainteté, on commence même à s’en méfier,
comme on le voit dans les critiques au 12e siècle d’un Tzetzes ou d’un Théodore Balsamon
68
. On peut noter cependant deux déplacements : au ch. 13, celui d’un élément qui se trouve à la fin de
la VA, mais l’abrégé ne fait que rétablir l’ordre chronologique ; au ch. 15 la vision insérée dans le récit
du tremblement de terre apparaît bien avant dans la VA.
69
. On notera juste la vague allusion du ch. 21B : « après avoir été pendant 85 ans serviteur du
Seigneur…dans différents lieux ».
70
. Avec une étonnante inversion entre la petite colonne et la grande …
13
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (67)
face au côté exhibitionniste de certaines pratiques ascétiques.71 La présence croissante dans
les monastères byzantins de moines issus de la bonne société qui s’est accentuée à partir du Xe
siècle, a modifié les conditions dans lesquelles la vie monastique était menée : l’ascèse y est
régulière, sans recherche de la prouesse et sans excès. Tous ces nouveaux moines n’avaient
pas nécessairement le goût d’une ascèse rigoureuse, car ils étaient nombreux dans les milieux
aristocratiques à prendre l’habit monastique sous la contrainte, après une disgrâce, ou par
convenance sociale. Entrer au monastère à la fin de sa vie était devenu une façon honorable
de se préparer à l’au-delà, on voit donc des aristocrates opter pour ce mode de vie après un
veuvage. Le stylitisme a toujours été une forme extrême et rare de la vie monastique : les
stylites ont été peu nombreux durant les premiers siècles de l’empire byzantin et Théodoret, le
premier auteur à insérer un stylite dans un recueil louant les saints moines, était un peu
embarrassé. En écrivant son éloge de Syméon l’Ancien, il trouve nécessaire de justifier le
mode de vie du stylite, qui est nouveau et ne fait pas l'approbation de tous.72 Il cherche des
modèles bibliques à cet étrange mode de vie au sommet d'une colonne. Il répond à ceux qui
critiquent la vie de stylite, que Dieu a parfois demandé des choses étranges à ses prophètes. Il
reconnaît le caractère étrange, voir paradoxal de cette forme de vie monastique très
spectaculaire.73
Les stylites demeurent rares par la suite, mais on en connaît quelques exemples grâce
à la documentation hagiographique : Luc, au 10e siècle, et Lazare le Galésiote, au 11e siècle.74
J.-M. Sansterre qui a fait une comparaison entre les différentes Vies de stylites souligne le
déclin des récits sur les pratiques ascétiques. Ainsi, dans la Vie de Lazare le Galèsiote, les
pratiques ascétiques extrêmes ne sont plus valorisées comme signe de sainteté.75
Cette évolution représente un fort changement par rapport à l’hagiographie protobyzantine. La
Vie ancienne s’attarde avec complaisance sur les pratiques ascétiques très dures, qui mettent
71
. P. MAGDALINO, The Byzantine Holy Man in the Twelfth Century, in S. HACKEL (éd), The
Byzantine Saint. Birmingham 1981, 51-66; A. P. KAZDHAN et A. WHARTON EPSTEIN, Change in
Byzantine Culture in the Eleventh and Twelfth Centuries. Berkeley/ Los Angeles/ Londres 1985, 86-
99.
72
. Syméon est considéré comme un imposteur par Ardabur, le magister militum per orientem, et un
homme de son entourage, Vies grecques de Syméon, 27, recension A ET B, LIETZMANN, p. 64-65; Vie
latine, 27, LIETZMANN, p.65. (A. J. Festugière considère l'épisode apocryphe : FESTUGIÈRE, p. 373; R.
Doran le met en appendice, parce qu'il ne se trouve pas tous les manuscrits : R. DORAN, The Lives of
Simeon Stylites, op. cit. n. 20, p. 228-229). La Vie de Daniel rapporte les critiques de moines
mésopotamiens à l’égard de Syméon : Vie de Daniel le Stylite, 7, éd. H. DELEHAYE, Les saints stylites.
Bruxelles 1923, 7-8 ; commentaire dans C. GASPAR, Cassian's Syrian Monastic Contemporaries, in C.
BADILITA, A. JAKAB (éds.) Jean Cassien entre l'Orient et l'Occident. Paris - Iasi 2003, 15-32.
73
. THÉODORET DE CYR, Vie de Syméon, 26, 12, dans Histoire des moines de Syrie, éd. et trad. P.
CANIVET et A. LEROY-MOLINGHEN, Paris 1977, 187-189 : οὕτω καὶ τὸ καινὸν τοῦτο καὶ
παράδοξον ἐπρυτάνευσε θέαμα τῷ ξένῳ πάντας ἕλκων εἰς θεωρίαν καὶ πιθανὴν τοῖς
ἀφικνουμένοις παρασκευάζων τὴν προσφερομένην παραίνεσιν· ... ὁ εἰς θεωρίαν
ἀφικνούμενος τὰ θεῖα παιδευθεὶς ἐπανέρχεται.
74
. H. DELEHAYE, Les saints stylites [Subsidia Hagiographica 14]. Bruxelles 1923.
75
J.-M. SANSTERRE, Les saints stylites du 5ème au 11ème siècle. Permanence et évolution d’un type de
sainteté, in J. MARX, Sainteté et martyre dans les religions du Livre. Bruxelles 1989, 38 : l’auteur y
compare les Vies de quatre stylites, celles de Daniel (mort en 493) et de Syméon le Jeune d’une part, et
celles de Luc (10ème s.) et de Lazare le Galèsiote (11ème s.) d’autre part.
14
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (68)
même parfois la vie de Syméon en péril, et ce dès son plus jeune âge. L’abrégé de Paris
n’élimine pas totalement cette caractéristique, mais n’en retient qu’une manifestation,76 celle
relative au contrôle alimentaire. Il est vrai que la Vie ancienne insiste beaucoup sur le rôle des
privations alimentaires pour mener une vie monastique victorieuse des tentations
démoniaques.77
Miracles
Syméon est explicitement qualifié de « thaumaturge » au début de l’abrégé, mais
l’abrégé n’accorde, en fait, qu’une faible place aux récits de miracles très nombreux dans la
Vie ancienne.78 L’abréviateur élimine le spectaculaire de l’activité thaumaturgique du saint.
On peut d’ailleurs se demander s’il ne faut pas voir dans la remarque incidente « beaucoup
dépassent la raison et l’entendement » (12A) une critique à l’égard d’un certain type de récits
de miracles.79 Alors que la Vie ancienne contient tant de récits de miracles que V. Déroche
propose de la classer plutôt dans le genre des « thaumata », recueil de miracles que dans les
Vies de saints, l’abrégé ne raconte que trois miracles. Si les miracles de guérison n’occupent
plus le devant de la scène, les visions sont bien représentées.80 L’auteur accorde une place
importante aux visions, au don de dioracie, ce qui est un trait de la sainteté médio-byzantine.81
Vie monastique
La vie monastique, très présente dans la Vie ancienne, tient peu de place dans l’abrégé.
Un seul monastère est mentionné, celui du moine Jean (ch. 8). La Vie ancienne est rédigée par
un moine qui s’exprime au nom de la communauté monastique en employant le « nous »82 et
qui présente Syméon comme le fondateur. Cet aspect est totalement gommé dans l’abrégé.
L’abréviateur ne s’intéresse pas à la communauté monastique autour de Syméon, mais à la
seule figure du saint. Il y a une brève mention des « frères » présents lors de l’ordination
sacerdotale de Syméon (ch. 20A), et au moment de sa mort (ch. 23). On peut probablement en
déduire que l’abrégé de Paris n’a pas été écrit au monastère de Syméon. L’histoire du
monastère après Syméon n’intéresse pas non plus l’abréviateur. La Vie ancienne raconte des
tensions internes au sein du monastère (ch. 123-125) et le saint prédit le déclin de l’institution
après sa mort (ch. 240). Rien de tel n’est conservé dans l’abrégé. La Vie abrégée concentre
76
J.-M. SANSTERRE, ibidem, 38
77
. B. CASEAU, Syméon Stylite le Jeune (521-592); un cas de sainte anorexie? , Kentron 19 (2003)
179-203.
78
En particulier à partir du ch. 79 où le récit des événements est ponctué de séries de miracles.
DEROCHE, Quelques interrogations à propos de la Vie de Syméon Stylite le Jeune. Éranos 94 (1996)
70.
79
Sur cette attitude critique, perceptible dans certains textes, B. FLUSIN, « Vers la Métaphrase », in S.
MARJANOVIC-DUSANIC et B. FLUSIN (eds.), Remanier, métaphraser. Fonctions et techniques de la
réécriture dans le monde byzantine. Belgrade 2011, 85-100, à 95-97; G. DAGRON, L’ombre d’un
doute: l’hagiographie en question. DOP 46 (1992), 59-68.
80
ch. 6, 9-10, 13, 15, 20.
81
. P. MAGDALINO, L'orthodoxie des astrologues. La science entre le dogme et la divination à Byzance
(VIIe-XIVe siècle), Paris, 2006.
82
Sur la signification de ce « nous » voir DEROCHE, Quelques interrogations à propos de la Vie de
Syméon Stylite le Jeune. Éranos 94 (1996) 72 s.
15
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (69)
toute la lumière sur le saint lui-même, tiré hors de son contexte. Il s’agit d’une production
hagiographique qui a pour but de développer le culte du saint. Ce type de texte, lui à l’église
ou au réfectoire servait littéraire notamment à l’édification de moines vivant loin du
monastère de Saint-Syméon. Il importe aux abréviateurs d’éliminer ce qui lie trop Syméon à
une communauté particulière, qui l’enracine dans un contexte historique et géographique
précis pour faire un modèle de sainteté universel. L’abréviateur ne veut pas restreindre
l’autorité spirituelle posthume de Syméon à sa communauté monastique, mais en faire un
saint de l’Eglise.
83
On trouve la même indication dans l’abrégé de Pétrinos (ch. 1A).
84
Selon les textes, Syméon vit 75 ans (Vie ancienne, abrégé de Pétrinos) ou 85 ans (abrégés de Paris et
de Patmos, avec, pour ce dernier, un décompte contradictoire).
85
. H. DELEHAYE, Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae e codice Sirmondiano nunc
Berolinensi adiectis synaxariis selectis opera et studio. Bruxelles 1902, col. 703.
16
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (70)
dans le temps, mais juste pour donner un cadre général. B. Flusin parle de « passé minimum »
pour cette manière de traiter le temps.86
Ascèse alimentaire
Le deuxième trait frappant du portrait de Syméon est l’importance des éléments
relatifs à l’ascèse alimentaire. Ce qui caractérise le moine ce sont les restrictions alimentaires
plus importantes que celles des laïcs. Syméon passe d’une nourriture humaine rare à une
nourriture miraculeuse. L’abréviateur montre le saint demander la grâce d’être dispensé du
besoin de se nourrir.90 Le jeûne extrême était une forme d’ascèse propre à susciter
86
. B. FLUSIN, “Le serviteur caché ou le saint sans existence,” in P. ODORICO and P. A. AGAPITOS eds.
Les Vies de saints à Byzance: Genre littéraire ou biographie historique? Actes du IIe colloque
international philologique, Paris, 6–8 juin 2002. Paris 2004, 63.
87
Sur la place de l’enfance dans les Vies de saints, B. CASEAU, Childhood in Byzantine Saints’ Lives.
in A. PAPACONSTANTINOU et A.-M. TALBOT (éd.), Becoming Byzantine. Children and childhood in
Byzantium Washington 2009, 127-166, à 143-148 (conception, prodiges après la naissance,
alimentation); D. ARIANTZI, Kindheit in Byzanz, Berlin 2012.
88
La place accordée aux mères dans les Vies de saints est étudiée dans M. KAPLAN, « Hagiographie et
histoire de la société », in P. ODORICO et P. A. AGAPITOS (eds.), Les vies de saints à Byzance. Genre
littéraire ou biographie historique ?. Paris 2004, 25-48, à 35-43.
89
. T. PRATSCH, Der hagiographische Topos: Griechische Heiligenviten in mittelbyzantinischer Zeit
(Berlin, 2005).
90
On pourra noter que les deux seuls déplacements d’événements précédemment relevés (ch. 13 et 15)
concernent précisément l’ascèse alimentaire.
17
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (71)
l’admiration à l’époque mediobyzantine91 et qui fait de Syméon un moine supérieur aux
autres.92 Les critiques ne manquent pas concernant les monastères de cette époque, en
particulier sur le relâchement de l’ascèse alimentaire.93 Eustathe de Thessalonique critique
vivement les moines pour leur souci excessif des biens matériels et leur recherche de produits
alimentaires de qualité.94 La Satire des higoumènes attribuée à Théodore Prodrome s’insère
pleinement dans cette littérature critique à l’égard de la gourmandise dans les monastères.95
Par contraste l’insistance de Syméon sur le jeûne et sa capacité à se nourrir de très peu sont
des éléments qui définissent sa sainteté.
18
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (72)
paradis98 et surtout pour ceux des moines qui avaient la réputation d’entrevoir le futur. Le 11e
et le 12e siècle n’échappent pas à cette pratique, qui voient émerger des figures comme celle
de Syméon le Nouveau Théologien.99
Le silence relatif à la fondation n’empêche pas le rédacteur de l’abrégé de faire état du
rôle de guide spirituel du saint aux ch. 11 (envers « ceux qui sont engagés dans une existence
solitaire » c’est-à-dire les moines du couvent de Jean) et 21 (allusion à son « enseignement »
dont les destinataires ne sont pas précisés).
Miracles et culte
Des innombrables miracles racontés dans la Vie ancienne l’abrégé n’en a retenu que
trois : la fin du tremblement de terre de 557 (ch. 14, 16-17), les exorcismes et guérisons liés à
une image du saint (ch. 18) et les guérisons opérées par l’eulogie des cheveux insérés dans
une croix (ch. 19). On notera qu’il s’agit dans les trois cas de miracles accomplis non par le
contact direct avec le saint mais indirectement à travers des supports divers : un tropaire de sa
composition qu’il fait chanter (ch. 14), un tropaire qui lui a été transmis par l’Esprit Saint et
qu’il enseigne au peuple (ch. 16-17), une image et une eulogie. Les miracles retenus n’ont pas
été choisis au hasard : ce sont ceux qui ont laissé une trace dans le culte. C’est clair pour les
tropaires, qui sont entrés dans la liturgie.100 L’image miraculeuse du saint est peut-être à
mettre en rapport avec le développement des eulogies portant la figure du saint. Quant à
l’eulogie des cheveux, elle était sans doute encore vénérée comme relique à l’époque de
rédaction de l’abrégé. L’abrégé ne contient aucun élément relatif aux eulogies faites de la
« terre du saint », pourtant bien attestées, mais c’est peut-être une indication géographique :
l’abrégé a probablement été rédigé loin du monastère du Mont admirable. Il ne sert pas à la
promotion du monastère mais au culte du saint.
Les éléments conservés sont ainsi le fruit d’une sélection liée aux préoccupations
contemporaines de l’abréviateur. Mais son travail ne se limite pas à la sélection ; les passages
retenus entretiennent avec leur source des rapports variés quant au degré de précision et de
fidélité.
Aucun fait retenu n’est vraiment déformé. Comme on peut s’y attendre dans un
abrégé, une partie importante de ce qui est retenu fait l’objet d’un résumé. Pour prendre les
cas les plus significatifs, la fin du ch. 3B (« s’abstenant de bain et de toute autre nourriture »)
est ainsi un résumé du ch. 6 de la Vie ancienne, le ch. 4 (Syméon réchappant du tremblement
de terre) résume le ch. 7, le ch. 8 (rencontre du moine Jean) résume très succinctement les ch.
11-14 de la Vie, le ch. 9 (Syméon sur la colonne et tentation) synthétise les ch. 15-18, le ch.
98
. Cl. RAPP, Safe-Conducts to Heaven: Holy Men, Mediation and the Role of Writing, in Ph.
ROUSSEAU, M. PAPOUSTAKIS, Transformation of Late Antiquity. Essays for Peter Brown. Farnham
2009, 187-203.
99
. H. M. J. TURNER (ed.), St Symeon the New Theologian and Spiritual Fatherhood, Leiden 1990.
100
Toutefois l’abrégé ne retient que deux des trois tropaires attribués à Syméon dans la Vie ancienne.
Peut-être faut-il supposer aussi un usage liturgique de la prière finale à Syméon (ch. 25) qui remplace
la prière à Dieu du ch. 259 de la VA.
19
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (73)
20 (ordination) réduit les ch. 132-135. Mais d’autres rapports entre l’abrégé et sa source, plus
originaux, méritent d’être soulignés.
Concentration chronologique
Dans tous les énoncés, qu’il s’agisse de résumés ou de récits développés, on notera
une tendance du rédacteur à la simplification, qui se traduit notamment par la concentration
chronologique. En particulier le caractère répétitif et la durée de certains faits présentés dans
la Vie ancienne sont ici gommé : au ch. 2A, le séjour de Marthe dans l’église de Jean Baptiste
ne dure qu’une journée ;101 au ch. 3B, les paroles prononcées lors du baptême ne sont pas
répétées sept jours d’affilée comme dans la Vie ancienne ;102 le ch. 14 ne mentionne pas que le
tropaire est chanté pendant soixante jours.
Style « évangélique »
D’une manière générale, le rédacteur cherche à éliminer tout ce qui est trop
anecdotique. On peut déceler une volonté d’épurer, styliser, voire idéaliser.103 Même dans les
épisodes racontés un peu plus longuement, le pittoresque est absent. La différence de style
entre l’abrégé et sa source est ainsi flagrante. Le vocabulaire est d’ailleurs assez pauvre,
comparé à la richesse de celui de la Vie ancienne, et la syntaxe souvent raide, voire lourde
(surabondance des tournures participiales), à côté de la vivacité du modèle. Il est vrai que le
seul modèle explicitement revendiqué dans le texte est celui des évangiles (εὐαγγελικῶϛ
εἰπεῖν ch. 12B) et, de ce point de vue, le recours aux sommaires,104 procédé commode pour
l’abréviateur, peut aussi apparaître comme une référence à ce genre littéraire. Peut-être aussi
faut-il songer au modèle évangélique pour expliquer un autre trait frappant de la structure
énonciative du texte, la place accordée au style direct, des sortes de logia, qui ont souvent
pour caractéristique d’être textuellement repris de la Vie ancienne, par exemple, la déclaration
de Marthe lors de sa vision (ch. 5), celle de l’Esprit Saint dans la première vision de Syméon
(ch. 6B), celle d’un patriarche dans une autre vision de Syméon (ch. 10), les paroles de
l’Esprit au ch. 17.105
Reprises textuelles
101
Dans l’abrégé de Pétrinos (ch. 2C), il dure, comme dans la Vie ancienne, plusieurs jours.
102
Elles ne sont pas non plus répétées dans l’abrégé de Pétrinos (6B).
103
Pour les procédés caractéristiques de la réécriture, voir V. DEROCHE, Les réécritures de la Vie de
Jean l’Aumônier de Léontios de Néapolis (BHG 886), in S. MARJANOVIC-DUSANIC et B. FLUSIN
(éds.), Remanier, métaphraser. Fonctions et techniques de la réécriture dans le monde byzantine.
Belgrade 2011, 61-70.
104
Sommaires contenus dans l’abrégé : ch. 11 (enseignement de Syméon), 12 (miracles et prophéties),
21 (enseignement et miracles).
105
Autres passages au style direct : ch. 2B et 2C (Jean Baptiste à Marthe) ; ch. 3B (Syméon après son
baptême à deux ans) ; ch. 9 (dialogue entre le jeune stylite et l’apparition du Christ) ; ch. 15B (prière
de Syméon) ; ch. 20B (les anges à Syméon) ; soit un total de dix passages au style direct. Cette
importance du style direct est d’autant plus frappante qu’elle va à l’encontre d’une tendance des
abrégés, relevée par M. DETORAKI 2011, p. 81, qui, le plus souvent, transforment des discours directs
en résumés au style indirect.
20
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (74)
Même en dehors des passages au style direct, la différence de style avec la Vie
ancienne n’exclut cependant pas une très grande fidélité dans l’énoncé des faits. Dans les ch.
1-10 en particulier, on a souvent affaire à une sorte de « collage » de phrases ou de parties de
phrases tirées de la Vie ancienne. Le cas le plus frappant, qui n’est pas le seul exemple, se
trouve au ch. 6, qui reprend presque mot pour mot les l. 4-14 et 20-22 du ch. 9 de la Vie
ancienne. On y voit bien comment s’opère le passage de la source à l’abrégé, par
combinaison, dans le récit comme dans le discours, de reprises littérales et de suppressions.
Le ch. 6 de l’abrégé de Paris et sa source (VA ch. 9)
Conclusion
21
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (75)
Au total, l’abrégé de Paris est à la fois très fidèle et très infidèle à sa source.
L’abondance des reprises littérales crée une illusion de fidélité. Mais c’est une fidélité à la
lettre, car, si le rédacteur n’invente rien, il omet — et s’est son rôle —beaucoup. Or, à travers
la sélection, se dessine, comme nous l’avons montré, une image du saint sensiblement
différente de celle du modèle. On ne peut évidemment tirer d’un abrégé les mêmes
conclusions en matière d’image de la société que d’une Vie complète. Il n’en demeure pas
moins que, de la Vie ancienne à l’abrégé de Paris, on décèle des évolutions, au moins dans la
conception de la sainteté. Le saint est proposé à l’admiration, mais c’est un saint qui est entré
en quelque sorte dans un moule médio-byzantin. Les abrégés ont certainement contribué au
développement du culte de Syméon le Jeune, mais aussi de celui de Syméon l’Ancien. L’une
des preuves du développement du culte est fournie par les sceaux du 11e siècle. Mettent
Syméon sur leur sceau le ou les monastères de saint Syméon, des moines du monastère de
Saint-Syméon naturellement, mais aussi des laïcs. Ceux-ci portent le plus souvent le prénom
de Syméon, et certains viennent de la région d’Antioche, mais pas tous. On trouve aussi un
stratège de Thessalonique au 11e s qui ne porte même pas le prénom de Syméon et qui a
choisi ce saint.106
106
. Aétios, logothète du stratiotikon, V. LAURENT, Le Corpus des sceaux de l'empire byzantin, t. II,
L'Administration centrale, Paris 1981, no 547 (11e s.). Une autre lecture est proposée par W. Seibt, à
savoir stratège de Thessalonique.
22
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (76)
στερόν σου μαζὸν θηλάσει. Διετὴς δὲ γενόμενος λήψεται τὸ ἅγιον βά-
20 πτισμα ἐν τῷδε τῷ οἴκῳ. Ἔσται γὰρ λειτουργὸς Κυρίου πάσας τὰς ἡμέ-
ρας τῆς ζωῆς αὐτοῦ ».
3. — (A) Τεχθεὶς δὲ ὁ ἅγιος Συμεὼν ἀνοδύνως καὶ διετὴς γενόμενος
βαπτίζεται εἰς τὸ τῆς ἁγίας καὶ ζωαρχικῆς Τριάδος ὄνομα ἐν τῷ τοῦ
Προδρόμου ναῷ. (B) Καὶ εὐθέως ἤρξατο λέγειν τρανῇ τῇ φωνῇ οὕτως·
25 « Ἔχω πατέρα καὶ οὐκ ἔχω πατέρα. Ἔχω μητέρα καὶ οὐκ ἔχω μητέρα »,
fol. 310v δηλῶν τὴν πρὸς τὰ γήϊνα αὐτοῦ ἀποταγὴν καὶ τὴν πρὸς τὰ οὐράνια ἀνα-
23
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (77)
γωγήν. Καὶ ἦν τρεφόμενος ἄρτῳ καὶ μέλιτι, ἀπεχόμενος λουτροῦ καὶ
παντοίου ἄλλου ἐδέσματος.
4. — Πενταετοῦς δὲ αὐτοῦ γενομένου, σεισμοῦ μεγάλου γεγονότος,
30 ἔπεσεν Ἀντιόχεια ἡ πόλις ἕως ἐδάφους, ἐν ᾗ συνελήφθη καὶ ὁ τούτου
JB p. 105 πατὴρ καὶ τελευτᾷ. Αὐτὸς δὲ διεσώθη ἐν τῷ ναῷ τοῦ ἁγίου πρωτομάρ-
τυρος Στεφάνου.
5. — Τῆς δὲ τιμίας αὐτοῦ μητρὸς ἐννοούσης καὶ περὶ πολλοῦ ποιου-
μένης τὸ τί ἄρα ἔσται τὸ παιδίον, ὁρᾷ ἑαυτὴν κατ᾿ ὄναρ ὥσπερ εἰς ὕψος
5 αἰρομένην καὶ κρατοῦσαν τὸ παιδίον καὶ ἀναφέρουσαν δῶρον τῷ Κυρίῳ
καὶ λέγουσαν πρὸς τὸ παιδίον, ὡς ἐπὶ τοῦ προφήτου Συμεών· « Ἐπεθύ-
μουν ἰδεῖν σου τὴν θείαν ἀνάβασιν, ὦ τέκνον, ὅπως ὁ Κύριος ἀπολύσῃ
τὴν δούλην σου ».
6. — (A) Ὁρᾷ δὲ καὶ τὸ παιδίον θείαν ὀπτασίαν ἐπὶ τῆς ἀρχαίας τει-
10 χοποιΐας τῆς λεγομένης Χερουβίμ, τὸν Κύριον ἡμῶν Ἰησοῦν Χριστὸν καὶ
τὸν λαὸν τῶν δικαίων σὺν αὐτῷ. Καὶ ἦν κριτήριον καὶ ἡ βίβλος τῆς
ζωῆς ἀνεῳγμένη ἐν χειρὶ Κυρίου, ἐξ ἀνατολῶν δὲ ὁ παράδεισος πυκά-
ζων ἕως τῶν νεφελῶν τοῦ οὐρανοῦ, καὶ ἐκ δυσμῶν λίμνη πυρὸς ἀναβρά-
ζουσα. (B) Τὸ δὲ ἑπόμενον Πνεῦμα ἦλθε δακτυλοδεικτοῦν καὶ λαλοῦν
15 τῷ παιδίῳ· « Ἄκουε, παιδίον, καὶ σύνες ρήματα ζωῆς. Ἀνάδεξαι βίον
θεάρεστον καὶ ψυχωφελῆ ὅπως τῶν τοσούτων δεινῶν τοῦ σκότους ἀπαλ-
λαγῇς καὶ τῆς ἐπαγγελίας τῶν αἰωνίων τοῦ Θεοῦ ἀγαθῶν ἐπιτύχῃς ».
fol. 311r 7. — Ταῦτα οὖν ἰδὼν καὶ ἀκούσας τὸ παιδίον Συμεών, σφόδρα συνε-
τισθέν, ἀνῆλθεν ἐν τῷ ὄρει τῷ ἐπὶ Σελεύκειαν, ὑπὸ ἀνδρὸς λευχειμο-
20 νοῦντος ὁδηγούμενον καὶ δορυφορούμενον. Καὶ ἦν ἐν τῇ ἐρήμῳ μετὰ τῶν
θηρίων μονώτατον δοξάζων ἀπαύστως τὸν Κύριον.
8. — Μετὰ δὲ τοῦτο καταλαμβάνει μοναστήριον ἐνάρετον πάνυ, ἐν
ᾧ εὗρεν καὶ Ἰωάννην τὸν ὅσιον ἡσυχάζοντα καὶ ἑτέρους ἀδελφοὺς ἐνα-
ρέτους. Κἀκεῖ διετέλει τὸ παιδίον ἀγωνιζόμενον, ἄρτῳ καὶ ὕδατι καὶ
25 ὀσπρίοις τρεφόμενον.
24
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (78)
9. — Ἀνέρχεται οὖν ἐν κίονι, καὶ φανεὶς αὐτῷ ὁ Κύριος, λέγει τὸ
παιδίον πρὸς αὐτόν· « Κύριε, πῶς ἐσταυρώθης ». Καὶ ἁπλώσας τὰς χεῖ-
ρας ἔφη· « Οὕτως ἐσταυρώθην ὑπὸ Ἰουδαίων ». Δείκνυνται οὖν τῷ μα-
καρίῳ Συμεῶνι πᾶσαι αἱ παγίδες τοῦ Διαβόλου ὥσπερ ζῷα καὶ τῶν
30 παθῶν πᾶσαι αἱ ἐνέργειαι. Ἐξ ὧν ρυσθῆναι ἑαυτὸν καὶ τὸν κόσμον ἱκέ-
τευεν ὁ ὅσιος.
10. — Καὶ ὡς ταῦτα ηὔχετο ὁ μακάριος εἶδέ τινα τῶν πατριαρχῶν
χρίσαντα αὐτὸν ἁγίῳ μύρῳ καὶ λέξαντα· « Ἐν τούτῳ, τέκνον Συμεών,
σύγκοψον τὰς μυριάδας καὶ χιλιάδας τῶν ἐναντίων δυνάμεων καὶ θάρσει
ἐν Κυρίῳ ».
JB p. 106 11. — Οὕτως τοίνυν ὁ ὅσιος Συμεὼν ἔκτοτε παρὰ τῆς θείας χάριτος
ἐσοφίσθη καὶ ἦν νουθετῶν προσφόρως πάντα ἄνθρωπον καὶ τοὺς τὸν μο-
νήρη βίον ἀναδεδεγμένους, ὥστε πάντας ἐκπλήττεσθαι καὶ δοξάζειν τὸ
Πνεῦμα τοῦ Θεοῦ τὸ ἅγιον, τὸ λαλοῦν δι᾿ αὐτοῦ.
5 12. — (A) Τὰς δὲ πολλὰς καὶ ἀπείρους θαυματουργίας, ἃς ἐποίησεν
ὁ Θεὸς διὰ τοῦ δούλου αὐτοῦ Συμεῶνος, τάς τε γράμμασι ἀναγραφείσας
fol. 311v καὶ τὰς ἀκοῇ παραληφθείσας, ἐπιλείψει με διηγούμενον ὁ χρόνος, πολ-
λῶν ὄντων ὑπὲρ λόγον καὶ ἔννοιαν. (B) Εὐαγγελικῶς γὰρ εἰπεῖν, ἦν
ἰώμενος ὁ ὅσιος πᾶσαν νόσον καὶ πᾶσαν μαλακίαν, ὥστε, τοὺς παραγι-
10 νομένους πρὸς αὐτὸν τοὺς μὲν δι᾿ εὐχῆς τοὺς δὲ δι᾿ ἁφῆς τῆς ἁγίας χει-
ρὸς αὐτοῦ σφραγίζων, τυφλοῖς τὸ βλέπειν δι᾿ ἐντεύξεως ἀπεδίδου, χω-
λοὺς περιπατεῖν ἐποίει, παραλύτους συσφίγγων, λεπροὺς καθαίρων, δαί-
μονας ἀπελαύνων, νεκροὺς ἐγείρων, πάντα τε προγινώσκων καὶ προλέ-
γων διὰ θείας ἀποκαλύψεως, θεομηνίας δὲ κατ᾿ ὀργὴν Θεοῦ ἐκπεμπο-
15 μένας διὰ δεήσεως ἀποστρέφων, θηρίοις ἐπιτιμῶν, δαίμονας φιμῶν, νό-
σους θεραπεύων, πάθη ποικίλα ἰώμενος. (C) Ὥστε καὶ τοὺς ἐν πίστει
ἐν παντὶ τόπῳ ἐπικαλουμένους τὸν Κύριον καὶ μνημονεύοντας τοῦ ὁσίου
Συμεών, καὶ ἅπτοντας κανδήλας, ἐμφανίζειν αὐτοῖς καὶ ἰᾶσθαι τὰ νο-
σήματα αὐτῶν ἐν ὀνόματι Κυρίου, ἐν παντοίοις πάθεσιν· οὐ μὴν ἀλλὰ
20 καὶ τοὺς ἐν αἰχμαλωσίᾳ ἐπικαλουμένους αὐτόν, τῶν δεσμῶν ἀπολυομέ-
νους, μέσον τῶν πόλεων διέρχεσθαι ἀβλαβεῖς.
13. — (A) Ἔτι δὲ νήπιος ὢν ὁ μακάριος ηὔξατο τῷ Θεῷ μὴ δεη-
θῆναι σωματικῆς τροφῆς, καὶ ἐφάνη αὐτῷ λευχειμονῶν θεῖος ἄγγελος,
σκεῦος ἅγιον ἐπιφερόμενος πρὸς αὐτὸν διὰ τοῦ ἀέρος, ὅστις καὶ μετε-
25 δίδου αὐτῷ ἐν κοχλιαρίῳ ἐκ τρίτου. (B) Τὸ δὲ εἶδος τοῦ μεταδιδομένου
25
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (79)
ἦν ὡς εἶδος ὀρύζης· καὶ τοῦτο κατὰ κυριακὴν μετὰ τὴν ἀπόλυσιν τῆς
fol. 312r ἐκκλησίας ἑωρᾶτο, καὶ μετελάμβανεν καὶ ἐξ αὐτοῦ διήρκεσεν ἄχρι τῆς
τελειώσεως αὐτοῦ.
14. — (A) Κλονουμένης οὖν ποτε τῆς γῆς ὑπὸ σεισμῶν καὶ πάντων
30 μετὰ λιτῆς ἀπελθόντων πρὸς αὐτόν, ποιήσας εὐχὴν ὁ ὅσιος ηὔξατο καὶ
τελέσας τροπάριον παρέδωκεν αὐτοῖς ψάλλειν οὕτως· (B) « Νινευῗται
τοῖς παραπτώμασι τὴν διὰ σεισμοῦ κατάχωσιν ἤκουον· ἐν δὲ τῷ μεσι-
τεύοντι σημείῳ τοῦ κήτους, διὰ τοῦ Ἰωνᾶ, ἡ ἀνάστασις ἐν μετανοίᾳ,
μετὰ παρακλήσεως· <ὡς> ἐν ἐκείνῳ, Χριστὲ ὁ Θεός, βοὴν λαοῦ σου μετὰ
JB p. 107 νηστειῶν οἰκτείρας ἀπεδέξω, καὶ ἡμᾶς τῇ τριημέρῳ σου ἀναστάσει φεῖ-
σαι καὶ ἐλέησον, ὅτι σὺ εἶ ὁ Θεὸς τῶν μετανοούντων, καὶ ἐν ἡμῖν δεῖ-
ξον τὴν ἀγαθότητά σου, τρισάγιε, δόξα σοι ».
15. — (A) Πάλιν οὖν ὁρᾷ ὁ ὅσιος τοὺς ἁγίους ἀγγέλους καὶ τὸν Κύ-
5 ριον σὺν αὐτοῖς καὶ ἵππον λευκόν, θέλοντας αὐτὸν βασιλεῦσαι πνευμα-
τικῶς καὶ θεῖναι διάδημα ἐπὶ τῆς κεφαλῆς αὐτοῦ. (B) Καὶ εἶπεν ὁ ὅσιος
Συμεών· « Κύριε, εἰ κελεύεις με μετὰ ὁσίων βασιλεῦσαι, μὴ δεηθῶ ἀν-
θρωπίνης τροφῆς ». Καὶ ἐχαρίσθη αὐτῷ καὶ τοῦτο ἐκ Θεοῦ καὶ ἐνέδυσαν
αὐτὸν καὶ περιέζωσαν πνευματικὴν στολήν. Καὶ ἰδὼν ὁ Διάβολος ταῦτα
10 καὶ οἱ δαίμονες ἐθαμβήθησαν.
16. — (A) Τοῦ δὲ σεισμοῦ ἐπιμένοντος καὶ κλονοῦντος τὰ πάντα, ἡ
ὁσία Μάρθα, ἡ μήτηρ αὐτοῦ, προσῆλθεν αὐτῷ παρακαλοῦσα ὅπως δυσω-
πήσῃ τὸν Θεὸν ὑπὲρ τοῦ παυθῆναι τὸν σεισμόν. Τοῦ δὲ κλείσαντος τὴν
θύραν καὶ προσευχομένου ἐπὶ πολύ, ἦλθεν τὸ Πνεῦμα τοῦ Θεοῦ χαίρων
15 πρὸς αὐτόν· (B) καὶ ψάλλων τροπάριν εὐμελῶς, ἔλεγεν οὕτως· « Ὡς ἐπὶ
fol. 312v Μωϋσέως πρεσβευόμενος ἱλάσθης ὁ Θεὸς τοῦ μὴ συντρίψαι τὸν Ἰσραήλ,
καὶ νῦν, Κύριε, παῦσον λιτανευόμενος τὴν ὀργὴν ἀπὸ τοῦ λαοῦ σου, συγ-
χώρησιν ποιούμενος τῶν ποικίλων αὐτῶν ἁμαρτιῶν, ὡς μόνος ἀναμάρ-
26
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (80)
τητος, Χριστὲ ὁ Θεός, κατὰ τὸ μέγα σου ἔλεος. Δόξα σοι ».
20 17. — Καὶ ἔφη τὸ Παράκλητον Πνεῦμα τῷ ὁσίῳ· « Οὕτως δίδαξον
λιτανεύειν τὸν λαόν, καὶ παύσονται οἱ σεισμοί ». Καὶ τούτου γενομένου
κατ᾿ ἐπιτροπὴν τοῦ ὁσίου, ἐγένετο παρευθὺ ἀνοχὴ τοῦ σεισμοῦ, καὶ
πάντες ἐδόξαζον τὸν Θεὸν καὶ τὸν ὅσιον ἐμεγάλυνον.
18. — Γυνὴ δέ τις ἀκάθαρτον καὶ πονηρὸν πνεῦμα ἔχουσα καὶ ἰα-
25 θεῖσα ὑπὸ τοῦ ὁσίου, ἀπελθοῦσα ἐν τῷ οἴκῳ αὐτῆς, ἀνέστησεν εἰκόνα
τοῦ ἁγίου Συμεών, ἥτις θαυματουργοῦσα δαίμονας ἀπήλαυνεν καὶ πᾶσαν
ἄλλην νόσον ἰᾶτο.
19. — Τούτου τῶν ἁγίων τριχῶν τῆς κεφαλῆς μέρος ἄνθρωπός τις
λαβὼν καὶ ἐγκλείσας ἐν σταυρῷ, καὶ ἐν ἐκκλησίᾳ ἀποθήσας, ἦν ἰώμενος
30 πάντα τὰ πάθη τῶν ἀνθρώπων.
20. — (A) Τριακοστὸν τοίνυν ἔτος ἄγων ὁ ὅσιος Συμεὼν λαμβάνει
πληροφορίαν παρὰ Θεοῦ τοῦ χειροτονηθῆναι πρεσβύτερος. Καὶ τοῦτο
παρὰ Κυρίου ἀποκαλυφθείς, ὁ Σελευκείας ἐπίσκοπος ἐλθὼν κεχειροτό-
νηκεν αὐτὸν ἐν ὀνόματι Κυρίου. Καὶ τῶν ἀδελφῶν παρακαλούντων ποιῆ-
35 σαι τὴν θείαν προσκομιδήν, εὐξάμενος συνέταξε θείαν λειτουργίαν ἀφ᾿
ἑαυτοῦ. (B) Ἀμφιβάλλων δὲ εἰ ἀρεστόν ἐστι τῷ Θεῷ δι᾿ αὐτῆς ἱερουρ-
JB p. 108 γῆσαι, ὁρᾷ ἐν ἐκστάσει στρατιὰς οὐρανίους ἐν σχήματι εὐνούχων φωτο-
27
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (81)
fol. 313r ειδῶν τῇ χειρὶ εὐφημούντων αὐτὸν καὶ λεγόντων· « Εἴ τις οὐ κοινωνεῖ
τῇ ὁμολογίᾳ ταύτῃ, ἀνάθεμα ἔστω ».
21. — (A) Ἔκτοτε οὖν ἐκ Θεοῦ πληροφορηθεὶς ὁ ὅσιος καὶ μέγας
5 Συμεὼν καὶ καθαρῶς καὶ ἀμέμπτως ἱερουργῶν Κυρίῳ τῷ Θεῷ, καὶ πᾶ-
σιν ἁγιάζων, καὶ νουθετῶν τὰ πρὸς σωτηρίαν ψυχῆς διὰ τῆς ἡδίστης
αὐτοῦ καὶ μελισταγοῦς διδασκαλίας, — πολλὰ δὲ καὶ ἄπειρα τέρατα καὶ
σημεῖα ποιήσας ὁ Κύριος δι᾿ αὐτοῦ καὶ πολλὰ πάθη καὶ νόσους ἰασάμε-
νος, καὶ δαίμονας ἐκδιώξας καὶ καταισχύνας —, (B) καὶ ἐπὶ ὀγδοήκοντα
10 καὶ πέντε ἔτη τῷ Κυρίῳ δουλεύσας εἰλικρινῶς καὶ θεαρέστως ἐν διαφό-
ροις τόποις, προέγνω διὰ τοῦ ἁγίου Πνεύματος τοῦ ἀεὶ ὁδηγοῦντος αὐτὸν
καὶ τὴν τιμίαν καὶ ὁσίαν αὐτοῦ μετάστασιν ἀπὸ γῆς πρὸς τὰ οὐράνια.
22. — Πρὸ γὰρ δέκα ἡμερῶν τῆς κοιμήσεως αὐτοῦ ἐγνώρισε πᾶσιν
ὁ ὅσιος τὴν πρὸς Κύριον αὐτοῦ ἐκδημίαν.
15 23. — Τῆς οὖν ἡμέρας ἐνστάσης, τὰς ἑσπερινὰς πληρώσας εὐχάς,
πᾶσί τε εὐξάμενος καὶ συνταξάμενος τοῖς ἀδελφοῖς, ὥρᾳ πρώτῃ τῆς νυ-
κτὸς παρέδωκε τὸ πνεῦμα αὐτοῦ τῷ Κυρίῳ ἐν χαρᾷ καὶ δόξῃ πολλῇ,
μηνὶ Μαΐῳ κγʹ.
24. — Ἡ δὲ ἐξ ἀρχῆς αὐτοῦ στάσις ἐγένετο οὕτως· ἓξ ἕτη ἔστη
20 πλησίον τοῦ ἀββᾶ Ἰωάννου τοῦ ἡσυχαστοῦ, καὶ εἰς τὸν στῦλον τὸν μέ-
γαν πάλιν ἔστη ἔτη ιηʹ, καὶ ἐν τῷ ἁγίῳ καὶ Θαυμαστῷ Ὄρει ἐν τῷ
βασιδίῳ ἀπὸ ξηρολίθων ἔτη ιʹ καὶ ὕστερον εἰς τὸν μικρὸν στῦλον ἔτη μεʹ,
ἀρξάμενος κατὰ Θεὸν ἀγωνίζεσθαι ἀπὸ τοῦ ἕκτου χρόνου, ὡς εἶναι τὰ
πάντα τῆς ζωῆς αὐτοῦ ἔτη πεʹ.
25 25. — Διό, πάτερ πανάγιε καὶ πανόσιε, θεοφόρε καὶ θαυματουργέ,
fol. 313v Συμεὼν πανόλβιε καὶ πολυέραστε, ὡς παρρησίαν ἔχων πρὸς Χριστὸν
τὸν Θεὸν ἡμῶν αὐτῷ πρεσβεύειν ὑπὲρ ἡμῶν ἀεὶ μὴ διαλείπῃς, ὅπως καὶ
τὸν παρόντα βίον ἀκινδύνως διέλθωμεν καὶ ἐν τῷ μέλλοντι αἰῶνι τῶν
αὐτοῦ ἐπιτύχωμεν αἰωνίων ἀγαθῶν, ἐν αὐτῷ τῷ Σωτῆρι καὶ Δεσπότῃ
28
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (82)
30 Χριστῷ τῷ Θεῷ ἡμῶν, ᾧ πρέπει πᾶσα δόξα, τιμὴ καὶ προσκύνησις ἅμα
τῷ Πατρὶ καὶ τῷ ἁγίῳ Πνεύματι, νῦν καὶ ἀεὶ καὶ εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν
αἰώνων. Ἀμήν.
29
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (83)
Vie abrégée de notre père parmi les saints, Syméon du Mont Admirable107
1. Notre père saint et très vénérable, thaumaturge, Syméon du Mont Admirable, vivait au
temps de l’empereur Justin. Il est né dans la grande ville d’Antioche, ayant pour père un
dénommé Jean, originaire de la ville d’Édesse, et pour mère l’honorable et illustre Marthe,
rejeton d’Antioche dite de Syrie108.
2. A. Comme celle-ci s’était légitimement unie à son mari Jean et restait depuis longtemps
sans enfant109, elle s’en va en une journée à la demeure de Saint Jean Baptiste le Précurseur,
priant et suppliant que lui soit accordée la grâce d’un enfant mâle pour le consacrer comme
ministre du Seigneur110.
B. Alors, fléchi par ses demandes, Jean Baptiste le Précurseur du Seigneur se tint auprès
d’elle, visible à ses yeux111, et dit : « Aie confiance, femme ! Le Seigneur a entendu ta
demande. » Et le Précurseur du Seigneur lui donna de l’encens de styrax pour encenser sa
sainte demeure.
C. La boule ne diminuait pas à mesure qu’elle encensait112 et, peu de temps après113, le
Précurseur du Seigneur lui dit : « Va, femme, et dans ta demeure unis-toi à ton mari avec la
bénédiction du Seigneur. Tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Syméon. L’enfant
ne prendra jamais de viande, de vin, ou d’autres préparations qu’on a inventées, et il ne tètera
pas ton sein gauche. À deux ans, il recevra le saint baptême dans cette demeure. Car il sera
ministre du Seigneur tous les jours de sa vie114. »
107
Dans les notes ci-dessous, VAnc : Vie ancienne ; VdV : VAN DEN VEN
108
La précision « de Syrie » est propre à l’abrégé de Paris ; correspond-elle à un besoin de distinguer
des autres Antioche pour des lecteurs qui ne localisent pas immédiatement le Mont Admirable ? [celle
de Pisidie notamment] On la retrouve dans la notice du Synaxaire de Constantinople. —
Contrairement à l’abrégé de Pétrinos (1CD), notre texte ne mentionne pas les réticences de Marthe,
qui voulait rester vierge et n’accepte le mariage que par respect pour ses parents et après des prières à
Jean Baptiste (VAnc ch. 1).
109
Cf. VAnc, 2, 1-11. La stérilité n’est pas mentionnée comme telle dans la VAnc, mais elle est
implicite puisque Marthe, « s’étant rendu compte que l’ornement de sa virginité avait disparu » se rend
au temple de Jean Baptiste pour demander une descendance pour le service du Seigneur.
110
Dans la VA, le rituel ressemble à une incubation (elle dort dans le temple, jeûne, reçoit l’apparition
la nuit), cet aspect est gommé ici.
111
Cf. VAnc, 2, 11-17. Dans la VAnc, l’apparition de Jean Baptiste est exprimée par le même adverbe
ὀφθαλμοφανῶϛ, mais il est atténué par un ὡϛ εἰπεῖν qui n’est pas repris ici.
112
Résumé de la fin du ch. 2 de la VAnc (l. 17-30). L’abrégé supprime l’explication de la permanence
de la quantité d’encens (le saint renouvelle le stock pendant qu’elle dort).
113
Concentration chronologique : dans la VAnc (ch. 3), la deuxième intervention de Jean Baptiste a
lieu quelque temps après la première.
114
Reprise quasi textuelle de la VAnc, 3, 5-13. L’abréviateur élimine toutefois l’explication de
l’allaitement au sein droit, qui figure en revanche dans la notice du Synaxaire de Constantinople (p.
703, l. 28-30).
30
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (84)
3. A. Saint Syméon est enfanté sans douleur115 et, à deux ans, il reçoit le baptême au nom de
la sainte Trinité source de vie116, dans le sanctuaire du Précurseur.
B. Et aussitôt, d’une voix forte, il se mit à parler ainsi : « J’ai un père et je n’ai pas de père.
J’ai une mère et je n’ai pas de mère »117, montrant son renoncement aux choses terrestres et
son élévation vers les choses célestes118. Et il se nourrissait de pain et de miel, s’abstenant de
bain et de toute autre nourriture119.
4. Quand il eut cinq ans, il y eut un grand tremblement de terre et la ville d’Antioche
s’effondra jusqu’aux fondations ; son père fut pris sous les décombres et mourut120. Mais lui
fut sauvé dans le sanctuaire du saint protomartyr Étienne121.
6. A. L’enfant aussi voit, sur le vieux rempart appelé Chérubim, une vision divine, notre
Seigneur Jésus-Christ et, avec lui, le peuple des justes. Et il y avait un tribunal et le livre de
vie était ouvert dans la main du Seigneur ; au levant, il y avait l’Éden dont les frondaisons
s’élevaient jusqu’aux nuages du ciel, et au couchant, une mer de feu bouillonnante.
115
Cf. VAnc, 3, 32-33. L’abrégé élimine un développement sur la conception et la grossesse (3, 16-
32), puis la consécration de l’enfant (fin du ch. 3) et son allaitement (refus du sein gauche, ch. 4).
116
La formule « au nom de… » est un des très rares ajouts de l’abrégé, qui reprend sa doute ici la
formule liturgique en vigueur à son époque. L’abrégé de Pétrinos (6C) mentionne une formule très
voisine.
117
Phrase introductive et déclaration presque identiques dans la VAnc (5, 5-7), mais dans la VAnc, les
paroles sont répétées durant 7 jours.
118
Texte très proche de VAnc, 5, 7-9.
119
« S’abstenant… » résume le ch. 6 de la VA, mais l’abréviateur ne mentionne pas que l’enfant refuse
le lait de sa mère quand celle-ci a consommé de la viande.
120
Cf. VAnc, 7, 1-3.
121
Contrairement à l’abrégé de Pétrinos (6 EF), notre texte élimine les circonstances dans lesquelles
Syméon est sauvé : l’enfant, qui errait dans les décombres, est recueilli par une vieille femme qui
l’emmène dans la montagne où sa mère, après l’avoir cherché durant une semaine, le retrouve grâce à
une apparition de Jean Baptiste (VAnc, ch. 7).
122
Dans la VAnc (8, 2-4), Marthe se voit ailée ; ce détail, retenu par l’abégé de Pétrinos (6H), est
supprimé ici. Le reste, à partir de « comme… », reprend textuellement la VA où la déclaration de
Marthe se poursuit « (me laisse aller) en paix, (moi sa servante), parce que j’ai trouvé grâce parmi les
femmes d’offrir au Très-Haut les douleurs de mes entrailles ». L’abrégé, comme celui de Pétrinos
(6H), n’a conservé que la partie de la déclaration qui rappelle le plus le début du cantique de Syméon
(Lc 2, 29).
123
« Ta servante » : texte très curieux, qu’on retrouve dans l’abrégé de Pétrinos (6H) ; la VAnc (8, 7-8)
a « moi, sa servante », plus conforme à ce qu’on attend. Marthe se présente ici non comme la servante
du Seigneur (cf. Marie dans le Magnificat), mais comme la servante de son fils à qui elle s’adressse
comme s’il était déjà saint.
31
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (85)
B. Et l’Esprit qui suivait vint montrer du doigt et parler à l’enfant : « Écoute, enfant, et
comprends les paroles de vie. Engage-toi dans une existence agréable à Dieu et utile à l’âme
afin d’échapper aux dangers si graves des ténèbres et d’obtenir la promesse des biens éternels
de Dieu. »124
7. Après avoir vu et entendu cela, l’enfant Syméon, tout à fait instruit, monta sur la montagne
proche de Séleucie, guidé et protégé par un homme vêtu de blanc. Et il était dans le désert
avec les bêtes sauvages, tout seul, glorifiant sans cesse le Seigneur125.
8. Et après cela il se rend dans un monastère tout à fait vertueux; il y trouva le vénérable Jean
qui vivait en solitaire et d’autres frères austères. Et là l’enfant passait sa vie dans le combat
spirituel, se nourrissant de pain, d’eau et de graines trempées126.
9. Il monte alors sur une colonne127, et, le Seigneur lui étant apparu, l’enfant lui dit :
« Seigneur, comment as-tu été crucifié ? » Et, étendant les bras, il dit : « J’ai été crucifié ainsi
par les Juifs »128. Sont alors montrés au bienheureux Syméon tous les pièges du Diable comme
des êtres vivants et toutes les forces des passions. Et le vénérable suppliait d’en être préservé
ainsi que l’univers129.
10. Et alors qu’il priait ainsi, le bienheureux vit l’un des patriarches l’oindre de sainte huile
parfumée et dire : « Par celle-ci, enfant Syméon, brise les myriades et les milliers de
puissances hostiles et aie confiance dans le Seigneur. »130
11. Ainsi donc le vénérable Syméon fut dès lors comblé de sagesse par la grâce divine et il
avertissait utilement tout homme, en particulier ceux qui étaient engagés dans une existence
124
Pour la comparaison précise entre ce chapitre et le ch. 9 de la VAnc, voir le tableau comparatif.
125
Cf. VAnc ch. 7 avec des reprises textuelles. — La mention μετὰ τῶν θηρίων affaiblit l’original
μετὰ θηρίων ὡϛ πρόβατον, allusion scripturaire (Mt, 10, 14 ; Lc, 10, 3) reprise dans l’abrégé de
Pétrinos (7C). — « Glorifiant sans cesse le Seigneur » est un ajout de l’abréviateur.
126
Ce chapitre est un résumé très succinct des ch. 11-14 de la VAnc. Il ne reprend pas la tentative de
meurtre, racontée au ch. 14, perpétrée par un berger du monastère contre le jeune Syméon ; celui-ci lui
pardonne et le guérit du dessèchement de la main droite qui avait empêché son geste criminel.
L’épisode est repris, brièvement, par l’abrégé de Patmos (2BC) et par celui de Pétrinos (8D).
127
Résumé du ch. 15 de la VAnc.
128
La question et la réponse reprennent à peu près textuellement celles de la VAnc (16, 3-5) où la
réponse se poursuit par : « parce que je le jugeais bon ; quant à toi, sois fort et viril ». La VA précise
aussi l’interprétation du dialogue : « plus tard il reconnut que c’était à cause de la station sur la
colonne et de la patience qu’elle exigeait qu’il avait cru utile de lui montrer l’image de la croix et de
lui tenir ce langage. »
129
Résumé très succinct d’un épisode très pittoresque de lutte contre les démons (ch. 18).
L’abréviateur élimine totalement le récit détaillé des pratiques ascétiques de l’enfant à qui le moine
Jean recommande la modération (ch. 17). L’abrégé de Pétrinos en garde quelques aspects (9C).
130
Cf. VAnc ch. 19 où les paroles qui accompagnent l’onction sont plus longues mais contiennent
celles retenues ici.
32
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (86)
solitaire, si bien que tous étaient frappés de stupeur et glorifiaient le Saint Esprit de Dieu de
parler par lui.
12. A. Les multiples et innombrables miracles que Dieu accomplit par son serviteur Syméon,
ceux consignés dans des écrits et ceux reçus par ouï-dire131, le temps me manquera pour les
raconter et beaucoup dépassent la raison et l’entendement.
B. Car, pour parler comme l’évangile, le vénérable guérissait toute maladie et toute infirmité,
si bien que, marquant du signe de croix ceux qui venaient à lui, les uns par la prière, les autres
par le toucher de sa sainte main, il rendait la vue aux aveugles par des prières, il faisait
marcher les boiteux ; il rendait solides les paralysés, purifiait les lépreux, chassait les démons,
ressuscitait les morts, prévoyait et prédisait tout grâce à la révélation divine, écartait par sa
supplication les calamités envoyées par la colère de Dieu, invectivait les bêtes sauvages,
réduisait les démons au silence, soignait les maladies, guérissait des maux variés.
C. Si bien qu’à ceux qui, dans la foi, invoquaient le Seigneur en tout lieu, mentionnaient le
vénérable Syméon et allumaient des cierges, il se montrait et guérissait leurs maladies au nom
du Seigneur, dans toutes sortes de maux ; en outre les captifs qui l’invoquaient, libérés de
leurs liens, circulaient au milieu des villes sans être inquiétés132.
13. A. Alors qu’il était encore en bas âge, le bienheureux pria Dieu de ne pas avoir besoin de
nourriture corporelle, et lui apparut un messager divin vêtu de blanc, lui apportant à travers
l’air un vase sacré, qui lui donnait aussi la communion dans une cuillère à trois reprises133.
B. L’aspect de ce qui était donné pour communier était comme l’aspect du riz ; et on voyait
cela le dimanche après le renvoi de l’assemblée ; il recevait la communion et il subsista grâce
à cela jusqu’à sa mort.
14. A. Un jour, comme la terre était secouée par des tremblements de terre134 et que beaucoup
venaient le supplier, le vénérable, ayant composé une prière, pria et, ayant achevé un tropaire,
leur donna à chanter ainsi :
B. « Les Ninivites apprenaient leur ensevelissement par le tremblement de terre qui punissait
leurs fautes ; dans le miracle salutaire de la baleine, grâce à Jonas, la résurrection est dans le
repentir qui accompagne l’appel au secours ; comme, en ce temps-là, Christ Dieu, tu as
accueilli avec compassion le cri de ton peuple, accompagné de jeûnes, de même épargne-nous
131
L’abréviateur fait ici référence aux collections de miracles du saint, dans lesquelles il faut sûrement
inclure la Vie ancienne qu’il abrège.
132
On notera que l’abréviateur distingue clairement les miracles opérés par Syméon lui-même (B), de
ceux opérés par son intercession (C). La libération des captifs est attestée dans la VAnc aux ch. 61-63
où, lors de la prise d’Antioche par Chosroès en 540, des prisonniers qui invoquent le nom de Syméon
sont miraculeusement délivrés.
133
Dans la VAnc l’épisode est raconté par le saint lui-même peu avant de mourir (ch. 256, 9-31).
134
La ville a connu plusieurs tremblements de terre au 6e siècle, l’épisode relatif au tremblement de
terre de 557 est rapporté aux ch. 104-107 de la VAnc : Syméon est averti du tremblement de terre par
plusieurs visions (éliminées par l’abréviateur), il ordonne aux moines de prier et, pour apaiser la colère
de Dieu, leur fait chanter deux tropaires qu’il a composés.
33
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (87)
et aie pitié de nous par ta résurrection le troisième jour, parce que tu es le Dieu de ceux qui se
repentent, et montre ta bonté à notre propos ; trois fois saint, gloire à toi135. »
15. A. De nouveau donc le vénérable voit les saints messagers, et le Seigneur avec eux ainsi
qu’un cheval blanc ; ils voulaient qu’il règne spirituellement et poser un diadème sur sa
tête136.
B. Et le vénérable Syméon dit : « Seigneur, si tu m’ordonnes de régner avec les vénérables,
fais que je n’aie pas besoin de nourriture humaine.137 » Et cette grâce aussi lui fut accordée par
Dieu138 et ils le vêtirent et ils lui mirent un vêtement spirituel139. Et en voyant cela, le Diable et
les démons furent frappés de stupeur140.
135
Pour ce premier tropaire, cf. VAnc, 105, 6-14, où il est chanté pendant soixante jours ; le texte est
quasi identique dans les deux œuvres, mais μετὰ νηστειῶν (« accompagné de jeûnes ») remplace
μετὰ νηπίων καὶ κτηνῶν (« avec les enfants et les troupeaux »). Ce tropaire figure dans les Ménées,
sous le nom de Syméon, à la date du 26 octobre où les Grecs commémorent le grand tremblement de
terre de 740 (DELEHAYE, Les saints stylites [Subsidia Hagiographica 14], Bruxelles 1923, LXXIII).
Pour l’expression concernée, le texte des Ménées est identique à celui de la VAnc.
136
Cet épisode n’a pas de lien apparent avec le récit du tremblement de terre dans lequel il est inséré.
Dans la VAnc, il apparaît au ch. 47, inséré dans une série de miracles. 15A ≈ VAnc, 47, 4-7.
137
Prière identique dans VAnc, 47, 12-14.
138
Cette proposition résume VAnc, 47, 14-18 où Dieu répond (style direct) et prolonge sa réponse en
donnant à Syméon le pouvoir de combattre les démons.
139
Version simplifiée de VAnc 47, 18-22 : « Et les anges revêtirent (ἐνέδυσαν) Syméon, par-dessus
ses habits ascétiques, de la gloire et de la magnificence de la sainteté, posant sur son front un diadème
fait de la pierre précieuse de l’esprit de vie, qui portait une croix et au-dessus duquel une étoile brillait
comme un éclair ». Dans notre texte, « vêtement spirituel » (πνευματικὴν στολήν) traduit sans doute
« la gloire et de la magnificence de la sainteté ».
140
Conclusion identique dans VAnc 47, 26-27.
141
Ce chapitre et le suivant reprennent le ch. 107 de la VA. Mais l’abréviateur supprime deux épisodes
associés : la première visite de Marthe dès la veille du tremblement de terre, qui lui est révélé par son
fils (VAnc, 105, 16-25) ; la composition du second tropaire (ch. 106).
142
Dans la VAnc la requête de Marthe est au style direct (107, 1-6).
143
Formule introductive et texte du tropaire quasi identiques dans la VAnc (107, 7-13), mais avec une
modification du contexte : dans la VAnc, ce tropaire, qui est le troisième, est composé à l’occasion
d’un nouveau tremblement de terre, qui survient deux semaines après le premier et frappe
Constantinople et sa région. L’auteur de l’abrégé ne mentionne que le tremblement de terre
d’Antioche auquel il rattache ce tropaire.
34
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (88)
17. Et l’Esprit Paraclet dit au vénérable : « Apprends au peuple à supplier ainsi et les
tremblements de terre cesseront144. » Et il en fut ainsi conformément à la décision du
vénérable ; le tremblement de terre s’arrêta aussitôt et tous louaient Dieu et exaltaient le
vénérable145.
18. Une femme qui possédait un esprit impur et malin et qui avait été guérie par le vénérable
retourna dans sa maison, éleva une image du saint Syméon, qui, accomplissant des miracles,
chassait les démons et guérissait toute autre maladie146.
19. Un homme, qui avait reçu une partie des saints cheveux de la tête de celui-ci, les avait
enfermés dans une croix et les avait déposés dans une église, guérissait tous les maux des
hommes147.
20. A. Arrivé à trente ans, le vénérable Syméon reçoit de Dieu la pleine assurance de
l’ordination sacerdotale148. Et ayant eu la révélation de cela de la part du Seigneur, l’évêque
de Séleucie vint et l’ordonna au nom du Seigneur149. Et comme les frères l’exhortaient à
144
Cf. VAnc, 107, 14-15.
145
Même exécution immédiate et même résultat (fin du tremblement de terre) dans la VAnc (107, 15-
18) ; mais la fin de la phrase (καὶ πάντεϛ) modifie la conclusion de l’épisode dans la VAnc (l. 18-22).
D’après notre texte, le miracle suscite louange de Dieu et éloge du saint. Dans la VAnc, on trouve à
cet endroit une exhortation au lecteur : qu’il ne doute pas de l’intervention de l’Esprit auprès de
Syméon et en glorifie Dieu.
146
Ce bref épisode résume le ch. 118 de la VAnc (voir VdV, t. II, n. 1 p. 119). Théotekna, originaire
de Rosopolis en Cilicie, est stérile, possédée depuis son enfance et renvoyée par son mari au bout de
vingt ans de mariage. Elle se rend auprès du saint qui la guérit et la renvoie chez son mari dont elle
conçoit un enfant. Celui-ci est présenté au saint à l’âge d’un an et c’est au retour de cette
« présentation » que la femme élève dans sa maison une image du saint qui s’avère miraculeuse
« parce que l’Esprit Saint qui habitait Syméon la couvrait de son ombre » : elle purifie les
démoniaques et guérit les malades. L’abréviateur supprime les précisions sur la maladie, la guérison et
les circonstances.
147
Cf. VAnc, 130, 1-12. Un prêtre géorgien reçoit du saint l’eulogie. De retour dans sa patrie, il est, à
l’instigation du démon, accusé de magie par les autres prêtres et destitué par l’évêque qui est châtié de
cette décision par une maladie. Il comprend, vient trouver le saint qui le guérit avec l’eulogie et
recouvre son statut. Au ch. 131, l’oratoire manque d’être pillé lors d’une incursion des Perses, mais les
deux hommes chargés d’y mettre le feu sont retrouvés morts devant le reliquaire. Tous les éléments
anecdotiques et les événements associés à l’eulogie sont ici éliminés.
148
Cf. VAnc, 132-135. La VAnc consacre un chapitre entier (132) au refus de Syméon, par humilité,
de recevoir l’ordination sacerdotale, à moins que Dieu lui-même ne le lui commande ; et ce malgré les
demandes insistantes de ceux qui voient en lui un garant de l’orthodoxie. L’abrégé passe directement à
la deuxième étape, l’intervention de Dieu, évoquée en une phrase, mais objet d’un chapitre entier de la
VAnc (ch. 133). L’âge de Syméon lors de son ordination est différent dans la VAnc, « dans la trente-
troisième année de son âge » (133, 13-14). Celui indiqué ici (30 ans) n’est pas compatible avec la date
du tremblement de terre (en 557, Syméon a déjà 36 ans). L’abrégé de Pétrinos (15A) indique 33 ans,
comme la VAnc.
149
Cette sobre phrase résume le ch. 134 de la VAnc, très pittoresque, où l’évêque de Séleucie, poussé
par l’Esprit, vient trouver Syméon sur sa colonne et parvient à le convaincre d’être ordonné sur-le-
champ.
35
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (89)
accomplir la divine oblation eucharistique, après avoir prié, il célébra le service divin lui-
même.
B. Ne sachant pas s’il plaisait à Dieu qu’il célèbre le sacrifice avec cette oblation, il voit dans
une extase les armées célestes sous l’apparence d’eunuques couverts de lumière qui
l’acclament de la main et disent : « Si quelqu’un ne s’associe pas à cette confession de foi,
qu’il soit anathème. »150
21. A. Dès lors, le vénérable et grand Syméon, qui avait reçu pleine assurance de la part de
Dieu, célébrait le sacrifice pour le Seigneur Dieu avec pureté et sans tache, sanctifiait pour
tous et avertissait de ce qui concernait le salut de l’âme par son enseignement très agréable
qui distillait du miel151 — le Seigneur avait accompli à travers lui de multiples et
innombrables prodiges et signes, avait soigné beaucoup de maux et de maladies et avait
chassé et humilié des démons152 —
B. après avoir été pendant quatre-vingt-cinq ans serviteur du Seigneur, d’une manière
exclusive et agréable à Dieu dans différents lieux, il connut d’avance, grâce au Saint Esprit
qui le guidait constamment, son honorable et pieuse assomption de la terre vers les réalités
célestes.
22. Car dix jours avant sa dormition, le vénérable apprit à tous son départ vers le Seigneur153.
23. Alors, comme le jour finissait, après avoir achevé les prières du soir, avoir prié pour tous
et avoir donné des instructions à ses frères, à la première heure de la nuit, il rendit son souffle
au Seigneur, dans la joie et avec beaucoup de gloire, le 23 mai154.
24. Voici sa station depuis le début : il se tint six ans auprès de l’abbé Jean le solitaire, et il se
tint sur la grande colonne155 à nouveau dix-huit ans156, et au saint Mont Admirable, sur le
150
Le chapitre 20B paraphrase la première moitié du ch. 135 (l. 1-8) de la VA, mais ne reprend pas
l’apparition du Christ qui suit immédiatement et complète la déclaration d’anathème (prononcée trois
fois dans la VAnc) par une formule trinitaire (VA, 135, 8-10).
151
L’expression « enseignement…miel » se trouve dans une prière de Xanthippe, dans les Actes de
Xanthippe et Polyxène, 8, 26 (M.R. JAMES, Apocrypha anecdota [Texts and Studies 2.3. Cambridge:
Cambridge University Press, 1893 (repr. 1967)]: 58-85).
152
Le ch. 21A est résumé de l’activité de Syméon à partir de son ordination, qui distingue son œuvre
propre (activité liturgique et enseignement) et les signes que Dieu accomplit par lui (guérisons et
exorcismes)
153
Cf. VAnc 256, 41-42.
154
Cf. VAnc, 257, 1-4, à peu près textuellement. En revanche, la VAnc parle d’un vendredi 24 mai
mais cette date ne correspond pas au calendrier de 592 ; l’abréviateur est le seul qui corrige l’erreur
(voir VdV I, p. 124*, n. 4), conservée dans les deux autres abrégés et dans le Synaxaire de
Constantinople.
155
Très curieusement, l’abrégé inverse les données de la VA relatives aux stations sur la petite et la
grande colonne. L’erreur est reprise dans le Synaxaire de Constantinople ; cf. VdV p. 53* et n. 1.
156
Le séjour sur la colonne de 40 pieds est de dix-huit ans au lieu de huit dans la VAnc (258, 4). Selon
VdV I, p. 52* s., il s’agit peut-être d’une lecture fautive (insertion d’un jambage entre les deux Η de
ἔτη η’)
36
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (90)
pilier de pierres sèches dix ans et ensuite sur la petite colonne quarante-cinq ans ; il avait
commencé le combat spirituel du côté de Dieu à partir de sa sixième année ; le total de sa vie
est de quatre-vingt-cinq ans157.
25. C’est pourquoi, père très saint et très vénérable, théophore et thaumaturge, bienheureux
Syméon bien-aimé, toi qui as liberté de parole auprès du Christ notre Dieu, ne cesse pas d’être
ambassadeur pour nous à jamais, afin que nous traversions l’existence présente sans danger et
que dans l’avenir nous obtenions ses biens éternels, dans le Sauveur lui-même et Maître, le
Christ notre Dieu, à qui conviennent toute gloire, honneur et prosternation, ainsi qu’au Père et
au Saint-Esprit, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen158.
157
La VAnc distingue 6 ans d’enfance plus quatre périodes de 6, 8, 10 et 45 ans, soit une vie de 75
ans, durée reprise dans l’abrégé de Pétrinos (qui ne donne pas les durées des stations). La durée totale
est ici de 85 ans, comme dans l’abrégé de Patmos mais avec un autre calcul. Sur cette chronologie, cf.
VdV p. 52*, 124*-130*. Le Synaxaire de Constantinople a la même durée et le même décompte que
notre abrégé.
158
Prière différente de la VAnc (ch. 259) où elle n’est pas adressée au saint mais à Dieu. Dans l’abrégé
de Pétrinos (17C), Syméon est invoqué comme intercesseur avec une formule « pour la gloire de notre
sauveur à qui … » très proche de l’abrégé de Paris.
37
Hagiographie, culte des saints, monachisme, histoire de l'enfance et de la famille (91)
Zbornik radova Vizantolo{kog instituta Hᇀ, 2009
Recueil des travaux de l’Institut d’etudes byzantines XßVI, 2009
UDC: 27-9(32)-788"03/04"
DOI:10.2298/ZRVI0946011C
BEATRICE CASEAU
(Centre de recherche d’Histoire et Civilisation de Byzance, Paris)
Les milieux monastiques ont developpe tres tot une typologie normative des
bons et des mauvais moines. Ce mode de vie particulier s'inspirait des traditions
ascetiques des premiers siecles, mais possedait aussi sa propre vision de l’ascese
chretienne. La nouveaute d’une vie a l’ecart des communautes et la liberte relative
que cette rupture occasionnait ont rendu necessaire l’elaboration de normes. Pour
ne prendre qu’un exemple, la privation alimentaire etait louee mais non le suicide
par refus de s’alimenter. La vie monastique des premiers siecles (fin IIIe–VIe
siecle) fut marquee par une grande inventivite. Une vie de priere a l'ecart de la
societe pouvait prendre differentes formes, selon qu'elle etait vecue seul ou a
plusieurs, dans un cadre naturel ou dans un monastere construit, avec un rythme
particulier a chacun (idiorythmie) ou commun a tous. Au fur et a mesure que se
diversifiait ce mode de vie particulier, le besoin de creer des normes de
l’acceptable et de l’inacceptable s’est fait sentir. Certains modes de vie
monastiques, trop libres, ou trop exhibitionnistes, trouverent des detracteurs qui
les jugerent peu susceptibles de conduire leurs adeptes a la saintete. Les milieux
monastiques, conscients de cette diversite, ont, des le IVe siecle, etabli une
gradation dans la difficulte et une hierarchie dans les modes de vie. Il fut convenu
que la vie anachoretique au desert etait plus dure et plus exigeante que la vie
cenobitique, mais qu'il etait possible d'atteindre la saintete dans les deux formes
de vie monastique.
La reconnaissance de la saintete du mode de vie monastique passait par
l'approbation des autorites episcopales et son obtention ne fut pas systematique
4 Jerome, epistula XXII ad Eustochium, 34, ed. J. Labourt, Paris, 1954, t. I, 149–150 : ¼Et
quoniam monachorum fecimus mentionem et te scio libenter audire quae sancta sunt, aurem paulisper
adcommoda. Tria sunt in Aegypto genera monachorum : coenobium quod illi sauhes gentili lingua
uocant, nos ‘in commune uiuentes’ possumus appellare ; anachoretae, qui soli habitant per deserta et
ab eo quod procul ab hominibus recesserint nuncupantur ; tertium genus est, quod dicunt remnuoth,
deterrimum atque neglectum, et quod in nostra prouincia aut solum aut primum est. Hi bini uel terni
nec multo plures simul habitant suo arbitratu ac dicione uiuentes, et de eo quod laborauerint in
medium partes conferunt ut habeant alimenta communia. Habitant autem quam plurimum in urbibus
et castellis, et quasi ars sit sancta, non uita, quidquid uendiderint, maioris est pretii. Inter hos saepe
sunt iurgia, quia suo uiuentes cibo non patiuntur se alicui esse subiectos. Re uera solent certare
ieiuniis et rem secreti uictoriae faciunt. Apud hos affectata sunt omnia : laxae manicae, caligae
follicantes, uestis grossior, crebra suspiria, uisitatio uirginum, destractation clericorum, et si quando
festior dies uenerit saturantur ad uomitum.½
5 A. Martin, Athanase d’Alexandrie et l’Eglise d’Egypte au IVe siecle (328–373), Rome 1996.
dix ans plus tard, a la demande de moines d’outremer qui sont probablement des
latins.6 La Vie ecrite en grecque fut aussitot traduite en latin, une premiere fois de
maniere anonyme,7 puis une seconde fois par Evagre d’Antioche8 une dizaine
d’annees avant que Jerome n’ecrive sa lettre a Eustochium. L’Egypte avait donc
une place particuliere dans l’histoire monastique et les milieux ascetiques et
aristocratiques romains avaient ete rapidement mis au parfum de cette innovation
dans la maniere de vivre la foi chretienne.9 Mais dans la liste que cite Jerome, il y
a des variantes dans la maniere de mener la vie monastiques inconnues de la Vie
d’Antoine: il signale les ¼remnuoths½, une categorie inconnue par ailleurs de la
litterature monastique D'ou tenait-il ses informations sur les sortes de vie
monastique? Jerome avait lui-meme fait une experience monastique en Syrie. Il
avait en effet passe du temps au desert de Chalcis (374–379) avant son sejour
romain (382–385), mais il n'avait pas une experience directe du monachisme
egyptien a la date de redaction de la lettre a Eustochium puisqu’il n’est alle en
Egypte qu’apres 385–86, en se rendant en Palestine. Or Jerome precise l'origine
egyptienne des moines qu'il decrit. Ces ¼remnuoths½ ont fait couler beaucoup
d’encre chez les historiens du monachisme des textes et chez les linguistes, car il
s'agit d'un mot rare. En latin, le mot n'a jamais ete adopte dans le vocabulaire
monastique et ¼remnuoth½ est reste fort mal compris des copistes, ce qui explique
d’assez nombreuses variantes dans les manuscrits :
Spinaliensis 68 (VIIIe s.), remnuoth
Monacensis, cat. 6299 (VIII–IXe s.), remnuoho
Vaticanus, lat. 356 (IX–Xe s.), remnuo
Vaticanus, lat. 650 (Xe s.), remeboth
Berolinensis, lat. 18 (XIIe s.), remoboth.
Les savants philologues ont ete aussi perplexes que les copistes sur ce mot
dont il ne connaissait pas l'etymologie. La variante ¼remoboth½ presente dans
certains manuscrits a ete choisie par J. P. Migne dans la Patrologia Latina, en
suivant l’edition de Domenico Vallarsi (1702–1771).10 Editeur des lettres de
Jerome, Domenico Vallarsi pensait donner une origine grecque au mot et proposa
le mot vagabond, ¼remboj½, comme source d’inspiration pour le mot copte.
En raison du sejour syrien de Jerome, l'hypothese d'un mot d'origine
semitique a ete proposee. Dans une note, J. P. Migne proposait de lire ¼remohot½,
en formant le mot a partir de la racine semitique rhb, qui a donne le mot syriaque
¼reheb½, ce qui signifie ¼etre agite, trouble½. Le remnuoth serait un moine qui
6 L’hypothese que le texte soit adresse a des Latins d’Italie ou de Treves remonte a
Montfaucon mais Annick Martin suggere que ces moines d’outremer pouvaient habiter la Syrie ou la
Palestine, Athanase d’Alexandrie et l’Eglise d’Egypte au IVe siecle (328–373), Rome 1996,
483–484.
7 G. Garitte, Un temoin important du texte de la Vie de S. Antoine par S. Athanase. La
version latine inedite des Archives du Chapitre de S. Pierre a Rome, Bruxelles — Rome 1939.
8 Vita et conversatio S. P. N. Antonii, PL 73, 125–170 : PG 26, 836–976.
9 A. de Vogue, Histoire litteraire du mouvement monastique dans l’Antiquite, t. I, Paris 1991.
10 PL 22, 419 ; D. Vallarsi, Sancti Eusebii Hieronymi operum, Venise 1766–1772 (2e edition).
23 Jean Cassien, Conferences, XVIII, VII, ed. E. Pichery, vol. III, Paris 1959, 18–19 : ¼coepisset
autem in deterius paulatim hic quoque ordo reccidere, emersit post haec illud deterrimum et infidele
monachorum genus vel potius noxia illa plantatio rediviva concrevit, quae per Annaniam et Sapphiram in
exordio ecclesiae pullulans apostoli Petri severitate succisa est. ‰…Š Illo igitur exemplo, quod in
Annaniam et Sapphiram apostolica districtione punitum est, a nonnullorum contemplatione paulatim
longa incuria et temporis oblitteratione subtracto emersit istud Sarabaitarum genus, qui ab eo, quod semet
ipsos a coenobiorum congregationibus sequestrarent ac singillatim suas curarent necessitates, Aegyptiae
linguae proprietate Sarabaitae nuncupati sunt, de illorum quod praediximus numero procedentes, qui
evangelicam perfectionem simulare potius quam in veritate adripere maluerunt, aemulatione scilicet
eorum vel laudibus provocati, qui universis divitiis mundi perfectam Christi praeferunt nuditatem.½
24 Jean Cassien, Conferences, XVIII, VII, ed. E. Pichery, vol. III, Paris 1959, 19 : ¼Hi igitur
dum inbecillo animo rem summae uirtutis adfecant, vel necessitate ad hanc professionem venire
conpulsi dum censeri tantummodo nomine monachorum absque ulla studiorum aemulatione festinant.½
25 T. S. Richter, “What’s in a Story? Cultural Narratology and Coptic Child Donation
Documents”, Journal of Juristic Papyrology 35 (2005) 237–64; A. Papaconstantinou, Theia
oikonomia. Les actes thebains de donation d’enfants ou la gestion monastique de la penurie, Travaux
et Memoires 14 (Melanges Gilbert Dagron), Paris 2002, 511–526.
26 Jean Cassien, Conferences, XVIII, VII, ed. E. Pichery, vol. III, Paris 1959, 19 : in suis
domiciliis sub privilegio huius nominis isdem obstricti occupationibus perseverant.
27 Jean Cassien, Conferences, XVIII, VII, ed. E. Pichery, vol. III, Paris 1959, 19 :
coenobiorum nullatenus expetunt disciplinam nec seniorum subduntur arbitrio aut eorum
vivent en petits groupes et qui pratiquent l’idiorythmie : ¼Ou bien ils construisent
des cellules, les decorent du nom de monasteres, mais pour y vivre selon leur
guise et en complete liberte…Fuyant, comme on l’a dit, l’austerite cenobitique, ils
habitent a deux ou trois dans les cellules. Leur moindre desir est d’etre gouverne
par les soins et l’autorite d’un abbe. Bien au contraire, ils font leur principale
affaire de rester libre du joug des anciens, afin de … sortir, d’errer ou il leur plait,
de faire ce qui les flatte.½28 On retrouve chez Cassien des critiques deja reperees
dans la lettre de Jerome a Eustochium : l’indiscipline de petits groupes de moines
qui n’en font qu’a leur tete et qui refusent les contraintes de la vie cenobitique
sous l'autorite d'un abbe.29 Les deux auteurs visent le meme type de vie
monastique.
Le mot ¼sarabaite½ est un mot aussi difficile que celui de ¼remnuoth½, car il
n’est pas atteste en dehors de Cassien et des auteurs qui ont recopie sa liste des
moines. Les auteurs des regles monastiques du VIe siecle, la Regle du Maitre, la
Regle d’Eugippe et la Regle de saint Benoit ont repris la categorisation de
Cassien.30 Or ces differentes regles latines ont ete maintes fois recopiees et leur
popularite fut grande au cours des siecles medievaux. La diffusion de la Regle de
saint Benoit en particulier a permis de faire connaitre dans toute l’Europe la liste
des bons et des mauvais moines.
L'etymologie des ¼sarabaites½ a inspire aux linguistes des theories que F.
Morard, deja en 1974, ne trouvaient guere satisfaisantes.31 A la suite de Walter
Crum et de Hugh Evelyne-White,32 la piste du mot copte sarakwte a ete suivie.
Ch. Cannuyer, qui a repris recemment la question des sarabaites, propose cette
meme identification et considere qu'il s'agit de nouveau d'un emprunt au
vocabulaire des missionnaires attestes dans les sources manicheennes. Dans ces
sources, les ¼saracotes½, sont des missionnaires ¼errants, gyrovagues½. Passer de
traditionibus instituti suas discunt vincere voluntates nec ullam sanae discretionis regulam legitima
eruditione suscipiunt.
28 Jean Cassien, Conferences, XVIII, VII, ed. E. Pichery, vol. III, Paris 1959, 19 : aut
construentes sibi cellulase asque monasteria nuncupantes suo iure in eis ac libertate consistunt ‰…Š
Illi autem qui districtionem ut diximus coenobii declinantes bini vel terni in cellulis commorantur, non
contenti abbatis cura atque imperio gubernari, sed hoc praecipue procurantes, ut absoluti a seniorum
iugo exercendi voluntates suas ac procedenti vel quo placuerit evagandi agendive quod libitum fuerit
habeant libertatem
29 Ph. Rousseau, Ascetics, Authority, and the Church in the Age of Jerome and Cassian,
Oxford 1978.
30 Regula Magistri, I, 1–75, ed. A. de Vogue, Regle du maitre, Paris 1964, 328–346 (SC 105);
Regula Benedicti, I, 1–13, ed. A. de Vogue, La regle de Saint Benoit, Paris 1972, 436–440 (SC 181),
Eugippii Regula, XVIII, 20, et XXVII, 6–10, ed. F. Villegas, A. de Vogue, Vienne, 1976 (CSEL 87);
Eugippio, La regola. Introduzione, traduzione e note a cura di B. Degorski, L. Mirri, Rome 2005.
31 F. Morard, Monachos, Moine: Histoire du terme grec jusqu'au 4e siecle, Freiburger
Zeitschrift fur Philosophie und Theologie 20 (1973) 332–411; id., Encore quelques reflexions sur
monachos, Vigiliae Christianae 34 (1980) 395–401.
32 W. Crum, A Coptic Dictionary, Oxford 1939, 354–355; E. G. Evelyn White, The
Monasteries of the Wadi’ Natrun. Part II : The History of the Monasteries of Nitria and of Scetis, New
York 1932, 15.
sarakote a sarabaite ne semble pas simple, meme si avec Ch. Cannuyer on admet
une ¼cacographie½.
Pour Ch. Cannuyer, les sarabaites comme les remnuoths de Jerome
¼perpetuaient le mode de vie eremitique le plus primitif, atteste en Egypte des le
IIIe siecle ; c’etait des gyrovagues, des anachoretes errants, vivant au desert ou
dans les bourgs sans fixite et pratiquant un metier pour subvenir a leurs
besoins.½33 Ce pourrait aussi etre des moines melitiens, aux habitudes archaiques,
car dans les Canons d’Athanase, sarakwte correspond a un mot arabe signifiant
¼les ignorants, les stupides½. Il rejoint en cela les analyses qu’A. Guillaumont
avaient offertes pour les ¼remnuoths½, en assimilant cette categorie a une forme
ancienne de vie monastique. Ch. Cannuyer passe donc d’un mot qui est une
insulte a un mot qui decrit une forme de vie monastique. Il pense trouver
confirmation de son identification dans un texte arabe. Le mot arabe sarakuda
present dans une Vie de saint Jean de Scete34 pour designer des chretiens a la
conduite scandaleuse est en effet rattache par U. Zanetti au copte sarakwte.
Mais peut-on passer de mauvais chretien a mauvais moine ? M. Blanchard a
repere aussi dans des glossaires ecclesiastiques traduits de copte en arabe, le mot
sarakwte avec le sens de ¼vagabond½.35
Mais comment imaginer sans un soupüon d’hesitation le passage
linguistique de saracote et sarabaite, meme si on peut glisser de K a B dans la
graphie latine? Le non specialiste reste dubitatif, d’autant que Ch. Cannuyer
lui-meme souligne que d’autres hypotheses ont ete proposees, qu’il rejette car
¼soulevant de serieuses objections d’ordre morphologique et semantique.½
La principale etymologie concurrente reprise recemment par J. Horn fait du
sarabaite l’homme de la cellule, ou l’homme du monastere, un moine donc. J.
Horn36 suit A. Alcock37 qui lui-meme reprend une hypothese de F. Morard qui
proposait d’y voir un terme composite : sar ¼sar½, signifiant ¼homme½, abaut
¼abait½ venant de rabe ¼rabe½ ou raue ¼raue½, le quartier d’une ville, la maison,
la cellule, ou bien de ¼abet½ qui signifie monastere. Le mot, non atteste en Copte,
se rapprocherait de sa-rauh ¼homme du voisinage½. Il s’agirait d’un terme
generique, qui a l'avantage de coller a le description de Cassien, comme moine de
quartier ou moine en rupture avec sa communaute.
pour l’utiliser a des fins polemiques parait interessante. Mais Cassien a passe
plusieurs annees dans le desert monastique egyptien. Pourquoi aurait-il utilise un
mot traduisant ¼monachos½ pour condamner un mode de vie qu’il avait adopte et
qu’il importa en Gaule? Si le mot avait tout simplement designe la vie monastique
d’une maniere generale, sans jugement de valeur, il est peu probable que Cassien
ait souhaite l’utiliser pour denoncer un mode de vie particulier de mauvais
moines. Ch. Cannuyer propose que Cassien ecrivant trente cinq ans apres son
sejour en Egypte se serait trompe dans sa transcription de ses notes et utilise un
mot deforme pour stigmatiser les mauvais moines.41
Les specialistes du monde copte et de l’histoire monastique ont saisi ces
textes de Jerome et de Cassien pour y trouver les racines de la vie monastique
egyptienne. Selon eux, ces sortes de moines decries qui ne sont pas des
anachoretes ou des cenobites, sont les moines primitifs. Puisque ces deux auteurs
utilisent des mots coptes pour designer les mauvais moines, il doit s’agir, selon
eux, de mots anciens, qui servaient a designer des formes de vie ascetique
anterieures a la vie monastique et a l’usage du mot ¼monachos½. Mais ces mots ne
sont pas attestes dans les sources egyptiennes, ni en grec ni en copte, mais
seulement dans les sources latines. Malgre leur absence des sources
papyrologiques, les historiens contemporains du monachisme primitif ont voulu
absolument les valider comme des mots faisant reference a une realite concrete de
l’Egypte monastique.
Les historiens sont si surs d’eux qu’ils sont meme prets a considerer que
Cassien et Jerome exagerent ou se trompent dans leur analyse des ¼remnuoths½ et
des ¼sarabaites½ comme de mauvais moines. E. Wipszycka, dans un article sur le
monachisme et les villes paru en 1994, ecrivait : ¼Il est evident que les petits
groupes de sarabaitae ou remnuoth representent un type archaique d’ascetisme, ne
avant l’epoque de saint Antoine et de saint Pachome. Jean Cassien les presente, au
contraire, comme un phenomene de degenerescence, mais il n’y a pas de doute
qu’il se trompe. ‰…Š Paradoxalement, la connaissance que nous pouvons acquerir
aujourd’hui des plus anciennes formes d’ascese par l’etude des documents
papyrologiques et des textes litteraires est plus precise que celle que possedaient
les hommes de la fin du 4e siecle.½42 Christian Cannuyer reprend le meme theme,
dans un article sur le monachisme copte : ¼Jean Cassien les presente comme une
espece degeneree d’anachoretes, mais il se trompe : ces braconniers spirituels
etaient malgre leurs travers les temoins des plus anciennes formes d’ascese que
nous font connaitre les documents papyrologiques du 3e s.½43 A. Guillaumont, de
faüon moins brutale, avait aussi contredit l’analyse de Jerome en faisant de ces
moines des solitaires, puisque selon Jerome, les ¼remnuoths½ ne vivent pas seuls.
Ils vivent principalement en ville parmi les fideles, ce qui est un motif de reproche
44 C. Leyser, Authority and Asceticism from Augustine to Gregory the Great, Oxford 2000.
45 S. Elm, Virgins of God. The Making of Asceticism in Late Antiquity, Oxford 1994.
vivaient dans des palais sur l'Aventin, et parmi lesquelles on peut citer Paula, et
Marcella. Genereuse donatrices pour les causes ecclesiastiques, elles recevaient
sans doute la visite d'ascetes et de membres du clerge. C’est probablement pour
ne facher personne directement, tout en donnant libre cours a sa critique, que
Jerome prend la precaution d'annoncer que sa description concerne des moines
egyptiens et qu’il donne, pour brouiller un peu plus les pistes, a cette categorie
honnie de moines, le curieux nom de ¼remnuoth½. Jerome peut ainsi mettre
Eustochium en garde contre des moines vivant a Rome meme, sans encourir
directement leur foudre.46
Jerome et Cassien poursuivent le meme but et ils ont donc chacun procede a
une categorisation en bons et mauvais moines, en dressant un tableau de ce qui
etait louable et surtout de ce qu’il convenait de rejeter. Ils choisirent l’un comme
l’autre de critiquer et de diaboliser un comportement parfaitement identifiable
pour leurs lecteurs, mais en le nommant d’un nom etranger et par ailleurs inconnu,
ils semblaient stigmatiser une realite lointaine. En soulignant le travail de ces
ascetes honnis, et la vente de leurs produits, ils exoneraient aussi les milieux
aristocratiques qui pratiquaient une ascese domestique sans devoir travailler pour
vivre. Il s’agit d’un procede litteraire. La forme de vie monastique visee et decriee
par l’un comme par l’autre etait tout a fait contemporaine et actuelle. La vie
ascetique domestique etait pratiquee et encouragee par les autorites religieuses, et
appreciee de l’aristocratie,47 que l’on pense a Sulpice Severe,48 a Paulin de
Nole49 ou aux dames de l’Aventin qui accueillirent les conseils de Jerome. Il
s’agit donc d’une attaque indirecte sur un mode de vie monastique occidental et
non sur une realite egyptienne. Les deux auteurs ont utilise le meme procede
litteraire pour montrer du doigt ceux qu’ils consideraient comme de mauvais
moines. Pour ce faire, ils ont tous deux choisis des mots rares precisement parce
qu’ils etaient incomprehensibles a leur auditoire (lecteurs) et qu’ils pouvaient
donc etre impunement transformes en categorie critique, voire en insulte. Meme si
l’on pouvait prouver que ces mots ont existe en Egypte, au IVe siecle, dans les
milieux monastiques, ce qui s’est avere tres difficile jusqu’a present malgre des
tentatives multiples, leur utilisation par nos deux auteurs est avant tout polemique.
Ils ne cherchent pas vraiment a faire un travail ethnologique sur les origines du
monachisme egyptien mais a guider une jeune femme dans un cas et un auditoire
de moines dans l’autre cas sur le chemin de la saintete. Utiliser ces sources latines
et ces mots rares (si rares qu’ils ne sont pas attestes dans les sources monastiques
contemporaines) pour reconstituer l’histoire du premier ascetisme egyptien est
sans doute tentant mais ne tient pas compte de l’intention des deux ecrivains.
46 Selon J. N. D. Kelly, Jerome. His Life, Writings and Controversies, Londres 1975, Jerome
aurait ete encourage par le pape Damase dans cette demarche.
47 J. Fontaine, L'aristocratie occidentale devant le monachisme aux IVe et Ve siecles, Rivista
di storia e letteratura religiosa 15 (1979) 28–53.
48 C. Stancliffe, St. Martin and His Hagiographer. History and Miracle in Sulpicius Severus,
Oxford 1983.
49 J. T. Lienhard, Paulinus of Nola and Early Western Monasticism, Bonn 1977.
Cette categorisation des moines a en effet une fonction precise qui est de critiquer
la pratique de l’ascetisme domestique, en plein developpement en Occident et de
proposer a la place la creation de monasteres, sous l'autorite d'un abbe et d'une
regle. Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’un discours normatif ecrit dans le
monde latin pour des lecteurs occidentaux.50
Beatris Kazo
SLIKA LO[EG MONAHA:
REMNIOTI I SARABAITI KOD JERONIMA I KASIJANA
1.
Athanase
d'Alexandrie,
Vie
d'Antoine,
introduction,
texte
critique,
traduction,
notes
et
Empire,
Cambridge,
1993;
Ch.
Kannengieser
(éd.),
Politique
et
théologie
chez
Athanase
d'Alexandrie,
Paris,
1974
(Théologie
historique
27);
sur
la
diffusion
du
texte:
J.
Leclercq,
"Saint
Antoine
dans
la
tradition
monastique
médiévale",
Studia
Anselmiana,
38,
1956,
p.
229-‐247;
G.
Garitte,
"Réminiscences
de
la
Vie
d'Antoine
dans
Cyrille
de
Scythopolis",
Studi
Bizantini
e
neoellenici,
9,
Rome,
1957,
p.
117-‐122.
4
L’hypothèse
que
le
texte
soit
adressé
à
des
Latins
d’Italie
ou
de
Trèves
remonte
à
Montfaucon
mais
Annick
Martin
suggère
que
ces
moines
d’outremer
pouvaient
habiter
la
Syrie
ou
la
Palestine,
A.
Martin,
Athanase
d’Alexandrie
et
l’Église
d’Égypte
au
IVe
siècle
(328-‐373),
Rome,
1996,
p.
483-‐484
5.
A.
Wilmart,
"Une
version
latine
inédite
de
la
Vie
de
saint
Antoine",
Revue
Bénédictine,
XXI,
1914,
p.
163-‐173;
G.
Garitte,
Un
témoin
important
du
texte
de
la
Vie
de
saint
Antoine
par
saint
Athanase.
La
version
latine
inédite
des
Archives
du
Chapitre
de
Saint-‐Pierre
à
Rome,
Bruxelles,
1939;
G.J.M.
Bartelink,
Vita
di
Antonio,
Rome,
1974;
Vita
par
Evagre:
PG
26,
c.
833-‐976
(édition
de
Montfaucon)
et
PL
73,
c.
125-‐170
(édition
de
Rosweyde).
6
A. de Vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, t. 1, Paris,
1991.
7.
A.
Guillaumont,
"La
conception
du
désert
chez
les
moines
d'Egypte",
Aux
origines
du
8
C.
Balmelle,
Les
demeures
aristocratiques
d'Aquitaine:
société
et
culture
de
l'Antiquité
tardive
dans
le
Sud-‐Ouest
de
la
Gaule,
Pessac
/
Paris,
2001;
Décor
et
architecture
en
Gaule
entre
l'Antiquité
et
le
Haut
Moyen
âge:
actes
du
colloque
international,
textes
réunis
par
C.
Balmelle,
H.
Eristov,
F.
Monier,
Bordeaux,
2011.
9
Gallus.
Dialogues
sur
les
"Vertus"
de
Saint
Martin,
éd.
et
trad.
J.
Fontaine,
avec
la
collaboration
de
N.
Dupré,
Paris,
2006.
(SC
510)
ci-‐après
cité
Dialogues
10
Dialogues,
op
cit.,
1,
2,
2,
p.
107
:
Age
ergo,
quia
et
secreti
inter
nos
nec
occupati
sumus
et
sermonie
tuo
uacare
debemus,
edisseras
nobis
uelim
omnem
tuae
peregrinationis
historiam
:
qualiter
in
Oriente
fides
Christi
floreat,
quae
sit
sanctorum
quies,
quae
instituta
monachorum,
quantisque
signis
ac
uirtutibus
in
seruis
suis
Christus
operetur.
11
J.
Fontaine,
«
Valeurs
antiques
et
valeurs
chrétiennes
dans
la
spiritualité
des
grands
propriétaires
terriens
à
la
fin
du
IVe
siècle
occidental
»,
Epektasis.
Mélanges
offerts
au
Cardinal
J.
Daniélou,
Paris,
1972,
p.
571-‐595,
à
p.
585.
12.
Dialogues,
1,
1,
5,
op.
cit.
,
p.
16-‐107.
13.
Son
ami
Paulin
le
lui
reproche
dans
une
lettre,
ep.
5,
21
14.
K.
Bowes,
Private
Worship,
Public
Values
and
Religious
Change
in
Late
Antiquity,
et
son
temps.
Mémorial
du
XVIe
centenaire
des
débuts
du
monachisme
en
Gaule
(361-‐
1961),
Rome,
1961,
p.
135-‐149
;
J.
Fontaine,
«
L’aristocratie
occidentale
devant
le
monachisme
au
IVe
et
Ve
siècles
»,
Rivista
di
Storia
e
Letteratura
religiosa,
15,
1979,
p.
28-‐53.
16.
Dialogues,
1,
4,
6,
op.
cit,
p.
118-‐119
:
qui
nullam
occasionem,
si
qua
tibi
porrecta
fuerit,
omittis,
quin
nos
edacitatis
fatiges.
Sed
facis
inhumane,
qui
nos
Gallos
homines
cogis
exemplo
angelorum
uiuere.
17.
Dialogues,
1,
5,
1,
op.
cit.,
p.
120-‐121
:
Enimuero,
Postumianus
ait,
cauebo
posthac
cuiusquam
abstinentiam
praedicare,
ne
Gallos
nostros
arduum
penitus
offendat
exemplum.
18.
Dialogues,
I,
8,
5,
op.
cit.,
p.
134-‐135
:
Nam
edicatis
in
Graecis
gula
est,
in
Gallis
natura.
19
J.
T.
Lienhard,
Paulinus
of
Nola
and
Early
Western
Monasticism,
Bonn
1977.
20
Vie
de
sainte
Mélanie,
texte
grec,
introduction,
traduction
et
notes
par
D.
Gorce,
Paris,
1962.
21
On
note
un
contraste
entre
les
récits
littéraires
et
les
restes
archéologiques
des
cuisines
monastiques,
S.
Sauneron,
Les
ermitages
chrétiens
du
désert
d’Esna,
t.
IV
Essai
d’histoire,
Le
Caire,
1972,
p.
32-‐33;
P.
Devos,
"Règles
et
pratiques
alimentaires
selon
les
textes",
Le
site
monastique
copte
des
Kellia,
sources
historiques
et
explorations
archéologiques.
Actes
du
colloque
de
Genève,
13-‐15
Août
1984,
Genève,
1986,
p.
73-‐84;
E.
Wipszycka,
Moines
et
communautés
monastiques
en
Egypte
(IVe-‐VIIIe
siècles),
Varsovie,
2009.
22.
Cassien,
Institutions
cénobitiques,
IV,
22,
texte
latin
revu,
introduction,
traduction
et
uespertinus cibus holera et legumina, interdumque pisciculos pro summis ducas deliciis.
24
Jérôme,
epistula
XXII
ad
Eustochium,
34,
éd.
J.
Labourt,
Paris,
1954,
t.
1,
p.
149-‐150
:
«
Et
quoniam
monachorum
fecimus
mentionem
et
te
scio
libenter
audire
quae
sancta
sunt,
aurem
paulisper
adcommoda.
Tria
sunt
in
Aegypto
genera
monachorum
:
coenobium
quod
illi
sauhes
gentili
lingua
uocant,
nos
‘in
commune
uiuentes’
possumus
appellare
;
anachoretae,
qui
soli
habitant
per
deserta
et
ab
eo
quod
procul
ab
hominibus
recesserint
nuncupantur
;
tertium
genus
est,
quod
dicunt
remnuoth,
deterrimum
atque
neglectum,
et
quod
in
nostra
prouincia
aut
solum
aut
primum
est.
Hi
bini
uel
terni
nec
multo
plures
simul
habitant
suo
arbitratu
ac
dicione
uiuentes,
et
de
eo
quod
laborauerint
in
medium
partes
conferunt
ut
habeant
alimenta
communia.
Habitant
autem
quam
plurimum
in
urbibus
et
castellis,
et
quasi
ars
sit
sancta,
non
uita,
quidquid
uendiderint,
maioris
est
pretii.
Inter
hos
saepe
sunt
iurgia,
quia
suo
uiuentes
cibo
non
patiuntur
se
alicui
esse
subiectos.
Re
uera
solent
certare
ieiuniis
et
rem
secreti
uictoriae
faciunt.
Apud
hos
affectata
sunt
omnia
:
laxae
manicae,
caligae
follicantes,
uestis
grossior,
crebra
suspiria,
uisitatio
uirginum,
destractation
clericorum,
et
si
quando
festior
dies
uenerit
saturantur
ad
uomitum."
25
B.
Caseau,
"L’image
du
mauvais
moine
dans
le
monde
proto-‐byzantin
:
remnuoths
et
26.
Dialogues,
1,
8,
4,
op.
cit.,
p.
132-‐133
:
Nobis
uero,
Gallus
inquit,
nimium
nimiumque
conpertus
est.
Nam
ante
hoc
quinquennium
quendam
illius
libellum
legi,
in
quo
tota
nostrorum
natio
monachorum
ab
eo
uehementissime
uexatur
et
carpitur.
Unde
interdum
Belgicus
noster
ualde
irasci
solet,
quod
dixerit
nos
usque
ad
uomitum
solere
satiari.
27
Pace
J.
Fontaine
qui
s’étonne
«
que
des
moines
sérieux
se
soient
reconnus
dans
une
telle caricature. », Dialogues, op. cit., n. 8, p. 133
28
D.
Hunter,
Marriage,
Celibacy,
and
Heresy
in
Ancient
Christianity:
the
Jovinianist
Rome",
Journal
of
Early
Christian
Studies,
1:1,
1993,
pp.
47-‐71.
30
Jérôme,
Contra
Vigilantium,
PL
23,
353-‐358;
H.
Crouzel,
"
Chronologie
proposée
du
Severus,
Oxford,
1983,
p.
301.
Contra
J.
Fontaine,
Dialogues,
op.
cit.,
n.
1,
p.
110;
D.
Hunter,
"Vigilantius
of
Calagurris
and
Vitricius
of
Rouen:
Ascetics,
Relics,
and
Clerics
in
Late
Roman
Gaul",
Journal
of
Early
Christian
Studies,
7:3,
1999,
p.
401-‐430.
32
Sulpice
Sévère,
Vie
de
saint
Martin,
introduction,
texte
et
traduction
par
J.
Fontaine,
Paris,
1967,
p.
273:
dicentes
scilicet
contemptibilem
esse
personam,
indignum
esse
episcopatu
hominem
uultu
despicabilem,
ueste
sordidum,
crine
deformem.
Les textes apocryphes sont nombreux et variés mais ils ont le plus
souvent comme point commun de révéler un aspect de la personne
de Jésus ou de son entourage. Leur rédaction répond souvent au
besoin qu’avaient les fidèles, lecteurs ou auditeurs, d’en savoir plus
sur leurs personnages favoris ou sur les fondateurs de leurs
communautés. Du côté des écrivains, compilateurs, enjoliveurs de
récits apocryphes, la rédaction leur permet de surcroît de faire
passer un message particulier ou de défendre un point de vue. On
peut mesurer le succès d’une légende issue de la littérature
apocryphe en comptant le nombre de manuscrits qui la trans-
mettent, les différentes langues dans lesquelles elle est traduite et
sa présence dans l’iconographie. Les légendes ne sont pas fixes.
Elles évoluent avec le temps et avec les cultures qui les adoptent.
Des choix sont opérés dans la narration primitive, certains traits
sont laissés de côté, d’autres au contraire sont accentués. Leur
signification dépend largement du contexte culturel. Ces textes,
tant qu’ils sont vivants, c’est-à-dire transmis et transformés,
continuent à répondre aux questions que les fidèles se posent. En
suivant l’évolution d’une légende, on peut donc percevoir les
changements dans les centres d’intérêts des lecteurs et des
écrivains, et trouver un enracinement historique à ces textes
souvent difficiles à dater avec précision. Les textes apocryphes ont
comme fonction de répondre à la curiosité des chrétiens au sujet
de la vie de Jésus et de son entourage, mais ils peuvent aussi avoir
comme mission de rassurer les chrétiens sur la présence et la
10. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique, I, XIII, 2-3, éd. et trad. G. Bardy, Paris,
1986, Sources chrétiennes 31, p. 41 (traduction légèrement modifiée).
11. H.-J.-W. DRIJVERS, « The Abgar Legend », New Testament Apocrypha, t. 1 : Gospels
and Related Writings, dir. W. SCHNEEMELCHER, Londres, 1991, p. 492-500 ;
A. DESREUMAUX, Histoire du roi Abgar et de Jésus, Turnhout, (Apocryphes, 3), 1993.
12. G. HUMPHREY (dir.), Literacy in the Roman World, Ann Arbor, 1991 ; W.-V. HARRIS,
Ancient Literacy, Cambridge, 1989 ; M. CORBIER et J.-P. GUILHEMBET (dir.), L’écriture
dans la maison romaine (Paris, 11-13 mars 2004), Paris, De Boccard, 2008 ; Colloque
International Neronia VIII : Bibliothèques, livres et culture écrite dans l’empire romain de
César à Hadrien (à paraître dans Latomus).
13. C. MONTDÉSERT, Le monde grec ancien et la Bible, Paris, 1984 ; Le Canon du Nouveau
Testament : regards nouveaux sur sa formation, dir. G. ARAGIONE, B. JUNOD, E. NORELLI,
Genève, 2005.
14. O. PEDERSEN, Archives and Libraries in the Ancient Middle East 1500-300 BC,
Bethseda, 1998 ; H.-J.-W. DRIJVERS, East of Antioch. Studies in Early Syriac Christianity,
Londres, 1984.
15. J.-B. SEGAL, Edessa, Oxford, 1970 ; F.-G.-B. MILLAR, « Empire, community and
culture in the Roman Near East : Greeks, Syrians, Jews and Arabs », Journal of Jewish
Studies, 38, 1987, p. 143-164.
16. M. ALBERT, « Langue et littérature syriaque », Christianismes orientaux. Introduction
à l’étude des langues et des littératures, dir. M. ALBERT et alii, Paris, 1993, p. 299-375 ;
S. BROCK, « Greek and Syriac in Late Antique Syria », A. BOWMAN, G. WOOLF, Literacy
and Power in the Ancient World, Cambridge, 1994, p. 149-160.
17. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique, op. cit., I, XIII, 6, p. 42. Ce passage,
absent de plusieurs manuscrits, est peut-être interpolé.
18. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique, op. cit., p. 41, n. 4.
19. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique, op. cit., I, XII, 3, p. 39.
20. ÉGÉRIE, Journal de voyage, 19, 19, trad. P. Maraval, Paris, 2002, p. 213.
archives pour les abriter et les consulter24. Les cités, les villages et
les particuliers conservaient aussi des archives25. Le palais royal
d’Édesse abritait dans ses archives des documents permettant de
glorifier ses rois. Or la correspondance d’Abgar et de Jésus ne
pouvait qu’apporter du prestige aux monarques d’Édesse, car elle
faisait d’Abgar le premier roi à attendre son salut et sa guérison du
Christ. En reconnaissant les pouvoirs thaumaturgiques du Christ
du vivant même de ce dernier, Abgar devient le premier roi (en
dehors des Rois mages) à avoir cru à la divinité de Jésus. La lettre
conservée par Eusèbe de Césarée affirme ceci :
« J’ai entendu parler de toi et de tes guérisons, que tu accompli-
rais sans remèdes ni plantes. À ce qu’on dit, tu fais voir les
aveugles et marcher les boiteux ; tu purifies les lépreux ; tu
chasses les esprits impurs et les démons, tu guéris ceux qui sont
frappés de longues maladies, tu ressuscites les morts. Ayant
entendu tout cela à ton sujet, je me suis mis dans l’esprit que de
deux choses l’une : ou bien tu es Dieu, et, descendu du ciel, tu fais
ces merveilles ; ou bien tu es le fils de Dieu faisant ces
merveilles26. »
24. G. COQUEUGNIOT, Les bâtiments d’archives dans le monde grec classique et hellénis-
tique, Lyon, 2002.
25. F. BURKHALTER, « Archives locales et archives centrales en Égypte », Chiron, 20,
1990, p. 191-215 ; A. BÉRANGER, « Rôle et statut des archives conservées dans l’espace
domestique : le cas des documents administratifs et juridiques », dans M. CORBIER et
J.-P. GUILHEMBET (dir.), L’écriture dans la maison romaine (Paris, 11-13 mars 2004),
Paris, 2008.
26. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique, I, XIII, 6-7, p. 42.
Mais ce document avait aussi une portée miraculeuse, qui n’est pas
signalée par Eusèbe, ni par ceux qui connaissent les lettres dans
leur seule traduction, comme Moïse de Khorène en Arménie ou
27. ÉGÉRIE, Journal de voyage, 19, 6, trad. P. Maraval, Paris, 2002, p. 207.
28. Sur la christianisation d’Édesse par Addaï et son assimilation par les Grecs à
Thaddée, J.-B. SEGAL, Edessa. The Blessed City, Oxford, 1970, p. 62-66 ; H.-J.-
W. DRIJVERS, Cults and Beliefs at Edessa, Leiden, 1980.
29. Sur les reliques du Christ, J. DURAND, B. FLUSIN, Byzance et les reliques du Christ,
Paris, 2004 ; P. Maraval, Lieux saints et pèlerinage d’Orient, Paris, 2004.
30. ÉGÉRIE, Journal de voyage, 19, 9, trad. P. Maraval, Paris, 2002, p. 209.
31. Ce récit fait peut-être une allusion au siège que mena Sapor contre Édesse en 259-
260.
32. Ch. PICARD, « Un texte nouveau de la correspondance entre Abgar d’Osroène et
Jésus-Christ, gravé sur une porte de ville, à Philippes (Macédoine) », Bulletin de
correspondance hellénique, 44, 1920, p. 41-69, texte p. 45-48.
« On dit qu’il a ajouté aussi ceci, que jamais la ville ne serait facile
à conquérir pour les barbares. Ceux qui ont écrit l’histoire de cette
époque ne connaissaient nullement cette fin de la lettre. Ils n’en
font mention nulle part. Mais les habitants d’Édesse disent qu’ils
l’ont trouvé avec la lettre et, bien sûr, ils ont inscrit la lettre sur les
portes de la ville comme si c’était une autre fortification37. »
37. PROCOPE, Histoire des guerres, II, 12, 26, éd. H.-B. DEWING, History of the Wars,
London, 1914, p. 368 ; sur la tradition des inscriptions officielles, M. CORBIER, « Usages
publics de l’écriture affichée à Rome », A. BRESSON, A.-M. COCULA, CH. PÉBARTHE,
L’écriture publique du pouvoir, Bordeaux, 2005, p. 183-193.
38. ÉVAGRE, Histoire ecclésiastique, IV, 27, trad. A.-J. FESTUGIÈRE, Byzantion, XLV, 1975,
p. 386.
47. G. TROUPEAU, « Notes sur quelques apocryphes conservés dans des manuscrits
arabes de Paris », Les Apocryphes syriaques, éd. M. DEBIÉ, A. DESREUMAUX, C. JULLIEN
et F. JULLIEN, Paris, 2005, p. 202-203.
48. Version éthiopienne tardive, peut-être du XVe siècle, conservée dans un manuscrit
du XVIIIe siècle : sur la légende d’Abgar en éthiopien, R. BEYLOT, Christianismes
orientaux. Introduction à l’étude des langues et des littératures, dir. M. ALBERT et alii, Paris,
1993, p. 251 ; G. HAILE, « The Legend of Abgar in Ethiopic Tradition », Orientalia
Christiana Periodica, LV, 1989, p. 375-410.
49. R. BEYLOT, « Une version éthiopienne de la légende d’Abgar », dans
A. DESREUMAUX, Histoire du roi Abgar et de Jésus, Turnhout, 1993, (Apocryphes, 3),
p. 150.
50. S. GRÉBAUT, « Les relations entre Abgar et Jésus », Revue de l’Orient Chrétien, 21,
1918-19, p. 73-87 ; traduction p. 190-203.
53. Histoire de Ya’yá ibn-Sa’íd al-An’ákí, Continuateur de Sa’íd ibn-Bi’ríq, éd. et trad.
par I. KRATCHOVSKY, A. VASILIEV, I – PO 18, Paris, 1924, p. 730-731.
54. Grégoire le référendaire, homélie, 9 éd. et trad. dans A.-M. DUBARLE, « L’homélie
de Grégoire le référendaire pour la réception de l’image d’Édesse », Revue des études
byzantines, 55, 1997, p. 18.
55. BHG 794 ; B. FLUSIN, « L’empereur hagiographe. Remarques sur le rôle des
premiers empereurs macédoniens dans le culte des saints », L’empereur hagiographe.
Culte des saints et monarchie byzantine et post-byzantine. Textes réunis et présentés par
P. Guran avec la collaboration de B. Flusin, Paris, 2001, p. 50 : Constantin
60. Histoire de Ya’yá ibn-Sa’íd al-An’ákí, Continuateur de Sa’íd ibn-Bi’ríq, t. III, éd. par
I. KRATCHOVSKY, Traduction française annotée par Françoise MICHEAU et G. TROUPEAU,
Patrologia Orientalis 47, fasc. 4, Turnhout, 1997, p. 515 ; sur la date, W. FELIX, Byzanz
und die islamische Welt im früheren 11. Jahrhundert, Byzantina Vindobonensia XIV,
Vienne, 1981, p. 128.
61. Histoire de Ya’yá ibn-Sa’íd al-An’ákí, Continuateur de Sa’íd ibn-Bi’ríq, t. III, éd. par
I. KRATCHOVSKY, Traduction française annotée par Françoise MICHEAU et G. TROUPEAU,
Patrologia Orientalis 47, fasc. 4, Turnhout, 1997, p. 515.
67. Elle semble remplacée par une tuile portant l’image du Christ, qui fut vue par
Robert de Clari en 1204 dans l’église du Pharos : les deux reliques, la « tuile » et la
« toile », étaient placées dans deux riches vaisseaux d’or, attachés au plafond par de
grosses chaînes d’argent. Sur la sainte tuile, F. FLUSIN, « Didascalie de Constantin
Stilbès sur le mandylion et la sainte tuile (BHG 796 m) », Revue des études byzantines,
55, 1997, p. 53-79.
68. G. DAGRON, Décrire et peindre. Essai sur le portrait iconique, Paris, 2007 ; H. BELTING,
La vraie image : croire aux images, Paris, 2007 (trad. fr.), Th. MATHEWS, The Clash of
Gods. A Reinterpretation of Early Christian Art, Princeton, 1993.
69. G. DAGRON, « Les formes de la dévotion : l’image », Histoire du christianisme, dir. J.-
M. MAYEUR et alii, Paris, 1993, t. IV, p. 84-87.
70. H. MAGUIRE, The Icons of their Bodies. Saints and their Images in Byzantium,
Princeton, 1996, p. 5-47.
71. G. DAGRON, Décrire et peindre. Essai sur le portrait iconique, Paris, 2007, p. 73 citant
Antoine de Novgorod à propos d’un peintre orgueilleux qui prétend avoir peint Jésus
comme s’il était vivant. Une voix sort de l’image et lui dit : « Et quand m’as-tu vu ? »
Le peintre est puni d’une paralysie de la main.
72. Doctrine d’Addaï, 6, trad. A. Desreumaux, op. cit., p. 59.
De l’image au linge
En 609, après négociations, la ville fut occupée par les Perses qui
envahirent tout l’Orient byzantin73, défaite qui affecta sans doute
la légende de la protection surnaturelle, mais n’atteignit pas
durablement celle de l’image miraculeuse. Un texte grec anonyme,
les Actes de Thaddée, datant probablement du VIIe siècle,
transforme l’image miraculeuse en linge. Selon ce texte, Abgar
ordonne à Ananias de noter les traits de Jésus :
« Ananias partit donc, remit la lettre au Christ et resta les yeux
fixés intensément sur lui sans pour autant pouvoir le saisir. Or
celui-ci en connaisseur des cœurs s’en rendit compte et demanda
de quoi se laver ; on lui donna un essuie-main ; il se lava et s’essuya
le visage. Il fixa son image sur le linge. »
73. Ps SEBEOS, The Armenian History attributed to Sebeos, trad. et annoté par R.-
W. THOMSON ; commentaire historique par J. HOWARD-JOHNSTON, Liverpool, 1999, t. I,
p. 63.
leur ressemblance avec leur image. Parmi toutes les images, l’image
acheiropoiète est la seule à laquelle on puisse faire toute confiance,
puisqu’aucune médiation humaine ne vient déformer le prototype.
de la fin du XIIe siècle dit qu’elle n’est pas visible et attribue ce fait
à un tremblement de terre qui aurait secoué la ville76. Le
mandylion échappe à l’émeute qui renverse Andronic Comnène
ainsi qu’à celle de 1200, grâce à l’énergie du gardien des reliques
Nicolas Mésaritès77. Le linge est alors interprété diversement
comme linge qui a essuyé le Christ à sa sortie de l’eau du baptême,
ou comme linge utilisé au moment de la Passion. On oublie
quelque peu l’envoi du peintre d’Abgar pour lier le tissu à un
épisode de la vie de Jésus indépendant du roi d’Édesse. Un texte
latin daté de la fin du XIIe siècle, mais aussi l’inventaire des reliques
de Nicolas Mésaritès en parlent comme d’un essuie-main78. La
relique n’en prend que plus de valeur aux yeux des Latins. Elle est
achetée avec un groupe de reliques de la Passion par Saint Louis,
le roi de France, et arrive à Paris en 1241. L’empereur Baudoin II
en confirme par lettre cession au roi en 124779. La « sainte toile »
placée dans un coffret est installée à Paris, à la Sainte-Chapelle,
consacrée en 1248. Elle disparaît sans doute dans la tourmente
révolutionnaire qui détruit aveuglément les objets précieux de la
Sainte-Chapelle, malgré l’effort de Louis XVI pour préserver les
reliques en les envoyant à Saint-Denis en 1791.
Comme la lettre de Jésus, l’image du mandylion fut copiée de
très nombreuses fois80. Elle connaît une immense popularité dans
81. E. KITZINGER, « The Mandylion at Monreale », Arte profana e arte sacra a Bisancio,
dir. A. JACOBINI, E. ZANINI, Romen, 1995, p. 575-602.
82. J. DURAND, « La sainte toile ou « Véronique » », Le trésor de la Sainte-Chapelle,
(Paris, musée du Louvre, 31 mai 2001-27 août 2001), Paris, 2001, p. 70-71.
83. J.D. KAESTLI, « Les écrits apocryphes chrétiens. Pour une approche qui valorise leur
diversité et leurs attaches bibliques », Le mystère apocryphe. Introduction à une littéra-
ture méconnue, dit. J.D. KAESTLI, D. MARGUERAT, Genève, 1995, p. 29-44.
84. J.D. KAESTLI, « Mémoire et pseudépigraphie dans le christianisme de l’âge post-
apostolique », Revue de théologie et de philosophie, 125, 1993, p. 41-63.
85. E. von DÖBSCHUTZ, Christusbilder : Untersuchungen zur christlichen Legende,
Leipzig, 1899.
86. Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non recipiendis, éd. E. von DOBSCHÜTZ,
« Texte und Untersuchungen zur Geschichte der Altchristlichen Literatur », 38. 4,
Leipzig, 1912.
87. W. SCHNEEMELCHER, « Canon catalogues », New Testament Apocrypha, op. cit., p. 34-
43.
88. Sur l’aspect artificiel de leur regroupement comme « apocryphes », voir F. BOVON,
P. GEOLTRAIN, « Avant-propos » et « Introduction » à Écrits apocryphes chrétiens, t. 1,
Paris, 1997, p. XI-LX.
contexte qui les a vus naître (ce qui est plus facile au Moyen Âge
qu’au second siècle !). L’une des manières de mesurer leur impact
est de prendre en considération la famille de textes qui découlent
d’un archétype. Si un texte a eu peu d’impact, on ne trouvera au
mieux que la trace sur papyrus. Si un texte a connu une large
diffusion, la preuve de son impact se trouve dans le nombre des
manuscrits et surtout des traductions ou adaptations dans
différentes langues. On peut suivre la manière dont les modèles
anciens (archétypes perdus, ou textes dont découle toute une
famille) sont ensuite utilisés et remaniés par des communautés très
différentes les unes des autres. La lettre d’Abgar à Jésus et la
réponse de Jésus lui-même nous en ont fourni une parfaite illustra-
tion. La joie que les Byzantins éprouvaient à l’idée de posséder une
lettre de Jésus peut se lire dans les quelques lignes que Constantin
Stilbès lui consacre à la fin du XIIe siècle. Après avoir rendu compte
de la missive d’Abgar, il écrit : « Le Christ lui répond – oh lettres
tracées par Dieu ! oh, divine tablette lettre !… éblouissantes
étincelles jaillies de braises cachées. » Les paroles de bénédiction et
de protection que la lettre comportait ont réconforté des généra-
tions de chrétiens et expliquent les très nombreuses copies dont
elle fut l’objet. Par un retournement amusant, Constantin Stilbès
met dans la bouche de Jésus un renoncement, précisément, à ce
réconfort et à cette sécurité qu’il vient d’offrir à Abgar, pour
accomplir sa mission de salut. Stilbès lui fait écrire : « Ma passion
est volontaire, et c’est là une chose évidente si je ne vais pas même
chercher auprès de toi un refuge inattaquable et inviolable89. »
emanier, métaphraser
fonctions et techniques
de la réécriture dans
le monde byzantin
Éditeur
Faculté de Philosophie, Université de Belgrade
Čika Ljubina 18–20, Belgrade 11000, Serbie
www.f.bg.ac.rs
Pour l’éditeur
Vesna Dimitrijević,
doyen de la Faculté de Philosophie de Belgrade
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300
ISBN
978-86-86563-83-5
9 | Avant-Propos
13 | Béatrice Caseau
La lettre de Jésus à Abgar d’Edesse :
appropriations et transformations
45 | Anna Lampadaridi
Traduire et réécrire la Vie d’Hilarion (BHL 3879) :
l’apport d’une nouvelle version grecque
61 | Vincent Déroche
Les réécritures de la Vie de Jean l’Aumônier
de Léontios de Néapolis (BHG 886)
71 | Marina Detoraki
Un parent pauvre de la réécriture hagiographique : l’abrégé
85 | Bernard Flusin
Vers la Métaphrase
1 Je tiens à remercier Alain Desreumaux et Muriel Debié pour leur relecture attentive de
cet article.
2 Monique Goullet, « Vers une typologie des réécritures hagiographiques, à partir de
quelques exemples du Nord-Est de la France », dans Monique Goullet, Martin Hein-
zelmann (éds.), La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval. Transformations
formelles et idéologiques, Ostfildern, 2003, p. 110 ; voir aussi du même auteur, Écriture
et réécriture hagiographiques : essai sur les réécritures de vie de saints dans l’Occident
latin médiéval, VIIIe-XIIIe s., Turnhout, 2005.
3 Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, 1982.
4 Averil Cameron, Christianity and the Rhetoric of Empire, Berkeley, 1994, pp. 89-119.
5 Christian Høgel, « The Redaction of Symeon Metaphrastes : Literary aspects of the
Metaphrastic martyria », dans Christian Høgel (éd.), Metaphrasis. Redactions and
Audiences in Middle Byzantine Hagiography, Oslo, 2006, pp. 7-21, à p. 21.
6 Id., Symeon Metaphrastes : Rewriting and Canonization, Copenhague, 2002.
7 Monique Goullet, Martin Heinzelmann, « Avant-propos », dans La réécriture hagiogra-
phique dans l’Occident médiéval, cité n. 2, pp. 7-14.
8 Jean-Daniel Kaestli, Daniel Marguerat, Le mystère apocryphe : introduction à une litté-
rature méconnue, Genève, 2007 ; Muriel Debié, « Les apocryphes et l’histoire en syria-
que », dans Françoise Briquel Chatonnet, Muriel Debié (éds.), Sur les pas des Araméens
chrétiens. Mélanges offerts à Alain Desreumaux, Paris, 2010, pp. 63-76.
Martin Illert, Doctrina Addai, De imagine Edessena, Die Abgarlegende, Das Christusbild
von Edessa, Turnhout, 2007 (Fontes christiani, 45).
13 François Bovon, Pierre Geoltrain, « Avant-propos », dans François Bovon, Pierre
Geoltrain (éds.), Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. XII : « Même si la littéra-
ture apocryphe est souvent définie par la négative- ce qui ne fait pas partie du canon
des Ecritures saintes-, il faut établir néanmoins des critères positifs de sélection. Le
contenu des textes en est un. Il doit s’agir de textes narratifs dont les héros sont des
personnages associés aux origines du christianisme : Jésus et sa famille, principale-
ment, Marie, puis les apôtres et leurs premiers disciples. Il faut retenir des épîtres et
des apocalypses dans la mesure où ces documents prétendent émaner de l’une de ces
figures fondatrices. »
14 Friedhelm Winkelmann, Euseb von Kaisareia. Der Vater der Kirchengeschichte, Berlin,
1991 ; Andrew Louth, « Eusebius and the Birth of Church History », dans Frances M.
Young, Lewis Ayres, Andrew Louth (éds.), The Cambridge History of Early Christian
Literature, Cambridge, 2004, pp. 266-274 ; Sébastien Morlet, La démonstration évangé-
lique d’Eusèbe de Césarée. Étude sur l’apologétique chrétienne à l’époque de Constantin,
Paris, 2009, p. 7 ; Muriel Debié, « Les apocryphes et l’histoire », cité n. 8, pp. 71-72.
15 Gustave Bardy (éd.), Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, I, Paris, 1986 (Sources
chrétiennes, 31), XIII, 5, p. 41.
16 Il existe des lettres tombées du ciel, comme la Lettre de Jésus-Christ sur le dimanche,
trad. dans Pierre Geoltrain, Jean-Daniel Kaestli (éds.), Écrits apocryphes chrétiens,
II, Paris, 2005, pp. 1101-1119 ; texte grec dans Maximilian Bittner, « Der von Him-
mel gefallene Brief in seinen morgenländischen Versionen und Rezensionen », dans
Denkschriften der kaiserlichen Akademie der Wissenschaften : philosophisch-historische
Klasse, 51, 1, Vienne, 1906, pp. 16-21 ; Michel van Esbroeck, « La lettre sur le diman-
che descendue du ciel », Analecta Bollandiana, 107, 1989, pp. 267-284.
et écrire, et que la même attente existait pour les membres du haut clergé
au temps d’Eusèbe. Mais représenter Jésus en train d’écrire était toutefois
une nouveauté, qui ne fut pas reprise dans la Doctrine de l’apôtre Addai qui
porte aussi sur la lettre d’Abgar à Jésus. Dans la Doctrine de l’apôtre Addai,
texte syriaque qui date probablement du Ve siècle, Jésus donne sa réponse
au porteur de la lettre, oralement et non par écrit17. Une lettre de Jésus,
écrite de sa main et de son vivant était donc un document exceptionnel et
il fut perçu comme tel dans l’Antiquité. Les autorités religieuses d’Édesse
en firent non seulement un trésor particulier de leurs archives, mais même
un talisman protecteur de la cité18.
Comme de nombreux textes apocryphes, tels que les récits sur l’enfance
de Jésus, ce texte était d’autant plus populaire qu’il était porteur d’un mes-
sage sur la divinité de Jésus et sur sa capacité à guérir et à protéger19. Jésus y
apparaît en Sauveur. Mais ce qui distingue la lettre de Jésus des autres récits
apocryphes, c’est sa brièveté, qui lui a permis d’être transformée en talisman.
Le texte n’a pas été seulement recopié et cité pour le récit qu’il contient et le
message d’empathie de Jésus à l’égard d’Abgar mais parce que posséder une
copie du texte était en soi porteur de protection. La bénédiction adressée à
Abgar a été accaparée et reprise par d’autres personnes que le destinataire ini-
tial. La lettre a ainsi été transformée en un objet magique protégeant lieux et
personnes. Elle est devenue une amulette. Pour l’adapter à son nouveau rôle,
il a fallu apporter des modifications au texte initial, tel qu’il est transmis en
grec par Eusèbe de Césarée. On peut proposer une reconstitution des étapes
de la mutation du texte en étudiant les passages clés qui ont été ajoutés ou
modifiés. Il est de surcroît possible de donner un aperçu des circonstances
dans lequel le texte a été copié et modifié, et donc d’offrir un cadre chrono-
17 Doctrine de l’apôtre Addai, 5, trad. dans François Bovon, Pierre Geoltrain (éds.), Écrits
apocryphes chrétiens, I, cité n. 13, p. 1488 : « Lorsque Jésus eut reçu la lettre chez le
grand prêtre des juifs, il dit à l’archiviste Hannan : Va dire à ton maître qui t’a envoyé
vers moi… » ; George Phillips (éd.), The Doctrine of Addai the Apostle, Londres, 1876,
réimprimé dans George Howard, The Teaching of Addai, Chico (CA), 1981.
18 Judah Benzion Segal, Edessa, the Blessed City, Oxford, 1970, p. 76 ; sur les archi-
ves d’Édesse nous avons le témoignage de Moïse de Khorène dans Annie Mahé,
Jean-Pierre Mahé (éds.), Histoire de l’Arménie par Moïse de Khorène, Paris, 1992, II, 10,
p. 168 : « nous avons vu ces archives de nos propres yeux ». Il évoque aussi les archives
royales en II, 20 : Abgar « construit une ville... le lieu s’appelle Édesse. Il y transporte sa
cour qui était à Nisibe, ainsi que toutes ses idoles, ... les livres de l’école des temples et
toutes les archives royales » ; voir aussi le commentaire, pp. 67-68.
19 Béatrice Caseau, « La lettre de Jésus à Abgar d’Édesse », dans François-Marie Humann,
Jacques-Noël Pérès (éds.), Les apocryphes chrétiens des premiers siècles : mémoire et
traditions, Paris, 2009, pp. 15-45.
« Heureux es-tu d’avoir cru en moi, sans m’avoir vu22. Car il est écrit de
moi que ceux qui m’ont vu ne croiront pas en moi, afin que ceux qui ne
m’ont pas vu croient et vivent. Quant à ce que tu m’écris de venir à toi,
20 On laissera de côté la question des traductions, et des sources dans d’autres langues
que le grec.
21 Gustave Bardy (éd.), Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, I, cité n. 15, XIII, 2-3, p. 41
(traduction légèrement modifiée) : καὶ τοὔνομα τοῦ Ἰησοῦ πολὺ καὶ τὰς δυνάμεις συμφώνως
πρὸς ἁπάντων μαρτυρουμένας ἐπύθετο, ἱκέτης αὐτοῦ πέμψας δι` ἐπιστοληφόρου γίνεται,
τῆς νόσου τυχεῖν ἀπαλλαγῆς ἀξιῶν. ὁ δὲ μὴ τότε καλοῦντι ὑπακούσας, ἐπιστολῆς γοῦν
αὐτὸν ἰδίας καταξιοῖ, ἕνα τῶν αὐτοῦ μαθητῶν ἀποστέλλειν ἐπὶ θεραπείᾳ τῆς νόσου ὁμοῦ
τε αὐτοῦ σωτηρίᾳ καὶ τῶν προσηκόντων ἁπάντων ὑπισχνούμενος.
22 Verset peut-être inspiré de Jn. 20, 29 : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ».
Mais Ernst von Dobschütz suggérait plutôt qu’il y avait eu un recours au Diatessaron
de Tatien pour la citation évangélique, une synthèse évangélique largement utilisée en
Syrie aux IIIe et IVe siècles, Christusbilder : Untersuchungen zur christlichen Legende,
Leipzig, 1899 (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur,
18), p. 134.
il faut que j’accomplisse ici tout ce pour quoi j’ai été envoyé et qu’après
l’avoir ainsi accompli, je retourne à celui qui m’a envoyé. Et lorsque
j’aurais été élevé, je t’enverrai un de mes disciples pour te guérir de ton
infirmité et te donner la vie, à toi et à ceux qui sont avec toi23. »
Μακάριος εἶ πιστεύσας ἐν ἐμοί μὴ ἑορακώς με. Γέγραπται γὰρ περὶ
ἐμοῦ τοὺς ἑορακότας με μὴ πιστεύειν ἐν ἐμοί, καὶ ἵνα οἱ μὴ ἑορακότες
με αὐτοὶ πιστεύσωσι καὶ ζήσονται. Περὶ δὲ οὗ ἔγραψάς μοι ἐλθεῖν πρὸς
σέ, δέον ἐστὶ πάντα δι᾽ ἃ ἀπεστάλην ἐνταῦθα, πληρῶσαι καὶ μετὰ τὸ
πληρῶσαι οὕτως ἀναληφθῆναι πρὸς τὸν ἀποστείλαντά με· καὶ ἐπειδὰν
ἀναληφθῶ, ἀποστελῶ σοί τινα τῶν μαθητῶν μου, ἵνα ἰάσηταί σου τὸ
πάθος καὶ ζωήν σοι καὶ τοῖς σύν σοὶ παράσχηται·
23 Gustave Bardy (éd.), Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, I, cité n. 15, XIII, 10,
pp. 42-43.
24 Andrew James Carriker, The Library of Eusebius of Caesarea, Leyde, 2003.
25 Jan Willem Drijvers, Bardaisan of Edessa, Assen, 1966 ; Alberto Camplani, « Rivis-
itando Bardesane. Note sulle fonti siriache del bardesanismo e sulla sua collocazione
storico-religiosa », Cristianesimo nella storia, 19, 1998, pp. 519-596 ; Javier Teixidor,
Bardesane D’Edesse : La Premiere Philosophie Syriaque, Paris, 1992, p. 41 ; Jan Van
Reeth, « Entre Rome, Babylone et les Indes, Bardésane, stoïcien universaliste », Res
Antiquae, 7, 2010, pp. 241-252.
26 Judah Benzion Segal, Edessa, the Blessed City, cité n. 18, p. 81.
27 Rabboula a rejeté le Diatessaron or cette synthèse des Évangiles est citée dans la Doc-
trina comme utilisée par l’Église, cf. Andrew Palmer, « Les Actes de Thaddée », Apocry-
pha, 13, 2002, pp. 63-84, à p. 72 n. 22.
28 Jan Willem Drijvers, Cults and Beliefs at Edessa, Leyde, 1980 ; Sydney Griffith, « The
Doctrina Addai as a Paradigm of Christian Thought in Edessa in the Fifth Century »,
Hugoye, 2003, http ://syrcom.cua.edu/Hugoye/Vol6No2/HV6N2Griffith.html
29 Alain Desreumaux, Histoire du roi Abgar et de Jésus, cité n. 12.
liée aux traductions de l’œuvre d’Eusèbe en latin par Rufin (vers 400) et
en différentes langues orientales, comme le syriaque (vers 400 aussi). Cer-
taines de ces traductions ont permis au récit concernant la lettre de Jésus
de se diffuser au-delà même des frontières du monde romain. C’est le cas
pour l’Arménie puisqu’on peut lier à la traduction arménienne de l’His-
toire Ecclésiastique d’Eusèbe la présence de la légende d’Abgar dans Moïse
de Khorène (Ve siècle)30 et dans Jean de Drasxanakert le catholicos du Xe
s. surnommé l’historien (899-929)31. Moïse de Khorène utilise aussi une
traduction arménienne de la Doctrine de l’apôtre Addai et procède à une
recomposition de l’histoire d’Abgar et de Thaddée en s’appuyant sur les
deux sources32.
30 Annie Mahé, Jean-Pierre Mahé (éds.), Histoire de l’Arménie par Moïse de Khorène, cité
n. 18, II, 30-33, pp. 185-190.
31 Patricia Boisson-Chenorhokian (éd.), Yovhannēs Drasxanakertc̀i, Histoire d’Arménie,
Louvain, 2004, VI, pp. 87-88.
32 Valentina Calzolari, « Réécriture des textes apocryphes en arménien : l’exemple de la
légende de l’apostolat de Thaddée en Arménie », Apocrypha, 8, 1997, pp. 97-110.
33 Ernst von Dobschütz, « Der Briefwechsel zwischen Abgar und Jesus », Zeitschrift für
wissenschaftliche Theologie, n. f., 8, 1900, pp. 422-486.
34 Procope, Histoire des guerres, II, 12, 26 et 30, dans l’édition d’Henry Bronson Dewing,
History of the Wars, I, Londres, 1914, pp. 368 et 370.
serait facile à conquérir pour les barbares. Ceux qui ont écrit l’histoire de
cette époque ne connaissaient nullement cette fin de la lettre. Ils n’en font
mention nulle part. Mais les habitants d’Édesse disent qu’ils l’ont trouvé avec
la lettre et, bien sûr, ils ont inscrit la lettre sur les portes de la ville comme si
c’était une autre fortification (phylactère)35. »
Procope a eu indirectement connaissance de la clause finale protégeant
la cité (φασὶ). Il pointe du doigt les habitants d’Édesse comme inventeurs
de cette clause et fait un travail d’historien en soulignant l’absence de cette
clause de protection militaire dans les sources anciennes36. Cette portion de
la lettre était complètement inconnue « de ceux qui ont écrit l’histoire (τὴν
ἱστορίαν) de ce temps là ». Procope avait donc la possibilité de comparer les
documents anciens de deux siècles et ce qu’on lui rapporte de l’inscription
contemporaine qui protège les murs de la ville. Ce faisant, il nous renseigne
sur la fonction prophylactique de cette ajout. A l’époque de Procope, le texte
était inscrit sur les portes de la ville et, à l’objection d’un ajout non authen-
tique, les gens d’Édesse répondaient qu’ils avaient trouvé la clause finale
avec la lettre (ξὺν τῇ ἐπιστολῇ) et qu’ils l’avaient donc fait inscrire sous cette
forme sur les portes de la cité (ἐν ταῖς τῆς πόλεως πύλαις). Le rapport que
Procope nous fait de la différence entre le texte ancien et le texte contem-
porain révèle que la notion d’authenticité d’un texte n’était pas inconnue et
qu’on pouvait se méfier des ajouts intéressés. Inversement, pour justifier
l’ancienneté d’un ajout, voire son authenticité, il était possible d’évoquer un
document perdu et retrouvé des archives. Dans les deux démarches, on note
la centralité du texte écrit et sa valeur de preuve permettant d’authentifier
un document. Ainsi, pour justifier leur réécriture du texte, les Édesséniens
doivent expliquer l’avoir trouvé déjà rédigé sous cette forme dans les archives.
Si l’on se tourne vers les raisons qui ont poussé les Édesséniens à ajouter cette
clause finale à la lettre de Jésus, il faut rappeler la situation géographique
d’Édesse non loin du l’empire perse, aux mains des Sassanides zoroastriens.
Les affrontements avec l’empire perse ont été fréquents dans cette région.
L’inquiétude des habitants d’Édesse était fort compréhensible dans ce climat
de guerre avec le puissant empire perse. Les Édesséniens ont souhaité faire
protéger leur cité par le Christ lui-même et ils ont opté pour une utilisation
35 Ibidem : φασὶ δὲ καὶ τοῦτο αὐτὸν ἐπειπεῖν, ὡς οὐδὲ ἡ πόλις ποτὲ βαρβάροις ἁλώσιμος
ἔσται. Τοῦτο τῆς ἐπιστολῆς τὸ ἀκροτελεύτιον οἱ μὲν ἐκείνου τοῦ χρόνου τὴν ἱστορίαν
ξυγγράψαντες οὐδαμῆ ἔγνωσαν· οὐ γὰρ οὖν οὐδέ πη αὐτου ἐπεμνήσθησαν· Ἐδεσση-
νοὶ δὲ αὐτὸ ξὺν τῇ ἐπιστολῇ εὑρέσθαι φασίν, ὧστε ἀμέλει καὶ ἀνάγραπτον οὗτο τὴν
ἐπιστολὴν ἀντ’ ἄλλου του φυλακτηρίου ἐν ταῖς τῆς πόλεως πεποίνται πύλαις.
36 Andrew Palmer, « Procopius and Edessa », Antiquité tardive, 8, 2000, pp. 127-136.
37 Procope, Histoire des guerres, cité n. 34, De bello persico, II, VIII, 1-25, Glanville
Downey, A History of Antioch in Syria, Princeton, 1961, pp. 324-332 ; Geoffrey
Greatrex, Samuel N. C. Lieu (éds.), The Roman Eastern Frontier and the Persian
Wars, II. AD 363-630 : a Narrative Sourcebook, Londres, 2002.
38 Paul Devos, « La date du voyage d’Egérie » et « Egérie à Edesse. S. Thomas l’apôtre, le
roi Abgar », Analecta Bollandiana, 85, 1967, pp. 165-194 et 381-400.
39 Pierre Maraval (éd.), Égérie, Journal de voyage, Paris, 2002, 19, 5, pp. 204-205 : « Et quo-
niam sanctus episcopus ipsius ciuitatis, uir uere religiosus et monachus et confessor, susci-
piens me libenter ait mihi : Quoniam uideo te, filia, gratia religionis tam magnum laborem
tibi imposuisse, ut de extremis porro terris uenires ad haec loca, itaque ergo, si libenter habes,
quaecumque loca sunt hic grata ad uidendum Christianis, ostendimus tibi. »
40 Ibidem : « duxit me primum ad palatium Aggari regis et ibi ostendit mihi archiotepam ipsius
ingens, simillimam, ut ipsi dicebant, marmoream. »
au roi Abgar par le courrier Ananias, comme il est écrit dans cette lettre.
Donc quelque temps après, les Perses surviennent et encerclent la ville.
Aussitôt Abgar, apportant la lettre du Seigneur à la porte, pria publiquement
avec toute son armée ; il dit ensuite : “Seigneur Jésus, tu nous avais promis
qu’aucun ennemi n’entrerait dans cette ville, et voici maintenant que les Per-
ses nous attaquent.” Quand le roi eut ainsi parlé, tenant cette lettre ouverte
dans ses mains levées, il se fit soudain de profondes ténèbres, mais hors de la
ville, devant les yeux des Perses, alors qu’ils atteignaient presque la ville41. »
L’histoire se poursuit par la déroute des Perses qui cherchent à assoiffer la
cité et détournent le fleuve, mais la cité est sauvée par des fontaines qui
jaillissent miraculeusement dans le Palais. L’histoire que rapporte Égérie
mélange les temps et les époques et donne à la lettre de Jésus à Abgar une
connotation militaire qui n’est pas attestée antérieurement. Son témoignage
sur l’utilisation de la lettre par le clergé de la ville est très révélateur de la
valeur de talisman qu’avait acquise la lettre à la fin du IVe siècle. En effet,
l’évêque d’Édesse la conduisit à la porte par laquelle était entré Ananias, le
porteur de la lettre, et après avoir prié, il fit une lecture à voix haute des deux
lettres42. « Ces lettres que nous avait lues le saint évêque, je les ai reçues pour
moi de ce saint. Bien que j’en ai des copies dans ma patrie, il m’a semblé fort
opportun de les recevoir de lui, car je me demande, si le texte ne nous en
est pas parvenu un peu moins complet dans notre patrie ; ce que j’ai reçu
est vraiment plus long43. »
Le témoignage d’Égérie est extrêmement précieux. Il nous révèle d’abord
que la correspondance entre Abgar et Jésus était connue en Occident, avant
la traduction latine de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe faite par Rufin et que
41 Ibid., 19, 8-9, pp. 206-209 : « Quodam tempore, posteaquam scripserat Aggarus rex ad
Dominum et Dominus rescripserat Aggaro per Ananiam cursorem, sicut scriptum est in ipsa
epistola : transacto ergo aliquanto tempore superueniunt Persi et girant ciuitatem istam.
Sed statim Aggarus epistolam Domini ferens ad portam cum omni exercitu suo publice
orauit. Et post dixit : “Domine Iesu, tu promiseras nobis, ne aliquis hostium ingrederetur
ciuitatam istam, et ecce nunc Persae inpugnant nos.” Quod cum dixisset tenens manibus
leuatis epistolam ipsam apertam rex, ad subito tantae tenebrae factae sunt, foras ciuitatem
tamen ante oculos Persarum, cum iam prope plicarent ciuitati. »
42 Ibid., 19, 16, pp. 210-211 : « stans episcopus fecit orationem et legit nobis ibi ipsas episto-
las. »
43 Ibid., 19, 19, pp. 212-213 : « epistolas ipsas siue Aggari ad Dominum siue Domini ad Ag-
garum, quas nobis ibi legerat sanctus episcopus, acciperem mihi ab ipso sancto. Et licet in
patria exemplaria ipsarum haberem, tamen gratius mihi visum est, ut et ibi eas de ipso
acciperem, ne quid forsitan minus ad nos in patria peruenisset ; nam uere amplius est, quod
hic accepi. »
44 Sur la réception dans le monde latin, Cora Lutz, « The apocryphal Abgarus-Jesus Epist-
les in England in the Middle Ages », dans ead., Essays on Manuscripts and Rare Books,
Hamden, CT, 1975.
45 Darius, ep. apud Augustin, dans Epistulae, 5, CSEL, 57, p. 202*.
46 Ernst von Dobschütz (éd.), Das Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non reci-
piendis, Leipzig, 1912 ; trad. fr, http ://www.tertullian.org/decretum_fr.htm
47 Geoffrey Greatrex, Samuel N. C. Lieu (éds.), The Roman Eastern Frontier and the Per-
sian Wars, II, cité n. 37.
48 Andrew Palmer pour sa part suggère de la dater de 360, pour célébrer le fait que la ville
d’Edesse avait été épargnée alors que celle d’Amida avait été prise par les Perses en 359.
Il propose aussi comme date 380 pour remonter le moral des troupes romaines après la
défaite d’Andrinople en 378. Cette seconde suggestion paraît peu probable, car le texte
ne promet de protection qu’à Edesse, Andrew Palmer, « Les Actes de Thaddée », cité n.
27, p. 74.
49 Doctrine de l’apôtre Addaï, trad. dans Alain Desreumaux, Histoire du roi Abgar et de Jésus,
cité n. 12, p. 59.
50 Pierre Maraval (éd.), Egérie, Journal de voyage, cité n. 39, p. 209 n. 2.
51 Béatrice Caseau, Jean-Claude Cheynet, « La communion du soldat et les rites religieux
sur le champ de bataille », dans Béatrice Caseau, Jean-Claude Cheynet, Vincent Déro-
che (éds.), Pèlerinages et Lieux saints dans l’Antiquité et le Moyen Âge. Mélanges offerts à
Pierre Maraval, Paris, 2006, pp. 101-119.
52 Stefano Parenti, Elena Velkovska (éds.), L’eucologio Barberini, gr. 336, Rome, 20002.
la lettre soit passée sous le contrôle épiscopal. L’évêque avait donc de surcroît
la possibilité d’en donner une copie à qui il souhaitait, ce qui a probablement
contribué à sa diffusion.
Le témoignage d’Égérie permet donc de comprendre comment la let-
tre a été doublement utilisée comme formule de bénédiction divine et de
protection militaire, à la fois à l’échelle individuelle et à l’échelle collective.
On la retrouve en effet aussi bien comme amulette personnelle que comme
phylactère urbain. Elle passe ainsi d’une mission particulière privilégiant
un homme et sa cité, à un instrument de protection étendu à tout individu
qui « a cru sans voir » et à toute cité qui s’en remet à son pouvoir. Pen-
chons-nous sur quelques attestations de ces deux usages de la lettre. On
ne peut dater précisément à quel moment la lettre destinée à Abgar cesse
d’être un talisman pour la seule cité d’Édesse pour devenir un instrument
de protection d’autres cités et aussi une eulogie pour les individus qui en
ont une copie. L’usage privé de la lettre est attesté cependant dès la fin du
IVe siècle. Les possesseurs d’une copie de la lettre en attendaient un secours
de même ordre que celui offert à Abgar : une bonne santé et le salut pour
soi et les siens. Cette utilisation de la lettre à des fins de protection per-
sonnelle explique sa présence sur des objets transportables comme le sont
les ostraka ou encore les papyri. On pouvait avoir chez soi ou sur soi une
copie personnelle de la lettre dont la simple présence devait assurer le sauf
conduit du porteur.
La lettre s’est donc transformée en amulette, destinée à un usage ma-
gico-religieux, comme le montre son insertion dans un livre de magie de
seize pages, conservé à Leiden53. Dans ce codex en papyrus, écrit en copte,
une phrase indique qu’on pouvait « porter » sur soi ces textes, sans doute
sur un papyrus roulé et cousu ou attaché au vêtement54. La correspondance
entre Abgar et Jésus est citée dans ce livre de magie, mais dans une version
mêlant des éléments narratifs issus de la légende originellement présente
chez Eusèbe à des prières et à une description beaucoup plus développée
des guérisons et exorcismes réalisés par Jésus, qui guérit sans médicament
ni herbes les aveugles, les paralytiques, les sourds et les muets, les lépreux
et les possédés. La lettre de Jésus se termine par ces mots : « Je suis Jésus
qui écris cette lettre de ma propre main. Au lieu où sera fixé le manuscrit,
aucun pouvoir de l’Adversaire ou d’un esprit impur ne pourra approcher ou
53 Richard Smith, « The Coptic book of ritual power from Leiden », dans Marvin W.
Meyer, Richard Smith (éds.), Ancient Christian Magic. Coptic Texts of Ritual Power,
Princeton, 1999, pp. 314-322.
54 Ibid., p. 385 n. 3.
55 Angelicus M. Kropp, Ausgewählte koptische Zaubertexte, II, Bruxelles, 1931, pp. 220-
221*.
56 Lionel Casson, Ernest L. Hettich, Excavations at Nessana, II. Literary Papyri, Princeton,
1950.
57 Jean-Claude Cheynet, La société byzantine : l’apport des sceaux, Paris, 2008 ; Béatrice
Caseau, Jean-Claude Cheynet, « Sealing practices in the Byzantine Administration »,
dans Kim Duistermaat (éd.), Seals and Sealing Practices from Ancient Times until the
Present Day. Developments in Administration and Magic through Cultures. Proceedings
of the International Workshop in Cairo, 2-3 December 2009, Leuven (à paraître).
avec l’Epistula Abgari, texte qui a été daté de 1032 par E. von Dobschütz, soit
peu après la prise d’Edesse par le général byzantin Maniakès sous Romain
III58 L’inscription, proche par le texte, a été retrouvée à Edesse en 1914, non
loin de la citadelle, dans les cavernes qui servaient de tombes. Ses premiers
éditeurs, M. Von Oppenheim et F. Hiller von Gaertringen, l’avait datée du
VIe siècle mais Denis Feissel a fait remarquer que « c’est à une branche plus
tardive de la tradition qu’appartient l’inscription grecque d’Edesse d’Os-
rhoène, dont la paléographie exclut de toute façon une date antérieure à la
reconquête byzantine du Xe siècle59. » Voici le texte de l’inscription :
Le texte insiste sur la foi, la guérison, la vie et la paix, tous termes qui
peuvent convenir pour une inscription funéraire (s’il s’agit bien d’une ins-
cription destinée à ce lieu et non venue d’un autre endroit de la cité). Le texte
est plus court que celui du papyrus mais possède avec lui un grand nombre
d’expressions communes. Il est aussi très proche de la Lettre de Jésus conser-
vée dans l’Epistula Abgari, dont la datation au XIe siècle est liée au récit de la
58 Ernst von Dobschütz, « Der Briefwechsel zwischen Abgar und Jesus », Zeitschrift für
wissenschaftliche Theologie, 41, 1900, p. 436. Mais il date le texte de la période 750-945
dans Christusbilder, cité n. 22, p. 203. Il a changé d’avis en lisant Yahya d’Antioche.
59 Denis Feissel, « Sources documentaires et histoire administrative de l’Orient romain
tardif, IVe-VIe siècles », Livret-Annuaire, 19, 2003-2004, Paris, 2005 (programme
d’étude de l’ÉPHÉ).
60 François Nau met Ζωὴν avec une majuscule, impliquant la Vie éternelle, dans François
Nau, « Une inscription grecque d’Edesse », Revue de l’Orient chrétien, 21, 1918/1919,
p. 217.
61 Martin Illert, Die Abgarlegende das Christusbild von Edessa, Turnhout, 2007, p.
180, d’après Max von Oppenheim, Hiller von Gaertringen, « Höhleninschrift von
Edessa mit dem Briefe Jesu an Abgar », dans Sitzungsberichte der Preußischen Akade-
mie der Wissenschaften zu Berlin, Philosophisch-Historische Klasse, 1914, pp. 817-828.
prise d’Edesse par les Byzantins et au transfert de la lettre (une nouvelle fois)
à Constantinople qui donne l’occasion d’une traduction. L’Epistula Abgari
précise que les sceaux étaient au nombre de sept, ce qui accentue encore plus
l’impression d’avoir affaire à un texte magique et à un testament. Le chiffre
sept pour les sceaux fait immédiatement penser à l’Apocalypse, 5 :1 : « Et je
vis dans la main droite de celui qui siège sur le trône un livre roulé, écrit au
recto et au verso, et scellé de sept sceaux. » Dans la pratique médio-byzantine,
les testaments qui ont été enregistrés devant le questeur doivent porter sept
sceaux. La pratique est bien attestée au XIe siècle. La lettre de Jésus a donc
été transformée en une sorte de testament de Jésus, rédigé peu avant sa mort,
portant un ou plusieurs sceaux et des lettres magiques.
Yahya d’Antioche (†1066), un chroniqueur arabe melkite d’origine égyp-
tienne qui s’était réfugié à Antioche à la suite de la persécution organisée
contre les chrétiens par le calife Al-Hakim en 1015, rapporte que les lettres de
Jésus et d’Abgar ont été envoyées à l’empereur byzantin Romain en 1031, une
fois que la ville d’Edesse est passée sous contrôle byzantin. L’envoi aurait été
confié à l’ancien commandant de la place d’Édesse, rallié : « Ledit Sulaymàn
se rendit auprès de l’empereur Romain à Constantinople, emportant avec lui
la lettre qu’Abgar, roi d’Édesse, avait envoyée au Seigneur Christ, ainsi que la
réponse que lui avait faite le Seigneur Christ. Toutes deux étaient écrites en
syriaque sur un feuillet de papyrus62. » Ce dernier détail vise à confirmer qu’il
s’agit d’un document ancien et donc des lettres authentiques. Yahya décrit
ensuite l’accueil solennel que reçurent les lettres : « L’empereur, le patriarche
Alexis et tous les dignitaires impériaux sortirent pour accueillir ces deux
(lettres). L’empereur les reçut avec une humble soumission, par vénération
pour la lettre du Seigneur Christ. Il les ajouta aux saintes reliques qui étaient
dans le palais impérial. L’empereur Romain prit soin de les faire traduire du
syriaque en grec. Celui qui avait été chargé de les traduire en grec a fait pour
nous une version en arabe (respectant) la forme et le texte63. » Il pouvait
sembler logique qu’un texte reprenant la légende soit rédigé dans la foulée.
Mais I. Karaulashvili réfute le lien entre l’Epistula Abgari et cette traduction
demandée par l’empereur64. Il n’y a en effet pas de preuve probante de ce
Καὶ γὰρ ἐγὼ ἔκλινα οὐρανοὺς καὶ κατέβην διὰ τὸ γένος τῶν ἀνθρώπων·
ᾤκισα παρθενικὴν μήτραν, ἵνα τὴν παράβασιν τὴν ἐν τῷ παραδείσῳ
ἐξαλείψω· ἐμαυτὸν ἐταπείνωσα, ἵνα ὑμᾶς ἀνυψώσω65.
Διότι ὁ λόγος γραπτὸς γέγραπται τῇ ἰδίᾳ μου χειρὶ τῆς σφραγῖδος τῆς
ἐμῆς, ἅιτινες εἰσὶν ἐντετυπωμέναι τῇ ἐπιστολῆ ταύτῃ ἑπτὰ σφραγῖσιν. ±
Ψ.Χ.Ε.Υ.Ρ.Α
La Lettre de Jésus ainsi amplifiée est devenue une amulette précieuse
et appréciée, puisqu’elle protège dans diverses circonstances. On la retrouve
inscrite sur un rouleau illustré conservé en partie à la Pierpont Morgan
Library, à New York (Ms. M. 499) et à l’université de Chicago, à la Goods-
peed Collection library (Ms. 125)66. Le texte inclut outre la correspondance
d’Abgar et de Jésus, des psaumes, des vers de louange à des saints, et le récit
sur le Mandylion. Ce rouleau peut-être écrit et peint à Constantinople ou
Trébizonde, a été réutilisé en milieu arabe chrétien et se trouvait au Caire
quand il a été acquis. Sur le revers, il porte un colophon en arabe daté de
1374. Sa fonction était de protéger celui qui le portait, dans le monde by-
zantin qui l’a créé comme dans le monde arabe chrétien qui l’a réutilisé. Il
illustre la popularité de la légende d’Abgar tout au long du Moyen âge. Cette
popularité est aussi attestée dans le monde latin. Un manuscrit latin pari-
sien porte des illustrations de la légende d’Abgar67. Les amulettes textuelles
étaient aussi très appréciées dans le monde latin, et parmi celles-ci la Lettre
de Jésus68. Elle est utilisée de la même manière qu’en Orient, pour la protec-
tion militaire – elle devient la lettre de Charlemagne envoyée par un ange
pour lui donner la victoire contre les Sarrazins en 785- et comme amulette
personnelle, inscrite sur des rouleaux et des charmes que l’on pouvait porter
sur soi69. La Lettre fait aussi son apparition dans des manuscrits enluminés,
comme ce manuscrit créé à Rome au XIIIe siècle et conservé à la Bibliothèque
Nationale de France (Ms. lat. 2688)70. Certains livres de prière la contiennent,
66 Sirarpie Der Nersessian, « La légende d’Abgar d’après un rouleau illustré de la Biblio-
thèque Pierpont Morgan à New York », Actes du IVe congrès international des études
byzantines, Sofia, 1936, pp. 98-106 (repris dans ead., Études byzantines et arménien-
nes, Louvain, 1973) ; Glenn Peers, « Amulet Roll », dans Byzantium. Faith and Power
(1261-1557), New York, 2004, pp. 438-439 ; id., « Magic, the Mandylion and the Letter
of Abgar : a Fourteenth-Century Amulet Roll in Chicago and New York », dans Anna
Rosa Calderoni Masetti, Colette Dufour Bozzo, Gerhard Wolf (éds.), Intorno al Sacro
Volto : Genova, Bisanzio e il Mediterraneo (XI-XIV secolo), Venise, 2007 (Collana del
Kunsthistorisches Institut in Florenz, 11), pp. 163-174.
67 Isa Ragusa, « The Iconography of the Abgar Cycle in Paris Ms. Lat. 2688 and its Rela-
tionship to Byzantine Cycles », Miniatura, 2, 1989, pp. 35-51.
68 Don C. Skemer, Binding Words : Textual Amulets in the Middle Ages, University Park,
PA, 2006, pp. 96-105.
69 Ibid., p. 104.
70 Isa Ragusa, « The Iconography of the Abgar Cycle », cité n. 67, pp. 35-55, planches 2 à 4.
comme par exemple celui qui fut exécuté pour Catherine de France, l’épouse
d’Henri V d’Angleterre en 140671. La Lettre est plus ou moins développée.
Dans un livre de prière datant du VIIIe ou IXe siècle, provenant de Mercie,
on trouve un texte proche de l’Epistula Abgari, qui détaille la protection
apportée par la Lettre de Jésus :
Beatus es qui me non uidisti et credisti in me. Scriptum est enim de me quia
hi qui uident me non credent in me, et qui me non vident ipsi in me credent
et uiuent. De eo autem quod scripsisti mihi ut uenirem ad te oportet me
omnia propter quae missus sum hic explere ; et postea quam conpleuero
recipe me ad eum a quo missus sum. Cum ergo fuero adsumtus mittam
tibi aliquem ex discipulis meis ut curet egritudinem tuam et uitam tibi at
his qui tecum sunt praestet et saluus eris sicut scriptum qui credit in me
saluus erit. Siue in domu tua siue in ciuitate tua siue in omni loco nemo
inimicorum tuorum dominabitur et insidias diabuli ne timeas et carmina
inimicorum tuorum distruuntur. Et omnes inimici tui expellentur a te siue
a grandine siue tonitrua non noceberis et ab omni periculo liberaueris, siue
in mare siue in terra siue in die siue in nocte siue in locis obscures. Si quis
hanc epistolam secum habuerit secures ambulet in pace. Amen72.
Cette protection fournie par la Lettre de Jésus est ici mobile : elle est pré-
vue pour opérer chez soi, en ville, en tout lieu où des ennemis sont présents,
en voyage, sur terre et sur mer, de jour et de nuit. Mais le texte de la Lettre
de Jésus servait aussi à protéger des lieux, de manière fixe et, espérait-on,
permanente. Il était assez fréquent de protéger sa maison par une inscription,
souvent placée sur le linteau de la porte d’entrée73. Cette tradition est bien
est réutilisé dans un contexte très différent pour protéger deux personnes
particulières. L’invocation finale permet de comprendre cet usage personnel
de la Lettre de Jésus et les raisons de la peinture du texte à cet endroit.
La Lettre de Jésus n’est pas simplement récupérée pour un usage privé
mais on en trouve aussi des exemples dans le cadre public lorsqu’elle est
inscrite sur des murs ou des portes de ville dans un but apotropaïque. On
peut supposer que c’est à Édesse qu’est venue l’idée d’inscrire sur les portes
de la ville le texte protecteur, probablement au Ve siècle mais l’idée a fait
des émules78. De fait, la lettre de Jésus devient un phylactère ou un talis-
man pour d’autres cités et prend son indépendance par rapport à l’histoire
78 Sur la tradition des inscriptions officielles, Mireille Corbier, « L’écriture dans l’espace
public romain », dans L’Urbs. Espace urbain et histoire (Ier siècle av. J.C. – IIIe siècle ap.
J.C.), Rome, 1987, pp. 27-60 ; ead., « Usages publics de l’écriture affichée à Rome », dans
Alain Bresson, Anne-Marie Cocula, Christophe Pébarthe (éds.), L’écriture publique du
pouvoir, Bordeaux, 2005, pp. 183-193.
79 Denis Feissel, Recueil des inscriptions chrétiennes de Macédoine du IIIe au VIe siècle,
Paris, 1983, p. 188.
πάντα δι᾽ ἃ ἀπεστάλην ν πάντα δι᾽ ἃ ἀπεστάλην πρὸς σέ, δέ[ον] ἐσ[τὶ]ν καὶ μετὰ τὸ πληρῶσαι
ἐνταῦθα, πληρῶσαι καὶ πληρῶσαι (τὰ πάντα) πάντα δι᾽ ἃ ἀπεστάλην οὕτως ἀναληφθῆναι
μετὰ τὸ πληρῶσαι οὕτως καὶ μετὰ τὸ πληρῶσαι τὰ ἐνταῦθα πληρῶσαι καὶ πρὸς τὸν ἀποστείλαντά
ἀναληφθῆναι πρὸς τὸν πάντα ἀναληφθῆναι πρὸς μετὰ τὸ πληρῶσαι οὕτως με, ἐπειδὰν ἀναληφθῶ
ἀποστείλαντά με· καὶ τὸν ἀποστείλαντά με· ἀναληφθῆναι πρὸς τὸν ἀποστελλῶ σοί τινὰ τῶν]
ἐπειδὰν ἀναληφθῶ, καὶ ἐπιδὰν ἀναλημφθῶ, ἀποστίλαντά με, ἐπειδὰν μαθητῶν μου, ὅς ἰάση[ταί
ἀποστελῶ σοί τινα τῶν ἀποστελλῶ τινα τῶν μα- ἀναληφθῶ ἀποστελῶ σοί σου] τ[ὸ πάθος καὶ ζωήν
μαθητῶν μου, ἵνα ἰάση- θητῶν μου, ὅστις εἰάσε- τινὰ τῶν μαθητῶν μου, αἰώνιον σοὶ χαρίσηται καὶ
ταί σου τὸ πάθος καὶ ταί σου τὸ πάθος καὶ ὅς ἰάσηταί σου τὸ [πά] τῇ πόλει σου πρὸς τὸ μη-
ζωήν σοι καὶ τοῖς σύν σοὶ ζωήν σοι παράσχῃ καὶ θος καὶ ζωήν αἰώνιον καὶ δένα τῶν ἐχθρῶν κατα]
παράσχηται· τοῖς σύν σοὶ πᾶσιν καὶ εἰρήνην καὶ τοῖς σύν σοὶ κ[υρι]εῦσαι [αὐτῆς
τῇ πόλι τῇ σῇ <πρὸς τὸ> χαρίσηται καὶ τῇ πόλι σου
μηδένα τῶν ἐχθρῶν τῶν πρὸς τῷ μηδένα τῶν ἐ[χ]
σῶν ἐξουσίαν ταύτης ἔχιν θ[ρ]ῶν σοθ κατακυρι-
ἤ σχῖν ποτέ · εῦσαι αὐτῆς· ἀμήν
87 Gérard Troupeau, « Notes sur quelques apocryphes conservés dans des manuscrits
arabes de Paris », dans Muriel Debié, Alain Desreumaux, Christelle Jullien, Florence
Jullien (éds.), Les apocryphes syriaques, Paris, 2005, pp. 202-203.