Comparer Les Classes Populaires en France Et Au Portugal: Actes de La Recherche en Sciences Sociales

COMPARER LES CLASSES POPULAIRES EN FRANCE ET AU
PORTUGAL
Différences structurelles et histoires intellectuelles
Virgílio Borges Pereira, Yasmine Siblot
Le Seuil | « Actes de la recherche en sciences sociales »
2017/4 N° 219 | pages 56 à 79
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ISBN 9782021340594
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sociales-2017-4-page-56.htm
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Pour citer cet article :

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Virgílio Borges Pereira, Yasmine Siblot« Comparer les classes populaires en France
et au Portugal. Différences structurelles et histoires intellectuelles », Actes de la
recherche en sciences sociales 2017/4 (N° 219), p. 56-79.
DOI 10.3917/arss.219.0056
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PHOTOGRAPHIE de l’usine Sampaio et Ferreira en 2010.

Virgílio Borges Pereira et Yasmine Siblot
56
Comparer les classes populaires

en France et au Portugal
Différences structurelles et histoires intellectuelles
La sociologie des classes sociales comporte en France des États-providence de Gøsta Esping-Andersen 2),
et au Portugal des courants qui ont en commun des et que des flux migratoires anciens unissent de longue
orientations fortes : la référence à un espace social date3. Confronter ces deux cas est aussi une façon
multidimensionnel et une analyse en termes de rapports d’aborder plus largement la question des effets de la
de domination ; une sociologie des pratiques, des repré- crise économique européenne autrement qu’à travers
sentations et des interactions reposant sur un travail des indicateurs standardisés tels ceux en usage dans les
empirique combinant le travail statistique et l’enquête analyses issues de la statistique publique européenne :
de terrain ; des analyses historicisées et contextualisées ces indicateurs mettent ainsi en lumière qu’après
à l’échelle locale. Cette proximité intellectuelle favorise une phase de relative « convergence » entre États-
les comparaisons entre les travaux produits, et entre les membres de l’Union européenne, les inégalités se sont
groupes sociaux et les rapports sociaux qu’ils étudient, amplifiées depuis 2008, accentuant de nouveau des
et c’est cette proximité intellectuelle – plus que des « divergences »4 économiques et sociales entre pays.
hypothèses a priori justifiant le rapprochement de ces Se focaliser sur deux cas précis impose de faire porter
deux cas nationaux – qui nous a initialement incités à l’analyse de cette dynamique de rapprochement ou
élaborer une analyse comparée des transformations de d’éloignement non sur des indicateurs moyens, mais
la structure sociale dans ces deux pays. sur des groupes sociaux et sur les rapports entre ces
Cette analyse comparée nous semble fructueuse groupes, sur des structures de production, des insti-
pour nourrir une sociologie des classes sociales à tutions, etc. Nous avons ici choisi de nous centrer sur
l’échelle européenne : il s’agit en effet de comparer les groupes dominés, les plus touchés par les crises
aussi précisément que possible des espaces natio- économiques des dernières décennies.
naux dont on présuppose aisément les différences Cet article rend compte d’une première étape de ce
(pays « du Nord » versus pays « du Sud » de l’Europe, chantier comparatif, qui vise à expliciter les différences
présentant de très forts écarts selon toute une série existant entre les questionnements sociologiques et les
d’indicateurs économiques et sociaux1), mais qui catégories des chercheurs analysant les classes sociales,
ont pu aussi être rapprochés dans certains modèles en dépit des fortes caractéristiques communes évoquées.
macrosociaux (comme au sein du cadre d’analyse Ces différences renvoient à des écarts structurels, mais
1. Voir par exemple : Magali Beffy, Marie- 2. Gøsta Esping-Andersen, The Three Worlds Presses de Sciences Po, 2012 ; Maria Ioan- Oxford University Press, 2005, p. 415-457.
Émilie Clerc et Céline Thévenot, « Inégalités, of Welfare Capitalism, Cambridge, Polity nis Baganha, José Carlos Marques et Pedro 4. Marine Boisson-Cohen, Cécile Mareuge,
pauvreté et protection sociale en Europe : Press, 1990. Góis, “International migration from and to David Marguerit et Bruno Palier, « Les diver-
état des lieux et impact de la crise », La 3. Victor Pereira, La Dictature de Salazar Portugal: what do we know and where are we gences sociales en Europe après la crise »,
France dans l’Union européenne, Paris, face à l’émigration. L’État portugais et ses going?”, in Klaus F. Zimmermann (dir.), Euro- La note d’analyse, France Stratégie, 25,
INSEE, 2014, p. 25-41. migrants en France (1957-1974), Paris, pean Migration. What do We Know?, Oxford, 2015, p. 1-8.
ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 219 p. 56-79 57

aussi à des divergences d’histoire intellectuelle de parler d’une disparition des « classes sociales » dans
la discipline. Nous présenterons dans un premier temps le discours sociologique de cette période, mais plutôt
l’évolution de la recherche sur les classes sociales dans d’un relâchement dans les usages du terme. L’usage de
les deux contextes nationaux, en insistant sur les traits la nomenclature des catégories socioprofessionnelles
partagés, mais aussi sur les divergences d’identification de l’INSEE dans l’exploitation des données quanti-
des classes et fractions de classe. Nous nous centre- tatives et plus largement comme mode de catégo-
rons alors plus spécifiquement sur les analyses de la risation des positionnements sociaux contribue au
« paysannerie » et de la « classe ouvrière » au Portugal maintien d’analyses en termes de classes et d’inégalités
et des « classes populaires » en France afin de mettre [voir tableau 1, p 61].
à jour les différences d’approches des groupes dominés. Ce qu’on a pu appeler le « retour des classes
Il s’agira alors de montrer, en nous centrant sur une sociales »10 au début des années 2000 renvoie ainsi plus
enquête menée au Portugal, comment l’importation à un retour des approches relationnelles des classes
et l’hybridation de questionnements spécifiques à sociales et de l’espace social qu’à un retour de la notion
chacun des espaces de recherche nationaux éclaire des elle-même, face aux études descriptives des inégalités
pans moins explorés des pratiques et rapports sociaux et à la diffusion d’un schéma binaire de représen-
de l’autre pays. tation du monde social en termes d’« exclusion »11.
Cependant, à la différence de ce qui se produit au
Portugal, la référence au marxisme semble durable-
La sociologie des classes sociales :
ment marginalisée dans la sociologie des classes
brouillage en France et centralité au Portugal sociales en France, les débats théoriques occupant
Quel « retour des classes sociales » en France ? une place secondaire dans les recherches.
Sans entrer ici dans les détails d’une histoire de la
L’analyse des classes sociales : un « domaine
discipline qui a déjà été réalisée5, il est utile de rappeler
quelques caractéristiques de la sociologie des classes classique durable » de la sociologie portugaise
sociales en France. Lors de la « seconde naissance de Bien que la sociologie ait été interdite dans les univer-
la sociologie française » des années 1950 et 1960 les sités durant la dictature de l’État Nouveau [voir encadré
approches mobilisant des analyses en termes de classes « Une réappropriation nationale des débats sociologiques inter-
sociales ont été dominantes, du fait de l’importance nationaux », p. 60], les premières tentatives d’analyse de
accordée à l’étude de la grande industrie (la sociolo- la structure sociale portugaise ont été menées durant
gie « rurale » se développant avec un cadre d’analyse les années 1960 par Aderito Sedas Nunes et J. David
plutôt culturaliste6), et de l’influence du marxisme7. Miranda12. Inspirée par une théorie stratificationniste,
Cette centralité est allée de pair avec des divergences leur recherche ouvrait la voie à une analyse de classes
d’approches, accentuées par l’émergence de la socio- marxiste, qui demeurait politiquement impossible à
logie bourdieusienne. développer durant la dictature. La description alors
L’érosion des analyses sociologiques en termes proposée de la société portugaise de l’époque distin-
de classes sociales s’opère ensuite dans un contexte guait une couche supérieure très restreinte (1,2 % de la
plus général de transformations des représentations population active masculine), surplombant une couche
intellectuelles, politiques et médiatiques dominantes moyenne réduite (10,8 %) et des couches inférieures
du monde social. On observe à partir des années 1980 numériquement très importantes (la couche inférieure-
un brouillage des contours de la notion de « classe », haute, réunissant 16,3 % et la couche inférieure-basse,
dans un contexte de disqualification du marxisme et 70,9 %), et débouchait sur une analyse en termes
de déclin du PCF8. Elle ne disparaît pas pour autant de dualisme économique et social.
des publications9, mais elle s’accompagne de moins en C’est cependant après la Révolution d’avril 1974,
moins d’une analyse théorique des processus au fonde- dans un contexte politique très différent de celui de la
ment des hiérarchies et inégalités. On ne peut donc pas France, marqué par l’influence centrale du marxisme
5. Les passages portant sur la sociologie 2009, p. 23-40. Reiller et Florence Traoré, « Classe sociale : marginalidad. Figures contemporaines de la
des classes sociales et des classes popu- 7. Jean-Michel Chapoulie, « La seconde fon- un terme fourre-tout ? Fréquence et utilisa- pauvreté urbaine en France, aux États-Unis
laires en France reprennent des éléments dation de la sociologie française, les États- tions des termes liés à la stratification sociale et en Amérique latine », Revue française de
de : Yasmine Siblot, Marie Cartier, Isabelle Unis et la classe ouvrière », Revue française dans deux revues (Sociologie du travail et la sociologie, 37(1), 1996, p. 37-75.
Coutant, Olivier Masclet et Nicolas Renahy, de sociologie, 32(3), 1991, p. 321-364. Revue française de sociologie) », Sociologie 12. J. David Miranda et Aderito Sedas Nunes,
Sociologie des classes populaires contem- 8. Bernard Pudal, Un monde défait. du travail, 38(2), 1996, p. 195-207. “A composição social da população portu-
poraines, Paris, Armand Colin, 2015. Les communistes français de 1956 à 10. Paul Bouffartigue (dir.), Le Retour des guesa: alguns aspectos e implicações”,
6. Pierre Alphandéry et Yannick Sencébé, nos jours, Bellecombe-en-Bauges, Éd. du classes sociales ? Inégalités, dominations, Análise Social, 27-28, 1969, p. 333-381.
« L’émergence de la sociologie rurale en Croquant, 2009. conflits, Paris, La Dispute, 2004.
France (1945-1967) », Études rurales, 183, 9. Yannick Lemel, Marco Oberti, Frédéric 11. Didier Fassin, « Exclusion, underclass,
58
Comparer les classes populaires en France et au Portugal
et le rôle déterminant du parti communiste – mais à la paysannerie et à ses transformations, du fait

aussi par les luttes très fortes entre ses partisans de sa place encore importante dans la société portu-
et opposants13 – qu’ont eu lieu les recherches plus gaise : entre 1960 et 1970, les salariés agricoles passent
fouillées qui ont mené à la construction de la socio- de 28,3 % à 16,2 % des actifs et les paysans passent
logie des classes sociales dans le pays14. Les deux de 14,1 % à 15,2 %22. Compte tenu de l’importance
contributions majeures – qui constituent d’ailleurs de la gestion familiale du travail agricole, les travaux
les deux premières thèses de sociologie délivrées de l’époque, menant de front réflexion théorique et
par des universités portugaises, sont alors celles de travail empirique, à travers l’étude collective d’un petit
José Madureira Pinto15 et João Ferreira de Almeida16, village du nord-ouest, Fonte Arcada, ont proposé de
sur la reproduction et le changement social dans façon innovante une articulation entre la concep-
le monde paysan du Nord-Ouest du Portugal. Ces tualisation des situations de classe des individus et
recherches s’inscrivent dans les débats internationaux des situations de classe des familles. Des choix en
de l’époque : elles critiquent la théorie fonctionnaliste matière de classification des inactifs, des étudiants,
de la stratification et formulent une analyse matérialiste des femmes au foyer et des retraités ont également
d’inspiration marxiste (et wébérienne), contribuant été opérés. Ce vaste chantier a débouché en 1978 sur
ainsi à inscrire la sociologie des classes sociales au deux schémas de la structure sociale, l’un concernant
centre de l’élaboration de cette nouvelle discipline les individus [voir tableau 2, p. 62], et l’autre les ménages.
encore en gestation. Elle a ainsi été considérée comme Dans le petit village (d’environ 1 600 habitants)
un des cinq « domaines classiques durables » ayant de Fonte Arcada, il apparaissait à la lumière de ces
contribué à la fondation de la sociologie portugaise, à schémas que la pluriactivité économique à l’intérieur
côté de la tradition épistémologique et des analyses du des familles paysannes prenait une place de plus en
changement social, de la jeunesse et de l’éducation17. plus importante : la présence des familles paysannes
Le cadre analytique alors proposé est marqué par « à temps partiel » était l’indice d’un processus
une forte influence des perspectives néo-marxistes de transformation sociale majeur.
(Nicos Poulantzas18, Erik Olin Wright19). La référence Lors des décennies suivantes, les mondes ruraux et
à l’approche épistémologique et aux concepts d’habi- paysans ont connu un exode et un recul continu : entre
tus et de capitaux économique et culturel de Pierre 1981 et 1991, la population des zones rurales du nord,
Bourdieu20 est également très présente ; une méthode du centre et de l’Alentejo, dans le sud, recule de 18,5 %
d’analyse est enfin élaborée pour restituer la genèse à 16,7 % de la population totale ; durant la même période,
des capitaux à travers des tableaux de (re)production les salariés agricoles passent de 7,2 % à 3,7 % des actifs,
familiale (anthroponymique), reprenant l’analyse faite tandis que les paysans passent de 11,3 % à 6,2 %23.
par Daniel Bertaux, marquante pour les sociologues Le schéma d’analyse des classes sociales, tout en demeu-
portugais de l’époque21, qui en retiennent surtout la rant fidèle à ces orientations initiales, dans un espace
notion de « classe de la famille », en lien avec une académique où la référence au marxisme demeure
démarche à la fois quantitative et qualitative. importante24, a en conséquence fait l’objet de modifi-
Ces chercheurs élaborent également un schéma cations. À partir de l’étude systématique de la structure
d’analyse des classes sociales construit autour sociale portugaise25, João Ferreira de Almeida, António
des divisions entre bourgeoisie, petite bourgeoisie Firmino da Costa et Fernando Luís Machado ont
et prolétariat, et attribuant une place importante élaboré, dans le prolongement des schémas élaborés dans
13. Pedro Ramos Pinto, “Urban social move- – uma interpretação empiricamente ilus- et Jean-Claude Passeron, Le Métier de socio- ouvriers agricoles représentent 5 % de
ments and the transition to democracy in trada”, Sociologia. Revista da Faculdade logue, Paris, Mouton/Bordas, 1968 ; Pierre l’emploi total en 1962 et 1,6 % en 1975,
Portugal, 1974-1976”, The Historical Journal, de Letras da Universidade do Porto, 19, Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, recensements de la population, INSEE.
51(4), 2008, p. 1025-1046. 2009, p. 283-343 ; António Firmino da Costa Genève, Droz, 1972 ; La Distinction. Critique 23. F. L. Machado et A. Firmino da Costa,
14. Virgílio Borges Pereira, « Le difficile essor et José Luís Casanova, “Classes sociais”, sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979. “Processos de uma modernidade inaca-
de la sociologie portugaise », Actes de la Sociologia. Problemas e Práticas, 19, 1996, 21. Daniel Bertaux, Destins personnels et bada…”, in J. M. Leite Viegas et A. Firmino
recherche en sciences sociales, 176-177 p. 191-195 ; Elísio Estanque et José Manuel structures de classe. Pour une critique de da Costa (dir.), Portugal, que modernidade?,
(supplément en ligne au dossier « Sociologie Mendes, “Análise de classes e mobilidade l’anthroponomie politique, Paris, PUF, 1977 op. cit., p. 20 et 30.
publique »), 2009, p. 1-4. social em Portugal: um breve balanço crí- (traduction portugaise publiée en 1978). 24. António Firmino da Costa, “Novos contri-
15. José Madureira Pinto, Estruturas Sociais tico”, Revista Crítica de Ciências Sociais, 22. Fernando Luís Machado et António Firmino butos para velhas questões da teoria das
e Práticas Simbólico-Ideológicas nos Cam- 52-53, 1999, p. 173-198. da Costa, “Processos de uma modernidade classes sociais”, Análise Social, 98, 1987,
pos: elementos de teoria e de pesquisa 18. Nicos Poulantzas, Pouvoir politique et inacabada: mudanças estruturais e mobili- p. 635-686.
empírica, Porto, Afrontamento, 1985. classes sociales, Paris, Maspero, 1968 ; dade social”, in José Manuel Leite Viegas et 25. João Ferreira de Almeida, António Fir-
16. João Ferreira de Almeida, Classes Sociais Les Classes sociales dans le capitalisme António Firmino da Costa (dir.), Portugal, que mino da Costa et Fernando Luís Machado,
nos Campos: camponeses parciais numa aujourd’hui, Paris, Seuil, 1974. modernidade ?, Oeiras, Celta, 1998, p. 17-44. “Recomposição socioprofissional e novos
região do noroeste, Lisbonne, ICS, 1986. 19. Erik Olin Wright, Class, Crisis and the En France les agriculteurs exploitants repré- protagonismos”, in António Reis (éd.), Por-
17. Fernando Luís Machado, “Meio século State, Londres, New Left Books, 1978. sentent 16 % de la population active en 1962 tugal 20 Anos de Democracia, Lisbonne,
de investigação sociológica em Portugal 20. Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et 8 % en 1975 [voir tableau 1, p. 61]. Les Círculo de Leitores, 1994, p. 307-330.
59
Une réappropriation nationale

des débats sociologiques internationaux
L’université portugaise est liée de longue date au monde Les approches plus culturalistes sur la société rurale
académique français. Si la sociologie ne faisait pas partie caractéristiques, par exemple, de la sociologie française,
des disciplines reconnues sous la dictature, elle avait étaient combinées avec des références portant sur les
une existence clandestine (dans des cursus d’économie processus de formation des classes sociales. Dans les
par exemple), ou dans des espaces périphériques1. travaux de Pinto et Almeida, la réception, très précoce,
Avant la Révolution d’avril 1974, le GIS (Gabinete de des recherches de Pierre Bourdieu a joué un rôle central
Investigações Sociais), dirigé par Aldérito Sedas Nunes dans l’articulation des cadres théoriques et dans la redéfi-
à Lisbonne, un laboratoire situé en marge des institutions nition des objets principaux de recherche2.
académiques, accueille ainsi de nombreux sociologues

étrangers, et notamment français. Les perspectives
sociologiques sur le développement, la société rurale 1. Luísa Schmidt, “Entrevista a Eduarda Cruzeiro”, Análise
ou les relations industrielles y ont été présentées par Social, 200, 2011, p. 446-459, voir aussi la note 17.
2. José Madureira Pinto et João Ferreira de Almeida réalisent
des sociologues comme Alain Touraine, Henri Mendras
leurs thèses sous la supervision de Boaventura Sousa Santos,
ou Jean-Daniel Reynaud, donnant lieu à des débats un sociologue marxiste critique de Coimbra ayant travaillé aux
animés et très fréquentés. Les influences théoriques États-Unis. Ils correspondent également avec Pierre Bourdieu
se multiplient ensuite par le biais de chercheurs venus et Patrick Champagne durant les années 1970. Voir Renato
de l’étranger qui intègrent l’université portugaise après Miguel do Carmo et Virgílio Borges Pereira, “Entrevista com
José Madureira Pinto. Da sociologia como profissão à sociologia
la révolution. Les recherches sur la société portugaise
crítica”, Análise social, 208, 2013, p. 685-720 et notamment
menées à la fin des années 1970 se fondent ainsi sur p. 687 ; Renato Miguel do Carmo, “Entrevista a João Ferreira
la combinaison de différentes perspectives théoriques. de Almeida”, Análise Social, 200, 2011, p. 500-521.
60
Tableau 1
Population active en France par PCS (nomenclature de 1982 revue en 2003)

1962-2009, en %
1962 1975 1982 1989 2009
Chômeurs n’ayant
0 0,3 1,5 1 1,5
jamais travaillé
Agriculteurs
15,9 7,8 6,3 5,1 1,9
exploitants
Artisans, commerçants
10,9 8,1 7,8 7,3 6
et chefs d’entreprise
Cadres
et professions
4,7 7,1 8,1 9,6 15,6
intellectuelles
supérieures
Professions
11 16 16,9 19,1 23,3
intermédiaires
Employés 18,4 23,4 26,6 28,1 29,3
Ouvriers 39,1 37,3 32,9 29,6 22,5
Population active 100 100 100 100 100
Sources : INSEE, Recensements de la population de 1962 à 1982 et Enquête emploi de 1989 à 2009.
61
Tableau 2
Structure des situations individuelles de classe

dans le village de Fonte Arcada en 1978
I. Liées à l’agriculture
712
1. Bourgeoisie agraire
1.1. Entrepreneurs capitalistes (propriétaires ou rentiers)

0
1.2. Propriétaires fonciers non exploitants

19
2. Prolétariat agricole
34
3. Paysannerie
3.1. Agriculteurs propriétaires
79
3.2. Agriculteurs métayers
159
3.3. Agriculteurs propriétaires et métayers

6
3.4. Travailleurs familiaux sans rémunération

234
4. Paysans à temps partiel
4.1. Agriculteurs propriétaires ayant d’autres activités

36
4.2. Agriculteurs métayers ayant d’autres activités

88
4.3. Travailleurs familiaux sans rémunération

ayant d’autres activités
57
II. Sans lien avec l’agriculture

159
5. Bourgeoisie non-agraire
5.1. Bourgeoisie commerciale
3
5.2. Bourgeoisie industrielle
0
6. Petite bourgeoisie
6.1. Petite bourgeoise traditionnelle

20
6.2. Nouvelle Petite bourgeoisie

63
7. Prolétariat industriel
73
Total
871
Sources : Adapté de José Madureira Pinto, Estruturas Sociais e Práticas Simbólico-Ideológicas

nos Campos: elementos de teoria e de pesquisa empírica, Porto, Afrontamento, 1985, p. 348-349
et 354 ; João Ferreira de Almeida, Classes Sociais nos Campos: camponeses parciais numa região
do noroeste, Lisbonne, ICS, 1986, p. 231 et 235.
62
Tableau 3
Typologie de classes et de fractions de classe selon Almeida,

Costa et Machado, 1988
Bourgeoisie entrepreneuriale et propriétaire (BEP)

Bourgeoisie
(B)
Bourgeoisie dirigeante et professionnelle (BDP)
Petite bourgeoisie technique et d’encadrement intermédiaire (PBTEI)
Petite bourgeoisie d’exécution (PBE)
Petite bourgeoisie propriétaire (PBPR)
Petite
bourgeoisie Paysannerie (P)
(PB)
Paysannerie à temps partiel (PP)
Petite bourgeoisie salariée et propriétaire (PBSP)
Petite bourgeoisie partielle (PBP)
Ouvrier industriel (OI)
Ouvrier agricole (OA)

Ouvriers
(O)
Ouvrier partiel (OP)
Ouvrier industriel et agricole (OIA)
Sources : Traduit et adapté à partir de l’original publié dans João Ferreira de Almeida, Antonio Firmino da Costa
et Fernando Luís Machado, “Famílias, estudantes e universidade: painéis de observação sociográfica”, Sociologia.
Problemas e Práticas, 4, 1988, p. 11-44.
63
Tableau 4
Classes et fractions de classe de la population active au Portugal

(individus), 1981-2011 (%)
Fractions de classe 1981 1991 2001 2011
Entrepreneurs 8 9 10
}4
Cadres dirigeants et professionnels 1 3 3
Intellectuels et scientifiques 5 7 12
}8
Techniciens et cadres moyens 7 8 9
Travailleurs indépendants 7 8 5 6
Agriculteurs indépendants 11 6 2 1
Employés d’exécution 26 27 32 34
Ouvriers industriels 36 33 30 24
Ouvriers agricoles 7 4 2 2
Sources : Instituto Nacional de Estatística (INE), 13e et 14e recensements de la population générale.
Traitement statistique et terminologie adaptée par Virgílio Borges Pereira d’après João Ferreira de Almeida, Antonio Firmino
da Costa et Fernando Luís Machado, “Recomposição socioprofissional e novos protagonismos”, in António Reis (éd.), Portugal
20 Anos de Democracia, Lisbonne, Círculo de Leitores, 1994, p. 307-330. Les données de 1981 sont tirées du travail cité
de J. F. Almeida et al.
Tableau 5
Part des emplois par secteur d’activité
2008 2015
Part des emplois en % France Portugal France Portugal
Secteur agricole 3 11 3 8
Industrie et construction 24 29 20 24
Tertiaire 74 60 77 68
Sources : Eurostat.
64
l’analyse du nord-ouest portugais, une grille d’analyse d’avril 1974, à l’intensification de l’importance du capital
des classes sociales qui a été ensuite largement utilisée économique dans la détermination des positions de
et reformulée. Le principe de détermination de la classe classe, les transformations des quarante dernières
des individus allie la profession au statut (salarié, patron, années ont également impliqué un renforcement du
indépendant), le secteur d’activité économique (primaire, poids du capital culturel et de la place des intellectuels et
secondaire et tertiaire) et l’exercice de fonctions d’enca- des cadres moyens (techniciens d’encadrement), comme
drement. Il est également possible de déterminer la le montre le tableau 4 [voir ci-contre]. Les employés d’exé-
classe de la famille, grâce à la combinaison des situations cution, qui deviennent la fraction de classe modale dans
de classe individuelles des membres actifs du groupe le pays, sont globalement plus diplômés que les ouvriers,
domestique [voir tableau 3, p. 63 et encadré (bas), p. 71]. mais moins que les techniciens d’encadrement29, et leurs
Les années 1980, et notamment les travaux prépa- ressources économiques demeurent plus élevées, même
ratoires du Recensement général de la population de si les écarts internes à ce groupe sont importants30.
1991, ont donné lieu à une refonte des nomenclatures Comparer les données sur la structure des emplois
socioprofessionnelles et socio-économiques utilisées par par secteurs d’activité dans les deux pays fait ressortir
l’Institut en charge des statistiques publiques du pays des écarts liés à des histoires économiques différentes
(l’INE, Instituto Nacional de Estatística). La Classifi- et dont le poids persiste, même s’il s’atténue rapidement
cation internationale des types de professions (CITP) [voir tableau 5, ci-contre].
du Bureau international du travail (BIT)26 de 1988 Mais dès lors que l’on raisonne en termes de catégo-
devient la base de la Classification nationale des profes- ries socioprofessionnelles ou de classes [en confrontant
sions portugaise de 1994. Du fait des transformations par exemple les tableaux 1 et 4, p. 61 et ci-contre], les compa-
économiques rapides en cours dans le pays, le schéma raisons donnent à voir, outre des différences structu-
des positions de classe proposé par Almeida, Costa et relles, des divergentes constructions intellectuelles. La
Machado est également modifié et est à cette occasion manière de définir les classes sociales diffère en effet
rapproché de la Classification nationale des professions, pour partie d’un pays à l’autre : en France, la plupart des
dans le cadre d’une coopération entre l’université et chercheurs mobilisent la partition classes supérieures/
l’INE, ce qui a facilité par la suite l’usage des données moyennes/populaires, et se réfèrent à la nomenclature
de la statistique publique par les sociologues travaillant des PCS qui permet des usages souples de la notion
sur la structure de classes de la population27. La tripar- de classe ; au Portugal, domine un schéma de classes
tition classe ouvrière/petite bourgeoisie/bourgeoisie, et fractions de classes (bourgeoisie/petite bourgeoisie/
héritée du marxisme, n’apparaît plus systématiquement classe ouvrière) qui hérite plus fortement du marxisme,
dans ce schéma de classe adapté aux statistiques natio- et qui accorde également, du fait du poids très impor-
nales, mais elle demeure une grille de lecture implicite tant de ce groupe jusqu’aux années 1970, une place
largement partagée. importante à la paysannerie. Ces deux dimensions
La structure sociale s’est profondément transformée – différences structurelles et constructions intellec-
depuis les années 1970. Le déclin de la paysannerie et tuelles – sont particulièrement manifestes en ce qui
des ouvriers agricoles a été accompagné par un exode concerne l’étude des groupes dominés.
rural et par l’intensification du processus d’industria-
lisation, processus qui se déroulent de façon tardive Étudier les groupes dominés : paysannerie
et concentrée dans le temps au regard de nombreux
et classe ouvrière vs classes populaires
autres pays européens28. Au cours des décennies
suivantes cette industrialisation s’est ralentie, puis a Au Portugal : des études
reculé, entraînant la diminution progressive de la part sur la paysannerie à la sociologie ouvrière
des ouvriers industriels, tandis que se développait la Alors que dans la plupart des pays européens, c’est
tertiarisation de l’activité économique. Bien que ces l’étude de la société industrielle qui a été au fondement
processus aient été associés, à partir de la Révolution du développement de la sociologie des classes sociales,
26. En anglais : International Standard Clas- siècle, s’accélère dans l’entre-deux-guerres Costa, Fernando Luís Machado et Patrícia rapport entre inégalités de rémunération et
sification of Occupations (ISCO). puis après la Seconde Guerre mondiale Ávila (dir.), Sociedade e Conhecimento (Por- classes sociales dans le personnel au service
27. Pedro Lima, António Pedro Dores et et s’achève au début des années 1970. tugal no Contexto Europeu, vol. 2), Oeiras, des entreprises et dans le secteur public du
António Firmino da Costa, “Classificações Voir Georges Duby et Armand Wallon (dir.), Celta, 2007, p. 5-21. pays, voir aussi Margarida Carvalho, “Classes
de profissões nos Censos 91”, Sociologia. Histoire de la France rurale, t. 3 et 4, Paris, 30. Sur ce point voir à propos du cas de sociais e desigualdades de remuneração”,
Problemas e Práticas, 10, 1991, p. 43-66. Seuil, 1999. Porto : Virgílio Borges Pereira, Classes e in Renato Miguel do Carmo, Portugal, Uma
28. En France cet exode (lui-même tardif 29. António Firmino da Costa, Fernando Culturas de Classe das Famílias Portuenses. Sociedade de Classes. Polarização social
au regard d’autres pays comme la Grande- Luís Machado et João Ferreira de Almeida, Classes sociais e modalidades de estilização e vulnerabilidade, Lisbonne, Edições 70/
Bretagne ou l’Allemagne) se déroule sur “Classes sociais e recursos educativos: uma da vida na cidade do Porto, chap. 3, Porto, Le Monde diplomatique (éd. portugaise),
la longue durée à partir de la fin du XIXe análise transnacional”, in António Firmino da Afrontamento, 2005. Pour une analyse du 2013, p. 117-129.
65
au Portugal les études pionnières des années 1970, temps, tardif au regard des travaux menés ailleurs
ont, comme cela a été évoqué, porté sur la paysanne- en Europe de l’Ouest, que ce sont développées
rie et le monde rural, qui était en pleine transforma- les recherches sur la classe ouvrière industrielle.
tion sociale et politique. Par la suite, plusieurs travaux Les premiers travaux ont porté sur les mouvements
ont prolongé les analyses de l’activité économique sociaux et politiques qui se structuraient dans les usines,
de la paysannerie et des processus de reproduction et à la suite de la Révolution de 197438. Ces travaux ont
de socialisation familiale, à travers des enquêtes appro- ouvert la voie à une sociologie du travail industriel
fondies dans la région centre31 du pays, mais aussi dans et des mondes ouvriers.
le nord32. L’étude des fondements économiques, sociaux Les travaux d’Ana Nunes de Almeida ont ainsi
et symboliques de la propriété foncière est aussi un porté sur le cas de l’énorme complexe industriel
domaine de recherche particulièrement important dans de la CUF (Companhia União Fabril) situé au Sud
ces régions33. D’autres travaux ont porté sur les proces- de Lisbonne et a révélé l’importance de l’industrie
sus de salarisation de la main-d’œuvre agricole dans lourde dans la formation d’une classe ouvrière quali-
le sud qui ont entraîné le dépeuplement démographique fiée, partageant une forte tradition associative, laïque
et économique d’un pan important du territoire34. et une culture politique de gauche39. José Madureira
À la différence de la France où ces disciplines sont Pinto et Cidália Queiroz se sont concentrés sur un
plus fortement cloisonnées, la connaissance des proces- segment très important de la classe ouvrière au Portu-
sus de division sociale et symbolique des sociétés rurales gal, celui du bâtiment, et ont étudié les processus de
a été étayée par d’importantes contributions provenant socialisation au travail ouvrier, soulignant les liens
de l’anthropologie. Des travaux remarquables avaient entre l’informalité économique et la précarité des
été publiés à l’étranger avant avril 1974 sur les inégalités conditions de travail40. Elísio Estanque a accordé une
sociales dans la campagne du sud35. La connaissance grande attention aux processus d’évolution historique
anthropologique de la paysannerie du nord du pays a été de l’industrialisation et de son enracinement commu-
également marquée par les études de Brian Juan O’Neill, nautaire, ainsi qu’à la compréhension des relations,
anthropologue nord-américain installé au Portugal. Sur analysées à partir d’une enquête au sein d’une usine
la base d’un travail de terrain initié à la même époque de chaussures de la région centre, entre discipline,
que les études précitées de José Madureira Pinto et consentement et résistance41. Plus récemment, Bruno
de João Ferreira de Almeida, il analyse les divisions Monteiro, dans Frágil como o Mundo, articule l’étude
internes d’une collectivité de l’intérieur rural monta- des processus de socialisation professionnelle avec
gnard du nord-est du pays, en dressant un portrait l’analyse des enracinements sociaux des ouvriers
de longue durée, largement influencé par le travail de de l’industrie du meuble, près de Porto et analyse
Pierre Bourdieu sur les mécanismes de reproduction les exigences techniques et morales qu’implique
du groupe domestique paysan36. La compréhension la nouvelle discipline de travail dans les usines et
des inégalités dans le monde rural s’est ainsi affinée, la précarisation et la relégation sociale des ouvriers
conjointement avec d’autres travaux37. qui se révèlent incapables de l’incorporer42.
Si ce vaste ensemble de recherches sur la paysannerie Un autre ensemble de travaux sur le monde
et ses transformations a aidé la jeune sociologie portu- ouvrier accorde une place importante aux dimensions
gaise à se constituer, c’est seulement dans un second identitaires et culturelles des appartenances de classe,
31. Nelson Lourenço, Família Rural e Indús- 34. Afonso de Barros, Do Latifundismo à bridge, Cambridge University Press, 1987]. 40. José Madureira Pinto et Maria Cidália
tria. Mudança social na região de Leiria, Reforma agrária. O caso de uma freguesia 37. Joaquim Pais de Brito, Retrato de Queiroz, “Qualificação profissional e des-
Lisbonne, Fragmentos, 1991. do Baixo Alentejo, Oeiras, Instituto Gulben- Aldeia com Espelho. Ensaio sobre Rio de qualificação social na construção civil”,
32. Karin Wall, Famílias no Campo. Passado kian de Ciência/Centro de Estudos de Eco- Onor, Lisbonne, Dom Quixote, 1996 ; João Cadernos de Ciências Sociais, 15-16, 1996,
e presente em duas freguesias do Baixo- nomia Agrária, 1986 ; Renato Miguel do de Pina-Cabral, Filhos de Adão, Filhas de p. 41-85 ; José Madureira Pinto et Maria
Minho, Lisbonne, Dom Quixote, 1998 ; Carmo, De Aldeia a Subúrbio. Trinta anos Eva. A visão do mundo camponesa no Alto Cidália Queiroz, “Flexibilização da produção,
Manuela Ribeiro, Estratégias de Reprodução de uma comunidade alentejana, Lisbonne, Minho, Lisbonne, Dom Quixote, 1989 ; mobilidade da mão de obra e processos
Socioeconómica das Unidades Familiares Imprensa de Ciências Sociais, 2007. José Manuel Sobral, Trajectos: o presente identitários na construção civil”, Sociologia.
Camponesas, em Regiões de Montanha 35. José Cutileiro, Ricos e Pobres no e o passado na vida de uma freguesia da Problemas e Práticas, 19, 1996, p. 9-29.
(Barosso, 1940-1990): um estudo de socio- Alentejo. Uma sociedade rural portu- Beira, Lisbonne, Imprensa de Ciências 41. Elísio Estanque, Entre a Fábrica e a
logia em que as mulheres também contam, guesa, Lisbonne, Sá da Costa, 1977 [A Sociais, 1999. Comunidade. Subjectividades e práticas
Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian/ Portuguese Rural Society, Londres, Oxford 38. Voir par exemple, Maria de Lurdes de classe no operariado do calçado, Porto,
JNICT, 1997. University Press, 1971]. Lima Santos, Marinús Pires de Lima et Afrontamento/Centro de Estudos Sociais,
33. Manuel Carlos Silva, Resistir e Adaptar-se: 36. Brian Juan O’Neill, Proprietários, Lavra- Vítor Matias Ferreira, O 25 de Abril e as 2000.
constrangimentos e estratégias camponesas dores e Jornaleiras: desigualdade social Lutas Sociais nas Empresas, vol. 1, 2 42. Bruno Monteiro, Frágil como o Mundo:
no Noroeste de Portugal, Porto, Afronta- numa aldeia transmontana (1870-1978), et 3, Porto, Afrontamento, 1976-1977. etnografia do quotidiano operário, Porto,
mento, 1998 ; Pedro Hespanha, Com os Pés Lisbonne, Dom Quixote, 1984 [Social Ine- 39. Ana Nunes de Almeida, A Fábrica e a Afrontamento, 2014.
na Terra. Práticas fundiárias da população quality in a Portuguese Hamlet: Land, Late Família: famílias operárias no Barreiro, Bar-
rural portuguesa, Porto, Afrontamento, 1994. Marriage, and Bastardy, 1870-1978, Cam- reiro, Câmara Municipal do Barreiro, 1993.
66
et ont parfois recours à la notion de culture populaire En France : de la sociologie de la classe ouvrière
(cultura popular) voire de classes populaires (classes à la sociologie des classes populaires
populares). On peut citer entre autres travaux celui On sait qu’il est difficile de traduire la notion de
d’Augusto Santos Silva qui, dans Tempos Cruza- « classes populaires » (en anglais par exemple working
dos, étudie un village de la région de Vale do Ave au class renvoie à la « classe ouvrière », et le pluriel
nord-est du pays, pour rendre compte des processus working classes est d’un usage limité). Il faut rappeler
de recomposition de la culture populaire et des que dans la sociologie française ce terme ne va pas
effets de la reconversion industrielle dans une de soi non plus. Des années 1950 aux années 1970,
commune agricole. L’auteur a recours au concept la sociologie est centrée sur l’étude de la « classe
de classes populaires pour désigner « une nébuleuse ouvrière » 46, c’est-à-dire sur les ouvriers qualifiés,
de groupes sociaux » occupant les situations sociales et valorise politiquement leur rôle, laissant de côté
les plus démunies, avec un fort enracinement local43. des pans importants du monde ouvrier (femmes,
António Firmino da Costa, dans Sociedade de Bairro, immigrés, OS, ruraux), et traçant une frontière nette
étudie aussi les dimensions culturelles de l’appar- entre ouvriers d’une part, employés (« improductifs »
tenance sociale 44 , en se centrant sur le quartier dans l’approche marxiste, ou « petits bourgeois ») et
de l’Alfama dans le centre de Lisbonne, épicentre de indépendants (paysans, artisans et commerçants),
pratiques culturelles à forte reconnaissance symbo- de l’autre. On peut comprendre l’émergence de
lique, comme celles du fado, des défilés et saints l’usage sociologique du terme de classes populaires
populaires urbains. Sa recherche met en lumière la comme une réaction à cet ouvriérisme, comme en
polarisation sociale structurant ce quartier, marqué attestent deux ouvrages précurseurs, La Culture du
par la présence d’employés d’exécution, d’ouvriers, pauvre (1970) et La Distinction (1979). La Culture
de salariés d’exécution pluriactifs et de travailleurs du pauvre, traduction parue en 1970 d’un ouvrage
indépendants. Elle démontre aussi la possibilité d’une de R ichard Hoggart de 195747 va bien au-delà
identification globale de ceux-ci comme « classes d’une simple traduction, c’est une véritable relec-
populaires », la notion se fondant cependant plus sur ture de l’œuvre par Jean-Claude Passeron48. Bien
une analyse des cultures et modes de vie, que sur celle que portant sur des familles ouvrières, l’ouvrage
des positions sociales. ainsi traduit se démarque de la sociologie ouvrière

L’étude de la paysannerie – liée à son importance alors dominante, en se centrant sur les modes de
dans le pays et à l’héritage d’une tradition d’études vie et les relations familiales, sur la diversité interne
économiques sur la question agraire antérieure à la au quartier étudié, et en rapprochant certaines
Révolution45 – et de la classe ouvrière – du fait des franges des employés des familles ouvrières auprès
transformations économiques rapides et de l’inté- desquels ils travaillent. La Distinction est un ouvrage
rêt pour ces transformations du fait de l’influence très différent du précédent, mais qui partage avec lui
du marxisme et de sa combinaison avec d’autres une posture anti-ouvriériste en ce qu’il rapproche
approches – demeurent ainsi centraux dans la socio- ouvriers et paysans dans un espace social multidi-
logie portugaise des classes sociales des années 1990 mensionnel et introduit une réflexion sur la structu-
et 2000, à la différence de ce qui s’observe en France. ration interne des groupes populaires. Ces ouvrages
Les derniers travaux cités, tout en mobilisant les construisent la notion de « classes populaires »
notions de classes populaires, en font également un comme concurrente de celle de « classe ouvrière »
usage différent des sociologues français : alors que en posant les bases de la réflexion qui sera dévelop-
chez ces auteurs portugais il s’agit de penser une pée par Claude Grignon et Jean-Claude Passeron49,
culture à dominante ouvrière, ancrée en milieu urbain et mettent en avant les dimensions de la notion
ou en contexte rural en transformation, les chercheurs qu’a explicitées par la suite Olivier Schwartz 50 :
français qui emploient ce terme vont s’attacher à la conjonction d’une position dominée culturelle-
repenser la place des employés et les conséquences de ment et économiquement, et l’existence de traits
l’affaiblissement de la culture ouvrière traditionnelle. culturels spécifiques.
43. Augusto Santos Silva, Tempos Cruza- ros, As Províncias do Norte de Portugal, 47. Richard Hoggart, La Culture du pauvre. ron, Le Savant et le populaire. Misérabilisme
dos. Um estudo interpretativo da cultura Lisbonne, Universidade Técnica de Lisboa, Étude sur le style de vie des classes popu- et populisme en sociologie et en littérature,
popular, Porto, Afrontamento, 1994, en 1942 ; Eugénio de Castro Caldas, Níveis laires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970 Paris, Gallimard/Seuil, 1989.
particulier p. 133 sq. de desenvolvimento agrícola no continente [1957]. 50. Olivier Schwartz, « La notion de classes
44. António Firmino da Costa, Sociedade português, Lisbonne, Centro de Estudos 48. Jean-Claude Passeron (dir.), Richard populaires », HDR en sociologie, Versailles,
de Bairro. Dinâmicas sociais da identidade de Economia Agrária, Fondation Calouste Hoggart en France, Paris, Centre Georges Université de Versailles Saint-Quentin-en-
cultural, Oeiras, Celta, 1999. Gulbenkian, 1963. Pompidou-BPI, 1999. Yvelines, 1998.
45. Voir, entre autres, Henrique de Bar- 46. J.-M. Chapoulie, art. cit. 49. Claude Grignon et Jean-Claude Passe-
67
Ces directions de recherche vont être poursuivies et Ouvriers et employées ont en effet des salaires faibles,
nourries empiriquement par de nombreux travaux. de fortes contraintes horaires, une fatigue physique
Ces décennies voient le déclin de la notion de classe et mentale et sont exposés à des degrés comparables
ouvrière dont l’usage recule tout au long des années à la précarité et au chômage, ce qui autorise à les
1980. Cette période acte également le rapproche- considérer conjointement comme appartenant à un
ment dans les analyses entre ouvriers, dont le poids salariat subalterne, partageant une situation dominée
relatif recule, et employés, groupe en expansion, alors au travail. Les différences internes subsistent mais
que le monde agricole et celui des indépendants, elles sont en grande partie transversales à ces deux
en fort déclin [voir supra, tableau 1, p. 61], occupent groupes : elles renvoient au statut d’emploi (stable ou
une place de plus en plus marginale dans l’analyse précaire)55, au niveau de qualification56 mais aussi aux
des classes populaires. discriminations liées aux origines nationales57, et bien
Sans être exhaustifs, on peut citer quelques-uns sûr au genre58.
des travaux qui opèrent ce déplacement. Le déplace- L’extension de la scolarisation et la diffusion de
ment s’opère d’abord du côté de la sociologie ouvrière. l’accès au secondaire général conduisent à l’intériorisa-
Les recherches menées dans les années 1980 et 1990 tion, y compris par les familles ouvrières, de la norme
sur les ouvriers par Florence Weber, Olivier Schwartz, des études longues59 : si les écarts de niveau de diplôme
Michel Pialoux et Stéphane Beaud, Gérard Mauger entre ouvriers et employés demeurent, ils se sont
ou encore Jean-Noël Retière, débouchent toutes sur atténués, et tandis que la part des ouvriers qualifiés
une réflexion élargie sur les classes populaires51. Cet augmente, celle des employés non qualifiés s’accroît.
élargissement s’opère ensuite du côté de la sociologie Les alliances conjugales se sont en outre renforcées
des employés, groupe dont l’importance numérique entre ces deux groupes, et le couple le plus fréquent
s’accroît en même temps que celle des ouvriers se dans la société française est désormais constitué d’un
réduit : la population active compte 23 % d’employés ouvrier et d’une employée (et non plus d’ouvrier et
et 37 % d’ouvriers en 1975 ; 30 % d’employés et d’une inactive ou d’un ouvrier et d’une ouvrière)60, ce
22 % d’ouvriers en 2009. Des chercheuses féministes qui est un argument central pour penser ensemble les
matérialistes comme Danielle Kergoat se sont intéres- deux groupes dans le cadre d’une sociologie des classes
sées conjointement au rapport au travail et à l’emploi sociales attentive aux rapports sociaux au travail, mais
des ouvrières et des employées, en soulignant (dans aussi aux modes de vie. Les clivages territoriaux, bien
une lignée marxiste) les différences entre elles mais que toujours présents, se sont également atténués : si
en percevant aussi les proximités, à propos notam- les ouvriers sont surreprésentés dans les zones rurales,
ment des « employées prolétarisées »52. Au cours des ils y côtoient des employés, lesquels sont présents dans
années 1990 plusieurs enquêtes vont s’intéresser des proportions similaires61 sur l’ensemble du terri-
à la diversité interne aux employés, et faire éclater toire ; dans les grandes métropoles, ouvriers comme
l’idée d’une frontière nette entre cols bleus et cols employés sont surreprésentés dans le parc locatif, et en
blancs, des enquêtes de terrain comme celle d’Anne- particulier le logement social. On peut mentionner un
Marie A rborio sur les aides-soignantes, propo- dernier facteur qui contribue à l’atténuation des diffé-
sant des notions nouvelles comme celle de classes rences entre ouvriers et employés (il y en a d’autres) :
populaires du tertiaire53. Alain Chenu donne à voir, l’immigration, qui a longtemps été une composante
notamment à partir d’analyses statistiques, que les du monde ouvrier masculin, est désormais à hauteur
employés forment un archipel, et conclut qu’il est comparable d’une composante du groupe féminin
désormais pertinent de les regrouper au sein des des employés.
classes populaires54. Ce rapprochement croissant L’examen un peu plus précis des travaux des
entre ouvriers et employés dans la sociologie française dernières décennies fait ainsi apparaître, d’une part,
ne relève pas que d’un changement de regard. une sociologie paysanne et ouvrière au Portugal,
51. Florence Weber, Le Travail à-côté. défait” », Actes de la recherche en sciences salariat, Paris, Gallimard, 1999 [1995]. 59. Tristan Poullaouec, Le Diplôme,
Une ethnographie des perceptions, Paris, sociales, 115, 1996, p. 38-43. 56. Thomas Amossé et Olivier Chardon, arme des faibles. Les familles ouvrières
Éd. de l’EHESS, 2009 [1989] ; Olivier 52. Danièle Kergoat, Se battre, disent- « Les travailleurs non qualifiés : une et l’école, Paris, La Dispute, 2010.
Schwartz, Le Monde privé des ouvriers, elles…, Paris, La Dispute, 2012. nouvelle classe sociale ? », Économie et 60. Mélanie Vanderschelden, « Posi-
PUF, 2012 [1990] ; Jean-Noël Retière, 53. Anne-Marie Arborio, Un personnel Statistique, 393-394, 2006, p. 203-229. tion sociale et choix du conjoint : des
Identités ouvrières. Histoire sociale d’un invisible. Les aides-soignantes à l’hôpital, 57. Voir par exemple : Nicolas Jounin, différences marquées entre hommes
fief ouvrier en Bretagne, 1909-1990, Paris, Paris, Economica, 2012 [2002]. Chantier interdit au public. Enquête et femmes », Données sociales, Paris,
L’Harmattan, 1994 ; Stéphane Beaud et 54. Alain Chenu, L’Archipel des employés, parmi les travailleurs du bâtiment, Paris, INSEE, 2006.
Michel Pialoux, Retour sur la condition Paris, INSEE, 1990 ; Sociologie des La Découverte, 2009. 61 . La France et ses régions , Paris,
ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de employés, Paris, La Découverte, 2005. 58. Margaret Maruani et Monique Meron, INSEE, 2010.
Sochaux-Montbéliard, Paris, Fayard, 1999 ; 55. Robert Castel, Les Métamorphoses Un siècle de travail des femmes en France,
Gérard Mauger, « Les ouvriers : “un monde de la question sociale. Une chronique du 1901-2011, Paris, La Découverte, 2012.
68
et une sociologie des classes populaires en France. stabilité ou précarité, qualification, origines nationales)
Alors que la première est centrée sur la question de la sont transversaux aux deux groupes, et cette logique de
reproduction des groupes paysans et ouvriers au travail fragmentation est renforcée par l’évolution des politiques
et dans la famille, et de leur structuration culturelle sociales et urbaines. Il en est de même du point de vue de
et politique comme classes, la seconde accorde une la formation scolaire : la majorité des familles populaires
place croissante aux employés et à leur rapprochement valorisent désormais l’importance du diplôme sous
avec les ouvriers, mais elle rencontre des difficultés l’effet des politiques successives de démocratisation
à penser les traits culturels centraux de la condition scolaire, mais une part non négligeable d’entre elles
populaire contemporaine. Le croisement des questions restent réticentes à l’ordre scolaire62. D’autres lignes
de recherche, d’un contexte national à l’autre, apparaît de démarcation subsistent entre ouvriers et employés :
ainsi fécond. le contenu du travail, essentiellement manuel, des
ouvriers de production et celui, en partie relationnel,
Comparer à partir de questions des employés de service, reste fortement différencié ainsi
que les modalités de socialisation professionnelle qui s’y
de recherche : de la sociologie française
attachent ; les enfants d’employés réussissent toujours
des classes populaires à l’étude un peu mieux scolairement que ceux d’ouvriers, ce qui
d’une vallée industrielle au Portugal différencie les destins sociaux des enfants de ces deux
Un chantier de recherche : catégories ; les ouvriers résident un peu plus souvent
penser ensemble ouvriers et employés dans les zones rurales et périurbaines et en maison,
Loin de constituer un obstacle pour la mise en œuvre tandis que les employés, plus urbains, privilégient l’accès
d’une démarche comparative, les différences entre au logement social, etc.
les approches mentionnées à propos des deux pays Ces écarts sont fortement associés aux différences
de genre, car ouvriers et employées sont des catégories
constituent une ressource pour renouveler l’analyse
des enquêtes réalisées dans un pays en les reconsidé- séparant fortement hommes et femmes sous ce
rant à la lumière de questions élaborées dans l’autre rapport (80 % des ouvriers sont des hommes, 80 %
pays, et pour mieux mettre à jour les spécificités de des employées sont des femmes, ces données étant
stables depuis les années 1980). Les employées sont,
part et d’autre. Ainsi, les outils forgés par la sociolo-

gie portugaise pour étudier les positions de classes à davantage que les ouvriers, tournées vers la culture
l’échelle du ménage, et l’étude des concurrences entre écrite et légitime, parce que les emplois de service,
cultures populaires attachées à différentes fractions de dans le public comme dans le privé, induisent un
classes dans un même espace local, peuvent éclairer la travail relationnel et parfois une acquisition de
situation des familles et quartiers populaires dans la compétences orales et écrites nouvelles mais parce
France contemporaine. Inversement, les efforts de la qu’elles sont plus souvent en charge, dans la sphère
sociologie française pour penser ensemble la condition domestique, des scolarités et des contacts avec les
des ouvriers et des employés, mais aussi les questions institutions63. Ces différences de socialisation scolaire
que cela pose, sont des pistes fructueuses pour penser et professionnelles nourrissent des transformations
les transformations de ces groupes au Portugal. des rapports de genre et les pratiques éducatives.
Nous privilégierons dans cette publication francophone Si les travaux sur les pratiques culturelles au sens
le second volet. étroit du terme pointent bien le maintien de fortes
La sociologie des classes populaires en France est inégalités entre ouvriers et employés d’une part, et
confrontée à de nombreuses questions de recherches : si professions intermédiaires et cadres de l’autre, dans
elle permet de penser ensemble la condition de groupes l’accès aux pratiques les plus légitimes64 et aux loisirs
dominés, économiquement et culturellement, cette en général65, dans le même temps les pratiques qui
notion pose en effet d’emblée la question de leur unité étaient considérées comme emblématiques de modes
culturelle, la notion de culture étant entendue ici au sens de vie populaires, comme les loisirs productifs (jardi-
large en termes de modes de vie et de représentations. nage, bricolage) se transmettent de moins en moins
L’ensemble constitué par les ouvriers et les employés dans ces milieux66. Outre la transformation des modes
demeure en effet hétérogène : plusieurs clivages (genre, de vie et des loisirs, c’est aussi, et peut-être surtout,
62. Mathias Millet et Daniel Thin, Ruptures op. cit.), ou encore dans Bernard Lahire, La relles dans la France d’aujourd’hui, Paris, l’histoire. Le travail à-côté, apogée d’une
scolaires. L’école à l’épreuve de la question Raison des plus faibles. Rapport au travail, Grasset, 2011. culture ouvrière européenne », in Anne-Marie
sociale, Paris, PUF, 2005. écritures domestiques et lectures en milieux 65. Lara Muller, « Pratique sportive et activi- Arborio et al. (dir.), Observer le travail. His-
63. Processus pointés par A.-M. Arborio populaires, Lille, PUL, 1993. tés culturelles vont souvent de pair », Insee toire, ethnographie, approches combinées,
(Un personnel invisible…, op. cit.) ou 64. Philippe Coulangeon, Les Métamor- première, 1008, 2005, p. 1-4. Paris, La Découverte, 2008, p. 201-214.
O. Schwartz (Le Monde privé des ouvriers…, phoses de la distinction. Inégalités cultu- 66. Florence Weber, « Une enquête dans
69
la transformation des représentations du monde social assuré l’emploi de milliers d’ouvriers et d’ouvrières
qui rendent complexe le recours à la notion de classes et ont donné naissance à un réseau dense de villages
populaires : la catégorie – à la différence de celle et de bourgs industriels [voir carte, p. 74-75]. Dans les
de « classe ouvrière » par le passé – est très peu mobili- freguesias de Riba de Ave et de Oliveira de São Mateus,
sée dans le langage ordinaire. Les salariés subalternes à proximité des usines des compagnies « Sampaio
se positionnent aujourd’hui en grand nombre au sein e Ferreira » et « Oliveira e Ferreira », se sont consti-
des « classes moyennes » et surtout, ils s’identifient tués des quartiers d’habitation dotés d’équipements
moins que les autres groupes sociaux à un schéma de loisirs et de santé dont la genèse remonte à l’action
de classe 67. Cet effacement découle du déclin des d’une dynastie d’industriels locaux74.
approches « classistes » évoqués plus haut dans les Le modèle de relations de travail que ces derniers
champs médiatiques et politiques, et plus spécifique- avaient instauré, dans une tradition paternaliste, et qui
ment du recul des représentations politiques unifiantes a perduré bien plus tardivement qu’ailleurs, et notam-
des classes populaires au sein des partis qui en ont ment en France75, a connu une crise profonde durant la
revendiqué la représentation68 ou des syndicats69. première décennie du XXIe siècle. Bien que l’industrie
De nombreuses questions de recherche sont ainsi régionale se maintienne en dépit de la concurrence
ouvertes : jusqu’à quel point peut-on analyser conjoin- internationale, les deux grandes usines locales ont
tement la condition des ouvriers et des employés ? fermé leurs portes, entraînant un fort chômage et une
À travers quelles pratiques et représentations appréhen- profonde incertitude sur l’avenir pour les populations
der les traits d’une culture populaire contemporaine locales. On observe ainsi dans cette région, comme
qui leur serait commune ? Ces questions s’avèrent très dans d’autres au Portugal, un processus accéléré de
heuristiques pour penser la situation portugaise, comme désindustrialisation, qui s’est produit plusieurs décen-
nous voudrions le montrer à travers la présentation nies auparavant dans d’autres pays d’Europe, et à un
d’une enquête collective réalisée au cours des années
rythme plus lent. Cela entraîne un déclin d’emploi
2000 dans une vallée industrielle du Nord du Portugal. ouvrier masculin, tandis que la part des employées de
service, qualifiées et non qualifiées tend à augmenter.
Enquêter sur les effets de la désindustrialisation Peut-on parler au Portugal comme en France d’un
au Portugal : la vallée de l’Ave rapprochement entre ouvriers et employées qui incite-

Issue d’un projet collectif de sociologues, associant rait à analyser ensemble ces deux groupes, jusqu’à
différents spécialistes des sciences sociales (anthro- il y a peu pensés séparément à travers les catégories
pologie, économie et sociolinguistique), la recherche de « classe ouvrière » et de « petite bourgeoisie » ?
publiée sous le titre Ao Cair do Pano70 (À la tombée Afin d’analyser les transformations de la structu-
du rideau71) a porté sur les modes de domination et ration de l’espace social dans la conjoncture écono-
les stratégies de reproduction72 caractéristiques d’un mique et sociale récente et dans ce contexte local
contexte industriel de la région de la vallée de l’Ave, spécifique, la recherche a cherché à articuler les
situé dans la municipalité73 de Vila Nova de Famalicão. processus de recomposition sociale caractéristiques
Les freguesias (paroisses civiles) étudiées dans cette du pays et de la région avec l’étude de la compo-
municipalité, Riba de Ave et Oliveira de São Mateus, sition sociale locale, dans le cadre d’une stratégie
sont situées au cœur d’une zone fortement industria- de recherche multi-méthodes76 , qui s’est traduite,
lisée à partir de grandes usines de textiles qui ont entre autres, par la passation d’une enquête par
67. Agnès Pelage et Tristan Poullaouec, des représentants des salariés en France duction et modes de domination », Actes Narciso Ferreira. Indústria e obra social na
« La France “d’en bas” qu’on regarde “d’en (1945-2010), Bellecombe-en-Bauges, de la recherche en sciences sociales, 105, têxtil nortenha”, O Tripeiro, 7ª série, 15(8),
haut” », in France Guérin-Pace, Olivia Samuel Éd. du Croquant, 2014, p. 235-261. 1994, p. 3-12. 1996, p. 242-248.
et Isabelle Ville (dir.), En quête d’apparte- 70. Virgílio Borges Pereira (dir.), Ao Cair 73. Le district, la municipalité et la paroisse 75. Sur l’évolution des modes de gestion
nances. L’enquête Histoire de vie sur la do Pano. Sobre a formação do quotidiano civile sont les trois subdivisions principales de l’industrie rurale en France : voir Nicolas
construction des identités, Paris, Éd. de num contexto (des)industrializado do Vale do du territoire portugais. Chaque district (dis- Renahy, Les Gars du coin. Enquête sur
l’INED, 2009, p. 29-50. Ave, Porto, Afrontamento, 2012. L’équipe trito) est composé par un ensemble de une jeunesse rurale, Paris, La Découverte,
68. Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, La de chercheurs a intégré Alice Ingerson, municipalités. La municipalité (município, ou 2010.
Société des socialistes. Le PS aujourd’hui, Bel- António Teixeira Fernandes, Bruno Monteiro, concelho) est la subdivision plus ancienne, 76. Pour une discussion des propositions
lecombe-en-Bauges, Éd. du Croquant, 2006 ; Ester Gomes da Silva, Carla Aurélia de du point de vue historique, elle est plus de théorie et de méthode sous-jacentes à la
Julian Mischi, Le Communisme désarmé. Almeida, Maria Inês Coelho, João Queirós, vaste qu’une commune en France. Chaque démarche méthodologique ici en question,
Le PCF et les classes populaires depuis les José Madureira Pinto, Sandra Leitão et municipalité est composée par un ensemble voir Patrick Champagne, “Sobre alguns
années 1970, Marseille, Agone, 2014. Virgílio Borges Pereira. variable de freguesias (paroisses civiles), paradoxos da abordagem monográfica”,
69. Yasmine Siblot, « De la “classe ouvrière” 71. Le titre portugais joue sur la polysémie subdivisions politico-administratives les in José Madureira Pinto et João Queirós
au “salariat éclaté”. Les représentations du du terme pano qui renvoie au rideau en train plus petites du territoire. On conservera (dir.), Ir e Voltar: sociologia de uma colecti-
monde social dans les formations de la de tomber, mais aussi au tissu produit dans le terme de freguesia pour éviter celui de vidade local do noroeste português, 1977-
CGT », in Nathalie Ethuin et Karel Yon (dir.), ces usines, et au tissu social. paroisse, qui prête à confusion. 2007, vol. 1, Porto, Afrontamento, 2010,
La Fabrique du sens syndical. La formation 72. Pierre Bourdieu, « Stratégies de repro- 74. Jorge Fernandes Alves, “Fundação p. 103-113.
70
D’autres approches
des classes sociales au Portugal
Les analyses qui se sont inspirées des schémas de Il est néanmoins important de retenir que, en raison de
classes présentés ici n’épuisent pas la manière de l’importance du schéma d’Almeida, Costa et Machado
conceptualiser les classes sociales au Portugal. Sans dans le développement de la recherche empirique sur la
visée d’exhaustivité, il faut évoquer les propositions d’ana- situation portugaise, les travaux et débats qu’il a suscités
lyse et les schémas alternatifs promus par João Ferrão, à ont permis de fonder solidement l’étude de la structure
partir d’une application du schéma de Nicos Poulantzas, de classe du pays et ont ouvert des pistes centrales pour
par Elísio Estanque et José Manuel Mendes, à partir de la compréhension des pratiques et des représentations
la grille de lecture d’Erik Olin Wright, par Manuel Carlos des différents groupes sociaux.
Silva, à partir d’une relecture des travaux de Veit Bader
et Albert Benschop, et par Manuel Villaverde Cabral à
partir de la grille d’analyse de John Goldthorpe en lien
1. Pour une analyse plus détaillée, voir Cristina Roldão, “Classes
avec la théorie des élites.
sociais e estratificação social: algumas notas sobre o desen-
Il n’est pas possible de présenter ici les usages volvimento da publicação científica portuguesa num domínio
du schéma d’Almeida, Costa et Machado ni les débats específico da sociologia”, CIES e-Working Paper, 68, 2009,
théoriques avec les auteurs adoptant d’autres orientations1. p. 1-31.
La construction des indicateurs
de classe des familles

La construction d’un indicateur familial de classe implique Dans l’étude sur la vallée de l’Ave (et dans la lignée
tout d’abord l’identification de tous les membres d’un des études réalisées dans le Nord du Portugal citées
ménage et la détermination des liens de parenté qui les préalablement), un ensemble important de combinaisons
unissent. Tous les membres du ménage sont classés prenant en compte la pluriactivité économique des indivi-
dans diverses catégories en fonction de leur secteur dus et/ou les différences au sein du couple a été retenu.
d’activité, de leurs sources de revenu, de la profes- Au lieu d’utiliser la catégorie de « ménage d’employés
sion principale exercée, de la situation par rapport à pluriactifs » pour les couples ouvrier/employée (une
la propriété des moyens de production, de la position solution fréquente qui correspond à l’adoption du critère
hiérarchique dans la profession principale et du type de des capitaux les plus élevés dans la configuration du
contrat de travail. Ces critères sont également retenus couple), l’étude a considéré comme pertinent, du fait
pour caractériser une éventuelle activité professionnelle de l’histoire du contexte territorial, de définir le premier
complémentaire. Une fois déterminée la fraction de élément de la fraction de classe de la famille à partir
classe de chaque individu, la procédure de construction de la position de l’homme du couple, et a donc utilisé
de l’indicateur familial de classe se fonde sur les liens la catégorie de « ménage d’ouvriers pluriactifs » pour
matrimoniaux entre les membres de la famille. Pour désigner ces couples composites1.
chaque couple une matrice de correspondances entre
la fraction de classe de l’homme et de la femme est 1. À ce propos, voir Virgílio Borges Pereira, José Madureira
établie. Dans les cas de positions sociales différentes Pinto et João Queirós, “Matriz de construção dos lugares de
classe do grupo doméstico”, in José Madureira Pinto et João
entre conjoints, la fraction de classe de la famille est
Queirós (dir.), Ir e Voltar: sociologia de uma colectividade local
déterminée par les capitaux les plus élevés pour la défini- do noroeste português, 1977-2007, vol. 1, Porto, Afrontamento,
tion sociale du ménage. 2010, p. 387-388.
71
TABLEAU SUR LA STRUCTURE de situations de classes des familles à Fonte Arcada en 1978.
COUVERTURE DU LIVRE de João Ferreira de Almeida. COUVERTURE DU LIVRE de José Madureira Pinto.
72
Tableau 6
Structure de classes de la population en emploi et de la population

au chômage au sein de deux freguesias de la municipalité de Vila Nova
de Famalicão, Riba de Ave et Oliveira de São Mateus, en 2010 (%)
Classe sociale des individus : Part parmi les actifs Part parmi
indicateur individuel en emploi (%) (1) les chômeurs (%) (2)
Entrepreneurs et dirigeants 5 4
Intellectuels 11 1
Techniciens et cadres moyens 7 6
Travailleurs indépendants 7 3
Employés d’exécution 29 28
Ouvriers industriels 41 58
(1) n = 318. / (2) n = 100.
Sources : Inquérito a população de Riba de Ave e Oliveira de S. Mateus, 2010, in Virgílio Borges Pereira (dir.), Ao Cair do Pano. Sobre a formação do
quotidiano num contexto (des)industrializado do Vale do Ave, Porto, Afrontamento, 2012, p. 292. Nomenclature de classe adaptée des travaux cités
d’Almeida, Costa et Machado (version abrégée de la nomenclature présentée plus haut [voir tableau 5, p. 64]).
Tableau 7
Indicateur familial de classe de la population en emploi et de la population
totale au sein de deux freguesias de la municipalité de Vila Nova de Famalicão,
Riba de Ave et Oliveira de São Mateus, en 2010 (%)
Population active
Population totale
en emploi
% de
Classe sociale des individus Actifs en Population
femmes % de % de 65 ans
selon la position de classe emploi (%) générale
parmi femmes et plus
de leur famille (1) (%) (2)
les actifs
Entrepreneurs et dirigeants 7 46 6 45 9
Intellectuels et scientifiques 12 63 8 54 10
Techniciens et cadres moyens 10 57 12 53 30
Travailleurs indépendants 4 42 3 38 8
Travailleurs indépendants et salariés 4 43 4 53 9
Employés d’exécution 19 55 13 56 16
Employés d’exécution pluriactifs 2 50 4 45 12
Ouvriers industriels 30 38 40 52 22
Ouvriers pluriactifs 12 51 10 53 11
Total 100 48 100 52 18
(1) n = 318. / (2) = 900.
Note de lecture : La population en emploi recensée dans les deux freguesias est constituée par 318 individus. Ils ont été classés selon la fraction de
classe de leur famille. Par exemple : l’avant-dernière ligne du tableau concerne les individus des ménages d’« ouvriers pluriactifs », c’est-à-dire des ménages
comportant un ouvrier et une employée : 12 % des agents en emploi appartiennent à des familles d’ouvriers pluriactifs ; 51 % de ces membres de familles
d’ouvriers pluriactifs sont des femmes. La même procédure de classification a été adoptée pour l’ensemble de la population des deux freguesias (900
individus) : 10 % des résidents recensés appartiennent à des familles d’ouvriers pluriactifs ; 53 % de ces résidents ouvriers pluriactifs sont des femmes ;
11 % des ouvriers pluriactifs ont 65 ans ou plus.
Sources : Inquérito a população de Riba de Ave e Oliveira de S. Mateus, 2010. Nomenclature de classe adaptée, avec des modifications, des travaux
cités d’Almeida, Costa et Machado.
73
CARTE DES AIRES URBAINES (y compris les zones d’activités économiques) et du réseau routier, en 2007,
dans le Nord du Portugal (à gauche) et dans la région de la vallée de l’Ave (à droite). En gris : les aires urbaines.
En noir : les zones de plus forte continuité et densité.
74
75
À la recherche
d’une nouvelle « harmonie »
L’histoire de la « Banda de Música de Riba de Ave » des usines au milieu des années 2000 accentue cette
remonte au début du XIXe siècle. Narciso Ferreira, le tendance : « Maintenant tout a changé. Elle n’a rien à voir
fondateur des grandes usines locales, a apporté un avec l’industrie (…). Aujourd’hui les industries de Riba de
soutien substantiel à son activité pendant la première Ave sont mortes, les toits tombent, n’est-ce pas ? Tout
moitié du XXe siècle et, entre 1900 et 1949, la bande s’est arrêté ».
s’appellera même « Banda das Fábricas de Riba de Bien que demeurant un symbole de la région, la
Ave » (Harmonie des usines de Riba de Ave). Au-delà « Banda » voit sa composition sociale se transformer.
du financement de l’achat des uniformes et des instru- Avec 460 membres et une direction assurée par 11
ments musicaux, l’action de l’industriel a été décisive en personnes, la « Banda » perd les ouvriers-musiciens du
incitant au recrutement préférentiel d’ouvriers-musiciens passé et inclut surtout des jeunes musiciens. Le parte-
nariat avec une école de musique assure désormais
amateurs. Ces ouvriers-musiciens bénéficiaient de privi-
lèges en matière d’horaires et de carrière, avec comme le recrutement. Limitée, par des raisons de budget, à
contrepartie le respect d’une forte discipline dans l’usine une répétition hebdomadaire dans le salon de réception
et dans l’harmonie : le directeur de la « Banda » était du siège de la mairie (Junta de Freguesia), au lieu des
contremaître (encarregado) à l’usine. L’usine Sampaio répétions pluri-hebdomadaires du passé dans l’usine,
et Ferreira a également prêté pendant longtemps des la « Banda » a un chef d’orchestre et des professeurs
locaux pour les répétitions procurant des conditions d’instruments, tous membres de plusieurs orchestres
permettant le recrutement des chefs d’orchestre recon- classiques professionnels du nord du pays, qui assurent
nus. Jusqu’aux années 1960, « la banda était considérée une formation musicale reconnue. Du fait de la médiation
comme la meilleure du pays. Elle a gagné le premier des écoles de musique, le recrutement des musiciens
prix au Palácio de Cristal [à Porto] en 1954, le premier devient plus féminisé et moins ouvrier. La sociabilité,
prix des bandas civiles dans le Palácio de Cristal “ao lors des voyages et des repas, devient moins informelle
despique” [concours traditionnel] avec la banda de la et plus contrôlée. Un processus de professionnalisation
GNR [Garde nationale républicaine]… Donc, à l’époque ça et de rapprochement du champ de production culturel
donne une idée de son niveau. Les musiciens qu’on avait se dessine. Pour le président de l’association, l’acti-
et les instruments n’avaient rien à voir avec aujourd’hui », vité de la « Banda » en Riba de Ave est fondamentale :
« Avec la crise, ici en Riba de Ave beaucoup de choses
dit son président.
ont changé. En termes géographiques, statistiques, de
Les années 1960, marquées par une vague d’émi-
subventions. Cela veut dire que beaucoup de choses
gration vers la France et l’Allemagne, changent « le
disparaissent d’ici. Si la Banda disparaît d’ici ou si elle
monde de l’harmonie »1 local et la « Banda » interrompt
s’arrête… (…) Il n’y a pas de perspectives de travail ici.
son activité pendant les années de 1964 et 1965 :
(…) Et la Banda est toujours une soupape de décom-
l’énorme manque de main-d’œuvre ouvrière touchait
pression ».
aussi les musiciens. Après cette interruption, les activités
reprennent, cette fois en association avec les pompiers.
1. Vincent Dubois, Jean-Matthieu Méon et Emmanuel Pierru,
Progressivement, l’inscription ouvrière et usinière de Les Mondes de l’harmonie. Enquête sur une pratique musicale
la « Banda » commence à se dissoudre. La fermeture amateur, Paris, La Dispute, 2009.
76
questionnaire auprès de 321 familles, comportant ouvrier et travail employé, ce qui correspond (avec
904 individus, et par la réalisation de 23 entretiens une composition interne un peu différente) à la part
avec des résidents sur leurs trajectoires. de ce type de ménages dans la population en général.
L’analyse de la composition sociale de la population Le tableau 7 [voir p. 73] donne aussi d’autres infor-
a permis de décrire les dynamiques de recomposi- mations sur la morphologie des classes en présence.
tion sociale à l’œuvre localement, ainsi que d’analyser Parmi les actifs, globalement, la présence des femmes
les transformations des processus de socialisation augmente avec l’intensification de la tertiarisation
familiale et les pratiques et représentations des enquê- des activités économiques. Au contraire, c’est parmi
tés. Dans un contexte de hausse du chômage (le taux les travailleurs indépendants et, surtout, parmi les
dans les freguesias étudiées était de 24 %, alors que actifs ouvriers industriels que se trouve la présence
le taux de la municipalité était de 12 %), un segment masculine plus importante. En ce qui concerne la
important de la population active locale continue à composition d’âge de la population générale, le tableau
appartenir à la classe ouvrière (41 %). Les employés 7 montre que les ouvriers industriels et les cadres
d’exécution ont un poids significatif, bien que moins moyens sont les plus touchés par le vieillissement.
important (29 %). La présence de professions intel- L’analyse de ces données a rendu possible la
lectuelles (11 %), de cadres moyens (7 %), d’indé- construction sociologique de l’espace social local et
pendants (7 %) et d’entrepreneurs et dirigeants l’analyse de la variation du volume global de capital
(5 %) laisse entrevoir une évolution en cours dans la des habitants. Les ouvriers industriels sont ceux qui
composition du tissu social local [voir tableau 6, p. 73] détiennent le moins de capital économique et culturel,
et est liée à l’importance des équipements éducatifs et ceux qui sont les plus souvent confrontés à l’expé-
et de santé de cette zone. rience du chômage. Les relations difficiles avec l’école
D’autre part, la prise en compte d’informations plus parmi les membres de ce groupe social, combinées à
détaillées sur la composition de classe de la popula- des conditions de travail difficiles et des salaires limités,
tion locale à partir de l’élaboration d’un indicateur ont freiné parmi les ouvriers des usines l’acquisition de
familial présenté dans le tableau 7 [voir p. 73] – un outil qualifications professionnelles et de capitaux sociaux77.
fréquent, comme nous l’avons vu, dans la sociologie Pour plusieurs générations d’opérateurs de machines,
des classes sociales développée au Portugal – permet de serruriers, d’estampeurs, de tisseuses ou d’ouvriers
de caractériser plus précisément la structuration de filature, les usines locales ont été le seul espace
sociale [voir encadré « La construction des indicateurs de d’apprentissage et de socialisation professionnelle.
classe des familles », p. 71].
Cette approche à l’échelle familiale permet de Madame Encarnação (nom fictif) est née à Riba
de Ave en 1954. Aînée de 13 enfants, elle est issue
souligner l’importance de la pluriactivité écono-
d’une famille de petits indépendants : son père
mique, cette pluriactivité des ménages désignant avait un travail très physique, dans le secteur du
à la fois des situations où certains individus du bâtiment, auquel les membres de la famille partici-
ménage sont pluriactifs et celles où les membres paient activement ; elle se souvient d’avoir travaillé
du ménage (et notamment du couple) sont actifs très jeune et jusqu’à l’épuisement pour aider son
dans des secteurs différents. Cela met notamment père. Après une expérience scolaire (limitée à
l’enseignement primaire) très difficile, marquée
en lumière les liens existant, à l’intérieur de certains
par une institutrice violente (« L’institutrice était
couples, entre ouvriers industriels et employés d’exé- le diable ! » ; « Je détestais l’école ! »), et une
cution. En effet, les agents classés comme membres situation familiale difficile, du fait de l’autorita-
de ménages catégorisés comme « ouvriers pluriac- risme de son père, elle entre à l’âge de 14 ans
tifs », une position de classe qui correspond en dans une usine de couverture gérée par un oncle.
Elle s’est rapidement intégrée : par comparai-
général à un mariage entre un ouvrier de l’indus-
son avec le travail à la maison, le travail à l’usine
trie et une employée d’exécution, représentent 12 % « était facile » ; « aller à l’usine a été une bénédic-
des actifs, ou 10 % de la population générale recen- tion ». Au début des années 1970, Riba de Ave a
sée ; les agents classés comme membres de ménages changé. La présence des « Français » (les émigrés)
d’« employés d’exécution pluriactifs », groupe où le devenait très visible : « Je regardais les Portugais
mariage entre un employé d’exécution et une ouvrière qui vivaient en France quand ils venaient ici et
il y avait tellement de richesse, du luxe... J’avais
industrielle dominent, sont moins fréquents. En dépit
beaucoup de frères et sœurs et j’ai voulu partir ».
de la prépondérance de la présence ouvrière indus- Avec l’aide d’un autre oncle déjà installé en France
trielle, 14 % des actifs se caractérisent donc par depuis cinq ans, la jeune fille de 14 ans traverse
l’appartenance à un ménage où se conjuguent travail alors l’Espagne avec un groupe d’autres personnes
77. Michel Verret, La Culture ouvrière, Paris, L’Harmattan, 1996.
77
et s’installe sans difficulté dans le nouveau pays. Le sont dans leur ensemble un peu moins touchés par le
travail comme femme de ménage dans une famille chômage que les ouvriers, mais les plus jeunes font
française, l’apprentissage facile de la langue et la
face à une grande précarité de l’emploi.
liberté de mouvement dans le pays (« je prenais
l’autobus toute seule ») lui ont laissé un bon
Pascal (nom fictif) est né en France au début des
souvenir. Cependant, au bout d’un an, son père lui
années 1980. Il vient au Portugal, à l’âge de huit
impose de rentrer au pays. Elle trouve facilement
ans, pour habiter avec ses grands-parents en prévi-
un emploi dans l’usine Sampaio & Ferreira. Une
sion du retour de ses parents. Il perd deux ans à
fois de plus, l’expérience du travail à l’usine est
l’école, pour apprendre à lire et à écrire le portugais.
bonne. Même le travail de nuit (de deux heures à
Ses parents, un ouvrier de l’industrie du bâtiment
dix heures du matin) n’atténue pas ce souvenir :
et une employée domestique, retournent au Portu-
elle dit avoir adoré le travail minutieux d’inspec-
gal quand il est en classe de 5e année (entrée au
tion des défauts dans le tissu (revistadeira). À
collège). Il redouble sa 9e année (équivalent de la 3e
l’usine, Mme Encarnação rencontre un régleur
en France), puis son parcours scolaire se stabilise.
de machines qui deviendra son mari et avec qui
Après la scolarité obligatoire (qui est à l’époque de
elle aura deux enfants, âgés de 25 et 33 ans, au
neuf ans80), il poursuit des études de tourisme dans
moment de l’enquête, un chauffeur et un récep-
l’enseignement professionnel. Un mauvais choix de
tionniste, ayant suivi une scolarité de six et neuf
spécialisation ne lui permettra pas de travailler dans
ans. Des crises d’épilepsie lui ont valu une retraite
ce domaine. À l’âge de 18 ans, il débute comme
anticipée. À 56 ans, elle regarde le passé usinier
serveur dans un café voisin, où il travaillera pendant
de la freguesia comme « riche » : « Tout cela [les
deux ans et demi ; d’autres emplois dans les cafés
usines] était une richesse pour la freguesia, bon.
des villages de la proximité suivront : « Je n’aimais
Il y avait beaucoup de monde là-bas, beaucoup
pas étudier » ; « J’ai eu toujours un don pour
d’argent qu’on gagnait et après il y avait plus de
travailler avec les clients ». Contrairement à ses
pouvoir d’achat… ».
deux sœurs, qui font des études supérieures, Pascal
préfère travailler et envisage de suivre une forma-
Le vieillissement des ouvriers et leur passage de
tion de cuisinier. Du fait des possibilités limitées
l’activité économique vers la retraite, et surtout le d’accès aux formations financées par l’État, desti-
chômage des ouvriers trop jeunes pour avoir une nées prioritairement aux personnes au chômage et
retraite anticipée mais qui n’ont pas bénéficié d’une aux moins qualifiées, Pascal s’inscrit dans une école
privée de cuisine dans le sud du pays. Après cette
politique publique efficace de formation profession-
formation, et quelques emplois temporaires dans

nelle, génèrent une grande incertitude quant à leur le sud qui l’éloignent de sa région d’origine pendant
avenir personnel et collectif [voir photo, p. 56]. cinq ans, Pascal retourne vivre avec ses parents :
Dans le même temps, ce travail de construction « C’est plus rentable ! [rires] ». Au moment de
de l’espace social local a mis en lumière combien les l’enquête, il renouvelle depuis trois ans des contrats
de six mois dans les cuisines de plusieurs hôtels de
employés d’exécution, un peu plus dotés en capital
la région. Les perspectives d’une carrière stable
culturel que les ouvriers, se démarquaient de ces dans le secteur ne sont pas très assurées et « il n’y
derniers, mais également des techniciens d’encadre- aura jamais d’hôtel à Riba de Ave ».
ment intermédiaire, une fraction de classe clairement
définie autour de compétences professionnelles et L’enquête a également porté sur les pratiques
d’autorité organisationnelle produites à l’intérieur des de sociabilité et les styles de vie des enquêtés à partir
usines locales sans un rapport direct systématique à d’une enquête par questionnaire et d’entretiens.
l’école et au capital culturel institutionnalisé78. L’archi- Comme l’a montré la recherche développée dans
pel local des employés d’exécution79 est marqué par d’autres contextes industriels proches81, la sociabilité
la diversité des professions – employés de bureau, et les styles de vie de ces petites villes ouvrières sont
caissiers, réceptionnistes, employés de l’hôtellerie et de structurés par les relations quotidiennes dans les
la restauration, auxiliaires médicaux, gardes d’enfants usines et une forte interconnaissance. On sait aussi que
ou vendeurs. Leur présence dans la population active ces relations sociales denses ont conduit à la formation
locale est cependant importante. Aujourd’hui plus d’un réseau associatif local, fréquemment articulé avec
féminisé et moins âgé que les ouvriers, le groupe des les activités paroissiales mais aussi une politisation
employés en activité est traversé par des différences à gauche. Le parti communiste (et l’activité syndi-
selon le contenu du travail effectué, et des écarts en cale qui y est liée) a été, et ce bien avant la révolution
matière de qualification professionnelle. Les employés démocratique d’avril 197482, une organisation influente
78. V. Borges Pereira (dir.), Ao Cair do quatre ans (jusqu’à dix ans environ) sous la 81. Virgílio Borges Pereira, Os Vincados 82. Alice E. Ingerson, Contos, Cartas e
Pano..., op. cit., chap. 6. dictature. Elle a été rendue obligatoire jusqu’à Padrões do Tecido Social: uma análise Conversas: três histórias de família e classe
79. A. Chenu, L’Archipel des employés, la 9e année (équivalent de la 3e en France, soit das vivências quotidianas num contexto no Vale do Ave do Estado Novo, Porto,
op. cit. jusqu’à environ 15 ans) en 1986 ; puis jusqu’à industrializado do Vale do Ave, Porto, Instituto de Sociologia da Universidade do
80. La scolarité obligatoire n’était que de la 12e année (soit jusqu’à 18 ans) en 2009. Afrontamento, 1999. Porto, 2012.
78
dans plusieurs zones industrialisées de la région ; bien les employés d’exécution que les ouvriers indus-
il en va de même pour les autres partis de la gauche triels. Ces analyses de la situation des ouvriers et des
politique un peu avant et après la Révolution. employés et des pratiques de sociabilité tendent cepen-
L’étude de la sociabilité et des styles de vie des dant, dans le cas de cette enquête localisée au Nord
résidents de Riba de Ave et d’Oliveira de São Mateus du Portugal, à souligner la persistance des écarts entre
pendant la période récente a fait apparaître que les deux groupes, tant sur le plan de l’emploi, que du
les ouvriers industriels, massivement touchés par le rapport à l’école, que des formes de sociabilité ou de
chômage, ont désormais des pratiques centrées sur politisation. Ces résultats démontrent l’importance
l’espace domestique et structurées autour de l’accom- de préserver un cadre de raisonnement sociologique
plissement des tâches ménagères ou de la télévision, relationnel pour comparer ouvriers de l’industrie et
et une sociabilité tournée vers la famille proche. employés d’exécution, sans les homogénéiser, ce qui
L a sociabi lité restrei nte et tendanciel lement constitue une limite importante à la transposition de
« insulaire »83 des ouvriers et ouvrières sans usine84 l’usage français de la notion de « classes populaires »
coexiste encore avec la persistance d’une tradition dans ce contexte.
d’implication associative et religieuse, reposant sur une
autochtonie culturelle importante85. Mais du fait de la Comparer les « classes sociales » d’un pays à l’autre
disparition de l’usine, des rythmes de travail et de l’uni- conduit à mettre en lumière des différences structu-
vers des possibles économiques, sociaux et politiques qui relles, mais aussi en grande partie à comparer des
en découlaient, les fondements de l’autochtonie ouvrière constructions intellectuelles produites par des catégo-
entrent néanmoins, tant en termes de pratiques que risations statistiques et des histoires politiques et scien-
de représentations, progressivement en crise. tifiques différentes : une solution pour contourner cet
En ce qui concerne la sociabilité et les styles de vie écueil consiste à produire des enquêtes à l’échelle
des employés d’exécution, il a été possible d’identifier internationale afin de neutraliser ces différences.
un ensemble de pratiques un peu différent de celui Mais une autre démarche, complémentaire à celle-
qui caractérise les ouvriers. Si la prépondérance de ci, est également fructueuse : confronter les travaux
la sociabilité domestique est partagée par ouvriers produits dans les différents pays en prenant pour objet
et employés d’exécution, les activités avec les enfants les spécificités des modalités de représentation des
dans la famille et l’absence d’une pratique religieuse espaces et groupes sociaux selon les pays, et les écarts
sont plus des caractéristiques des employés. L’indivi- entre eux, ainsi que les questionnements et outils
dualisation croissante, le désengagement des formes de théoriques mis en œuvre. En confrontant la sociologie
la sociabilité de proximité et des pratiques religieuses des classes sociales en France et au Portugal, et en
et associatives locales, ainsi que la distance envers particulier la sociologie des groupes populaires dans
les enjeux sociaux et symboliques qu’ils impliquent ces deux espaces nationaux, on compare deux pays
localement86, sont des caractéristiques marquantes où la place du monde agricole et de l’industrie ne sont
des employés d’exécution [voir encadré « À la recherche pas les mêmes, et où la scolarisation est très inégale-
d’une nouvelle “harmonie” », p. 76]. ment développée, mais on pointe aussi les divergences
La relecture de cette enquête, dans le cadre de entre une sociologie qui, en France, fait un usage
cet article, à travers un questionnement jusque-là souple de la notion de classes, et une tradition des
moins central dans la sociologie portugaise, mais très sciences sociales qui, au Portugal, accorde une place
présent en France, sur les proximités professionnelles, centrale aux débats théoriques sur ces analyses. Si les
familiales, et culturelles, entre ouvriers et employés, développements de la sociologie française des classes
éclaire donc des recompositions en cours dans ce type populaires aident à renouveler le regard sur les salariés
d’espace : place croissante des employés, et appari- subalternes au Portugal, et à pointer les rapproche-
tion de ménages composés d’ouvriers et d’employées ments entre ouvriers et employés, en sens inverse les
biactifs. Comme en France, on observe également que, travaux portugais rappellent que les écarts entre ces
dans le contexte économique actuel, les dynamiques deux groupes demeurent importants, tant en termes
de fragilisation des capitaux économiques, culturels objectifs, qu’en ce qui concerne leurs représentations
et symboliques des groupes dominés affectent aussi de l’espace social et leurs pratiques de sociabilité.
83. O. Schwartz, Le Monde privé des Fayard, 2003. 86. À propos de l’importance des démarca- lieue pavillonnaire, Paris, La Découverte,
ouvriers, op. cit., p. 523. 85. J.-N. Retière, op. cit. Voir aussi Nicolas tions sociales et symboliques au quotidien, 2008, p. 303-311.
84. Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Vio- Renahy, « Classes populaires et capital d’au- voir aussi Marie Cartier, Isabelle Coutant,
lences urbaines, violence sociale : genèse tochtonie. Genèse et usages d’une notion », Olivier Masclet et Yasmine Siblot, La France
des nouvelles classes dangereuses, Paris, Regards sociologiques, 40, 2010, p. 9-26. des « petits-moyens ». Enquête sur la ban-
79

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COMPARER LES CLASSES POPULAIRES EN FRANCE ET AU

Le Seuil | « Actes de la recherche en sciences sociales »

2017/4 N° 219 | pages 56 à 79

Pour citer cet article :

Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

PHOTOGRAPHIE de l’usine Sampaio et Ferreira en 2010.

Comparer les classes populaires

ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 219 p. 56-79 57

et le rôle déterminant du parti communiste – mais à la paysannerie et à ses transformations, du fait

Une réappropriation nationale

académiques, accueille ainsi de nombreux sociologues

Population active en France par PCS (nomenclature de 1982 revue en 2003)

1962 1975 1982 1989 2009

Employés 18,4 23,4 26,6 28,1 29,3

Ouvriers 39,1 37,3 32,9 29,6 22,5

Population active 100 100 100 100 100

Structure des situations individuelles de classe

1.1. Entrepreneurs capitalistes (propriétaires ou rentiers)

1.2. Propriétaires fonciers non exploitants

3.3. Agriculteurs propriétaires et métayers

3.4. Travailleurs familiaux sans rémunération

4.1. Agriculteurs propriétaires ayant d’autres activités

4.2. Agriculteurs métayers ayant d’autres activités

4.3. Travailleurs familiaux sans rémunération

II. Sans lien avec l’agriculture

6.1. Petite bourgeoise traditionnelle

6.2. Nouvelle Petite bourgeoisie

Sources : Adapté de José Madureira Pinto, Estruturas Sociais e Práticas Simbólico-Ideológicas

Typologie de classes et de fractions de classe selon Almeida,

Bourgeoisie entrepreneuriale et propriétaire (BEP)

Petite bourgeoisie technique et d’encadrement intermédiaire (PBTEI)

Petite bourgeoisie d’exécution (PBE)

Paysannerie à temps partiel (PP)

Petite bourgeoisie salariée et propriétaire (PBSP)

Petite bourgeoisie partielle (PBP)

Ouvrier industriel (OI)

Ouvrier agricole (OA)

Ouvrier industriel et agricole (OIA)

Classes et fractions de classe de la population active au Portugal

Fractions de classe 1981 1991 2001 2011

Part des emplois par secteur d’activité

Part des emplois en % France Portugal France Portugal

des positions sociales. ainsi traduit se démarque de la sociologie ouvrière

part et d’autre. Ainsi, les outils forgés par la sociolo-

au Portugal : la vallée de l’Ave rapprochement entre ouvriers et employées qui incite-

de classe des familles

Structure de classes de la population en emploi et de la population

Techniciens et cadres moyens 7 6

Indicateur familial de classe de la population en emploi et de la population

Techniciens et cadres moyens 10 57 12 53 30

Travailleurs indépendants et salariés 4 43 4 53 9

Employés d’exécution pluriactifs 2 50 4 45 12

Total 100 48 100 52 18

77. Michel Verret, La Culture ouvrière, Paris, L’Harmattan, 1996.

formation, et quelques emplois temporaires dans

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