liste n ’est rien d ’autre que l’ensemble des capitalistes indi consciente et se révolte soit contre la réification, contre
viduels, personne dans un capitalism e libéral ne pose le le capitalism e comme tel, soit contre un certain nom bre
problèm e de l’utilité sociale des biens sur le plan de la de ses m anifestations concrètes. C’est pourquoi Marx, qui
valeur d ’usage. s'atten d ait à juste titre, tan t q u ’il analysait un capitalism e
C’est précisém ent ce que nous avons appelé une produc libéral et sans colonies, à une paupérisation croissante de
tion anarchique réglée exclusivem ent par le m écanism e du la classe ouvrière, voyait en celle-ci la force historique
m arché. appelée à assurer le dépassem ent de la réification et du
Comme l’a m ontré cependant Marx, dans une pareille capitalism e.
société capitaliste libérale et anarchique il se produit de 11 reste que — même si pour com prendre l’évolution
m anière nécessaire, périodiquem ent et, — comme l’a m on réelle de la classe ouvrière occidentale au cours des cent
tré p ar la suite Rose Luxem bourg — à p a rtir d’un certain dernières années, il fau t modifier considérablem ent l’an a
rythm e du progrès technique structurellem ent — une dis lyse m arxienne en ten an t com pte du fait que l’im péria
torsion entre les valeurs d ’usage des biens réellem ent pro lisme, la montée effective du niveau de vie des ouvriers
duits et offerts sur le marché et les valeurs d ’usage pour occidentaux et depuis 1917 la victoire de la révolution non
lesquels il existe une demande payante et solvable. C’est pas comme l’attendait Marx dans les pays capitalistes
le problème de la crise et de la surproduction que le capi avancés mais, au contraire, dans les sociétés peu dévelop
talism e est seulem ent en train de surm onter de nos jours. pées, l’existence de la Russie bolchevique d’abord, de la
Nous ne pouvons insister ici su r les problèm es longue Chine et des Démocraties populaires ensuite ont créé une
m ent analysés et discutés dans la littératu re m arxiste du réalité sensiblem ent différente de celle q u ’avait analysée
m écanism e de la surproduction et aussi de l'im périalism e Karl Marx et à p a rtir de laquelle il avait établi ses perspec
qui, en tran sp lan tan t les form es les plus extrêm es de l’ex tives — la relation entre la conscience ouvrière et la réifi
ploitation dans les colonies et les pays sous-développés, a cation est différente par rapport à celle de toutes les autres
perm is de surm onter une contradiction qui sans lui au rait couches de la société et constitue un problème théorique de
probablem ent fini par créer u n état de surproduction prem ière im portance.
endém ique. Contentons-nous de dire que ju sq u ’en 1933 L ’ouvrier n ’a en effet q u ’une seule chose à vendre : sa
c’est su rto u t grâce à l’im périalism e et à la pénétration des force de travail et — sauf quelques rares exceptions toujours
m archés non capitalistes, et ensuite grâce à une interven possibles — il ne saurait accepter entièrem ent et sans une
tion massive et systém atique de l’E ta t dans l’économie, que résistance réelle ou virtuelle sa propre transform ation
cette contradiction entre le q u an titatif et le qualitatif, entre en m archandise assim ilée aux autres m archandises. C’est
la valeur d’usage et la valeur d’échange, a pu être surm on pourquoi, à l’inverse des autres classes sociales où nous
tée dans le monde capitaliste occidental. voyons la réification envahir progressivem ent même le sec
Un aspect spécifique du même problèm e est cependant teu r privé de la vie des individus, l’ouvrier aliéné dans
posé par la valeur et le prix d’une m archandise particu l’usine où il travaille pour un autre, et où toute liaison
lière : la force de travail. Du point de vue du producteur consciente avec son produit est m édiatisée par le fait que.
capitaliste, celle-ci n ’est qu’une partie de son capital cir celui-ci ne lui ap p artien t pas et que de m anière im m édiate
culant, une m archandise comme les autres q u ’il doit s’ef il travaille non pas pour le produire m ais pour toucher son
forcer d’acheter au m eilleur prix possible afin de dim inuer salaire, ne se retrouve lui-même que lorsqu’il quitte la vie
le prix de revient de ses produits. Seulem ent cette m ar économique, le travail, pour revenir au secteur privé de sa
chandise possède p ar rapport aux autres m archandises un vie quotidienne.
caractère particulier. Elle est composée d ’êtres pensants A cela s’ajoute le fait que même dans son activité éco
virtuellem ent réfractaires à un ordre social qui les assim ile nom ique, dans son travail, la relation réifiée et antagoniste
aux choses inertes. Aussi dans certaines conditions et su r avec le patron auquel il vend sa force de travail est en
tout lorsque le prix de la force de travail baisse trop, lors grande m esure contrebalancée par la relation hum aine et
que la condition des salariés devient trop dure, des résis non réifiée qu’il a avec ses cam arades.
tances hum aines se produisent, la marchandise devient Sans doute la pensée réifiée qui est une réalité sociale
96 RECHERCHES DIALECTIQUES PROBLÈMES DE MÉTHODE 97
agit-elle par m ille canaux différents aussi sur la pensée plus lui-même, devenu non seulem ent objet m ais encore
des ouvriers et cette influence est considérable. Mais c est objet d’un autre, il est, en m êm e tem ps, « réifié » et
là un phénom ène sociologique et non économique, une « aliéné ».
influence extérieure et non une réification spontanée, car C’est pourquoi Marx écrit que, dans la société capita
l’ouvrier ne sau rait tire r aucun avantage de la « réifica liste, il y a une sphère qui est celle de « la perte complète
tion ». Il n ’a pas de fortune à faire fructifier, de situation du caractère hum ain et qui ne peut se retrouver elle-même
sociale privilégiée à défendre ; pour lui, les objets ne sont que p ar une complète restauration de l’hom m e. Cette
pas des « m archandises », car il les voit uniquem ent du décom position de la société incarnée en une catégorie
côté consom m ateur où elles gardent toute leur richesse et sociale particulière, c’est le p rolétariat ». « Si le proléta-
leur vérité concrètes ; les hom m es ne perdent pas pour lui lia t annonce la dissolution de l’ordre actuel du monde, il
leurs qualités vivantes dans l’abstraction générale ne fait q u ’exprim er le secret de sa propre existence ; car
d ’ « acheteurs » car il n ’a rien à leur vendre et, ce qui est il constitue la dissolution effective de cet ordre du
le plus im portant, il fait partie de la seule catégorie sociale monde. » 1
dans laquelles les hommes, même pour défendre leurs inté C est ainsi que p a r sa position sociale, quoique beaucoup
rêts les plus im m édiats, doivent s’u nir et non s’opposer les m oins cultivé et ayant beaucoup m oins de connaissances
uns aux autres. La solidarité a pour leur vie sociale et pour que les intellectuels bourgeois, le prolétariat se trouve dans
la pensée des ouvriers une im portance tout aussi grande la société capitaliste classique seul dans une situation d ’en
que l’égoïsme et la concurrence pour les bourgeois et pour sem ble lui perm ettant de refuser la réification et de rendre
les couches moyennes. à tous les problèm es spirituels leur véritable caractère
De même, les intérêts de l’ouvrier ne sont pas réifiés, hum ain ; et c ’est au sein de la classe ouvrière, à une
ou en tout cas le sont beaucoup moins. Il n ’a pas de capital époque il est vrai où sa situation économ ique était p articu
dont il faille assurer le rendem ent, de m agasin ou d’entre lièrem ent m auvaise, q u ’est née la form e la plus élevée de
prise à adm inistrer, pour lui, il s’agit toujours et im m édia 1 hum anism e m oderne : le m atérialism e dialectique.
tem ent de réalités purem ent hum aines car, à son niveau de Cela ne veut pas dire bien entendu que certains indi
vie, les réductions de tem ps de travail ou les hausses de vidus ou m êm e groupes d ’individus n ’appartenant pas à
salaires affectent im m édiatem ent non seulem ent son « pou cette classe ne po u rraien t com prendre la pensée dialec
voir » virtuel m ais encore toute son existence journalière tique. Au contraire, dans le m onde capitaliste où les
et concrète. connaissances sont le monopole d ’une couche lim itée, les
C’est tout autre chose si un gain supplém entaire aug théoriciens mêm es du m atérialism e dialectique fu ren t __
m ente le compte en banque d’un industriel ou d’un com à l’époque du capitalism e libéral — des intellectuels d ’ori
m erçant et figure dans sa com ptabilité, ou si une hausse de gine bourgeoise ; maisi ils rejoignirent le point de vue
salaire perm et à un ouvrier de m anger mieux, d ’acheter de la classe ouvrière, s’y intégrèrent et y trouvèrent le
un scooter, de faire un voyage q u ’il désire depuis très long public - m anquant peut-être de la culture nécessaire pour
tem ps ou de faire apprendre u n m étier à son filsi E t d ’au tre les suivre dans tous les détails de leur pensée — m ais doué
part, même le rap p o rt de l’ouvrier avec le secteur écono d ’une qualité autrem ent im portante, l’attitu d e générale, la
m ique et réifié de sa vie est to u t autre que celui des bour situation sociale et psychique qui lui perm ette de com
geois et des couches moyennes. Car, en. exerçant leur p rendre cette pensée et de l’incarner dans la réalité p ra
profession, l’artisan, le m archand, le com m erçant, l ’indus tique 2. Car « comme la philosophie trouve dans le proléta-
triel oui le banquier défendent tous quelque chose qui leur
appartient et im plicitem ent s ’identifient de plus en plus 1. Introduction à la Critique de la Philosophie hégélienne du Droit.
avec cette activité et avec cette chose. L ’ouvrier p ar contre, ' , ! ? Parl<>ns ici consciem m ent et volontairem ent au passé car, depuis
1 ere stalinienne, les relations en tre les intellectuels socialistes et le m ouve
pendant tout le tem ps où il exerce son activité économique, m ent ouvrier sont devenues extrêm em ent complexes et problém atiques.
travaille « pour u n a u tre », pour son patron auquel ne le Qu on le déploré ou q u ’on s’en réjouisse, c ’est là un fait qui nous paraît
lie aucune relation de solidarité concrète. P endant le àpp°ofondie° ** d° n t ' faudrait une fois faire une étude sociologique
tem ps de travail, l’ouvrier ne s’appartient plus ; il n ’est Le phénom ène courant et natu rel jusque vers 1925-1928 du penseur im por-
4
98 RECHERCHES DIALECTIQUES PROBLÈMES DE MÉTHODE 99
apparence contradictoires de l’Ecrit qui refusait toute signa d ’un jansénism e extrém iste, et la découverte de celui-ci
tu re du Form ulaire et de la confession à B eurier auquel comme moyen essentiel de com prendre ces ouvrages.)
Pascal avait affirmé se soum ettre depuis deux ans à toutes Il nous reste pour term iner cette étude à aborder un
les décisions de l’Eglise (laquelle avait précisém ent exigé problème auquel nos lecteurs ont certainem ent déjà pensé.
la signature du Form ulaire). S’il s’agit d ’insérer les œuvres dans une totalité significa
La découverte du fait que Barcos et ses partisans défen tive plus vaste, insertion qui perm et seule de dégager leur
daient une position rigoureusem ent cohérente qui im pli structure et leur signification, pourquoi recourir à la to ta
quait à la fois la soum ission à la décision de signer le F or lité si éloignée des m ouvem ents intellectuels, sociaux et
m ulaire et le refus de le signer, a perm is non seulem ent économiques, et non pas comme l ’ont fait explicitem ent ou
d ’éclaircir le problèm e des dernières années de Pascal m ais im plicitem ent la p lu p art des historiens qui ne se sont pas
de m ettre en lum ière la structure interne du théâtre raci- limités aux textes à cette totalité significative bien plus
nien et des Pensées. proche et en apparence bien plus liée à l’œuvre q u ’est la
Il suffit de penser à la situation analogue d’A ndrom aque biographie et la psychologie de son auteur ?
devant rester fidèle à Hector et sauver la vie d ’Astyanax, La réponse en apparence paradoxale, m ais en réalité
ou bien à T itus qui doit rester E m pereur et ne pas se sépa rigoureusem ent fondée, est simple : pour des raisons non
re r de Bérénice, alors que chacune de ces exigences semble pas de principe m ais de possibilité pratique, d ’efficacité
précisém ent contredire l’autre. dans le travail de recherche.
On voit à quel point la recherche de structures signifi Il est certain que le théâtre de Racine et les Pensées de
catives sur le plan de l’histoire des m ouvem ents idéologi Pascal ne sont liés au m ouvem ent janséniste qu’à travers
ques, sociaux, politiques et économiques peut avoir et a les individualités de leurs auteurs, et q u ’une étude idéale
le plus souvent une im portance capitale lorsqu’il s’agit de ne saurait en aucun cas sauter par-dessus un palier in ter
dégager la cohérence et la structure interne des œuvres m édiaire de cette im portance. M alheureusem ent, en p ra
littéraires, artistiques ou philosophiques qui se rattach en t tique, nous ne possédons aucun moyen solide et positif de
à ces mouvements. reconstituer la psychologie d’un individu. La plupart, et
Au fond il s’agit là de l’application concrète des deux pratiquem ent toutes, les tentatives de ce genre sont des
principes généraux qui nous sem blent devoir régir toute constructions plus ou moins intelligentes et ingénieuses
étude sérieuse dans le dom aine des sciences historiques et qui ont cependant peu de rapport avec la science positive.
sociales, à savoir : Dans l ’é tat actuel d es sciences hum aines c’est beaucoup
r») T out fait hum ain s’insère dans un certain nom bre de plus rin te rp ré ta tion~3ë l ’œuvre qui déterm ine 1 rmagé~que
structures significatives globales dont la mise en lum ière l’on se fait de son auteur que l’inverse.
perm et seule d ’en connaître la nature et la signification C’est pourquoi il nous semble qu’au stade actuel de la
objectives ; pensée scientifique en sciences hum aines on peut form uler
h) Pour découper dans la réalité un ensemble de faits le bilan suivant :
qui constituent une telle structure significative, et pour T) Le concept de stru ctu re significative constitue le p rin
séparer dans le donné em pirique b ru t l’essentiel de l’acci cipal instrum ent de recherche et de com préhension de la
dentel, il est indispensable d ’insérer ces faits encore m al p lupart des faits hum ains passés et présents. Nous
connus dans une autre structure plus vaste qui les employons consciem m ent le term e « p lu p art » étant donné
em brasse (par exemple les écrits de Pascal et de Racine que certains secteurs de la réalité sociale sem blent devoir
dans l’ensemble du m ouvem ent janséniste), sans jam ais se lim iter au concept de stru ctu re et non pas de structure
oublier cependant que les connaissances provisoires que l ’on significative.
a des faits dont on est p arti sont — dans la m esure p ré 2) Dans chaque analyse concrète la mise en lum ière de
cisém ent où ils constituent un élém ent de la structure plus la structure significative spécifique qui régit les faits que
vaste — un des points d ’appui les plus im portants pour l’on veut étudier se heurte d’abord à deux problèm es qui
dégager cette dernière. (Les écrits de Pascal et de Racine sont à la fois les prem iers et les plus difficiles à résoudre :
comme point de départ pour l’hypothèse de l’existence le découpage de l’objet, ou si l’on veut du secteur de la
116 RECHERCHES DIALECTIQUES PROBLÈMES DE MÉTHODE 117
réalité qui correspond à cette structure significative, et la monde qui constituerait déjà sur le plan de la recherche
distinction à l’intérieur de ce secteur entre 1 essentiel et un inappréciable instrum ent de travail.
Il ne saurait cependant être question d’établir dès m ain
l’accidentel.
3) La dém arche scientifique la plus im portante pour ten an t une telle typologie sur des bases psychologiques
résoudre ces problèmes réside dans 1 insertion, des stiuc- (comme l’a essayé par exemple Karl Jaspers). De telles
tures significatives recherchées, avant même q u ’elles, soient tentatives relèvent du dom aine de la « réflexion brillante »
entièrem ent dégagées, dans des structures plus vastes dont qui a fait ta n t de m al à la science et q u ’il serait enfin
elles constituent des élém ents partiels, dém arche qui sup tem ps de surm onter.
pose un va-et-vient perm anent de la partie au tout et Comme toute m éthode scientifique sérieuse, le stru c tu
ralism e n ’est pas une clé universelle, m ais une m éthode
inversem ent.
4) Si le concept de structure significative a une im por de travail qui dem ande de longues et patientes recherches
tance prim ordiale dans l’ensemble des sciences historiques, em piriques et qui doit elle-même être perfectionnée et
et sociales, cette im portance est particulièrem ent renforcée m ise au point au cours de celles-ci.
dans le dom aine de ces faits culturels que sont les œuvres Il y a sans doute une dialectique des relations entre les
philosophiques, littéraires et artistiques, que caractérise recherches em piriques et les idées générales, il ne faut
précisém ent la coïncidence ou plus exactem ent la presque- cependant pas oublier trop facilem ent la priorité des p re
coïncidence non seulem ent virtuelle m ais réelle avec ces m ières et leur fonction indispensable dans tout travail
structures significatives rigoureusem ent cohérentes que scientifique digne de ce nom.
sont les visions du monde. 1958.
5) C’est pourquoi aussi bien la critique littéraire que
l’histoire de la philosophie, de l’a rt et de la littératu re ne
sauraient dépasser le niveau de la réflexion plus ou m oins
intelligente et originale pour acquérir un statu t réelle
m ent positif, que dans la m esure où elles prendront une
orientation structuraliste essayant de m ettre en relation
les œuvres qu’elles étudient avec les structures fondam en
tales de la réalité historique et sociale.
6) E tan t donné le caractère pour l’in stan t particulière
m ent insuffisant de nos connaissances psychologiques, une
pareille étude doit se situer au jo u rd ’hui en prem ier heu
sur les deux plans de l’analyse im m anente de l’oeuvre et
de l’insertion de celle-ci dans les structures historiques et
sociologiques dont elle fait partie. Q uant à la structure
interm édiaire, constituée par la biographie et la psycho
logie d u philosophe, de l’artiste ou de l’écrivain, si l’on ne
sau rait en aucun cas l’élim iner d’avance, elle ne peut cons
titu er pour l’in stan t q u ’un instru m en t secondaire de
recherche à em ployer avec beaucoup de méfiance et le
m axim um d’esprit critique.
7) Le nom bre de situations historiques et d ’œuvres lit
téraires, philosophiques et artistiques qui leur correspon
dent étant incom parablem ent plus grand que celui des
visions du monde (ce qui explique entre autres les renais
sances) de telles recherches devront s’orienter naturelle
m ent vers la mise au point d’une typologie des visions du
PROBLÈMES DE MÉTHODE 119
chologie de l’intelligence, ni même à la psychologie tout
court, mais qu’elle vaut aussi sans le moindre changement
Mis - pour la biologie, pour l’épistémologie, et nous nous permet
tons d’ajouter — Piaget ne le fait pas — pour les sciences
sociales et historiques.
On obtient ainsi le tableau suivant : (voir page suivante).
Nous ne croyons pas forcer la pensée de Piaget en disant
à propos de ce tableau que, dans les différents domaines
(psychologie de l’intelligence, biologie, épistémologie, et —
ajoutées par nous — sciences historiques et sociales), les
LA PSYCHOLOGIE DE JEAN PIAGET1 attitudes d’une même rangée horizontale s’impliquent
mutuellement puisqu’il s’agit toujours du même objet,
l’homme, étudié sous des aspects différents. Ainsi, qu il le
veuille ou non, Piaget en arrive à faire de la « philoso
phie » en apportant une contribution essentielle à un cer
Cet ouvrage est un résumé clair et succinct des conclu tain nombre de questions débattues depuis plus de vingt
sions générales auxquelles Jean Piaget est arrivé au cours siècles par les philosophes.
de vingt-cinq ans de recherches expérimentales, dont le Et, qu’il le veuille ou non, ces réponses vont dans un
détail se trouve exposé dans les livres qu’il a publiés anté sens très précis, car elles aboutissent à prouver d une
rieurement. manière positive et expérimentale la justesse d’un courant
En tant que recherches psychologiques, les travaux de de pensée qui, à travers Kant et Hegel, a trouvé jusqu’au
Piaget jouissent à juste titre d’une renommée mondiale. jourd’hui son expression la plus précise et la plus scienti
C’est pourquoi nous nous contenterons ici d’insister sur fique dans la pensée de Marx et d’Engels, d’un courant
leur importance philosophique beaucoup moins universel que nous sommes habitués à appeler, dans son ensemble,
lement reconnue. la philosophie dialectique et, dans sa forme marxiste, le
L’auteur lui-même prétend rester dans les limites de la matérialisme dialectique.
science positive et expérimentale et se méfie plutôt des Piaget n’est certes pas marxiste et la confirmation ou
« philosophes » auxquels il décoche de temps en temps l’infirmation de la pensée de Marx est le dernier de ses sou
une remarque ironique. Et pourtant son ouvrage com cis. Ce fait même augmente cependant l’importance philo
mence par une question éminemment philosophique : sophique de ses travaux. Car rien ne confirme mieux la
celle des rapports entre les normes et les faits, entre la valeur d’une conception que les rencontres de penseurs
logique et la psychologie. Et dès la page 17, dans un para venus de points différents et ignorant chacun les démar
graphe intitulé « Classification des interprétations possi ches et les travaux des autres.
bles de l’intelligence », l’auteur constate deux faits d’une Or, depuis des années, la psychologie et la sociologie
très grande portée philosophique. A savoir : semblent mener une existence séparée et aboutir à des
1) Que les différentes interprétations possibles de l’in conclusions contradictoires. En France, Durkheim avait
telligence se réduisent à 6 groupes fondamentaux, 3 sta enseigné que les lois qui régissent les « représentations
tiques et 3 génétiques, correspondant : collectives » sont tout à fait différentes de celles qui régis
a) à la primauté du sujet, sent les représentations individuelles. L’homme semblait,
b) à la primauté de l’objet, et par une sorte de miracle incompréhensible, présenter aux
c) à l’unité du sujet et de l’objet. chercheurs deux aspects contradictoires selon qu’ils l’étu
2) Que cette classification n’est pas spécifique à la psy- diaient seul ou en groupe. Et presque toutes les tentatives
pour rapprocher ces deux sciences souffraient du même
1. Jean P ia g e t, La Psychologie de l'Intelligence. L ibrairie Arm and Colin, défaut : elles essayaient d’étendre, d’une manière schéma
1947, in-16, 210 p. (« Collection A rm and Colin »).
tique et naïve, les résultats des sciences biologiques et psy-
P sych o lo g ie de B iologie Sciences historiques
l ’intelligence et sociales E pistém ologie
la conscience formalisée, n’est pas seulement une possibi Ce n’est pas un des moindres mérites de l’ouvrage de
lité mais aussi et surtout une nécessité 1. Piaget que d’avoir apporté sur ce point une solution qui
Biographiquement, l’épistémologie de Piaget se rattache nous semble évidente et à laquelle personne n’avait pensé
à ses deux maîtres parisiens Léon Brunschvicg et Pierre avant lui. Pour Piaget (comme pour Marx), toute pensée
Janet. Au premier il a pris l’idée d’une activité indéfini se rattache à l’action ; le monde théorique dans son
ment constructrice de l’esprit, au second le rattachement ensemble est une prise de conscience des conditions de
de tout fait de conscience aux conduites de l’individu. l’action réelle ou virtuelle. Or toute action est une synthèse
Mais qu’il le veuille ou non (plus exactement, sans qu’il le de deux pôles, sujet et objet, hommes et univers. La pensée
veuille), la synthèse réalisée par Piaget le place dans la théorique, élément nouveau qui s’insère dans ce cycle d’ac
ligne des grands penseurs dialectiques, Kant, Hegel et commodations et d’assimilations, reflétera toujours dans
Marx. Nous avons déjà mentionné, dans notre article de chacun de ses éléments l’un et l’autre de ces deux pôles.
1947, plusieurs points où c’était visible et nous venons de Seulement si toute science considère la réalité dans la
rappeler la classification des sciences et l’introduction de perspective d’une certaine action réelle ou possible, il peut
l’idée de totalité et de groupement dans la logistique ; nous y avoir à la limite une science (en réalité il y en a deux :
allons maintenant aborder un autre point où ce fait est à la logique et la mathématique) qui considère la réalité en
nouveau particulièrement clair : celui de la nature de la tant qu’objet en général faisant abstraction de toute qua
pensée logique et mathématique. Tout le monde connaît lité spécifique de tel ou tel groupe d’objets particuliers.
les critiques de Pascal et de Kant contre l’empirisme scep Pour employer une expression introduite par Gonseth,
tique et le rationalisme. L’un et l’autre ont mis en évidence la logique et les mathématiques seraient ainsi les sciences
le fait que la connaissance est toujours une synthèse de qui correspondent à l’action sur un « objet quelconque ».
deux éléments, l’un empirique, et sensible, l’autre a priori D’ailleurs si les théories de Gonseth sur la nature du juge
(sentiments du cœur, formes a priori de l’intuition pure, ment mathématique semblent se rapprocher le plus de
catégories de l’entendement). Kant formulait exactement le cette partie de l’épistémologie de Piaget, en réalité les‘dif
problème de ce deuxième élément comme étant celui de la férences sont considérables. Pour Gonseth la logique cons
synthèse entre la nécessité de certains jugements et leur titue une « physique de l’objet quelconque ». Implicite
fertilité, problème qu’il appelait celui des jugements syn ment son degré de certitude ne peut se différencier
thétiques a priori. On connaît aussi la critique de Hegel et qualitativement de tout le reste de la physique des objets
Marx contre la solution kantienne, abstraite, d’un a priori spécifiés. Il n’y a entre l’une et l’autre qu’une différence
qui serait une pure forme de l’esprit s’opposant au contenu de degré puisque l’une et l’autre sont abstraites à partir
sensible. Mais si Hegel et Marx avaient raison dans leurs de l’objet. Le problème épistémologique de la nature de la
critiques, nous ne croyons pas exagérer en disant qu’ils pensée logique et mathématique reste entier.
n’ont jamais réussi à rendre compte, d’une manière théo Tout autre est la situation pour Piaget. Pour lui, logique
rique satisfaisante, de la double nature déductive et empi et mathématique sont la prise de conscience sur le plan
rique de la pensée. De même le problème de la nature de théorique et objectif des conditions de l’action sur un
la pensée mathématique fertile et nécessaire en même objet quelconque et des coordinations possibles entre ces
temps restait toujours ouvert pour toute épistémologie actions. L’ « objet quelconque » n’est dans l’ensemble de ces
sciences qu’un invariant permanent, les actions du sujet
dialectique et leurs coordinations l’élément variable qui détermine
1. Une objection se présente cependant à l ’esprit, cela ne prouve-t-il pas leur contenu.
p lu tô t que la pensée est indispensable à la vie sociale et par conséquent Cette hypothèse résout le triple problème que posent les
a n térieu re à celle-ci f
Le problèm e nous sem ble m al posé. D em ander ce qui a été d abord de a
sciences implicatives à savoir :
pensée ou de la société nous paraît aussi stérile que dem ander si la poule — leur certitude
a été avant l ’œ uf ou inversem ent. . , _ , , ____• . — leur fertilité (pour les mathématiques)
Il v a sans doute influence m u tu elle et choc en re to u r : la pensée favorise
la vie sociale et celle-ci développe la pensée. Ici nous voulions seu em ent — leur concordance avec la réalité.
insister su r l ’in terpénétration in tim e de ces deux réalités, interpénétration 1) La certitude de la logique et des mathématiques est
que l ’épistém ologie de Piaget m et plus que jam ais en évidence.
PROBLÈMES DE MÉTHODE 137
136 RECHERCHES DIALECTIQUES
vaux d’E. Meyerson montrant que les physiciens, qui dans
naturelle puisque le sujet y prend simplement conscience leurs travaux sur la méthode se déclaraient les pires enne
de ses propres actions et de leurs effets réels ou possibles mis de la recherche causale, n’en continuaient pas moins à
dans le monde 1 ; la pratiquer en fait, dans leurs études proprement scien
2) La fécondité du raisonnement mathématique s expli tifiques.
que par la richesse indéfinie des possibilités de coordina A la longue cette discussion devenait fastidieuse, car elle
tion entre les actions humaines, coordination dont les ressemblait de plus en plus à un dialogue de sourds. D’une
mathématiques constituent précisément la prise de part, les empiristes qui, se plaçant sur le plan du donné
conscience ; , immédiat, affirmaient — à juste titre — que la réalité ne
3) Enfin la concordance maintes fois confirmée entre les peut jamais présenter autre chose qu’une relation cons
démarches les plus abstraites et les plus inattendues de la tante et mesurable entre deux ou plusieurs phénomènes,
pensée mathématique et la structure de la réalité est natu relation qui, s’étant toujours confirmée dans le passé, pré
relle puisque toute « réalité » étant vue dans la perspec sente une certaine probabilité — plus ou moins grande —■
tive d’une action humaine, elle ne peut contredire les coor de se répéter dans l’avenir, et cela d’autant plus qu’insérée
dinations les plus générales de cette action. Certaines dans un système d’ensemble (une théorie physique par
théories logiques, ou mathématiques, peuvent rester vir exemple) elle est garantie par un grand nombre d’expé
tuelles et possibles par rapport à la réalité expérimentale, riences ressortant des domaines les plus différents de la
elles ne peuvent jamais être contredites par celles-ci. réalité. D’autre part les adversaires rationalistes ou dialec
ticiens qui affirmaient qu’une relation causale est une
Nous ne croyons pas exagérer en affirmant que cette relation nécessaire et non pas empirique entre plusieurs
théorie représente une solution particulièrement simple et phénomènes, nécessité qu’ils ne pouvaient cependant jus
suggestive des difficultés que posait la double nature de tifier que par des affirmations dépassant le donné (forme
la pensée aux théories dialectiques depuis Kant et Pascal a priori de l’entendement, métaphysique matérialiste,
jusqu’à Hegel et Marx. etc...).
Dans le domaine de la pensée physique nous choisissons En réalité, une étude concrète du problème de la causa
parmi les multiples analyses de l’ouvrage une seule qui lité n’était possible que sur la base d’une entente sur deux
nous semble, particulièrement intéressante, celle de la cau points :
salité. On connaît la discussion qui depuis Hume et Comte a) il faut reconnaître que les données sensibles ne peu
oppose sur ce point empiristes et positivistes aux rationa vent jamais présenter autre chose qu’un ensemble de rela
listes et aux penseurs dialectiques. Les premiers ont tou tions de succession ou de concomitance : ce qu’on appelle
jours proscrit de la science positive toute recherche de la des lois.
cause, brandissant la grande épée du « métaphysique » dès b) le problème de la causalité est celui de savoir si parmi
que les partisans de cette notion essayaient de lui donner ces relations légales il y a ou non une catégorie présentant
un sens qui dépassait tant soit peu celui de loi. un caractère privilégié et constituant les lois explicatives ou
Les penseurs rationalistes et dialectiques par contre causales. Une relation causale n’est autre chose qu’une
n’ont jamais cessé de défendre l’idée de cause et on con loi, mais c’est, pour l’homme, une loi privilégiée. Ce fut le
naît, tout près de nous, l’ironie subtile et implicite des tra- grand mérite d’E. Meyerson d’avoir posé le problème
sur ce terrain. Malheureusement, il a gâché la valeur de
1. La seule question p o u rrait être de savoir ce qui d éterm ine le m om ent ses analyses par l’affirmation métaphysique que l’identité
de cette prise de conscience, car il est évident que la vie de 1 individu est trop
courte pour q u ’il puisse y arriv er par ses propres forces. Il y est cependant
présenterait pour l’esprit un privilège gratuit et difficile
puissam m ent aidé par deux facteurs entre lesquels Piaget se refuse à faire ment explicable. Le plus souvent d’ailleurs ses propres
u n partage : a) la transm ission sociale (langage, éducation, enseignem ent) , analyses prouvaient le contraire, car chaque fois qu’il
b) la transm ission héréditaire de certaines coordinations qui sans être
conscientes sont réelles et appliquées par l ’intelligence pratique déjà dans le abordait les explications mécaniques (modèles physiques,
règne anim al. Ce deuxièm e facteur existe-t-il réellem ent ? Aucune expérience etc...), il supposait implicitement et sans aucune raison
concluante ne nous perm et a u jo u rd ’h u i de le nier. Il n en est pas m oins
certain que son efficacité est de loin dépassée p a r celle de la transm ission que le déplacement spatial d’un corps présente une diver-
sociale.
PROBLÈMES DE MÉTHODE 139
138 RECHERCHES DIALECTIQUES
de connaître la cause, le mode de production. Les relations
sité moindre que n’importe quel autre changement. C’était de succession ou de concomitance n’ont pas toutes pour
s’accorder d’avance ce qu’il voulait démontrer. A priori, le l’homme la même valeur. Les unes lui permettent une
déplacement spatial qui est à la base de toute explication simple prévision, ce sont les lois fonctionnelles, les autres
mécanique est un changement comme tous les autres et se rattachent d’une manière immédiate à son action, ce
s’il présente un privilège pour la raison, ce privilège doit sont les lois causales ou explicatives. Parmi celles-ci les
être expliqué à son tour. Il est vrai qu’en dehors du dépla plus évidentes étaient celles qui rattachaient les variations
cement spatial des objets (et des autres invariants qui sem de l’objet au groupe des changements de position, la phy
blent au premier abord donnés) Meyerson insistait sur la sique mécanique. Malheureusement, dans certains domai
création purement intellectuelle du concept non empirique nes, et surtout en dehors des dimensions moyennes elles
d’énergie et sur la loi de conservation de celle-ci. Mais, se sont avérées inapplicables. 11 reste cependant toujours
comme le remarque à juste titre Piaget, s’il est vrai qu au l’espoir de relier les variations de la réalité aux coordina
cours de l’évolution de la pensée enfantine, comme au cours tions les plus générales de l’action du sujet, c’est-à-dire
de l’histoire des sciences, nous rencontrons la construction aux groupes mathématiques ; et c’est en cela que consiste
de nombreux invariants (espace, temps, objet, masse, le principal effort de la physique contemporaine, même si,
matière, volume) ceux-ci sont chaque fois indissolublement provisoirement du moins, elle n’y parvient pas toujours.
liés à un ensemble de variations dont ils forment le com L’explication physique suppose toujours l’introduction
plément et dont ils ne peuvent être isolés qu’arbitraire- d’un acteur fictif mais analogue à l’homme au sein des
ment. Ce que la raison construit c’est une coordination des transformations de la matière, introduction anthropomor
variations en groupes qui impliquent l’existence de cer phique (artificialisme, animisme, etc...) aux formes infé
tains invariants, et cela non pas pour arriver à une iden rieures de la prise de conscience humaine, objective et
tité arbitraire et paradoxale qui serait la suppression de
mathématique aux formes supérieures de la pensée concep
toute vie humaine (pour Meyerson l’homme peut vivre seu
lement parce que le monde n’est pas rationnel) mais sim tuelle et formalisée 1.
Dans le tome 3, consacré à la pensée biologique, psycho
plement parce qu’en face de l’univers l’homme est acteur logique et sociologique, nous choisirons pour les discuter
et que le but suprême de la raison est de lier la réalité ici deux problèmes dans l’analyse desquels nous nous éloi
indéfiniment variée et variable de l’objet à un ordre acces
gnons dans une certaine mesure de la position de Piaget,
sible à l’action du sujet. tout en restant entièrement dans le cadre de son système,
Déjà H. Poincaré avait rattaché le privilège rationnel du
ceux du parallélisme psycho-physiologique et de la nature
déplacement spatial à la distinction entre le groupe des
changements de positions que nous pouvons produire et de la vie affective.
Avant de les aborder soulignons cependant la parfaite
l’ensemble des changements d’état qui échappe à notre
concordance que Piaget dégage dans ces trois sciences non
pouvoir direct. En développant une théorie erronée seulement entre les manières de poser le problème, mais
A. Comte avait trouvé deux formules particulièrement sug aussi entre les différents types de réponses proposées. A
gestives et heureuses : la première lorsqu’en proscrivant
la recherche causale il interdisait de chercher le mode de
1. Galilée a d it u n jo u r que la n a tu re est u n livre écrit en langage m athé
production, la seconde lorsqu’en définissant l’utilité m atique. La form ule exacte a u rait été de d ire que c ’est un livre que nous
humaine de la science positive il disait que savoir c est écrivons en langage m athém atique m ais qui nous apporte un m atériel par
faitem ent adapté à cette écriture. D ’où vient cette adaptation i> C’est là un
prévoir. Or si chercher la cause c’est en effet chercher le problèm e m étaphysique qui dépasse la science positive. Le fait est que les
mode de production, jamais l’idéal de la pensée théorique hom m es n ’au raien t pas pu vivre dans u n univers radicalem ent inadéquat à
n’a été celui d’une simple prévision contemplative. Répé- la structure de leurs activités. Si nous existons c ’est que celte adaptation
était réelle, et im plicitem ent possible, que nos concepts m athém atiques et
tons-le, l’homme n’est pas spectateur, mais acteur : savoir les actions auxquels ils correspondent ont toujours trouvé une réalité dans
ce n’est pas seulement prévoir, c’est pouvoir transformer laquelle ils ont pu s’inscrire.
La pensée physique est, dans sa tendance et ses aspirations, explicative,
les choses et changer le cours des événements, savoir c’est causale et m athém atique parce q u ’elle est notre pensée qui tend à relier la
pouvoir produire : la prévision, la légalité n’est qu’un pis- réalité à nos actions et serait certainem ent différente pour des êtres im agi
aller dont le penseur se contente lorsqu’il n’est pas en état naires q u i au raien t d ’autres m oyens que nous d ’agir su r la réalité,
PROBLÈMES DE MÉTHODE 141
140 RECHERCHES DIALECTIQUES
cation ou exclusion, il y aura modification dans chaque
ce sujet, nous nous permettrons de renvoyer le lecteur à domaine sous l’influence des changements survenus dans
notre précédent article. Constatons aussi que sur le plan l’autre. Ce seront les différentes formes d’action mutuelle
de la pensée sociologique Piaget arrive cette fois explici des deux séries, psychique et physiologique, action réelle
tement aux conclusions que nous avons dégagées à propos sans doute, mais ne formant jamais un système clos, et
de la « Psychologie de l’Intelligence » en constatant que
insuffisante, à cause de cela, pour fournir une explication
la sociologie marxiste est celle ijui correspond le mieux
aux résultats de ses travaux psychologiques et à ses con générale de la réalité humaine.
En réalité, il y a un seul circuit, avec un seul objet, cir
victions épistémologiques générales. cuit dans lequel s’insèrent du côté du sujet deux aspects
Comme le remarque à juste titre Piaget, le parallélisme naturellement complémentaires, ayant chacun son action
psycho-physiologique s’avère insoutenable même en tant
sur l’autre et sur l’ensemble du processus. Le parallélisme,
qu’hypothèse de travail, dès qu’on le conçoit comme paral
l’influence mutuelle sont sans doute des réalités, mais des
lélisme de deux séries autonomes se correspondant point réalités partielles qui s’insèrent dans un processus d’en
par point. Le problème a été renouvelé par la psychologie semble. C’est pourquoi tous les essais de mettre en relation
de la forme qui au lieu de mettre en parallèle des éléments exclusivement le psychique et le physiologique, le psychi
isolés a rapproché des formes d’ensemble. Cependant, à
que et la réalité extérieure ou le physiologique et le milieu
cause de leur rattachement conscient, ou inconscient, à la ambiant, resteront toujours fragmentaires et insuffisants
phénoménologie, les psychologues de cette école ont conçu comme théories générales, tout en rendant dans une cer
les « formes » comme des entités absolues se retrouvant taine mesure compte de quelques faits isolés et partiels.
analogues aux différents niveaux de la réalité. En fait la
Enfin, pour ce qui concerne la vie affective nous nous
vie organique et psychique est constituée par des struc
permettons de proposer brièvement une théorie qui nous
tures résultant d’un devenir historique et biographique,
a été inspirée par les thèses générales du livre de Piaget
structures qu’il s’agit non seulement de constater et de
bien qu’elle soit différente de celle qu’il admet lui-même.
décrire mais aussi de comprendre et d’expliquer par des
Venant de la part de quelqu’un qui n’est pas spécialiste,
études génétiques. Or, la première caractéristique des
c’est là sans doute une tentative osée. Aussi la présentons-
structures psychiques et physiologiques est d’être insérées
nous brièvement sous forme de thèses provisoires espérant
dans le cycle sujet-objet. Cela nous permet de constater surtout susciter une discussion autour d’un sujet qui, jus
dès l’abord l’existence d’un facteur qui explique la corres
pondance des deux séries physiologique et psychique ; qu’ici, nous semble loin d’être éclairci.
Piaget qui a passé de longues années à étudier, sur le
elles ont toujours un élément commun : l’objet. C’est la
plan de leur genèse historique et individuelle, les struc
même réalité, la même maison, le même ami, qui s’offrent
tures cognitives, a cependant accordé dans ses travaux une
à moi, qui agissent aussi bien physiologiquement sur mon place beaucoup plus réduite à la vie affective. Sur ce point
système sensoriel et nerveux que psychiquement sur ma
il s’est rallié, avec quelques réserves, il est vrai, à la thèse
conscience. Y a-t-il cependant du côté sujet deux éléments de Pierre Janet qui voyait dans les sentiments des régu
autonomes, l’appareil physiologique et la conscience ? Y lations de l’action, thèse qui nous a toujours semblé insuf
a-t-il deux circuits différents quoique parallèles ayant seu
lement un point commun, l’objet ? Nous ne le croyons pas, fisante et, surtout, peu claire.
Prenons à titre d’exemple l’analyse du sentiment d’ef
ce que nous appelons structures physiologiques et psychi fort qui pour Janet correspond à l’accélération de l’action.
ques sont deux coupes transversales d’un seul et même L’accélération nous semble tout d’abord être une conduite
circuit, engageant du côté du sujet une seule et même réa au même titre que l’action elle-même, et son énergétique
lité : l’homme concret et vivant. Et cet homme, étant lui- est probablement, elle aussi, du même ordre que celle de
même une structure d’ensemble, certains processus phy cette dernière. D’autre part les valeurs qui agissent sur
siologiques et certains états de conscience peuvent les conduites et interviennent dans leur régulation sont le
naturellement s’impliquer ou s’exclure. L’apparition dans plus souvent du domaine cognitif et plus exactement du
le circuit sujet-objet des uns suscitera ou éliminera alors domaine de la pensée conceptuelle. Cela nous paraît par-
les autres et inversement. Ou bien sans qu’il y ait impli-
PROBLÈMES DE MÉTHODE 143
142 r e c h e r c h e s d ia le c tiq u e s
ticulièrement évident lorsqu’il s’agit d’ « échelles de valeur Pour plus de clarté et de concision, nous essaierons de
stabilisées par les normes collectives » (Tome III, p. 150). formuler notre hypothèse sous forme de thèses schéma
L’élément affectif les accompagne sans doute comme il tiques : . . . i
accompagne tout processus moteur ou cognitif mais ne 1) Dès qu’elle apparaît à un certain niveau du cycle
s’identifie pas avec elles. sujet-objet la conscience se présente sous deux formes com
Piaget sent d’ailleurs lui-même que la thèse de Janet plémentaires qui correspondent aux deux pôles du cycle.
ramène en grande mesure l’affectif au physiologique, c’est 2) Les faits affectifs sont des faits de conscience, diffe
pourquoi il formule des réserves. « Il est clair que de telles rents des faits cognitifs, mais toujours complémentaires
explications font d’abord appel à la causalité physiolo de ces derniers. .
gique. Décrire l’intérêt comme dynamogénisateur ou 3) Toute conscience qui touche l’aspect objectif (au sens
comme un régulateur procédant par accélération, c’est pos propre du mot) de l’action, a un aspect cognitif, ce qui
tuler d’emblée la nécessité d’une explication physiologique signifie, chez l’homme, virtuellement ou réellement concep
tuel. Même les coordinations les plus générales de l’action
(III - 150), « mais une fois admis le rôle de la causalité
physiologique, ne demeure-t-il rien, dans le mécanisme de du sujet se présentent sur ce plan comme les lois les plus
générales de Vobjet, implications logiques ou mathémati
l’intérêt, qui concerne la psychologie comme telle et qui
demeure irréductible à la notion de cause. » (III - 150) ? ques. Il va de soi que le sujet peut se penser soi-même en
Sans doute. Et Piaget a parfaitement raison lorsqu’il pense tant qu’objet sur le plan conceptuel.
4) Toute conscience qui touche l’aspect subjectif (au
que la physiologie ne suffit pas à épuiser la réalité affective,
qu’il reste un domaine qui constitue la nature spécifique sens propre du mot) de l’action a un caractère non concep
de celle-ci. Il nous semble seulement qu’en parlant d’ « im tuel et constitue un fait affectif. Sur ce plan, même les
qualités les plus spécifiques de l’objet se présentent comme
plications », de « valeurs », d’ « emboîtements de rap
ports », Piaget ne distingue pas suffisamment l’affectif du affections du sujet.
5) Il faudrait probablement distinguer sur le plan sub
cognitif bien que son analyse ait précisément créé les
jectif de l’affectivité une dualité qui correspondrait-à la
cadres qui permettent une pareille distinction. double nature de conscience cognitive (empirique et impli-
Nous croyons en effet que l’affectivité ne peut se com
cative), dualité qui correspondrait aux apports du sujet et
prendre qu’en tant qu’élément constitutif du cycle sujet- de l’objet de l’action. Cette distinction serait peut-être celle
objet au niveau conscient, plus précisément comme élé
ment conscient différent et complémentaire de toute de l’affection et de la pulsion.
6) L’affectivité étant un des deux aspects psychiques du
conscience cognitive, et accompagnant toute conduite comportement total,, il correspond à tout état affectif une
motrice. La grande difficulté que présente l’étude de la vie
conduite motrice et un état cognitif. A titre d approxima
affective pour la psychologie vient du fait que la pensée tion provisoire et grossière nous présentons l’hypothèse
conceptuelle plus ou moins adéquate lorsqu’il s’agit de
suivante : le plaisir et la douleur seraient des états affec
comprendre la réalité spatiale du comportement moteur, et
tifs correspondant à certains contacts directs du sujet et
la réalité virtuellement conceptuelle que présentent les
de l’objet, les chocs émotionnels des états correspondant
processus cognitifs lorsqu’elle les prend comme objet aux déréglements momentanés du comportement, les sen
d’étude, n’est pour l’instant tout au moins nullement adap timents, ceux qui correspondent à l’immense multiplicité
tée à l’étude du secteur non conceptuel de la conscience, de conduites de la vie quotidienne, les passions ceux qui
secteur qui se présente comme un flux continuel d’états correspondent aux conduites entièrement subordonnées à
vécus. D’où les tentatives continuelles de définir les états un but (volontaire-valeur ou involontaire-passion instinc
affectifs par les comportements ou par les états cognitifs
tive), enfin les affectivités pathologiques correspondent aux
qui les accompagnent (à titre d’exemple les théories qui
définissent les émotions par le comportement, James, troubles permanents du comportement.
7) Si cela est vrai, chaque élément du cycte subissant
Lange, Janet, par leur substrat physiologique, Lapicque, et l’influence du cycle entier mais agissant en même temps
celles qui les définissent par les processus cognitifs conco
sur lui, on peut imaginer une thérapeutique mettant l’ac-
mitants Nahlowsky, Herbart, Sartre).
144 RECHERCHES DIALECTIQUES PROBLÈMES DE MÉTHODE 145
cent sur la possibilité d’influencer surtout l’affectivité1 à peine effleuré quelques-uns des multiples problèmes
(psychanalyse, électro-choc), le comportement (Moreno et envisagés par Piaget, nous espérons avoir montré l’impor
le psychodrame) ou la pensée cognitive (Desoille et le rêve tance philosophique de ces livres écrits par un homme de
éveillé2). Cette classification ne préjuge en rien bien science se méfiant des philosophes et qui rejoint néan
entendu de la valeur de ces trois groupes de procédés. C’est moins les conclusions d’un des courants les plus impor
là un problème d’étude positive et expérimentale. tants de la philosophie moderne. Soulignons cependant que
Ainsi les théoriciens anti-intellectualistes de l’intuition cette rencontre n’est pas due au simple hasard. Elle est le
sous toutes ses formes (Bergson, Spengler, Klages, etc...) résultat naturel du fait que la pensée dialectique est l'ex
ont eu parfaitement raison lorsqu’ils ont réagi contre les pression d’un effort continu pour comprendre la réalité
tentatives rationalistes de réduire la vie psychique de humaine, effort qui s’était, jusqu’ici, il est vrai, concentré
l’homme à la connaissance conceptuelle et de faire de l’af notamment sur des aspects sociaux et historiques. A cet
fectivité une donnée inférieure, imparfaite, etc... ils ont eu effort les travaux de Piaget apportent un complément utile
raison d ’insister sur la différence de nature entre les et hautement nécessaire.
sciences physico-chimiques et les sciences humaines, où Les penseurs dialectiques lui seront reconnaissants de
le chercheur doit « comprendre », c’est-à-dire retrouver l’appui expérimental et positif qu’ils y trouveront pour
une totalité dans laquelle s’insèrent non seulement des leurs thèses générales et surtout de l’éclaircissement d’un
comportements et des pensées conceptuelles mais aussi des grand nombre de questions psychologiques et épistémolo
réalités affectives. Ils ont cependant eu tort et se sont four giques concrètes restées obscures jusqu’à maintenant.
voyés lorsqu’au lieu de remplacer une méthode scientiste A une époque où le positivisme logique s’obstine à igno
et simplificatrice par une méthode vraiment scientifique rer la réalité humaine et où d’autre part, malgré un cer
rendant compte de toute la richesse de la réalité concrète, tain nombre d’analyses descriptives remarquables, la phé
ils ont voulu remplacer le seul instrument humain de noménologie abandonne et proscrit la recherche génétique
connaissance, la pensée, par une conscience non concep et explicative ressuscitant une nouvelle métaphysique .des
tuelle, vécue, qu’elle s’appelle intuition, âme, intuition essences, l’œuvre de Piaget, qui continue l’effort des grands
intellectuelle, etc... Pour connaître et comprendre la réalité penseurs classiques, constitue une des réalisations les plus
et notamment la réalité humaine, il faut vivre sa pensée, remarquables de la philosophie contemporaine.
mais certainement pas remplacer la pensée par la vie ins
tinctive ou affective 3. 1952.
Arrivé à la fin de cette étude dans laquelle nous avons
1. Indirectem ent nous n ’avons aucun m oyen d ’action directe su r l ’affec
tif (une des raisons p o u r laquelle nous le com prenons si m al su r le plan
de la pensée conceptuelle).
2. Dans l ’œ uvre hautem ent intéressante de Desoille les faits q u ’il cite et
m êm e ses analyses concrètes nous sem blent to u t à fait indépendants des
concepts m étaphysiques d ’inconscient collectif et d ’élan vital q u ’il em prunte
à J u n g et Bergson.
3. Depuis la rédaction de cette étude, Piaget a publié u n cours su r l ’affec
tivité (J. Piaget : Les relations en tre l ’affectivité et l ’intelligence dans le
développem ent de l ’enfant, C.D.U. Paris 1954) dans lequel, à côté d ’une
rem arquable analyse de nom breux problèm es particuliers et d ’une critique
p énétrante de plusieurs théories psychologiques et notam m ent de la psycha
nalyse, il précise et développe sa propre position.
Celle-ci reste toujours la m êm e : l ’affectivité est une synthèse entre la
régulation de l ’action (Janet) et la valorisation. Malgré le grand in térêt de
ces analyses, nous ne pouvons pas le suivre entièrem en t ; la valorisation,
depuis ses formes les plus élém entaires ju s q u ’aux échelles de valeur nous
paraissant toujours un processus essentiellem ent cognitif. Il va cependant de
soi que notre analyse ne saurait avoir d ’au tre valeur que celle d ’une sug
gestion proposée aux spécialistes par q u e lq u ’un qui se sait fort peu compé
ten t et a u n e conscience claire d u fait q u ’il s’agit là d ’u n problèm e q u ’on
saurait trancher seulem ent su r le plan expérim ental.
PROBLÈMES DE MÉTHODE 147
totalités dans lesquelles s ’insère toute action humaine se rapproche ainsi des tendances collectives qui orientent
manifeste, entre autres, dans le fait que jusqu’aujourd’hui l’action historique du groupe ; plus encore, il arrive que
— avec peut-être quelques rares exceptions pendant la ce secteur de la conscience individuelle atteigne un degré
Renaissance, exceptions qu’il faudrait analyser de près — de cohérence dépassant de loin celui qu’il a chez tous les
l’action en tant que manifestation individuelle ne s’est pra autres membres du groupe et approche ainsi ce que nous
tiquement jamais intégrée de façon cohérente à l’ensemble avons appelé ailleurs la conscience possible de ce dernier,
des actions d’un même individu ; il n’y a pratiquement pas et notamment — lorsqu’il s’agit d’art ou de philosophie —
dans les sociétés divisées en classes, et surtout dans la la conscience possible de la classe sociale.
société moderne, d’individus dont l’ensemble de la vie C’est alors que nous nous trouvons devant ces cas parti
constitue une unité significative à peu près rigoureusement culiers du comportement de l’individu que l’on pourrait
cohérente. Même les cas exceptionnels dont nous parlerons appeler, en suivant le langage courant, les œuvres scienti
plus loin du philosophe, du savant, de l’artiste, du chef fiques, philosophiques, artistiques, littéraires, sociales, etc...
politique ou religieux, n’atteignent cette cohérence que Celles-ci sont ainsi à la fois des comportements profon
dans un secteur particulier de leur vie, le plus souvent dément sociaux dans la mesure où elles incarnent les ten
d’ailleurs au détriment des autres domaines de leur pensée dances et les aspirations du groupe à leur plus haut degré
et de leur action. de cohérence, et des comportements hautement individuels
Le monde de la lutte des classes et de la réification peut dans la mesure où elles représentent le niveau le plus élevé
connaître exceptionnellement le génie, l’homme harmo de cohérence et de signification que saurait atteindre, dans
nieusement et universellement développé reste pour lui un la société moderne, une conscience individuelle.
espoir dont la réalisation ne saurait se situer que dans Même comme cas privilégiés, et dans leur domaine pro
l’avenir. pre, les œuvres présentent cependant, pour celui qui essaie
Inversement cependant, au niveau de l’action historique de les comprendre de l’extérieur, deux significations dis
des groupes, les mêmes actions humaines, morcelées et tinctes et complémentaires :
aliénées lorsqu’on les regarde dans leur signification indi a) une signification historique, essentielle dans' la
viduelle, apparaissent dès maintenant, aux yeux de l’his mesure où elle constitue précisément leur valeur scienti
torien, comme les éléments de structures plus ou moins fique, philosophique, esthétique, etc...
consciemment significatives et cohérentes ; cette différence b) une signification purement individuelle qui se révèle
dans le degré de cohérence étant précisément l’expression à l’analyse psychologique, et reste aujourd’hui subordon
de la rupture entre l’historique et l’individuel, et du pri née à la première, dans la mesure où elle représente ce qui
mat que garde encore le premier sur le second. dans l’œuvre n’est que symptôme individuel, et très sou
Soulignons néanmoins pour éviter tout malentendu : vent symptôme d’une structure psychique particulière et
a) que l’action historique du groupe n’existe pas en non typique. (Ce qui éclaire l’insuffisance, du point de vue
dehors et à côté des actions individuelles et n’est rien d’au esthétique, philosophique, etc... de la plupart des explica
tre que l’essence réelle dont celles-ci sont les manifestations tions biographiques et notamment psychanalytiques.)
empiriques immédiates, La possibilité d’un monde transparent qui, ayant sur
b) que la rupture entre l’action du groupe et la con monté l’aliénation, rapprocherait sensiblement les signifi
science individuelle présente naturellement un nombre cations individuelle et collective du comportement humain
indéfini et extrêmement varié d’écarts et de tensions pos et transformerait, sinon entièrement, du moins en grande
sibles qu’il faudrait, en principe, déterminer dans chaque partie, le travail aliéné en travail créateur, le produit en
cas individuel. œuvre, ne saurait être pour les penseurs contemporains
On peut cependant constater d’emblée l’existence de cer qu’un espoir, un pari, et non une certitude conceptuelle.
tains cas privilégiés où un secteur entier du comportement C’est pourquoi la pensée philosophique nous semble
de l’individu — la pensée scientifique, la pensée philoso arrivée au point où elle ne peut vraiment prendre con
phique, l’imagination sous ses différentes formes, l’action science de la condition humaine que dans la mesure où,
politique ou sociale — prend une forme cohérente et se sans renoncer à son indépendance et à sa rigueur, elle
150 RECHERCHES DIALECTIQUES
ANALYSES CONCRETES
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