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Boyancé Pierre. La symbolique funéraire des Romains. In: Revue des Études Anciennes. Tome 45, 1943, n°3-4. pp. 291-298;
doi : https://doi.org/10.3406/rea.1943.3268
https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1943_num_45_3_3268
1. Pour les stèles attiques, cf. P.-L. Couchoud, Reçue archéologique, XVIII, 1923, p. 233,
et, en sens contraire, P. Devambez, Bulletin de correspondance hellénique, LIV, 1930, p. 210
et suîv. ; pour les vases peints de l'Italia méridionale, C. Albi zzati, Dissert. Ponlif. Accad.
Rom. di arc, série 2, 1920, p. 147 et suiv. ; pour les monuments étrusques, P. Ducati, Le
pietre funerarie felsinee, Monumenti dei Lincei, XX, 1912 ; Van Essen, Did Orphic influence
in Etruscan paintings exist? Amsterdam, 1927, etc.
2. Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains (Haut-Commissariat de l'État
français en Syrie et au Liban, Service des Antiquités, Bibliothèque archéologique et historique,
t. XXXV). Paris, Geuthner, 1942 ; 1 vol. in-4°, iv + 543 pages, XLIV planches et 96 figures
dans le texte. Depuis, M. Cumont a donné comme une sorte ds supplément La stèle du
danseur d'Antibes et son décor végétal. Étude sur le symbolisme funéraire des plantes, Paris,
Geuthner, 1942, in-4°, 49 p. (cf. Revue, 1943, p. 174).
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Il y a déjà bien des années que, par de nombreux articles et par son
livre After Life in Roman paganism (New-Haven, 1922), M. Cumont
s'acheminait patiemment vers ces Recherches. En outre, s'inspirant de
sa méthode et souvent guidés par ses conseils, d'autres avaient travaillé
sur les voies ouvertes par lui, et nous retiendrons seulement, comme
l'une des plus récentes et des plus remarquables, l'étude de M. Marrou
sur le Μουσικός άνήρ (cf. notre compte-rendu dans cette Revue, 1939,
p. 86). M. Cumont, lui-même, se plaît à nous renvoyer au chapitre n de
Γ Apotheosis and Afterlife, où, dès 1905, Mme Strong a fait « la
première tentative pour retracer l'histoire de l'allégorie sépulcrale depuis la
Grèce jusqu'à Rome ». Une impulsion décisive fut donnée à cette
interprétation par la découverte, en 1917, de la basilique de la Porte-Majeure,
et notamment par le commentaire de sa décoration par M. Carcopino
dans son livre de 1927. Insistons, en effet, sur un point qui n'est pas
toujours suffisamment mis en relief : quelle que soit en définitive la destina-
tien cultuelle de cet édifice, qu'il soit la salle de réunion d'une secte
(c'est la thèse de MM. Cumont et Carcopino), un édifice funéraire (ainsi
le veut M. Bendinelli, auteur de la publication dans les Mon. antichi),
dans les deux hypothèses, toutes les images représentées sont des
allusions à l'au-delà, à la mort et à l'apothéose, et ces allusions reposent sur
la même symbolique pythagorisante, dont M. Cumont nous formule,
plus complètement qu'on ne l'avait encore fait, les idées directrices.
En tout état de cause, le travail d'exégèse de M.' Carcopino peut être
considéré comme définitif.
Il ne faut pas croire, en effet, que toutes ces scènes de la mythologie
que nous trouvons dans la basilique et sur les monuments funéraires
n'ont pas un sens, un rapport direct avec la mort. Jadis les fantaisies de
la symbolique des Creuzer et des Bachofen avaient discrédité toute
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tous les êtres nés de la terre (Adam), eût aussi cette dignité. Ailleurs
encore, dans les Legis Allegor., II, 5, il commente Genèse, II, 18, où il
reconnaît des réflexions « sur l'imposition des noms ». Et il oppose
Moïse aux philosophes de la Grèce. Ceux-ci ont dit qu'étaient sages les
premiers qui ont imposé aux choses leurs noms ; Moïse s'est bien mieux
exprimé qui « d'abord a dit que ce n'était pas à certains des gens
d'autrefois, mais au premier homme créé, c'est-à-dire Adam ».
Dans le De cherubim 17, une distinction est faite entre les noms
établis par la foule des autres hommes qui donnent aux choses des
appellations qui ne leur conviennent pas et Moïse de qui les dénominations
reflètent l'évidence des choses. Hiéroklès (Ve siècle apr. J.-C), dans son
commentaire sur les Vers dorés, distinguera des noms qui ne sont pas le
reflet du réel et ceux qui désignent les réalités éternelles et notamment
les dieux. Ces derniers, à la différence des autres, correspondent à la
vérité et cela parce qu'ils doivent leur institution à un sage. Hiéroklès
nous décrit avec une minutie singulière ce qu'a dû être le processus
psychologique de l'inspiration chez ce sage. Il y a vraisemblablement une
source commune à Philon et à Hiéroklès.
Il est clair dès maintenant que Philon utilise pour son exégèse du
judaïsme une théorie grecque sur l'origine du langage. Quelle théorie?
Non point exactement, je crois, comme le dit M. Emile Bréhier1, celle
du Cratyle, où, comme j'ai essayé de le montrer ailleurs, est adaptée,
critiquée, rabaissée à sa juste mesure la théorie pythagoricienne du
langage 2, mais bien cette théorie elle-même. La formule dont use Philon
est un écho fidèle d'une formule des akousmata pythagoriciens et, si
Philon ne mentionne pas le nom de Pythagore, peu avant lui Cicerón
avait rappelé dans les Tusculanes celui qui « quod summae sapientiae
Pythagorae uisum est, omnibus rebus imposuit nomina » (I, 25, Ci?). Aussi
ne sommes-nous pas surpris de retrouver chez Philon, De Decalogo 5, la
même doctrine sur les sages législateurs du langage appliquée à une
exégèse du mot de « décade » qui s'expliquerait par le fait de recevoir
(δέχεσθαι) et d'avoir fait place en elle à toutes les sortes de nombres et
de proportions numériques.
Hiéroklès, dans le texte que nous citions tantôt, se réfère
expressément aux pythagoriciens et il développe en les leur attribuant des
etymologies de Διός et de Ζήνα. Jamblique nous a conservé un document
plus précieux encore, car il remonte au grand historien de la Grande-
Grèce, Timée de Tauromenium 3. Il s'agit d'un des discours prononcés
1. hoc. laud.
2. Éd. Galletier, Étude sur la poésie funéraire romaine d'après les inscriptions, Paris,
1922, p. 261, citant G. Gatti, Dì una iscrizione sepolcrale con emblema allusivo al nome del
defunto, Boi. comunale, 1887, p. 114-121, et le Dr Vercoutre, Sur les jeux de mots citez les
Romains, dans la Revue tunisienne, nov. 1920, p. 294.
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permettra de résoudre d'autres problèmes encore que ceux qu'il a
envisagés et dont nous avons déjà dit qu'ils sont nombreux et importants.
Il y aura lieu sans doute aussi d'essayer de préciser la chronologie de
l'explication symbolique en ce qui concerne les monuments. Ce que nous
constatons surtout aux me et ive siècles est l'aboutissant de tout un
travail antérieur, de même que le néo-platonisme a été préparé par
toute l'histoire de la philosophie précédente. Il ne faut pas se dissimuler
combien sera délicate cette tâche, et combien l'hypothèse y devra
fatalement intervenir. Mais la synthèse de M. Cumont nous aura présenté,
avec la clarté parfaite qui est celle de toute son œuvre, le résultat du
processus et les moyens de nous orienter dans son déroulement.
Pierre BOYANCÉ.