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(IVe-VIIe siècle)*
par Sylvain Destephen
de l’Orient où Basile a séjourné, Marc a été formé, Évagre et Nil se sont retirés 16.
Cette influence orientale s’est exprimée dans le Pont aux dépens d’une tradition
autochtone d’ascétisme, attestée surtout dans les provinces anatoliennes de Pisidie,
de Lycaonie et de Cappadoce. Mais il faut souligner l’autonomie du monachisme
basilien à l’égard du cénobitisme de Pachôme et l’étroitesse de ses liens avec le
mouvement né autour de l’évêque Eustathe de Sébaste 17.
Méconnue, l’histoire religieuse du diocèse civil d’Asie a bénéficié du dépouille-
ment des sources écrites, un exercice d’ascèse intellectuelle réalisé dans une pers-
pective biographique permettant d’observer la rareté et la dispersion des témoigna-
ges du monachisme asianique. Cette dénomination n’implique aucune identité
particulière, aucune singularité structurelle, aucune originalité profonde. Pis, la
logique de la prosopographie aboutit à la constitution de notices personnelles qui
éclairent des parcours particuliers et éclatent les informations générales. L’épar-
pillement documentaire induit par la méthode prosopographique nécessite le ras-
semblement des données individuelles permettant une synthèse de l’histoire du
monachisme asianique.
appelés à souscrire les décisions des assemblées ecclésiastiques, sauf à titre excep-
tionnel comme l’archimandrite syrien Barsauma au concile d’Éphèse en 449 19. De
façon tout aussi exceptionnelle, à l’automne 457, les ascètes Jacques de Cyr, Syméon
le Stylite l’Ancien et Baradate d’Antioche sont interrogés par l’empereur Léon Ier
sur la validité de la définition dogmatique de Chalcédoine et l’élévation de Timothée
Ælure au trône d’Alexandrie 20. Des moines assistent à plusieurs synodes ou conci-
les comme à Éphèse en 431, à Constantinople en 448 ou l’année suivante de nouveau
à Éphèse, mais ils forment un groupe indistinct de spectateurs plus que d’acteurs 21.
Les interventions collectives des moines se traduisent par la manifestation d’un
soutien ou d’une opposition à un Père conciliaire 22. Ces moines viennent de la
capitale, de Syrie, de Mésopotamie. Des pétitions, apportées par des supérieurs de
monastères, figurent dans les actes du concile de Constantinople réuni en 536 sous la
présidence du patriarche Ménas : l’une, remise en 518 au synode permanent, fournit
une liste de monastères de Constantinople ; les autres, adressées à Justinien et
Ménas, ainsi qu’une lettre au pape Agapet, offrent des listes d’établissements monas-
tiques de la capitale, de ses environs, de Syrie Seconde, de Palestine et du Sinaï 23.
Plus originale car issue d’une communauté dissidente, la collection des Documents
monophysites, liée à la querelle trithéite qui divise l’Église jacobite, contient un
échange épistolaire, en 567-569, entre des monastères de Syrie du Nord et d’Arabie
et des évêques réunis autour de Jean d’Éphèse à Constantinople 24. Dans ces
pétitions et ces lettres, aucun monastère asianique n’est mentionné.
19. ACO, II, 1, 1, p. 71.
20. ACO, II, 5, p. 23, l. 13-15 (Iacobo reuerentissimo monacho. Symeoni reuerentissimo monacho. Baradoto
reuerentissimo monacho). Si les réponses de Jacques et Syméon sont perdues, celle de Baradate subsiste (ibid.,
p. 35-38). À l’instar des lettres conservées, celle de Baradate, véritable « traité théologique » (T. Schnitzler, Im
Kampfe um Chalcedon. Geschichte und Inhalt des Codex Encyclius von 458, Rome, 1938, p. 23), dénonce
Timothée Ælure et défend Chalcédoine.
21. Voir infra, p. 242-244.
22. La question de la violence des moines reste débattue entre historiens minimalistes (W. de Vries, « Das
Konzil von Ephesus 449, eine ‘‘Räubersynode’’? », Orientalia Christiana Periodica 41, 1975, p. 357-398),
maximalistes (R. Teja, « La violencia de los monjes como instrumento de política eclesiástica : el caso del
Concilio de Éfeso (431) », dans P. Bádenas, A. Bravo et I. Pérez Martín éd., ’Επ#γειο( Ο*ρ,νο(. El cielo en la
tierra. Estudios sobre el monasterio bizantino, Madrid, 1997, p. 1-19 ; M. Gaddis, There Is No Crime for Those
Who Have Christ. Religious Violence in the Christian Roman Empire, Berkeley, 2005, p. 283-322) ou plus
nuancés (H. Bacht, « Die Rolle des orientalischen Mönchtum in der kirchenpolitischen Auseinandersetzungen
um Chalcedon (432-519) », dans A. Grillmeier et H. Bacht éd., Das Konzil von Chalcedon. Geschichte und
Gegenwart, 2, Würzburg, 1953, p. 193-314, en particulier p. 197-231 ; S. Acerbi, Conflitti politico-religiosi in
Oriente nella tarda Antichità. Il II Concilio di Efeso (449), Madrid, 2001, p. 205-208).
23. La supplique adressée, en 518, au synode permanent figure dans ACO, III, p. 67-71. Celles adressées,
en 536, à l’empereur Justinien, au patriarche Ménas et au pape Agapet se trouvent dans ACO, III, p. 33-38,
44-52, 142-147.
24. Documenta ad origines monophysitarum illustrandas, trad. J.-B. Chabot, Louvain, 1952, p. 112-115
(45 archimandrites de Syrie du Nord en 567) ; ibid., p. 148-156 (138 archimandrites d’Arabie en 569).
Également A. van Roey et P. Allen, Monophysite Texts of the Sixth Century, Louvain, 1994, p. 269-270, 284 et
290.
198 SYLVAIN DESTEPHEN
L’autre raison du désintérêt relatif des sources littéraires pour le monde monas-
tique réside dans l’importance accordée par les historiens de l’Église aux titulaires des
sièges épiscopaux, qui étudient les questions théologiques, nourrissent les controver-
ses dogmatiques, dominent les assemblées ecclésiastiques. Sozomène et Évagre le
Scholastique,tousdeuxissusdel’Orientsémitique,s’attachentàdesfigureséminentes
dumonachismeetdel’érémitisme,maiscesindividusnes’illustrentpasdanslediocèse
civil d’Asie. On dispose pour la Mésopotamie, la Syrie, la Palestine et l’Égypte de
sources précieuses avec les apophtegmes des Pères du désert, l’Histoire philothée de
Théodoret de Cyr, les biographies de Cyrille de Scythopolis ou les Vies des saints orien-
taux de Jean d’Éphèse. Ces œuvres n’ont pas d’équivalent en Asie, même si des per-
sonnages connus de Jean d’Éphèse ont vécu dans la région. Cette lacune documentaire
expliquequelemonachismeasianiquenesoutientpaslacomparaison,danslessources
anciennes et les travaux modernes, avec l’Orient et Constantinople 25. Situé entre
les deux, le diocèse civil d’Asie est relégué au second plan. La difficulté d’y étudier un
monachisme local, apparemment sans ampleur, est accrue par l’absence de sources
issues de couvents asianiques qui ont disparu et n’ont pas bénéficié de fouilles 26, à la
différence des monastères syropalestiniens ou égyptiens.
œuvres revêtent une grande valeur documentaire par leur ancienneté, leur détail et
leur exactitude : la Vie d’Eusébie de Mylasa, la Vie de Nicolas de Sion et les Vies des
saints orientaux de Jean d’Éphèse, des sources hagiographiques des Ve-VIe siècles,
contemporaines de leurs protagonistes et rédigées par un témoin 28. Tandis que la
Vie d’Eusébie a pour cadre la ville de Mylasa en Carie, les deux autres sources
traitent de monastères ruraux.
La Vie de Nicolas de Sion relate l’établissement en Lycie, dans les environs de
Myra, la capitale provinciale, d’une communauté monastique consacrée vers
520-530 à Sion. Le choix de l’implantation et du vocable semble relever de son
fondateur, moine et oncle du saint, mais après remaniement de la Vie, le fondateur
agit sous inspiration divine, dans l’attente de l’higouménat annoncé de son neveu à
naître. Les relations du monastère de Sion avec la campagne sont étroites : accueil de
nouveaux moines, construction de sanctuaires, ravitaillement de villageois, aide aux
pauvres, enfin accomplissement de miracles et lutte contre le paganisme, deux
privilèges du saint 29. En revanche, la fondation par Jean d’Éphèse de monastères
ruraux ¢ entre dix et douze d’après l’auteur et les sources qui en dérivent 30 ¢ n’est
pas seulement dictée par l’hostilité du clergé chalcédonien qui contrôle les villes dans
la seconde moitié du VIe siècle. Ces fondations sont liées aux missions de conversion
des païens qui vivent dans les campagnes d’Asie Mineure jusqu’au règne de Justi-
nien. Les créations de monastères jalonnent les progrès de l’évangélisation rurale et
constituent les points d’appui de futures missions pour éradiquer le paganisme. En
outre, depuis l’expulsion des évêques monophysites de leur siège par l’empereur
Justin Ier en 519 31, des monastères ruraux d’Asie Mineure, de Syrie-Palestine et de
Mésopotamie, hostiles à l’Église officielle, sont devenus le refuge, puis la résidence et
l’appui d’un épiscopat monophysite reconstitué, entre 558 et 566 environ, par
Jacques Baradée, le fondateur de l’Église jacobite 32. Pivots d’une hiérarchie ecclé-
28. Vie d’Eusébie de Mylasa, éd. T. Nissen, « Sanctae Eusebiae seu Xenae Vita », Analecta Bollandiana 56,
1938, p. 102-117 ; Vie de Nicolas de Sion, éd. G. Anrich, Der heilige Nikolaos in der griechischen Kirche. Texte
und Untersuchungen, 1, Leipzig, Berlin, 1913, p. 3-55 ; Jean d’Éphèse, Vies des saints orientaux, éd. et trad.
E.W. Brooks, Paris, 1923-1926 (Patrologia Orientalis 17, 1 ; 18, 4 ; 19, 2).
29. Vie de Nicolas de Sion, éd. Anrich, passim. Commentaires de I. S Û evčenko et N. Patterson SÛ evčenko,
The Life of saint Nicholas of Sion, Brookline, 1984 ; F.R. Trombley, « Monastic Foundations on the Sixth-
Century Anatolia and their Role in the Social and Economic Life of the Countryside », Greek Orthodox
Theological Review 30, 1985, p. 45-59, en particulier p. 55-59 ; C. Foss, « Cities and Villages of Lycia in the Life
of Saint Nicholas of Holy Zion », Greek Orthodox Theological Review 36, 1991, p. 303-337 ; R. MacMullen,
Christianity & Paganism in the Fourth to Eighth Centuries, New Haven, Londres, 1997, p. 135-137.
30. Jean d’Éphèse, Vies des saints orientaux, 43, Patrologia Orientalis 18, 4, p. 660 [458] ; ibid., 47, p. 681
[479] ; Chronique de Zuqnin, a. 853, trad. Hespel, p. 58, l. 24-29 ; Michel le Syrien, Chronique, IX, 33,
trad. Chabot, p. 270 B ; Bar Hebraeus, Chronographie, trad. Wallis Budge, p. 74.
31. P. Maraval dans J.-M. Mayeur et alii dir., Histoire du christianisme. III, Les Églises d’Orient et
d’Occident (432-610), Paris, 1998, p. 137-138.
32. E. Honigmann, Évêques et évêchés monophysites d’Asie antérieure au VIe siècle, Louvain, 1951,
p. 207-220 et 230-231.
200 SYLVAIN DESTEPHEN
brer plusieurs milliers d’inscriptions chrétiennes dans la région 37. Malgré cette
moisson épigraphique abondante, presque aucune inscription ne provient d’un
monastère clairement désigné. À la différence des lieux de culte chrétien contrôlés
par le clergé (basiliques, oratoires, martyria, on ne connaît aucun texte épigraphique
commémorant la fondation, la dédicace, la réfection d’un couvent. Au mieux,
l’existence d’un monastère se devine par la mention d’un moine ou d’une moniale
sur une inscription gardant le souvenir d’une offrande que le dédicant ne précise pas
toujours. Selon le contexte de sa découverte, on peut supposer que la pierre provient
des ruines d’un établissement monastique dont les éléments architectoniques ont été
réutilisés comme matériaux de construction.
L’existence et la localisation d’une communauté conventuelle d’après la pré-
sence d’une pierre mentionnant un membre de « l’ordre des moines », suivant une
formule employée par les Pères dès le IVe siècle 38, sont incertaines quand il s’agit
d’une inscription funéraire, a fortiori d’un texte votif. L’épitaphe d’un moine ou
d’une moniale se trouve à proximité ou à l’intérieur de son couvent, en vertu des
principes de stabilité et de clôture caractérisant peu à peu le monde monastique. En
revanche il est difficile d’interpréter des ex-voto peut-être laissés par des pèlerins,
des hôtes ou des voyageurs.
À Éphèse, dans la basilique Saint-Jean reconstruite par Justinien, deux moines
ont inscrit sur la même colonne deux graffites votifs ornés d’une grande croix 39.
L’un est aujourd’hui lacunaire et rien ne permet de supposer que les moines
viennent du même couvent. Ils emploient une formule votive rédigée dans une
langue assez correcte malgré une faute d’orthographe (η au lieu de ι) et l’emploi du
génitif au lieu du datif, deux confusions assez courantes à la fin de l’Antiquité. L’un
des moines vient de Scaphé, mais on ignore si ce toponyme, attesté en Mésopota-
mie 40, désigne son origine ou son couvent. Il peut s’agir d’un monastère situé à
Éphèse, dans ses environs ou ailleurs. Ces inscriptions votives conservent peut-être
le souvenir de moines pèlerins et en déduire l’existence d’un monastère à Éphèse est
hypothétique.
Le hasard des découvertes, la possibilité des fouilles, encore très limitée, la
continuité de l’occupation humaine et la destruction des vestiges antiques expli-
quent une répartition inégale des inscriptions monastiques, qui reproduit la dis-
tribution inégale des inscriptions chrétiennes à travers l’Asie Mineure. Les témoi-
37. Prosopographie chrétienne du Bas-Empire 3, p. 1030-1037.
38. E.g. Basile de Césarée, Ep., 199, 19. Le mot τάγµα, dans le sens de condition, d’état ou d’ordre, est
employé par Basile pour des prêtres, des veuves, des laïcs : ibid., 54 ; ibid., 199, 24 ; ibid., 188, 3.
39. Inschriften von Ephesos, VII, 2, 4312 b : Κ(]ρι)ε βοFθη το1 δο]λου σου Θεοδο]λου µοναχο1. « Seigneur,
viens au secours de ton serviteur Théodule, moine. » ; ibid., 4312 c : Κ(]ρι)ε βοFθη το1 δο]λου σου ΠQτρου
µοναχο1 _πY ΣκGφη+ κ(αC) τ. « Seigneur, viens au secours de ton serviteur Pierre, moine de Scaphé et T... »
40. Information fournie par les éditeurs, R. Meriç, R. Merkelbach, J. Nollé et S. S È ahin.
202 SYLVAIN DESTEPHEN
gnages sont rares dans la moitié ouest, plus nombreux sur le plateau anatolien où les
sites ont souvent été abandonnés à la fin de l’Antiquité ou durant le haut Moyen Âge.
Dans des villes comme Cyzique, le maintien jusqu’au début du XXe siècle d’une
communauté grecque a permis, de manière occasionnelle, la conservation d’épita-
phes chrétiennes anciennes 41.
41. F.W. Hasluck, Cyzicus. Being some account of the History and Antiquities of that City and of the District
adjacent to it, with the Towns of Apollonia ad Rhyndacum, Miletupolis, Hadrianutherae, Priapus, Zeleia, etc.,
Cambridge, 1910, p. 148-154 ; G. Kiourtzian, « L’époque protobyzantine à travers les monuments épigraphi-
ques », dans B. Geyer et J. Lefort éd., La Bithynie au Moyen Âge, Paris, 2003, p. 43-64.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 203
42. Par comparaison, en 536, la ville de Constantinople compte au moins 75 monastères masculins et, à la
même époque, la confédération monastique égyptienne des Tabennésiotes 24, la Syrie du Nord près de 80.
D’autres exemples chiffrés sont fournis par B. Flusin dans J.-M. Mayeur et alii dir., Histoire du christianisme.
III, Les Églises d’Orient et d’Occident (432-610), Paris, 1998, p. 545-608.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 207
208 SYLVAIN DESTEPHEN
monastique avant de revenir dans sa patrie, à la fin du Ve siècle 47. Vers 520-
530, Sévère d’Antioche, déposé de son siège pour son hostilité au dogme de
Chalcédoine, adresse depuis son exil égyptien une lettre à deux archimandrites
monophysites de Carie sur les conditions de réintégration d’hérétiques repentis 48.
Dans les années 550-570, un monastère près d’Aphrodisias, un second dans les
environs d’Antioche du Méandre et quatre autres sur le territoire de Tralles sont
connus par un auteur monophysite, Jean d’Éphèse. Tandis que les quatre monastè-
res établis à Tralles sont fondés par Jean, les uns sur la chaîne de la Mésogide, les
autres dans la vallée du Méandre, le monastère près d’Antioche offre un lieu
d’accueil et d’inhumation à un compagnon de Jean d’Éphèse. Le couvent voisin
d’Aphrodisias sert de refuge à l’évêque jacobite de la région, avant qu’il ne soit
arrêté, déposé et ordonné évêque d’Antioche après avoir abjuré sa foi monophy-
site 49.
Le monachisme se résume à une transplantation de traditions étrangères,
égyptienne dans le cas du monastère de Paralius à Aphrodisias, mésopotamienne
avec les fondations de Jean d’Éphèse. L’orientation confessionnelle de ces couvents
a conduit à supposer une influence monophysite dans d’autres monastères de Carie,
comme celui fondé par la Romaine Eusébie à Mylasa ou un couvent établi sur un îlot
au nord de la péninsule de Myndus, près d’Halicarnasse 50.
L’argument confessionnel peut être avancé avec davantage de sûreté pour des
couvents de Lycie et de Pamphylie, régions bénéficiant en outre de la publication
récente d’un volume de la Tabula Imperii Byzantini. Sur la quinzaine ou la vingtaine
de communautés, le tiers sont monophysites. Les Vies de Gérasime et de Longin,
deux moines formés en Lycie puis établis en Orient, l’un près de la mer Morte,
l’autre près d’Alexandrie, ainsi que les Plérophories de Jean Rufus, attestent l’exis-
tence au Ve siècle de cinq couvents masculins et deux couvents féminins, tous
monophysites. Vénéré comme saint par l’Église orthodoxe, Gérasime se rallie, une
fois installé en Palestine, au dogme de Chalcédoine, sous l’influence d’Euthyme le
47. Zacharie le Rhéteur, Vie de Sévère, Patrologia Orientalis 2, 1, p. 14 [14]-20 [20] ; ibid., p. 39 [39]-43
[43].
48. Sévère d’Antioche, Epistulae selectae I, 60, p. 179-191.
49. Pour les monastères de la région de Tralles, voir Jean d’Éphèse, HE, III, 36, trad. Brooks, p. 126,
l. 6-13 ; pour le monastère près d’Antioche du Méandre, Id., Vies des saints orientaux, 40, Patrologia Orientalis
18, 4, p. 650 [448] ; enfin, pour le monastère monophysite voisin d’Aphrodisias, Id., HE, I, 14, p. 9, l. 11-15 ;
ibid., II, 42, p. 79, l. 30-33. Il existe peut-être un couvent monophysite près de la cité carienne d’Alabanda, à
l’ouest d’Aphrodisias, en raison de l’ordination vers 568 d’un évêque jacobite pour ce territoire : Id., Vies des
saints orientaux, 50, Patrologia Orientalis 19, 2, p. 158 [504].
50. V. Ruggieri et F. Giordano, « La penisola di Alicarnasso in età bizantina. II/2 parte. Le chiese di
Tavşan Adası e Monastir Dağ : eredità monofisita ? », Orientalia Christiana Periodica 64, 1998, p. 265-303 ;
V. Ruggieri, « La chiesa di Küçük Tavşan Adası nella Caria bizantina », Jahrbuch der österreichischen Byzan-
tinistik 40, 1990, p. 383-403 ; V. Ruggieri, A. Acconci et J.M. Featherstone, « Amboni carî e la ‘‘Vita Xenae seu
Eusebiae’’ di Mylasa », Orientalia Christiana Periodica 68, 2002, p. 37-88.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 211
par les évêques Cyprien de Carthage et Firmilien de Césarée 60. La disparition de ces
fraternités ascétiques intransigeantes s’accomplit au profit du modèle basilien de vie
commune, résumé dans une autre lettre de Basile de Césarée 61.
Le mouvement monastique du diocèse civil du Pont, auquel ressortissent la
Paphlagonie et la Cappadoce, se développe en Galatie, province limitrophe du
diocèse civil d’Asie. Outre les figures ascétiques déjà mentionnées de Nil d’Ancyre et
Marc l’Ermite, au début du Ve siècle, Pallade, évêque d’Hélénopolis en Bithynie,
révèle la présence à Ancyre d’une communauté féminine (une confédération monas-
tique ?) comptant plus de 2 000 vierges consacrées 62. Au-delà de l’édification du
lecteur, le propos de Pallade, centré sur les vies d’ascètes et de moines égyptiens et
palestiniens, donne un relief particulier au monachisme galate 63. Par contraste, la
vie monastique des Phrygies voisines semble médiocre.
Dans ces provinces enclavées, le monachisme subit l’influence du diocèse
pontique. Moine près de Synaus, puis évêque de cette cité au début du IVe siècle,
Agapet serait d’une famille chrétienne de Cappadoce 64. Avant d’être ordonné
évêque de Synnada au tournant des VIe-VIIe siècles, Pausicacus, peut-être d’origine
pontique, se rend célèbre en revêtant l’habit monastique 65. Dans le nord de la
Phrygie Salutaire, le monastère Saint-Georges des Sources, près de Dorylée, est
dirigé au début du VIIe siècle par deux disciples de Théodore, fondateur du monas-
tère de Sykéon en Galatie 66. Un cas similaire est connu en Lycaonie où s’installe un
autre membre de la communauté de Théodore. Ce dernier est même invité à régler
un différend interne à un couvent lycaonien 67. Zone au monachisme atone d’après
l’épigraphie 68, la Phrygie Salutaire ne parvient pas à retenir les dévots épris de
L’entrée au monastère
Les progrès de la recherche font apparaître, en creux, l’ampleur des lacunes.
Même l’épiscopat asianique demeure mal connu, les 870 évêques recensés formant
au mieux un huitième de l’ensemble des évêques en fonction entre le début du IVe et
le milieu du VIIe siècle. Éclipsés par les évêques, mais aussi par les clercs majeurs et
mineurs, les milieux conventuels et ascétiques constituent un groupe difficile à
appréhender.
Il est possible de déterminer ou de supposer l’origine sociale d’une minorité des
quelque 80 moines et moniales répertoriés. Les moines lyciens mentionnés dans la
Vie pourtant bien documentée de Nicolas de Sion ne semblent appartenir à aucun
milieu particulier. Le silence des sources quant à l’extraction des moines et des
69. G. Garitte, « ‘‘Histoires édifiantes’’ géorgiennes », Byzantion 36, 1966, p. 421 : Frater Georgius, a
ciuitate Synnada, nobis narrauit (...) (trad. Garitte).
70. Jean Climaque, Échelle sainte, 4, Patrologia Graeca 88, col. 721 A-B.
71. Sur Antiochus de Saint-Sabas, voir A. Prévost, dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésias-
tiques 3, 1924, col. 709-710, s.v. ; G. Bardy, dans Dictionnaire de spiritualité 1, 1937, col. 701-702, s.v. ;
H. Rahner, dans Lexicon für Theologie und Kirche 1, 1957, col. 655, s.v. ; A. Moreschini, dans Bibliotheca
Sanctorum 2, 1962, col. 67, s.v.
72. Sur quelque 1400 notices, environ 80 sont consacrées au personnel conventuel (abbesses, archiman-
drites, économes, higoumènes, moines, moniales). À titre de comparaison, le volume italien de la Prosopogra-
phie chrétienne du Bas-Empire en recense 12 %, le volume africain 4 %. Cette faible proportion s’explique, en
partie, par une étendue chronologique plus réduite, ignorant la période byzantine.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 215
moniales laisse supposer une condition modeste, sans relief, sans intérêt. En revan-
che, des vies de saints soulignent la distinction de leur protagoniste : seraient
d’origine noble ou notable Eusébie de Mylasa (fille d’aristocrates romains), Paralius
d’Aphrodisias (frère d’un sophiste et d’un rhéteur), Alexandre l’Acémète (fils de
notables dans une île), Pausicacus de Synnada (membre d’une noble famille peut-
être pontique), Paul de Lystra (homme fortuné de Lystra ou peut-être honoré de la
dignité d’illustris) 73. Loin d’offrir des exemples, ces personnages représentent des
exceptions dignes de mention. Les sources hagiographiques, selon un topos édifiant,
soulignent la rupture sociale de l’entrée en religion marquée par le dépouillement
des biens et l’abandon d’un statut privilégié.
Aucune condition d’âge n’est requise pour entrer au monastère car plusieurs
individus sont accueillis enfants. Cette information, fournie par des sources hagio-
graphiques ou apologétiques (Agapet de Synaus, Gérasime et Longin en Lycie,
Épiphane de Magydus en Pamphylie, Conon le Sabaïte) 74, semble un autre lieu
commun de la sainteté monastique. Les Vies des saints orientaux témoignent de
l’admission de jeunes gens, comme l’Arménien Aaron dans un monastère édessénien
ou Kašiš, ami d’enfance de Jean d’Éphèse, entré à l’âge de quinze ans au couvent
73. Vie d’Eusébie de Mylasa, 2, éd. Nissen, p. 107, l. 5-6 : ΓQγονεν ;ν τ< e ΡωµαLων πAλει τ@ν περιφαν@ν καC
;πισFµων πιστ@ν 4νδρων µονογεν'+ θυγGτριον (...). « Il y avait dans la ville de Rome une jeune fille, enfant unique
de personnes célèbres, distinguées et fidèles (...). » ; Zacharie le Rhéteur, Vie de Sévère, Patrologia Orientalis 2,
1, p. 39 [39], l. 12-14 : « Paralius s’occupa alors de ses deux autres frères, qui étaient païens à Aphrodisias. L’un
d’eux était le σχολαστικA+ de la contrée, et s’appelait Démocharès, l’autre s’appelait Proclus et était le sophiste
de la ville. » (trad. Kugener) ; Vie d’Alexandre l’Acémète, 5, Patrologia Orientalis 6, 5, p. 660 [20], l. 14 : Οcτο+
2 µακGριο+ τk µ'ν γQνει mν ’ΑσιανA+, ;πισFµων γονQων, τ@ν νFσων οDκFτωρ. « Ce bienheureux était d’une famille
d’Asie, de parents distingués, et habitait les îles. » ; Synaxarium Ecclesiae Constantinopolitanae, 13 mai, 6, éd.
Delehaye, col. 682, l. 22-26 : Οcτο+ 2 µακGριο+ πατρLδα µ'ν 8σχε πAλιν ’ΑπGµειαν, γεννFτορα+ δ' τ@ν ;πισFµων καC
ε(γεν@ν καC τN+ _ληθοa+ πLστεω+ Tµ@ν τ@ν χριστιαν@ν τροφLµου+. « Ce bienheureux avait pour patrie la ville
d’Apamée et pour parents, parmi les notables et les nobles, des personnes nourries de notre vraie foi de
chrétiens. » ; Liber de vita moribusque sanctorum Patrum, p. 323.
74. Vie d’Agapet de Synaus, 2, éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 114, l. 9-13 : (...) 8τι µ'ν τgν TλικLαν νQο+
zν καC τY σ@µα γενναVο+, τgν _ρετgν δ' πολιY+ καC τgν σ]νεσιν, 8ν τινι µοναστηρLI τ@ν κατ* τgν ΣυναYν ZρQων
κειµQνI, µεγLστI µ'ν εD+ _ρετN+ λAγον, µεγLστI δ' καC τk πλFθει τ@ν ;ν α(τk συνειλεγµQνων θεLων _νδρ@ν, τN+
πατρLδο+ _παναστ*+ παραγLνεται. « (...) encore jeune, le corps robuste, la vertu et l’intelligence mûres, il quitta
sa patrie et se rendit dans un monastère situé dans les montagnes des environs de Synaus, très important en
raison de sa vertu et très important par la foule des hommes de Dieu qu’il rassemblait. » ; Vie de Gérasime, 1, éd.
Papadopoulos-Kérameus, p. 175, l. 2-4 : (...) _φιερjθη δ' ;κ βρQφου+ τk Θεk υeπY τ@ν αJτο1 γονQων, χριστιαν@ν
Mντων, καC ;ν κοινο#LI ;κ παιδY+ τgν µοναχικgν ;ξεπαιδε]θη _κρL#ειαν. « (...) il fut consacré dès son plus jeune âge
à Dieu par ses parents, qui étaient chrétiens, et, dans un cénobe, il fut dès l’enfance élevé dans la rigueur
monastique. » ; Vie de Longin, 5, trad. Campagnano, p. 51 ; Sévère d’Antioche, Epistulae selectae I, 1, trad.
Brooks, p. 7 ; Cyrille de Scythopolis, Vie de Sabas, 89, éd. Schwartz, p. 196, l. 19-23 : ΤAτε τοLνυν οR τN+ ΜεγLστη+
λα]ρα+ πατQρε+ ;κ Θεο1 κινηθQντε+ προ#Gλλονται Tγο]µενον τYν _##iν ΚAνωνα, 4νδρα 8ν τε µοναχικοV+
κατορθjµασιν καC ZρθοδAξοι+ δAγµασιν περι#Aητον, Λ]κιον µ'ν τk γQνει καC ;ν τ< πατρLδι ;κ βρQφου+ τgν µοναχικgν
_σκFσαντα πολιτεLαν καC ;ν πολλοV+ κατ* ΘεYν _γωνLσµασιν _ριστε]σαντα (...). « Alors donc, les pères de la très
grande laure, animés par Dieu, désignent comme higoumène abba Conon, un homme célèbre pour ses exploits
monastiques et ses doctrines orthodoxes. Lycien d’origine, dans sa patrie il avait pratiqué dès sa tendre enfance
la vie monacale et excellé dans de nombreuses luttes au nom de Dieu (...). »
216 SYLVAIN DESTEPHEN
amidénien de Jean Ourtaya, tandis que ses parents ont confié Jean dès trois ans et
demi au moine stylite Maro 75. C’est une pratique du monachisme mésopotamien
dont ces personnages sont issus, même s’ils ont ensuite soutenu l’Église monophy-
site et converti les païens et les hérétiques dans le diocèse civil d’Asie. L’entrée
précoce au monastère existe dans cette région comme le révèle, au second concile
d’Éphèse en 449, l’évêque Cyr d’Aphrodisias, métropolite de Carie. Interrogé sur le
dogme défini au premier concile d’Éphèse, en 431, il déclare y adhérer « non
seulement depuis [s]a vie de jeune moine, mais encore par l’enseignement reçu de
[s]on père » 76. Dépourvue de contexte hagiographique mais non d’exemplarité,
cette affirmation concorde avec les témoignages précédents, mais aussi avec le
Lycien Gérasime qui, une fois établi en Palestine, fonde une laure ouverte aux jeunes
gens 77. Il s’établit alors, entre l’higoumène et le novice, une parenté spirituelle faite
de conseils, d’avertissements, de remontrances, de lectures pieuses et de mortifica-
tions. Mais tous ces témoignages ne suffisent pas à discerner une tendance générale.
75. Jean d’Éphèse, Vies des saints orientaux, 4, Patrologia Orientalis 17, 1, p. 63 [60]-64 [64] ; ibid., 36, Patro-
logia Orientalis 18, 4, p. 628 [426] ; ibid., 38, p. 641 [439]-642 [440] ; ibid., 39, p. 646 [444] ; ibid., 51, Patrologia
Orientalis 19, 2, p. 159 [505].
76. ACO, II, 3, 1, p. 237, l. 14-15 : Cyrus episcopus Aphrodisiadae ciuitatis prouinciae Cariae. Et ego non
solum a puerili monachili mea uita, sed etiam ex paterna doctrina hanc fidem possideo. « Cyr, évêque de la cité
d’Aphrodisias dans la province de Carie. Moi aussi je partage cette foi, non seulement depuis ma vie de jeune
moine, mais également par l’éducation reçue de mon père. »
77. Vie de Gérasime, 4, éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 178, l. 6-13 : Τοια]την δ' συνFθειαν παρεδLδου
α(τοV+ 2 θεοφAρο+ ΓερGσιµο+, {στε _νεIγµQνα+ τ*+ κQλλα+ _φιQναι, |να }καστο+ τ@ν συναγωνιστ@ν τgν DδLαν χρεLαν
λαµ#Gνd, µηδενY+ κωλ]οντο+ · εD δ' καC 2 8χων τY κελλLον µg πGρεστιν, ο(κ ;φρAντιζεν 2 χρεLαν 8χων, καC mν DδεVν
α(τοa+ _ποστολικ@+ βιο1ντα+ ¢ mν γ*ρ καC το]των ;ν τ< ;ρFµI οDκο]ντων T καρδLα καC T ψυχg µLα ¢, καC ο(δ' ε~+ τι
τ@ν JπαρχAντων αJτk 8λεγεν διον εναι, _λλ’ mν α(τοV+ παντα κοινG. « Gérasime le théophore les habituait à
laisser les cellules ouvertes, afin que chacun des compagnons d’ascèse prenne le nécessaire sans que nul ne l’en
empêche ; même si l’occupant de la cellule s’absentait, celui qui avait besoin de quelque chose ne s’en souciait
pas, et on pouvait les voir vivre comme les apôtres ¢ car il existait un cœur et une âme uniques parmi ces
habitants du désert ¢, et jamais personne ne disait que l’un de ses biens lui était personnel, mais tout leur était
commun. » Ibid., 5, p. 179, l. 5-11 : ∆ιηγFσατA µοι 2 _##i+ ΚυριακY+ 2 _ναχωρητg+ λQγων, [τι ’ Εν νεAτητL µου,
φησLν, ;πιποθFσα+ τgν 8ρηµον οDκNσαι, mλθον εD+ τgν λα]ραν το1 µεγGλου Ε(θυµLου, καC τY µοναχικYν σχNµα δι* τ@ν
OγLων α(το1 χειρ@ν λα#$ν _πεστGλην Jπ’ α(το1 πρY+ τYν ;ν OγLοι+ ΓερGσιµον · [στι+ ΓερGσιµο+, µg βουλAµενο+
8χειν ;ν τ< .αυτο1 λα]ρq νεjτερον, δεξGµενA+ µε ;ν τk τN+ λα]ρα+ κοινο#LI JπηρQτην τ@ν πατQρων κατQστησε.
« Abba Cyriaque, l’ermite, me fit le récit suivant : ‘‘Dans ma jeunesse, dit-il, désirant habiter le désert, j’allai à
la laure du grand Euthyme. Après que je reçus de ses saintes mains l’habit monastique, il m’envoya au défunt
Gérasime ; mais Gérasime, ne voulant pas avoir un tout jeune homme dans sa laure, m’accueillit dans le cénobe
de la laure et me mit au service des pères.’’ » Voir aussi l’interpolation sur Gérasime dans la Vie d’Euthyme
éditée et traduite par B. Flusin, Miracle et histoire dans l’œuvre de Cyrille de Scythopolis, Paris, 1983, p. 228-231.
Cyrille de Scythopolis, Vie de Cyriaque, 4, éd. Schwartz, p. 224, l. 27 à p. 225, l. 6 : (...) 2 µQντοι ;ν OγLοι+
ΓερGσιµο+ το1τον δεξGµενο+ καC νεjτερον α(τYν θεασGµενο+ ;κQλευσεν α(τYν µQνειν εD+ τY κοινA#ιον (lacune) ξ]λα
κAπτων καC Jδροφορ@ν καC µαγειρε]ων καC πiσαν διακονLαν µετ* προθυµLα+ ;κτελ@ν, διηµερε]ων µ'ν ;ν κAπI καC
µAχθI, διανυκτερε]ων δ' ;ν ταV+ πρY+ ΘεYν δεFσεσιν, ;ν τk κανAνι τN+ ψαλµIδLα+ προθυµAτερο+ µετ* ;ργοχεLρου
RστGµενο+. « (...) le défunt Gérasime l’accueillit en effet et, ayant noté son très jeune âge, lui ordonna de rester
au cénobe (lacune) il coupait le bois, portait l’eau, faisait la cuisine, accomplissait n’importe quelle tâche avec
empressement, passait sa journée dans l’effort et le labeur, passait sa nuit en prières à Dieu, plein d’ardeur pour
le chant liurgique après ses tâches manuelles. »
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 217
78. Vie d’Eusébie de Mylasa, 3, éd. Nissen, p. 107, l. 16-21 : ∆]ο δQ τινα+ τ@ν .αυτN+ θεραπαινLδων 8χουσα
κατ* ψυχFν, α|τινε+ ;κ παιδAθεν συνανετρGφησαν α(τ<, λα#ο1σα καθ’ .αυτgν λQγει · ΘαρρNσαι JµVν βο]λοµαι
πρiγµα καC 2ρκLζω Jµi+ τYν Κ]ριον µg ;ξειπεVν _νθρjπI τ* το1 σκοπο1 µου, _λλ* µiλλον καC συνδο1ναL µοι, καC
8χετε καC τ*+ JµετQρα+ ψυχ*+ σ@σαι καC τgν ;µgν _θλιAτητα. « S’entendant avec deux de ses jeunes servantes, qui
depuis leur enfance avaient été élevées avec elle, les prenant à part, elle dit : ‘‘Je veux avoir confiance en vous et
vous adjure par le Seigneur de ne révéler à personne mon projet, mais au contraire de coopérer avec moi, et vous
pourrez sauver vos âmes et m’épargner un malheur.’’ » Ibid., 10, p. 111, l. 5-10 : Ο(δεC+ ον τY παρGπαν 8γνω ;ν
τ< ζω< α(τN+ πAθεν ;στCν δι* ποLαν αDτLαν Jπανεχjρησεν τN+ χjρα+ α(τN+ τL+ κQκληται, _λλ* τY κ]ριον α(τN+
Mνοµα πiσιν 8λεγεν [τι ΞQνη καλο1µαι. Το1 δ' κυρο1 Πα]λου λQγοντο+, [τι ’ Εκ τN+ Κωϊν@ν πAλεω+ 8λα#ον α(τ*+ καC
uγαγον, ;νοµLζετο πiσιν ;κεVθεν α(τ*+ εναι · [θεν καC τY µοναστFριον α(τN+ ΚωϊνYν ωSνAµαζον. « Nul ne sut donc
absolument rien de sa vie, d’où elle venait, la cause de son expatriation ou comment elle s’appelait, et quant à
son propre nom, elle disait à tous : ‘‘Je m’appelle l’Étrangère.’’ Quand le seigneur Paul disait : ‘‘Je les ai
rencontrées et amenées de la cité de Cos’’, tout le monde pensait qu’elles étaient de là ; c’est pourquoi
également ils appelaient son monastère le monastère de Cos. »
79. Vie de Gérasime, 10, éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 184, l. 6-9 : ΒασLλειον δ' καC ΣτQφανον _δελφοa+
α(το1 κατ* σGρκα διαδAχου+ τN+ TγεµονLα+ κατQλιπεν, ο|τινε+ ;πC ξ 8τη τgν α(τgν ποιµGναντε+ συνοδLαν
;τελε]τησαν (...). « Il laissa comme successeurs à l’higouménat Basile et Étienne, ses frères selon la chair qui,
après avoir dirigé la communauté pendant six ans, moururent (...). » ; Vie de Nicolas de Sion, 7, éd. Anrich,
p. 8, l. 8-10 : ΚατQστησεν δ' τYν α(το1 _δελφYν ’Αρτεµiν πρεσ#]τερον καC δευτερGριον, το1 4ρχεσθαι µεθ’ .αυτο1 τN+
OγLα+ Σιjν. « Il établit son frère Artémas prêtre et deutérarios pour diriger avec lui Sainte-Sion. » ; ibid., 78,
p. 54, l. 4-7 : ΝικAλαο+ δ' 2 ε(λα#Qστατο+ _ρχιδιGκονο+ συνQστειλεν τY γιον α(το1 λεLψανον, καC τgν κAρην τ@ν
ZµµGτων καC τgν 8νδοξον στFλην το1 προσjπου 8σφιγξεν, µα ’Αρτεµ τk ε(λα#εστGτI πρεσ#υτQρI καC
_ρχιµανδρLτd. « Nicolas, le très révérend archidiacre, enveloppa sa sainte dépouille, ferma ses paupières et sa
glorieuse bouche, avec Artémas, le très révérend prêtre et archimandrite. »
218 SYLVAIN DESTEPHEN
ses fils à deux monastères, l’un féminin et l’autre masculin, et lègue à ces commu-
nautés une partie de ses biens avant d’entrer dans un troisième couvent avec le reste
de sa fortune 80. Deviner la parenté se révèle plus difficile sur les épitaphes mention-
nant des membres de communautés monastiques. Près de Laodicée Brûlée, au IVe ou
au Ve siècle, la moniale Mélanippe a érigé une pierre tombale pour Doxa, sa « très
révérente sœur ». L’emploi de l’épithète honorifique conventionnelle semble indi-
quer un lien spirituel plus que charnel. De même, une inscription votive des
environs de Prymnessus unit un moine à ses frères dans le Christ. En revanche, il ne
fait aucun doute que l’épitaphe offerte à Iconium par un moine et son frère à leurs
parents constitue un acte de piété filiale 81.
Cette inscription atteste le maintien de relations sociales et familiales par les
membres d’une communauté. L’entrée au monastère n’entraîne ni retrait ni réclu-
sion ; le monachisme ancien, tel qu’il apparaît dans le diocèse civil d’Asie, n’exige de
ses adeptes aucune rupture définitive avec le monde, aucune claustration absolue. Il
n’est pas utile de supposer un monachisme laxiste car les relations entre moines et
parents existent aussi en Orient. En Asie Mineure, comme en Mésopotamie, en
Syrie ou en Égypte, des moines, plutôt que des moniales, sortent de leur monastère,
seuls ou en groupe, pour accomplir diverses missions ou pérégrinations, et changent
à l’occasion de couvent en se plaçant sous l’autorité d’un nouvel higoumène. Cette
souplesse ne contredit pas la nécessité de mener une vie communautaire stable, dans
la mesure où le principe de clôture monastique s’impose de manière tardive dans le
monachisme byzantin, à l’occasion du concile in Trullo réuni à Constantinople en
691-692, et concerne en priorité les moniales, les moines conservant la possibilité de
sortir de leur couvent avec la permission du supérieur 82.
80. Zacharie le Rhéteur, Vie de Sévère, Patrologia Orientalis 2, 1, p. 43 [43], l. 12-15 ; Liber de vita
moribusque sanctorum Patrum, p. 323.
81. Monumenta Asiae Minoris Antiqua I, 174 (Laodicée Brûlée) : ΜελανLππη _σκητρLα τN+ OγLα+ | το1 Θεο1
;κλησLα+ | _νQστησα τ< ε(|5λα#εστGτd _δελφ< µου ∆Aξd | τ< σεµν< _σκητρLd | τYν τLτλον το1|10τον µνFµη+ χGριν.
« Moi Mélanippe, moniale de la sainte Église de Dieu, j’ai érigé pour ma très révérente sœur Doxa, la vénérable
moniale, cette pierre tombale en sa mémoire » ; ibid. IV, 37 (environs de Prymnessus) : Σa προσφQροµεν δQ[ησιν.
Κ(]ρι)ε] βωFθι ΝηκολGωυ µοναχο1 κ' τV+ | Χ(ριστ)ο(ν]µου) (?) _δελφ[Aτη]|το+ | α(το1. | + νηκ. « Vers Toi nous
élevons une prière : Seigneur, viens au secours de Nicolas, moine, et de sa fraternité dans le Christ. (Que la
croix) triomphe ! » ; J.R.S. Sterrett, An Epigraphical Journey in Asia Minor, 214 (Iconium) : ΜVρο+ µονG|ζων κ'
ΝQσ[τ]|ωρ _νεστFσαµεν τk γλυ|5κυτGτI Tµ@ν | πατρC Ε(σε#LI | κ' τ< µητρC Tµ@ν Πωµd µνFµη+ χGριν . « Nous,
Meirus, moine, et Nestor avons érigé (cette pierre tombale) pour notre très cher père Eusèbe et notre mère
Pomè en leur mémoire. »
82. Canon 46 du concile in Trullo. Édition et traduction de P.-P. Joannou, Discipline générale antique, I, 1.
Les canons des conciles œcuméniques, Grottaferrata, 1962, p. 184-185. Cette volonté de stabilité se traduit aussi
par la réitération du principe d’incardination des prêtres au canon 17 (cf. canons 15 et 16 de Nicée, canon 5
de Chalcédoine). Voir E. Jombart et M. Viller, dans Dictionnaire de spiritualité 2, 1945, col. 979-1007,
s.v. « Clôture », en particulier col. 988-989 ; R. Hostie, dans Dizionario degli Istituti di Perfezione 2, 1975,
col. 1166-1182, s.v. « Clausura », en particulier col. 1167.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 219
Longin dans la première moitié du Ve siècle, la formation religieuse des novices est
prise en charge par des moines expérimentés. Mais l’ascétisme de Lucius et Longin
les pousse à quitter leur communauté et à s’isoler dans un martyrium, avant de
rejoindre l’Égypte, tandis que Jean le Sabaïte et Acace restent, durant leurs jeunes
années, sous la tutelle ¢ ou la férule ¢ d’un ancien de leur couvent. Ces exemples
montrent la coexistence de modèles ascétiques distincts, l’un requiert l’insertion
communautaire, l’autre favorise la retraite individuelle.
De même que les mortifications extrêmes (isolement sur une colonne, port de
chaînes, adoption d’un comportement déréglé) sont étrangères au monachisme
asianique, sinon par la durée des jeûnes et des veilles d’Eusébie de Mylasa 91,
l’érémitisme total, la solitude absolue sont inconnus, comme le révèle le vocabulaire
employé. Le terme générique µονGζω, de même que µοναχA+, désigne à l’origine le
célibat ascétique plus que l’érémitisme 92. Il n’est pas employé en Anatolie, hormis
sur trois épitaphes où l’insertion sociale du défunt convient mieux à la vie conven-
tuelle qu’à une vie d’ermite. Dans ces emplois épigraphiques, datables du
Ve ou du VIe siècle, µονGζων est synonyme de µοναχA+ et prend le sens de moine 93.
91. Vie d’Eusébie de Mylasa, 11, éd. Nissen, p. 111, l. 22-26 : <Ο(κ> uσθιεν µ'ν γ*ρ δι* δ]ο τρι@ν Tµερ@ν,
8στι δ' [τε καC τgν .#δοµGδα 4σιτο+ διεκαρτQρει. ’ ΕρχοµQνη δ' ;πC τροφgν ο( λαχGνου ;γε]ετο, ο(κ ZσπρLου, ο(κ
ονου, ο(κ ;λαLου, ο(κ Zπjρα+ τινY+ ο(δ' πiν, δι* πυρY+ 8χει τgν χρNσιν, εD µg µAνον βραχ] τι 4ρτου καC το1τον
βρQχουσα τοV+ οDκεLοι+ δGκρυσιν. « Elle ne mangeait pas pendant deux ou trois jours et, à l’occasion, supportait
une semaine sans nourriture. Quand elle recommençait à s’alimenter, elle ne mangeait ni légume ni légumi-
neuses, ni vin ni huile, ni aucun fruit ni quoique ce soit nécessitant l’utilisation du feu, si ce n’est un petit peu
de pain, et ce morceau-là elle le mouillait de ses propres larmes. » Ibid., p. 111, l. 31 à p. 112, l. 2 : Πiσαν δ'
;σπο]δαζεν λανθGνειν τgν _δελφAτητα τgν πολιτεLαν α(τN+, µAνον δ' αR δ]ο α(τN+ παραµοναρLαι παρετηρο1ντο
κρυπτ@+ τY τL διαπρGττεται, ζηλο1σαι καC αcται τgν καλλLστην α(τN+ πολιτεLαν. Τ< Jπερ#ολ< τοLνυν τN+ ;γκρατεLα+
τοσα]τη mν _γρυπνLα ;ν α(τ<, ωe+ _πY .σπQρα+ µQχρι τN+ {ρα+ τ@ν ε(χ@ν, ;ν αR _δελφαC ;ν τk ε(κτηρLI συνFγοντο,
.στGναι δι* πGση+ νυκτY+ ;κτετακυVα τ*+ χεVρα+ εD+ τYν ο(ρανYν καC προσε]χεσθαι, καC οτω+ ;φ’ .κGστη+
κατελαµ#Gνετο JπY τ@ν _δελφ@ν. « Elle s’efforçait de dissimuler à toute la communnauté son mode de vie, seules
ses deux compagnes monastiques observaient en cachette ce qu’elle accomplissait, imitant elles aussi avec ardeur
son excellent mode de vie. Par son degré élevé de maîtrise, la veille était chez elle si longue que, du soir jusqu’à
l’heure des prières à laquelle les sœurs se rassemblaient dans l’oratoire, elle restait debout durant toute la nuit,
tendant ses mains vers le ciel pour adresser sa prière, et ainsi chaque jour elle était surprise par les sœurs. »
92. A. Lambert, dans Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie 1, 2, 1924, col. 2604-2626,
s.v. « Apotactites et apotaxamènes », en particulier col. 2610-2611 ; F.-E. Morard, « Monachos, Moine. His-
toire du terme grec jusqu’au 4e siècle », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie 20, 1973, p. 332-
411, en particulier p. 392 et 403-406 ; E.A. Judge, « The Earliest Use of Monachos for ‘‘Monk’’ (P.Coll. Youtie
77) and the Origin of Monasticism », Jahrbuch für Antike und Christentum 20, 1977, p. 72-89 ; A. Guillaumont,
Aux origines du monachisme chrétien. Pour une phénoménologie du monachisme, Paris, 1979, p. 218-222 ;
P. Miquel, dans Dictionnaire de spiritualité 10, 1980, col. 1547-1557, s.v. « Monachisme », en particulier
col. 1549-1551 ; F. Thélamon, « Sociabilité, travail et loisir dans le monachisme ancien », Archives des sciences
sociales des religions 86, 1994, p. 183-197, en particulier p. 184-185.
93. C’est le cas d’une épitaphe au nord de Laodicée Brûlée, en Pisidie. Monumenta Asiae Minoris Anti-
qua VII, 101 : ΜακεδAνιο+ | Λολιανο1 µον|Gζων. « Macédonius, fils de Lolianus, moine. » ; de même, sur une
tombe collective de Perta, en Lycaonie, ibid. VIII, 276 : ;ντα1θα κατGκιτε 2 OγLω+ | καC _κρι#@+ | µονGζων
|5 Μαρτ]ρι+ Προ]γι+ | Παµπα+ [κ]αC το1τοι σaν το1 | [O]γLου το]του. « Ci-gît celui qui vivait en moine de manière
sainte et scrupuleuse, Martyrius. Prougis, Pampas et ceux qui sont avec ce saint. » Un dernier témoignage
222 SYLVAIN DESTEPHEN
Cette évolution est confirmée par les sources littéraires 94, à quelques exceptions
près. La biographie de l’évêque Porphyre de Gaza mentionne vers 400 un anacho-
rète du nom de Procope. Vivant dans une partie reculée de l’île de Rhodes, prati-
quant le jeûne, la veille et la pauvreté, il est qualifié de µονGζων, c’est-à-dire, dans ce
cas précis, de solitaire et non de moine. À l’écart du monde, Procope n’en est ce-
pendant pas coupé, car il connaît des personnages influents à la cour de Constanti-
nople, et sa renommée suffit à lui attirer un disciple et des visiteurs de passage
comme Porphyre et l’évêque Jean de Césarée, métropolite de Palestine 95. Hormis
l’île de Rhodes, les attestations d’ermites se concentrent en Lycie et datent du Ve siècle :
le monophysite Jean Rufus mentionne des ermites Basile et Léonce, le premier vers
415-430,leseconden476.SilanoticeconsacréeàLéonceesttropbrèvepourconnaître
le détail de sa vie menée à côté d’autres solitaires, en revanche Basile, ancien anachorète
deThébaïde,vitseulenLyciedansunecaverne,auborddelamer,avantd’accepter,àla
demande de la population, d’établir deux monastères 96. La vie conventuelle prend ici
lepassurlavieanachorétique.Demanièreplusoriginale,lesmoinesGérasimeenLycie
et Agapet en Phrygie tentent de concilier le dépouillement personnel et les obligations
communautaires, l’un par la recherche de l’isolement après le noviciat, l’autre par le
port d’un habit d’ermite jusqu’à l’épiscopat 97.
Dans le Pont, l’érémitisme radical semble aussi peu développé qu’en Asie. Il est
adouci de surcroît par le monachisme dans la mesure où existent des formes
anciennes de cohabitation. Les préceptes de Basile de Césarée, édictés à des com-
munautés monastiques, consacrent la supériorité de la vie conventuelle sur l’anacho-
provient d’Iconium. J.R.S. Sterrett, An Epigraphical Journey in Asia Minor, 214 : ΜVρο+ µονG|ζων κ' ΝQσ[τ]|ωρ
_νεστFσ|αµεν τk γλυ|5κυτGτI Tµ@ν | πατρC Ε(σε#LI | κ' τ< µητρC Tµ|@ν Πωµd µν|Fµη+ χGριν. « Nous, Meirus,
moine, et Nestor avons érigé (cette pierre tombale) pour notre très cher père Eusèbe et notre mère Pomè en leur
mémoire. » Laodicée, Iconium et Perta sont distants d’une cinquantaine de kilomètres.
94. Lampe, Patristic Greek Lexicon, s.v. « µονGζω ».
95. Marc le Diacre, Vie de Porphyre, 34. Le récit se poursuit sur deux chapitres : l’ermite Procope,
dépourvu de la prêtrise, fait entrer ses visiteurs dans son oratoire et leur conseille, pour leur séjour à
Constantinople, de se présenter devant l’évêque, Jean Chrysostome, puis le cubiculaire Amantius, afin
d’accéder plus facilement à l’impératrice Eudoxie.
96. Jean Rufus, Plérophories, 35, Patrologia Orientalis 8, 1, p. 78 [478], l. 11 à p. 79 [479], l. 4 ; ibid., 83, p. 138
[538],l.10-15.L’itinérairedeBasilerappellecelui,contemporain,d’unCappadocien(Pallade, Histoirelausiaque,
49).
97. Vie de Gérasime, 1, éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 175, l. 4-11 : ΤN+ τοLνυν TλικLα+ προκοψGση+ καC τN+
;ν α(τk _ρετN+ χρAνI καC πεLρq βε#αιωθεLση+ καC εD+ ψο+ _ναδραµο]ση+, πρ@τον µ'ν _νεχjρησεν εD+ τοa+ κατ* τgν
α(τgν χjραν ;ρηµικωτQρου+ τAπου+, καC ταV+ α(τοµGτοι+ πρY+ τροφgν χρjµενο+ βοτGναι+ καC πολλοa+ _γ@να+ κατ*
τ@ν πνευµGτων τN+ πονηρLα+ ;πιδεικν]µενο+, καC οτω+ ;πC χρAνον _σκFσα+ µυρLοι+ Dδρ@σι καC πAνοι+, νικηφAρο+
_νεδεLχθη (...). « Il grandit et la vertu qui était en lui s’affermit par le temps et l’expérience et atteignit des
sommets. Il se retira d’abord dans des contrées plus désolées de la même région, usa de plantes sauvages comme
nourriture et s’illustra par de nombreux combats contre les esprits du malin. Ainsi, après avoir longuement
pratiqué l’ascèse au prix de sueurs et d’efforts innombrables, il se révéla victorieux (...). » ; Vie d’Agapet de
Synaus, 12, éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 118, l. 25-26 : (...) ;ρηµικYν γ*ρ εχεν εDσQτι τY σχNµα. « (...) en effet,
il portait encore l’habit d’ermite. »
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 223
rèse. La solution basilienne, sans doute idéalisée par Grégoire de Nazianze, vise à
créer des lieux de vie ascétique, collective ou individuelle, capables d’offrir un terrain
d’entente et de rapprocher, dans l’espace et dans l’esprit, deux engagements reli-
gieux sans rien retrancher de leur originalité ni de leurs exigences 98. D’après
Sozomène, au siècle suivant, en Galatie et en Cappadoce, l’absence de traditions
érémitiques et les rigueurs du climat contraindraient les ascètes à vivre en groupe
dans des villes ou des villages 99. Malgré le simplisme de cette explication de
Sozomène, qui ignore l’anachorèse et circonscrit le monachisme aux zones habitées,
la vie conventuelle l’emporte à nouveau sur l’anachorèse.
Comme dans le Pont, le monachisme asianique adopte le modèle du cénobe, du
couvent rassemblant ses membres au quotidien. Une seule laure asianique est
attestée, celle où Acace et Jean le Sabaïte ont accompli leur noviciat. Jean Climaque,
qui livre ce renseignement 100, transpose peut-être sans précaution une structure
attestée en Orient. Deux indices laissent néanmoins penser que la laure est connue
en Asie avant cette époque tardive. Au milieu du Ve siècle, le moine lycien Longin
entre au couvent de Gaius, dans le complexe monastique de l’Énaton près d’Alexan-
drie. Il obtient de ne pas rester avec les autres frères et vit à l’extérieur du monastère,
dans une cellule au bord de la mer. Son père spirituel, le moine lycien Lucius, le
rejoint et mène une existence à la fois retirée et dépendante de la communauté. Ils
poursuivent ensemble leur quête d’isolement menée dans un couvent de Lycie, puis
dans un martyrium dont la quiétude fut rompue par les sollicitations de fidèles attirés
par leurs prières miraculeuses 101. Gérasime, lui aussi de Lycie, est un contemporain
de Longin. Comme on l’a vu, après une expérience monastique dans sa patrie, il
s’installe en Palestine, pratique l’érémitisme et fonde un couvent formé d’un cénobe
pour les novices et de cellules pour les moines confirmés, qui regagnent en fin de
semaine le cénobe pour communier et se ravitailler 102. C’est le principe de la laure,
98. Grégoire de Nazianze, Oratio 43, 62.
99. Sozomène, HE, VI, 34, 8.
100. Jean Climaque, Échelle sainte, 4, Patrologia Graeca 88, col. 720 D à col. 721 A.
101. Vie de Longin, 12, trad. Campagnano, p. 59.
102. Vie de Gérasime, 2, éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 176, l. 19 à p. 177, l. 4 : (...) 8νθα λα]ραν
περιφανεστGτην συστησGµενο+, κοινA#ιον µQσον α(τN+ πεποLηκε, καC τοa+ µ'ν _ρχαρLου+ ;ν τk κοινο#LI µQνειν καC
παιδαγωγεVσθαι τgν µοναχικgν πολιτεLαν ;νοµοθQτησε, τοa+ δ' τελεLου+ κατ* ΘεYν καC πAνοι+ .κουσLοι+
διαπρQποντα+ καC ταV+ κατ* ΘεYν _να#Gσεσι τοa+ πολλοa+ Jπερανα#ε#ηκAτα+ ;ν ταV+ κQλλαι+ κατκησεν, οτω+
α(τοa+ κανονLσα+, {στε }καστον α(τ@ν τ*+ µ'ν πQντε τN+ .#δοµGδο+ TµQρα+ TσυχGζειν εD+ τY διον κελλLον, µηδενY+
.τQρου µεταλαµ#Gνοντα, πλgν 4ρτου καC δατο+ καC φοινLκων, τk δ' Σα##GτI καC τ< Κυριακ< εD+ τgν ;κκλησLαν
;ρχAµενον καC τ@ν θεLων µετασχAντα µυστηρLων εD+ τY κοινA#ιον µεταλαµ#Gνειν .ψητο1, ZλLγI ονI χρjµενον ¢ 2µο1
δ' παντε+ τYν κανAνα ;πετQλουν τN+ ψαλµIδLα+ τk τε Σα##GτI καC τ< Κυριακ< ¢, τ*+ δ' 4λλα+ πQντε TµQρα+
TσυχGζειν, ωe+ ερηται. « Ayant installé là une laure très renommée, il établit en son centre un cénobe et institua
que les novices demeureraient au cénobe pour être formés à la vie monastique, tandis qu’il établit dans des
cellules les moines confirmés en Dieu, qui se distinguaient par leurs efforts volontaires et qui l’emportaient sur
la plupart par leur élévation vers Dieu. Il régla leur vie de sorte que chacun d’eux pût vivre en solitaire dans une
cellule individuelle cinq jours par semaine, ne recevant rien d’autre que du pain, de l’eau et des dattes. Mais le
224 SYLVAIN DESTEPHEN
La direction
À l’intérieur du monastère, la vie des moines est dirigée par un supérieur appelé
archimandrite, parfois higoumène, rarement épistate. Quelques-uns possèdent la
dignité sacerdotale comme André et Photius en Carie, au Ve siècle, ou Artémas, en
Lycie, au siècle suivant 104. Le nombre de cas recensés reste trop faible pour revêtir
une signification particulière : en trois siècles et demi, on connaît seulement une
quinzaine de supérieurs de communautés masculines et trois de communautés
féminines. On ne peut leur adjoindre les individus qualifiés d’abba. Malgré sa
postérité, ce terme constitue alors une distinction accordée à un moine ou un
anachorète d’un âge vénérable, remarquable par sa piété ou son ascèse 105. Le titre
d’abba, associé à la fonction de prêtre sur une inscription des environs de Barata, en
Lycaonie, ne suppose pas l’exercice combiné de la direction conventuelle et du
sacerdoce, au mieux le statut de moine prêtre 106.
Le mode de désignation du supérieur paraît varier d’un couvent à l’autre et le
choix du nouvel archimandrite suscite, à l’occasion, l’hostilité d’une partie des
membres de la communauté. Dans son couvent de Lycie, le moine Lucius est choisi
malgré lui par des confrères hostiles au successeur désigné par leur higoumène
récemment disparu ; la crise se règle par le départ de Lucius 107. Au VIe siècle, encore
samedi et le dimanche, chacun se rendait à l’église, prenait part aux mystères divins au cénobe, recevait des
aliments cuits, prenait un peu de vin ¢ tous ensemble ils exécutaient les chants liturgiques pour le samedi et le
dimanche ¢, et les cinq autres jours chacun vivait en solitaire, comme on l’a dit. »
103. Sur Chariton, G. Garitte, dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques 12, 1953, col.
421-423, s.v. ; F. Caraffa, dans Bibliotheca Sanctorum 3, 1963, col. 791-792, s.v. ; sur Euthyme, J. Darrouzès,
dans Dictionnaire de spiritualité 4, 2, 1961, col. 1720-1722, s.v. ; V. Grumel, dans Bibliotheca Sanctorum 5, 1964,
col. 329-333, s.v. ; R. Janin, dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques 16, 1967, col. 61, s.v. ; H.
Bacht, dans Dizionario degli Istituti di Perfezione 3, 1975, col. 1347-1349, s.v. ; Id., « Euthymius der Grofbe »,
dans J.G. Plöger et J. Schreiner éd., Heilige im Heiligen Land, Würzburg, 1982, p. 75-80 (non
vidi).
104. Sévère d’Antioche, Epistulae selectae I, 60, trad. Brooks, p. 179 ; Vie de Nicolas de Sion, 78, éd.
Anrich, p. 54, l. 6-7 : ’Αρτεµ τk ε(λα#εστGτI πρεσ#υτQρI καC _ρχιµανδρLτd. « Artémas, le très révérend prêtre
et archimandrite. »
105. Lampe, Patristic Greek Lexicon, s.v. « _##i+ (_##i) » ; H. Emonds, dans Reallexicon für Antike und
Christentum 1, 1950, col. 45-55, s.v. « Abt », en particulier col. 52-53 ; J. Gribomont, dans Dizionario degli
Istituti di Perfezione 1, 1974, col. 23-26, s.v. « Abbas », en particulier col. 23 ; V.J. Dammertz, dans Lexicon für
Theologie und Kirche 1, 1993, col. 96-99, s.v. « Abt, Äbtissin », en particulier col. 96.
106. W.M. Ramsay et G.L. Bell, The Thousand and One Churches (Bin Bir Kilisse and Deghile, Lycaonia),
Londres, 1909, p. 556, no 56 ; G. Laminger-Pascher, Kaiserzeitlichen Inschriften Lykaoniens, 104 : 4#(#)α+
ΠQτρο+ | παπi+, « Abba Pierre, prêtre ».
107. Vie de Longin, 6, trad. Campagnano, p. 51-53.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 225
108. Vie de Nicolas de Sion, 7, éd. Anrich, p. 7, l. 18 à p. 8, l. 3 : eΟ δ' 2σιjτατο+ _ρχιµανδρLτη+ ΝικAλαο+,
τελQσα+ τY 8ργον το1 ;νδAξου οκου τN+ OγLα+ Σι$ν τ< χGριτι το1 Θεο1 καC τ< σπουδ< το1 παιδA+, ;#ουλε]σατο
χειροτονεVν α(τYν πρεσ#]τερον · mν δ' τAτε ;ννεακαLδεκα ;τ@ν. Μετ* τα1τα ;γQνετο τ* ;γκαLνια τN+ ;νδAξου OγLα+
Σιjν. eΟ δ' θεVο+ α(το1 κατεπLστευσεν α(τk τYν 8νδοξον οκον. « Le très saint archimandrite Nicolas [de Pharroa],
ayant achevé les travaux de construction du glorieux sanctuaire de Sainte-Sion par la grâce de Dieu et le zèle
du jeune homme, décida de l’ordonner prêtre. Il était alors âgé de dix-neuf ans. Après cela eut lieu la dédicace
de la glorieuse Sainte-Sion. Son oncle lui confia le glorieux sanctuaire. »
109. Zacharie le Rhéteur, Vie de Sévère, Patrologia Orientalis 2, 1, p. 43 [43], l. 12-15 ; Vie de Gérasime, 10,
éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 184, l. 6-8. Voir la note 79.
110. Voir la note 194.
111. Vie de Théodore de Sykéon, 130, éd. Festugière, p. 104, l. 13-15 ; Sévère d’Antioche, Epistulae
selectae, I, 60, trad. Brooks, p. 179.
112. Vie d’Agapet de Synaus, 23, éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 121, l. 4-8. Voir la note 45.
226 SYLVAIN DESTEPHEN
la capitale, avant qu’il ne soit finalement ordonné évêque en Isaurie 113. Chaque fois,
la crise, interne au monastère, se règle par le départ d’un membre ou une interven-
tion extérieure légitimée par la sainteté de l’intervenant, parfois les deux. Ces récits
illustrent l’ascendant moral, l’élévation et la sagesse du saint.
Loin de ces dissensions, des communautés restent soudées à leur supérieur,
surtout dans les moments difficiles. Il est inutile d’invoquer le témoignage des Vies
des saints orientaux, dont le caractère apologétique, dans un climat d’intolérance et de
persécution, magnifie la solidarité exemplaire, presque édifiante, de communautés
monastiques expatriées, clandestines ou itinérantes. Au début du VIIe siècle, la
menace des Perses, en Asie Mineure, contraint des communautés monastiques à fuir
devant l’ennemi, mais elles demeurent unies autour de leurs supérieurs. La corres-
pondance de Maxime le Confesseur offre l’exemple de moines et de moniales rentrés
à Cyzique sous la conduite de leur higoumène et de leur abbesse 114.
L’autorité du supérieur fonde et maintient l’unité de communautés dont on
ignore la taille car les sources restent muettes sur ce point 115. À la différence de
l’époque mésobyzantine, pour l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, il ne
subsiste aucune charte de fondation et de dotation monastique (τυπικAν) réglant
l’organisation et la vie des moines. Les effectifs et les conditions d’admission
dépendent du supérieur ou du fondateur, mais les cas recensés ne concernent pas de
manière directe le diocèse civil d’Asie. Longin fuit son monastère de Lycie puis, sur
les conseils de son maître spirituel Lucius, abandonne sa retraite dans un martyrium
rural ; il est mis à l’épreuve par un moine portier avant d’entrer au cénobe de Gaius,
près d’Alexandrie. Implantant à Sycae, faubourg de Constantinople, les traditions
du monachisme syriaque, Jean d’Éphèse impose deux années de probation à Abra-
ham, puis le reçoit comme moine pendant cinq ans avant de lui conférer le sacer-
doce 116. Cette ordination revêt un semblant de régularité dans la mesure où Jean
cumule les fonctions de supérieur de couvent et d’évêque hors-les-murs, puisque
son siège nominal d’Éphèse reste contrôlé par la hiérarchie chalcédonienne.
Hormis ce cas particulier, le pouvoir d’ordre dans les milieux conventuels est
régi par les mêmes règles que dans le clergé : un évêque confère les ordres majeurs et
un prêtre peut accorder les ordres mineurs. Dans les communautés asianiques, la
majorité des supérieurs connus sont des prêtres. Il n’est pas étonnant que Nicolas de
113. Vie de Théodore de Sykéon, 81, éd. Festugière, p. 69, l. 46-50.
114. Maxime le Confesseur, Ep., 29, Patrologia Graeca 91, col. 621 C ; ibid., 31, col. 625 B.
115. Une exception dans la Vie d’Eusébie de Mylasa, 8, éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 110, l. 18-21 : (...)
4νθρωπA+ εDµι OµαρτωλY+ καC _νGξιο+ το1 µοναχικο1 σχFµατο+, δι* δ' τ@ν οDκτιρµ@ν το1 Θεο1 πρεσ#]τερA+ εDµι καC
Tγο]µενο+ ZλLγων _δελφ@ν µοναστηρLου το1 OγLου ;νδAξου _ποστAλου ’ΑνδρQου, τY δ' MνοµG µου Πα1λο+ καλο1µαι.
« (...) je suis un pécheur indigne de l’habit monastique, par la compassion de Dieu je suis prêtre et higoumène
de quelques frères du monastère du glorieux saint apôtre André, et je porte le nom de Paul. »
116. Vie de Longin, 15, trad. Campagnano, p. 61 ; Jean d’Éphèse, Vies des saints orientaux, 40, Patrologia
Orientalis 18, 4, p. 648 [446]-649 [447].
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 227
Pharroa, archimandrite lycien du premier tiers du VIe siècle, emmène à Myra son
neveu Nicolas de Sion pour que l’archevêque l’ordonne lecteur 117. Nicolas de
Pharroa n’ordonne pas son neveu parce qu’il ne possède aucun pouvoir d’ordre et
n’est pas encore archimandrite au moment de cette ordination 118. À la même
époque, André et Photius, deux archimandrites et prêtres monophysites de Carie,
confèrent le diaconat, c’est-à-dire le premier des ordres majeurs, à un schismatique
repenti, sans solliciter l’intervention d’un évêque 119. L’absence de prélat de même
confession les a sans doute obligés à cette consécration irrégulière. Les problèmes
canoniques engendrés par l’absence d’une hiérarchie épiscopale monophysite, des-
tituée par l’empereur Justin Ier en 518-519, explique sa reconstitution sur des bases
monastiques un demi-siècle plus tard. Si les distinctions canoniques entre clercs et
moines s’effacent devant l’obligation d’assurer la survie d’un mouvement dissident,
elles s’imposent en revanche avec force à l’Église officielle. Exorcisé par Nicolas,
archimandrite du monastère lycien de Sion, le lecteur Paul délaisse sa paroisse rurale
et vient se placer sous l’autorité de Nicolas. Respectant le principe établi au concile
de Chalcédoine d’incardination des clercs 120, le lecteur Paul s’agrège à la commu-
nauté monastique de Sion, participe aux célébrations liturgiques et repart 121.
L’accueil temporaire, au milieu du VIe siècle, d’un clerc lecteur par une com-
munauté monastique ne fait pas difficulté en raison du processus de hiérarchisation
des moines par leur possession de différents ordres de la cléricature. Sur la cinquan-
taine de moines recensés dans le diocèse civil d’Asie, au VIe ou au VIIe siècle, un seul
a reçu un ordre mineur, le lectorat, sept autres un ordre majeur, la prêtrise. Cette
proportion indique peut-être une ordination et une sacerdotalisation croissantes des
milieux monastiques confirmées par l’apparition d’archimandrites prêtres à partir
du VIe siècle. Le terme de hiéromoine est inusité en Asie Mineure comme dans le
117. Vie de Nicolas de Sion, 5, éd. Anrich, p. 6, l. 6-10 : (...) _πFγαγεν α(τYν πρY+ τYν µακGριον καC 2σιjτατον
_ρχιεπLσκοπον ΝικAλαον ;πC τY χειροτονNσαι α(τYν _ναγνjστην. ’Ιδ$ν δ' 2 2σιjτατο+ _ρχιεπLσκοπο+ τYν τρAπον
το1 παιδA+, πλFρη χGριτο+ Mντα, 8γνω δι* το1 πνε]µατο+, [τι σκε1ο+ Θεο1 ;στιν, καC λα#$ν καC ε(λογFσα+
;χειροτAνησεν α(τYν _ναγνjστην. « (...) il l’emmena au bienheureux et très saint archevêque Nicolas [de Myra]
pour le faire ordonner lecteur. Le très saint archevêque, à la vue du caractère de l’enfant empli de grâce,
reconnut par l’Esprit qu’il était le vase du Seigneur. L’ayant pris et béni, il l’ordonna lecteur. »
118. Prosopographie chrétienne du Bas-Empire 3, p. 718-719, s.v. « Nikolaos 7 ».
119. Sévère d’Antioche, Epistulae selectae I, 60, trad. Brooks, p. 180.
120. Canon 5 de Chalcédoine. Édition et traduction de P.-P. Joannou, Discipline générale antique, I, 1,
p. 74. La circulation des clercs a fait l’objet de mesures restrictives, surtout de la part du concile de Sardique en
343 (canon 1 sur l’interdiction de translation épiscopale, canon 16 sur la durée de séjour des clercs hors de leur
diocèse, canon 19 sur la stabilité des desservants d’une église).
121. Vie de Nicolas de Sion, 64, éd. Anrich, p. 48, l. 21-25 : ’Ιδ$ν δ' α(τYν 2 το1 Θεο1 δο1λο+ ΝικAλαο+,
ε(ξGµενο+ ;π’ α(τk, ;φυγαδε]θη τY πνε1µα τY _κGθαρτον. ΚαC σωφρονFσα+ καC παραµQνων τ< OγLq Σιjν, ;ποLει τgν
τGξιν το1 _ναγνjστου εD+ τYν Mρθρον καC τ* .σπερινG, καC 8ψαλλεν καC _νεγLνωσκεν ε(χαριστ@ν τk Θεk. ΚαC
;πορε]θη εD+ τYν οκον α(το1 JγιN+. « À sa vue, Nicolas, le serviteur de Dieu, fit une prière à son chevet et l’esprit
impur fut chassé. Il retrouva ses esprits et resté à Sainte-Sion, il remplissait la fonction de lecteur aux mâtines
et aux vêpres, psalmodiait et faisait lecture, rendant grâce à Dieu. Puis il rentrait chez lui, guéri. »
228 SYLVAIN DESTEPHEN
Offices et services
La connaissance du quotidien des monastères d’Asie dépend surtout de la Vie
de Nicolas de Sion. L’accroissement de la fortune ecclésiastique, manifeste dès le IVe
siècle, impose aux institutions religieuses de confier leur gestion, de plus en plus
lourde et compliquée 124, à un clerc spécialisé, l’économe. Le concile de Chalcé-
doine, en 451, systématise cette fonction au sein de l’administration épiscopale 125.
Le concile de Nicée II, en 787, étend aux monastères cette obligation. Anticipant la
prescription canonique, des économes seraient attestés dans des monastères asiani-
ques dès l’Antiquité tardive : des inscriptions funéraires mentionnent des économes,
sans que leur appartenance à un couvent soit certaine ni leur caractère chrétien
assuré 126. D’une valeur moins discutable, les actes du concile d’Éphèse de 431
122. Justinien, Novelles, 133, 2 (16 mars 539), éd. Schoell et Kroll, p. 669, l. 15-20 : ΤQσσαρα+ δ' πQντε
πρεσ#]τα+ ;κ τN+ α(τN+ µονN+ εναι κατ* τgν ;ν τk µοναστηρLI καθεστ@σαν OγιωτGτην ;κκλησLαν, ο~+ uδη πi+ _γ$ν
διFνυσται κατ* τgν 4σκησιν καC ο|περ χειροτονLα+ xξLωνται τN+ ;ν τk κλFρI, πρεσ#υτQρων τυχYν διακAνων τ@ν
;φεξN+ 8χοντε+ σχNµα. « Que quatre ou cinq anciens du même monastère desservent l’église très sainte établie
dans le monastère, eux qu’une pratique continuelle de l’ascèse a déjà parfaits et qui ont été jugés dignes de
l’ordination dans le clergé, ayant revêtu l’habit des prêtres, des diacres ou de ceux qui viennent après. »
123. Inschriften von Iasos, 419 : [ e Ησ]χιο+] ;λQϊ Θεο1 πρωτοπρεσ#]τερο[+] | [_νενQ]ωσα εD+ λAγον ;µαυτο1
τAνδε | [τ]Yν ;jνιον οκον. ΕD δQ τι+ τορµFσι |10 [4λλ]ον τιν* ;πι#Gλε, διδAνε τ< | [Oγι]οτGτd ;κλησLq χρυσi
νο(µLσµατα) δεκαδ]ο. | (...) καC µονgν µονFρη ;πιθυµFσα+ |20 τα]τη αRρετF µε (...). « (...) Moi Hésychius, par la
grâce de Dieu protoprêtre, j’ai restauré pour mon propre compte cette demeure éternelle. Si quelqu’un ose
déposer quelqu’un d’autre, qu’il donne à la très sainte Église douze sous d’or. (...) Et ayant désiré une retraite
solitaire, celle-ci a été mon choix (...). » Le caractère isopséphique de cette inscription explique ses libertés avec
la langue. L’autre mention dépend d’une restitution sur une inscription voisine de Laodicée Brûlée, en Pisidie.
Voir Monumenta Asiae Minoris Antiqua VII, 88 : λA[γον 8χοντε+] |5 τ@ν ;ντολ@[ν τε καC διαστο]|λN+ α(το1 Πρ[LµI
(?) πρωτοπρ(εσ#υτQρI)] | _νεστFσα[µεν εD+ κAσµον] | [α(]τk τε κα[C τN µον< µνFµη+] | [χG]ριν. « (...) tenant compte
de ses ordres et de ses dispositions, pour Primus, protoprêtre, nous avons érigé (cette pierre tombale) comme
tombeau pour lui et pour le monastère, en mémoire. »
124. En 398, l’obligation imposée aux évêques de recruter des moines en cas de pénurie de clercs, semble
motivée par la crainte de voir le personnel financier passer à leur service (Codex Theodosianus 16, 2, 32). Deux
lois, de 361 et 398, excluent de la cléricature les comptables, la seconde contraignant par ailleurs les économes
à rembourser leurs dettes (Codex Theodosianus 8, 4, 7 ; 9, 45, 3).
125. Canon 26 de Chalcédoine et canon 11 de Nicée II. Édition et traduction de P.-P. Joannou, Discipline
générale antique, I, 1, p. 89-90 et 265-266.
126. Journal of Hellenic Studies 24, 1904, p. 283, no 24 (Isaura en Lycaonie) : ∆Aξα οDκονAµεισσα | T σεµνF.
« Doxa, économe, la vénérable » ; Monumenta Asiae Minoris Antiqua VIII, 399 (Néapolis ? en Pisidie) : ΕDρFνη
Λονγιλλιανο1 καC | ΣεουFρου οDκονAµισσα ΣτG|χυι τk DδLI _νδρC σεµνοτGτI | µνεLα+ χGριν. « Irène, fille de
Longillianus surnommé Sévère, économe, pour Stachys, son très vénérable mari, en mémoire » ; ibid. VIII,
136 (Isaura ?) : [Κ]λαυδLα ;κAσµησεν Α(ρ(Fλιον) Θαλαιν τYν 4νδρα α(τN+ οDκο|νAµον 8ντειµον µνFµη+ | χGριν.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 229
l’existence d’un registre de comptes consulté par l’auteur de la Vie, sans doute le
moine Hermaius, frère de Nicolas et du δευτερGριο+ Artémas. Cette parenté dut
faciliter l’accès aux documents comptables.
L’existence d’archives monastiques, conservées en Égypte et disparues en Asie
Mineure, se déduit d’une anecdote. En 548 ou 549, l’évêque julianiste Procope
d’Éphèse opère un revirement doctrinal et anathématise Julien d’Halicarnasse. Issue
du courant monophysite, la théologie peut-être docétiste de cet évêque de Carie,
destitué en 519, est connue par les réfutations de ses adversaires, en particulier
Sévère d’Antioche 141. L’auteur monophysite anonyme de la Chronique de Zuqnin,
autrefois désigné sous le nom de Pseudo-Denys de Tell Mahré, affirme que les
couvents d’Asie conservent une copie de la lettre de repentir de l’évêque Procope 142.
Le Pseudo-Denys de Tell Mahré doit tirer ce renseignement de la partie disparue de
l’Histoire ecclésiastique de Jean d’Éphèse. Celui-ci, au cours de ses voyages en Asie et
de ses séjours dans les monastères monophysites de la région, dut découvrir ou
obtenir une version de cette lettre utilisée dans la polémique contre les julianistes. Il
serait exagéré d’imaginer de véritables bibliothèques monastiques, et il n’est pas fait
mention de moines scribes, calligraphes, relieurs ou enlumineurs comme en Égypte
à la même époque 143.
Rares et coûteux, les livres n’apparaissent dans aucun monastère asianique.
Dans sa controverse avec Julien d’Halicarnasse, Sévère accuse son adversaire
τQσσαρα. ΚαC µετ* τY ;µπλησθNναι πGντε+ ;δAξασαν τYν ΘεYν δι* το1 δο]λου α(το1. « Et ils s’en allèrent à l’oratoire
de Saint-Georges où il abattit sept bœufs. Et les foules furent assemblées au point qu’il y eût deux cents tables
servies. Le serviteur de Dieu prit en charge les dépenses de cent mesures de vin et de quarante modii de pain.
Et ils mangèrent tous, furent rassasiés et glorifièrent Dieu qui a donné la grâce à son serviteur Nicolas. Et
soixante mesures de vin, cent pains et quatre mesures d’huile restèrent en plus. Et après avoir été rassasiés, tous
glorifièrent Dieu par l’intermédiaire de son serviteur. » ; ibid., 56, p. 43, l. 18 à p. 44, l. 1 : ’Ε#Gστασεν δ' _πY το1
µοναστηρLου νοµLσµατα... καC ονου µQτρα .#δοµFκοντα καC σLτου µAδια τριGκοντα. « Il apporta du monastère...
sous, soixante-dix mesures de vin et trente modii de blé. » ; ibid., 58, p. 45, l. 27-29 : (...) 8δωκεν ΝικολGI τk
διακAνI Jπ'ρ τελειjσεω+ το1 8ργου νοµLσµατα ZγδοFκοντα µισυ, προστGξα+ τ* _ναλjµατα ογε]εσθαι _πY το1
ε(αγο1+ α(το1 µοναστηρLου. « (...) il donna 80 sous et demi au diacre Nicolas pour l’achèvement des travaux et
ordonna que les dépenses soient assurées par son vénérable monastère. » ; ibid., 59, p. 46, l. 5-7 : ΚαC 8στιν 2
σπAρο+ το1 χωρLου µοδLων εκοσι πQντε το1 µεγGλου, καC ο(δέν ποτε ;ποιFσαµεν περισσYν τ@ν εκοσι πQντε µοδLων.
« Et l’ensemencement du grand domaine représente vingt-cinq modii et nous n’en avons jamais retiré plus de
vingt-cinq modii. » ; ibid., 69, p. 50, l. 21-22 : ΚαC ψηφLσα+ τgν 8κ#ασιν το1 κτLσµατο+ το1 αeγLου οι κου τN+
ΘεοτAκου, ηυeρQθησαν νοµLσµατα τετρακAσια . « Et ayant calculé le coût total de la construction de l’église de la
sainte Mère de Dieu, on arriva à quatre cents sous. »
141. R. Draguet, Julien d’Halicarnasse et sa controverse avec Sévère d’Antioche sur l’incorruptibilité du
corps du Christ. Étude d’histoire littéraire et doctrinale suivie des Fragments dogmatiques de Julien, Louvain, 1924.
142. Chronique de Zuqnin, a. 860, trad. Hespel, p. 91, l. 31 à p. 92, l. 5.
143. C. Scholten, « Die Nag-Hammadi-Texte als Buchbesitz der Pachomianer », Jahrbuch für Antike und
Christentum 31, 1988, p. 144-172 ; C. Kotsifou, « Books and Book Production in the Monastic Communities of
Byzantine Egypt », dans W. Klingshirn et L. Safran éd., The Early Christian Book, Washington, 2007,
p. 48-66 ; A. Maravela-Solbakk, « Monastic Book Production in Christian Egypt », dans H. Froschauer et C.E.
Römer éd., Spätantike Bibliotheken. Leben und Lesen in den frühen Klöstern Ägyptens, Vienne, 2008, p. 25-37.
Nous remercions M. Michel-Yves Perrin pour ces références.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 233
d’envoyer des moines répandre sa doctrine et déclare vouloir protéger les gens
simples et les moines 144, les estimant sans doute moins armés face aux idées de
Julien et plus susceptibles d’y succomber, faute d’une formation théologique suffi-
sante. Pour résoudre ce problème, Justinien instaure en 539 la lecture régulière des
Écritures saintes par les moines afin de contribuer à leur perfection spirituelle et
morale 145.
La contribution de la société
Le monachisme asianique donne l’impression d’une relative liberté des moines
vis-à-vis des autorités diocésaines, civiles, mais aussi monastiques. Pèlerinage, péré-
grination, mission, translation, retraite ou fuite, des moines se soustraient ou
s’affranchissent de la tutelle de leur supérieur et de la compagnie de leurs frères, sans
toujours enfreindre un principe de clôture encore peu tangible 146. Certes, parmi les
sources disponibles, il faut user avec prudence des Vies des saints orientaux, qui
dépeignent des moines et des couvents monophysites itinérants, par nécessité et non
par choix. Les persécutions visent à déloger et disperser des communautés dissiden-
tes. Cette liberté forcée s’oppose à la stabilité des couvents chalcédoniens, monastè-
res d’autant plus stables qu’ils bénéficient de l’appui humain, juridique et financier
de l’État et de l’Église.
Étroites sont les relations entre le monde monastique et ces institutions qui se
soutiennent. De manière un peu schématique, à la fondation d’un couvent, le monde
fournit les hommes et la terre, tandis que le couvent s’érige contre le monde par son
refus des valeurs du siècle, mais s’associe à lui par ses prières.
Mal documentée, la fondation de monastères est attestée dans la seconde moitié
du IVe siècle, le couvent phrygien d’Agapet de Synaus, antérieur à Constantin,
144. Zacharie le Rhéteur, HE, IX, 13, trad. Brooks, p. 78, l. 11-14.
145. Justinien, Novelles, 133, 2 (16 mars 539), éd. Schoell et Kroll, p. 669, l. 7-14 : (...) τN+ δ' λειτουργLα+
πληρωθεLση+ τY µ'ν µοναχικYν παν αθι+ ;πC τY κοινA#ιον χωρεVν κ_κεVσε καθNσθαι, καC τAν τε µQγαν Rκετε]ειν ΘεYν
ταV+ τε θεLαι+ ;ντυγχGνειν γραφαV+. Πολa+ γ*ρ 2 RερY+ τ@ν τοιο]των βι#λLων χορA+, καC δυνατA+ ;στιν .κGστου τgν
ψυχgν ;πανορθο1ν καC ;πGρδειν τοV+ RεροV+ λογLοι+, περ εD συνεχ@+ _ναγινjσκοιεν, ο(κ 4ν ποτε σφαλεVεν ο(δ' εD+
_νθρωπLνα+ κατενεχθεVεν µερLµνα+. « (...) une fois la messe terminée, que tous les moines reviennent au cénobe et
y demeurent, adressent leurs prières à Dieu Grand et lisent les Saintes-Écritures. En effet, le très vaste corpus
sacré de tels livres est également capable de redresser l’âme de chacun et de l’alimenter des saintes paroles
et, si on les lisait souvent, on ne tomberait jamais dans l’erreur ni ne s’abaisserait aux préoccupations
humaines. »
146. Dans la législation, les mesures restreignant la circulation des moines sont soit abrogées (loi du
17 avril 392 dans Codex Theodosianus 16, 3, 1-2), soit limitées à la capitale (loi du 11 février 430 dans Codex
Iustinianus 1, 3, 22).
234 SYLVAIN DESTEPHEN
147. Vie d’Agapet de Synaus, 2, éd. Papadopoulos-Kérameus, p. 114, l. 10-13 : (...) τινι µοναστηρLI
τ@ν κατ* τgν ΣυναYν ZρQων κειµQνI, µεγLστI µ'ν εD+ _ρετN+ λAγον, µεγLστI δ' καC τk πλFθει τ@ν ;ν
α(τk συνειλεγµQνων θεLων _νδρ@ν. « (...) un monastère situé dans les montagnes des environs de Synaus,
très important en raison de sa vertu et très important par la foule des hommes de Dieu qu’il rassem-
blait. »
148. Sozomène, HE, V, 15, 5 ; Socrate, HE, II, 38, 4.
149. Sozomène, HE, V, 15, 4.
150. Ibid., III, 11, 3.
151. Pallade, Dialogue sur la vie de Jean Chrysostome, 20 : ’Ιjαννη+ 2 το1 ΑDθρLου µοναστFριον συνεκρAτησεν
;ν ΚαισαρεLq [sive ;ν ΚαρLq]. « Jean de l’Aethrion érigea de ses mains un monastère à Césarée [ou en Carie]. »
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 235
personnelle, c’est une évidence, mais peut-être aussi le manque de moyen d’un
fondateur contraint à la clandestinité.
Sous la dynastie théodosienne, la conversion au christianisme d’une part crois-
sante, au point de devenir majoritaire 152, des élites de l’Empire est contemporaine de
la diffusion du monachisme hors de ses terres d’élection 153. C’est à cette époque que
l’ermite Basile, diacre à Antioche puis anachorète en Thébaïde, établit en Lycie un
monastèrefémininetunmonastèremasculin,puisgagneConstantinople,vers430 154.
L’influence de la nouvelle capitale s’exerce sur le diocèse civil d’Asie avant que le
concile de Chalcédoine ne sanctionne sa sujétion au patriarcat de Constantinople 155.
Si, dans le cas d’Éleusius de Cyzique, Jean de l’Aethrion ou Basile, on ignore
l’origine du financement de leurs communautés, dans la seconde moitié du Ve siècle,
les fondations d’Eusébie et de Paralius mobilisent les ressources personnelles de leur
fondateur. Refusant de se marier, la noble Romaine Eusébie se retire à Mylasa en
Carie où elle achète un terrain, près de la cathédrale et d’un ancien sanctuaire païen
désaffecté, pour construire un oratoire puis un monastère 156. Le couvent d’Eusébie
constitue une fondation privée et personnelle. Il partage ces caractéristiques avec le
couvent établi à Aphrodisias par le jeune moine Paralius avec le soutien de sa famille,
après un séjour à l’Énaton d’Alexandrie et sa conversion au christianisme 157. Ces
monastères satisfont les aspirations spirituelles de leurs fondateurs par l’abandon de
leur position sociale au profit d’une vie communautaire.
Au VIe siècle, la capitale continue d’exercer une influence sur les fondations
monastiques en Asie Mineure. Suivant un récit hagiographique tardif d’une valeur
incertaine, le monastère de Clazacium, dans l’île de Proconnèse au large de l’Hel-
lespont, serait une fondation de l’impératrice Théodora pour remercier un saint
évêque, Timothée, de la guérison miraculeuse de sa fille. Le monastère accueille les
(trad. Malingrey et Leclercq). Sur le monastère de l’Aethrion, voir R. Janin, La géographie ecclésiastique de
l’Empire byzantin, 1, 3, p. 350.
152. P. Brown, « Aspects of the Christianization of the Roman Aristocracy », Journal of Roman Studies
51, 1961, p. 1-11, en particulier p. 9 ; R. von Haehling, Die Religionszugehörigkeit der hohen Amtsträger des
Römischen Reiches seit Constantins I. Alleinherrschaft bis zum Ende der Theodosianischen Dynastie (324-450 bzw.
455 n. Chr.), Bonn, 1978, p. 507-511 et 581-605 ; T. Barnes, « Religion and Society in the Age of Theodosius »,
dans H.A. Meynell éd., Grace, Politics and Desire. Essays on Augustine, Calgary, 1990, p. 157-175, en particulier
p. 160-161 ; T. Barnes et R.W. Westall, « The Conversion of the Roman Aristocracy in Prudentius’ Contra
Symmachum », Phoenix 45, 1991, p. 50-61, en particulier p. 58-59 ; G. Clemente, « Cristianesimo e classi
dirigenti prima e dopo Costantino », dans S. Roda éd., La parte migliore del genere umano. Aristocrazie, potere e
ideologia nell’Occidente romano, Turin, 1994, p. 59-78, en particulier p. 68-70. Nous remercions M. François
Chausson pour ces références bibliographiques.
153. C. Neri, « Influenze monastiche e nuovi codici di comportamento per le élites laiche e le gerarchie
ecclesiastiche », dans R. Lizzi Testa éd., Le trasformazioni delle élites in età tardoantica, Rome, 2006, p. 297-310.
154. Jean Rufus, Plérophories, 35, Patrologia Orientalis 8, 1, p. 78 [478], l. 3 à p. 79 [479], l. 4.
155. Canon 28 de Chalcédoine. Édition et traduction de P.-P. Joannou, Discipline générale antique, I, 1, p. 92.
156. Vie d’Eusébie de Mylasa, 10, éd. Nissen, p. 110, l. 35 à p. 111, l. 5. Voir la note 35.
157. Zacharie le Rhéteur, Vie de Sévère, Patrologia Orientalis 2, 1, p. 43 [43], l. 12-15.
236 SYLVAIN DESTEPHEN
Malgré son caractère anecdotique, ancré dans un contexte de dissidence, cet exemple
corrobore les autres attestations de fondations monastiques : l’initiative et le finan-
cement semblent extérieurs au diocèse civil d’Asie, peut-être parce que les sources
historiques le sont également.
tains. En 401, Jean Chrysostome place sur le trône épiscopal son diacre Héraclide,
originaire de Chypre et moine en Égypte ; dans le dernier quart du Ve siècle, Julien,
autrefois économe du couvent des Acémètes sur le Bosphore, accède à l’épiscopat
d’Éphèse ; enfin, dans les années 550, Abraham, fondateur d’un monastère à Cons-
tantinople puis d’un autre à Jérusalem, devient à son tour évêque 173. À l’inverse,
dans le reste de l’Empire, aucun moine asianique n’accède à l’épiscopat, hormis le
Lycien Urbicius, peut-être évêque en Cilicie en 404, et le Lycaonien Paul, évêque en
Isaurie à la fin du VIe siècle 174. La rareté de ces cas confirme le faible renom d’un
monachisme demeuré très local.
Pour une région dotée d’un réseau épiscopal exceptionnel, grâce au répertoire
prosopographique, on dispose de chiffres indiquant la part, importante ou très
relative, selon l’angle de vue adopté, des milieux monastiques dans le recrutement
des évêques. Des quelque 70 moines, archimandrites et higoumènes connus, environ
un cinquième accède à l’épiscopat. Rapporté au contingent des 870 évêques recen-
sés, le groupe des prélats d’origine monastique paraît dérisoire, mais on ignore la vie
de la plupart d’entre eux avant l’épiscopat. Éclipsés par les évêques dans les sources,
les moines apparaissent s’ils entretiennent avec l’épiscopat des relations, qui pren-
nent la forme de conseils spirituels, d’ordinations épiscopales, de controverses
théologiques, voire de farouches oppositions. L’importance des couvents semble
surestimée dès lors que le monophysisme se replie sur eux. Dans ce courant devenu
hétérodoxe et réduit à la clandestinité, le recrutement d’évêques parmi les moines se
fait par nécessité plus que par choix, en raison de la disparition ou de la dispersion du
clergé diocésain. De monastères mésopotamiens et syriens viennent les évêques
ordonnés par Jacques Baradée, lors de son voyage en Asie Mineure 175. À son tour,
Jean d’Éphèse ordonne des membres de sa communauté de Sycae, comme son
compagnon Deutérius, élevé nominalement au trône d’Aphrodisias, en 576 ou 577.
Minorité au sein d’une minorité, la hiérarchie julianiste, fondée par Julien d’Hali-
carnasse en opposition à l’Église monophysite, promeut des moines à l’épiscopat.
Vers 549, l’évêque julianiste Eutrope d’Éphèse, ancien moine, ordonne quatre
évêques dont un moine 176. Privé de clergé, ce groupe dissident doit lui aussi trouver
ses évêques dans des couvents.
173. Sozomène, HE, VIII, 6, 2 (Héraclide) ; Vie de Marcel l’Acémète, 15, éd. Dagron, p. 299-300 ; Jean
Moschus, Pré spirituel, 97, Patrologia Graeca 87, 3, col. 2956 C-D.
174. L’identification du moine Urbicius avec un évêque homonyme (cf. Jean Chrysostome, Ep., 108,
Patrologia Graeca 52, col. 667) est proposée par R. Pouchet, Basile le Grand et son univers d’amis d’après sa
correspondance. Une stratégie de communion, Rome, 1992, p. 439-441. Quant à Paul de Lycaonie, voir la Vie de
Théodore de Sykéon, 81, éd. Festugière, p. 69, l. 46-50.
175. E. Honigmann, Évêques et évêchés monophysites d’Asie antérieure au VIe siècle, p. 207-215.
176. Jean d’Éphèse, HE, II, 44, trad. Brooks, p. 81, l. 11-20 ; Jean d’Antioche, Plérophorie de la foi
orthodoxe et apostolique, 1, trad. Draguet, Le Muséon 54, 1941, p. 84.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 241
Soumission ou contestation
Le confinement puis la disparition, au cours du VIe siècle, de mouvements
hétérodoxes dans les monastères d’Asie Mineure constitue l’ultime étape d’un long
processus d’assujetissement des milieux conventuels à l’épiscopat. Jusque-là, la libre
fondation de communautés, la participation spontanée des élites ecclésiastiques et
laïques à l’essor du monachisme, son ouverture sur l’extérieur, révèlent un monde
monastique mal organisé et peu soumis à l’autorité épiscopale. Il est frappant de
constater l’absence de canons réglementant la vie des moines jusqu’au concile de
Chalcédoine, en 451. Les canons du concile réuni vers 340 à Gangres, la métropole
de Paphlagonie, réagissent contre les excès d’un certain ascétisme anatolien (mépris
du mariage, hostilité vis-à-vis de la famille, séparatisme eucharistique, interdits
alimentaires, particularismes vestimentaires, mépris de la propriété, contestation de
l’esclavage), mais ne disent rien de la vie monastique 177. Certes les deux mouve-
ments sont liés et les condamnations visent les sectateurs rigoristes d’Eustathe de
Sébaste, mais ceux-ci vivent en dehors de structures communautaires rigides. À la
même époque, les préceptes monastiques attribués à Pachôme ou ceux réunis par
Basile de Césarée demeurent très généraux, au point que ce dernier n’emploie jamais
le terme de moine dans ses sentences plus ascétiques que pratiques.
Le concile de Chalcédoine légitime, de manière définitive et irrévocable, un
droit d’intervention directe et permanente de l’autorité épiscopale dans le monde
monastique pour contrôler sa discipline, structurer son organisation et réduire ainsi
son autonomie 178. Ce ne sont pas moins de 7 des 28 canons de Chalcédoine qui
traitent, exclusivement ou en partie, des moines. Ils leur interdisent la gestion de
biens ou l’exercice d’emplois séculiers (canons 3 et 7) et les excluent des affaires
ecclésiastiques (canon 4). Dorénavant, les moines sont soumis à l’évêque, qui veille
sur des couvents aux biens devenus inaliénables et autorise l’installation des nouvel-
les communautés (canons 4, 8 et 24). La condamnation des moines et des moniales
s’affranchissant du célibat, énoncée en 314 au concile d’Ancyre 179, est répétée, mais
l’évêque peut, le cas échéant, lever la sentence d’excommunation (canon 16). La
présence en ville de moines gyrovagues est dénoncée (canon 4) et, sous peine
d’expulsion, les moines doivent détenir la permission écrite de leur évêque pour
résider dans la capitale, même à titre temporaire (canon 23) 180.
177. Les canons du concile de Gangres ont été édités et traduits par P.-P. Joannou, Discipline générale
antique (IVe-IXe s.), I, 2. Les canons des synodes particuliers, Grottaferrata, 1963, p. 85-99.
178. R. Ueding, « Die Kanones von Chalcedon in ihre Bedeutung für Mönchtum und Klerus », dans
A. Grillmeier et H. Bacht éd., Das Konzil von Chalcedon, 2, p. 569-676, en particulier p. 630-642.
179. Canon 19 d’Ancyre. Édition et traduction de P.-P. Joannou, Discipline générale antique, I, 2, p. 70.
180. Voir P.-P. Joannou, op. cit., I, 1, p. 71-76, 82, 87-88.
242 SYLVAIN DESTEPHEN
La concomitance des canons avec des lois forçant les moines à l’obéissance
révèle une reprise en main concertée du monachisme par l’Église et l’État. Le
23e canon de Chalcédoine, qui conditionne le séjour des moines à Constantinople à
la possession d’un mandat épiscopal, est précédé de plusieurs lois qui restreignent la
circulation des moines et leur accès à la capitale. La première mesure, adoptée par
Théodose Ier en 390, est certes rapportée par le même empereur deux ans plus
tard 181. L’obligation pour les moines et les clercs de détenir une lettre de mission de
leur évêque est rétablie en 445 par une loi de Théodose II, reprise dans la législation
de Justinien 182. Mieux, une loi de 471 interdit aux moines, hormis leurs délégués
(_ποκρισιGριοι), de sortir du couvent pour séjourner en ville, qu’il s’agisse d’Antioche
ou d’une autre cité 183. Non seulement l’État soutient l’effort de mise sous tutelle
ecclésiastique de milieux monastiques jugés turbulents, mais il devance les mesures
adoptées par l’Église en 451, preuve que la réglementation conciliaire soumettant les
moines aux évêques est d’inspiration impériale. La réitération ou le durcissement de
ces lois traduit l’inquiétude, récurrente et croissante, du pouvoir civil devant les
déplacements incontrôlés de moines qui, en l’absence d’ordination, ne sont pas
soumis au principe d’incardination ecclésiastique.
La législation tente de mettre un terme à des débordements monastiques de
plus en plus graves, en particulier dans la capitale. À la fin du mois de juin 431, des
moines de Constantinople organisent une démonstration de force : ils se rendent en
nombre au palais pour impressionner l’empereur et lui remettre une supplique. Une
fois introduits auprès de Théodose II, les archimandrites tentent de le convaincre
d’accepter la destitution du patriarche Nestorius prononcée à Éphèse, quelques
jours plus tôt, par le concile convoqué de manière unilatérale par Cyrille d’Alexan-
drie. Persuadés d’avoir obtenu gain de cause, les archimandrites réunissent moines
et fidèles pour rendre compte de leur audience, avant de jeter l’anathème sur
181. Codex Theodosianus 16, 3, 1 (2 septembre 390) ; 16, 3, 2 (17 avril 392).
182. Codex Iustinianus 1, 3, 22, 2 (11 février 445), éd. Krueger, p. 21 : Praeterea iubemus, ut omnes clerici
atque monachi, qui de suis ciuitatibus ad hanc almam urbem ecclesiastici negotii uel religionis causa proficiscuntur,
litteris episcopi, cui unusquisque iter faciens obsequitur, muniti adueniant : scituri quod, si citra hanc fiduciam
accesserint, sibimet imputabunt, quod non clerici uel monachi esse putabuntur. « En outre, Nous ordonnons que
tous les clercs et moines qui, en raison d’une affaire ecclésiastique ou religieuse, se rendent de leurs cités vers
cette ville bienfaitrice, arrivent munis d’une lettre de l’évêque auquel chacun en déplacement est soumis ; qu’ils
sachent que, s’ils passent outre cette disposition, ils courront le risque de ne pas être considérés comme des
clercs ou des moines. »
183. Codex Iustinianus 1, 3, 29 (1er juin 471), éd. Krueger, p. 22 : ΟR ;ν τοV+ µοναστηρLοι+ διατρL#οντε+
µg ;χQτωσαν ;ξουσLαν ;ξιQναι τ@ν µοναστηρLων καC ;ν τ< ’ΑντιοχQων καC ;ν .τQραι+ πAλεσιν _ναστρQ-
φεσθαι, JπεξαιρουµQνων µAνων τ@ν καλουµQνων _ποκρισιαρLων, ο~+ 4δειαν παρQχοµεν ;θQλουσι δι* µAνα+ _να-
γκαLα+ _ποκρLσει+ εDσιQναι. « Que ceux qui résident dans les monastères ne soient pas autorisés à sortir des
monastères pour se rendre dans la ville d’Antioche ou dans d’autres villes, exception faite de ceux appelés
apocrisiaires, à qui nous accordons une permission s’ils le souhaitent, à condition d’y aller pour des raisons
nécessaires. »
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 243
Nestorius 184. En novembre 448, lors d’une séance du synode permanent réuni
autour du patriarche Flavien de Constantinople, l’évêque Eusèbe de Dorylée
dénonce pour hérésie l’archimandrite Eutychès, l’un des protagonistes de la mani-
festation de 431. L’accusateur affirme qu’Eutychès fomente une révolte des cou-
vents de la capitale et de ses environs, Chalcédoine comprise. En réalité, soucieux de
gagner le soutien des supérieurs des communautés de Constantinople et de ses
faubourgs pour apparaître en position de force, Eutychès a adressé une profession de
foi réunissant les Symboles de Nicée et d’Éphèse pour recueillir leurs souscriptions.
Il se présente devant le synode, escorté de nombreux moines, mais aussi de gardes
dépêchés par le préfet du prétoire d’Orient 185.
Ces débordements se reproduisent à Éphèse, en écho aux mêmes querelles,
dans des circonstances plus dramatiques car moins contrôlées. Dans une lettre
adressée en juin 431 à Théodose II pour le presser de rétablir l’ordre, Nestorius
dénonce le climat de violence que font régner dans la ville les partisans armés de
Cyrille d’Alexandrie. L’évêque de la cité, Memnon, est qualifié de « chef de
l’émeute » (8ξαρχο+ τN+ στGσεω+) pour avoir fermé les églises, les martyria et la
basilique Saint-Jean afin, selon Nestorius, d’empêcher ses alliés de s’y réfugier alors
que des menaces de mort ont été proférées contre eux 186. Début juillet, l’évêque
Jean d’Antioche, autre adversaire de Cyrille d’Alexandrie, relate à l’empereur une
échauffourée provoquée aux abords de la basilique par des serviteurs armés du
« tyran » Memnon 187. Une lettre de ce dernier au clergé de Constantinople présente
une autre version des événements. Elle met en cause les soldats du délégué impérial,
le comte Candidien, et dénonce la présence d’employés des bains de Constantinople,
de bénéficiaires de l’aide alimentaire locale et de paysans travaillant les terres de
l’Église, sans doute celle de la capitale. À la suite de démarches infructueuses auprès
des curiales d’Éphèse pour leur extorquer un décret de destitution, la venue de Jean
d’Antioche à la basilique s’inscrit dans un projet de déposition de Memnon et de
consécration d’un successeur. Cette annonce provoque la révolte des partisans de
Memnon qui occupent les lieux de culte. Des pauvres, attaqués près de la basilique
par des partisans en armes de Jean d’Antioche, sont laissés pour morts 188. Les
accusations échangées par les deux camps font porter la responsabilité des violences
sur des groupes dont la désignation incertaine (domestiques, soldats, personnel
thermal, nécessiteux, paysans, laïcs armés), rend l’identification difficile, d’autant
que Cyrille d’Alexandrie se défend d’avoir introduit dans la ville des parabalans sous
l’apparence de clercs (κανονικοL). Les délégués de Jean d’Antioche dans la capitale
184. ACO, I, 1, 2, p. 68-69.
185. ACO, II, 1, 1, p. 126, l. 32-33 ; p. 133, l. 30-34 ; p. 138, l. 4-7.
186. ACO, I, 1, 5, p. 14, l. 15-23.
187. ACO, I, 1, 5, p. 126, l. 36 à p. 127, l. 11.
188. ACO, I, 1, 3, p. 46, l. 9-15 ; p. 46, l. 34 à p. 47, l. 10.
244 SYLVAIN DESTEPHEN
accusent même les cyrilliens d’avoir déguisé des esclaves en moines pour bloquer
l’accès à la basilique Saint-Jean 189. La présence au concile de 431 de moines
constantinopolitains, égyptiens ou syriens n’est donc pas certaine. En revanche, il
apparaît que Memnon dispose de troupes de choc recrutées parmi le personnel, laïc
ou ecclésiastique, desservant les lieux de culte, tandis que les moines d’Éphèse ou des
environs sont inexistants.
En août 449, le second concile d’Éphèse est le théâtre de violences perpétrées
par des moines. Peu avant la réunion, 300 d’entre eux, favorables à Eutychès, et des
soldats menés par les commissaires impériaux envahissent le palais de l’évêque
Étienne et, selon le récit de ce dernier, menacent de l’exécuter pour avoir accueilli et
reçu dans sa communion des clercs de Constantinople et l’évêque Eusèbe de
Dorylée, l’adversaire d’Eutychès. Au terme de la première séance, des soldats et des
moines, certains venus avec l’archimandrite syrien Barsauma, bloquent jusqu’au
soir les Pères dans la basilique conciliaire, Étienne dans le secrétariat, et les obligent
à souscrire à la déposition de Flavien de Constantinople et d’Eusèbe de Dorylée 190.
Les troubles qui frappent les conciles d’Éphèse ne traduisent pas l’intervention de
moines locaux, mais l’impuissance des autorités, en particulier les commissaires
impériaux et le proconsul d’Asie, à empêcher la venue de moines originaires de
Constantinople, d’Égypte ou de Syrie.
La mort subite de Théodose II, en 450, et l’avènement de sa sœur Pulchérie,
mariée à Marcien, permettent une révision de la politique religieuse et la convoca-
tion d’un nouveau concile, à Chalcédoine. Soucieuse de ne pas répéter les erreurs du
précédent concile, Pulchérie enjoint au gouverneur de Bithynie, où est située Chal-
cédoine, d’expulser au préalable tous les individus dépourvus de convocation impé-
riale ou d’autorisation épiscopale 191. Les moines sont visés au premier chef alors
que l’agitation règne dans les couvents de Syrie, à l’instigation de Barsauma 192.
Selon les souhaits des autorités, la législation conciliaire sanctionne une reprise en
189. ACO, I, 1, 3, p. 50, l. 29-32 ; ACO, I, 1, 7, p. 74, l. 41 à p. 75, l. 1.
190. ACO, II, 1, 1, p. 75, l. 26-31, p. 75, l. 37 à p. 76, l. 2 ; p. 88, l. 13-16 ; p. 93, l. 23-25.
191. ACO, II, 1, 1, p. 29, l. 17-25 : (...) τιν'+ δQ, ωe+ ;πυθAµεθα, τ@ν ταρGττειν εDωθAτων καC συγχεVν τgν τk
Θεk φLλην ε(ταξLαν ;πεισφρFσαντε+ .αυτοa+ τ< ΝικαQων κληρικοL τε καC µονGζοντε+ καC λαικοC θορυ#εVν ;πιχειρο1σι,
διαφιλονεικο1ντε+ παρ* τ* TµVν δεδοκιµασµQνα, _ναγκαLω+ τAδε τY ε(σε#'+ πρY+ τgν σgν λαµπρAτητα διαπεµπAµεθα
γρGµµα {στε σε µετ* πGση+ στερρAτητο+ τοa+ δLχα TµετQρα+ κλFσεω+ ;πιτροπN+ τ@ν οDκεLων ;πισκAπων α(τAθι
;νδηµο1ντα+ κληρικο]+, ετε ;ντY+ τυγχGνοιεν βαθµο1 ετε καC τιν'+ ;ξ α(τ@ν JπY τ@ν οDκεLων ;πισκAπων
_πjσθησαν, µονGζοντα+ λαικοa+ ο+ ο(δεC+ λAγο+ ;πC σ]νοδον καλεV, πGντd _πελGσαι τN+ πAλεω+ τε καC τ@ν
α(τAθι τAπων (...). « (...) certains, comme nous l’avons appris, de ceux enclins à provoquer de l’agitation et à
bouleverser l’ordre cher à Dieu se sont introduits à Nicée, des clercs, des moines et des laïcs, et tentent de semer
le trouble en contestant avec force les décisions par nous approuvées ; par nécessité nous envoyons cette pieuse
lettre à Ta Splendeur afin que tu chasses avec toute latitude de la cité et de ses environs les clercs se trouvant ici
sans convocation de notre part ou permission de leurs propres évêques, qu’ils soient en fonction, ou que
certains d’entre eux aient été déposés par leurs propres évêques, ou les moines ou les laïcs que nulle raison
n’amène au concile (...). »
192. ACO, II, 1, 2, p. 115 [311], l. 10-12 ; p. 116 [312], l. 29-30.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 245
main des milieux monastiques. Si aucune région n’est désignée, l’Égypte et la Syrie
sont visées par la réaction du clergé et du pouvoir. Entre 452 et 454, six lettres de
Marcien et Pulchérie défendant le dogme défini à Chalcédoine sont adressées aux
clercs, archimandrites et moines de Palestine, du Sinaï et d’Alexandrie, preuve de
l’importance accordée à ces foyers monastiques 193. La localisation des destinataires
dessine, en creux, la carte des zones d’opposition au dogme de Chalcédoine, à savoir
l’Égypte et la Syrie. L’absence, parmi les destinataires, de l’Asie Mineure, mais aussi
des Balkans, est éloquente. Au centre des débats et des conflits, le diocèse civil d’Asie
ignore ces violences et ces résistances car son monachisme est trop faible ou trop
soumis pour s’opposer à l’épiscopat, a fortiori au pouvoir civil.
Le pouvoir séculier
La véritable mise en ordre des moines, voire leur mise au pas, date du VIe siècle.
Déjà l’empereur Anastase interdit à un supérieur de diriger deux monastères et rend
l’évêque responsable de l’installation de l’higoumène et celui-ci de celle de ses
moines 194. Les mesures décisives sont prises par Justinien, dès 529 195. La première
loi interdit les monastères doubles, ordonne la séparation des communautés mixtes
en établissements distincts, le groupe le plus restreint devant partir, et partage leurs
biens mobiliers et immobiliers en proportion de leurs effectifs 196. Cette loi renforce
193. ACO, II, 1, 3, p. 124 [483]-136 [495].
194. Codex Iustinianus 1, 3, 39 (40) (Anastase), éd. Krueger, p. 25 : ΘεσπLζοµεν µηδQνα δ]ο TγεVσθαι
µοναστηρLων, _λλ* εναι µ'ν τα1τα JπY τYν τN+ ;νορLα+, καθ’ ν διGγουσι, θεοφιλQστατον ;πLσκοπον, }καστον δ'
Tγο]µενον 8χειν }να, ;φ’ τε τ< µ'ν το1 TγουµQνου καταστGσει καC τοV+ παρ’ α(το1 γινοµQνοι+ ;γκινδυνε]ειν τYν
;πLσκοπον, τ< δ' τ@ν µοναχ@ν τYν Tγο]µενον · καC κατ* το1τον τYν τρAπον πiσαν ε(ταξLαν φυλGττεσθαι καC µηδQνα
το1 λοιπο1 κατ* σ]γχυσιν ;πFρειαν µGλιστα παρ* τ@ν τY ε(αγ'+ το1το σχNµα περι#ε#λεµQνων γLνεσθαι · περ χρg
ν1ν τε καC εD+ τYν µετ* τα1τα χρAνον διηνεκ@+ παραφυλGττεσθαι. « Nous ordonnons que nul ne puisse être
higoumène de deux monastères, mais que les monastères soient sous l’autorité du très révérend évêque du
territoire sur lequel ils se trouvent, que chaque higoumène ait autorité sur un seul monastère dans lequel d’une
part l’évêque est responsable de l’établissement de l’higoumène et des actes accomplis par lui, d’autre part
l’higoumène de l’établissement des moines ; et, de cette manière, qu’on maintienne un ordre parfait et que rien,
par la suite, ne soit fait par confusion ou abus surtout de la part de ceux qui ont revêtu ce vénérable habit ; il faut
que, maintenant et à l’avenir, ces décisions soient toujours observées. »
195. W. Nissen, Die Regelung des Klosterwesens in Rhömäerreiche bis zum Ende des 9. Jahrhundert,
Hambourg, 1897 (non vidi) ; B. Granić, « Die rechtliche Stellung und Organisation der griechischen Klöster
nach dem Iustinianischen Recht », Byzantinische Zeitschrift 29, 1929, p. 6-34 ; Id., « Die privatrechtliche
Stellung der griechischen Mönchen im V. und VI. Jahrh. », Byzantinische Zeitschrift 30, 1930, p. 669-676 ; plus
récemment C.A. Frazee, « Late Roman and Byzantine Legislation on the Monastic Life from the Fourth to the
Eighth Centuries », Church History 51, 1982, p. 264-279, en particulier p. 272-275 ; G. Barone Adesi,
Monachesimo ortodosso d’Oriente e diritto romano nel tardo antico, Milan, 1990 (non vidi) ; P. Hatlie, The Monks
and Monasteries of Constantinople, p. 45-57 ; A. Müller, « ΕD+ συνεργLαν τ@ν συµφερAντων. Zur Klosterpolitik
Kaiser Iustinians », dans J. van Oort et O. Hesse éd., Christentum und Politik in der Alten Kirche, Louvain,
2009, p. 35-59.
196. Codex Iustinianus 1, 3, 43 (44), éd. Krueger, p. 29-30. Sur la tradition du monachisme double, ses
origines et sa vaine interdiction par Justinien, voir S. Hilpisch, Die Doppelklöster. Entstehung und Organisation,
246 SYLVAIN DESTEPHEN
la surveillance des couvents par les évêques, dorévanant contraints de poursuivre les
abus commis, sous peine du Jugement dernier dans l’au-delà et de la colère impériale
ici-bas. Luttant contre la promiscuité de mauvais aloi et préservant l’idéal monasti-
que, l’empereur veut attirer la faveur divine sur son État 197. En 530, une loi exige
que les moines désignent comme nouvel higoumène, en présence des évangiles, non
pas le second du monastère, mais celui dont la vie est juste, le comportement
honnête, l’ascèse rigoureuse. L’assentiment de l’évêque, voire du patriarche et des
autres évêques, est requise pour empêcher tout favoritisme et investir le candidat
indiqué par les moines 198. Le mode de sélection des supérieurs relève du choix des
communautés qui ne désignent pas toujours l’un des membres les plus élevés dans la
Münster, 1928, p. 7-21 ; J.M. Konidaris, « Die Novelle 123 Justinians und das Problem der Doppelklöster »,
Subseciva Groningana, 4, 1990, p. 105-116 ; S. Elm, « Formen des Zusammenlebens männlicher und weibli-
cher Asketen im östlichen Mittelmeerraum während des vierten Jahrhunderts nach Christus », dans S. Elm et
M. Parisse éd., Doppelklöster und andere Formen der Symbiose männlicher und weiblicher Religiosen im Mittelal-
ter, Berlin, 1992, p. 13-24, en particulier p. 21-22 ; D.F. Stramara, « Double Monasticism in the Greek East,
Fourth through Eighth Centuries », Journal of Early Christian Studies 6, 1998, p. 269-312, en particulier
p. 308-310.
197. Codex Iustinianus 1, 3, 43 (44), 8-10 (18 février 529), éd. Krueger, p. 29-30 : 8. ∆εV δ' παραφυλακN+
_κρι#εστGτη+ εD+ τY κατ* µηδQνα τρAπον Jπερ#αLνεσθαι τα1τα, τι+ ο(κ 4λλω+ ν γQνοιτο τ@ν θεοφιλεστGτων
.κGστη+ πAλεω+ ;πισκAπων ;φορjντων ;πιµελ@+ τ*+ τ@ν µοναχ@ν τ@ν διαγAντων ;ν µοναστηρLοι+ τεταγµQνοι+ JπY
τgν α(τ@ν φροντLδα διατρι#G+, καC ε τινο+ ασθοιντο τοιο]του πταLσµατο+, πiσι τρAποι+ εDργAντων τY παρ’ α(τ@ν
;γχειρο]µενον καC ποιναV+ µ'ν JπαγAντων τοa+ µετ* τgν TµετQραν _παγAρευσιν 8τι τ@ν α(τ@ν _νεχοµQνου+,
_ναγκαζAντων δ' τ*+ α(τ@ν διατρι#*+ καθαρ*+ καC κεχωρισµQνα+ εναι γυναικεLα+ συνδιαγωγN+. 9. ΚαC α(τοV+ γ*ρ
τοV+ θεοφιλεστGτοι+ ;πισκAποι+, εD µQλλοιεν Zρθ@+ τ* περC το]του διαλογLζεσθαι, γνjριµAν ;στιν, ωe+ ;κ το1
φυλGττεσθαι τgν σεµνgν τα]την τ@ν ε(λα#εστGτων µοναχ@ν διαγωγgν καC µηδ'ν _πρεπ'+ 4σεµνον α(τ<
προσγLνεσθαι τYν φιλGνθρωπον ΘεYν ε(µενN τ* κοιν* πρGγµατα τN+ TµετQρα+ }ξει πολιτεLα+. 10. ’Αλλ’ ωe+ ν µηδ'
α(τοC οR θεοφιλQστατοι ;πLσκοποι πGρεργον TγFσωνται τY θεVον Tµ@ν το1το παρGγγελµα, γινjσκειν α(τοa+
βουλAµεθα, ωe+, ε τι+ α(τ@ν φανεLη µg σaν _κρι#εLq πGσd τα1τα διερευνjµενο+ διαφαν'ν τY πταVσµα µg κατ* τοa+
εDρηµQνου+ ;πανορθ@ν τρAπου+, 8νοχο+ µ'ν 8σται τk κρLµατι το1 δεσπAτου Θεο1 καC ν1ν δ' ;π’ α(τYν ξει τ*
τN+ βασιλικN+ Tµ@ν κινFσεω+ καC περC α(τgν κινδυνε]σει τgν Rερωσ]νην, ο(δ' 4λλη+ µεLζονο+ ;νδεο]ση+
_γανακτFσεω+. « 8. Il est nécessaire d’exercer une surveillance très attentive afin qu’en aucune façon ces
dispositions ne soient transgressées. Cette surveillance ne peut s’exercer qu’à la condition que les évêques très
dévots de chaque cité surveillent soigneusement la conduite des moines résidant dans les monastères placés
sous leur responsabilité ; et, si un manquement à la conduite est constaté, qu’ils répriment par tous les moyens
la faute que des moines ont commise et soumettent à des sanctions ceux qui, après notre interdiction, persistent
encore à s’y soustraire, les obligeant à mener une conduite parfaite et séparée de la compagnie des femmes.
9. Et, en effet, ces mêmes très révérends évêques savent, si à l’avenir ils examinent correctement ces affaires,
que préserver le vénérable mode de vie des très révérends moines pour que rien d’inconvenant ou de
déshonorant ne se produise, rendra Dieu, le miséricordieux, favorable aux affaires générales de notre gouver-
nement. 10. Mais, si les très révérends évêques eux-mêmes jugent accessoire ce commandement impérial, nous
voulons qu’ils sachent que, si l’un d’eux paraît ne pas examiner ces affaires avec la plus haute attention ou ne pas
corriger une faute avérée selon les règles mentionnées, il en sera coupable lors du jugement du Seigneur,
encourra déjà notre sanction impériale et mettra en danger son sacerdoce, sans pour autant échapper à une
colère plus grande. »
198. Codex Iustinianus 1, 3, 46 (47) (17 novembre 530), éd. Krueger, p. 33-34, en particulier § 2, p. 33 : ΕD
δ' ο(δεC+ το]των 4ξιο+ φαLνοιτο, τηνικα1τα τYν ;κ πGντων ;πιτFδειον, οRουδFποτε ν εη βαθµο1, προχειρLζεσθαι
Tγο]µενον, βLου τε Mντα σεµνο1 καC πολιτεLα+ σεµνN+ καC περισjζειν τοa+ πιστευθQντα+ α(τk δυνGµενον (...). « Si,
cependant, aucun des candidats ne semble digne, alors que soit désigné higoumène, sans distinction de rang,
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 247
une grande attention étant portée au respect de la clôture par les moniales. Déjà, dans
le monachisme pachômien, les deux premiers couvents de femmes, fondés dans les
années 340, ne jouissent pas de la même autonomie de gestion que les monastères
masculins puisqu’un ancien exerce une tutelle sur eux 211. La réclusion des femmes
consacrées, jugée nécessaire par le fondateur du cénobitisme, est voulue par les
autorités monastiques et diocésaines. Ce souci de séparation et de contrôle explique
l’absence de monastères féminins ruraux, l’absence de femmes anachorètes, sinon
déguisées ou recluses, et la prédominance intangible du cénobitisme 212. Un épisode
des Vies des saints orientaux montre que Jean d’Éphèse partage le souci de Justinien
de séparer les moines des moniales pour mieux contrôler ces dernières. En 541, en
tournée parmi les communautés et les ermites monophysites de la région d’Alexan-
drie, il rend visite à la patricienne Césaria de Samosate, qui a pris l’habit monastique
et mène une vie ascétique. Jean passe de nombreuses nuits à converser avec elle, lui
déconseille de partir dans le désert pour vivre seule dans un puits et la convainc de
fonder deux monastères où passer le reste de sa vie 213. Une autre anecdote, mettant
aux prises Jean d’Éphèse avec un évêque de Tralles, atteste la surveillance diocésaine
exercée sur les structures monastiques, selon la législation en vigueur. Vers 549,
l’évêque réclame le droit d’exercer un contrôle sur le grand monastère fondé par Jean
d’Éphèse dans les environs de sa cité. Devant l’opposition de Jean, l’évêque se rend
à Constantinople pour obtenir confirmation de son droit de surveillance par Justi-
nien qui, de manière surprenante, tranche en faveur de Jean d’Éphèse 214. Au prix
d’une entorse à sa législation, il fait du couvent un monastère impérial. Un dernier
exemple, cette fois conforme à la loi, est fourni par la Vie de Nicolas de Sion. Au
début du VIe siècle, Nicolas de Pharroa sollicite la venue de l’évêque de Myra afin de
consacrer le site du monastère qu’il a fondé. Le prélat consent et lui permet de le
nommer à sa guise : le couvent reçoit le nom de Sion et, plus tard, le neveu de Nicolas
de Pharroa devient son higoumène 215. La Vie ne précise pas si l’évêque a été sollicité
pour confirmer ce choix.
211. E. Wipszycka, Moines et communautés monastiques en Égypte (IVe-VIIIe siècles), Varsovie, 2009,
p. 567-588.
212. R. Albrecht, « Asketinnen im 4. und 5. Jh. in Kleinasien », Jahrbuch der österreichischen Byzantinistik
32, 1982, p. 517-524 ; A.E. Hickey, Women of the Roman Aristocracy as Christian Monastics, Ann Harbor, 1987,
p. 103-106 ; B. Ward, Harlots of the Desert. A Study of Repentance in Early Monastic Sources, Kalamazoo, 1987,
p. 62-63, 80-81 et 87 ; R. Krawiec, Shenoute and the Women of the White Monatery, Oxford, 2002, p. 105-106
et 109-110. Nous remercions Mme Arietta Papaconstantinou pour ces références.
213. Jean d’Éphèse, Vies des saints orientaux, 54, Patrologia Orientalis 19, 2, p. 190 [536]-191 [537].
214. Id., HE, III, 37, trad. Brooks, p. 127, l. 25-31.
215. Vie de Nicolas de Sion, 4, éd. Anrich, p. 5, l. 6-13 : ’Ιδ$ν δ' 2 [σιο+, 2 το]του θεVο+, τYν _γ@να καC τgν
σπουδgν το1 παιδLου, ν εχεν πρY+ τYν τ@ν πGντων κτLστην ΘεAν, παρακλFσει+ ;σFµανεν τk 2σιωτGτI καC
µακαριωτGτI _ρχιεπισκAπI ΝικολGI, ;πC τY σφραγLσαι ;ν Φαρρjοι+ ε(κτFριον οκον. ΠαρακληθεC+ ον 2
προλεχθεC+ 2σιjτατο+ _ρχιεπLσκοπο+ ;πQδωκεν το1 σφραγισθNναι ;ν τk τAπI ;κεLνI ε(κτFριον, [, ;*ν βο]ληται,
;πονοµGσαι 2 2σιjτατο+ _ρχιµανδρLτη+ ΝικAλαο+. ΚαC ;πιστ*+ τk τAπI, ;πωνAµασεν τY κτLσµα τN+ OγLα+ καC
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 251
L’Anatolie
La surveillance des monastères est d’autant plus attentive qu’ils offrent un
cadre idéal à la méditation, à la réflexion voire à la fermentation. Parfois établis dans
des lieux reculés ou mal contrôlés, hostiles au siècle et méfiants à l’égard de ses
autorités, les moines et plus encore les ermites jouissent d’une liberté sans équivalent
parmi le clergé diocésain. Dans le cadre du diocèse civil d’Asie, les tendances
autonomistes ou anarchiques du monde monastique se renforcent de courants
ascétiques jugés hétérodoxes par les contemporains ou la postérité.
En Asie Mineure, un premier foyer de dissidence chrétienne apparaît dans la
province du Pont, à Amastris. À la fin du IIe siècle, l’évêque Denys de Corinthe
mentionne un évêque Palmas qui prêche la continence, rejette le mariage, les lapsi,
les hérétiques repentis. À la même époque, le montanisme éclôt dans cette région,
avant de s’étendre à l’Asie et d’établir son principal foyer en Phrygie, à Pépouza 221.
Dans l’attente de la Parousie, les montanistes adoptent une ascèse sévère mêlant les
jeûnes rigoureux et les interdits alimentaires à l’abstinence sexuelle et à la prohibi-
tion du remariage. Dès les années 230-235, l’expansion du montanisme suscite
l’inquiétude de la hiérarchie qui coordonne son action lors d’un synode réuni à
Iconium, dans le centre de l’Anatolie. Venus de Phrygie, mais aussi de Galatie et de
Cilicie, preuve de l’ampleur de l’hérésie, des évêques se rassemblent et condamnent
le montanisme. Un autre indice de son expansion en Anatolie est fourni par Eusèbe
de Césarée : il mentionne des cités et des bourgades en Mysie (Ardabau), Galatie
(Ancyre), Pamphylie (Coumane) et Phrygie (Otrous, Hiérapolis, Apamée, Euménie)
dont les habitants sont en partie gagnés à la nouvelle doctrine que des évêques
tentent de combattre 222.
La découverte d’inscriptions montanistes le long de la vallée du haut Tembris,
dans le nord de la Phrygie Salutaire, atteste le succès remporté dans ces campagnes
par un courant sectaire qui, entre autres particularités, accorde une place élevée aux
περιουσ#α(. ’ΑπC τοA 9ου µQχρι το1 12ου αD@νο+, Athènes, 1979, p. 28-29 ; J.P. Thomas, Private Religious
Foundations in the Byzantine Empire, Washington, 1987, p. 240-243. Nous remercions M. Kostis Smyrlis pour
ces orientations bibliographiques.
221. C. Markschies, « Nochmals : Wo lag Pepuza ? Wo lag Tymion ? Nebst einigen Bemerkungen zur
Frühgeschichte des Montanismus », Jahrbuch für Antike und Christentum 37, 1994, p. 7-28 ; P. Lampe, « The
Phrygian Archaeological Surface Survey Project of the University of Heidelberg and the Discovery of
Pepouza and Tymion. A preliminary report », Zeitschrift für Antike und Christentum 6, 2002, p. 117-120 ; Id.,
« Die montanistischen Tymion und Pepouza im Lichte der neuen Tymioninschrift », ibid., 8, 2004,
p. 498-512 ; W. Tabbernee et P. Lampe, Pepouza and Tymion. The Discovery and Archaeological Exploration of
a Lost Ancient City and an Imperial Estate, Berlin, New York, 2008 (non vidi).
222. Eusèbe de Césarée, HE, IV, 23 et 27 ; ibid., V, 14 et 16 ; ibid., VII, 7 ; Cyprien, Ep., 75, 7 et 19.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 253
223. W. Tabbernee, Montanist Inscriptions and Testimonia, 68 : : ΠροφFτισα | Νανα+ e ΕρµογQνου. | Ε(χN+
καC λιτανLη+ [τYν] | προσ<κ>υνητYν 4νακτα · |5 µνοι+ καC κολακLη+ | τYν _θGνατον ;δυσjπι · | ε(χοµQνη πανFµερον
| πανν]χιον Θεο1 φA#ον | εχεν _π’ _ρχV+ · | 10 _νγελικgν ;πισκοπgν καC φωνgν εχε µQγιστον | Νανα+ η(λλογηµQνη |
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[¢ ¢ ca. 8 ¢ ¢] | ;πC χθονC που[λυ#οτεLρd] | νο1+ 8ργον [¢ ¢ ca. 11 ¢ ¢] | _ντεποLησε [¢ ¢ ca. 9 ¢ ¢] | 20 ποθQοντε+
[¢ ¢ ca. 5 ¢ ¢] ;τιµ]Fσ|αντο µQγιστον [¢ ¢ ca. 8 ¢ ¢] | εD+ JπAµνηµα. « La prophétesse Nanas, fille d’Hermogène.
Par des prières et des litanies pour le Souverain adoré, par des hymnes et des louanges, elle a imploré
l’Immortel ; priant tout le jour (et) toute la nuit, elle possédait la crainte de Dieu dès sa naissance ; elle possédait
une fonction épiscopale angélique et une voix très puissante. Nanas, la bénie, dont la sépulture (...) son
compagnon, un époux très aimé, elle alla avec (...) sur la terre très nourricière, son esprit... une œuvre (...) a
fait en retour (...) désirant (...) ils honorèrent un très grand (...) comme mémorial. » D’autres études ont paru
depuis : C. Trevett, « ‘‘ Angelic Visitations and Speech she had ’’ : Nanas of Kotiaeion », dans P. Allen,
R. Canning et L. Cross éd., Prayer and Spirituality in the Early Church, Everton Park, 1999, p. 259-277 ;
J. Poirier, « The Montanist Nature of the Nanas Inscription », Epigraphica Anatolica 37, 2004, p. 151-159 ;
V. Hirschmann, « « Nach Art der Engel ». Die phrygische Prophetin Nanas », ibid., p. 160-168.
224. W. Tabbernee, op. cit., p. 27-47.
225. W.M. Calder, « The Epigraphy of the Anatolian Heresies », dans W.H. Buckler et W.M. Calder éd.,
Anatolian Studies Presented to Sir William Mitchell Ramsay, Manchester, 1923, p. 59-91 ; G. Blond, « L’hérésie
encratite vers la fin du IVe siècle », Recherches de science religieuse 32, 1944, p. 198 ; S. Mitchell, Anatolia, 2,
p. 101-102 ; W. Tabbernee, op. cit., p. 442-444.
254 SYLVAIN DESTEPHEN
L’Hellespont
Éloignée du plateau anatolien et de son ascétisme parfois radical, la province
d’Hellespont subit, par le biais de Constantinople, l’influence d’Eustathe de
Sébaste. Macédonius, avant d’accéder au siège de la capitale, en 342, suit Eustathe
dont il partage l’idéal ascétique, mais aussi la pensée trinitaire hiérarchique induisant
une pneumatologie dévalorisante. Privé en 346 de ses fonctions pendant quatre ans
puis destitué en 360, Macédonius souffre dans les sources de la condamnation par le
concile de Constantinople, en 381, de sa théologie qualifiée de « pneumatomaque »,
d’hostile à la divinité de l’Esprit saint. Durant la période troublée d’un épiscopat
dépeint comme autocratique et sectaire par des auteurs hostiles, Macédonius fonde
de nombreux monastères 241. Il place à la tête des métropoles de Bithynie et d’Hel-
lespont deux alliés de même confession, ordonnant Marathonius évêque de Nico-
médie et Éleusius de Cyzique. L’un comme l’autre déploient une grande activité
pastorale : évangélisation des populations païennes, lutte contre les courants dissi-
dents, christianisation de l’espace urbain, promotion de la vie monastique.
Nous avons vu qu’Éleusius implante à Cyzique, à la place d’anciens sanctuaires
païens, des établissements de charité pour loger des veuves nécessiteuses et fonde des
couvents pour accueillir des vierges consacrées 242. Ces informations transmises par
Sozomène traduisent l’intérêt de l’historien pour le monachisme, malgré son rejet de
la doctrine de Macédonius. Au-delà des différends théologiques, Sozomène sait gré
239. Prosopographie chrétienne du Bas-Empire 3, p. 897-898, s.v. « Théodôros 9 ».
240. L’affaire est récapitulée par Grégoire le Grand, Ep., VI, 62, éd. Ewald et Hartmann, VI, 65, éd.
Norberg. Elle s’inscrit dans un contexte de tensions avec Constantinople : C. Fraisse-Coué dans J.-M. Mayeur
et alii dir., Histoire du christianisme, 3, p. 898-899.
241. Sozomène, HE, IV, 2, 3. Voir également G. Dagron, « Les moines et la ville : le monachisme à
Constantinople jusqu’au concile de Chalcédoine », Travaux et Mémoires 4, 1970, p. 246-253.
242. Sozomène, HE, V, 15, 5.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 257
à Éleusius de multiplier les couvents. Ces lieux de perfection s’inspirent des com-
munautés de Constantinople, autrefois confiées par Macédonius à la surveillance de
Marathonius, alors diacre 243. Il est probable que l’ascétisme sévère d’Eustathe de
Sébaste, encouragé par Macédonius à Constantinople et relayé par ses disciples en
province, régit les couvents féminins de Cyzique. À la différence de la Lycaonie et de
la Pisidie, où des communautés résistent à l’épiscopat, à Cyzique, les monastères
d’Éleusius partagent la confession de leur évêque. De même, il faut attribuer à
l’intransigeance de Macédonius l’intolérance d’Éleusius envers les novatiens : il
ordonne la destruction de leur église dans sa cité 244. Son action semble radicale et, à
l’orée du Ve siècle, des novatiens subsisteraient encore en Asie et en Lydie 245, mais
plus en Hellespont.
Dans cette province, les évêchés sont détenus par des évêques « macédoniens »,
partisans de Macédonius, preuve de leur soumission au siège de Constantinople. La
réunion d’un synode à Lampsaque, en 364, révèle l’importance de l’Hellespont pour
les macédoniens. L’évêque de Lampsaque, Marcien, apparaît comme un allié
d’Éleusius au concile de Constantinople, en 381 246. D’après un texte hagiographi-
que de rédaction médiévale, l’évêque Marcien envoie des moines de sa cité, divisés
par une querelle au point d’en venir aux mains, à l’évêque Agapet de Synaus, en
Phrygie Pacatienne, qui les réconcilie et les renvoie chez eux 247. L’intervention de
Marcien de Lampsaque et la médiation d’Agapet de Synaus supposent que les
moines partagent la foi des deux évêques dont ils reconnaissent l’autorité. L’appar-
tenance d’Agapet au courant macédonien n’apparaît pas dans sa Vie, peut-être
débarrassée au Moyen-Âge de ses passages hétérodoxes les plus voyants. Toutefois,
ses relations avec des évêques dont la faible notoriété explique l’oubli de leur
hétérodoxie ne laisse aucun doute sur Agapet, lié à Marcien de Lampsaque et proche
d’Hypatianus d’Héraclée 248. Ce dernier, métropolite de la province d’Europe, sur
l’autre rive de la Propontide, obtient de l’empereur Valentinien Ier la permission de
réunir le synode de Lampsaque. Cette accumulation d’indices, davantage que de
preuves, révèle que Lampsaque mais aussi Synaus comptent des évêques et des
moines macédoniens.
En Hellespont, le monachisme relève d’une initiative ecclésiastique et reste
dans la dépendance du pouvoir épiscopal. L’originalité doctrinale des monastères
cesse avec la condamnation de la doctrine macédonienne par le concile de Constan-
243. Sur ce personnage, M. Simonetti, dans Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien 2,
p. 1531-1532, s.v.
244. Socrate, HE, II, 38, 28 ; Sozomène, HE, IV, 20, 2.
245. Socrate, HE, VI, 19, 7 ; Prosopographie chrétienne du Bas-Empire 3, p. 204-207, s.v. « Charisios ».
246. Ibid., 3, p. 645-647, s.v. « Markianos 1 ».
247. Voir note 45.
248. Prosopographie chrétienne du Bas-Empire 3, p. 75-79, s.v. « Agapètos ».
258 SYLVAIN DESTEPHEN
tinople, en juillet 381 249. Le même mois, une loi adressée au proconsul d’Asie
reconnaît à Amphiloque d’Iconium et Optime d’Antioche, métropolites de Lycao-
nie et de Pisidie, le droit de confirmer ou non l’orthodoxie des évêques du diocèse
civil d’Asie ; tous les prélats opposés au dogme de Nicée sont coupables d’hérésie,
destitués de leurs fonctions, expulsés de leur siège 250. Il est singulier que les évêques
reconnus par l’État comme champions de l’orthodoxie exercent leurs fonctions dans
les provinces où se maintient un monachisme dissident. Ce paradoxe s’explique par
le caractère plus épiscopal et donc mieux contrôlé du monachisme hellespontin, à la
différence du monachisme anatolien, plus indépendant. Quand, en 429, l’évêque
Antonin de Germé, en Hellespont, est assassiné par des macédoniens qu’il persé-
cute, Nestorius obtient de l’empereur Théodose II le droit de confisquer leurs
églises à Constantinople, à Cyzique et dans les zones rurales de la province 251.
À l’évidence, les macédoniens ne s’appuient plus sur les monastères urbains depuis
la mise en place d’un épiscopat fidèle à la doctrine officielle.
La Pamphylie
Opposée à l’Hellespont sur le plan géographique, la Pamphylie l’est également
par la nature et l’origine de son monachisme. Loin de Constantinople et de ses
évêques sans cesse plus influents, en relations étroites avec l’Orient et l’Égypte, cette
province méridionale et périphérique se distingue par son ouverture et sa perméa-
bilité aux courants religieux extérieurs, en particulier au messalianisme. De même
que les principaux mouvements ascétiques anatoliens sont nés dans le diocèse civil
du Pont, le messalianisme est lui aussi étranger au diocèse civil d’Asie. Les messa-
liens, également appelés euchites, pratiquent l’oraison permanente et rejettent le
monde, ses richesses et le travail qui les crée. Expulsés de Syrie par l’évêque Flavien
d’Antioche puis d’Arménie par l’évêque Létoius de Mélitène qui incendie leurs
monastères, les messaliens se réfugient en Pamphylie où ils prospèrent à l’ombre de
leurs couvents. Cette menace justifie, vers 381-383 252, la réunion d’un synode à Sidé
en Pamphylie. Vingt-cinq évêques, présidés par Amphiloque d’Iconium, condam-
nent le messalianisme 253.
L’affaire resurgit au concile d’Éphèse, en 431. Comme les partisans de Cyrille
d’Alexandrie et les fidèles de Nestorius de Constantinople et de Jean d’Antioche
refusent de siéger ensemble, le concile se scinde en deux assemblées qui s’échangent
249. Canon 1 de Constantinople. Édition et traduction de P.-P. Joannou, Discipline générale antique, I, 1,
p. 46-47.
250. Codex Theodosianus 16, 1, 3 (30 juillet 381).
251. Socrate, HE, VII, 31, 2-5.
252. K. Fitschen, Messalianismus und Antimessalianismus, p. 30-35.
253. Photius, Bibliothèque, codex 52.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 259
256. ACO, I, 1, 7, p. 117, l. 4 à p. 118, l. 15 : ΣυνελθAντε+ ;φ’ Tµ@ν οR ε(λα#Qστατοι καC θεοφιλQστατοι
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γQνηται ζFτησι+ περC το]των ;ν τkδε τk πρGγµατι α(τοV+ τε τοV+ θεοσε#εστGτοι+ ;πισκAποι+ Ο(αλεριανk καC
’ΑµφιλοχLI καC τοV+ κατ* πiσαν τgν ;παρχLαν ε(λα#εστGτοι+ ;πισκAποι+ καC ε τι δAξειεν _νακ]πτειν τ@ν δυσχερ@ν
_µφισ#ητησLµων, ε 8δοξεν 8χειν παραληφθQντων τ@ν θεοσε#εστGτων ;πισκAπων ΛυκLων ΛυκαAνων, ο(κ
_πολιµπανοµQνου το1 µητροπολLτου + ν }λοιντο ;παρχLα+, εD+ τ]πον _νGγεσθαι τYν δQοντα δι* τN+ α(τ@ν µεσιτεLα+
τ* κινο]µενα. « Rassemblés auprès de nous, les très révérends et très aimés de Dieu évêques Valérien et
Amphiloque ont proposé d’examiner en commun ceux qu’on appelle dans les régions de Pamphylie les
messaliens, euchites, enthousiastes ou de quelque manière qu’on désigne la très infâme hérésie desdits
individus. Alors que nous menions cet examen, le très révérend et très pieux évêque Valérien a apporté une
lettre synodale rédigée à leur sujet dans la grande Constantinople du temps de Sisinnius de bienheureuse
mémoire. Une fois lu devant tous, le document parut bien rédigé et juste. Et il nous a semblé bon à nous tous,
ainsi qu’aux très aimés de Dieu évêques Valérien et Amphiloque et à tous les très révérends évêques des
provinces de Pamphylie et de Lycaonie, que les décisions indiquées dans la lettre synodale aient pleine autorité
et qu’elles ne soient en aucune manière transgressées, tandis que les décisions prises à Alexandrie restent bien
évidemment confirmées. De sorte que ceux qui, dans toute province, sont de l’hérésie des messaliens ou des
enthousiastes ou bien sont soupçonnés d’une telle maladie, qu’ils soient clercs ou laïques, soient examinés avec
attention et s’ils anathématisent par écrit selon les termes de ladite synodale, que demeurent les clercs dans le
clergé, les laïques dans la communion de l’Église. Mais s’ils refusent et n’anathématisent pas, que les prêtres,
diacres et ceux occupant un autre rang dans l’Église soient déchus du clergé, de leur rang et de la communion,
et que les laïques soient anathèmes. Que les coupables ne soient pas autorisés à avoir des monastères afin de ne
pas étendre et renforcer la discorde. Que ces actions soient menées avec toute l’ardeur déployée en ce sens par
les très chers à Dieu évêques Valérien et Amphiloque et par les très révérends évêques de toute la province. En
outre, il a également semblé bon d’anathématiser le livre recélant cette hérésie impure appelé par eux Ascéticon,
apporté par le très révérend et très aimé de Dieu évêque Valérien comme une publication des hérétiques. Et, si
un autre traité de leur impiété était découvert chez quelqu’un, que le traité soit anathème. Comme nous étions
tombés d’accord sur ces différents points, en vue de la concorde, de la communion et de l’ordre, il était
nécessaire de faire connaître par écrit les décisions. Si une question devait se poser au sujet des messaliens dans
une affaire soumise aux très pieux évêques Valérien et Amphiloque et aux très révérends évêques de toute la
province, et s’il devait surgir un sujet de difficulté ou de contestation, il a semblé bon que les évêques très pieux
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 261
ascètes, des moines, des ermites monophysites partent de Lycie et de Pamphylie vers
l’Égypte et la Palestine, les uns rejoignent des coreligionnaires comme Longin,
Lucius et Gérasime, d’autres reviennent et propagent leur foi dissidente comme
Basile et Paralius. Toutefois, comme en Hellespont au IVe siècle, les milieux monas-
tiques de Pamphylie s’alignent sur la position d’un épiscopat soumis à Constantino-
ple et non plus à Alexandrie. Le départ définitif de moines monophysites vers
l’Orient concorde avec l’expulsion, en 476, de l’évêque monophysite Épiphane de
Magydus 261. Cette destitution isolée traduit a contrario le ralliement massif à
Chalcédoine des évêques pamphyliens.
L’épiscopat de cette province est néanmoins purgé de ses éléments hétérodoxes
une seconde fois, en 519, par l’empereur Justin Ier : les sources monophysites,
malgré leur volonté de dénoncer les persécutions, ne mentionnent en Pamphylie que
deux évêques déchus de leurs fonctions 262. Il n’est guère étonnant que cessent les
témoignages sur les monastères monophysites de Pamphylie, tandis que des évêques
chalcédoniens contrôlent le recrutement des higoumènes, suivant la législation de
Justinien. Dans un passage de son Histoire ecclésiastique, rédigé vers 588 263, Jean
d’Éphèse énumère pourtant les activités pastorales d’évêques monophysites envoyés
en Pamphylie : visites fréquentes, soin des affaires religieuses, consécration d’autels,
d’églises et de monastères, ordination de prêtres 264. Ce témoignage laisserait sup-
poser la présence d’évêques et de monastères monophysites en Pamphylie. Toute-
fois, Jean d’Éphèse, qui se veut le témoin d’une époque révolue, celle du monophy-
sisme asianique, ne désigne pas la Pamphylie comme une terre de mission ou une
base d’opération. Dans sa tentative de reconstituer une hiérarchie monophysite
appuyée sur des monastères ruraux, Jacques Baradée n’accomplit aucune ordination
en Pamphylie 265, acquise à la foi de Chalcédoine par l’autorité de ses évêques et la
soumission de ses moines.
La province de Pamphylie illustre les relations étroites et anciennes du mona-
chisme asianique avec l’Égypte et la Palestine, deux hauts lieux de l’ascétisme anti-
que. Les sources ne mentionnent en revanche ni moine ni ermite anatolien établi en
Syrie ou en Mésopotamie, peut-être en raison d’obstacles linguistiques difficiles à
surmonter, tandis que la Palestine, le Sinaï et la région d’Alexandrie abritent un
monachismehellénophoneplusouvertsurl’extérieur.Duranttoutelapériodeétudiée
se maintient un courant d’émigration monastique de l’Asie Mineure vers le Proche-
261. Ibid., 44, Patrologia Orientalis 8, 1, p. 95 [495], l. 5-10.
262. Prosopographie chrétienne du Bas-Empire 3, p. 82, s.v. « Agathodôros » ; ibid., p. 382, s.v. « Eusébios
12 ».
263. Si la première et la deuxième parties de l’Histoire ecclésiastique de Jean d’Éphèse sont publiées en 571,
la troisième inclut des événements de l’année 588 : J.J. Van Ginkel, John of Ephesus. A Monophysite Historian
in Sixth-Century Byzantium, thèse inédite, Groningen, 1995, p. 48 et 71-77.
264. Jean d’Éphèse, HE, V, 6, trad. Brooks, p. 194, l. 24-35.
265. E. Honigmann, Évêques et évêchés monophysites d’Asie antérieure au VIe siècle, p. 172-173.
LE MONACHISME ASIANIQUE (IVe-VIIe SIÈCLE) 263
Orient où, dans un cadre moins contraignant, peuvent se pratiquer les mortifications
sévères et s’exprimer les divergences doctrinales, les unes et les autres frustrées par
la médiocrité d’un monde monastique asianique précocement assujetti à l’autorité
épiscopale. Il est indéniable que la nature confessante et apologétique d’une partie
des sources conservées induit une déformation de la réalité historique par souci de
privilégier et de montrer les exemples d’ascètes et de saints monophysites. Le Pré
spirituel de Jean Moschus, l’Échelle sainte de Jean Climaque et les Récits sur les saints
pères du Sinaï d’Anastase le Sinaïte rappellent néanmoins, à la fin du VIe siècle et au
début du siècle suivant, la venue en Palestine et dans le Sinaï de moines et d’ermites
orthodoxes d’Asie Mineure. L’émigration ascétique vers l’Orient dépasse les limites
du seul mouvement monophysite. L’installation de moines asianiques en Terre
sainte et dans le désert du Sinaï est attestée jusque dans la première moitié du
VIIe siècle avec les cas déjà étudiés d’Acace, de Jean le Sabaïte ou de Théodore.
L’histoire du monachisme asianique, a fortiori anatolien, ne commence certes
pas à la fin du VIIe siècle, dans la pénombre documentaire provoquée par les invasions
perses, slaves et arabes, mais acquiert une importance nouvelle avec l’effacement et
l’isolement relatifs des centres monastiques traditionnels du Proche-Orient. L’essor
de la vie conventuelle ou solitaire dans le Latmus, un petit massif montagneux de
Carie 266, et dans la plupart des autres centres d’Asie Mineure, à l’exception notable
de l’Olympe de Bithynie où l’érémitisme est pratiqué dès le règne de Constantin 267,
se situe après la perte de la Syrie, de la Palestine et de l’Égypte, foyers les plus
éclatants de la vie érémitique et cénobitique dans l’Empire d’Orient. Sur le mont
Ganus en Chersonèse, le long du détroit des Dardanelles, se multiplient des monas-
tères, davantage connus pour leur production viticole que leur vie religieuse par
manque d’une documentation appropriée 268. Toujours à la périphérie de l’ancien
diocèse civil d’Asie, en Cappadoce, le monachisme, après l’époque fondatrice de
Basile de Césarée, connaît un remarquable développement à la fin de l’Antiquité,
plus encore aux Xe-XIe siècles, à la lumière de témoignages architecturaux nom-
breux 269. Dans la partie occidentale de l’Asie Mineure, les monastères locaux,
266. Selon une tradition du XIe siècle, les moines du Latmus seraient originaires du Sinaï. Voir R. Janin,
Les églises et les monastères des grands centres byzantins : Bithynie, Hellespont, Latros, Galèsios, Trébizonde,
Athènes, Thessalonique, Paris, 1975, p. 217-220 ; D. Stiernon, dans Dictionnaire d’histoire et de géographie
ecclésiastiques 30, 2009, col. 934-938, s.v. « Latros ».
267. Socrate, HE, I, 13, 5.
268. R. Janin et D. Stiernon, dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques 19, 1981,
col. 1109-1110, s.v. « Ganos » ; A. Rigo, « Il monte Ganos e i suoi monasteri », Orientalia Christiana Perio-
dica 61, 1995, p. 235-248.
269. N. Thierry, Haut Moyen Âge en Cappadoce. Les églises de la région de Çavuşin, Paris, 1983 ;
C. Jolivet-Lévy, « La Cappadoce aux VIIe-IXe siècles : quelques nouveaux témoignages archéologiques », dans
A.C. Quintavalle éd., Medioevo mediterraneo : l’Occidente, Bisanzio e l’Islam, Milan, 2007, p. 234-242.
264 SYLVAIN DESTEPHEN
270. S. Eyice, Recherches archéologiques à Karadağ (Binbirkilise) et dans la région de Karaman, Istanbul,
1971 (non legi) ; K.W. Harl, « From Pagan to Christian in Cities of Roman Anatolia during the Fourth and
Fifth Centuries », dans T.S. Burns et J.W. Eadie éd., Urban Centers and Rural Contexts in Late Antiquity, East
Lansing, 2001, p. 301-322, en particulier p. 315-316. Signalons enfin l’étude pionnière de W.M. Ramsay et
G.L. Bell, The Thousand and One Churches (Bin Bir Kilisse and Deghile, Lycaonia), Londres, 1909, rééd.
R. Ousterhout et M. Jackson, Philadelphie, 2008.
271. R. Janin, op. cit., p. 241-247 ; J. Mossay, dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques 19,
1981, col. 763-765, s.v. « Galésion ».