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 Remerciement

 Introduction

 Première partie : ABDELKRIM ET LA RÉPUBLIQUE DU RIF

1) Abdelkrim al khatabi
2) La réaction de la France et l’Espagne

3) L’attitude de la Troisième République française devant la guerre du Rif


4) L’attitude de l’Espagne envers la guerre du Rif
5) L’influence la révolte d’Abdelkrim sur le nationalisme maghrébin
6) Le drapeau rifain

 Deuxième partie : Le Maroc sous domination coloniale

1) Les résistances marocaines


2) Les principales étapes de la guerre du Rif
3) Le dahir berbère, 16 mai 1930
 Conclusion

 Première partie : ABDELKRIM ET LA RÉPUBLIQUE DU


RIF

7) Abdelkrim al khattabi

Abdelkrim Al Khattabi (né vers 1882 à Ajdir au Maroc et décédé le 6 février 1963 au
Caire en Égypte), de son nom complet Mohamed ben Abdelkrim El Khattabi, était un
chef militaire rifain, du Rif, zone berbère au nord-est du Maroc. Il est devenu le chef d’un
mouvement de résistance contre la France et l’Espagne au Maroc, puis l’icône des
mouvements indépendantistes luttant contre le colonialisme. Il prendra le flambeau de la
résistance après la défaite de Mouha ou Hammou Zayani, son compagnon le fqih
Belarbi Alaoui dit Cheikh Elislam se rallia à la cause d’Abdelkrim pour continuer la lutte
contre les espagnols et les français
Biographie :

Né à Ajdir au Maroc, fils d’un cadi (juge en arabe) du clan Ait Yusuf de la tribu Aït
Ouriaghel (ou Waryaghal), Abd el-Krim a été instruit dans des zaouïas traditionnelles et
des écoles espagnoles, finalement son éducation à l’ancienne université de
Quaraouiyine à Fès, suivit de trois ans en Espagne où il étudia la mine et la technologie
militaire. Entre 1908 et 1915 il fut journaliste au quotidien de Melilla, où ils préconisaient
la laïcité et la coopération avec les occidentaux afin de libérer la Oumma de l’ignorance
et du sous-développement.
Il entra dans l’administration espagnole, et fut nommé cadi chef de Melilla en 1915. À
cette époque-là, il commença à s’opposer à la domination espagnole, et en 1917 il fut
emprisonné pour avoir dit que l’Espagne ne devrait pas s’étendre au-delà des territoires
déjà occupés (qui en pratique excluait la plupart des zones incontrôlé du Rif) et
exprimant sa sympathie pour la cause allemande pendant la Première Guerre mondiale.
Peu après s’être échappé, il revint à Ajdir en 1919 et, avec son frère, il commença à unir
les tribus du Rif dans une République du Rif indépendante. Pour cette cause, il essaya
d’apaiser les inimitiés entre les tribus existantes.
En 1921, comme une retombée inattendue de leurs efforts pour détruire la puissance de
Raisuni, un brigand local, les troupes espagnoles approchent des secteurs inoccupés du
Rif. Abdelkrim envoie à leur général Manuel Fernández Silvestre un avertissement : s’ils
franchissent le fleuve Amekran, il le considérerait comme un acte de guerre. Fernández
Silvestre aurait ri en prenant connaissance du message. Le général installe un poste
militaire sur le fleuve à Abarrán. Le même jour au milieu de l’après-midi mille rifains
l’avait encerclé ; 179 militaires espagnols furent tués, forçant le reste à la retraite. Les
jours qui suivirent après plusieurs escarmouches sanglantes pour les troupes de
Fernández Silvestre un événement inattendu se produisit. En effet méprisant Abdelkrim,
Fernández Silvestre décide de le défier, et avec 3 000 hommes Abdelkrim parvient en
deux jours grâce à la ruse à vaincre l’Espagne. Pour l’Espagne, la bataille d’Anoual a été
un véritable désastre. Elle y a perdu près de 16 000 soldats, récupéra 24 000 blessés
150 canons et 25 000 fusils. En outre, 700 soldats espagnols ont été faits prisonniers. Il
s’agit aussi de la première défaite d’une puissance coloniale européenne, disposant
d’une armée moderne et bien équipée devant des résistants sans ressources, sans
organisation, sans logistique ni intendance.
La victoire d’Anoual a eu un immense retentissement non seulement au Maroc mais
aussi dans le monde entier. Elle a eu d’immenses conséquences psychologiques et
politiques, puisqu’elle allait prouver qu’avec des effectifs réduits, un armement léger,
mais aussi une importante mobilité, il était possible de vaincre des armées classiques.
Fort de son succès, Abdelkrim proclame en 1922 la République confédérée des Tribus
du Rif, un embryon d’État berbère. Cette république eut un impact crucial sur l’opinion
internationale, car ce fut la première république issue d’une guerre de décolonisation au
XXe siècle. Il créa un parlement constitué des chefs de tribus qui lui vota un
gouvernement.
En 1924, l’Espagne retire ses troupes dans ses possessions le long de la côte
marocaine. La France, qui de toute façon avait des prétentions sur le Rif méridional, se
rendit compte que laisser une autre puissance coloniale se faire vaincre en Afrique du
Nord par des indigènes créerait un dangereux précédent pour ses propres territoires, et
rentra dans le conflit. Tentant de joindre toutes les forces vives marocaines pour
constituer le noyau d’un mouvement de libération marocain préalable à un vaste
mouvement de décolonisation, Abdelkrim demanda au sultan Moulay Youssef de rallier
sa cause. Mais celui-ci, en raison de la pression de la résidence générale française à
Rabat, refusa de lutter contre les puissances coloniales.
L’entrée de la France en guerre ne se fait pas attendre mais la pression de l’opinion
publique aussi bien européenne qu’internationale, subjuguée par cette résistance rifaine,
rend la tâche plus ardue et conduit au renvoi du résident général le maréchal Hubert
Lyautey.
À partir de 1925, Abdelkrim combat les forces françaises dirigées par Philippe Pétain à
la tête de 200 000 hommes et une armée espagnole commandée personnellement par
Miguel Primo de Rivera, soit au total de 450 000 soldats, commença des opérations
contre la République du Rif. Le combat intense dura une année, mais par la suite les
armées françaises et espagnoles combinées – utilisant, entre autres armes, l’ypérite –
furent victorieuses des forces d’Abdelkrim.
Après la menace de génocide, Abdelkrim se rend comme prisonnier de guerre,
demandant à ce que les civils soient épargnés. Il n’en sera rien, les puissances
coloniales ne peuvent tolérer qu’un tel soulèvement reste impuni. Ainsi dès 1926 des
avions munis de gaz moutarde bombarderons des villages entiers faisant des marocains
du Rifs les premiers civils gazés massivement dans l’Histoire, à côté des kurdes iraqiens
gazés par les britanniques. On estime à plus de 150 000 le nombre de morts civil durant
les années 1925-1926, mais aucun chiffre crédible ne peut être avancé.
En 1926, Abd el-Krim est exilé à la Réunion, où on l’installe d’abord jusqu’en 1929 au
Château Morange, dans les hauteurs de Saint-Denis. Quelques années passent. Il
devient habitant de la commune rurale de Trois-Bassins, dans l’ouest de l’île, où il
achète des terres et construit une belle propriété. Il y vit douze à quinze ans. En mai
1947, ayant finalement eu l’autorisation de s’installer dans le sud de la France, il
embarque à bord d’un navire des Messageries Maritimes en provenance d’Afrique du
Sud et à destination de Marseille avec 52 personnes de son entourage et le cercueil de
sa grand-mère, le Katoomba.
Arrivé à Suez où le bateau fait escale, il réussit à s’échapper et passa la fin de sa vie en
Égypte, où il présidera le « Comité de libération pour le Maghreb arabe ». Mohamed ben
Abdelkrim El Khattabi meurt en 1963 au Caire où sa dépouille repose encore. Au sortir
de l’indépendance, la répression d’une révolte du Rif fait plus de 8 000 morts entre 1958
et 1961. Il refusa de rentrer au Maroc après l’indépendance, mais sa dépouille y fut
ramenée à la demande du roi Hassan II.

8) La réaction de la France et l’Espagne :


Au début des années vingt, Lyautey était prudent et conseillait l’attentisme. Au mois de
septembre 1923, Abd El-Krim captura la ville de Chefchaouen. Au mois d’avril 1925, Abd
El-Krim attaqua le caïd

Madboh qui avait changé de camp et l’attaque déborda contre des postes militaires de
la zone française (peut-être en vue d’étendre son influence à la ville de Fès ?) et ceci
poussa les Espagnols et les Français
à Signer des accords de coopération militaires en 1925. C’est ainsi qu’une formidable
machine de guerre est réunie : le sultan Moulay Youssef se dissocia complètement du
rebelle Abd El-Krim et leva deux méhallas (soit 6 200 combattants) contre lui ; 250 000
soldats espagnols commandés par Miguel Primo de la Rivera y Orbaneja et 200 000
soldats français commandés par le maréchal Philippe Pétain lancèrent une attaque
contre Abd El-Krim dont l’armée devait compter près de 80000 combattants. Primo de la
Rivera, qui avait instauré une dictature militaire à Madrid deux ans plus tôt, avait promis
de « laver dans le sang le déshonneur militaire dans le Rif. » Pour Pétain, « Abd El-Krim
refoulé sur son territoire mais non vaincu, apparaîtrait comme le symbole de la
résistance insaisissable… en même temps que la France se révélerait impuissante… On
ne saurait trop souligner la gravité d’une telle éventualité qui serait de nature à réveiller
de dangereuses ambitions. » Quatre cent soixante-dix-neuf tonnes de bombes auraient
été lancées par l’armée française qui aurait en outre utilisé du gaz moutarde, en violation
des accords internationaux. Le roi d’Espagne Alfonse XIII aurait affirmé en 1923 qu’il
fallait laisser de côté les « vaines considérations humanitaires. » Bien qu’il ait critiqué
l’utilisation de ces armes par les Espagnols, Lyautey demanda à La métropole de lui
livrer des armes chimiques qu’il utiliserait en dernier recours. Devant la menace de
génocide, Abd El-Krim se rendit en 1926.
Durant la seule année de 1925, la France perdit 2 218 soldats, soit plus du cinquième
de toutes les pertes militaires en vies humaines jusqu’à la complète maîtrise du Maroc
en 1933. Les pertes marocaines sont difficiles à estimer. Leur ordre de grandeur est
certainement plus élevé.
Le jour de sa reddition, Abd El-Krim avait déclaré : « Votre civilisation est celle
du fer. Vous avez de grosses bombes, donc vous êtes civilisés ; je n’ai que des
cartouches de fusil, donc je suis un sauvage ! »

En 1921 Abdelkrim al Khattabi et ses troupes rifaines écrasent l’armée coloniale


espagnole à la bataille d’Anoual, au nord du Maroc. 14 000 soldats espagnols
meurent, 1 000 sont fait prisonniers, des milliers d’armes passent entre les mains
de la résistance anticoloniale.

Dès le début du siège, le 1er août 1921, Abd el krim a recommandé de capturer
les armes, mais de laisser les hommes en vie. La réponse des Métalsa et des
Bni Bou Yahi fut un « non » catégorique.

Le colonialisme espagnol est arrivé chez nous le long du chemin qui relie
Anoual à Driuch, et ils s’étaient établis dans l’actuelle commune de Bou Bker, où
existe encore les vestiges de leur caserne, raconte le vieux témoins Metalsa. Là
se trouvait effectivement un bataillon composé de 1200 soldats. Ordre leur a été
donné de rejoindre la zone occupée par la France. Ils devaient quitter Bou Bker
en longeant les montagnes, à l’ombre desquelles ils devaient se dissimuler pour
fuir. Mais nos aïeuls et ancêtre étaient prêts à les affronter. Mon grand père est
mort, ainsi que mes oncles, lors de cette confrontation. Nous eûmes beaucoup
de blessés dans notre famille. Lorsque le bataillon espagnol s’est approché de la
frontière qui séparait la zone espagnole de la zone française, la fraction des
combattants de Tizrout Ouzak, s’est mise au travers de leur chemin. Aidées des
nôtres, ils ont repoussé les espagnols dans un retranchement dénommé « Aqrab
» (musette). Une grande étendue vide. De tout le bataillon espagnol, avec ses
armements, rares sont ceux qui ont pu s’échapper : 50 à 60 soldats espagnols.
Quant aux autres, tous les autres ont été massacrés. Du bataillon espagnol,
environ 900 ont péris, et n’ont pu s’enfuir en zone française qu’une soixantaine.
Depuis lors cette parcelle a été délaissée durant une quinzaine d’année : on n’y
laboure pas, on n’y pâture pas. On n’est jamais plus repasser par là. »

Sous le titre « Abd el Krim, le mystérieux », le correspondant du Bulletin de


l’Afrique Française à Madrid, écrit le 5 septembre 1921 :

« Le personnage devient de plus en plus énigmatique et on a bien du mal à


comprendre comment le commandement de Melilla ne se préoccupe pas plus de
le surveiller ou de s’en faire un auxiliaire. Des faits très caractéristiques
permettent de se rendre compte qu’on ne se trouve pas en face d’un fanatique
vulgaire, préoccupé surtout de rapines faciles, aidé de son frère, qui étudia
durant trois ans, à Madrid, pour préparer son entrée à l’Ecole des Ingénieurs de
Mines, il donne l’impression de s’efforcer de donner aux hordes rifaines une
organisation inusité dans ces régions. Il tient à donner à ses adversaires
l’impression qu’il est au courant des usages de la guerre entre pays civilisés : les
prisonniers sont bien traités et ont toute la liberté pour donner des nouvelles à
leurs familles ; lorsqu’il rend le cadavre du colonel Morales ; avant de faire
déposer son cercueil sur la petite plage de Sidi Idris, il le fait envelopper d’un
drapeau espagnol et ordonne de saluer la dépouille mortelle du malheureux chef
de la police indigène par des salves et les marins de la canonnière espagnole le
voient s’incliner dans un dernier salut à celui qui fut son ami avant de devenir son
adversaire. C’est à Abd-el-Krim et grâce à l’escorte qu’il envoya à Mont Arruit,
que le général Navarro doit d’être encore vivant. »

Un télégramme publié par le Temps de Paris du 22 août 1921, souligne que « les
réfugiés espagnols continuent à franchir journellement la frontière par petits
groupes. Beaucoup parmi eux sont blessés, et ceux qui ne peuvent pas être
dirigés immédiatement sur Oran pour être rapatriés sont soignés dans les
hôpitaux de Taourirt, de Guercif et d’Oujda. »

Un article publié le 17 août 1921 dans El Liberal, écrit sous le titre « le présent et
l’avenir » :

« Nous sommes dans le Rif depuis le 24 juillet, dans une plus mauvaise situation
que lorsque nous signâmes le traité de 1912. Nous avions comme gage de notre
capacité de l’œuvre à accomplir, conjointement avec la France, tous ces
territoires conquis durant les campagnes de 1909 et 1911, Guelaya, Kebdana,
Bni Sicar. Aujourd’hui ces territoires nous sont complètement hostiles.

Les contingents espagnols qui se trouvaient à proximité de la Moulouya durent


se réfugier à l’abri des postes français installés sur la rive droite. Et ces
contingents nous ont été rendu, venant d’Oran, en un exode qui nous fait rougir.
Les contingents de l’intérieur furent anéantis. Sur le cours moyen de la Moulouya
et dans la région de Taza, une menace s’élève contre la tranquillité – relative si
l’on veut- des Français. Pourrons-nous, oui ou non faire honneur à nos
engagements ? Aujourd’hui, notre idéal doit se limiter à doter Melilla d’un
hinterland qui ne peut être que celui marqué sur les cartes par la ligne du Kert. »

Un communiqué de l’armée espagnol annonce « qu’on se trouve dans notre


zone comme dans la zone française, devant un soulèvement général des tribus.
»

L’attaque d’Igherriben précéda la débâcle d’Anoual.

Voici ce qu’on peut lire, entre autres, sur un document affiché, par les soins des
Rifains, au nom de l’assemblée musulmane du Rif, dans la mosquée de Tanger,
le 21 juillet 1921 :

« Si vous pouviez voir vos frères sur les champs de bataille, les uns morts, les
autres blessés, vous verseriez des larmes de sang, vous n’hésiteriez pas à venir
à leur aide. Nous voyons les Espagnols s’aider les uns les autres et ce sont des
infidèles et des gens injustes, et nous ne voyons personne nous venir en aide,
nous qui avons la vraie foi. Ne faisons-nous pas la guerre dans la voie de Dieu ?
Notre conduite n’est – elle pas conforme aux préceptes de l’Islam ? Notre dignité
et la vôtre ne sont – elles pas une seule dignité, comme notre honte et la vôtre
une même honte ? Où sont vos Oulémas ? Ô Oulémas, n’êtes-vous pas les
héritiers des Prophètes ? A quoi pensez-vous ? Y – t – il quelques doutes au
sujet de Dieu ? Comment vous excuserez vous demain devant Dieu, si vous êtes
de ceux qui par crainte, négligent la guerre dans la voie de Dieu …S’il vous est
difficile de venir à notre aide, ô musulmans, adressez-vous à l’émir des croyants,
Notre Maître Youssef, pour qu’il nous fournisse les approvisionnements
nécessaires à l’accomplissement de notre œuvre ; qu’il nous applique les lois
qu’il voudra et par l’intermédiaire de quelle nation il voudra, sauf l’Espagne. »

« A l’issue de la bataille de mont Arouit, raconte Abd el Krim, j’étais parvenu sous
les murs de Melillia. La prudence s’imposait.

Avec la dernière énergie, je recommandais à mes troupes de ne point massacrer


ni maltraiter les prisonniers. Mais je leur recommandais aussi énergiquement, de
ne pas occuper Melilla, pour ne pas créer des complications internationales. De
cela, je me repends amèrement. Ce fut ma grosse erreur. Oui, nous avons
commis la plus lourde faute en n’occupant pas Melilla ! Nous pouvions le faire
sans difficulté. J’ai manqué ce jour-là de clairvoyance politique nécessaire. Et à
plus ou moins longue échéance, tout ce qui a suivi, a été la conséquence de
cette erreur.

Cette victoire d’un chef militaire et politique marocain face à une armée
européenne coloniale supérieure techniquement obtient un retentissement
international. En Europe, cela est vécu comme un affront opéré par les «
Indigènes » souhaitant mettre à mal la civilisation occidentale. Tandis que le
Parti communiste français célèbre cette victoire contre l’impérialisme, Abdelkrim
fait la une du Times au Royaume-Uni.

Le monde musulman voit, quant à lui, dans ce personnage le symbole de la lutte


contre la mainmise coloniale : Abdelkrim refait naître l’espoir d’une libération
après la défaite de l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale. L’élite
nationaliste algérienne incarnée par le jeune Messali Hadj s’empare de ce
combat héroïque à travers la création de l’Étoile nord-africaine en 1926.
L'armée coloniale en déroute
En réalité, la bataille d’Anoual constitue l’épisode le plus célèbre de la guerre
du Rif. Né en 1882, Abdelkrim poursuit durant sa jeunesse une formation
universitaire islamique à Fès, où il découvre et s’imprègne du réformisme
musulman (la Nahda). Dès 1906, il travaille comme rédacteur pour le journal
espagnol Telegramma del Riff, à Melilla, avant de devenir qadi, en 1914, au
service des bureaux indigènes.

Déjà très marqué par les idées anticoloniales, il est emprisonné en 1917. À sa
sortie, Abdelkrim quitte son poste puis mène un travail afin de réunir sous son
autorité les tribus du Rif, à commencer par la sienne. L’objectif est atteint en avril
1921, les tribus font la bay’a (serment d’allégeance) au Jebel el Qala pour en finir
avec ce qui est vécu comme une intrusion et une domination étrangère.

La même année, constatant la progression espagnole, Abdelkrim prévient le


général Manuel Fernandez Sylvestre que le franchissement du fleuve Amekran
impliquerait une intervention des troupes de l’émir Abdelkrim... Les Espagnols ne
s’en soucient guère, s’ensuit la victoire d’Anoual du 21 juin 1921.

Celle-ci est une surprise pour tous les États européens de l’époque, elle met un
coup d’arrêt à l’idée selon laquelle les « indigènes » ne sont pas formés pour la
guerre moderne. Au même titre que la défaite de la Russie contre le Japon, à la
bataille de Tsushima en 1905, Abdelkrim montre que l’ingéniosité militaire n’est
pas l’apanage de l’Occident.

La République du Rif
Profitant de cette défaite de l’adversaire, Abdelkrim crée la « République du
Rif » en février 1923 sur le modèle d’un État moderne à l’européenne. Comme le
dit Daniel Rivet, c’est le mot « Ripublik », et pas celui de « Joumouriyah » en
arabe qui est utilisé pour qualifier une entreprise politique à la hauteur du
personnage. Cependant, cette initiative ne plait guère au sultan marocain, selon
lui une menace pèse sur l’unité du Maroc. Abdelkrim doit être stoppé, Moulay
Youssef ne veut pas de cet opposant venu de nulle part.

Pendant ce temps, la jeune République met sur pied un ministère des Finances,
un ministère de la Justice, un ministère des Affaires étrangères, un ministère de
la Guerre. Le frère du chef rifain, Mohamed, obtient la Délégation générale,
Abdelkrim devient président de la République. Cet État fait beaucoup parler de
lui en Europe, Abdelkrim entretient une correspondance avec les gouvernements
étrangers comme celui de Londres. Il doit aussi prendre en compte le modèle
tribal qui imprègne fortement la société rifaine et marocaine pour imposer une
nouvelle donne administrative. L’armée rifaine profite de l’avantage du terrain
mais aussi de sa mobilité pour contrecarrer les intrusions espagnoles.

Peu inquiète au départ, la France prend conscience du danger de cette


République hors du commun : c’est une menace directe sur son protectorat
marocain, mais aussi sur l’Algérie voisine. Si rien n’est fait, les Maghrébins
pourraient se soulever en masse contre l’autorité coloniale. En 1924, le maréchal
et résident général Hubert Lyautey accompagné de Pétain décide de mener une
offensive en collaboration avec le général Primo de Rivera pour arrêter
Abdelkrim, et mettre fin à l’humiliation espagnole.

Guerre chimique au Maroc


Au cours de l’année 1925, Abdelkrim fait face à environ 400 000 hommes
réunis pour l’abattre, qui sont appuyés par une artillerie lourde et des renforts
aériens. Devant une telle armada, le leader rifain et ses troupes sont défaits.
L’année suivante, en 1926, il se rend à la « coalition coloniale », afin d’épargner
ses coreligionnaires civils. Il n’en est rien, l’aviation ennemie bombarde de
nombreux villages de la région pour écraser toute résistance. L’Espagne met la
main sur le Rif dans sa totalité.

Cette dernière n’a pas hésité avec le soutien français à utiliser des armes
chimiques pour entériner toute rébellion : le fameux gaz moutarde fait des
ravages, l’année 1924 constitue le pic des bombardements espagnols. Les civils
sont directement visés, cela émeut l’opinion internationale de l’époque. Ces
actes renforcent l’image d’Épinal autour d’Abdelkrim, vaillant résistant face à
l’écrasante machine de guerre européenne.

Abdelkrim est exilé à La Réunion, transféré en France durant l’année 1947, il


parvient à s’échapper en Égypte durant le trajet, où il décède en 1963. Jusqu’à
sa mort, il soutint l’indépendance du Maghreb.
Que devint Abd El-Krim?

Abd El-Krim, que l’on surnomma par la suite le Vercingétorix berbère,


demeura fidèle à lui-même. Ce fut un révolutionnaire musulman. Il imputa sa
défaite aux chefs religieux qui s’opposèrent à lui. Il ne fit aucune confiance aux
puissances coloniales qui, selon lui, n’étaient là que pour assujettir les
Maghrébins et s’emparer de leurs ressources. En 1926, il fut exilé à la Réunion,
puis au Château Morange en France. En 1947, il s’évada en Égypte d’où il
présida au Caire le

Comité de libération du Maghreb arabe. Pour lui, le combat de l’ensemble des


peuples maghrébins était indivisible et il reprocha au Maroc indépendant de
pactiser avec la France alors que l’Algérie était occupée. Durant son exil, il
donna sa caution morale pour la lutte de libération du Maghreb. Il mourut au
Caire en 1963. Dans une entrevue accordée en 1952 à l’hebdomadaire égyptien
Akher Saa, il mit en avant son identité rifaine en ces termes : « Je suis de race
berbère et j'ignore à quel point vous nous sous-estimez mais j'affirme cependant
que les berbères sont des gens avancés, qui ont hérité de nombreuses
civilisations. Vous ignorez par exemple qu'en tant que berbère, je suis d'origine
juive. Mes ancêtres sont ensuite devenus chrétiens, puis musulmans. Maintenant
nous parlons l'arabe, langue du Coran, nous nous entendons en berbère, langue
de nos aïeux mais nous conversons aussi en français, langue de notre pays
asservi. »

9) L’attitude de la Troisième République française devant la


guerre du Rif
Dans l’ensemble, sauver le prestige de la France fut un thème qui revint
souvent. Les presses de la droite et de la gauche étaient unanimes pour exiger
une solution militaire rapide, la presse de gauche reprochant parfois au général
Lyautey sa politique de modération. Pour la presse de droite, l’enjeu était non
pas le Maroc, mais toute l’Afrique du Nord et aussi le prestige de la France ;
c’était même toute l’action de civilisation et de pacification de l’Occident qui
Risquait d’être remis en cause. L’extrême droite de Charles Maurras
demandait d’ignorer la Convention de Genève et de gazer les Rifains. Pour la
presse communiste, la guerre du Maroc était un crime contre tous les soldats
envoyés à la mort au nom des banquiers et des financiers. Pour le Général
Lyautey, « ce qui se joue au Rif c’est toute la puissance coloniale de l’Europe
occidentale et surtout le destin de l’Empire africain de la France.» Toutefois, au-
delà des réactions de propagande, on pouvait noter une certaine admiration
d’Abd El-Krim.
Précisons qu’il se trouva des défenseurs d’Abd El-Krim outre-Manche. Un
socialiste anglais du nom de John Arnall plaida « la cause juste de
l’indépendance et celle – humanitaire – des populations civiles bombardées,
pilonnées et souffrant cruellement de l’absence de protection sanitaire. »
Toutefois, le gouvernement anglais refusa de recevoir une délégation espagnole
conduite par John Arnall sous prétexte que « le Rif étant par les traités une zone
d’influence espagnole, les Rifains sont par conséquence des rebelles contre
l’autorité de l’Espagne amie. »
10) L’attitude de l’Espagne envers la guerre du Rif

Commençons par préciser que depuis l’invasion napoléonienne, l’Espagne


vivait en marge de l’Europe. Elle souffrait alors de sous-développement
économique et la modernisation de son armée laissa à désirer. À la fin du XIXe
siècle, l’Espagne perdit aux mains des

États-Unis ses colonies de Cuba, des îles espagnoles des Antilles et des
Philippines. Il est fort probable que l’Espagne se lança dans l’aventure coloniale
au Maroc pour ne pas laisser le champ libre à la France. La guerre du Rif ne fut
guère populaire en Ibérie, d’autant plus que les fils de familles aisées
pouvaient être exemptés du service militaire moyennant une somme d’argent et
que les pertes espagnoles furent particulièrement lourdes. En 1921, on évalua à
10 000 morts les pertes espagnoles lors de la seule bataille de Djebel Aroui.
Pour le parti socialiste, le Maroc représentait « le tombeau de l’Espagne. » Les
pertes financières des campagnes militaires au Maroc étaient alors de l’ordre de
plusieurs milliards de pesetas. Certains allèrent à envisager de vendre le Rif à la
France. Bien que la rébellion rifaine fût finalement sévèrement réprimée, le
gouvernement ne s’identifia pas aux faits et gestes de l’armée, ce qui créa une
grande méfiance des militaires envers les politiciens de la métropole.
Treize crises ministérielles secouèrent l’Espagne entre 1917 et 1923. Le
général Miguel Primo de Rivera y Orbaneja suivit l’exemple de Mussolini qui, en
1922, instaura la dictature en Italie. En 1923, il suspendit la constitution
espagnole de 1876 et se maintint au pouvoir jusqu’en 1930. Le roi d’Espagne
Alfonse XIII abdiqua en 1931 et la Seconde République espagnole est
proclamée.

En 1934, le parti conservateur avait demandé à l’armée espagnole au Maroc


de combattre leurs compatriotes de la mouvance gauchiste qui seraient « à la
solde de Moscou. » Les républicains qui prirent le pouvoir en 1936 voulurent
diminuer la présence militaire au Maroc. Ceci eut un effet démoralisateur auprès
du contingent espagnol au

Maroc, d’autant plus que le gouvernement se proposait de revoir l’attribution -


entachée d’irrégularités – de médailles octroyées aux combattants dans le
passé.

Le Général Franco fut au nombre des officiers espagnols qui se distinguèrent


durant la guerre du Rif. Il sut s’entourer de jeunes officiers capables, cimentés et
motivés par l’expérience commune du combat. Ce fut à partir du Maroc que
Franco amorça le soulèvement nationaliste. En 1936, la guerre civile éclata et,
au bout de trois ans, les républicains disparurent du paysage politique espagnol.
Le régime dictatorial de Franco fut dès lors instauré et perdura jusqu’à son décès
en 1975.

11) L’influence la révolte d’Abdelkrim sur le nationalisme


maghrébin

Aux yeux du sultan Moulay Youssef, Abd El-Krim n’était qu’un autre rebelle
parmi tant d’autres, sa république s’étant officiellement soustraite du pouvoir du
Makhzen. L’appel lancé par Abd El-Krim à tous les Musulmans en 1925 n’eut
pratiquement pas d’effet.

Toutefois, ce fut en 1927 que la mouvance nationaliste commença à se


manifester, non pas par les armes, mais par des pétitions et dans les journaux,
cherchant à obtenir des appuis populaires dans l’opposition face aux mesures du
dahir berbère et par le biais du ralliement autour de la personnalité du sultan,
évènements que nous traiterons ultérieurement dans cet ouvrage. En 1925,
durant la campagne du Rif, un mouvement d’opinion s’affirma en Tunisie, où les
évènements étaient suivis de très près. La campagne menée contre l’envoi de
tirailleurs tunisiens dans le Rif, par la gauche et par les nationalistes modérés ne
réussit pas. Ailleurs, certains journaux arabes parlèrent d’Abd El-Krim en termes
louangeurs. Le journal égyptien Al-Manar le compara au héros d’une nouvelle
Andalousie. Plusieurs décennies plus tard, les tactiques de guérilla d’Abd El-Krim
inspirèrent des tactiques similaires au moment de la résistance armée contre la
France au Maghreb.

De son temps et pour les générations qui suivirent, Abd El-Krim est entré dans
la légende.
12) Le drapeau rifain

L’étoile à six branches a longtemps été l’emblème du Maroc. De fait, les


pièces de monnaie étaient souvent gravées avec une étoile à six branches. La
grande majorité des emblèmes postaux était également frappés à l’effigie d’une
étoile à six branches. Ce serait à l’instigation du général Lyautey que le sultan
Moulay Youssef émit un dahir en 1915 précisant que « Nous avons décidé de
distinguer notre bannière en l’ornant du sceau de Salomon à cinq branches, de
couleur verte, pour qu’il n’y ait plus de confusion entre les drapeaux créés par
nos ancêtres et d’autres drapeaux. »

Dans une étude du symbole de l’hexagramme The Magen David, (le bouclier
de David), Gunther Plaut a mentionné son antiquité : ce symbole se retrouve
dans des poteries datant du XIIIe siècle d’avant l’ère courante à Gezer au
Canaan et aussi dans les pièces de monnaie datant de la période de Bar Kokhva
au début du second siècle de l’ère courante qui contiennent une rosace à six
branches. On retrouve l’hexagone, mais également l’octogone, dans la bible de
Leningrad datant de l’an 951 et au Moyen Âge, les sceaux juifs comprennent ce
symbole. Mais ce dernier ne fut pas exclusivement juif. Au XIVe siècle, on
représenta les drapeaux lithuanien, polonais, anatolien, marocain et ottoman
avec un hexagramme. Ce qu’il est intéressant de noter est que, vingt ans après
l’adoption du drapeau du futur état juif, les Juifs d’Afrique du Nord firent savoir à
l’Organisation sioniste mondiale qu’ils ne trouvaient pas ce symbole
exclusivement juif !
Pour revenir à Abd El-Krim, il protégea la communauté israélite qui lui voua
une extrême reconnaissance. Par ailleurs, par décret royal d’Espagne, il fut créé
la Médaille de la paix du Maroc qui fut remise à Don Jaime Delmar en
reconnaissance pour son action humanitaire auprès des deux parties de la
guerre du Rif. À cette occasion, un certificat spécial lui fut remis dans lequel
l’étoile de

David remplaça la croix catholique.

à Le Maroc sous domination coloniale

1) Les résistances marocaines

 Le soulèvement d'Ahmed El Hiba, 1910-1912

Si Ahmed El Hiba jouissait à l'époque d'une certaine notoriété, il la devait à la


mémoire de son illustre père, Ma El Aïnine, bien connu des Français pour la
défense qu'il anima contre eux au Sahara. (...), les Français entreprirent leur
avance, depuis le Sénégal et le Soudan, en direction du Nord. Ce fut Ma El
Aïnine, avec les armes et les subsides que dépêchait le sultan, qui conduisit
la résistance. Sa renommée vola alors dans le Maroc entier. Et il mourut
couvert de gloire à Tiznit, dans le Sous El Adna où il se replia après la perte
du Sahara.
On vivait une époque, en fin 1910, où sa présence aurait été bien nécessaire,
car l'invasion française était déjà en train. Bien que fort vieux, Ma El Aïnine
était donc mort trop tôt. Mais les regards se reportèrent alors sur son fils
préféré, choisi selon l'usage par les compagnons de son père pour assurer sa
succession. Voilà comment, comblé à trente-trois ans, des mêmes honneurs
que son vieux père, le jeune cheikh Ahmed El Hiba se découvrit dépositaire
d'une confiance qu'il n'avait pas encore pu mériter. Milieu 1911, les Français
avancèrent jusqu'à Fès. Le Sous fut en ébullition, et dès ce moment-là, on n'y
parla que d'El Hiba. L'année suivante, un mois après la signature du traité
mettant fin à l'indépendance du pays, un congrès réunit les tribus de la région
du Sous. Il décida qu'au cas où l'on pendrait les armes contre l'envahisseur,
ce serait sous les ordres d'El Hiba. Un mois plus tard, tandis qu'à Fès,
Abdelhafid se refusait, après avoir signé, à jouer le rôle de "Sultan des
Français", il y eu à Tiznit, à la prière du vendredi, des gens pour exiger que le
nom d'El Hiba fût prononcé comme celui de l'Emir des Croyants". Ainsi fut fait,
et la nouvelle s'en répandant comme une traînée de poudre, les députés de
toutes les tribus accoururent pour prêter le serment d'allégeance. (...)
Après avoir levé des contingents et mis sur pied l'équipe de son
gouvernement, celui-ci décida d'aller prendre Marrakech, la capitale du Sud,
pour y installer son pouvoir. Moins qu'une campagne, ce fut, de bout en bout,
une marche triomphale. (...)
En faisant allégeance, toutes les tribus du Sous, et après elles, la ville de
Marrakech, avaient remis à El Hiba leur sort entre ses mains. A lui d'exercer
seul le pouvoir absolu. (...) Ce pieux lettré, grandi loin de la politique, vit dans
le choix dont il était soudain l'objet, le doigt de Dieu le conduisant aux
destinées de Youssef Ben Tachfine. (...) " Voilà, dit-il un jour, en brandissant
son chapelet, ce qui me permettra d'aller jusqu'à Damas et jusqu'au Caire".
(...), très vite, cruellement déçus, ses bataillons ruraux se clairsemèrent,
beaucoup rentrant chez eux. De leur côté, les citadins déchantant vite, se
renfermèrent dans une sourde hostilité. Quant aux Français dont El Hiba
recevait les amis en privé, ils approchaient en attendant que la situation fût
mûre. Le 7 septembre 1912, à Sidi Bou Othman, il leur suffit, avec la
connivence de certains Grands d'en face, de quelques heures de canonnade,
pour faire crouler comme un château de cartes, l'éphémère royauté d'El Hiba.
De retour dans le Sous, quoique déchu, il trouva les tribus encore prêtes à
s'unir sous son nom. Pendant sept ans, jusqu'à sa mort, face à l'envahisseur,
il sera leur emblème. Et après lui, l'un de ses frères prendra la succession
pendant quinze autres années. (...)
Résistance héroïque, mais confinée et condamnée à terme, comme celle qui
se mena en divers autres points du pays. (...)

 Le combat de Sidi bou Othman, septembre 1912

Télégramme du Résident Général Hubert Lyautey au colonel Mangin


Le 2 septembre 1912 (donnant l'ordre à Mangin de prendre rapidement
Marrakech et aboutissant au combat de Sidi Bou Othman contre les troupes
hibistes, du 6 septembre 1912)

N° 1107 BM2. EXTREME URGENT

Primo. Allez-y carrément. Je mets en vous toute ma confiance pour sauver nos
compatriotes, rendre appui à nos amis, et châtier nos ennemis, en unissant à
toute la vigueur nécessaire la prudence indispensable pour ne vous laisser ni
accrocher ni retenir. Ne partez que complètement outiller et munitionné. ( ....)

La victoire est totale. La mehalla en déroute a abandonné sur le terrain ses


canons, quatorze caisses d'obus, toutes ses tentes, des approvisionnements et
des bagages en quantité considérable.

D'après des renseignements recueillis plus tard, on estimera que la mehalla du


Mahdi a perdu, au cours de ce combat, près de 2000 hommes tués par le feu ou
bien morts de soif et d'épuisement dans leur fuite. (...)

 Considérations du Général Guillaume sur la résistance berbère


à la conquête du Maroc

Le Général Guillaume est l'une des figures marquantes de la présence coloniale


française au Maroc. Il se distingue lors de la conquête du pays, particulièrement
de l'Atlas central, avant d'être nommé commissaire résident général d'octobre
1951 à juin 1954. Ce passage, devenu célèbre, met en évidence l'âpreté de la
résistance en "pays berbère" et permet de réfléchir à l'ambiguïté de la notion
coloniale de "pacification".

Comme dans le reste de l'Afrique du Nord, le but de notre action au Maroc a été
d'instaurer la paix, en évitant l'emploi de la force chaque fois qu'il était possible
de le faire. Il s'agit donc bien d'une "pacification" dont l'ultime ambition est
d'apporter, avec des avantages politiques et sociaux, le mieux-être, l'unité et la
sécurité intérieure.
Mais dans l'Atlas central, aucune tribu n'est venue à nous dans un mouvement
spontané. Aucune ne s'est soumise sans combattre, et certaines sans avoir
épuisé, jusqu'au dernier, leurs moyens de résistance. Cependant, il serait faux
d'affirmer que cette conquête s'est faite exclusivement par les armes. Toujours et
partout, elle n'a cessé d'user des moyens politiques dont elle disposait. (...)
Plus encore que les Arabes d'Algérie, les Berbères de l'Atlas central demeureront
insensibles à nos démarches pacifiques et ne céderont qu'à la force. Chaque
étape sera marquée par de sévères combats. (...)"

 Le combat d'El Herri du 12 novembre 1914


Le combat d'El Herri est l'un des principaux désastres subis par l'armée
française au Maroc, et plus largement, dans les colonies. L'écho de cette
défaite, qui augure des difficultés de la conquête du pays, a été assourdi par
le déclenchement de la Grande guerre en Europe. A partir des extraits
suivants, la
Comparaison peut être faite entre deux visions et deux manières de rendre
compte d’un même événement : compte rendu écrit des militaires français,
côté vaincus, tradition transmise oralement en pays zaïan, côté vainqueur

 Le compte-rendu des militaires français

" Le 12 novembre, cinq mois se sont écoulés depuis notre installation à Khénifra.
Moha Ou Hammou est mis en confiance par notre inaction et par les premiers
pourparlers engagés ; il installe son campement à une quinzaine de kilomètres
de Khénifra, aux abords du petit village d'El Herri, dans une cuvette traversée par
l'oued Chbouka, affluent du Serrou ; il paraît se relâcher de son intransigeance et
envoie ses malades se faire soigner au poste. (...)
Le commandant Laverdure commande la poste de Khénifra. Il décide d'enlever le
campement de Moha Ou Hammou, malgré les ordres qui lui interdisent
formellement toute sortie, (...). Cette décision semble avoir été inspirée au colonel
Laverdure par un mokhazni zaïan, récemment passé à notre service et désireux
de venger, sur Moha ou Hammou, un affront personnel que celui-ci lui avait infligé
(...)
A 2h30, la colonne se met en marche. Elle compte 43 officiers et 1230 hommes.
A midi, un convoi de blessés, harcelé par les insoumis, et quelques centaines
d'hommes à bout de souffle devaient rentrer, seuls, à Khénifra apportant la
nouvelle du désastre subi. (...)
Le bilan : sur un effectif de 43 officiers, 1232 hommes, la colonne avait perdu 33
officiers tués, 590 hommes troupe tués, 176 blessés dont 5 officiers. Sur les 43 officiers
ayant participé au combat, 5 officiers seulement étaient revenus indemnes dont 4
cavaliers. (...)
Jamais un échec aussi désastreux n'avait été infligé à nos
troupes, en Afrique du Nord. C'était, pour les Zaïans, un
immense succès (...) "

 La mémoire des Imazighen

Moha Ou Hammou campait à El-Herri avec ses


brillants cavaliers Il campait à El-Herri.
Les Français étaient à Khénifra, la nuit. Ils disaient : "
Nous allons prendre Moha Ou Hammou"
Ils firent venir une colonne. Les Français vinrent avec la
colonne pour s'emparer de Moha Ou Hammou.
Ils arrivèrent chez lui, la nuit, à El-Herri.
La poudre partit. Les militaires entrèrent sous les tentes,
les goumiers entrèrent. La poudre sortit jusqu'au matin.
Les Ichqern arrivèrent le matin ainsi que les Zayans,
les Aït Ishaq et tout ceux de la région. Ils firent un
grand combat à El-Herri.
Ils partirent. De El-Herri à Khénifra il n'y avait que
des morts. Et ils ne prirent pas le caïd.
A El Herri, beaucoup de militaires sont morts,
beaucoup d'Ichqern, de Zayans, d'Aït Ishaq,
beaucoup, beaucoup de militaires....

- La guerre du Rif occupe une place particulière dans l'histoire du Maroc


contemporain. L'équilibre fragile du protectorat a été sérieusement
bousculé par ce combat de "David contre Goliath" dont les idéaux ont eu
un écho formidable dans le monde occidental d'après-guerre, traversé
par les courants communiste, anti-impérialistes et anarchiste.

2) Les principales étapes de la guerre du Rif (1921-1926)


Tout avait commencé, apparemment du moins, dans l'été 1921. Tandis que les
Français tenaient déjà solidement, au sud, presque tout le Maroc, les Espagnols,
dans le nord du pays, où une zone leur était concédée, s'évertuaient encore à
conquérir leur part de territoire. Pourtant, depuis un an, les choses allaient bon
train, et deux armées qui opéraient séparément, l'une à l'est, l'autre à l'ouest,
étaient même à portée d'objectifs essentiels, quand celle de l'est, soudain, malgré
ses vingt mille hommes, se fit littéralement tailler en pièces, jonchant le pays de
ses morts, laissant à l'adversaire ses stocks de munitions et dépôts de vivres.
Tant en Espagne que dans le monde, ce fut une vague de stupeur. Car enfin,
l'adversaire ne consistait qu'en quelques bandes de paysans rifains piteusement
armés et qui faisaient tout juste le coup de feu avant de s'esquiver. On incrimina
donc, pour expliquer la chose, la fougue irréfléchie du chef, le général Silvestre,
perdu lui-même dans le tourmente, ou le laisser-aller de l'armée espagnole. Mais
on se rassura. Après ce dur réveil, l'Espagne, nation européenne, saurait prendre
vivement sa revanche et accomplirait sa mission.
Il en advint tout autrement. Certes, on achemina des renforts imposants sur le
lieu des combats, et en partie du moins, on reconquit le territoire perdu. Mais il
fallut de longs mois. Car en face, désormais, avaient surgi une organisation, une
manière d'État, en tout cas une armée, avec un chef improvisé, un certain
Abdelkrim dont la trempe s'avérait peu commune. Et l'on dut se convaincre que
le problème n'était plus tant de réduire les Rifains que de savoir comment leur
résister. Bien plus, alors que dans le Rif puis dans le reste de la zone dévolue à
l'Espagne, le pouvoir d'Abdelkrim et son prestige allaient s'affermissant, c'est à
Madrid que les convulsions du régime s'achevaient sur une dictature militaire. Or
le nouveau maître de l'Espagne, Primo de Rivera, n'en fut pas, pour autant, plus
heureux au Maroc. Fin 1924, son armée refluait sous les coups des Rifains,
jusqu'aux murs de Tétouan. La guerre était alors virtuellement gagnée pour
Abdelkrim qui préparait déjà le double assaut final, vers Melilla à l'est, et sur
Tétouan à l'ouest. Pourtant, à ce moment précis, il dut se tourner face au sud où,
dans des conditions obscures, un troisième front soudain, s'était ouvert.
La France, car s'était-elle qui, à son tour, venait d'entrer en lice, était un tout
autre adversaire que l'Espagne. En métropole, elle disposait à l'époque de la plus
forte armée du monde. Quant à ses armées coloniales, elles n'avaient eu, depuis
longtemps, sous toutes les latitudes, que des victoires. Celle du Maroc, tout
particulièrement, se trouvait à pied d'œuvre depuis près de vingt ans. Elle avait le
pays bien en mains. Elle y disposait du terrain, des ressources et des hommes.
Elle possédait des cadres formés et aguerris sur place. Son chef enfin, le
Maréchal Lyautey, était aux yeux du monde comme un vivant symbole de la
réussite coloniale. A son contact évidemment, l'humble État paysan des Rifains
crèverait comme une bulle.
Aussi, n'y va-t-il pas de mots pour exprimer l'étonnement universel quand on vit
à leur tour, les Français bousculés, renversés, piétinés, plus vivement encore que
les Espagnols avant eux. Fès, Taza, Ouezzane se trouvèrent en danger. Battu,
Lyautey fut en pleine bataille, relevé par Pétain, maréchal plus illustre dont le
choix n'allait pas sans évoquer Verdun. Venant à point, l'évacuation de la Ruhr
permit de déployer, sur trois cents kilomètres, une formidable armée de cent
cinquante mille hommes. Avec les Espagnols qui en avaient autant de leur côté,
on contracta hâtivement alliance. Tout ce train et ce branle-bas pour une simple
affaire coloniale ? En fait, on s'avisa que depuis le début, dès sa phase
espagnole, une véritable guerre était en cours. On découvrait " la guerre du Rif ".
Au bout du compte, c'est à la France et à l'Espagne coalisées que revint la
victoire. L'occupation du Rif qui s'ensuivit et la reddition d'Abdelkrim ouvrirent
alors la voie au protectorat espagnol et rétablirent l'assise de la domination
française. ( ....)

 La bataille d’Anoual et le suicide du Général Silvestre, 20 juillet


1921

Chef de la "Commandancia Militar" de Melilla, le général Sylvestre quitte Melilla


et s'aventure, de sa propre autorité, le long du rivage montagneux de la mer en
direction de la baie d'Alhucemas (el Hoceima). Et l'on ne peut ne pas penser au
colonel Laverdure à El Herri en novembre 1914.
C'est alors que le poste d'Ighriben est enlevé par les rifains, qui massacrent la
garnison et menacent aussitôt la colonne Sylvestre coupée de ses bases. Le
général ordonne l'évacuation du poste et tente de rejoindre Melilla. Mais cette
opération de décrochage et de repli, toujours très délicate à conduire, se
transforme bientôt en déroute, sous la pression de forces de plus en plus
supérieures en nombre, accourues à la curée. Après avoir confié à son
ordonnance une valise contenant ses décorations et ses insignes d'aide de camp
du roi, le général Sylvestre se suicide, ne voulant pas survivre à ce désastre dont
il est seul responsable. Nombre de ses officiers l'imitent. C'est alors l'écrasement
total, le plus effroyable massacre d'une armée prise en panique. ( ...) "

 Le soutien du parti communiste français à Abdelkrim, 1924

Groupe parlementaire, comité directeur du PC, comité national des Jeunesses


communistes saluent la brillante victoire du peuple marocain sur les
impérialismes espagnols. Ils félicitent son vaillant chef Abd-el-Krim. Espèrent
qu'après la victoire définitive sur l'impérialisme espagnol il continuera, avec le
prolétariat français et européen, la lutte contre tous les impérialismes, français y
compris, jusqu'à la libération complète du sol marocain.

Vive l'indépendance du Maroc!

Vive la lutte internationale des peuples coloniaux et du prolétariat mondial!

 Déclaration d'Abdelkrim.

" Je déclare que, lorsqu'on me reproche de faire la guerre sainte, on commet une
erreur, pour ne pas dire plus. Le temps des guerres saintes est passé ; nous ne
sommes plus au Moyen Age ou au temps des Croisades. Nous voulons
simplement être et vivre indépendants et n'être gouvernés que par Dieu.
Nous avons un vif désir de vivre en paix avec tout le monde et avoir de bonnes
relations avec tous car nous n'aimons pas faire tuer nos enfants.
Mais pour arriver à ce but désiré, à ces aspirations, à cette indépendance enfin,
nous sommes prêts à lutter contre le monde entier s'il le faut.
(...) le Parti colonial veut nous asservir, sans tenir compte des droits d'un peuple
à disposer de lui-même et à l'époque où l'on prétend être arrivé au summum de
la civilisation. Cette civilisation devrait tendre à libérer les peuples au lieu de les
asservir (...)
(...) Je le déclare solennellement, mon plus grand désir, mes aspirations les plus
élevées tendent vers la paix et, pour arriver à ce résultat, il n'y a qu'un seul moyen
logique :
Que la France reconnaisse l'indépendance du Rif"

 Adresse de Abdelkrim au peuple américain

Je vous salue, ô peuple distingué, au nom du jeune peuple rifain, qui, pour le salut
de la Liberté, souffre toujours des affres de la guerre. Le peuple rifain espère un
jour obtenir une situation semblable à la vôtre, une situation que vous avez
gagnée par vos efforts et les sacrifices nécessaires à vos aspirations à une
époque pendant laquelle, tout comme les Rifains, vous étiez en pleine croissance.
Mon peuple, inspiré par votre sain principe, se bat depuis quatre ans pour obtenir
son indépendance et est prêt à faire tout ce qui est possible comme sacrifices,
car tout homme qui persiste à suivre le chemin qu'il s'est tracé est sûr d'arriver à
son but. O peuple américain, je profite de l'occasion qui m'est offerte par le
réception d'un de vos journaliste - qui pour moi a été le symbole de votre grandeur
d'âme, ainsi que l'emblème de votre générosité - pour vous envoyer mes sincères
salutations

 Textes d'Hubert Lyautey, Résident général de France au Maroc


(1912-1925)
Figure emblématique de l'histoire coloniale française, et particulièrement du
protectorat marocain dont il a été le "proconsul", Hubert Lyautey s'est
efforcé, dans "l'empire fortuné", de donner corps à la notion de protectorat à
la française. Dans les textes qui suivent, il oppose la forme prise par la
domination française au Maroc à celle appliquée dans l'Algérie voisine.

- Lettre de Lyautey à Théophile Delcassé, ministre des Affaires


étrangères, Rabat, 15 juin 1915

Par lettre du 3 avril, Votre excellence a bien voulu m'envoyer la proposition de loi
déposée le 1er avril à la Chambre des députés par MM. Albin Rozet, Georges
Leygues, Noisy et Lucien Millevoye, loi ayant pour objet de faciliter aux militaires
et anciens militaires indigènes, originaires de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc,
l'accession à la qualité de citoyen français. (...)
Avant d’aborder toute argumentation, je déclare que mon avis formel est que le
projet de loi est inapplicable au Maroc, doit être écarté, en ce qui le concerne,
purement et simplement, (...).
La généralisation de cette mesure, si tous les militaires indigènes demandaient
cette naturalisation, amènerait la constitution d'une caste militaire jouissant d'un
statut spécial. (...).
Mais s'il se constituait ainsi une caste à part, elle ne serait même pas privilégiée,
car ainsi qu'il ressort de la note juridique incluse, on ne ferait que des parias de
la société musulmane. (...)
Il est impossible que l'indigène puisse regarder comme une faveur hors de prix
une mesure qui le place, de fait, hors la loi dans son propre pays, qui pèse sur sa
vie, ses habitudes d'une façon constante, (...), et qui fait de lui un déraciné, un
déclassé aux yeux de la masse et de ses compatriotes et notamment des classes
les plus intéressantes et les plus respectables. (...)
Si d'abord, comme je le crois, l'indigène marocain ou même tunisien ne regarde
pas la naturalisation comme une faveur, il ne se regardera nullement comme
diminué, parce qu’une mesure appliquée aux Algériens ne le sera pas à lui-
même. Pour le Marocain, si jaloux de son indépendance et de son statut, les
Algériens sont un peuple non seulement conquis, mais qui leur apparaît, à tort ou
à raison comme dépossédé de tout ce qui fait, socialement, la raison de vivre.
(...)
D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que nous avons eu affaire en Algérie et
au Maroc à des situations bien différentes.
En Algérie, une véritable poussière, pas d'état constitué, nulle organisation
sociale solide sur laquelle nous puissions nous appuyer, sauf à l'état
fragmentaire. Au Maroc, au contraire, si nous avons trouvé un État en voie de
dissolution, cette dissolution datait d'hier, de la mort de Moulay Hassan, ou même
plus exactement de celle plus récente du Grand Vizir Ba Ahmed. (...). Jusque-là,
tant bien que mal, la construction avait tenu et avait gardé sa figure d'état
indépendant. Les organismes essentiels, bien que très ébranlés pendant les
périodes d'Abd el-Aziz et Moulay Hafid, subsistaient encore à notre arrivée, et la
preuve, c'est qu'en deux ans le Makhzen a pu être reconstitué ainsi que tous les
rouages essentiels de l'administration indigène autour du sultan, clef de voûte de
l'édifice. (...)
A la page 6, l'antinomie entre la conception des auteurs du projet et le principe
même du Protectorat apparaît encore plus clairement. (...)
D'abord rien ne me paraît plus blessant pour le peuple marocain, très jaloux de
son statut où le sentiment national et la foi religieuse sont indissolument liés, que
de la lui présenter comme un statut inférieur et de lui offrir comme une suprême
faveur de le quitter pour prendre le nôtre qui ne s'adapte en rien aux conditions
de sa vie. (...)
Mais je ne serais pas surpris si, dans la pensée des auteurs du projet, comme
dans celle d'un si grand nombre de nos compatriotes, le Protectorat n'était pas
regardé comme un régime transitoire et inférieur devant fatalement aboutir, et
dans le plus bref délai possible, à l'annexion et à l'assimilation à laquelle une série
d'atteintes progressives l'amèneraient peu à peu. (...)

3) Le Dahir berbère, 16 mai 1930


Evènement fondateur du nationalisme marocain ou épiphénomène
instrumentalisé par les idéologues de l’arabisme ? Le dahir berbère occupe
dans l'histoire du Maroc contemporain une place polémique. Son étude
nécessite que soient déconstruits les discours qui l'entourent afin de montrer la
portée de leurs enjeux idéologiques.

 Texte du dahir berbère

Louange à Dieu
(Grand sceau de Sidi Mohamed)

Que l'on sache par les présentes - puisse Dieu en élever et en fortifier la
teneur
Que Notre Majesté Chérifienne

Considérant que le Dahir de Notre auguste père S.M. le Sultan Moulay


Youssef, en date du 11 septembre 1914 (20 chouan 1332), prescrit, dans
l'intérêt du bien de nos sujets et de la tranquillité de l'État, de respecter le statut
coutumier des tribus berbères pacifiées ; que dans le même but, le Dahir du
15 juin 1922 (19 choual 1340) a institué des règles spéciales en ce qui
concerne les aliénations immobilières qui seraient consenties à des étrangers
dans les tribus de coutume berbère non pourvues de mahakmas pour
l'application du chariâa : que de nombreuses tribus ont été depuis lors
régulièrement classées par Notre Grand Vizir parmi celles dont le statut
coutumier doit être respecté : qu'il devient opportun de préciser aujourd'hui les
conditions particulières dans les quelles la justice sera rendue dans les
mêmes tribus.

A décidé ce qui suit :

Article premier : Dans les tribus de Notre Empire reconnues comme étant de
coutume berbère, la répression des infractions commises par des sujets
marocains, qui seraient de la compétence des caïds dans les autres parties
de l'Empire, est de la compétence des chefs de tribus.
Pour les autres infractions, la compétence et la répression sont réglées par
les articles 4 et 6 du présent Dahir.

Article deux : Sous réserve des règles de compétence qui régissent les
tribunaux français de Notre Empire, les actions civiles ou commerciales,
mobilières ou immobilières sont jugées, en premier ou dernier ressort, suivant
le taux qui sera fixé par arrêté viziriel, par les juridictions spéciales appelées
tribunaux coutumiers.
Ces tribunaux sont également compétents en toute matière de
statut personnel ou successoral. Ils appliquent, dans tous les cas,
la coutume locale.

Article trois : L'appel des jugements rendus par les tribunaux coutumiers, dans
les cas où il sera recevable, est porté devant les juridictions appelées
tribunaux d'appel coutumiers.

Article quatre : En matière, ces tribunaux d'appel sont également compétents,


en premier et dernier ressort, pour la répression des infractions prévues à
l'alinéa 2 de l'article premier ci-dessus, et en outre de toutes infractions
commises par des membres des tribunaux coutumiers dont a compétence
normale est attribuée au chef de la tribu.

Article cinq : Auprès de chaque tribunal coutumier de première instance ou


d'appel est placé un commissaire du Gouvernement, délégué par l'autorité
régionale de contrôle de laquelle il dépend. Près de chacune de ces
juridictions est également placé un secrétaire-greffier, lequel remplit en outre
les fonctions de notaire.

Article six : Les juridictions françaises statuant en matière pénale, suivant les
règles qui leur sont propres, sont compétentes pour la répression des crimes
commis en pays berbère, quelle que soit la condition de l'auteur du crime.
Dans ce cas est applicable le Dahir du 12 août 1913 (9 ramadan 1331) sur la
procédure criminelle.
Article sept : Les actions immobilières auxquelles seraient parties, soit
comme demandeur, soit comme défenseur, des ressortissants des
juridictions françaises, sont de la compétence de ces juridictions.

Article huit : Toutes les règles d'organisation, de composition, de


fonctionnement des tribunaux seront fixées par arrêtés viziriels successifs,
selon les cas et suivant les besoins.

Fait à Rabat, le 17 hija 1348 (16 mai 1930)

Vu pour promulgation et mise à exécution


Rabat, le 23 mai 1930
Le Commissaire Résident Général
Lucien Saint

 Le discours colonial évangélisateur face aux Berbères, 1923

Pour comprendre la politique intérieure du Maroc, il ne faut pas oublier le


dualisme qui oppose au sein de l'Empire Chérifien les deux peuples rivaux qui
l'habitent, les Arabes et les Berbères.
Plus favorables à notre influence qu'à l'autorité du Sultan, ayant plus de
ressemblances avec nos paysans français qu'avec les Arabes nomades, les
Berbères sont facilement assimilables, pourvu qu'on sache respecter leurs justes
susceptibilités. (…)
Dès lors notre œuvre de pénétration en pays berbère est nettement définie. Elle
se fera au nom de la France plutôt qu'au nom du Sultan. Elle se fera par l'école,
apportant sans doute à ces populations la civilisation européenne, par l'école,
non laïque et athée, mais religieuse. (…)
Il faudra sans doute user de ménagements et un prosélytisme indiscret pourrait
réveiller le fanatisme musulman. On devra ménager les traditions et les
croyances profondes et sincères ; mais soyons assurés qu'à la longue, la
pénétration se fera et, le plus souvent, la vie de nos religieux et de nos maîtres
chrétiens suffira pour faire éclater aux yeux les moins prévenus la bienfaisance
et la vérité du christianisme apporté par les Français.
Si les arabes du Maroc envoient leurs enfants aux Jésuites de Beyrouth et aux
autres écoles catholiques d'Orient, pourquoi les Berbères n'useraient-ils pas des
écoles chrétiennes qui se fonderaient dans leur propre pays ? Elles leur seraient
encore plus chères si, à côté des maîtres européens, il s'en trouvait de leur race.
Or, en Kabylie, peuplée de Berbères ressemblant en tout point aux Berbères du
Maroc, il y a des instituteurs publics indigènes, connaissant à la fois la civilisation
européenne et plusieurs d'entre eux sont chrétiens. Comme leur action serait
bienfaisante dans les écoles qui s'ouvriront dans les régions montagneuses du
Maroc.

Jean
GUIRAUD
Rédacteur en chef de
La CROIX
Le Maroc Catholique
(novembre 1923)
 Le discours nationaliste panarabiste face à la question
berbère

Nous annonçons

Que la nation berbère, qui est musulmane depuis que l'Islam existe, et qui l'a
souvent aidé dans ses conquêtes et son extension, que cette nation qui a
accompagné Tariq en Espagne, puis est allée en France avec Aberahman El
Rafiqui et a suivi Assad Ibn Fourat jusqu'en Sicile,
Que cette nation qui a donné naissance aux deux dynasties Almoravides et
Almohades qui connurent des jours glorieux, que cette nation qui vit naître des
savants et des juges dont les livres dureront éternellement,
Que cette nation qui compte au Maroc plus de sept millions d'âmes, est agressée
par la France qui veut l'expulser hors de l'enceinte de l'islam en s'appuyant sur
une force militaire écrasante au mépris de sa liberté, et en portant atteinte à sa
foi sacrée, agression dont il n'existe aucun exemple dans l'histoire.
Des Marocains, hommes dignes de foi, nous ont écrit pour nous rappeler que la
France a promulgué un Dahir, le 16 mai 1930, publié au journal officiel sous le n°
919, et qu'elle en a commencé l'application. La force militaire a dressé au Maroc
une barrière entre les trois-quarts de ses habitants et le Coran, Livre Sacré qui
régissait leur vie depuis 13 siècles. Ils ont fermé les écoles coraniques et placé le
cœur et l'esprit de millions d'enfants entre les mains de plus de mille missionnaires
catholiques ( prêtes et religieuses) qui dirigent des écoles de filles et de garçons;
Ils ont fermé les tribunaux musulmans qui existaient dans ces régions peuplées
de Berbères, et ils ont obligé ces millions de musulmans à être régis en ce qui
concerne le mariage, l'héritage et leur statut personnel, par de nouvelles lois
puisées dans les coutumes qui n'ont aucun lien avec la civilisation et la condition
humaine. (…)
La France, qui clame de par le monde sa prétention d'être une nation de liberté,
oblige les musulmans du gouvernement marocain à abandonner leur religion en
exigeant d'eux qu'ils acceptent que le sultan restreigne ses droits en ce qui
concerne l'application de la loi musulmane dans les tribus berbères, et qu'il
reconnaisse au gouvernement du protectorat français le droit de s'occuper de ses
problèmes de religion et d'éducation.
Le gouvernement français est loin de se comporter en conseiller vis-à-vis de nos
frères musulmans marocains.

Appel de Rachid
RIDA Journal El Fath,
numéro 214

à Le Maroc sous domination coloniale

4) Les résistances marocaines

à Le soulèvement d'Ahmed El Hiba, 1910-1912

Si Ahmed El Hiba jouissait à l'époque d'une certaine notoriété, il la devait à la


mémoire de son illustre père, Ma El Aïnine, bien connu des Français pour la
défense qu'il anima contre eux au Sahara. (...), les Français entreprirent leur
avance, depuis le Sénégal et le Soudan, en direction du Nord. Ce fut Ma El
Aïnine, avec les armes et les subsides que dépêchait le sultan, qui conduisit
la résistance. Sa renommée vola alors dans le Maroc entier. Et il mourut
couvert de gloire à Tiznit, dans le Sous El Adna où il se replia après la perte
du Sahara.
On vivait une époque, en fin 1910, où sa présence aurait été bien nécessaire,
car l'invasion française était déjà en train. Bien que fort vieux, Ma El Aïnine
était donc mort trop tôt. Mais les regards se reportèrent alors sur son fils
préféré, choisi selon l'usage par les compagnons de son père pour assurer sa
succession. Voilà comment, comblé à trente-trois ans, des mêmes honneurs
que son vieux père, le jeune cheikh Ahmed El Hiba se découvrit dépositaire
d'une confiance qu'il n'avait pas encore pu mériter. Milieu 1911, les Français
avancèrent jusqu'à Fès. Le Sous fut en ébullition, et dès ce moment-là, on n'y
parla que d'El Hiba. L'année suivante, un mois après la signature du traité
mettant fin à l'indépendance du pays, un congrès réunit les tribus de la région
du Sous. Il décida qu'au cas où l'on pendrait les armes contre l'envahisseur,
ce serait sous les ordres d'El Hiba. Un mois plus tard, tandis qu'à Fès,
Abdelhafid se refusait, après avoir signé, à jouer le rôle de "Sultan des
Français", il y eu à Tiznit, à la prière du vendredi, des gens pour exiger que le
nom d'El Hiba fût prononcé comme celui de l'Emir des Croyants". Ainsi fut fait,
et la nouvelle s'en répandant comme une traînée de poudre, les députés de
toutes les tribus accoururent pour prêter le serment d'allégeance. (...)
Après avoir levé des contingents et mis sur pied l'équipe de son
gouvernement, celui-ci décida d'aller prendre Marrakech, la capitale du Sud,
pour y installer son pouvoir. Moins qu'une campagne, ce fut, de bout en bout,
une marche triomphale. (...)
En faisant allégeance, toutes les tribus du Sous, et après elles, la ville de
Marrakech, avaient remis à El Hiba leur sort entre ses mains. A lui d'exercer
seul le pouvoir absolu. (...) Ce pieux lettré, grandi loin de la politique, vit dans
le choix dont il était soudain l'objet, le doigt de Dieu le conduisant aux
destinées de Youssef Ben Tachfine. (...) " Voilà, dit-il un jour, en brandissant
son chapelet, ce qui me permettra d'aller jusqu'à Damas et jusqu'au Caire".
(...), très vite, cruellement déçus, ses bataillons ruraux se clairsemèrent,
beaucoup rentrant chez eux. De leur côté, les citadins déchantant vite, se
renfermèrent dans une sourde hostilité. Quant aux Français dont El Hiba
recevait les amis en privé, ils approchaient en attendant que la situation fût
mûre. Le 7 septembre 1912, à Sidi Bou Othman, il leur suffit, avec la
connivence de certains Grands d'en face, de quelques heures de canonnade,
pour faire crouler comme un château de cartes, l'éphémère royauté d'El Hiba.
De retour dans le Sous, quoique déchu, il trouva les tribus encore prêtes à
s'unir sous son nom. Pendant sept ans, jusqu'à sa mort, face à l'envahisseur,
il sera leur emblème. Et après lui, l'un de ses frères prendra la succession
pendant quinze autres années. (...)
Résistance héroïque, mais confinée et condamnée à terme, comme celle qui
se mena en divers autres points du pays. (...)

à Le combat de Sidi bou Othman, septembre 1912

Télégramme du Résident Général Hubert Lyautey au colonel Mangin


Le 2 septembre 1912 (donnant l'ordre à Mangin de prendre rapidement
Marrakech et aboutissant au combat de Sidi Bou Othman contre les troupes
hibistes, du 6 septembre 1912)

N° 1107 BM2. EXTREME URGENT

Primo. Allez-y carrément. Je mets en vous toute ma confiance pour sauver nos
compatriotes, rendre appui à nos amis, et châtier nos ennemis, en unissant à
toute la vigueur nécessaire la prudence indispensable pour ne vous laisser ni
accrocher ni retenir. Ne partez que complètement outiller et munitionné. ( ....)

La victoire est totale. La mehalla en déroute a abandonné sur le terrain ses


canons, quatorze caisses d'obus, toutes ses tentes, des approvisionnements et
des bagages en quantité considérable.

D'après des renseignements recueillis plus tard, on estimera que la mehalla du


Mahdi a perdu, au cours de ce combat, près de 2000 hommes tués par le feu ou
bien morts de soif et d'épuisement dans leur fuite. (...)

à Considérations du Général Guillaume sur la résistance berbère à la


conquête du Maroc

Le Général Guillaume est l'une des figures marquantes de la présence coloniale


française au Maroc. Il se distingue lors de la conquête du pays, particulièrement
de l'Atlas central, avant d'être nommé commissaire résident général d'octobre
1951 à juin 1954. Ce passage, devenu célèbre, met en évidence l'âpreté de la
résistance en "pays berbère" et permet de réfléchir à l'ambiguïté de la notion
coloniale de "pacification".

Comme dans le reste de l'Afrique du Nord, le but de notre action au Maroc a été
d'instaurer la paix, en évitant l'emploi de la force chaque fois qu'il était possible
de le faire. Il s'agit donc bien d'une "pacification" dont l'ultime ambition est
d'apporter, avec des avantages politiques et sociaux, le mieux-être, l'unité et la
sécurité intérieure.
Mais dans l'Atlas central, aucune tribu n'est venue à nous dans un mouvement
spontané. Aucune ne s'est soumise sans combattre, et certaines sans avoir
épuisé, jusqu'au dernier, leurs moyens de résistance. Cependant, il serait faux
d'affirmer que cette conquête s'est faite exclusivement par les armes. Toujours et
partout, elle n'a cessé d'user des moyens politiques dont elle disposait. (...)
Plus encore que les Arabes d'Algérie, les Berbères de l'Atlas central demeureront
insensibles à nos démarches pacifiques et ne céderont qu'à la force. Chaque
étape sera marquée par de sévères combats. (...)"

à Le combat d'El Herri du 12 novembre 1914


Le combat d'El Herri est l'un des principaux désastres subis par l'armée
française au Maroc, et plus largement, dans les colonies. L'écho de cette
défaite, qui augure des difficultés de la conquête du pays, a été assourdi par
le déclenchement de la Grande guerre en Europe. A partir des extraits
suivants, la
Comparaison peut être faite entre deux visions et deux manières de rendre
compte d’un même événement : compte rendu écrit des militaires français,
côté vaincus, tradition transmise oralement en pays zaïan, côté vainqueur

à Le compte-rendu des militaires français

" Le 12 novembre, cinq mois se sont écoulés depuis notre installation à Khénifra.
Moha Ou Hammou est mis en confiance par notre inaction et par les premiers
pourparlers engagés ; il installe son campement à une quinzaine de kilomètres
de Khénifra, aux abords du petit village d'El Herri, dans une cuvette traversée par
l'oued Chbouka, affluent du Serrou ; il paraît se relâcher de son intransigeance et
envoie ses malades se faire soigner au poste. (...)
Le commandant Laverdure commande la poste de Khénifra. Il décide d'enlever le
campement de Moha Ou Hammou, malgré les ordres qui lui interdisent
formellement toute sortie, (...). Cette décision semble avoir été inspirée au colonel
Laverdure par un mokhazni zaïan, récemment passé à notre service et désireux
de venger, sur Moha ou Hammou, un affront personnel que celui-ci lui avait infligé
(...)
A 2h30, la colonne se met en marche. Elle compte 43 officiers et 1230 hommes.
A midi, un convoi de blessés, harcelé par les insoumis, et quelques centaines
d'hommes à bout de souffle devaient rentrer, seuls, à Khénifra apportant la
nouvelle du désastre subi. (...)
Le bilan : sur un effectif de 43 officiers, 1232 hommes, la colonne avait perdu 33
officiers tués, 590 hommes troupe tués, 176 blessés dont 5 officiers. Sur les 43 officiers
ayant participé au combat, 5 officiers seulement étaient revenus indemnes dont 4
cavaliers. (...)
Jamais un échec aussi désastreux n'avait été infligé à nos
troupes, en Afrique du Nord. C'était, pour les Zaïans, un
immense succès (...) "

à La mémoire des Imazighen

Moha Ou Hammou campait à El-Herri avec ses


brillants cavaliers Il campait à El-Herri.
Les Français étaient à Khénifra, la nuit. Ils disaient : "
Nous allons prendre Moha Ou Hammou"
Ils firent venir une colonne. Les Français vinrent avec la
colonne pour s'emparer de Moha Ou Hammou.
Ils arrivèrent chez lui, la nuit, à El-Herri.
La poudre partit. Les militaires entrèrent sous les tentes,
les goumiers entrèrent. La poudre sortit jusqu'au matin.
Les Ichqern arrivèrent le matin ainsi que les Zayans,
les Aït Ishaq et tout ceux de la région. Ils firent un
grand combat à El-Herri.
Ils partirent. De El-Herri à Khénifra il n'y avait que
des morts. Et ils ne prirent pas le caïd.
A El Herri, beaucoup de militaires sont morts,
beaucoup d'Ichqern, de Zayans, d'Aït Ishaq,
beaucoup, beaucoup de militaires....

- La guerre du Rif occupe une place particulière dans l'histoire du Maroc


contemporain. L'équilibre fragile du protectorat a été sérieusement
bousculé par ce combat de "David contre Goliath" dont les idéaux ont eu
un écho formidable dans le monde occidental d'après-guerre, traversé
par les courants communiste, anti-impérialistes et anarchiste.

5) Les principales étapes de la guerre du Rif (1921-1926)


Tout avait commencé, apparemment du moins, dans l'été 1921. Tandis que les
Français tenaient déjà solidement, au sud, presque tout le Maroc, les Espagnols,
dans le nord du pays, où une zone leur était concédée, s'évertuaient encore à
conquérir leur part de territoire. Pourtant, depuis un an, les choses allaient bon
train, et deux armées qui opéraient séparément, l'une à l'est, l'autre à l'ouest,
étaient même à portée d'objectifs essentiels, quand celle de l'est, soudain, malgré
ses vingt mille hommes, se fit littéralement tailler en pièces, jonchant le pays de
ses morts, laissant à l'adversaire ses stocks de munitions et dépôts de vivres.
Tant en Espagne que dans le monde, ce fut une vague de stupeur. Car enfin,
l'adversaire ne consistait qu'en quelques bandes de paysans rifains piteusement
armés et qui faisaient tout juste le coup de feu avant de s'esquiver. On incrimina
donc, pour expliquer la chose, la fougue irréfléchie du chef, le général Silvestre,
perdu lui-même dans le tourmente, ou le laisser-aller de l'armée espagnole. Mais
on se rassura. Après ce dur réveil, l'Espagne, nation européenne, saurait prendre
vivement sa revanche et accomplirait sa mission.
Il en advint tout autrement. Certes, on achemina des renforts imposants sur le
lieu des combats, et en partie du moins, on reconquit le territoire perdu. Mais il
fallut de longs mois. Car en face, désormais, avaient surgi une organisation, une
manière d'État, en tout cas une armée, avec un chef improvisé, un certain
Abdelkrim dont la trempe s'avérait peu commune. Et l'on dut se convaincre que
le problème n'était plus tant de réduire les Rifains que de savoir comment leur
résister. Bien plus, alors que dans le Rif puis dans le reste de la zone dévolue à
l'Espagne, le pouvoir d'Abdelkrim et son prestige allaient s'affermissant, c'est à
Madrid que les convulsions du régime s'achevaient sur une dictature militaire. Or
le nouveau maître de l'Espagne, Primo de Rivera, n'en fut pas, pour autant, plus
heureux au Maroc. Fin 1924, son armée refluait sous les coups des Rifains,
jusqu'aux murs de Tétouan. La guerre était alors virtuellement gagnée pour
Abdelkrim qui préparait déjà le double assaut final, vers Melilla à l'est, et sur
Tétouan à l'ouest. Pourtant, à ce moment précis, il dut se tourner face au sud où,
dans des conditions obscures, un troisième front soudain, s'était ouvert.
La France, car s'était-elle qui, à son tour, venait d'entrer en lice, était un tout
autre adversaire que l'Espagne. En métropole, elle disposait à l'époque de la plus
forte armée du monde. Quant à ses armées coloniales, elles n'avaient eu, depuis
longtemps, sous toutes les latitudes, que des victoires. Celle du Maroc, tout
particulièrement, se trouvait à pied d'œuvre depuis près de vingt ans. Elle avait le
pays bien en mains. Elle y disposait du terrain, des ressources et des hommes.
Elle possédait des cadres formés et aguerris sur place. Son chef enfin, le
Maréchal Lyautey, était aux yeux du monde comme un vivant symbole de la
réussite coloniale. A son contact évidemment, l'humble État paysan des Rifains
crèverait comme une bulle.
Aussi, n'y va-t-il pas de mots pour exprimer l'étonnement universel quand on vit
à leur tour, les Français bousculés, renversés, piétinés, plus vivement encore que
les Espagnols avant eux. Fès, Taza, Ouezzane se trouvèrent en danger. Battu,
Lyautey fut en pleine bataille, relevé par Pétain, maréchal plus illustre dont le
choix n'allait pas sans évoquer Verdun. Venant à point, l'évacuation de la Ruhr
permit de déployer, sur trois cents kilomètres, une formidable armée de cent
cinquante mille hommes. Avec les Espagnols qui en avaient autant de leur côté,
on contracta hâtivement alliance. Tout ce train et ce branle-bas pour une simple
affaire coloniale ? En fait, on s'avisa que depuis le début, dès sa phase
espagnole, une véritable guerre était en cours. On découvrait " la guerre du Rif ".
Au bout du compte, c'est à la France et à l'Espagne coalisées que revint la
victoire. L'occupation du Rif qui s'ensuivit et la reddition d'Abdelkrim ouvrirent
alors la voie au protectorat espagnol et rétablirent l'assise de la domination
française. ( ....)

 La bataille d’Anoual et le suicide du Général Silvestre, 20 juillet


1921

Chef de la "Commandancia Militar" de Melilla, le général Sylvestre quitte Melilla


et s'aventure, de sa propre autorité, le long du rivage montagneux de la mer en
direction de la baie d'Alhucemas (el Hoceima). Et l'on ne peut ne pas penser au
colonel Laverdure à El Herri en novembre 1914.
C'est alors que le poste d'Ighriben est enlevé par les rifains, qui massacrent la
garnison et menacent aussitôt la colonne Sylvestre coupée de ses bases. Le
général ordonne l'évacuation du poste et tente de rejoindre Melilla. Mais cette
opération de décrochage et de repli, toujours très délicate à conduire, se
transforme bientôt en déroute, sous la pression de forces de plus en plus
supérieures en nombre, accourues à la curée. Après avoir confié à son
ordonnance une valise contenant ses décorations et ses insignes d'aide de camp
du roi, le général Sylvestre se suicide, ne voulant pas survivre à ce désastre dont
il est seul responsable. Nombre de ses officiers l'imitent. C'est alors l'écrasement
total, le plus effroyable massacre d'une armée prise en panique. ( ...) "

 Le soutien du parti communiste français à Abdelkrim, 1924

Groupe parlementaire, comité directeur du PC, comité national des Jeunesses


communistes saluent la brillante victoire du peuple marocain sur les
impérialismes espagnols. Ils félicitent son vaillant chef Abd-el-Krim. Espèrent
qu'après la victoire définitive sur l'impérialisme espagnol il continuera, avec le
prolétariat français et européen, la lutte contre tous les impérialismes, français y
compris, jusqu'à la libération complète du sol marocain.

Vive l'indépendance du Maroc!

Vive la lutte internationale des peuples coloniaux et du prolétariat mondial!

 Déclaration d'Abdelkrim.

" Je déclare que, lorsqu'on me reproche de faire la guerre sainte, on commet une
erreur, pour ne pas dire plus. Le temps des guerres saintes est passé ; nous ne
sommes plus au Moyen Age ou au temps des Croisades. Nous voulons
simplement être et vivre indépendants et n'être gouvernés que par Dieu.
Nous avons un vif désir de vivre en paix avec tout le monde et avoir de bonnes
relations avec tous car nous n'aimons pas faire tuer nos enfants.
Mais pour arriver à ce but désiré, à ces aspirations, à cette indépendance enfin,
nous sommes prêts à lutter contre le monde entier s'il le faut.
(...) le Parti colonial veut nous asservir, sans tenir compte des droits d'un peuple
à disposer de lui-même et à l'époque où l'on prétend être arrivé au summum de
la civilisation. Cette civilisation devrait tendre à libérer les peuples au lieu de les
asservir (...)
(...) Je le déclare solennellement, mon plus grand désir, mes aspirations les plus
élevées tendent vers la paix et, pour arriver à ce résultat, il n'y a qu'un seul moyen
logique :
Que la France reconnaisse l'indépendance du Rif"

 Adresse de Abdelkrim au peuple américain

Je vous salue, ô peuple distingué, au nom du jeune peuple rifain, qui, pour le salut
de la Liberté, souffre toujours des affres de la guerre. Le peuple rifain espère un
jour obtenir une situation semblable à la vôtre, une situation que vous avez
gagnée par vos efforts et les sacrifices nécessaires à vos aspirations à une
époque pendant laquelle, tout comme les Rifains, vous étiez en pleine croissance.
Mon peuple, inspiré par votre sain principe, se bat depuis quatre ans pour obtenir
son indépendance et est prêt à faire tout ce qui est possible comme sacrifices,
car tout homme qui persiste à suivre le chemin qu'il s'est tracé est sûr d'arriver à
son but. O peuple américain, je profite de l'occasion qui m'est offerte par le
réception d'un de vos journaliste - qui pour moi a été le symbole de votre grandeur
d'âme, ainsi que l'emblème de votre générosité - pour vous envoyer mes sincères
salutations

 Textes d'Hubert Lyautey, Résident général de France au Maroc


(1912-1925)
Figure emblématique de l'histoire coloniale française, et particulièrement du
protectorat marocain dont il a été le "proconsul", Hubert Lyautey s'est
efforcé, dans "l'empire fortuné", de donner corps à la notion de protectorat à
la française. Dans les textes qui suivent, il oppose la forme prise par la
domination française au Maroc à celle appliquée dans l'Algérie voisine.

- Lettre de Lyautey à Théophile Delcassé, ministre des Affaires


étrangères, Rabat, 15 juin 1915

Par lettre du 3 avril, Votre excellence a bien voulu m'envoyer la proposition de loi
déposée le 1er avril à la Chambre des députés par MM. Albin Rozet, Georges
Leygues, Noisy et Lucien Millevoye, loi ayant pour objet de faciliter aux militaires
et anciens militaires indigènes, originaires de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc,
l'accession à la qualité de citoyen français. (...)
Avant d’aborder toute argumentation, je déclare que mon avis formel est que le
projet de loi est inapplicable au Maroc, doit être écarté, en ce qui le concerne,
purement et simplement, (...).
La généralisation de cette mesure, si tous les militaires indigènes demandaient
cette naturalisation, amènerait la constitution d'une caste militaire jouissant d'un
statut spécial. (...).
Mais s'il se constituait ainsi une caste à part, elle ne serait même pas privilégiée,
car ainsi qu'il ressort de la note juridique incluse, on ne ferait que des parias de
la société musulmane. (...)
Il est impossible que l'indigène puisse regarder comme une faveur hors de prix
une mesure qui le place, de fait, hors la loi dans son propre pays, qui pèse sur sa
vie, ses habitudes d'une façon constante, (...), et qui fait de lui un déraciné, un
déclassé aux yeux de la masse et de ses compatriotes et notamment des classes
les plus intéressantes et les plus respectables. (...)
Si d'abord, comme je le crois, l'indigène marocain ou même tunisien ne regarde
pas la naturalisation comme une faveur, il ne se regardera nullement comme
diminué, parce qu’une mesure appliquée aux Algériens ne le sera pas à lui-
même. Pour le Marocain, si jaloux de son indépendance et de son statut, les
Algériens sont un peuple non seulement conquis, mais qui leur apparaît, à tort ou
à raison comme dépossédé de tout ce qui fait, socialement, la raison de vivre.
(...)
D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que nous avons eu affaire en Algérie et
au Maroc à des situations bien différentes.
En Algérie, une véritable poussière, pas d'état constitué, nulle organisation
sociale solide sur laquelle nous puissions nous appuyer, sauf à l'état
fragmentaire. Au Maroc, au contraire, si nous avons trouvé un État en voie de
dissolution, cette dissolution datait d'hier, de la mort de Moulay Hassan, ou même
plus exactement de celle plus récente du Grand Vizir Ba Ahmed. (...). Jusque-là,
tant bien que mal, la construction avait tenu et avait gardé sa figure d'état
indépendant. Les organismes essentiels, bien que très ébranlés pendant les
périodes d'Abd el-Aziz et Moulay Hafid, subsistaient encore à notre arrivée, et la
preuve, c'est qu'en deux ans le Makhzen a pu être reconstitué ainsi que tous les
rouages essentiels de l'administration indigène autour du sultan, clef de voûte de
l'édifice. (...)
A la page 6, l'antinomie entre la conception des auteurs du projet et le principe
même du Protectorat apparaît encore plus clairement. (...)
D'abord rien ne me paraît plus blessant pour le peuple marocain, très jaloux de
son statut où le sentiment national et la foi religieuse sont indissolument liés, que
de la lui présenter comme un statut inférieur et de lui offrir comme une suprême
faveur de le quitter pour prendre le nôtre qui ne s'adapte en rien aux conditions
de sa vie. (...)
Mais je ne serais pas surpris si, dans la pensée des auteurs du projet, comme
dans celle d'un si grand nombre de nos compatriotes, le Protectorat n'était pas
regardé comme un régime transitoire et inférieur devant fatalement aboutir, et
dans le plus bref délai possible, à l'annexion et à l'assimilation à laquelle une série
d'atteintes progressives l'amèneraient peu à peu. (...)

6) Le Dahir berbère, 16 mai 1930


Evènement fondateur du nationalisme marocain ou épiphénomène
instrumentalisé par les idéologues de l’arabisme ? Le dahir berbère occupe
dans l'histoire du Maroc contemporain une place polémique. Son étude
nécessite que soient déconstruits les discours qui l'entourent afin de montrer la
portée de leurs enjeux idéologiques.

 Texte du dahir berbère

Louange à Dieu
(Grand sceau de Sidi Mohamed)

Que l'on sache par les présentes - puisse Dieu en élever et en fortifier la
teneur
Que Notre Majesté Chérifienne

Considérant que le Dahir de Notre auguste père S.M. le Sultan Moulay


Youssef, en date du 11 septembre 1914 (20 chouan 1332), prescrit, dans
l'intérêt du bien de nos sujets et de la tranquillité de l'État, de respecter le statut
coutumier des tribus berbères pacifiées ; que dans le même but, le Dahir du
15 juin 1922 (19 choual 1340) a institué des règles spéciales en ce qui
concerne les aliénations immobilières qui seraient consenties à des étrangers
dans les tribus de coutume berbère non pourvues de mahakmas pour
l'application du chariâa : que de nombreuses tribus ont été depuis lors
régulièrement classées par Notre Grand Vizir parmi celles dont le statut
coutumier doit être respecté : qu'il devient opportun de préciser aujourd'hui les
conditions particulières dans les quelles la justice sera rendue dans les
mêmes tribus.

A décidé ce qui suit :

Article premier : Dans les tribus de Notre Empire reconnues comme étant de
coutume berbère, la répression des infractions commises par des sujets
marocains, qui seraient de la compétence des caïds dans les autres parties
de l'Empire, est de la compétence des chefs de tribus.
Pour les autres infractions, la compétence et la répression sont réglées par
les articles 4 et 6 du présent Dahir.

Article deux : Sous réserve des règles de compétence qui régissent les
tribunaux français de Notre Empire, les actions civiles ou commerciales,
mobilières ou immobilières sont jugées, en premier ou dernier ressort, suivant
le taux qui sera fixé par arrêté viziriel, par les juridictions spéciales appelées
tribunaux coutumiers.
Ces tribunaux sont également compétents en toute matière de
statut personnel ou successoral. Ils appliquent, dans tous les cas,
la coutume locale.

Article trois : L'appel des jugements rendus par les tribunaux coutumiers, dans
les cas où il sera recevable, est porté devant les juridictions appelées
tribunaux d'appel coutumiers.

Article quatre : En matière, ces tribunaux d'appel sont également compétents,


en premier et dernier ressort, pour la répression des infractions prévues à
l'alinéa 2 de l'article premier ci-dessus, et en outre de toutes infractions
commises par des membres des tribunaux coutumiers dont a compétence
normale est attribuée au chef de la tribu.

Article cinq : Auprès de chaque tribunal coutumier de première instance ou


d'appel est placé un commissaire du Gouvernement, délégué par l'autorité
régionale de contrôle de laquelle il dépend. Près de chacune de ces
juridictions est également placé un secrétaire-greffier, lequel remplit en outre
les fonctions de notaire.

Article six : Les juridictions françaises statuant en matière pénale, suivant les
règles qui leur sont propres, sont compétentes pour la répression des crimes
commis en pays berbère, quelle que soit la condition de l'auteur du crime.
Dans ce cas est applicable le Dahir du 12 août 1913 (9 ramadan 1331) sur la
procédure criminelle.
Article sept : Les actions immobilières auxquelles seraient parties, soit comme
demandeur, soit comme défenseur, des ressortissants des juridictions
françaises, sont de la compétence de ces juridictions.

Article huit : Toutes les règles d'organisation, de composition, de


fonctionnement des tribunaux seront fixées par arrêtés viziriels successifs,
selon les cas et suivant les besoins.

Fait à Rabat, le 17 hija 1348 (16 mai 1930)

Vu pour promulgation et mise à exécution


Rabat, le 23 mai 1930
Le Commissaire Résident Général
Lucien Saint

 Le discours colonial évangélisateur face aux Berbères, 1923

Pour comprendre la politique intérieure du Maroc, il ne faut pas oublier le


dualisme qui oppose au sein de l'Empire Chérifien les deux peuples rivaux qui
l'habitent, les Arabes et les Berbères.
Plus favorables à notre influence qu'à l'autorité du Sultan, ayant plus de
ressemblances avec nos paysans français qu'avec les Arabes nomades, les
Berbères sont facilement assimilables, pourvu qu'on sache respecter leurs justes
susceptibilités. (…)
Dès lors notre œuvre de pénétration en pays berbère est nettement définie. Elle
se fera au nom de la France plutôt qu'au nom du Sultan. Elle se fera par l'école,
apportant sans doute à ces populations la civilisation européenne, par l'école,
non laïque et athée, mais religieuse. (…)
Il faudra sans doute user de ménagements et un prosélytisme indiscret pourrait
réveiller le fanatisme musulman. On devra ménager les traditions et les
croyances profondes et sincères ; mais soyons assurés qu'à la longue, la
pénétration se fera et, le plus souvent, la vie de nos religieux et de nos maîtres
chrétiens suffira pour faire éclater aux yeux les moins prévenus la bienfaisance
et la vérité du christianisme apporté par les Français.
Si les arabes du Maroc envoient leurs enfants aux Jésuites de Beyrouth et aux
autres écoles catholiques d'Orient, pourquoi les Berbères n'useraient-ils pas des
écoles chrétiennes qui se fonderaient dans leur propre pays ? Elles leur seraient
encore plus chères si, à côté des maîtres européens, il s'en trouvait de leur race.
Or, en Kabylie, peuplée de Berbères ressemblant en tout point aux Berbères du
Maroc, il y a des instituteurs publics indigènes, connaissant à la fois la civilisation
européenne et plusieurs d'entre eux sont chrétiens. Comme leur action serait
bienfaisante dans les écoles qui s'ouvriront dans les régions montagneuses du
Maroc.

Jean
GUIRAUD
Rédacteur en chef de
La CROIX
Le Maroc Catholique
(novembre 1923)
 Le discours nationaliste panarabiste face à la question berbère

Nous annonçons

Que la nation berbère, qui est musulmane depuis que l'Islam existe, et qui l'a souvent
aidé dans ses conquêtes et son extension, que cette nation qui a accompagné Tariq
en Espagne, puis est allée en France avec Aberahman El Rafiqui et a suivi Assad Ibn
Fourat jusqu'en Sicile,
Que cette nation qui a donné naissance aux deux dynasties Almoravides et
Almohades qui connurent des jours glorieux, que cette nation qui vit naître des savants
et des juges dont les livres dureront éternellement,
Que cette nation qui compte au Maroc plus de sept millions d'âmes, est agressée par
la France qui veut l'expulser hors de l'enceinte de l'islam en s'appuyant sur une force
militaire écrasante au mépris de sa liberté, et en portant atteinte à sa foi sacrée,
agression dont il n'existe aucun exemple dans l'histoire.
Des Marocains, hommes dignes de foi, nous ont écrit pour nous rappeler que la France
a promulgué un Dahir, le 16 mai 1930, publié au journal officiel sous le n° 919, et
qu'elle en a commencé l'application. La force militaire a dressé au Maroc une barrière
entre les trois-quarts de ses habitants et le Coran, Livre Sacré qui régissait leur vie
depuis 13 siècles. Ils ont fermé les écoles coraniques et placé le cœur et l'esprit de
millions d'enfants entre les mains de plus de mille missionnaires catholiques ( prêtes
et religieuses) qui dirigent des écoles de filles et de garçons; Ils ont fermé les tribunaux
musulmans qui existaient dans ces régions peuplées de Berbères, et ils ont obligé ces
millions de musulmans à être régis en ce qui concerne le mariage, l'héritage et leur
statut personnel, par de nouvelles lois puisées dans les coutumes qui n'ont aucun lien
avec la civilisation et la condition humaine. (…)
La France, qui clame de par le monde sa prétention d'être une nation de liberté, oblige
les musulmans du gouvernement marocain à abandonner leur religion en exigeant
d'eux qu'ils acceptent que le sultan restreigne ses droits en ce qui concerne
l'application de la loi musulmane dans les tribus berbères, et qu'il reconnaisse au
gouvernement du protectorat français le droit de s'occuper de ses problèmes de
religion et d'éducation.
Le gouvernement français est loin de se comporter en conseiller vis-à-vis de nos frères
musulmans marocains.

Appel de Rachid RIDA


Journal El Fath, numéro
214

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