CHAPITRE I. - Métbodologie p. 11
Historique de la langue égyptienne. Dialectes coptes. Processus de l'emprunt fait au grec par le copte.
Dictionnaires, lexiques et grammaires pharaoniques et coptes. Identification du mbochi. Mbochi et
Bantu. Documentation scientifique sur le mbochi.
Traits généraux. Consonnes. Voyelles. Analyse tonématique. Combinaison des phonèmes. Conclusio
Etymologie du mot " ham " ou " cham ". Structure morphologique du sémitique, de l'égyptien et du
berbère : étude comparative systématique. Faits lexicologiques sémitiques, égyptiens et berbères :
leur opposition fondamentale. Le " chamito-sémitique " ou l'" afro-asiatique ", une véritable escroquerie
scientifique.
Classes nominales et articles définis. Formation du pluriel. Catégories grammaticales de genre sexuel.
Formation grammaticale d'abstraits. Verbe-copule " être ". Pronoms personnels égyptiens et négro-
africains. Pronom personnel réfléchi. Adjectifs et leurs emplois grammaticaux. Adjectifs dits " nisbés ".
Obtention du comparatif et du superlatif. Verbes et conjugaison verbale flexionnelle. Réduplication.
Causatif. Particules verbales. Temps et modes. Formes simples et complexes du verbe : flexions
verbales. Particules auxiliaires verbales (morphèmes copules). Expression du futur et tableau des
éléments fonctionnels. Particularités verbales idiomatiques. Le " m " dit de prédication. Morphèmes
négatifs : tableaux comparatifs. Particules de liaison : tableaux comparatifs.
Lois phonétiques (" sound laws "). Les données. Analyse des faits pharaoniques, coptes et négro-
africains. Établissement de concordances phonétiques : les consonnes. Arbres généalogiques.
Tableau d'ensemble. Phénomène de métathèse. Tableau. Établissement de concordances
phonétiques : les voyelles. Tableaux évolutifs.
Langues sémitiques de l'Aftique : groupe sémitique éthiopien. Quelques emprunts faits par ce groupe
au couchitique. Parlers berbères actuels. Langues khoisan. Lexèmes hottentot. Comparaison entre le
khoisan et le berbère : l'inexistence des langues dites " charnitiques ".
CONCLUSION p. 373
BIBLIOGRAPHIE p. 377
ANNEXES p. 395
Le français et le provençal, par exemple, se rejoignent par une forme de langue antérieure aux deux :
le latin vulgaire de Gaule, - la langue latine était répandue, au Ier siècle avant notre ère, dans
l'ensemble de la Gaule, jusqu'au Rhin. En d'autres termes, les états actuels du français et du
provençal, maintenant différents, sont des états d'une forme linguistique antérieure unique. Or ce qui
est appelé par commodité le latin vulgaire de Gaule n'est qu'une forme particulière, sans doute très
peu différenciée, du latin vulgaire en général. Dès lors, la parenté du français et du provençal s'élargit
dans l'espace et dans le temps, puisque les langues romanes sont la diversification linguistique du
latin parlé, durant le Haut Moyen Age (V,-VIIIème siècle). Les langues romanes comprennent le gallo-
roman (dialectes de langue d'oïl dont le français et le franco-provençal ; dialectes cisalpins, rhéto-
frioulan, gallo-italien ; dialectes de langue d'oc, occitan et gascon, et le catalan qui occupe une
position linguistique intermédiaire entre le gallo-roman et l'ibéro-roman), l'ibéro-roman (portugais,
espagnol et dialectes : les Gloses de San Millàn de la Cogolla, fin Xème siècle, constituent les
premières mentions écrites dans un dialecte espagnol), l'italo-roman (toscan, dialectes du Centre et
du Sud, dialectes de Sardaigne ; le premier document écrit en un dialecte italien vulgaire date de la fin
du Xème siècle : c'est la charte du Mont Cassin, 960-963), le balkano-roman (roumain, dalmate).
Toutes ces langues modernes romanes sont par conséquent des continuités historiques du latin.
Chacune d'elles comprend des dialectes, des parlers locaux, des patois, des argots de métier. Ainsi,
par exemple, le picard et le normand, le poitevin et le berrichon, sont parents entre eux, et le sont
également du français et du franco-provençal, par conséquent du latin. Si un patois espagnol
déterminé n'a plus grand'chose de commun, aujourd'hui, avec tel autre patois roumain par exemple,
cette différence s'explique simplement par le fait que les deux formes linguistiques se sont séparées
depuis très longtemps.
Or le latin forme, avec certaines langues indo-européennes, le groupe des langues italiques (les
langues italiques se divisient ainsi : le latin, le falisque parlé à Faléries sur le cours moyen du Tibre, le
vénète parlé en Vénétie ; l'ombrien parlé dans l'Apennin, l'osque soit la langue des Samnites du
Samnium étendue à la Campanie, à la Lucanie et au Bruttium les dialectes sabelliens, le volsque et le
marse).
Les langues celtiques (le gaulois mort sans presque laisser de traces, le brittonique qui survit dans le
gallois et le breton moderne, le gaélique attesté depuis le VIIIème siècle et dont le principal
représentant est l'irlandais) sont très proches des langues italiques, dans l'ensemble indo-européen.
D'autres langues indo-européennes, également apparentées de façon étroite entre elles, forment
d'autres groupes : les langues germaniques (allemand, anglais, néerlandais ou flamand, langues
scandinaves), les langues slaves (russe, polonais, tchèque, bulgare, serbo-croate), le groupe baltique
(lituanien), les langues i'ndo-aryennes (sanscrit védique, langues modernes de l'Inde) et les langues
iraniennes (avestique, vieux-perse, langues iraniennes modernes parmi lesquelles le persan, le kurde,
l'afghan).
Le grec, l'arménien et l'albanais, le tokharien attesté au VIIème siècle de notre ère et aujourd'hui
disparu, sont des langues indo-européennes isolées, comme le hittite.
Toutes ces langues, réparties en groupes, en familles, en branches, sont issues d'une langue unique,
précisément l'indo-européen, appelé ainsi conventionnellement. L'indo-européen n'a jamais été écrit.
On ne sait ni dans quelle contrée, ni à quelle date cette langue commune prédialectale a été parlée.
Bref, on ignore tout de cette langue préhistorique.
Les langues indo-européennes attestées apparaissent dans l'histoire à des dates très diverses, depuis
le Ilème millénaire avant notre ère (le hittite en Asie Mineure, à l'Est d'Ankara), jusqu'au Ilème
millénaire de notre ère (albanais, langues baltiques : l'albanais n'est attesté que depuis le XVème
siècle, et le baltique dès le XVIème siècle seulement sous la forme du vieux prussien mort aujourd'hui,
du lituanien et du lette conservés jusqu'à notre époque). On suit le développement de certaines
langues indo-européennes sur une longue période, ainsi pour le grec, depuis le grec mycénien du
IIème millénaire avant notre ère jusqu'au grec moderne de nos jours. Le latin apparent dans l'histoire
au milieu du IIIème siècle avant notre ère c'est le latin archaïque (du IIIème siècle au début du Ier
siècle avant notre ère Plaute, Térence et Caton l'Ancien) qui va évoluer pour mourir avec le latin
roman, du Vème au VIIIème siècle de notre ère (Boèce, Césaire d'Arles, Grégoire de Tours, Isidore
de Séville, Grégoire le Grand, Bède le Vénérable, Fortunat, Sidoine Appolinaire).
De tout ce qui précède, nous pouvons valablement tirer les conclusions suivantes :
- les langues évoluent et changent : la linguistique diachronique étudie précisément les modifications
successives des langues, leur évolution ;
- le rythme évolutif des langues est assez lent et une langue évolue même si elle n'est pas écrite : une
langue a une tradition orale indépendante de l'écriture ;
- l'objet de la linguistique synchronique est d'étudier le système d'une langue tel qu'il fonctionne à un
moment donné. En réalité, les linguistiques diachronique et synchronique s'emboîtent l'une dans
l'autre ;
- c'est la méthode comparative qui restitue les grandes lignes de la langue-mère prédialectale, en
comparant les sons (phonétique), les formes de mots et de grammaire (morphologie), les faits
lexicologiques (vocabulaire) communs aux différentes langues qui sont des formes diverses prises au
cours du temps par une langue unique. La méthode comparative montre qu'une langue est rarement
isolée dans le temps et l'espace, c'est-à-dire qu'il est rare, dans le monde, de rencontrer une langue
qui n'appartienne pas à une communauté ou famille ou groupe linguistique, plus ou moins vaste, plus
ou moins ancienne. Cette appartenance se traduit par des ressemblances profondes, qui ne sont pas
des ressemblances fortuites ou acquises par le phénomène de l'emprunt linguistique. Il s'agit par
conséquent de correspondances ou ressemblances héritées.
Ferdinand de Saussure lui-même a trouvé juste que la méthode comparative pouvait réussir à fixer la
préhistoire des langues comparées : "La méthode rétrospective nous fait donc pénétrer dans le passé
d'une langue au-delà des plus anciens documents" (Ferdinand de Saussure, Cours de Linguistique
générale, édit. critique par Tullio de Mauro, Paris, Payot, 1978, p. 293)
Tel est le but : la classification génétique des langues comparées et étudiées au-delà des documents
écrits les plus anciens.
Une linguistique génétique et historique existe. C'est en son sein que s'est développée une
linguistique générale, comme nous venons de le constater avec l'indo-européen.
Pour atteindre ce but, la méthode est de rigueur : " La parenté génétique est une fonction reliant les
langues : elle consiste dans le fait que chaque élément d'expression d'une langue est relié par une
fonction à un élément d'expression d'une autre ; la fonction de chaque élément est conditionné par
son entourage et par la position qu'il occupe dans le mot." (Louis Hjelmslev, Le Langage. Une
introduction, Paris, Les Éditions de Minuit, 1966, p. 5 2).
La méthode est comparative et inductive. On part de l'instruction des similitudes et aussi des
différences entre les langues comparées pour démontrer l'origine commune de ces langues. Des
langues aujourd'hui distinctes dérivent d'une langue unique si une continuité est plus ou moins
instaurée entre les langues comparées, génétiquement.
Au sujet de cette parenté génétique des langues, Émile Benveniste clarifie encore la méthodologie, en
précisant : " Les preuves de cette parenté consistent en similitudes régulières, définies par des
correspondances, entre des formes complètes, des morphèmes, des phonèmes." (Émile Benveniste,
Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, p. 101)
Il est évident que les séries s'imposent et que les coïncidsences de hasard doivent être éliminées, de
même que les emprunts, les effets de convergence. La présomption de parenté est acquise si les
preuves sont probantes : " Ainsi la correspondance entre lat. est : sunt, all. i'st : sind, fr. e : sô, etc.,
suppose à la fois des équations phonétiques, la même structure morphologique, la même alternance,
les mêmes classes de formes verbales et le même sens." (Émile Benveniste, Ibid.)
La méthode est connue. Elle a permis d'établir la grande famille linguistique qu'on appelle
conventionnellement l'indo-européen. Peut-on appliquer cette méthode aux langues du continent
africain réputées sans écriture ?
Émile Benveniste répond : "Cette méthode est bien connue et elle a été éprouvée dans
l'établissement de plus d'une famille. La preuve est faite qu'elle peut aussi bien s'appliquer à des
langues sans histoire dont la parenté est constatée aujourd'hui, de quelque structure qu'elles relèvent.
[... ] La régularité des correspondances phonétiques et la possibilité de prévoir certaines évolutions ne
sont limitées à aucun type de langues ni à aucune région. Il n'y a donc pas de raison d'imaginer que
des langues "exotiques" ou "primitives" exigent d'autres critères de comparaison que les langues indo-
européennes ou sémitiques." (Émile Benveniste, op. cit., pp. 101-102)
La science linguistique n'est pas moins universelle que les autres sciences. Il n'y a aucun préjugé
scientifique défavorable à appliquer la méthode comparative et inductive de la linguistique génétique
et historique aux langues négro-africaines, à toutes les langues du monde. Au demeurant, le but
ultime de cette linguistique est de pouvoir opérer une classification générale de toutes les langues
humaines connues.
Il suffit de poser nos critères et de légitimer ainsi la comparaison génétique entre l'égyptien
pharaonique, le copte et les langues négro-africaines modernes. Ces critères sont essentiels et
opérationnels :
- La langue a une tradition orale indépendante de l'écriture : le latin du IIIème siècle avant notre
ère et le lituanien du XVIème siècle offrent l'un et l'autre, si éloignés soient-ils dans l'espace et le
temps, une même image fidèle de l'indo-européen ; nous pouvons donc comparer les formes
égyptiennes avec les formes négro-africaines correspondantes, même si nous n'avons pas, sous les
yeux, tous les états successifs des langues négroafricaines. Bloomfield a comparé de façon
génétique, historique quatre principales langues du groupe algonquin central': fox, ojibway, cree et
menomini ; il a pu ainsi symboliser par des formes reconstruites à partir des langues attestées l'
"algonquin central primitif" (Primitive Central Algonquian) ou le proto-algonquin, mais le linguiste
américain ne possédait pas, pour les quatre langues comparées, d'enregistrements ou de documents
antérieurs (" for which we have no older records " : L. Bloomfield, Language, Goerge Allen & Unwin,
édit. de 1965 (première édition 1933), pp. 359-360 ; traduction française, Paris, Payot, 1970, pp. 337-
338).
- Les critères de la comparaison sont garantis par l'égyptien pharaonique qui est le plus ancien
témoin des langues comparées : "La classification ne s'assure de ses critères que si elle dispose,
pour certaines au moins de ces langues, d'états plus anciens." (E. Benveniste, op. cit., p. 105). Or les
textes hiéroglyphes égyptiens les plus archaïques remontent à 3000 ans environ avant notre ère, et
les premières manifestations écrites du copte dès le IIIème siècle avant notre ère.
- Par conséquent, l'énorme discontinuité géographique milite en faveur de l'exclusion de
l'emprunt dans ces temps anciens, sur l'ensemble des concordances établies,
morphologiques, phonétiques et lexicologiques. C'est-à-dire que la séparation très ancienne de la
souche commune prédialectale élimine les effets de convergence, de hasard et d'emprunt. En d'autres
mots, si des connexions de caractère sérial sont établies entre l'égyptien pharaonique, le copte et les
langues négro-africaines modernes, on est autorisé de reconnaître un " air de famille ", une " parenté
par enchaînement " selon l'expression de la systématique des plantes, même si l'on s'éloigne
beaucoup du type initial, des prototypes reconstruits. Ainsi, le temps qui sépare l'égyptien ancien des
langues africaines actuelles - un hiatus de 5000 ans - au lieu de constituer une difficulté se présente
au contraire comme un critère sûr de comparaison (le temps qui sépare le hittite du portugais actuel
est également énorme, mais rien n'empêche de comparer directement ces deux langues, dans un
ensemble donné, pour rejoindre précisément l'indo-européen).
On ne doit donc pas exagérer les difficultés, non pas sans doute au niveau du travail comparatif réel,
empirique, mais au niveau de la théorie, de la légitimité de la comparaison. L'histoire linguistique de
l'humanité exige même qu'un tel travail soit vigoureusement entrepris.
Pour la linguistique stricte, les choses paraissent claires, théoriquement , la méthode est connue avec
toutes ses exigences ; son but également. Et il est légitime, linguistiquement, de comparer l'égyptien
pharaonique, le copte avec les langues africaines actuelles.
L'auteur de la première grammaire égyptienne, Champollion, était pleinement convaincu que "la
langue égyptienne antique ne différait en rien d'essentiel de la langue vulgairement appelée copte ou
cophthe ; que les mots égyptiens écrits en caractères hiéroglyphes sur les monuments les plus
antiques de Thèbes, et en caractères grecs dans les livres coptes, ont une valeur identique et ne
diffèrent en général que par l'absence de certaines voyelles médiales, omises dans l'orthographe
primitive" (Champollion le jeune, Grammaire égyptienne, Paris, Firmin Didot, 1836, P. XVIII. Mots
soulignés par l'auteur).
Champollion veut dire que l'égyptien pharaonique et le copte constituent une seule et même langue ;
que le copte, écrit avec l'alphabet grec, est l'égyptien vocalisé ; qu'il est par conséquent possible de
vocaliser l'égyptien ancien à partir du copte ; qu'il est éminemment arbitraire de négliger le copte dans
les études de grammaire pharaonique.
Mais l'égyptologie n'a pas travaillé dans le sens indiqué initialement par Champollion lui-même. On a
fait d'autorité de l'égyptien ancien une langue sémitique. On a évacué silencieusement le copte des
études linguistiques égyptiennes. Ici, l'égyptologie a péché par présomption et par orgueil raciste : les
civilisations de la Vallée du Nil égypto-nubienne, toutes ensemble, ne pouvaient être ni africaines
(géographiquement parlant) ni du monde noir (culturellement s'entend).
Il convient par conséquent de rendre un vibrant hommage à la mémoire de Serge Sauneron : son
honnêteté intellectuelle est égale à celle de Champollion. Pour Sauneron en effet la langue
égyptienne n'est pas une langue sémitique et les grammaires égyptiennes, écrites jusqu'ici selon le
modèle des grammaires sémitiques, ne rendent pas vraiment compte du génie propre de la langue
pharaonique (Serge Sauneron, Grammaires de la langue égyptienne, IFAO, Extrait de "Textes et
Langages de l'Égypte pharaonique". Hommage à Jean-François Champollion à l'occasion du 150ème
anniversaire du déchiffrement des hiéroglyphes (1822-1972).
- "Le professeur Vercoutter a déclaré que, pour lui, l'Égypte était africaine dans son écriture, dans sa
culture et dans sa manière de penser". (Le peuplement de l'Egypte ancienne, op. cit., p. 87)
- "Le professeur Leclant a reconnu ce même caractère africain dans le tempérament et la manière de
penser des Égyptiens" (Le peuplement de l'Egypte ancienne, ibid.)
Ici, africain veut dire noir, nègre. Ainsi, la civilisation,pharaonique appartient en totalité au monde
culturel négro-africain. L'Egypte pharaonique n'était pas sémitique encore moins indo-européenne
dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser : elle était africaine, comme la Nubie,
l'Abyssinie, Zimbabwe, Ghana, Benin (Yoruba), bref comme toutes les autres civilisations bâties
autrefois sur le continent africain par des Noirs africains.
Une nouvelle page de l'historiographie africaine a donc été écrite au Caire, en 1974. L'égyptologie et
les autres études africaines ou " africanistes " doivent le savoir clairement.
Parmi les nombreuses recommandations faites par le colloque international du Caire, donc par tous
les participants, nous relevons celle-ci : "La coopération des spécialistes de linguistique comparée
devrait être mise à contribution sur le plan international pour établir toutes les corrélations possibles
entre les langues africaines et l'égyptien ancien" (Le peuplement de l'Egypte ancienne, op. cit., p. 103)
Cette recommandation n'est-elle pas neuve, importante, fondamentale ? Elle a été faite par les
meilleurs égyptologues de nos jours, alors réunis au Caire, pour débattre des problèmes tees
spécialisés en égyptologie, dans les relations de cette science historique avec l'Afrique noire.
Il n'y aurait que l'excuse de l'incompétence pour se tenir à l'écart d'une demande aussi urgente. Les
obstacles techniques éventuels ne sont pas insurmontables.
CONCLUSION
Le fait linguistique africain est varié et divers, mais du point de vue de la linguistique historique, trois
grandes familles se dégagent nettement, distinctement : a) le négro-égyptien, b) le berbère et c) le
khoisan.
Il n'existe pas de langues "chamitiques" ou "hamitiques" sur le continent africain. Dès lors, le "chamito-
sémitique" ou l'"afro-asiatique" demeure une pure illusion linguistique. L'égyptien, pharaonique et
copte, ne peut pas être inclus dans le sémitique en tant que classe, groupe ou branche, comme c'est
le cas pour l'ugaritique, l'accadien, le babylonien, le phénicien, l'hébreu, l'arabe, le sudarabique, etc.
Aucun sémitisant compétent ne considère l'égyptien, pharaonique et copte, comme une langue
sémitique, de loin ou de près. Le berbère, quant à lui, ne se trouve pas non plus génétiquement lié à
la langue égyptienne, pharaonique et copte. C'est un abus, plutôt une erreur, que de faire du
sémitique, de l'égyptien et du berbère des groupes linguistiques d'une même famille. En réalité, aucun
savant ne l'a fait, selon la seule méthode en vigueur dans de telles études, c'est-à-dire la méthode de
la linguistique comparative et historique ou encore évolutive, diachronique.
Le colloque du Caire (1974) avait tranché ce faux débat, en recommandant d' "établir toutes les
corrélations possibles entre les langues africaines et l'égyptien ancien", puisque la langue égyptienne,
pharaonique et copte, sortait d'elle-même du cadre des langues sémitiques et berbères. Au cours de
ce travail, nous avons précisément démontré la non-réalité de la famille " afro-asiatique ", en nous
situant sur le plan strict de la linguistique historique.
En revanche, nous avons pu reconstruire le négro-égyptien, soit la langue primitive commune aux
langues historiquement attestées que sont les langues égyptienne, couchitique, tchadique, nilo-
saharienne, nigéro-kordofanienne, toutes langues anciennes et modernes, parlées par les peuples
noirs d'Afrique, depuis la vieille Égypte pharaonique, et toutes unies génétiquement lorsqu'on les
compare de façon serrée et adéquate sous tous les angles, phonétique, phonologique,
morphologique, grammatical, lexicologique.
Sans la contribution éclairante de la langue égyptienne, pharaonique et copte, qui demeure le sanscrit
de la linguistique générale africaine, il est radicalement impossible d'entrevoir la profonde unité
génétique des langues négro-africaines, leur dimension historique, temporelle.
Pour sortir la linguistique générale africaine des redites et impasses actuelles de même que de son
statut mineur séculaire - celui des descriptions standard sans fin et sans projet linguistique précis,
puisque la comparaison est constamment évitée, écartée ou ignorée -, il faut nécessairement prendre
en compte la langue égyptienne, pharaonique et copte, qui doit désormais avoir sa place dans
l'Université africaine, à côté du grec et du latin, de l'arabe, du dravidien, etc.
Il est dans l'ordre des choses possibles que l'intelligentsia africaine bâtisse rapidement, en Afrique
même, une linguistique générale et historique à partir des langues des divers peuples africains. Ce
serait là un immense apport à la linguistique générale mondiale dont l'ambition scientifique et
culturelle, depuis Ferdinand de Saussure, reste l'exploration et la constitution des familles
linguistiques du monde dans le cadre d'une sémiologie totale. Ce fut aussi le désir ardent de
Humboldt, de Benveniste en Europe, de Peirce aux États-Unis.
Notre travail, modeste, se présente néanmoins comme le dévoilement même de l'univers linguistique
africain, désormais uni sous le regard panor mique du temps historique et culturel des sociétés
africaines, depuis l'Egypte antique.
En renouant de la sorte avec le fil de l'histoire, la leur propre, les langues africaines, réunies dans une
famille reprise cependant par chacune d'elles au cours des temps, dessinent alors une structure
globale qui les projette ensemble vers la linguistique mondiale en tant que groupes et branches d'une
seule et même famille linguistique.
La linguistique africaine ferait une énorme bévue en suspendant la réflexion sur son propre statut
dans la production parlante de l'humanité.
Cet avenir est au coeur même du destin des peuples d'Afrique dans le monde contemporain. Multiples
batailles qui sont celles de nos vies : sauvetage des traditions orales, scolarisation dans les langues
africaines, nécessité de l'unité du continent africain pour mieux aborder ensemble les problèmes
économiques, monétaires, industriels, technologiques, militaires, d'information et de communication,
de contrôle des matières premières, de coopération avec d'autres pays et peuples du monde, sans
perpétuer inutilement les vieilles psychologies égdistes et aliénantes.
Le dossier linguistique africain, intimement lié au dossier culturel panafricain, a toujours préoccupé les
Africains conscients de leur avenir collectif.
Wole Sonyika, au FESTAC 77 de Lagos, avait mis l'accent avec vigueur sur la nécessité de l'unité
linguistique à l'échelle continentale : il avait proposé le swahili comme langue de communication
interafricaine. Une telle prise de position de la part d'un homme de l'envergure de Sonyika avait
fortement marqué les esprits des participants au FESTAC de Lagos.
On se rappelle également que le problème des langues africaines avait fait l'objet de nombreux et
fructueux débats au cours du colloque organisé par ce même FESTAC 77. D'importantes
recommandations furent faites en séance plénière :
- créer dans chaque État africain des centres de recherche sur les langues, les littératures orales et
écrites, les arts, etc.
Partout la nécessité est vivement ressentie, celle de considérer les langues africaines comme des
outils de développement. Des spécialistes africains (Pathé Diagne, Abdoulaye Baldé de l'Université de
Dakar, Gnon Samya Kondé, directeur de la Direction de la Formation permanente, de l'Action et de la
Recherche pédagogique du Togo et tant d'autres) ont régulièrement accordé des interviews de grande
portée sur la revalorisation des langues nationales africaines.
A Douala, du 2 au 14 juillet 1973, un séminaire décisif avait été organisé sur "Les langues africaines,
facteur de développement" (Actes du Séminaire édités par le collège Libermann de Douala, 1974).
Des intellectuels camerounais, sous la direction du Pr Henri Marcel Bot Ba Njock, abordèrent alors
efficacement tous les aspects du problème soumis à leur réflexion : langues africaines véhicules de
civilisation, transcription moderne des langues africaines, langues locales et développement de la
nation, langues africaines et pensée scientifique, langues africaines et réflexion philosophique,
manuels pour l'enseignement des langues africaines, élaboration d'atlas linguistiques, etc.
Concrètement, de nombreux pays africains ont déjà ouvert la voie en Afrique noire en revalorisant et
en développant les langues locales (enseignement, discours officiels, alphabétisation).
Concrètement aussi, le Pr Cheikh Anta Diop a traduit dans sa langue maternelle, le wolof, de longs
textes couvrant les domaines de la théorie des ensembles, de la physique mathématique et théorique,
de l'organisation de la matière au niveau subquantique et quantique, de la relativité restreinte et
générale ainsi que de la cosmologie relativiste, de l'algèbre tensorielle, de la chimie quantique (C.-A.
Diop, Comment enraciner la science en Afrique : exemple valaf-Sénégal, in Bulletin de l'IFAN, Dakar,
t. 37, série B, n' 1, 1975, pp. 154-233).
Des progrès considérables sont toujours enregistrés grâce aux nombreux centres de recherche qui
existent maintenant en Afrique. L'avenir peut être ainsi envisagé avec quelque optimisme.
Cette saisie contemporaine des Africains sur leur propre être social et culturel, sur leur histoire, et
leurs langues natives qui tiennent toutes d'un ancêtre commun prédialectal, c'est encore et toujours le
travail : le travail de tout le Peuple africain en marche.
I. - Tableau du négro-égyptien
Il. - Tableau du sémitique de l'Afrique