Mémoire de maitrise nv
Frédérique GUILLAUMIN
1 RAPPEL HISTORIQUE DE LA BOURREE REGIONALE
DU CENTRE France
XvIl"? et XIX*™® siécles, DEBUT DU Xx°"*
Les premiéres sources écrites sur la bourrée, peu nombreuses, datent du
Xvllme sigcle et sont des évocations ; elles concernent la bourrée régionale
auvergnate et bourbonnaise. Les premiers témoins sont des Parisiens : Fléchier, qui
deviendra évéque, alors secrétaire d'un des juges lors des “Grands jours de
Auvergne” (1665/1666), Madame de Sévigné, femme de lettres, venue « prendre
les eaux » a Vichy en 1676.
Les témoins suivants, du XIX®"* siécle, sont souvent originaires des régions
Centre : Henri Lecoq (1802-1871) pharmacien de Clermont Ferrand, Achille Allier
(1807-1836), George Sand (1804 -1876) écrivain de Nohant dans le Berry.
Tous sont des notables issus de la noblesse ou de la bourgeoisie.
Une place toute particuliére doit étre faite a George Sand et a ses romans
champétres, ceux-ci, Le Meunier d’Angibault (1845), La Mare au Diable (1846),
Frangois le Champi (1847), La petite Fadette (1848), et en tout premier lieu Les
Maitres Sonneurs (1853), ayant eu postérieurement une influence capitale sur la
représentation scénique et la pratique de la musique et de la danse de la bourrée en
Berry / Bourbonnais.
Trés tot, ces écrits ont été la principale source « historique » de la constitution de
ce qu'on appellera plus tard le folklore berrichon ; ils ont été également un sujet
d'analyse de nombreux auteurs.
George Sand (Aurore Dupin), élevée dans le Berry, a Nohant, a vécu de longs
moments de son enfance parmi les paysans, partageant leurs jeux, leurs fétes ; elle
y reviendra adulte et participera activement la vie de sa province.
George Sand a recueilli de nombreux témoignages de la vie rurale, des expressions
du patois, des contes, des danses et musiques. Les descriptions trés précises des‘Mémoire de maitrise 18
‘Frédérique GUILLAUMIN
musiciens, de l'attitude des danseurs, celles des instruments ont servi de référence
aux musiciens et luthiers revivalistes et aux chercheurs/collecteurs.
De nombreuses recherches effectuées de nos jours, en particulier dans les
archives de la région Berry/Bourbonnais, par des — « musiciens-
chercheurs » confirment l'existence de ces cornemuses décrites dans “Les Maitres
sonneurs”.
«Ces découvertes ont pu étre mises en relation avec des instruments conservés dans
diverses collections... En majorité, ces instruments sont incrustés d’étain (.
correspondent peu ou prou a la description qu’en donne George Sand. » *
et
Née « ..au son du violon que tenait son pére... » 7, élevée par sa grand-mére qui lui fit
découvrir le chant et le clavecin, George Sand fera une large place & la musique
dans ses romans, dans sa vie et dans ses amitiés. C’est ainsi grace a elle que les
transcriptions des airs parviendront jusqu'a nous.
«Le cas de George Sand (...) est en effet tout différent de celui des autres écrivains qui, vers
le méme temps, découvraient la chanson populaire francaise. Ceux-ci ne regardaient qu’aux
paroles, et les premiéres publications entreprises sous leur influence furent des recueils de
poésies populaires. II en fut tout autrement avec George Sand... Elle n’a pas noté des airs -elle
pas les noter... Mais elle se laissait charmer par les sons, les définissait et les
expliquait avec une rare force d’évocation ; et quand des musiciens -des maitres venaient la
voir Nohant, elle les inci »*
it les écouter et a les recue’
Plus nombreux encore seront les auteurs du début du XX*"* siécle, parisiens ou
originaires du Centre, a déctire les coutumes et danses régionales.
Tous ces écrits nous permettent de suivre une évolution des danses,
essentiellement pour ce qui reléve du domaine des occasions et circonstances de
leur pratique, ainsi que de l'instrumentation.
" Jean-Frangois « Maxou » HEINTZEIN « La musique pousse dans les bois» in A Ia eroisée des chemins
‘Actes du collague de La Chatre 1997 Modal FAMDT p39
? MAROIS Edith Danse et Musique dans les romans champetres de George Sand Mémoire de msitise de
Lettres Modernes La Chitre 1995 p 5
> 'TIERSOT Julien La chanson populaire et les écrivains romantiques , Paris PLON, 1931, p 141‘Mémoire de maitrise 19
Frédérique GUILLAUMIN
Les premiers textes connus attestant de l'existence de la bourrée régionale du
XVII" siécle concerent le Bourbonnais (Mme de Sévigné), et Auvergne
(Fléchier)
Les écrits de Madame de Sévigné (correspondance), nous montrent, par leur
6tonnement, la méconnaissance de ces danses régionales.
des femmes fort jolies ; elles dansent des bourrées du pays, qui sont, en vérité, les
plus jolies du monde ; (...) si on avait & Versailles ces sortes de danseuses en mascarade, on
en serait ravi par la nouveauté ; car cela dépasse encore les bohémiennes...» lettre de
Madame de Sévigné du 26 mai 1676
Le contenu de ces témoignages, le plus souvent descriptif, fait état des danses,
des instruments, des lieux.
Siils nous renseignent tr8s peu sur ce qu’était la danse (aucunement sur les pas),
Fléchier et Mme de Sévigné nous livrent quelques idées du caractére de la bourrée,
les personnes la pratiquant et les lieux et circonstances. Les instruments sont
nommés, mais la musique n’a pas été transcrite.
Les instruments sont nommés mais non décrits. Les instruments utilisés au
Xvi" si€cle sont assez divers: filite, violon, tambour de basque, musette,
hautbois.
«ll est venu des demoiselles du pays avec une fldte, qi
perfection... » lettre de Madame de Sévigné du 20 mai 1676
«Les hautbois et les musettes font danser la bourrée d'Auvergne aux faunes d'un bois
odoriférant ... » lettre de Madame de Sévigné du 15 juin 1676
Les textes nous donnent une description assez imagée mais guére précise de la
danse.‘Mémoire de maitrise 20
Frédérique GUILLAUMIN
Le caractére de la danse est décrit comme gai, enjoud, léger... II n'est guére
possible de se faire une idée de la chorégraphie, tout au plus peut-on noter qu'il
s'agit d'une danse @ figures, du moins en ce qui conceme la bourrée d'Auvergne.
«On ne laissa pas de danser encore quelques bourrées et quelques goignades. Ce sont
deux danses qui sont d’une méme cadence et qui ne sont différentes quien figures. La
bourrée d'Auvergne est une danse gaie, figurée, agréable oui les départs, les rencontres et
mouvements font un trés bel effet et divertissent fort les spectateurs... L'usage en est si
commun en Auvergne...’on peut dire qu’ils naissent avec la science infuse de leurs
bourrée:
«.. Je vous assure que cette bourrée dansée, sautée, coulée naturellement et dans une
justesse surprenante, vous divertirait fort ... » lettre de Madame de Sévigné du 12 juin 1676
Les principaux acteurs cités sont les danseurs et danseuses.
Que ce soit en Auvergne ou en Bourbonnais, la bourrée semble étre dansée au
Xvil*"* siécle par la paysannerie et la société noble et bourgeoise régionale.
Aprés avoir décrit les bals de la bonne société, Fiéchier évoque la danse du peuple
auvergnat : « Dés que le printemps est arrivé, tout le petit peuple passe tous les soirs dans
cet exercice, et l'on ne voit pas une rue ni une place publique qui ne soit pleine de
danseurs
Si Madame de Sévigné décrit un de ses amis aristocrates comme “jeune et joli” et
dansant “la bourrée @ ravir”, elle ne cache pas son admiration pour les paysans de
la région vichyssoise.
des paysans, des paysannes, une oreille plus juste que vous, une légereté, une
disposition ... Je donne tous les soirs un violon avec tambour de basque, qui me coiite quatre
sous ; et dans ces prés et ces jolis bocages, c’est une joie que de voir danser les restes des
bergers et des bergéres du Lignon... » lettre de Madame de Sévigné du 8 juin 1676
Madame de Sévigné évoque le Lignon et « les restes des bergers... » ; plus quune
précision géographique (ce seraient alors des danses du Forez, en Auvergne), je
vois ici une image littéraire se référant au roman pastoral d’'Honoré d'Urfé,
’ FLECHIER Mémoires sur les Grands Jours D’Auvergne en 1665 (d’aprés \'éd Desbouis, 1856), rééd.
Mercure de France, 1984 p 266
* FLECHIER ibid. p 267‘Mémoire de maitrise 21
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« Astrée », et a ses bergers, héros a la mode du siécle n’ayant que peu de choses
voir avec la réalité des campagnes.
Les endroits ot! l'on danse sont décrits avec davantage de détails, surtout dans
les témoignages de Fléchier.
Les lieux de danse différaient : salles pour la société bourgeoise des villes, rues,
places et champs pour le petit peuple.
«C'est usage de la ville d'avoir par toutes les maisons des salles d'une grandeur
prodigieuse qui puisse fournir au bal et & danser les bourrées d'Auvergne dans leur
6tendue... »*
«¢.. pourvu qu'on ne m’éte pas le pays charmant, la riviére d’Allier, (...) des paysannes qui
dansent la bourrée dans les champs... » lettre de Madame de Sévigné du ter juin 1676
1l faudra attendre le XIX’ siécle pour que de nouveaux écrits nous renseignent &
nouveau sur la bourrée.
Les descriptions du XIX*"*, plus nombreuses, romancées ou plus “didactiques”,
cont déja le souci de la sauvegarde d'une culture en voie de disparition. Je me
limiterai ici aux écrits se rapportant au Berry et au Bourbonnais, ceux de George
‘Sand, d'Achille Allier et d'Henri Lecog (ce demier relatant les bals vichyssois deux
siécles apres Mme de Sévigné).
Le contenu de ces témoignages aborde |'instrumentation et les musiciens, les
danses et les danseurs, ainsi que les occasions de danse.
Le monde rural est plus familier @ ces auteurs issus de la région Centre, et leurs
narrations sont beaucoup plus détaillées. Les instruments sont décrits avec
davantage de précision, certaines musiques ont été transcrites ; les pas des danses
ne sont toujours pas notés, mais les attitudes et déplacements des danseurs sont
longuement évoqués. La place de la bourrée dans la vie paysanne, les lieux de
\ FLECHIER Mémoires sur les Grands Jours D'Auvergne en 1665 (d'aprés \'éd Desbouis, 1856), rééd.
Mercure de France, 1984 p 121Mémoire de maitrise 2
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danse, l'ambiance des bals et des fétes, la personnalité des musiciens, tout cela
tient une place prépondérante dans les écrits du XIX""* siécle.
Les instruments, leur aspect et leur sonorité sont longuement évoqués par les
différents auteurs.
Vielle et cornemuse (également nommée musette) sont les deux instruments
omniprésents selon les textes du XIX*™ en Berry et en Bourbonnais (violon et
clarinette sont toutefois mentionnés au cété de la musette lors de la féte du 15 aotit
1857 a Vichy par Boucher de Perthes —_'); ils sont solistes (quelquefois en duos),
et sont souvent en concurrence, & peu de métres de distance, lors d'une méme féte.
On y trouvera ordinairement deux groupes, présidés chacun par une vielle ou une
cornemuse. Les deux instruments sont, comme les deux groupes, complétement
indépendants l'un de autre, et forment,
n jouant des airs
Papreté.
lly a ordinairement lutte entre les deux instruments qui, rétribués par le nombre de danseurs,
iférents, une harmonie dont
toute la longueur du péristyle ne peut affaib!
cherchent a les attirer par le bruit plus que par les nouveautés... »'
«La foule des jolies filles se pressait autour des ménétriers placés deux 4 deux sur leurs
tréteaux a peu de distance les uns des autres, faisant assaut de bras et de poumions, se livrant
‘4 la concurrence Ia plus jalouse, jouant chacun dans son ton et selon son prix, sans aucun
souci de I'épouvantable cacophonie produite par cette réunion d’instruments br
s'évertuaient tous a la fois 4 qui contrarierait I'air et la mesure de son voisin. Au
chaos musical, chaque quadrille restait inflexible 4 son poste, ne confondant jamais la
musique qu'il avait payée avec celle qui hurlait 4 deux pas de lui, et ne frappant jamais du
pied a faux pour marquer le rythme, tour de force de l'oreille et de 'habitude. »°
1 CHAMBRIARD Pascal « Bals populaires & Vichy et sa région au cours du XIX" siécle » Bulletin de la
Société d'Emulation du Bourbonnais, tome 63, 4° trim, 1987 p 619
21,£COQ Henri « Description Pittoresque de I’ Auvergne, troisiéme livraison, Vichy et ses environs »
Clermont, 1836 cité par CHAMBRIARD Pascal ibid. p 612
* SAND George Le meunier d’Angibault Le livre de Poche 1985 p288Mémoire de maitrise 2B
‘Frédérique GUILLAUMIN
« .. les jounes gens se livrent a la danse avec une infatigable ardeur. Un tonneau sert de trone
au ménétrier, qui préside, armé de sa cornemuse ou de sa vielle, aux plaisirs de la jeunesse.
Ordinairement, il ne sait guére jouer que quelques valses et quelques airs de bourrées, dont
les mesures, tour a tour vives et languissantes, rappellent ces chants prolongés (...) que les
Paysans, assis sur leurs charrettes massives (...) font entendre le soir... »*
La cornemuse a été décrite trés précisément par George Sand, et les dessins de
son fils Maurice complétent cette observation.
«Elle avait double bourdon, l'un desquels, ajusté de bout en bout, était long de cinq pieds, et
tout le bois de I'instrument, qui était de cerisier noir, crevait les yeux par la quantité
denjolivures de plomb, luisant comme de I'argent fin, qui s'incrustaient sur toutes les
jointures. Le sac a vent était d'une belle peau, chaussée d'une taie d’indienne rayée bleu et
blanc ; et tout le travail était agencé d’une mode si savante, qu'il ne fallait que bouffer bien
petitement pour enfler le tout et envoyer un son pareil un tonnerre. » 7
Elle est parfois un objet “diabolique” :
‘entendis le son d'une musique, qui était approchant celui d’une cornemuse, mais qui
menait si grand bruit, qu'on edt dit d’un tonnerre...Cette musique ...me parut endiablée. Elle
chantait trop fort pour étre naturelle... » °
La description des musiciens, de leur attitude et caractére est présente dans de
nombreux textes.
Ici encore, cest a George Sand que nous devons la représentation de la
personnalité des musiciens des campagnes ; les cornemuseux sont ailleurs les
héros du roman « les Maitres sonneurs », et la cornemuse en est le seul instrument.
Querelleurs et jaloux, souvent rivaux entre eux (notamment pour des raisons
économiques), ces musiciens de roman sont de bons buveurs. Ils passent parfois
pour étre de connivence avec les esprits malins et avoir des pouvoirs magiques :
«il y @ une cinquantaine d'années, les sonneurs de musette et de vielle étaient encore
‘sorciers dans la Vallée Noire. » “
" ALLIER Achille Le mouvement historique en Bourbonnais depuis 1830 Voyage pittoresque Réédition de
1934.Crépin -Leblond Moulins 1.3 p 15
? SAND George Les Maitres Sonneurs Gallimard 1993 p 124
> ibid. p 99
“SAND George « Le meneu’ de loups » in. Légendes Rustiques Sait Cyr sur Loire, Christian Pirot 2000 p96‘Mémoire de maitrise Pry
Frédérique GUILLAUMIN
‘clls crotent fermement en ce pays, (le Morvan] ce que l'on croit un peu dans celui-ci, a
savoir: qu’on ne peut devenir musicien sans vendre son ame a Fenfer, et qu'un jour ou
autre, Satan arrache la musette des mains du sonneur et la lui brise sur Je dos, ce qui I'égare,
le rend fou et le pousse a se détruire. » *
dessin de Maurice Sand
En décrivant certains d’entre eux, George Sand s'est inspirée de personnages bien
réels, dont les traces ont pu étre retrouvées : Moreau, de La Chatre, (1837 - 1901),
;, dont les airs charmaient tant Chopin, est bel et
Marsillat, « joueur de musette bourbonn:
.n mort des suites d'une dispute dans les années 1840, et a servi d’inspiration pour la mort
de Joset... »”
} SAND George Les Mattres Sonneurs ibid. p 495 / 496
2 HEINTZEIN Jean-Frangois « Maxou » « La musique pousse dans les bois » in A la croisée des chemins
Actes du colloque de La Chatre 1997 Modal FAMDT p 143Mémoire de maitrise 25
Frédérique GUILLAUMIN
Certains auteurs ont illustré leurs descriptions des musiques de bourrées en y
joignant des transcriptions.
Quelques partitions de cette époque nous sont parvenues : deux airs de bourrées
bourbonnaises, ainsi qu'une chanson, « la jole file de la Garde », qui, joué & 2 temps,
est un air de bourrée, notés dans le tome 3 de « L'Ancien Bourbonnais », d’Achille
Allier, et de nombreux chants transcrits par les musiciens amis de George Sand, lors
de leurs séjours 4 Nohant. Parmi ces airs notés entre autre par Pauline Viardot,
Tiersot mentionne deux partitions de bourrée («En traversant les plaines et les
montagnes » et « fete, filette ») dans son ouvrage « La chanson populaire et les
écrivains romantiques »
Les sonorités nous sont quelquefois rapportées, avec des connotations plus ou
moins méprisantes (chez Théophile Villard, gérant de “Hebdomadaire de Cusset”,
qui parle du « vagissement de la cornemuse » ‘), le plus souvent de fagon imagée chez
George Sand
Concemant la modalité et les timbres instrumentaux, difficiles, voire impossibles
transcrire, il nous faut nous contenter des impressions de |’écrivain.
3
«Le son de la cornemuse, uni a celui de la vielle, écorche un peu les oreilles de prés ; mais,
de loin, cette voix rustique qui chante parfois de si gracieux motifs, rendus plus originaux par
une harmonie barbare, a un charme qui pénétre les ames simples (...) Cette forte vibration de
la musette, quoique rauque et nasillarde, ce grincement aigu et ce staccato nerveux de la
vielle sont faits 'un pour l'autre et se corrigent mutuellement. » ”
t Ie
«...Ce n'est pas seulement 'harmonie qui échappe aux I
plus souvent la tonalité (...) Nous avons au cceur de la France, ici et en Bourbonnais, la
de la musique moderne, c’
tonalité des cornemuses qui est intraduisible. L'instrument est incomplet, et pourtant le
sonneur sonne en majeur et en mineur sans s'embarrasser des impossibilités que lui
" CHAMBRIARD Pascal « Bals populaires i Vichy et sa région au cours du XIX sigele» Bulletin de la
Société d'Enulation du Bourbonnais, tome 63, 4° trim,1987 p 618
SAND George Le meunier d’Angibault ibid. p 275, 276‘Mémoire de maitrise 26
‘Frédérique GUILLAUMIN
présenterait /a foi; ll en résulte des combi
atroce et qui est peut-étre magnifique... » *
ons mélodiques d'une étrangeté qui pa
Les impressions peuvent cependant tourer en digressions, ou — 'écrivain
romantique montre tout son talent.
« La musique, dit-l, a deux modes, que les savants, comme jai out dire, appellent majeur et
mineur, et que j'appelle, moi, mode clair et mode trouble ; ou, si tu veux, mode de ciel bleu et
mode de ciel gris... La plaine chante en majeur et la montagne en mineur. Si tu étais resté
dans ton pays, tu aurai -mais comme
tu étais musicien complet, tu étais tourmenté de ne pas entendre sonner le mineur a ton
toujours eu des idées dans le mode clair et tranquill
oreille. Vos ménétriers et vos chanteuses I'ont par acquis, parce que le chant est comme 'air
qui souffle partout et transporte le germe des plantes d'un horizon a l'autre. Mais, de ce que la
nature ne les a pas fait songeurs et passionnés, les gens de ton pays se servent mal du ton
triste et le corrompent en y touchant. Voila pourquoi il t'a semblé que vos cornemuseux
Jouaient faux. Done, si tu veux connaitre fe mineur, va le chercher dans les endroits tristes et
sauvages, et sache qu'il faut quelquefois verser plus d'une larme avant de se bien servir d'un
mode qui a été donné a 'homme pour se plaindre de ses peines, ou tout au moins pour
soupirer ses amours. »*
La danse est abordée dans toutes ses particularités.
Les auteurs du XIX’ siécle ont eu le souci de décrire les déplacements, les figures
éventuelles, les allures de la bourrée avec force détails, seule la notation des pas
manque. Les comparaisons avec les danseurs voisins, les Auvergnats, sont assez
fréquentes.
Danse de couple en vis a vis, mais en méme temps, danse collective, la bourrée est
décrite comme répétitive ; pratiquée en quadrille dans le Berry décrit par George
Sand, en longues lignes dans le Bourbonnais, elle commence et finit souvent par
des “bichailleries” ou embrassades, seul moment de la danse oi les partenaires
vont se toucher.
" Note communiquée & Chamfleury et imprimée dans TIERSOT Chansons populaires des provinces de
France ibid.
? SAND George Les Mattres Sonneurs ibid. p 294‘Mémoire de maitrise a7
Frédérique GUILLAUMIN;
Bien qu'étant un amusement, le “sérieux’ et la “gravité” des danseurs est
mentionné chez tous les auteurs. La bourrée semble étre la seule danse pratiquée
dans le monde rural, la valse faisant une timide apparition du cété des villes.
« La danse qui, dans la plupart des pays, est un amusement, est pour les habitants du
Bourbonnais un objet de premiére nécessite (...) les bourrées ( c'est la danse du pays ) se
succédent rapidement, et a peine si les couples heureux, qui forment les éléments de chacun
de ces groupes, ont le temps d'essuyer la sueur (...)
Nous avons souvent passé des heures entiéres a examiner ces danses villageoises, dont la
seule figure consistait en un mouvement d’oscillation, dont les limites étaient fixées par la
largeur du péristyle. L’uniformité de mouvement répondait parfaitement la monotonie de la
faut
musique, et quoique cette danse ressemblat beaucoup a la montagnarde d'Auvergne,
rendre justice aux Bourbonnais, et leur accorder pour la galanterie une haute prééminence sur
Jes Auvergnats ; car j'ai vu plusieurs fois ces derniers danser entre eux, aprés avoir
abandonné leurs danseuses, parce qu’elles ne pouvaient pas frapper du pied avec assez de
force, et faire assez de bruit en battant des mains...
La danse semble pour eux [les Bourbonnais] une occupation trés grave ; ils suivent, I'air
sérieux et les bras pendants, tous les mouvements de leur danseuse, s’efforcent de faire
Paraitre leur talent dans tout son éclat et quelques-uns seulement, plus hardis ou plus
encouragés, se permettent de tenir les mains de leurs dames dont ils ne s’éloignent par
conséquent jamais au-dela de la longueur de leur bras...
«Aux apports on vaise aussi quelquefois : mais tout le monde ne sait pas valser, tandi
qu'il n’est personne qui ne connaisse la mesure de la bourrée, Les petites filles et les jeunes
garcons...apprennent leur danse nationale, les pieds nus, sur le gazon des prés... »”
Achille Allier décrit la bourrée bourbonnaise avec plus de détails sur les
déplacements
«..Mais la musette se fait entendre : la bourrée va commencer ; les garcons et les filles se
rangent sur deux longues lignes paraliéles, face a face, et les bras pendans, comme une
recrue & son premier exercice. Les filles se laissent prendre les mains et embrasser avec un
flegme qui ressemble a de la résignation. Aprés cette indispensable cérémonie, la partie
s'engage, la colonne s’ébranle ; elle est en mouvement.
" LECOQ Henri « Description Pittoresque de I’ Auvergne, troisiéme livraison, Vichy et ses environs »
Clermont, 1836 cité par CHAMBRIARD Pascal ibid. trim.1987 p 612, 614
* ALLIER Achille Ze mouvement historique en Bourbonnais depuis 1830 Voyage pittoresque Réédition de
1934 Crépin -Leblond Moulins 1.3 p 15‘Mémoire de maitrise 28
Frédérique GUILLAUMIN
La ligne des garcons s’avance en mesure et la ligne des filles se retire de méme ; puis la
premiére recule et la seconde vient en avant, puis on va a droite, puis on va a gauche ; voici
qu’on est dos a dos, mais I’on se retrouve bien vite face a face pour recommencer 'allée et la
venus
st dans la mélée, que de pieds lourdement foulés, que de torses qui perdent leur
6quilibre, ébraniés par le choc, que de coiffures enfin dont I'édifice chancelle !
Mi
cornemusier a de souffle pour enfler son bourdon ; il y aurait déshonneur a lacher pied dans
rien n’arréte, ni la douleur, ni la fatigue ; il faut aller, bon gré, mal gré, tant que le
cette action ot la victoire est aux deux parties. »'
Les attitudes, "impression de réserve observée chez les danseurs est relevée tant
par Achille Allier pour le Bourbonnais que par George Sand concernant le Berry
«La bourrée bourbonnaise a quelque chose de froid et de monotone; elle est plutot
empreinte d'une douce mélancolie que d'une vive gaité. Ses cadences lentes et simples sont
d’ailleurs parfaitement en harmonie avec le tempérament des habitans de nos campagnes.
Cette danse qui manque d’énergie est loin de ressembler a celle qu'on voit dans les
montagnes d'Auvergne.
‘Chez nos voisins, la bourrée a du mouvement et de la joie ; chez eux, tout suit la mesure, les
bras comme les jambes :on se regarde de c6té, on frappe des pieds, on bat des mains. Leur
bourrée rappelle quelquefois par sa grace, les danses a caractéres du XVIII"™ siécle.
Dans nos bourrées, c’est a peine si la bouche ose sourire ; les yeux sont baissés vers la terre,
et les bras tombent languissamment.
‘On ne se parle pas, on ne se regarde pas ; car souvent le gargon n'est guére plus hardi que
son vis a vis; c'est a peine s'il laisse voir sa figure halée et cachée sous un chapeau a larges
bords.
Je dois dire pourtant qu'il y a dans la bourrée bourbonnaise une décence et une espéce de
gravité que je n'ai jamais retrouvées dans les danses d’aucun autre pays. »*
« Aucun peuple ne danse avec plus de gravité et de passion en méme temps. A les voir
avancer et reculer a la bourrée, si mollement et si réguligrement que leurs quadrilles serrés
ressemblent au balancier d'une horloge, on ne devinerait guere le plaisir que leur procure cet
fculté de saisir ce rythme
exercice monotone, et on soupgonnerait encore moins la di
élémentaire que chaque pas et chaque attitude du corps doivent marquer avec une précision
rigoureus:
1, pour peu qu’on observe les mémes personnages dansant dix ou douze heures
de suite sans courbature, on peut croire qu’ils ont été piqués de la tarentule, ou constater
'ALLIER Achille Le mouvement historique en Bourbonnais depuis 1830 Voyage pittoresque Réédition de
1934 Crépin -Leblond Moulins .3 p 15
? ALLIER Achille ibid.Mémoire de maitrise 29
Frédérique GUILLAUMIN
quiils aiment la danse avec fureur. De temps en temps la joie intérieure des jeunes gens se
traduit par un cri particulier quiils exhalent sans que leur physionomie perde son
imperturbable sérieux, et, par moments, en frappant du pied avec force, ils bondissent comme
des taureaux pour retomber avec une souplesse nonchalante et reprendre leur balancement
flegmatique. Le caractére berrichon est tout entier dans cette danse, Quant aux femmes, elles
doivent invariablement terre a terre en rasant le sol, ce qui exige plus de légereté
qu’on ne pense, et leurs graces sont d'une chasteté rigide. » *
George Sand ne donne aucune indication quant au pas... peut-é6tre parce quelle
méme r’en r'avait pas regu un enseignement mais l'avait appris par imprégnation ?
L’appartenance sociale des danseurs est peu évoquée.
Les textes cités précédemment ne mentionnent que des danseurs du monde
paysan ; les citadins et les notables fréquentent d'autres bals o l'on ne danse plus
la bourrée, mais la polka, la valse, la mazurka... A Vichy, les lieux de danse sont
différents, les heures également.
«..Chacun danse a son tour ; 'habitant des campagnes cesse quand le jour I'abandonne ; le
riche commence, quand la nuit survient
Cependant, la pratique partagée de la bourrée existait, peut-étre a titre
exceptionnel, dans un village berrichon.
«..AU milieu de 'été, & 'époque od ma grand-mére était le mieux portante, j'avais dansé la
bourrée sans encombre a la féte du village... »*
Les occasions de danse, dans les villes comme dans les campagnes, sont trés
souvent citées et décrites.
La bourrée faisait encore partie de la vie du monde rural, que ce soit lors des fétes
calendaires, comme “les brandons”, les fétes votives, ou les fétes familiales.
Dans les villes, des bals sont organisés pour les fétes (15 Aodt, fétes patronales...),
ils se tiennent le plus souvent en plein air.
SAND George Le meunier d’Angibault ibid. p 278
2 CHAMBRIARD Pascal « Bals populaires a Vichy et sa région au cours du XIX" sidcle » Bulletin de fa
Société d’Emulation du Bourbonnais, tome 63, 4° trim.1987, p 608-630
S SAND George Histoire de ma vie 4°™ partie Chap 5 pl44Mémoire de maitrise 30
Frédérique GUILLAUMIN
«<..,Le 30 juin, nos domestiques et nos ouvriers fétérent anniversaire de Maurice (...), on tira
force coups de pistolet et on dansa la bourrée. » *
(George Sand a vingt et un ans. )
Achille Allier_mentionne la bourrée lors de sa description de noces : «...la musette
anime la joie par des refrains du pays ; on danse des montagnardes et des bourrées, auprés
des tables, et a c6té il y a un tonneau en perce... »*
Le début du XXx*"* siécle verra de nombreux écrivains, régionaux et parisiens,
siinscrire dans le mouvement de description et de sauvegarde du patrimoine culture!
des campagnes. Je ne citerai que quelques-uns d'entre eux, Julien Tiersot (1857-
1936), musicologue parisien, Francis Pérot (1840-1918), Hugues Lapaire (1869-
1967), Emile Guillaumin (1873 - 1951), cultivateur et homme de lettres bourbonnais.
Dés Ia fin de la seconde moitié du XIX*"* siécle (décret Ampére et Fortoul 1852),
les collectes de contes, chansons, musiques, vont se développer.
«C'est au moment oi cette ancienne société paysanne est en train de disparaitre qu'on va se
mettre a s'intéresser a sa culture pour la premiere fois »°
Les écrits postérieurs & ceux de George Sand reprendront bien souvent ses
témoignages, comme ceux de Julien Tiersot, qui les complétera par une enquéte
Personnelle en Berry et Bourbonnais, notamment dans le village de Jenzat,
« berceau de [a vielle », dont il sera question plus loin, d’ou il rapporte plusieurs
Partitions de bourrées.*
Emile Guillaumin, dés son premier ouvrage Tableaux champétres (1901), et plus
encore avec La vie d’un simple (1904), a été le temoin précieux de la vie paysanne,
" SAND George Histoire de ma vie 4** partie chap 10 p2S2
* ALLIER Achille Le mouvement historique en Bourbonnais depuis 1830 Voyage pittoresque Réédition de
1934.Crépin -Leblond 13 p 15
} GUILCHER Yves La danse traditionnelle en France FAMDT MODAL 2" édition 2001 p 165
“TIERSOT Julien La chanson populaire et les écrivains romantiques , Paris PLON, 1931, p206, 247, 248‘Mémoire de maitrise 31
Frédérique GUILLAUMIN
et nous livre quelques descriptions de noces ou bals d'auberge ol se danse la
bourrée.
Francis Pérot, dans son Folk-lore bourbonnais, en 1908 relate les « anciens
usages », parmi lesquels la bourrée ; les paragraphes consacrés aux musiciens
vielleux et cornemuseux, tout en faisant référence au héros des « Maitres
sonneurs », donnent un apergu assez précis des musiciens de I'époque (noms,
résultats aux concours), j'en reparlerai plus loin.
Les danses sont décrites dans un esprit semblable a celui du siécle précédent
«Danse trés pittoresque particuliére au Bourbonnais, au Charolais et a I'Auvergne. La
musique aux cadences de laquelle les danseurs se rangent sur deux files est douce, simple et
naive, elle est enjouée, trés animée surtout au moment oii la musette donne le signal de
bichaillerie
Elle se danse encore aux noces, au jour des Brandons, oii les parents laissent seuls leurs
les embrassades...
enfants,
Parmi les nombreux ouvrages d'Hugues Lapaire relatifs aux traditions
berrichonnes, un traite entiérement de la bourrée.
Faisant remonter la danse aux gaulois, il aborde également la bourrée auvergnate,
mais donne une large place a la bourrée du Berry en décrivant les déplacements et
attitude des danseurs de fagon particuliérement imagée.
« La bourré
st la danse classique du Berry (...) chez nous, 'homme ne danse pas avec un
baton suspendu au bras, il ne fait pas claquer ses doigts (...) [Comparaison avec
Auvergne] 1a Berrichonne est réservée, recusilli (..) dans sa glissade sur le sol.
1» Le Berriaud ne se précipite pas avec la brutalité du Cantalés et s'abstient de pousser les
clameurs d'un Celte buvant 'hydromel dans le crane de l'adversaire qu'il a vaincu.
= Les couples se rencontrent, se saluent, reculent, se rapprochent de nouveau, entrecoupent
ce mouvement d'une sorte de chassé-croisé, et tournent rythmiquement autour l'un de l'autre.
wNos airs de bourrée dont la monotonie
réjouissants, plus enlevants que ceux d'Auvergne qui ont la
jent de la répétition du rythme sont plus
stesse d’une mélopée. »”
PEROT Francis Folk-lore bourbonnais Paris Emest Leroux éditeur 1908 p 20
* LAPAIRE Hugues La Bourrée , Paris Librairie Régionaliste 1921Mémoire de maitrise 32
Frédérique GUILLAUMIN
Le ton est donné, la prose est résolument chauvine, auteur citera ensuite les
diverses occasions oul la bourrée berrichonne se sera fait connaitre : exposition
universelle de 1889, fétes et concours, interméde d'une piéce au Théatre de
V'Odéon... et conclura sur un « Appel au paysan : conserve ton patois, ton costume et tes
saints Patrons | (...) reste de ton pays I... »
Atravers ces écrits, s'il est difficile de tirer des enseignements généraux, compte
tenu de la rareté des témoignages du XVII°"* siécle, nous pouvons avoir une idée de
évolution instrumentale ; la musette, déja présente au XVII" siécle, aux cbtés des
hautbois, flites, violon, tambour de basque, continue a faire danser aux XIX'™ et
XxX" sigcle ; la cornemuse est soliste ou en duo, la vielle a ses cétés depuis la fin
du XIX*** siécle.
Il est par contre plus délicat de suivre une évolution de la danse.
La bourrée, danse régionale, ne semble plus guére dansée que par les paysans au
XIX®™ siécle ; la pratique paraissait en étre plus courante au XVI", parmi diverses
couches de la population (dans la région Auvergne toutefois)
On peut observer que dés le XVII" siécle, I'attrait et la recherche du
pittoresque se font sentir dans les écrits de Fléchier et les lettres de Mme de
Sévigné. Ce sera toujours le cas dans les textes du XIX"™, avec de plus le souci de
décrire et de sauvegarder une pratique populaire qui commence a se perdre
Le début du Xx*™ siécle, avec les mouvements régionalistes et folkloristes, produit
une prose abondante, témoin de la disparition d'une tradition et du début de sa
conservation.
Il est intéressant de constater que les remarques sur la bourrée se trouvent
épars dans des documents de statuts différents : correspondance personnelle (avec
expression des sentiments individuels), mémoires, pour ceux du XVII°™
ene
articles de
presse locale, traité d'histoire régionale, romans, pour le XIX*™, ouvrages
folklorisant ou de musicologie au Xx".
Si les articles des journaux se montrent quelquefois méprisants, ou au contraire
dithyrambiques, dans leur relation des fétes et danses locales, les auteursMémoire de maitrise 33
Frédérique GUILLAUMIN
d'ouvrages d'histoire régionale sont d'une grande précision dans leurs descriptions,
essayant den avoir une vision objective.
Dans un souci de conservation des coutumes, les écrits d’auteurs locaux du ~er
siécle sont souvent davantage tournés vers un régionalisme exacerbé.
LA FIN DE LA « TRADITION »
L'extinetion de la pratique traditionnelle des danses et musiques en Centre
France ne s’est pas faite de fagon uniforme, mais suit un méme chemin.
Das la deuxiéme moitié du XIX'™ siécle, la révolution industrielle va pénétrer les
campagnes et transformer la vie des paysans: amélioration des moyens de
transport, modernisation de l'agriculture, mutation des bourgs. La pratique de la
bourrée suivra ces transformations.
La “Grande guerre” accélérera brutalement le processus de rupture davec la
tradition, Les cas de survivance et de transmission des répertoires perdureront dans
certaines familles, ol autour de quelques individus, instrumentistes talentueux, et un
certain patrimoine culturel sera préservé par les groupes folkloriques.
«lly @eu une coupure compléte entre les gens du coin et la musique traditionnelle, ce qui fait
que les gens de la génération d'avant moi, de 76, 80 ans, c'est des gens qui savent pas danser
la bourrée, ou trés trés peu... Ceux qui dansent maintenant, c'est des gens qui ont appris
parce qu’on leur a enseigné, mais pas parce qu'il y avait une tradition dans la famille ou dans
le pays. » Jean-Claude Laporte, vielleux interview aot 2001
«A partir de 1920, on ne joue plus de musique traditionnelle dans les bals bourbonnais sauf
dans des réunions de famille, dans des bals de hameau... la bourrée perdure dans un cadre
familial, et a partir des années 30, dans le cadre du folklore. » J-F « Maxou »Heintzen, musicien,
conférence du 18 juillet 2002 Gennetines
La bourrée va perdre son statut de danse traditionnelle faisant partie de la vie
des campagnes, puis celui de danse de bal, pour intégrer celui de danse
“pittoresque” donnée en spectacle.‘Mémoire de maitrise 4
Frédérique GUILLAUMIN
Peu & peu, instrumentation va se modifier, entrainant un changement de
répertoire (le phénoméne inverse se produisant également, les danses et airs
nouveaux appelant de nouveaux instruments...); les danses a la mode dans les
villes arrivent dans les campagnes. Les lieux et occasions de danse se modifient. Le
désir de montrer et sauvegarder ces musiques et danses vont créer des pratiques
nouvelles, comme celle des concours.
Les instruments varient, fifres, clarinettes, pistons, tambours et violons cétoient ou
remplacent vielles et cornemuses, et ce sont souvent les mémes musiciens qui
changent d’instrument en fonction du répertoire jous.
«la cornemuse d’autrefois avec son grand bourdon a tout a fait disparu. En son lieu et place
le, parfois toutes les
on se sert maintenant de la petite cornemuse
1S au cornet a piston ou au violon et cette sorte d'orchestre n’est pas sans
le va de pair avec la
deux sont je
valeur »."
« Dans le Bourbonnais, il n’y avait quasiment plus de musiciens puisqu‘on est une région qui
trés vite a adopté les formations champétres avec clarinette, saxophones, piano, pour les
bals, la cornemuse a relativement vite disparu, contrairement a la haute Auvergne...pays plus
isolé qui a plus gardé leur tradition. » Bernard Blanc, musicien, luthier entretien octobre 2002
Les répertoires évoluent vers des danses nouvelles, venues de Paris, qui vont
supplanter, aprés les avoir cotoyées, les bourrées devenues danses des "anciens”
‘«..Jes danses en plein vent ont été suivies...Nous avons constaté que la bourrée avait & peu
“est regrettable. Les étrangers
prés disparu, cédant la place aux danses plus aristocr
iques
aimaient a voir notre danse indigéne qui d’ailleurs avait son charme. » (La Semaine de Cusset,
27 juin 1860)?
«Hélas | La bourrée est maintenant dédaignée comme une perruque antiqu
lle se danse
encore un peu dans les
llages de la montagne. Quant a la plaine, toujours plus accessible
au progrés de la civilisation, elle cultive les polkas et les valses qu'on danse dans
dorés ; elle en sera bientot au quadrille américain. La plupart des jeunes ignorent la bourrée
salons
* Témoignage de Thomas Massercau, de Neuvy 1896 cité par GUILLAUME Gérard, « Les origines de la
société des Gas du Berry » in Imaginaires Auvergnats Actes du colloque de Riom ( nov 1996 ) MODAL Poche
FAMDT éditions
? CHAMBRIARD Pascal « Bals villageois et thermalisme a Vichy @ la fin du XIX" siécle » Bulletin de la
Société d'Emulation du Bourbonnais, tome 65, 2** trim.1990 p 111Mémoire de maitrise 35
F rédérique GUILLAUMIN
et, quand par hasard, dans un bal populaire, cette danse est inscrite au programme, elle n'est
plus guére exécutée que par des vieux ou des vieilles... » (Le Joumal de Vichy, 16 aodt 1886 )'.
Les occasions de danse changent aussi, les bals nécessitent de nouveaux lieux
Apparaissent les salles de bals, et lorsque celles-ci se trouvent trop étroites, les
parquets mobiles, que l'on monte et démonte.
«Le parquet mesure une quarantaine de métres carré et ’on est parqué lé-dedans, musiciens,
danseurs, danseuses et mamans par dessus le marché... » ( Joumal de Viohy, 12 avril 1862 }*
« Lourd matériel qu'il fallait déplacer avec des chevaux... Pour la lumiére, le courant électrique
. On se servait de lampes a acétyléne qui ‘’s’effusaient”
avant la fin de la nuit »*
Parquet de danse Riviére monté en 1926.
Photo extratte de “Mémoires er souvenirs ”
+ CHAMBRIARD Pascal « Bals villageois et thermalisme a Vichy ala fin du XIX sidcle » Bulletin de la
Société d'Emulation du Bourbonnais, tome 65, 2 trim.1990 p 125
? CHAMBRIARD Pascal ibid. p 122
>? RIVIERE Gaston Mémoires et souvenirs AMTA 1990 p 29Mémoire de maitre 36
Frédérique GUILLAUMIN
La culture paysanne devient objet dintérét pour les citadins, on se dépéche de la
conserver, de la montrer, bien souvent dans un but touristique. On organise des
fétes villageoises dans les villes d'eau, avec bourrée et si possible danseurs en
costumes,
«Les organisateurs de la féte ont di réaliser une fort jolie recette... l faut toutefois aviser a
mieux faire si Yon veut atteindre le véritable but du Comité, qui est de fournir aux étrangers
une distraction agréable et d’un caractére tout local. La premiére condition a remplir est de
donner a ces danses villageoises le cachet de bon goat qu’on y remarquait dimanche que
dans certains groupes isolés... Il ne doit pas étre impossible dautre part de trouver, parmi les
meillours danseurs des villages environnants, quelques personnes qui consentiraient a porter
ancien costume du pays, surtout si le comité voulait faire les frais d'une douzaine de
costumes. » ( La Saison Elégante, 7 juillet 1881 )'
Un phénoméne apparait, celui des concours, de danse, comme a Vichy lors de la
féte de juillet 1881, ot « 300 francs de prix seront distribués aux meilleurs danseurs »,
mais surtout concours de musique.
* CHAMBRIARD Pascal « Bals villageois ct thermalisme a Vichy a la fin du XIX"™ siécle » Bulletin de la
Société d'Emulation du Bourbonnais, tome 65, 2" trim.1990 p 116, 117‘Mémoire de maitrise 37
Frédérique GUILLAUMIN
Le concours de danse évoqué par les journaux vichyssois portait sur deux types de
bourrées, les bourbonnaises, dont les premiers prix furent remportés par une bonne
et un soldat de I'Hépital militaire, lequel gagna également I’épreuve de la bourrée
auvergnate, « Parmi les gagnantes, on cite une femme de 70 ans, des environs de Randan,
{ce qui tendrait a montrer "impact important de cette manifestation dans la région proche de
Vichy)’
Les concours de vielles et musettes vont connaitre un succés important; le
premier aura lieu & Saint-Amand-Montrond en 1883, et il y en aura une cinquantaine
dans les départements du Centre (Allier, Cher, Indre, Niévre), jusqu’a la guerre de
1914.
Soit curiosités touristiques pour les curistes des villes thermales (Vichy, Néris-les-
Bains, Bourbon-l'Archambault), soit associés A un concours de fanfare et
dharmonie, ou encore éléments des fétes patronales, ces manifestations font
preuve d'une organisation trés rigoureuse et d'un grand sérieux, avec remise de
prix, médailles et diplémes.
~ VILLE DE Doyer - -LA-PRESLE
GRAND CONCOURS
De VIBLLES o de MUSET TES. -
Suvert le 1% Juillet 1696
"CHAMBRIARD Pascal ibid. p 16 Extent de" Vidles & roue , Keer
Meenikes *
Tonos‘Mémoire de maitrise 38
Frédérique GUILLAUMIN
Il ne semble pas y avoir eu de morceaux imposés, et les airs choisis par les
concurrents étaient des piéces de bravoure, en vogue a I'époque
« En 1903 avait lieu a Boussac un grand concours de vielles et de musettes, le premier prix
( soliste ) a 616 attribué 4 Chassagne, de Domérat, pour solo de cornemuse... Nos artistes
abordent allégrement sur leurs instruments champétres : Faust, La Traviata, Mignon ; si le
décor n'y manquait pas, ma foi, pour nous Bourbonnichons, ce serait si beau qu’a ’'Opéra. »'
« Ony trouve alors des valses, des polkas, des mazurkas, des romances...0n trouve méme le
“Départ pour la Syrie
Vernet. » concours de Vichy de 1885?
Vancien hymne national du Second empit
Aucune bourrée n’a été présentée a ce concours ; le morceau final joué par
ensemble des participants, devant étre connu par tous, était la « Marche des
Cormards »..
La bourrée retrouvera par la suite sa place dans les concours ; en 1923, Joseph
Pajot, luthier A Jenzat, organise un concours de vielles ou la bourrée revient au
programme :
«..Le matin, le concours était 4 10 heures, il fallait jouer chacun trois danses, une bourrée,
lle | C'était le
une valse et une mazurka. J'ai obtenu le deuxiéme prix: et j'ai gagné ma
c'était une vielle trés belle... On était sept ou
concours des jeunes vielleux....Le premier pri
huit, j'ai joué une ancienne bourrée puis cette valse que j'avais faite, et puis une java
, 2
ancienne... »
En examinant les morceaux recensés par Claudie Marcel-Dubois et Marguerite
Andral lors du concours de Vielles et Cornemuses de Saint-Amand-Montrond de
1950, j'y ai également relevé un certain nombre de bourrées.
| PEROT Francis olk-lore bourbonnais Paris Ernest Leroux éditeur 1908 p 232
® CHAMBRIARD Pascal « Bals villageois et thermalisme & Vichy & la fin du XIX‘ siecle » Bulletin de la
Société d’Emulation du Bourbonnais, tome 65, 2** trim.1990 p 130
3 Témoignage d'un des participants, Monsieur Mondiere cité par CHASSAING Jean-Frangois La vielle et les
luthiers de Jenzat Aux Amoureux de Science 1987 p 68‘Mémoire de maitrise 39
Frédérique GUILLAUMIN
Si la bourrée a déserté la vie quotidienne dans les campagnes, elle a toutefois
6té transmise, que ce soit par le biais de manifestations touristiques ou
régionalistes, ou par la continuité dans certaines familles.
Mais c'est avant tout grace aux derniers musiciens traditionnels quiil a été
possible de mieux connaitre les airs de danse et leur style ; ces musiciens, souvent
poly-instrumentistes, ont été les derniers maillons et les “passeurs” de la tradition.
Certains musiciens actuels les ont connu, s‘inspirent de leur jeu et de leur discours,
Il m’a paru essentiel d’évoquer le parcours et la personnalité de quatre d’entre
eux: un cornemuseux berrichon, Joseph Fleuret, et trois vielleux, Gilbert Malochet,
Gaston Guillemain et Gaston Riviere.
C'est en 1890, a I'age de 6 ans, que Joseph Fleuret se prend de passion pour la
comemuse.
«.Jfai été @ la noce d'une cousine de ma mere et c’était le Pare Ragot qui jouait de la
cornemuse. J’ai eu sa musette deux jours dans les oreilles et je pourrais chanter tout ce qu’ll
a joué : ca, c'est jamais passé |...y’avait rin a faire, c’était plus fort que moi, j'avais c’te idée et
I'y suis arrivé. » '
«st
ommencé a faire des petites pailles de seigle.
fait des petits trous le long de la
paille et suis arrivé a sortir quéqu'p'tites choses.
ll achéte son premier hautbois, en bois blanc, puis accéde enfin a son réve, la
musette entiére !, qu'il aoquiert contre un sac d’avoine grace & un couvreur qui avait
découvert trois cornemuses dans un grenier...
« M’voila lancé ! Ma foi, a 15 ans a peine, j’vais a Notre-Dame-du-Chéne, j'trouve un vieux
vielleux la-bas qu'on appelait I’ Pare Bouquet...et nous v'la partis tous les deux... » >
"Joseph FLEURET Extrait d’une bande magnétique collectée et présentée par Mic BAUDIMANT « La musette
en Berry» Journées.A.T-P. novembre 1984 Bourges p 26
? iia
> ibidMémoire de maitrise 40
Frédérique GUILLAUMIN
Comme beaucoup d'autres musiciens, Joseph Fleuret avait un autre métier, il était
paysan aux Loges de Brenne d’Ardentes.
«Le pére Fleuret, a 14 ans, il allait faire des bals dans la forét de Chateauroux, et il gagnait &
peu prés en une soirée ce qu'un ouvrier agricole gagnait en 15 jours...
En tant que musicien, il a quand méme un pied largement dans la tradition... Ces gens la ont
joué jusque dans les années 30, 35, jusqu’a la dernidre guerre, pour des gens qui eux,
n’avaient jamais mis les pieds dans un groupe folklorique. » Mic Baudimant, comemuseux
entretien janvier 2003
Les occasions de jouer étaient nombreuses, que ce soient les fétes de famille, les
fétes traditionnelles et calendaires, cortéges de St Vincent ou de St Blaise, les
noces, les assemblées (fétes de village), et surtout les bals donnés les samedis et
dimanches dans des granges ou des petites auberges de villages, bals qui
pouvaient réunir jusqu’é 15 ou 20 danseurs !
Quel répertoire jouait-on alors ?
« Toutes espaces d'airs : la mazurka, la polka, la quadrille, la scottishe, la valse, la bourrée, la
montagnarde... Ga démodait pas beaucoup de ca dans nos limites...»"
Joseph Fleuret rejoindra le groupe folklorique des « Gas du Berry » en 1901
Sa disparition, en 1976, sera celle du dernier cornemuseux traditionnel
Des enregistrements de son jeu seront édités dans |’ « Anthologie de la musique
frangaise, le Berry » Chant du Monde 1980.
Quittons le Berry et la cornemuse pour la région de Montlugon et Ia vielle, avec.
Gilbert Malochet (1856-1945). II apprend la vielle jeune, et lors de son service
militaire, il compléte sa formation par le solfége et la clarinette. II sera musicien
professionnel toute sa vie durant, préférant la vielle sans délaisser la clarinette.
" Joseph FLEURET Extrait d'une bande magnétique collectée et présentée par Mic BAUDIMANT « La musette
en Berry » Journées A.1-P. novembre 1984 Bourges p26‘Mémoire de maitrise 41
Frédérique GUILLAUMIN
«Il sort beaucoup, se fait reconnaitre, se crée une clientéle (...) Gilbert Malochet est une
personnalité connue sur son nom et non sur le caractére pittoresque de I'instrument pratiqué
ou du répertoire. On peut, a cette période - 1a, le considérer comme un musicien populaire...» *
Il participe @ toutes les fétes, bals, noces, foires...de la région montlugonnaise et
« déborde » méme sur la Creuse et le Puy de déme ; jouant rarement seul, il a des
partenaires privilégiés, comme Jules Aubouet (1876-1959) vielleux, Antonin Rondier
dit Pacouret (1864-1952) coremuseux, les fréres Guillemain, vielleux et
cornemuseux...
« Malochet est un vielleur inimitable, hors concours, il va de pair avec Pacouret, le fin joueur
de musette ; uniques en leur genre, ces deux inséparables font la paire. Ces deux artistes de
Montlucon et Viplaix se sont fait applaudir chaleureusement a Paris, a Clermont
En 1893, il investit dans un parquet.
Ses écrits sont précieux pour les renseignements concernant ses prestations (livre
de comptes notant les bals, concerts, fétes...) et le répertoire (assez peu de
bourrées... mais des musiques de type militaire ou danses pour pistor/clarinette ! )
et le style de jeu (de nombreuses partitions écrites de sa main - il n’a pas fait
denregistrement - notant «les ornements et la rythmique des bourrées a deux temps
essentiellement » ).
II participe aux concours de vielles et cornemuses, gagne le premier prix & Néris
les Bains en 1888, celui de Exposition Universelle & Paris en 1889, sera membre
des jurys par la suite.
ll enseigne Ia vielle 4 de nombreux éléves
1 était un excellent pédagogue. Il apprenait méme @ ceux qui n’avaient pas de grandes
dispositions. A force de patience, de douceur, il obtenait le maximum de résultats et cela,
‘avec un encouragement inlassable jusqu’a la fin de la lecon qui durait parfois une demi-
journée, » *
HEINTZEN Jean-Frangois « Maxou », LEGUET Florence « Gilbert Malochet, de la tradition au folklore » in
Imaginaires Auvergnals Actes du colloque de Riom (nov, 1996 ) MODAL Poche FAMDT éditions p 8
° PEROT Francis Molk-lore bourbonnais Paris Ernest Leroux éditeur 1908 p 232
* PEROT Francis. ibid,
“RIVIERE Gaston Mémoires et souvenirs AMTA 1990 p 58‘Mémoire de maitrise 2
Frédérique GUILLAUMIN
II rejoindra lui aussi un groupe folklorique en 1926, les "Maitres Sonneurs
Bourbonnais”. II jouera jusqu'a la fin de sa vie :
« Courant 1946, bien que trés 4gé, il est demandé pour une soirée au profit des prisonniers de
guerre et de leurs familles. En guise de rappel, assistance lui réclame “Perles de cristal”.
Fatigué, il se fait pr
quéte... de tabac II fait circuler son chapeau...et devant le résultat q
Il consent finalement a s’exécuter, & une condition : qu’on lui fasse une
juge satisfaisant, il
joue “Perles de cristal”. C'est son dernier tour de vielle, il meurt dans la semaine qui suit
Gaston Guillemain (1877-1966), né au Chatelet en Berry, commence la vielle 2
13 ans. II fait ses débuts aux cété de son pére, cornemuseux et tailleur de pierre, et
se fait remarquer trés rapidement par son talent. Avec son frére Lucien (1868-1966),
on les retrouve aux meilleures places des concours de vielles et musettes entre
1894 et 1950.
Cordonnier de métier, il n'a jamais rien fait d’autre que de jouer de la vielle.
«ll forme des éléves, entre autres Gaston Riviére, mais surtout impressionne tous ses
auditeurs par sa fantaisie débridée, tant dans la vie qu'en musique...Il est demandé partout
Pour animer bals et noces... Au début des années 50, les “Thiaulins de Ligniéres”, groupe
folklorique berrichon, le sollicitent. »*
Avec son frére, il enregistre plusieurs 78 tours, puis participera & de nombreux
enregistrements avec les Thiaulins.
« Roger [Pearron] a été le voir..et ca s'est bien passé, il y avait une espace d'amitié solide,
méme si quelquefois ga bardait... mais tout ¢a, c’était fait avec beaucoup de spontanéité et de
gentillesse... Si bien que Gaston Guillemain est devenu un petit peu notre ménétrier officiel...
‘Au début, quand on a fait les premiers disques ou je jouais, évidemment, je jouais pas
formidablement, et Gaston parfois me fu
on sait pas, on joue tout seul
du regard en disant : ‘ on vient pas jouer quand
» Mic Baudimant comemuseux, entretien janvier 2003
Figure mythique, il a grandement marqué la musique du centre France.
rapporté par un de ses petits-fils cité par HEINTZEN Jean-Frangois « Maxou », LEGUET Florence « Gilbert
Malochet, de la tradition au folktore » in Imaginaires Awvergnats Actes du colloque de Riom ( nov. 1996 )
MODAL Poche FAMDT éditions p 17
? HEINTZEN Jean-Frangois « Maxou », « Bourbonnais, la plus récente des traditions » in Vielle @ roue,
territoires illimités FAMDT éditions 1996 p 67‘Mémoire de mattrise 8
Frédérique GUILLAUMIN
«Jai écouté deux maitres-sonneurs pendant la guerre que j'ai présentés a une s
théatrale au profit des prisonniers de chaque commune dans la Creuse. C’était Pacouret et
Gaston Guillem:
Oh ! c’était joli de ta vie, ils faisaient des tierces, Gaston Guillemain, c’est
fe vielleux le plus riche en tierces il faisait
n que des tierces sur toute a ligne... des accords
? Par Voreille. I faisai
pour faire un genre d’harmonie. Comment faisai
dessous, on aurait dit un jeu de cloches... »*
la tierce en
buste de
Gaston Guillemain
Le Chatelet en Berry
i a:
ae
photo persounelle
" DURANTON Adrien, vielleux, né le 6 mai 1899 a Pionnat (Limousin ) Enregistrement de C.M. Dubois
ATN/I938 doc. Or. ATP.‘Mémoire de maitrise 44
Frédérique GUILLAUMIN
Il me faut maintenant parler de Gaston Riviere, héritier direct des deriers
musiciens populaires de la région, puisqu'il les a conus et a fait oeuvre de
transmission aux générations actuelles.
Né le 20 Septembre 1909 a Saint-Jeanvrin dans le Cher, sa famille s‘installe aprés
armistice & Chateaumeillant; bon éléve, il occupe ses loisirs en jouant sur un
accordéon diatonique les refrains de I'époque. II débutera l'apprentissage de la
musique par le solfége et le violon avec un de ses instituteurs, puis apprendra la
clarinette l'association musicale de Chateaumeillant
Crest @ un retour de I’école, un soir, que son pére lui offre sa premiére vielle... quill
avait pas demandée !
«Si la vielle était plus facile, j'aurais pas continué ; c’est par sa difficulté qu’elle m'a attiré. »
Entretien juillet 2002
Il prend des cours avec Gaston Guillemain.
« Tous les quinze jours, le jeudi, congé scolaire, je partais en vélo, ma vielle en bandouliére et
ne rentrais que le soir. Aidé par ma précoce formation musicale et sous l'autorité d'un tel
professeur, mes progrés furent rapides. »'
II se produit trés vite sur scéne, « sert sa premiére noce a 13 ans et demi, et posséde un
parquet 4 son nom deux ans plus tard ». ”
Par la suite, il prendra également des legons avec Gilbert Malochet.
Il continue de jouer de la clarinette, sacrifiant violon et accordéon diatonique, et
parallélement apprend le métier de cordonnier.
C'est en 1924 que Gaston Riviére rentre au groupe folklorique « Les Gas du
Berry » ; «il est leur benjamin ; durant lentre-deux guerre, il joue quasiment d’égal a
avec les grands anciens, et se trouve donc étre a Ia libération, le seul capable de faire
perdurer la pratique de vielle sur le Montluconnais ».>
" RIVIERE Gaston Mémoires et souvenirs AMTA 1990 p 15
? HEINTZEN Jean-Frangois « Maxou », « Bourbonnais, la plus récente des traditions » in Vielle @ rowe,
Lerritoires illimités FAMDI éditions 1996 p 65
> HEINTZEN Jean-Frangois « Maxou », ibid,‘Mémoire de maitrise 45
Frédérique GUILLAUMIN
A 18 ans, il se lance dans l'apprentissage d'un nouvel instrument & la mode,
laccordéon chromatique ; au service militaire, aprés 'examen d'entrée, il est
premiére clarinette.
Il continue a donner des bals (partant avec vielle, accordéon et grosse caisse !),
fait partie des “Maitres Sonneurs bourbonnais”, apprend la comemuse, seul, cédant
aux pressions de Gilbert Malochet...
« Javais un orchestre moderne, j'ai fait des bals, des noces, avec piano, guitare, saxo alto...
Jaimais beaucoup, j’étais demandé assez loin ; avec la vielle et la cornemuse, je faisais des
intermédes. » Entretien juillet 2002
Il fonde le groupe des “Troubadours Montlugonnais”, et forme musiciens et
danseurs ; la réussite est grande, les éléves sont de plus en plus nombreux.
« Jfavais moi-méme une société que jai fondée, « Les Troubadours Montlugonnais », et j'ai
Des stages, et aussi des
1e, aprés la journée, je les recevais. J'ai eu jusqu’a trois éléves en meme
un autre dans la salle de
fait beaucoup d’éléves la-dedans, des vielles et des cornemuses..
cours ; dans la semai
temps chez moi, un dans la cuisine, "autre dans un bureau, et p
séjour. Alors j'allais de Pun a l'autre ! » ibid.
En 1950, il publie une méthode de vielle, en 1959 est élu président de la
Fédération Folklorique du Centre, en 1962, publie un recueil d’airs, se lance dans la
lutherie, organise des stages au sein de I’ « Amicale des vielleux et cornemuseux du
Centre » dés 1964.
« J'ai fait des stages trois a quatre fois par an, o on était plus de 100 chaque fois, parce que
cornemuse...autant de femmes que d’hommes, plus de femmes a la vielle !
rrangeais les vielles, je les mettais dans le bon chemin...
Je m’en suis bien occupé et ils s’en rappellent les gars ! » ibid.
Je traitais de tout, les accords,
Une grande rigueur, une attention particuliére quant au réglage et l'entretien de
instrument, un jeu de main droite bien “codifié”
«La main droite est difficile, on peut toujours avoir une bonne main gauche, mais la main
droite doit détacher toutes les notes quelles que soient leur place et leur durée dans la
mesure, les syncopes, et tout... » ibid.Mémoire de maitrise 46
Frédérique GUILLAUMIN
Tout cela donna les bases dont les musiciens actuels ont tiré profit.
Avec Antoinette Gabard, qui fut une de ses élaves, il continue de proposer
animations de noces, soirées... et vient donner chaque année conférence et bal au
"Grand bal de Europe” & Gennetines, prés de Moulins.
Gaston RIVIERE
&
Antoinette GABARD
Animations en tous genres
So
famille » Banquets » Confréries
Club 3'
Joyeuses
phete
personnelle
En résumant la vie de quelques-uns des musiciens de la fin du XIX*™* et début du
xe" siacle, j'ai évoqué pour chacun d’entre eux la rencontre avec les groupes
folkloriques. Elle était inévitable.‘Mémoire de maitrise ”
Frédérique GUILLAUMIN
APRES LA TRADITION, LES PREMIERS GROUPES FOLKLORIQUES
«L’apparition d’un groupe folklorique,
c’est comme le faire-part de décés
une tradition populaire »
Yves Guilcher
Aprés un rappel historique rapide du mouvement régionaliste et folkloriste, pour
lequel je prendrai mes informations dans les articles de Marie-Thérése Duflos-Priot,
« Quelques jalons pour l'histoire des groupes folkloriques » in L'air du temps, du romantisme a la
world-music, collection MODAL 1993 FAMDT éditions et « A travers la France, quelques approches
du folklore fin XIX* et début XX" » in Imaginaires Auvergnats Actes du colloque de Riom ( nov 1996)
MODAL Poche FAMDT éditions, je ciblerai plus spécifiquement quelques groupes du
Centre.
« On peut définir sommairement le groupe folklorique comme une association ayant pour but
de présenter au public les danses traditionnelles de son pays et certains aspects de la culture
locale. Ces danses sont exécutées avec des costumes locaux. Elles s'accompagnent de
musique traditionnelle jouée sur des instruments appropriés... Le groupe se considére (...)
comme le représentant d’un pays (...) il entend exprimer l'identité d’un territoire... »*
Aprés l'intérét des écrivains romantiques pour les régions et leur culture, la
nécessité de collecter et de sauvegarder le répertoire et les témoignages de la vie
passée verra émerger les chercheurs-folkioristes, en particulier Amold Van Gennep
(1873-1957). Grace & une rigueur de travail et aux érudits locaux, de nombreux
objets et temoignages seront collectés, conservés, exposés. Des musées d'Art et
Traditions populaires sont créés, des scénes du monde rural sont présentées au
cours des Expositions Universelles.
DUFLOS-PRIOT Marie-Thérése « Quelques jalons pour V’histoire des groupes folkloriques » in Lair du
temps, du romantisme @ la world-music collection MODAL. FAMDT éditions 1993 p82‘Mémoire de maitrise a8
Frédérique GUILLAUMIN
Parallélement, l'essor de l'industrialisation voit le départ de ruraux pour les villes,
ou les originaires d'une méme région se rassemblent en associations, au sein
desquelles on entretient les traditions et la culture.
« Lorsqu’on retourne au pays, on porte sur celui-ci un regard neuf. On prend conscience de
ses spécificités et on y rend sensibles ceux qui vivent sur place »*
Face a la centralisation du pouvoir, des mouvements politiques régionalistes
voient le jour . Dans les régions, on voit I'émergence de fétes identitaires,
Ce phénoméne s'amplifiera aprés la coupure de la guerre de 14, les groupes
folkloriques se multiplient et s'organisent au sein de fédérations.
Les pouvoirs publics encouragent cet intérét pour la culture régionale, en 1938, une
commission des arts et traditions populaires est formée au ministere de Education
Nationale. Cette période s'arréte brutalement avec la guerre, Pétain reprendra a son
compte dans un but de propagande la mythification des “vraies valeurs” du monde
paysan. Parallélement, au sein du mouvement "Jeune France", les collectages sur
le terrain, les stages de formation se multiplient
« Tout en disparaissant de la vie quotidienne, les formes de la danse traditionnelle devenaient
un champ de recherche ethnologique...des groupes se sont institués pour les conserver
‘concrétement par le geste et y trouver matiére a spectacle. » *
La premiére formation folklorique a vu le jour le 30 Mars 1888, a Paris, sous le
nom de « Société des Gas du Berry et aultres lieux du Centre » par le sculpteur
Jean Baffier (1851-1920), originaire du Cher; Edmond Augras (1854-1927),
biscuitier de I'indre, crée la société soeur “au pays”.
«Aprés la guerre de 1870 la défaite et les deuils avaient plongé le pays dans la tristesse.
Particuliérement en Berry, oi on est trés sensible, les populations étaient démoralisées et
bannissaient des fétes les réjouissances d’autrefois. C’est ainsi que de nombreux mariages
" DUFLOS-PRIOT Maric-Thérése « Quelques jalons pour I’histoire des groupes folkloriques » in Lair du
temps, du romantisme é la world-music collection MODAL FAMDT éditions 1993. p87
* DUFLOS-PRIOT Marie-Thérése ibid, p 84‘Mémoire de maitrise 49
Frédérique GUILLAUMIN
étaient
jement célébrés sans la cornemuse et la vielle qui se tai
n des baptémes, de la gerbaude, etc...
‘Néanmoins, la saine gaité reprenait peu a peu ses droits, mais la mode substituait a nos vieux
Poceas
instruments une mauvaise clarinette et un bruyant piston.
Or, au début de 1888, j'eus la joie et la chance de connaitre Jean Baffier (...) Pour sauver nos
vieux instruments, il avait déja groupé un certain nombre de vielleux et de cormemuseux du
Cher qu'il conduisait dans les fétes. C’était la voie, je n’hésitais pas a 'imiter. Vielles et
cornemuses étaient généralement oubliées dans les greniers oi elles étaient devenues le
repaire des rats. Je les fis remettre en état en méme temps que je décidai les musiciens a venir
avec moi et bient6t la société des ‘Gas du Berry’ était fondée. Un doux souveni
une récompense, est resté gravé dans ma mémoire : celui d’avoir vu tous les Gas reprendre,
avec un réel courage, les instruments délaissés... » *
Maurice Sand fut choisi comme président d’honneur en Avril 1889.
Les neuf membres musiciens fondateurs, qui se produiront pour la premigre fois lors
d'une foire & Chateauroux, sont tous originaires de la région de La Chatre,
département de |'ndre: les cormemuseux Pierre Appaire, Jean-Baptiste
Charbonnier, dit “Plumet” ( pour son exigence de roseaux plumet pour fabriquer
ses anches), Blaise Chaumard, Hippolyte Moreau, évoqué par George Sand dans
‘Promenades autour de mon village’ et les vielleux Bertrand Appaire, Dubuget ait
“foreille"( il ne lui en restait qu'une, autre aurait été mangée par les rats), Pierre
Gerbaud, Moreau fils, sous la direction du chef d'orchestre et comemuseux Marc
Raveau.
Un des événements marquant de cette époque fut leur participation & "Exposition
Universelle de Paris en 1889.
La société s’agrandit rapidement (25 membres en 1889) ; en 1935, on note l’arrivée
des deux premiéres vielleuses de la société, Armandine Poudroux et Suzanne
Bardeau,
De nombreux musiciens, qui s’étaient remis aux instruments traditionnels a la
demande d'Edmond Augras, et intéressés par les bénéfices quils pouvaient en tirer,
pratiquaient bien souvent des instruments plus en vogue.
" Lettre adressée par Edmond AUGRAS a Louis-Laurian TOURAINE et Emile BARBILLAT en Juillet 1924
citde dans La société des Gas du Berry ou cent ans en cent illustrations Chiteauroux 1988. 7, 15Mémoire de maitrise 30
Frédérique GUILLAUMIN
La sonorité des instruments était trés différente de celle d’aujourd’hui, les vielles
étant accordées sur les cormemuses 13 pouces, en si bémol. En 1921, la commande
massive hautbois de cornemuses de 16 pouces (sol/do) ayant été décidée, il fallut
neutraliser les bourdons des musettes en raison de I'incompatibilité avec l'accord
des vielles.
Le répertoire est souvent proche de celui des harmonies, marches napoléoniennes
‘ou composées pour le groupe, danses en vogue.
«En fait , le répertoire dit Berrichon ne s'est véritablement constitué qu’a partir du travail de
collectage de chants réalisé par Laurian Touraine et Emile Barbillat entre 1910 et 19: ‘
Dés 1928, les défilés seront accompagnés de jeunes filles en costume ; puis sous
limpulsion de Louis-Laurian Touraine, alors président de la société, apparaitront les
premiéres scénes dansées, et plus particuliérement les bourrées.
Défilés, animations de fétes et sorties, la vie du groupe folklorique, mise en sommeil
durant la demiére guerre, ne s'est jamais arrétée, Depuis 1973, le groupe met en
sone les romans champétres de George Sand a Nohant, lors de son “assemblée”
annuelle; en 1992, “Les Gas du Berry” ont été le seul groupe folklorique
représentant la France a l'exposition universelle de Séville.
photo
extrette
Bode ake
les. ger-de.
berry
' GUILLAUME Gérard , « Les origines de la société des Gas du Berry » in Imaginaires Auvergnats Actes du
collogue de Riom nov.1996 MODAL Poche FAMDT éditions p29Mémoire de maitrise 51
Frédérique GUILLAUMIN
C'est en 1929 que «Les Maitres sonneurs Bourbonnais » voient le jour a
Montlugon, a initiative d’Alfred Bonnaud, cornemuseux ; le président est le docteur
Piquand,
Composé de musiciens et de chanteurs, on retrouve dans ce groupe les meilleurs
musiciens des environs, sous la direction musicale de Gilbert Malochet : les vielleux
Gaston Guillemain, Jules Aubouet, Gaston Riviére, les cornemuseux Lucien
Guillemain, Antonin Pacouret, Théophile Aubrun.
«La qualité de cet ensemble musical a favorisé nos nombreux déplacements dans les
grandes villes de France (..) 'apothéose : Salle de la Mutualité a Paris, avec, au méme
programme, la grande Joséphine Baker... »'
Liaprés-guerre voit la nécessité de reconstruire un ensemble folklorique &
Montlugon, Gaston Riviére sera le fondateur du nouveau groupe « Les Troubadours
Montlugonnais ».
L’association « Les Thiaulins de Ligniéres en Berry » a été fondée en 1946 par
Roger Pearron, jeune instituteur issu de milieu paysan. Commengant & enquéter et
collectionner dans son entourage objets, costumes, et paroles, il se retrouve a la
téte d'un petit patrimoine culture! et régionaliste. Avec ses amis -ils sont de plus en
plus nombreux-, il transmet aux jeunes musiques et danses.
Les musiciens des débuts étaient peu nombreux, Gaston Guillemain étant le plus
célébre d’entre eux. Les rencontres avec les musiciens d'autres groupes « tous ces
amis a, Gaston, Michéle Fromenteau, Jean Roux, Dédé Dubs
qui étaient quand méme des
pointures @ I’époque... » Mic Baudimant, comemuseux, entretien janvier 2003 , ont permis
Venregistrement de disques étiquetés "Thiaulins de Ligniéres”
Aprés avoir changé plusieurs fois de siége, le groupe va faire siinstaller au
Chateau du Plaix, don de la famille Goin-Berthier 4 la condition que les Thiaulins
"RIVIERE Gaston Mémoires et souvenirs AMTA 1990 p46‘Mémoire de maitrise 2
Frédérique GUILLAUMIN
s’en servent pour continuer leur ceuvre de collectage. Le chateau sera restauré et
aménagé en musée d’Arts et Traditions Paysannes.
Le Chateau du Plaix par T. Addison
Aujourd’hui, au sein du “groupe d'art et tradition populaire”, ils sont une centaine de
Thiaulin(e)s, avec @ leur téte Mic Baudimant, comemuseux ; la préservation d'un
patrimoine culturel est leur perpétuel souci et va bien au-dela des danses et
musiques... jusqu'a faire renaitre la race des anes “grands noirs du Berry” !
«Faire du folklore pour moi, c’est (...) mettre un costume
en respectant une certaine
authenticité de I’époque dans laquelle on a envie de médiatiser les costumes, et au niveau
musique, c'est d’essayer d'utiliser un répertoire ancien, au plus prés de la réalité... Ga veut
dire qu'on passe notre temps a préserver toutes les coutumes...» Jean-Jacques Smith,
‘comemuseux, entretien 18/10/02
Un des points forts de l'année est ‘Assemblée du Plaix, le troisitme week-end
@Aodt (spectacles, bal, repas, jeux traditionnels, concours de rond d’Argenton...).
E
a is d
exhale dy site des Thioutins
Witkp: /plain Free feMémoire de maitrise 33
Frédérique GUILLAUMIN
«La Chavannée », groupe d'expression populaire bourbonnais (au départ
groupe folklorique), est une association fondée par Jacques Paris, instituteur de
village, a la fin des années soixante,
Elle rassemble plusieurs générations autour de la recherche sur les arts et traditions
populaires en Bourbonnais, donne des concerts, des spectacles, des bals (environ
une a deux prestations par mois ),
Lors des fétes comme celle des Brandons, la féte de la riviére, ou la grande féte
d’été, elle accueille dans son lieu de vie, 'ancienne Vignerie d’ Embraud, sur les
bords d’Allier, les voisins et amis.
Dans une maison de I'ancien quartier des mariniers, au Veurdre, le groupe installe
la Maison de la Batellerie en 1998.
De nombreux musiciens se formeront chez “les Chavans”Mémoire do maitrise 54
Frédérique GUILLAUMIN
C'est également dans un milieu enseignant et dans une démarche d’éducation
populaire, en 1951, que naissent « les Tréteaux laiques moulinois » (de Moulins,
alaF.OL.
Partant d’activités théatrales au répertoire régionaliste, le groupe se toume
Allier), premier nom du groupe folklorique « La Jimbr'tée », affil
rapidement vers les chants et les danses, et élargit également son champ de
recherche incluant un atelier dentelle et travail de la laine et tissage.
«La recherche s’organise autour de Paul Chambonnet. Le premier musicien sera un
loniste de formation, Michel Laurent. il sera le
premier vielleux et deviendra le formateur d’une importante lignée. Jean-Claude Roux
assurera la formation et la coordination de l'ensemble des danseurs. »*
accordéoniste, trés vite rejoint pas un
La Jimbrtée recherchera également un lieu a investir, ce sera la Grange de
Corgenay, en 1980.
Toujours trés attaché a son réle d’éducation populaire, outre les ateliers divers, le
groupe regoit les enfants des écoles toute l'année.
«Les années passées, en fait, tout confondu, ca pouvait étre une prestation auprés d'une
école, un atelier danse, un bal, un spectacle, on faisait entre 40 et 50 prestations dans
année... ¢a fait quasiment une par semaine... » Didier Boudonnat, vielleux, entretien Juillet 2001
Le groupe a fété ses 50 ans avec succés et de nombreux amis en Novembre 2001.
" ROUX Paulette et Jean-Claude « Jimbr'tée Bourbonnais: témoignages d'une pratique » in Imaginaires
Auvergnats Actes du colloque de Riom (nov. 1996 )MODAL Poche FAMDT éditions p 61
bo. Yin
Ge
photo
personnalle‘Mémoire de maitrise 35
Frédérique GUILLAUMIN
Une grande partie des musiciens que j'ai rencontrés sont issus de groupes
folkloriques, bien souvent de ceux dont je viens de retracer l'existence ; s'ils n’en ont
pas fait partie, ils ont été fortement influenoés par les grands musiciens "mythiques”
cités, et en reconnaissent importance.
LES SOURCES DE LA PRATIQUE ACTUELLE
«Les sources cela ne
siinterpréte pas, cela
se reproduit, cela se
maintient » Jean-Francois
«Maxou » Heintzen
Il est nécessaire de différencier les sources écrites, relativement importantes
pour ce qui est du répertoire musical, et celles transmises oralement, ou par le biais
de lenregistrement, celles-ci sont nettement moins nombreuses.
Concemant la danse, outre les quelques témoignages écrits évoqués dans la partie
historique » de ce mémoire, ce qui @ pu étre « sauvé de loubli » I'a été grace a
quelques chercheurs de la premiére moitié du XX° siécle et collecteurs ; les
séquences filmées font malheureusement figure d'exception
Distinction doit étre faite entre collectage et enquéte
«le collectage, cela consiste 4 parcourir les campagnes pour recuei
ir des répertoires (...)
[qui] ainsi sauvés de l'oubli, pourront das lors étre classés, consultés (...) et alimenter une
nouvelle pratique...»
« L’enquéte de terrain inclut le collectage. Mais elle ne s'y limite pas... Le but de l'enquéte (...)
c’est de comprendre le pourquoi et le comment de ces répertoires..
1 GUILCHER Yves La danse traditionnelle en France Modal 2" édition 2001 p21‘Mémoire de maitrise 56
Frédérique GUILLAUMIN
C'est grace & quelques personnalités venant dhorizons divers quil a été
possible de connaitre les danses traditionnelles ou issues de la tradition, en Berry.
Nombre d’entre ces collecteurs cherchaient de la matiére pour enrichir le répertoire
de leur groupe folklorique, d'autres enquétaient dans un but de recherche
ethnologique. Leurs routes se sont souvent croisées et réunies.
C’est pendant la guerre que Jean-Michel Guilcher obtiendra une bourse de “Jeune
France” et enquétera avec Pierre Panis et Suzanne Chemisier en Bas Berry. Les
résultats de cette enquéte ont été et sont toujours enseignés par Yves Guilcher,
grace aux notes prises par son pare.
L’enquéte menée en 1962 et 1963 par Jean-Michel et Héléne Guilcher porte sur
23 communes du Haut-Berry et traite des montagnardes a 3 temps.
« Parler de danse berrichonne, c'est aujourd'hui évoquer la bourrée (...)
D'abord, dans la plupart des exemples connus, il s'agit d’une danse pour un petit nombre
d'exécutants : deux, trois, quatre, six, rarement davantage... Une grande réunion de plein air
(...) ne rassemble pas les danseurs en une seule bourrée générale, mais juxtapose ou disperse
un nombre quelconque de groupes, distincts et clos.
Du point de vue technique cette danse est caractérisée par un certain équilibre qu'elle réalise
entre le pas et la forme. Le pas est le pas de bourrée, fort simple dans son principe, assez
articularisé dans son style pour que l'assimilation en soit malaisée. Partout semblable quant
la structure, il varie dans son dessin gestuel. Ses trois appuis successifs emploient une
mesure de la mélodie d'accompagnement ; mesure 4 2 temps ou a 3 temps suivant les cas.
Les deux rythmes peuvent coexister au méme lieu, ou l'un exclure l'autre...
‘Au terme de Ia tradition on Ia trouve le plus souvent stabilisée en versions-types faisant
autorité...
‘Sa valeur [la bourrée] apparait avant tout récréative et esthétique. » '
Aprés avoir fait l'étude des danses plus anciennes en Berry, telles que les branles,
Jean-Michel Guilcher arrive & plusieurs conclusions
* GUILCHER Jean-Michel, « Les formes anciennes de la danse en Berry » ATP janvier-mars 1965 p 3Mémoire de maitrise 37
Frédérique GUILLAUMIN
« La bourrée n’est pas un constituant fondamental, trés ancien, de la tradition dans toute
Pétendue du Berry... Il est sir que par places au moins, elle est d'importation récente...
Tout ce que nous pouvens savoir de l’évolution des formes de la danse en ce pays montre
que la bourrée, au cours du XIX* siécle, a étendu son domaine tandis que se réduisait le
domaine du branle...
Il nest pas douteux qu'il y ait eu diffusion d’une mode de la bourrée par contagion de proche
térieur des milieux populaires... Jaubert déclarait la bourrée berrichonne
en proche, &
venue de l'Auvergne et du Bourbonnais. G. Sand, dans Les Maitres sonneurs, attribuait elle
aussi au Bourbonnais, dans l'ordre musical au moins, une influence décisive sur le Bas-
Berry...
Mais il est sr d’autre part que le milieu populaire n’est pas seul en cause... Mme Aurore Sand
tenait de famille que, dans la jeunesse de son pére, la bourrée était en grande faveur dans la
bourgeoisie de La Chatre... Une bourrée en vogue dans les salons portait méme le titre de
“Bourrée des dames de La Chatre”... »*
Pierre Panis, fils et petit-fils d'instituteurs découvre ses premiers bals enfant,
dans les années 1917-18, dans le sud de l'Indre.
«C’était le pére Finet qui jouait de la vielle et animait le bal, dans une grange. Puis &
Aigurande, au bal des pauvres oi! 'on danse encore la bourrée, il apprendra directement a
danser les seules bourrées en vogue & ce momenta, les bourrées droites, « la toute drette »,
et le type de bourrée croisée qui s'est dansée dans tout le Berry. » *
Crest & Paris quil fonde en 1936 le groupe folklorique « Le Berry », avec le souci de
rechercher un répertoire, des costumes ... traditionnels
Certains membres du groupe vont lui apporter des danses: Georges Simon,
vielleux, a recueilli la bourrée de Plaimpied, la bourrée croisée du Val de Loire, la
bourrée des jeunes, Lucien Guillemain, Ja Moutonne.
‘Avec Suzanne Chemisier, issue d'une famille ois l'on dansait les bourrées 2 temps, il
fait du collectage autour de La Chatre (bourrées a quatre danseurs, a deux et trois
GUILCHER Jean-Michel, « Les formes anciennes de la danse en Berry» A7P janvier-mars 1965 p 28, 29
* Conférence de Solange PANIS « La collecte de Pierre PANIS en Berry» Rencontres de Chiteau-Chinon
25/10/2002Mémoire de maitrise 58
Frédérique GUILLAUMIN
temps); Suzanne Chemisier, institutrice, prenait également ses renseignements
aupras des enfants dont les familles dansaient encore
Il rencontre, Issoudun, Isidore Dartiez, facteur et violoneux, chez qui il apprend
plusieurs bourrées droites.
«