Regard porté à posteriori, l'Art poétique se singularise par une triple exigence, "de la musique avant toute
chose", "et pour cela préfère l'impair" "car nous voulons la Nuance encor".
La « Pointe assassine » est une ironie vis-à-vis de la poésie satirique de Boileau et Voltaire, dont le caractère
rationnel est aux antipodes de la vraie poésie. Le Rire (conséquence du mot d’esprit) est rejeté comme
« impur » (v.21). L’aspect grandiloquent de la poésie romantique du XIXe siècle est condamnée. Verlaine
tourne en dérision les effusions lyriques d'un Lamartine ou d'un Musset et la poésie parnassienne à travers
l'un de ses principaux représentants, Théophile Gautier. A la précision de la couleur d'un Gautier, Verlaine
préfère le contraste, la demi-teinte. Verlaine estompe les formes et les couleurs, privilégiant le flou seul
capable de susciter toutes sortes de confusions.
- Un exercice de style
L'impair
Dans son poème, l'Art poétique Verlaine met en œuvre les principes qu'il énonce. Le poème se
scande en 4/5, " de la musique avant toute chose " mais aussi en 3/6 , " ce ton vers soit la chose
envolée ", en 2/4/3, "Plus vague et plus soluble que l'air " ou 1/3/5. C'est un équilibre instable qui
s'apparente à un faux pas perpétuel
La rime
Si Verlaine conserve la rime, il ne la place pas au dessus de tout. Si la rime est, pour lui, une parure
nécessaire dont on ne peut se passer, on ne doit pas en abuser. Il affaiblit son effet d'écho trop
répétitif par des assonances et des allitérations qui répartissent les échos phoniques à l'intérieur des
vers, " Plus vague et plus soluble que l'air ", allitérations en l et pl, " Par un ciel d'automne attiédi,
assonance en ie. La rime n'est plus qu'un des multiples éléments sonores dont il dispose pour
traduire ses impressions.
La méprise
L'art de la méprise consiste à créer une confusion dans le langage, de façon à mêler étroitement le dit
et le non dit. Dans" la nuance fiance le rêve au rêve et la flûte au cor " la substitution de fiance à
unir fait basculer le vers dans un registre amoureux chargé de douceur.
Structure
Comme tout art poétique, ce poème accumule des préceptes et des conseils. Voilà ce qui
est déconseillé : des expressions raffinées ; des mots d’esprits ; des précisions terminologiques ; des rimes
riches et insolites
n’est pas mentionné : concision et symétrie ; des enjambements fréquents ; des rimes croisées ; des thèmes
mythologiques
L’influence de Verlaine sur le symbolisme est capitale : il est à l’origine de la poésie de la suggestion,
préconisée aux vers 5-16.
Vers de neuf pieds – impairs ; images imprécises (strophe 3 ; « la chose envolée », v.30), langage simple à la
limite du ton familier (« ail de basse cuisine », v.20 ; « tords-lui le cou », v.21) ; jeux sonores (« qui pèse ou
qui pose », v.3 ; « Quel enfant sourd ou quel nègre fou / nous a forgé ce bijou d’un sou » v. 26-27).
Ce poème est par contre parfaitement rimé, mais à vrai dire Verlaine s’en prend aux acrobaties de la rime et
non pas à la rime elle-même.
Le poème se termine, sinon par une véritable « pointe », au moins par un vers à effet : « Et tout le reste est
littérature. »
[La Pointe = mot d’esprit, à la fin d’une épigramme notamment et de la poésie satirique en général.]
Verlaine se démarque nettement de l’école parnassienne, qui avait pourtant fortement influencé ses premières
compositions. S’il partage le jugement négatif sur l’inspiration conventionnelle de la littérature bourgeoise,
Verlaine refuse radicalement le culte de la perfection et la virtuosité formelle qui caractérisent les poèmes du
Parnasse contemporain. L’allusion au travail de la lime (v. 28) est un écho de l’assimilation poète-sculpteur
que Gautier avait préconisé dans l’Art.