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de Rome
Résumé
Les Pénates sont une collectivité de dieux non individualisés qui tirent leur nom de la partie la plus retirée de la maison, le
penus ; ils sont donc spécifiquement attachés à ce lieu et, par extension, à toute la maison qu'ils désignent souvent
métonymiquement, ce qui explique la forte valeur affective dont ils sont chargés. Dans le culte privé, pourtant, les Pénates ne
sont pas autrement représentés que sous les traits de divinités ayant par ailleurs une individualité propre (Jupiter, Fortuna, etc.),
rassemblées là par le paterfamilias.
Le culte public des Pénates est une extrapolation du culte privé, sans doute le culte du foyer du roi devenu celui de l'État. Les
Romains honorent leurs Pénates dans l'Aedes deum Penatium de la Vélia, où les dieux étaient représentés comme deux jeunes
gens assis, mais aussi sans doute dans l'Aedes Vestae du Forum, dont la partie la plus secrète, le Penus Vestae, renfermait de
mystérieux sacra de provenance troyenne plus ou moins nettement affirmée. Le culte public des Pénates est en effet
étroitement lié à la légende des origines troyennes de Rome, selon laquelle Énée apporte et installe à Lavinium les Pénates
troyens, fruit d'une longue élaboration qui fait fusionner la légende de la venue d'Énée en Italie avec des éléments de la
civilisation lavinate et transforme à la fois le personnage d'Énée et l'identité de ses dieux. Rome a annexé à son profit cette
tradition, et reconnaît en Lavinium sa métropole, ce dont témoigne le pèlerinage annuel des magistrats romains à Lavinium,
pour y sacrifier à Vesta et aux Pénates. L'existence de trois cultes des Pénates publics s'explique par la superposition de deux
légendes des origines, troyennes et albaines, de Rome, à celle d'une fondation indigène.
, . Les origines et le développement du culte des Pénates à Rome. Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 5-566.
(Publications de l'École française de Rome, 118);
https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_ths_118_1
ANNIE DUBOURDIEU
LES ORIGINES
ET LE DÉVELOPPEMENT
ÉCOLEPALAIS
FRANÇAISE
1989
FARNESE
DE ROME
© - École française de Rome - 1989
ISSN 0223-5099
ISBN 2-7283-0162-X
Questa unione dei due culti nel tempio del Foro trova un preciso
riscontro a Lavinio, dove i magistrati romani sacrificavano ogni anno
Penatibus pariter ac Vestae. Questa analogia penso debba estendersi, a
mio avviso, alla tipologia stessa dell'edificio templare : infatti, secondo
Dionisio di Alicarnasso, i Penati di Lavinio si trovavano in una καλιάς,
cioè in un tempio circolare a forma di capanna, che corrisponde
dunque al tempio del Foro (che ha un rapporto strutturale con la capanna,
come è affermato dagli scrittori). La καλιάς di Lavinio è rappresentata,
in tale forma, nei medaglioni di Adriano e di Antonino Pio e in altre
fonti iconografiche.
L'analogia dei culti di Vesta e dei Penati a Lavinio e a Roma trova
spiegazione nella comune appartenenza alla civiltà latina (mentre non
mi sembra proponibile l'ipotesi di una priorità cronologica di Lavinio).
E quanto al fatto che i Penati di Lavinio venissero considerati Penati di
Roma, si deve trovarne la ragione, come è ben dimostrato dalla Du-
bourdieu, nella leggenda troiana e nel foedus del 338 con cui Roma
accettava il mito di una unità dei popoli latini che traeva origine da
Lavinio.
Particolare attenzione è dedicata al tempio dei Penati sulla Velia.
Anzitutto si affronta il problema della duplicità dei luoghi del culto in
Roma, e se ne trova la soluzione in una recente teoria che il tempio
della Velia debba la sua origine ad un ipotetico trasporto a Roma, nella
casa di Tulio Ostilio, dei Penati di Alba. Tuttavia possiamo domandarci
se sia veramente un problema questa duplicità dei luoghi di culto: non
abbiamo forse più luoghi di culto in Roma, per esempio, per la triade
Giove Giunone Minerva, per Giunone Regina, per Giove Statore, per
Èrcole Vincitore? Ma soprattutto è da osservare che non mancano
motivi precisi per spiegare un tempio particolare, autonomo, dei
Penati; altro è il carattere arcaico, legato a Vesta e al penus, nel tempio di
Vesta, altro è quello del tempio sulla Velia quale ci è documentato da
Varrone e Dionisio di Alicarnasso. Né appare convincente il fatto che il
culto di una città distrutta sia stato posto nella casa privata di un re. Da
rilevare inoltre che non abbiamo testimonianze sull'esistenza di un
culto dei Penati ad Alba, e che è da dimostrare l'alta antichità del tempio
dei Penati sulla Velia.
Su questo tempio veliense, come è noto, sono state in questi ultimi
anni formulate nuove ipotesi : il tempio sarebbe da identificarsi con
l'edificio rotondo noto come tempio del divo Romolo; ovvero sarebbe
stato nell'area della basilica di Massenzio e quindi distrutto, mentre le
immagini dei Penati avrebbero preso posto nelle aule fiancheggianti il
PREFAZIONE IX
Ferdinando Castagnoli
AVANT-PROPOS
*
* *
8 De L.L. V, 144.
9 Hamburg-Gotha, t. 1, 1839; t. II, 1840.
INTRODUCTION 5
dans la tradition grecque d'une part, latine d'autre part. L'étude des
Pénates proprement dits n'occupe qu'une petite partie du second
volume de l'ouvrage10, consacré aux dieux liés à Enée. Elle consiste en une
étude étymologique du mot Penates, dont R. H. Klausen affirme qu'il
est rattaché à la racine de penus sans toutefois expliquer le suffixe
-ates; le savant allemand étudie ensuite la signification de ces dieux
dans le culte privé, l'emplacement de leur culte dans la maison, la
valeur affective qui leur est accordée comme symboles de la prospérité
et de la pérennité de la famille; puis il passe à l'étude du culte public,
dans lequel il voit une extrapolation, à l'échelle de l'Etat romain, du
culte privé. Utilisant certaines des données littéraires dont nous
disposons, Virgile en particulier, R. H. Klausen accepte la légende du
transfert des Pénates de Troie en Italie par Enée, sans chercher à dater
l'apparition de cette légende dans la tradition; les dieux d'Enée - et, sur ce
point encore, Klausen suit exactement Virgile - furent installés à Lavi-
nium par le héros troyen, et honorés là par les Romains qui se
considéraient comme des descendants d'Enée; cependant, ce dernier culte, qui,
selon Klausen, ne fut jamais tout à fait oublié, tendit à s'effacer
progressivement au profit d'un culte des Pénates publics à Rome même,
sorte de duplication du culte lavinate. Sur l'identité des Pénates,
Klausen fait état des différentes spéculations antiques, sans chercher entre
elles une cohérence quelconque; il constate qu'à Rome même, il est
certain que les Pénates publics étaient au nombre de deux (R. H. Klausen
s'appuie là sur la description que fait Denys d'Halicarnasse des statues
cultuelles du temple de la Vèlia), couple qu'il rapproche de celui des
jumeaux fondateurs dans une démarche dont il nous semble qu'elle
annonce déjà celle de G. Dumézil11 un siècle plus tard. Klausen se
borne à constater qu'à côté de cette conception dualiste des Pénates, les
traditions antiques mentionnent une identification de nos dieux avec
ceux de la Triade Capitoline, et qu'il existe une tentative de définition
des Di Penates Consentes étrusques. Cet ouvrage, vieux d'un siècle et
demi, reste, au demeurant, fondamental pour l'étude de notre sujet.
Presque cinquante ans plus tard, G. Wissowa étudiait, dans un très
long article intitulé Die Ueberlief erung über die römischen Penaten 12, la
10 P. 620-662.
11 La religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, p. 263-266.
12 in Hermes, 1886, XXII, p. 45 sq.; repris dans Gesammelte Abhandlungen zur
römischen Religions und Stadtgeschichte, Munich, 1904, p. 95-128.
6 ORIGINES ET DEVELOPPEMENT DU CULTE DES PENATES A ROME
13 Paris, 1942.
INTRODUCTION 7
14 Le savant français est revenu sur ce problème dans Rome et les Troyens, REL, 49,
1972, p. 39-52.
15 Cette datation a parfois été contestée; voir infra, p. 199-201.
16 Baden-Baden, 1951.
17 Cf. aussi les comptes rendus de l'ouvrage faits par P. Boyancé, Les Pénates et
l'ancienne religion romaine, REA, 54, 1952, p. 109-115; J. Heurgon, in Latomus, 11, 1952,
p. 231-233.
18 Heidelberg, 1959.
19 Bale, 1957.
8 ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU CULTE DES PÉNATES À ROME
20 Cf. J. Heurgon, Note sur les sources de l'histoire romaine primitive : de l'hypercriti-
que à la réhabilitation de la tradition, in Rome et la Méditerranée occidentale, 2e éd., Paris,
1980, p. 378-385.
21 Pour une chronologie détaillée des découvertes, cf. F. Castagnoli, Lavinium I,
Rome, 1972, p. 36-37.
22 Early Rome and the Latins, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1964.
INTRODUCTION 9
I - L 'ETYMOLOGIE DE PENATES
1 De Nat. Deor. II, 68 : « les dieux Pénates, qui tirent leur nom soit du penus (tout ce
dont les hommes se nourrissent s'appelle penus), soit du fait qu'ils résident à l'intérieur;
de là vient que les poètes les appellent aussi penetrates ».
2 A. Ernout-A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 4è éd., Paris,
1960, s.u. penus.
14 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
3 296 L.
4 A. Walde, Lateinisches Etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, 1906, p. 572;
F. Muller-Izn, Altitalisches Wörterbuch, Göttingen, 1926, p. 330; J. Pokorny,
Indogermanisches Etymologisches Wörterbuch, Berne-Munich, 1948-59, p. 807; Α. Walde- J. Β. Hofmann,
Lateinisches Etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, 1930-35, p. 282; A. Ernout-A. Meillet,
loc. cit. ; ces formes de locatif sans désinence ont été étudiées par M. Leuman-J. B.
Hofmann, Lateinische Grammatik I, 2e éd., Munich, 1977, p. 412.
5 Dans ce dernier sens, penes est à peu près synonyme de apud, mais il est moins
usité que lui (on le trouve cependant chez Cicéron, Horace, Tite-Live); Festus (20 L)
établit une différence d'emploi entre les deux prépositions : apud et penes in hoc differunt,
quod alterum personam cum loco significai, alterum personam et dominum ac potestatem,
quod trahitur a penitus ; cette dernière explication, qui rapproche curieusement potestas
et penitus, se fonde peut-être sur un passage de Varron cité infra p. 15 n. 13.
6 Alt Germanien, Leipzig-Berlin, 1934, p. 98 n. 4.
7 R.E., XIX, 2, s.u. Penates, col. 419.
8 Eléments de phonétique et de morphologie du latin, Paris, 1970, p. 194.
9 N. AU. IV, 1, 2.
ETYMOLOGIE : PENATES ET PENUS 15
II - Sens de penus
Si l'on considère que les Pénates sont les «dieux du penus», il reste
à éclairer la signification de ce mot. Il est employé, nous l'avons vu,
dans deux acception : le Penus Vestae du sanctuaire de la déesse sur le
Forum est un locus, mais partout ailleurs, le mot désigne des provisions
de diverses sortes, et ses dérivés portent soit l'un, soit l'autre de ces
deux sèmes.
maux dont le maître se sert peut être considérée comme penus22, par
opposition, sans doute, à celle des bêtes utilisées dans les exploitations
agricoles.
Sur la nature des provisions constituant le penus, les doctrines des
juristes anciens, selon l'exposé qu'en fait Favorinus, paraissent diverger
davantage; d'après Q. Mucius Scaevola, le penus est quod esculentum
aut poculentum est, définition étroite, semblable à celle qu'en donne
Cicéron; au contraire, Catus Aelius et Servius Sulpicius, aux dires de
Favorinus, incluent dans le penus, outre boissons et aliments, des
produits utilisés dans la vie domestique comme l'encens et les bougies
{thus, cereos)23, et certains juristes y comprennent également ce qui
sert à préparer les provisions, comme le bois et le charbon24; dans
cette définition élargie, il faut mettre aussi la nourriture des animaux
utilisés par le maître.
Enfin, la troisième caractéristique des provisions que l'on peut
légitimement désigner du terme de penus, selon Q. Mucius Scaevola cité
par Favorinus, est l'usage différé qui en est fait; le penus ne fait pas
l'objet d'une consommation immédiate, mais est tenu en réserve au
fond de la maison, et il est remarquable qu'un rapport étymologique
implicite soit établi ici entre penus et penitus, renforcé par l'emploi des
mots reconduntur et intus pour caractériser le mode de conservation
propre au penus25; il ne nous paraît pas douteux que l'auteur de cette
définition joue sur les deux sèmes contenus dans le radical pen-.
L'usage à long terme des provisions contenues dans le penus est également
suggéré dans un passage de Perse26, et nettement affirmé par Servius :
inter penus et cellarium hoc interest, quod cellarium est paucorum die-
22 IV, 1,21: etiam quod iumentorum causa apparatum esset quibus dominus uteretur;
sur Masurius Sabinus, voir Steinwenten, R.E., I A2, s.u. Sabinus, n°29, col. 1600-1601.
23 IV, 1, 20. Sur Catus Aelius, voir Klebs, R.E., I, 1, s.u. Aelius n° 58, col. 492-493; sur
Servius Sulpicius, Münzer et Kubier, R.E., IV, Al, s.u. Sulpicius n° 95 (Münzer, col. 851-
857, Kubier, col. 857-860).
24 Ibid.
25 IV, 1, 17 : nam quae ad edendum bibendumque in dies singulos prandii aut cenae
causa paratum, «penus» non sunt; sed ea potius, quae huiusce generis longae usionis gratia
contrahuntur et reconduntur, ex eo, quod non in promptu sint, sed intus et penitus habean-
tur, «penus» dicta est.
26 Sat. Ill, 73-75 :
Bisce nee inuideas quod multa fidelia putet
In locuplete penu defensis pinguibus Vmbris
Et piper et pernae, Marsi monumenta clientis.
ETYMOLOGIE : PENATES ET PENUS 19
rum, penus uero temporis longi27. Nous avons dit plus haut que la
limite de ce long terme était, pour les juristes, une année28.
Dans tous les emplois que nous en avons relevés, penus désigne les
provisions elles-mêmes, non la réserve aux provisions. Le seul cas qui
prête à discussion est sans doute le passage de Perse : in locuplete penu
pourrait en effet désigner une pièce, ou une sorte d'armoire; mais il est
possible aussi de l'interpréter comme signifiant «parmi les provisions»,
«dans les provisions», et nous penchons plutôt pour cette
interprétation, en raison du caractère d'hapax que revêtirait une interprétation
spatiale du mot dans le vocabulaire profane.
Pour désigner le local où l'on conserve les provisions, on emploie
l'expression cella penaria, où la parenté entre penaria et penus est
manifeste. Nous trouvons une mention de la cella penaria, au sens large de
«réserve à provisions», chez Cicéron : itaque ille M. Cato Sapiens cellam
penariam rei publicae nostrae, nutricem plebis Romanae Siciliani nomi-
nabat29. Mais d'autres emplois de l'expression permettent d'en préciser
le sens. Un autre texte de Cicéron établit une distinction entre trois
types de cellae : semper enim boni assiduìque domini cella uinaria,
olearia, etiam penaria referta est30; l'idéal du bon propriétaire est donc
d'avoir trois réserves, parmi lesquelles la cella penaria se définit dans
un système d'opposition aux deux autres. A première vue, on pourrait
penser que les deux premières cellae contiennent les aliments liquides,
la cella penaria les aliments solides, notamment les céréales, comme la
désignation par cette expression de la Sicile, grand fournisseur de
Rome en blé31, invite à le faire. Mais ce passage du Cato Maior, censé
reproduire les paroles de Caton lui-même, doit plutôt être éclairé par
un rapprochement avec quelques lignes du De Agricultural·, patrem
familiae uillam rusticani bene aedificatam habere expedit, cellam olea-
riam, uinariam, dolia multa, uti lubeat caritatem exspectare. Seules sont
mentionnées les cellae contenant l'huile et le vin, réserves qui
permettent au bon propriétaire d'attendre le moment où ces denrées
atteignent leur cours le plus élevé {uti caritatem exspectare lubeat) pour les
mettre en vente; il faudrait donc comprendre que, par opposition, et
27 Ad Aen. I, 703.
28 L'expression penus annuus se trouve aussi chez Plaute (Pseud. 178).
29 Verr. II, 2, 5.
30 Cat. Mal, 56.
31 Cf. M. Finley, La Sicile antique, Paris, 1986, p. 129-130 (trad. J. Carlier).
32 De Agr., 3.
20 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
33 L'expression que l'on trouve chez Vitruve, cum penu cellas (VI, 150), dans la
description de la demeure grecque, ne nous semble pas pouvoir être considérée comme un
terme d'architecture désignant spécifiquement «la réserve aux provisions». Varron
consacre les dernières pages du 1. I des Res Rusticae à la conservation des fruits, mais il
n'y désigne pas comme cella penaria la réserve où on les entreposait.
34 De L. L. V, 162.
35 De L. L. V, 161 : cauum. aedium dictum, qui locus intra parietibus relinquebatur
patulus qui esset ad omnium usum.
36 268 L.
ETYMOLOGIE : PENATES ET PENUS 21
2) Le Penus Vestae
Les deux significations du mot penus renvoient, nous l'avons dit, à deux
séries de mots, construits sur le thème pen-, spécialisées l'une dans le
sens de «à l'intérieur de», l'autre de «nourriture»48. Ce sont, d'une
part, les mots formés sur penes, lui-même ancien locatif de penus,
préposition signifiant «à l'intérieur de», «chez»: l'adverbe penitus «à
l'intérieur de, au fond» (cf. funditus, radicitus, stirpitus), parfois employé
comme adjectif dans la langue archaïque et post-classique avec le sens
de «qui se trouve au fond»; penetro «pénétrer», formé sur penitus, d'où
penetralis «secret, retiré», et, tardifs, penetrabilis, penetrano et penetra-
tor; d'autre part, autour du sens de «nourriture, provisions», on a,
construits sur penus, penarius «où l'on range les vivres», et penator
«celui qui est chargé des vivres».
L'existence de deux sèmes pour cet ensemble de mots a conduit
A. Walde à supposer qu'ils sont construits sur deux thèmes49; il
distingue un thème pen-, contraction de deux prépositions, έπί («sur») et en
(«dedans»), donnant une forme epen, puis pen, signifiant à peu près
«tout là-dedans»50; la contraction des deux prépositions serait un fait
isolé, spécifique du latin, et sans correspondant dans d'autres langues;
sur ce thème serait formé le mot penus au sens de «l'intérieur de la
maison», dont Penates serait un dérivé. A. Walde distingue ce penus
d'un mot homophone, signifiant «la réserve aux provisions», et qu'il
conviendrait de mettre en relation avec le lituanien penù, peneti
«nourrir», les messapiens πανία «l'abondance» et πανός = lat. panis; ce
thème pa- se trouverait aussi dans le latin pascor. Ainsi, A. Walde suppose
que seul l'un des deux mots penus serait à l'origine du nom des
Pénates, «dieux de l'intérieur de la maison»51.
Cette hypothèse n'a pas été reprise, et les savants qui ont, après
A. Walde, étudié l'étymologie de ces mots, les rattachent à un thème
unique, pen-, qu'ils rapprochent toutefois d'autres thèmes
indo-européens, mais sans indiquer clairement la relation existant entre ces
différentes familles de mots.
Ainsi, F. Muller-Izn52 considère que tous les mots qui nous
intéressent, penus, penes, penitus, pénates, dérivent d'un seul radical pen-
signifiant «l'intérieur de»: penus désigne l'intérieur de la maison, ou
du temple dans l'expression Penus Vestae, et c'est sur ce dernier mot
qu'est formé, à l'aide du suffixe -ates, pénates «les dieux de l'intérieur
de la maison». Muller-Izn rapproche ce radical de ceux que citait, sans
en tirer de conclusion, Walde, pen-/pon- «travailler», et le lituanien
penù «nourriture», que lui-même met en relation d'une façon assez
curieuse: «travailler pour s'assurer de la nourriture»; malgré cette
série de rapprochements hasardeux, Muller-Izn n'explique pas la
relation sémantique qui existerait entre pen- «à l'intérieur de» et pen-
«travailler pour s'assurer de la nourriture».
Pour J. Pokorny53, penus, penes, pénates sont formés sur une base
unique pen-, mais le sens premier de cette dernière serait «nourrir»,
«nourriture», et aussi «dépôt de nourriture»; c'est grâce à ces sens
multiples du mot penus que se fait le passage du sens de « nourriture » à
celui d'« intérieur» : il désigne en effet soit «les provisions de bouche»,
soit «l'intérieur de la maison», où la nourriture était conservée; c'est ce
dernier sens que l'on trouve dans le locatif penes «chez», dans
l'adjectif -adverbe penitus «profond, profondément», dans la désignation
comme pénates des «dieux de l'intérieur de la maison». J. Pokorny
rapproche ce thème du lituanien penù «nourriture», et de la base pa-.
J. B. Hoffman54 estime, pour sa part, que sur le radical pen- ont
été formés penus «l'intérieur de la maison», Penates «les dieux de
l'intérieur de la maison», le sème «à l'intérieur de» se trouvant aussi dans
penitus, penetro, etc. . . Ayant mis en doute l'explication donnée par
Walde de ce radical, consistant à voir en lui la contraction de deux
prépositions, Hofmann n'en propose aucune autre, et constate la fragilité
du rapprochement de ce radical avec la racine pen-/pon-
«travailler»55; mais il estime aussi qu'il est bien difficile de refuser, comme
l'avait fait Walde, de considérer que penus «l'intérieur de la maison», et
penus «les provisions de bouche» sont le même mot; en ce denier sens,
penus lui paraît pouvoir être rapproché de la racine de pasco, mais il
constate que la relation entre pen- et pa- n'est pas claire56.
A. Ernout et A. Meillet57 renoncent à rapprocher le thème pen-
d'autres racines indo-européennes, et réussissent à rendre compte de la
relation entre les deux sens de penus, qui ne constitue pour eux qu'un
seul mot, par une explication historique : à l'origine, le mot aurait
signifié «la partie intérieure de la maison», sens qu'il a conservé dans le
domaine religieux pour le Penus Vestae; mais à l'époque classique, il
signifie «les provisions de bouche», cachées à l'intérieur de la maison,
ce qui apparaît très clairement, notent-ils, dans la définition de Cicé-
ron : est ... quo uescuntur homines penus; les Pénates seraient «les
dieux dont les images sont conservées à l'intérieur de la maison»58;
domorum secreta, dicta penetralia aut ab eo quod est penitus, aut a penatibus) semble
considérer que penitus et pénates ne sont pas construits sur le même radical; voir infra
p. 29 sq.
59 P. 1326, s.u. penus.
60 Ovide, Fastes VI, 450; Liv., V, 40; Plut., Cam., 20; voir infra p. 454 sq.
26 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
du Palatin; S. M. Puglisi (op. cit., P. 66) émet avec prudence l'hypothèse selon laquelle ce
serait une carrière. Si on admet que le penus ait pu être une réserve souterraine, sa
fonction serait alors en partie celle du mundus, et W. Warde-Fowler (Mundus patet, JRS, 2,
1912, p. 52 sq) a proposé de voir dans le mundus non pas une fosse mettant en rapport
les vivants et les morts, mais le penus de la cité. Sur le mundus, voir F. Coarelli, Ara
Saturni, Mundus, Senaculum. La parte occidentale del Foro in età arcaica, DArch, 9-10,
1976-77, p. 346 sq; A. Magdelain, Le Pomerium archaïque et le mundus, REL, 54, 1977,
p. 71-109; A. Piganiol, Recherches sur les Jeux Romains, Strasbourg, 1923, p. 1-14.
65 Rom und Troia, p. 95-96.
66 Notamment G. Dumézil (La religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, p. 322-
326), pour qui cette forme est l'expression du caractère terrestre de Vesta, qui règne dans
un espace non orienté et non inauguré, par opposition aux dieux célestes, dont les templa
sont définis par les quatre directions du ciel.
28 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
Le suffixe -as, -atis est défini par A. Ernout71 comme l'un des
«suffixes de dérivation, marquant la provenance ou l'appartenance, et
qui servent à former des ethniques», à côté de -no- (-ano-, -ino-,
-uno-), -ensis (-esis, iensis); A. Ernout note qu'il est moins usité que les
deux autres, et distingue trois catégories de mots dans lesquelles il
apparaît : ce sont d'abord les adjectifs dérivés de thèmes pronominaux,
cuias, «de quel pays», nostras, «de notre pays», uestras «de votre pays»,
et «d'autres dérivés» : Infernas et Supernas désignant la mer Adriatique
et la mer Tyrrhénienne, summas et infumas, ou infimas, «gens de la
plus haute ou de la plus basse qualité», optimates «les hommes du
meilleur rang» (dans ces derniers mots, selon A. Ernout, le sens local s'atté-
nuant pour faire place à un «sens moral»), Primas et Magnates «du
premier rang» et «les Grands» (formes tardives du latin d'église). A.
Ernout range dans cette série Pénates, où «penas est dérivé correctement
d'un thème pen- figurant dans penes, penitus, penus»72; une autre
catégorie, beaucoup mieux représentée que la première, est celle des
noms gentilices, indiquant l'identité des individus, en particulier des
affranchis, par un nom dérivé de celui de leur ville d'origine73. Ces
anthroponymes, cependant, ne sont qu'une extension d'un type de for-
de l'intérieur «dans la mesure où il est le cœur et le centre vital de tout»; penes nos est
voudrait dire non pas «il se trouve dans notre maison», mais «il est associé à la maison».
Cette valeur affective nous paraît certaine (cf. infra p. 51 sq.) pour certains emplois
métonymiques de Penates, plus contestable pour les autres mots formés sur le thème pen-.
71 Le suffixe en-as, -atis, in Philologica III, Paris, 1965, p. 29. P. Monteil {op. cit.,
p. 194) note que ce suffixe, dérivé de thèmes en -a- du type Antemna-tes, a été utilisé, par
extension, dans d'autres thèmes, du type Arpin-ates.
72 Op. cit. p. 32; le mot, comme un certain nombre d'autres présentant ce suffixe,
n'est employé qu'au pluriel, malgré la possibilité morphologique d'un singulier* Penas
ou* Penatis, relevée par le jurisconsulte Antistius Labeo cité par Festus (298 L) : Penatis
singulariter Labeo Antistius posse dici putat qui pturaliter Penates dicantur; cum patiatur
proportio etiam dici, ut optimas, primas, Antias.
73 Ce procédé a été relevé par Varron, De L.L. VIII, 83 (cité par A. Ernout, op. cit.,
p. 33).
30 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
mation d'ethniques en -as, atis (comme Antias, Arpinas. . .), dont Pline,
au livre III de son Histoire Naturelle, nous fournit une longue liste : on
les rencontre dans le Bruttium, en Calabre, Apulie, Lucanie, Campanie,
dans le Latium et le Samnium, en Ombrie, en Ligurie, et dans la
Celtique.
Ce tableau des emplois du suffixe -as, -atis nous donne une
première indication sur le sens qu'il est préférable de considérer comme
originel dans le thème pen-. Dans tous ses emplois, le suffixe -as
s'ajoute à une base à sens spatial, ce qui nous invite à donner à pen-,
dans la formation Penates, le sens de «la partie la plus retirée de la
maison». D'autre part, le suffixe -as, -atis exprime lui-même
l'origine74, et on ne peut guère songer à l'associer à un mot ne désignant pas
un lieu. Le sens de Penates est donc «ceux de l'intérieur de la maison»
ou «ceux de la réserve aux provisions», et non «ceux qui s'occupent des
provisions»; le suffixe -as n'entre pas dans la formation des noms
d'agent, et ce serait penatores, attesté, selon Festus, chez Caton, qui cor-
74 Seuls deux mots présentant ce suffixe ne semblent pas exprimer l'origine; c'est
anas, attesté chez Paulus-Festus (26 L : anatem dicebant morbum anuum),
«incompréhensible» pour M. Leuman-J. B. Hofmann {op. cit., p. 233), «forme suspecte» ou
«imagination de grammairien» pour A. Ernout {op. cit., p. 32); l'autre est sanates, défini par
Paulus-Festus (475 L : Sanates dicti sunt, qui supra infraque Romam habitauerunt. Quod
nomen ideo his est inditum, quia, cum defecissent a Romanis, breui post in amicitiam,
quasi sanata mente, redierunt). S'agit-il du nom d'un peuple voisin de Rome, comme
supra infraque Romam pourrait le faire penser? Festus, en tout cas, ne met pas le mot
Sanates en rapport avec un nom de ville, mais en donne une étymologie évidemment
fantaisiste {sanata mente). Le témoignage d'Aulu-Gelle est assez sensiblement différent; un
jurisconsulte rapporte aux «réglementations archaïques des Douze Tables» les notions
juridiques suivantes {N. Att. XVI, 10) : proletarii et assidui et sanates et uades et subuades
et uiginti quinque asses et taliones furtorumque quaestio cum lance et lido. Il est clair que
les trois premiers termes font allusion à des catégories sociales, mais seules les deux
premières sont connues par ailleurs; M. Leuman et J.B.Hofmann {loc. cit.) y voient une
confusion avec sanatus; on trouve chez Pline la forme Manates, que M. Lejeune
{Problèmes de philologie vénète I-VI, RPh, 25, 1951, p. 222-223) attribue à une lecture fautive
d'une inscription du Ve siècle, «probablement apposée au lieu des réunions de la Ligue
latine»; selon ce même savant, Sanates a pour origine un mot vénète, l'ethnique Sainatis,
devenu en Vénétie une épithète divine, et, dans le Latium, l'ethnique Sanates. A. Ernout
{op. cit. p. 33) admet l'hypothèse d'un nom de peuplade. Il faut sans doute écarter,
comme le fait S. Weinstock {op. cit., col. 418) la suggestion de Norden {loc. cit.) selon laquelle
Penates désignerait à l'origine une classe sociale tôt disparue, ou les dieux de cette classe
sociale. P. Monteil {op. cit. p. 194) considère que les mots de la série optimates, summates,
infimates ont fini par désigner des classes sociales.
ETYMOLOGIE : PENATES ET PENUS 31
75 268 L : Penatores qui penus gestant. Cato aduersus M. Acilium quarta : postquam
na[ti]uitas e nauibus eduxi, non ex militions atque nantis piscatores et penatores feci. Peut-
être faut-il voir, dans cet unique emploi attesté de penatores, une création μη peu
artificielle, appelée par piscatores (cf. S. Weinstock, op. cit., col. 419); mais l'emploi du suffixe
reste, néanmoins, significatif.
76 Cf. A. Ernout, op. cit., p. 31-32.
77 Cf. A. Ernout, op. cit., p. 34-54; pour l'osco-ombrien, voir R. von Planta,
Grammatik der Oskisch-Umbrischen Dialekte, 2e éd., Berlin-New- York, 1973, t. II, p. 51-52; pour
l'étrusque, W. Schulze, Zur Geschichte Lateinischer Eigennamen, 2e éd., Berlin-Zurich-
Dublin, 1966, p. 529.
78 Die Ethnike des alten Italiens, Zurich, 1951, p. 114.
79 hoc. cit.
32 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
I - Penates et di pénates
3 Mere, 834 et 836; Phorm., 311. Chez ces deux écrivains, du reste, qui ne disent
jamais pénates seul, l'emploi de la formule di pénates s'explique très bien par la facilité
métrique qu'elle offre dans les vers iambiques.
4 Cette évolution a pu être facilitée par le fait que Penates, étant une formation
originellement adjective, comme nostras, a peut-être suivi, dans son emploi comme
substantif, l'usage des ethniques du type Arpinates (cf. supra p. 31).
5 Fr. 3; cf. commentaire de M. Barchiesi (Nevio epico, Padoue, 1962, p. 368 sq.) pour
la construction assez délicate du génitif penatium. Voir aussi infra p. 47.
6 Ad Aen. II, 717 : (Aenean cum dis pena)tibus.
L'USAGE DU MOT PENATES DANS LA LITTÉRATURE CLASSIQUE 37
7 II, 333-34 : «Elle est donnée pour remplir par sa fécondité d'autres pénates» (trad.
A. Bourgery, C.U.F., Paris, 1947).
8 Met. V, 660 : « Là régnait Lyncus. Il (= Triptolème) entre dans les Pénates de ce
roi» (trad. G. Lafaye, C.U.F., Paris, 1961).
9 Par exemple, Tacite, Ann., XIII, 4, 3.
38 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
minons tout d'abord la fréquence des emplois du mot chez ces auteurs :
y a-t-il une évolution historique de la fréquence d'emploi de pénates?
Peut-on dire qu'il apparaît plus volontiers chez certaines familles
d'esprit, dans certains genres littéraires, en poésie ou en prose?
L'étude de notre corpus ne nous permet guère de dire que le mot a
été plus employé à telle époque qu'à telle autre. On en trouve très peu
d'exemples avant l'époque cicéronienne (un exemple chez Naevius, un
chez Cassius Hemina, cité par Servius, deux exemples chez Plaute et un
exemple chez Térence seulement), beaucoup chez Cicéron (15), 24 chez
Ovide et Virgile, 27 chez Tite-Live, 16 chez Sénèque, 14 chez Lucain, 22
chez Tacite, et 43 chez Stace. Encore faut-il tenir compte, pour
apprécier ces chiffres, du fait que les œuvres de ces écrivains sont
inégalement importantes et que la plus grande partie de l'œuvre de Naevius ou
de Cassius Hemina, par exemple, est perdue pour nous. Il est assez
difficile, donc, de voir une évolution historique de la fréquence d'emploi
du mot. On peut constater sa rareté chez Plaute et sa fréquence chez
Cicéron, mais doit-on dire pour autant qu'il était plus fréquemment
employé à l'époque cicéronienne? César ne l'utilise qu'une fois - dans
sa correspondance -, Catulle une fois aussi, et Lucrèce jamais. De la
même façon, pour la période impériale que nous avons considérée, Sta-
ce emploie le mot 43 fois, Apulée, jamais.
Il nous a semblé en revanche que, plus qu'à des différences de
mentalité dues à telle ou telle époque, la plus ou moins grande
fréquence des emplois du mot venait des différentes familles d'esprit
auxquelles appartenaient les écrivains, et surtout des différences entre les
genres littéraires où pénates apparaît. C'est ainsi que l'on peut dire que le
mot est très rare chez les comiques (3 exemples) alors qu'il est fréquent
dans les tragédies de Sénèque (16 exemples). Encore l'exemple de
l'emploi de pénates chez Plaute doit-il être examiné avec un peu d'attention.
Les deux emplois du mot chez cet auteur se trouvent dans la même
tirade, à deux vers d'intervalle10: Charinus, jeune homme de bonne
famille, va quitter la maison paternelle et s'exiler; au moment de son
départ, il adresse une invocation solennelle aux dieux de son foyer,
parmi lesquels les Pénates. Il n'y a donc rien là qui appartienne
spécifiquement au genre comique. L'origine sociale du personnage et les
circonstances dans lesquelles cette invocation est prononcée relèveraient plu-
tôt de la tragédie. Il semblerait donc qu'il y ait dans le mot pénates des
connotations qui le font préférer dans un langage théâtral noble.
On peut dire aussi que le mot est fréquent dans l'éloquence
judiciaire (Cicéron), très fréquent chez les historiens (Tite-Live et Tacite).
Peut-être, là encore, la fréquente apparition du mot s'explique-t-elle par
une certaine hauteur de ton de ces œuvres. Une remarque que nous
pouvons faire à propos de la poésie semble aller dans le même sens : le
mot est fréquent dans l'épopée (Virgile et Lucain) et dans les «grands
poèmes» d'Ovide, comme les Métamorphoses, alors qu'il n'apparaît que
très rarement dans la poésie élégiaque, en particulier chez Ovide qui
n'offre que quelques exemples de pénates dans les Amores et les
Tristes. En revanche, chez d'autres auteurs, cette opposition s'explique par
le contenu des œuvres, par les sujets abordés, plutôt que par une
différence de ton entre les œuvres; c'est ainsi que Cicéron emploie
fréquemment pénates dans ses discours, très rarement dans ses œuvres
philosophiques, Sénèque fréquemment dans ses tragédies, jamais dans ses
ouvrages philosophiques.
Dans le corpus des citations du mot pénates sur lequel repose notre
étude, ce dernier, nous l'avons déjà vu, est employé tantôt au sens
propre de «dieux du penus y>, tantôt dans un sens métonymique, soit que
pénates désigne à la fois les dieux du penus et une autre entité, la
maison ou la patrie par exemple, soit que pénates désigne uniquement une
entité différente de celle des «dieux du penus», auquel cas il y a
métonymie complète.
Dans notre corpus, pénates est utilisé au sens de «dieux du penus»
74 fois, c'est-à-dire une fois sur trois environ. Nous pouvons donc déjà
constater que l'acception du mot dans son sens propre n'est pas la plus
courante. Employé en ce sens, pénates désigne les dieux de la maison,
du foyer. Parmi les très nombreux exemples que nous pourrions citer,
nous en avons choisi un de Catulle qui nous a semblé significatif :
Venistine domum ad tuos pénates
Fratresques unanimos anumque matrem?11.
11 Catulle, 9, 3-4 : «Es-tu de retour auprès de tes pénates, de tes frères si unis et de ta
vieille mère?» (Trad. G. Lafaye, C.U.F., Paris, 1932).
40 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
A notre avis, pénates représente ici les dieux du penus, mais aussi la
maison tout entière. On pourrait évidemment objecter à cette
interprétation que domus est employé dans le vers suivant, et qu'il faut y voir
une opposition de sens entre domus et pénates. Nous pensons qu'il
s'agit plutôt d'une alternance destinée à éviter la répétition, et que les
deux termes sont presque synonymes, à cette nuance près que le
premier désigne, en plus de la maison à proprement parler, les dieux
domestiques.
Dans d'autres cas, pénates désigne, outre les dieux du foyer, la
patrie. C'est ainsi qu'on peut lire chez Cicéron : Exterminabit dues
12 Hist. Ill, 84, 3 : « pour le soldat, le véritable honneur était dans le camp ; là était sa
patrie, là étaient ses pénates» (Trad. H. Goelzer, C.U.F., Paris, 1921).
13 Met. VII, 575-6 : « Ils se roulent sur la terre ; chacun prit ses pénates, chacun
regarde sa demeure comme un séjour funeste» (trad. G. Lafaye, C.U.F., Paris, 1928).
L'USAGE DU MOT PENATES DANS LA LITTÉRATURE CLASSIQUE 41
Il est tout à fait possible d'interpréter ici pénates comme «les dieux
du foyer». En effet, les associations de dieux (socii) sont connues par
ailleurs, et il est assez naturel de considérer qu'à l'occasion d'un
mariage, les dieux des deux familles se trouvent associés16. Mais il n'est pas
douteux non plus qu'il faille donner au mot pénates un sens plus large
et qu'il désigne non seulement les dieux particuliers de la famille
d'Enée et de celle de Lycurgue, mais aussi, par extension, ces deux
familles elles-mêmes, le terme de socii s'appliquant parfois à la relation
conjugale17 et se justifiant tout particulièrement ici, à propos d'une
alliance politique entre deux grandes familles.
A côté de ces quelques exemples d'une métonymie partielle, nous
en trouvons de nombreux de métonymie totale, où pénates ne semble
plus désigner du tout les dieux du penus. Au sens métonymique, pénates
représente presque toujours la maison, comme on le voit chez Lucain,
évoquant l'austérité de Caton :
14 Sest., 30: «Un consul pourra-t-il bannir par un édit les citoyens romains loin de
leurs Pénates?» (trad. J. Cousin, C.U.F., Paris, 1965).
15 En. III, 15-16 : «nation liée à Troie depuis toujours, pénates alliés des nôtres tant
que notre fortune dura» (trad. J. Perret, C.U.F., Paris, 1977).
16 Pourtant, les divinités invoquées lors des cérémonies du mariage semblent plutôt
être celles qui ont pour fonction spécifique de protéger ce lien : cf. G. Dumézil, La
religion romaine archaïque, 2è éd., Paris, 1974, p. 603-604; id., Mariages indo-européens, Paris,
1979, p. 17 sq.; D. P. Harmon, The Family Festivals of Rome, A.N.R.W. II, Berlin-New-
York, 1978, p. 1598-1600.
17 Ovide, Mei. XIV, 678 : tori socium.
42 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
. . . magnique pénates
summouisse hiemem tectols.
18 Π, 384-5: «De grands pénates, un toit suffisant pour écarter l'orage» (trad.
A. Bourgery, ibid.). Magni pénates est peut-être à rapprocher de l'expression de Virgile
Penatibus et Magnis Dis (En. III, 12; VIII, 679).
19 Hist. I, 51,7 : «Le soldat se repaît l'imagination d'assaut donné aux villes, de
territoires ravagés, de maisons pillées (trad. H. Goelzer, ibid).
20 Phéniciennes, 503-4 : «transfuge de la patrie, abrité par les pénates d'un roi
étranger» (trad. L. Hermann, C.U.F., Paris 1924).
21 Sénèque, Phèdre, 89-91 : «Pourquoi m'ayant livrée en otage à un foyer qui m'est
odieux et m'ayant mariée à mon ennemi, me forces-tu à passer ma vie dans l'infortune et
dans les larmes ? » (trad. L. Hermann, ibid.).
22 Odes III, 14, 3-4: «César, de l'extrême Espagne, regagne victorieux, ses pénates»
(trad. F. Villeneuve C.U.F. Paris 1917).
L'USAGE DU MOT PENATES DANS LA LITTÉRATURE CLASSIQUE 43
23 On trouve chez Stace (Silves III, 5, 12-13) un exemple tout à fait analogue où
pénates évoque la terre natale du poète.
24 Ann. XIV, 61, 3-4: «Serait-ce parce qu'elle va donner une descendance légitime
aux pénates des Césars?» (trad. P. Wuilleumier, C.U.F., Paris, 1978).
25 D. P. Harmon, op. cit., p. 1596-1598.
26 En. III, 603-604. Je sais que je fus homme de la flotte des Grecs, j'avoue que j'ai
porté la guerre contre les Pénates d'Ilion» (trad. J. Perret, ibid.).
27 Ann. Ill, 34, 3: «On faisait aux femmes un petit nombre de concessions, qui,
n'étant pas même à charge pour le foyer de leurs époux, ne l'étaient assurément pas pour
les alliés» (trad. P. Wuilleumier, C.U.F., Paris, 1974).
44 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
son». Il est vrai, et l'exemple de Catulle que nous avons cité le montre
assez clairement, que le passage du sens propre à la métonymie est
parfois subtil. Il nous a semblé aussi que ce jeu sur le sens du mot n'a pas
toujours existé : pénates n'est jamais employé au sens
semi-métonymique ou métonymique chez les auteurs les plus anciens, Naevius, Plaute,
Terence, Cassius Hemina; les premiers emplois métonymiques se
trouvent au Ier siècle, peut-être déjà chez Catulle, à coup sûr chez Cicéron,
après qui la métonymie est systématiquement présente.
28 Cat. IV, 18 : «c'est à nous qu'elle (la patrie) confie les autels des Pénates et le feu
de Vesta qui brûle éternellement» (trad. H. Bornecque et E. Bailly, C.U.F., Paris, 1961).
L'USAGE DU MOT PENATES DANS LA LITTÉRATURE CLASSIQUE 45
Les Pénates sont associés ici avec les Grands Dieux, les deux noms
étant coordonnés par et. Le rapprochement entre ces deux groupes de
divinités est l'écho d'une tradition qui va même parfois, comme chez
Cassius Hemina et Servius, jusqu'à l'assimilation entre Pénates et
Grands Dieux31. On trouve une expression analogue dans un autre
passage de Y Enéide :
Hinc Augustus agens halos in proelia Caesar
cum patribus populoque, penatibus et magnis dis32.
29 Tacite, Ann. XV, 41, 1 : «Le temple de Jupiter Stator, voué par Romulus, le palais
royal de Numa et le sanctuaire de Vesta, avec les Pénates du peuple romain, furent
consumés» (trad. P. Wuilleumier, ibid.).
30 En. III, 11-12: «Exilé, je mets le cap sur le grand large avec mes compagnons,
mon fils, les Pénates et les Grands Dieux» (trad. J. Perret, ibid.); Cf. R. Schilling Penatibus
et Magnis Dis (Virgile, Enéide III, 13 et VIII, 679), Mise. E. Manni, VI, Rome 1980, p. 1963-
78.
31 Ce point très délicat sera repris ci-dessous, p. 285-92 ; 430-9.
32 VIII, 678-79 : «D'un côté Auguste César conduisant au combat les Italiens avec les
Pères et le peuple, les Pénates et les Grands Dieux» (trad. J. Perret, C.U.F., Paris, 1978).
33 Sest., 45.
46 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
du foyer, donc proches par le lieu de leur culte, et qu'en outre les deux
groupes de divinités présentent d'autres traits communs, notamment
d'être des ensembles au sein desquels ne se dégage aucune
individualité. De ce rapprochement, on trouve un exemple chez Cicéron : Ista tua
pulchra Liberias deos Penates et familiäres meos Lares expulit, ut se ipse
tamquam in captivis sedibus collocar et?34. Il existe, à côté de ce texte,
beaucoup d'autres exemples de ce voisinage des Lares et Pénates35.
Les Pénates du culte public, comme ceux du culte privé, sont
parfois associés à des divinités dont les affinités avec eux sont moins
évidentes. Ce sont, pour le culte public, Jupiter et Quirinus :
Mox ait : «O magnae qui moenia prospicis urbis
Tarpeia de rupe, Tonans, Phrygiique pénates
gentis Iuliae et rapii secreta Quirini. . .36.
34 Dont., 108 : «Ta belle liberté (= de Clodius) a-t-elle pu chasser mes dieux pénates
et mes lares domestiques, pour prendre place elle-même en terrain conquis?» (trad.
P. Wuilleumier, C.U.F., Paris, 1952).
35 Cf. notamment Lucain, VII, 397; Plaute, Mere, 834; Liv., I, 29, 4; Virgile, En. VIII,
543.
36 Lucain, I, 196-198 : «Bientôt il dit : «O toi qui regardes les murailles de la grande
ville du haut de la roche tarpéienne, Dieu du Tonnerre, pénates phrygiens de la famille
Julia, enlèvement mystérieux de Quirinus » (trad. A. Bourgery, ibid.).
37 Voir infra p. 210; 217; cf. P. Wuilleumier-H. Le Bonniec, M. Annaeus Lucanus, Bel-
lum Ciuile I (éd. comm., Coll. Erasme), Paris, 1962, p. 46.
L'USAGE DU MOT PENATES DANS LA LITTÉRATURE CLASSIQUE 47
Il s'agit ici d'un serment dans lequel la dextra est invoquée comme
le symbole de la valeur religieuse inébranlable du serment; Genius,
dextra et Penates ont en commun d'être ce que l'interlocuteur possède
de plus personnel et de plus précieux.
Nous avons rencontré dans notre corpus des citations où pénates
était associé à des mots du vocabulaire religieux qui ne sont pas des
noms de dieux : ce sont, notamment, sacra et ara. De la première
association, nous avons un exemple chez Naevius, dans le premier emploi
connu de Pénates :
38 Ep. I, 7, 94-95 : « Aussi, par ton Génie, par ta main droite, par tes Dieux Pénates, je
t'en prie, je t'en supplie, rends-moi à ma première existence» (trad. F. Villeneuve, C.U.F.,
Paris, 1964); pour la valeur du Genius, voir G. Dumézil, op. cit., p. 362-69.
39 Cf. C. Goudineau, ΊΕΡΑΙ ΤΡΑΠΕΖΑΙ, MEFR, 79, 1967, p. 77.
40 Nevio epico, ibid. ; c'est cette construction que nous préférons. Cf. ci-dessous,
p. 85.
48 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
Le terme de sacra est ici assez imprécis et, comme dans l'exemple
de Naevius, la relation entre ce terme et les Pénates semble presque
une assimilation, au moins partielle, puisque les Pénates font partie des
objets sacrés emportés de Troie par Enée.
On rencontre enfin, chez Cicéron, deux exemples de ara associé à
pénates*1 : les arae en question sont celles de son culte personnel et
privé et il n'est pas surprenant qu'il les associe à ses Pénates.
Mais le mot pénates n'est pas toujours environné de mots
appartenant au vocabulaire strictement religieux. Il arrive qu'il soit associé à
des mots qui, sans avoir un sens technique religieux, ont pourtant, par
leurs connotations, certains rapports avec les valeurs religieuses. Ce
sont, en particulier, les noms de parenté, qui figurent assez souvent à
côté de pénates. Par exemple, dans le texte de Catulle précédemment
cité :
Penates est mis sur le même plan que fratres et mater. L'ensemble
de ces mots a une valeur sentimentale, est destiné à émouvoir : les
Pénates représentent la maison dans ce qu'elle a de plus attachant, et
l'attendrissement suscité par l'évocation des frères et de la mère est
fortement souligné par les mots unanimos et anum44. Mais le
rapprochement de pénates avec fratres et mater suggère en outre que l'on peut
être attaché à ses Pénates au même titre qu'à des membres de sa
famil e, que les Pénates, en quelque sorte, font partie du cercle de famille
dans ce qu'il a de plus émouvant. Nous trouvons une association tout à
fait analogue chez Virgile, lorsqu'Enée dit :
41 En. II, 294. «Troie te confie ses choses saintes et ses Pénates», (trad. J.Perret,
ibid.); malgré la traduction de J. Perret, nous ne pensons pas qu'il faille distinguer
radicalement les sacra et les Pénates. Cf. ci-dessous, p. 183; 193-4.
42 Dom., 109; Sest., 145.
43 9, 3-4.
44 Voir E. Ellis, A Commentary on Catullus, Oxford, 1876, p. 22-23; A. Baehrens,
Catullus (éd. revue par K. P. Schulze), Leipzig, 1893, p. 112.
L'USAGE DU MOT PENATES DANS LA LITTÉRATURE CLASSIQUE 49
Des noms propres figurent ici à côté des noms de parenté, ou les
remplacent, mais l'effet est le même : ils représentent ce qu'Enée a de
plus cher au monde. Dans ces deux exemples, étant donné le caractère
sacré des liens de famille, on ne peut pas dire qu'il y ait hétérogénéité
entre pénates et les mots qui l'environnent.
Il en va de même pour le mot focus, qui se trouve à plusieurs
reprises dans nos textes, associé à pénates, par exemple dans Cicéron :
Nudum eicit domo atque focis patriis diisque penatibus praecipitem,
judices, exturbat46. Le focus, c'est évidemment le feu qui sert à cuire les
aliments et le mot a alors un sens profane, mais c'est aussi le foyer
autour duquel ont lieu les sacrifices de la religion domestique, et,
comme en français, il a une valeur affective.
Enfin, on trouve des exemples où pénates est associé à des mots qui
n'ont pas de valeur religieuse. Ce sont, en gros, ceux qui signifient
«maison», «cité», ou «territoire». Nous les avons classés dans cet ordre,
en allant de ceux qui sont le plus près de la réalité matérielle des
Pénates (ceux qui signifient «maison») à ceux qui en sont le plus éloignés.
En effet, pénates est très fréquemment associé à domus ou, dans
quelques cas, à tectum47 pris métonymiquement au sens de «maison».
Ainsi, on lit chez Cicéron : Cum domum ac deos pénates suos ilio
oppugnante defenderet48. Cette association s'explique par deux raisons. Tout
d'abord, il n'est pas surprenant que domus et pénates soient
rapprochés, puisque les Pénates se trouvent à l'intérieur de la maison et sont
une sorte de symbole de la vie domestique. Mais de plus, il y a, là aussi,
une valeur sentimentale donnée à chacun des deux mots : la domus et
les pénates représentent ce que Milon a de plus cher. On trouve chez
Ovide une variante intéressante de domus, qui est torus :
45 En. II, 747-48 : «Ascagne, mon père Anchise, les Pénates troyens, je les confie à
mes compagnons » (trad. J. Perret, ibid.).
46 Rose. Amer., 23 : «il le jette nu hors de sa maison, il l'expulse, il le bannit, juges,
loin des foyers de ses ancêtres, loin de ses dieux pénates» (trad. H. de la Ville de Mir-
mont, C.U.F., Paris, 1921).
47 Par exemple, Liv., I, 29, 4.
48 Mil., 38 : « quand il défendait sa maison et ses pénates contre les attaques de Clo-
dius» (trad. A. Boulanger, C.U.F., Paris, 1967).
50 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
Domus est ici remplacé par torus, qui évoque les relations
amoureuses de Corinne et du poète; cette substitution va tout à fait dans le
sens de l'analyse que nous avons faite précédemment à propos de
l'association de domus et de pénates : en effet, le torus et les pénates sont
symboliques de la vie commune d'Ovide et de Corinne, et représentent
donc ce à quoi le poète tient le plus.
Penates est parfois associé à des mots signifiant «cité», urbs ou
civitas, comme chez Tite-Live50: Si ... consensus aliqui patrum, non
Gallicum bellum, nos ab urbe, a penatibus nostris ablegatos tenet. Le
rapprochement de pénates et de urbe s'explique parce que Yurbs est
constituée par les maisons qui renferment les Pénates de chacun, mais
on peut aussi considérer que penatibus nostris désigne, outre les
Pénates particuliers, les Pénates de l'Etat, et l'association est alors "des plus
naturelles.
Il arrive également que Penates soit environné de mots désignant
«la terre», «le territoire», comme tellus, arua, agri, rura. Par exemple,
on lit chez Tacite : delegata domus et penatium et agrorum cura feminis
senibusque et infirmissimo cuique ex familia51. Penatium s'oppose ici à
agrorum, comme l'intérieur de la maison a tout le domaine qui
appartient au maître de maison, et penatium représente la vie domestique
dans ce qu'elle a d'intime, alors qu agrorum renvoie aux activités
extérieures.
Enfin, aussi souvent qu'à des mots signifiant «la maison», pénates
est associé à des mots désignant « la patrie » : ce sont patria, patria terra,
solum patrium. Nous lisons par exemple chez Cicéron : Si in patriam, si
ad deos pénates redire properaret52. Certes, la patrie est le lieu où se
trouvent les dieux pénates de chacun, mais l'association des deux mots
49 Am. II, 11, 7-8 : «Voici que, fuyant le lit connu et nos pénates communs, Corinne
va s'engager sur ces chemins dangereux» (trad. H. Bornecque, C.U.F., 1930).
50 VII, 13, 8 : «Si c'est quelque entente des sénateurs et non la guerre gauloise qui
nous tient éloignés de la ville et de nos pénates» (trad. R. Bloch, C.U.F., Paris, 1968).
51 Germ., 15, 1 : «le soin de la maison, des pénates et des champs abandonné aux
femmes, aux vieillards, aux plus faibles de la famille» (trad. J. Perret, C.U.F., Paris,
1949).
52 Prov. Cons. 35 : «s'il avait hâte de retrouver sa patrie et ses pénates» (trad. J.
Cousin, C.U. F., Paris, 1962); cf. aussi Cicéron, Sest., 145; Salluste, Hist. 2, 47, 3; 2, 47, 4;
Tacite, Hist. Ill, 84, 3, etc.
L'USAGE DU MOT PENATES DANS LA LITTÉRATURE CLASSIQUE 51
Atrée fait probablement brûler les corps de ses neveux sur le foyer
familial, près des effigies des Pénates. De même, les statuettes
représentant les Pénates sont assez souvent mentionnées, par exemple chez
Suétone : ultimo templis compluribus dona detraxit simulacraque ex
53 Oed., 708 : «Elle environne les pénates eux-mêmes de ses affreuses vapeurs» (trad.
L. Hermann, ibid.).
52 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
54 Nér., 32 : «en dernier lieu il dépouille une foule de temples des dons qu'ils avaient
reçus et fit fondre les statuettes d'or et d'argent, entre autres celles des dieux pénates, qui
plus tard furent rétablis par Galba» (trad. H. Ailloud, C.U.F., Paris, 1961).
55 Ann. XIV, 61, 3-4.
56 XXI, 63, 10 : «sans doute il est plus conforme à la majesté de son commandement
d'entrer en charge à Ariminum qu'à Rome et de prendre la robe prétexte dans un hôtel
qu'auprès de ses pénates » (trad. E. Lasserre).
57 XXX, 14, 2 et 3 : «cette hâte si téméraire que, le jour même où il avait vu cette
ennemie prisonnière, il l'avait unie à lui par le mariage, en accomplissant devant les
pénates de son ennemi le sacrifice nuptial (trad. E. Lasserre); voir supra p. 41.
58 Ann. V, 1, 3.
L'USAGE DU MOT PENATES DANS LA LITTÉRATURE CLASSIQUE 53
59 Odes III, 23, 17-20: «si une main qui n'a rien à expier a touché l'autel, elle a pu,
sans qu'une victime somptueuse l'eût rendue plus agréable, apaiser les Pénates hostiles
avec un froment pieux et un grain de sel pétillant» (trad. F.Villeneuve, C.U.F., Paris,
1927).
60 Liv., I, 48, 7: «souillée elle-même par les éclaboussures, elle revient au foyer
conjugal» (trad. G. Baillet, C.U.F., Paris, 1958).
61 J. Heurgon, Tite-Live I (éd. comm.), Coll. Erasme, Paris, 1970, p. 162.
62 2, 57 : «ils déclarent qu'on ne doit pas les déposséder, les arracher à leur antique
résidence et à leurs dieux pénates» (trad. A. Boulanger, C.U.F., Paris, 1932).
54 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
72 VI, 14, 7.
73 J. Bayet {Tite-Live, Histoire Romaine VI, C.U.F., Paris, 1966, p. 25) traduit pénates
par «foyer».
74 Par ex., Rose. Am., 23, pour le sens propre; Sest. 30, pour le sens métonymique.
56 ETYMOLOGIE ET USAGE DU MOT
Nous avons vu que l'on pouvait définir les Pénates comme «les
dieux du penus», ou, plus exactement «ceux du penus». Cette définition
implique l'existence d'un penus de la maison privée dans la religion
domestique, ou, dans la religion publique, du penus de l'Etat, le Penus
Vestae. Les témoignages antiques indiquent clairement l'existence de
deux catégories de Pénates : d'une part, il existe des Penates priuati,
mentionnés sous cette forme dans de nombreux textes, et nettement
définis comme tels par Tertullien1, en association avec les Lares:
priuatos enim deos, quos lares et pénates domestica consecratione perhi-
hetis; d'autre part, les textes littéraires et les inscriptions attestent
l'existence de Penates populi Romani, honorés par les Romains à Lavi-
nium, l'une des cités-mères de Rome, et aussi, selon le témoignage de
Tacite, dans le sanctuaire de Vesta2, où était ménagée une partie
secrète désignée comme Penus Vestae. L'existence de ces deux
catégories de Penates n'est pas pour nous surprendre, dans la mesure où il
s'agit de dieux domestiques, honorés au foyer, et où il y a un
parallélisme évident entre le culte du foyer privé et celui du foyer de l'Etat, le
maître et la maîtresse de maison jouant un rôle comparable à celui des
prêtres et prêtresses de l'Etat; cette correspondance a été soulignée
notamment par Wissowa3.
Mais remarquer cette correspondance n'est pas aborder le
problème le plus difficile, celui d'un éventuel rapport chronologique, d'une
relation de filiation, entre le culte des Penates priuati et celui des
Penates publici. Sur ce point, deux théories s'opposent. Pour D. G. Orr, le
culte public des Pénates a existé dès les origines de Rome et a peut-être
précédé celui des Pénates privés : «II est possible que le culte domesti-
4 Roman Domestic Religion, A.N.R.W., II, 16, 2, Berlin-New- York, 1978, p. 1559.
5 La religion romaine archaïque, p. 359.
6 Cicéron {De Nat. Deor. II, 68) écrit : nec longe absunt ab hac ui (= Vesta) di
Penates; selon le témoignage de Tacite (Ann. XV, 41), les Pénates étaient honorés à Rome dans
le sanctuaire de Vesta : cf. infra p. 467-70.
7 Macrobe, III, 14, 41; Servius, Ad Aen. II, 296; pour l'étude du sacrifice des
magistrats romains à Vesta et aux Pénates, voir infra p. 355-61.
8 Römische Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 90.
9 Ibid.
10 Etude politique et psychologique de la religion romaine, Paris, 1957, p. 62.
11 S. Weinstock, R.E. XIX, 1, s.u. Penates, col. 441; F. Coarelli, // Foro Romano I:
Periodo arcaico, Rome, 1983, p. 70-71; cf. infra p. 519.
INTRODUCTION 61
I - La localisation du culte
3 Cf. G. Radke, Die dei pénates und Vesta in Rom, A.N. R.W. , II, 17, I, Berlin-New-
York, 1981, p. 253-255.
4 De Nat. Deor. II, 68 : di Penates, siue a penu ducto nomine. . . siue ab eo quod
penitus insident.
5 ,4c? Aen. II, 484; voir supra p. 24 η. 58.
LES RÉALITÉS DU CULTE DES PÉNATES PRIVÉS 65
6 R. C. Carrington, Notes on the building materials of Pompeii, JRS, 23, 1933, p. 125-
152; E. La Rocca-M, et A. de Vos, Guida archeologica di Pompei, Milan, 1976, p. 13 et 31.
7 G. K. Boyce, ibid.; A. Maiuri, L'ultima fase edilizia di Pompei, Rome, 1942; pour
une bibliographie plus complète, cf. Guida archeologica di Pompei, p. 349-354.
8 Les Pénates et l'ancienne religion romaine, REA, 54, 1952, p. 112.
9 Op. cit., p. 18: VI, 1, 1; VI, 15, 18; VII, 2, 20; IX, 8, 3 et 6; IX, 9, 6; Villa des
Colonnes de mosaïque.
10 VI, 15, 18 et VII, 2, 20.
11 VI, 1, 1.
12 VI, 1, 1 et IX, 9, 6.
13 G. K. Boyce, op. cit., pi. 41.
66 LES PÉNATES PRIVÉS
14 ix, 9, 6.
15 G. K. Boyce, op. cit., p. 91 ; cette hypothèse est reprise de A. Mau, Pompeji in Leben
und Kunst, 2e éd., Leipzig, 1908.
16 Par exemple I, 2, 6; I, 2, 19; I, 3, 8; V, 1, 18; V, 2, 3; VI, 1, 10; VII, 3, 11-12 etc. . .;
sur les 505 exemples de Pompéi étudies par G. K. Boyce, la chapelle des dieux
domestiques se trouve dans la cuisine 90 fois, et plusieurs fois dans une petite pièce contigue à
cette dernière; en outre, il faut tenir compte de ce que cet ensemble comporte de
nombreuses tabernae et cauponae où il n'y a pas toujours de «laraires».
17 Wandgemälde der vom Vesuv verschütteten Städte Campaniens, Leipzig, 1868.
18 Ad Aen. II, 469.
19 VII, 27, 5-6: «Que mes pénates s'engraissent joyeusement à la vapeur de son
fumet et qu'on déboise une hauteur pour le feu de ma cuisine en fête» (trad. H.-J. Izaac,
C.U.F., Paris, 1930).
20 Mais la fumée aura aussi pour effet de déposer de la graisse sur les images des
dieux (pinguescant est à prendre au sens métaphorique et au sens propre).
LES RÉALITÉS DU CULTE DES PÉNATES PRIVÉS 67
de ces dieux: cum focus ara sit deorum penatium21. Cette explication
permet d'éclairer une expression de Virgile, dans la description du
palais de Didon : l'une des tâches des cinquante servantes est de flam-
mis adolere penatis22; les parfums sont brûlés dans le foyer, où sont
vénérés les «Pénates» de la reine, selon l'interprétation d'A. Belles-
sort23; J. Perret va plus loin : il voit dans l'emploi de Penatis une
métonymie pour culina, «et l'expression signifierait embraser la cuisine de
flammes, faire grand feu dans la cuisine»24. Du reste, nous avons vu
que pénates était souvent employé métonymiquement pour focus25.
Dans le vers qui précède immédiatement ceux que nous avons cités,
Martial dit du sanglier : iacet. . . nostris focis, où il ne nous semble pas
qu'il faille voir dans focis une métonymie; l'animal, tué, va être cuit
dans le foyer.
La cuisine n'est cependant pas la seule pièce où l'on trouve des
représentations des Pénates dans les maisons de Pompéi; il existe pour
leur image, ou l'autel de leur culte, une grande variété
d'emplacements : l'atrium26, le péristyle ou le pseudo-péristyle27 un mur bordant
le jardin28 ou, beaucoup plus rarement, les fauces29, ou encore une
petite pièce, ou un recoin, attenant au tablinum30, peut-être une fois le
tablinum lui-même, mais l'identification de la base de maçonnerie
comme les restes d'un laraire n'est pas certaine31; peut-être faut-il voir une
cella penaria dans une petite pièce très étroite, voisine du triclinium,
dans une maison de Pompéi32 : la présence d'étagères, taillées dans le
33 ix, 2, 16.
34 VIII, 3, 14 C; la distinction entre cubiculum et sacellum donne parfois matière à
controverses ; à ce sujet, cf. G. K. Boyce, op. cit., p. 75 n. 2.
35 I, 3, 27; V, 3, 8; V, 4, 1, etc. ..
36 Sat., XXIX.
37 Voir E. Paratore, // Satyricon di Petronio II (Commento), Florence, 1933, p. 94-95.
LES RÉALITÉS DU CULTE DES PÉNATES PRIVÉS 69
II nous semble que cet état de choses est le résultat d'une double
évolution : de l'architecture de la maison privée d'une part, de la conception
des Pénates, d'autre part.
Dans l'une des plus anciennes maisons de Pompéi, la «Maison du
Chirurgien»38, datant du IVe siècle, les pièces constituent un seul corps
de bâtiments s'organisant autour de l'atrium, et le laraire des dieux
domestiques est dans la cuisine; c'est une peinture présentant deux
zones : dans la zone inférieure se trouvent deux serpents affrontés
symétriquement à un autel; dans la zone supérieure, le Genius versant
une libation sur un autel, à la droite duquel se tient un camillus; deux
figures indistinctes encadrent ce groupe central, mais on peut penser
avec quelque vraisemblance, étant donné la similitude avec
l'iconographie d'autres laraires, qu'il s'agit des Lares; au-dessus encore sont
représentés deux autres figures indistinctes : sans doute, croyons-nous,
les Pénates39. Servius, nous l'avons vu, considère la cuisine comme la
«pièce des Pénates». Dans la cabane primitive, constituée d'une unique
pièce, les Pénates ne pouvaient être honorés que dans cette dernière, si
l'on refuse toutefois l'hypothèse proposée par F. Borner d'une réserve
aux provisions distincte de la maison, dont les Pénates auraient été les
dieux. De toute façon, à supposer même que le penus de la maison
primitive ait été séparé du reste de l'espace domestique par des cloisons
d'osier tressé, comme le Penus de YAedes Vestae, les dieux du penus
n'en auraient pas moins été vénérés dans la pièce unique. Mais, à partir
du moment où la maison comporte plusieurs pièces à destination
spécialisée, s'organisant autour de l'atrium, il faut expliquer que ce soit,
plus volontiers qu'ailleurs, dans la cuisine qu'on les ait honorés40. Leur
présence dans la cella penaria n'est attestée que dans un cas, peut-être
deux : cette pièce, petite, aveugle, au total plutôt ingrate, convenait sans
doute assez mal à l'importance qu'ont prise les Pénates. En revanche,
la localisation de leur culte dans la cuisine de préférence s'explique
sans doute par l'évolution du sens du mot penus. En effet, à partir du
moment (difficile à dater précisément, mais la définition de Cicéron, est
38 VI, 1, 10; cf. E. La Rocca-M. et A. de Voos, op. cit., p. 327; G. K. Boyce, op. cit.,
p. 43, n°135.
39 Cf. G. K. Boyce, ibid.
40 Selon D. G. Orr {op. cit., p. 1563), les Pénates étaient primitivement honorés dans
le penus, réserve aux provisions située derrière le foyer, au fond de l'atrium, et, dans le
temple de Vesta, le penus a dû servir à la fois de réserve pour les ingrédients du sacrifice
et de cuisine où on les apprêtait.
70 LES PÉNATES PRIVÉS
68 Cf. M. Floriani Squarciapino, s.u. Lares, Enciclopedia dell'Arte antica, IV, p. 482-
485.
69 C. L. Visconti, Del larario e del mitreo scoperti nell'Esquilino presso la Chiesa di
S. Martino ai Monti, BCAR 13, 1885, p. 27-38; F. Coarelli, Roma (Guide archeologiche
Laterza) Rome, 1980, p. 213.
70 Op. cit., p. 29.
71 C. L. Visconti, op. cit., p. 28; F. Coarelli, op. cit., p. 356.
72 // culto privato di Roma antica, Milan, 1896, p. 104.
76 LES PÉNATES PRIVÉS
1) Peintures et statuettes
représentés sous les deux formes, comme c'est le cas des Lares dans la
«Maison des Murs Rouges»80 où les Lares sont peints sur le mur du
fond de Yaedicula, et présents sur le devant de cette dernière, sous
forme de statuettes, et beaucoup plus petits. Pourtant, Lares et Genius -
surtout sous la forme d'un ou deux serpents - sont la plupart du temps
peints81.
Il en va de même pour les Pénates, représentés peints dans 60
laraires, et dont il n'existe que 27 exemples de statuettes trouvées,
seules ou en groupes, dans des niches ou aediculae, 29 hors des chapelles
domestiques. Sauf dans un cas82 où une peinture murale représente les
Pénates, tandis que l'on a retrouvé des statuettes des Lares, c'est
généralement l'inverse qui se produit; ce fait peut du reste s'expliquer en
partie de la façon suivante : les Lares ont une identité plus strictement
définie que les Pénates, et leur nombre ne dépasse jamais deux; au
contraire, il était possible au maître de maison, à l'occasion de telle ou
telle circonstance, d'ajouter une nouvelle divinité au nombre de ses
Pénates, groupe de divinités à la définition plus vague, donc plus
accueillant; l'ajout d'une statuette sur le devant de la chapelle
domestique était alors particulièrement facile. Néanmoins, sur un ensemble de
505 laraires, G. K. Boyce a relevé 60 exemples de Pénates peints, 27 de
statues des Pénates; 87 laraires seulement comportaient donc des
images de nos dieux, et, même si l'on admet que les statuettes trouvées en
dehors des petits édifices de culte appartenaient en fait à certains
d'entre eux, on n'arrive qu'à un total de 116 chapelles domestiques ayant
comporté des représentations des Pénates; dans certaines des autres, la
décoration murale est complètement effacée, mais ni cela, ni la
disparition probable de statuettes ne nous semblent suffire pour affirmer que
toutes les chapelles de Pompéi ont contenu des images des Pénates.
Inversement, il est des laraires où les Pénates sont représentés peints,
sans être accompagnés d'autres divinités domestiques83; mais le plus
souvent (41 exemples), ils sont accompagnés des Lares et du Genius (21
exemples), du Genius seul (16 exemples), et, dans un seul cas, d'un Lare
unique : encore son identification est-elle douteuse84.
85 Sai., XIX; cf. J. Champeaux, Fortuna. Recherches sur le culte de la Fortune à Rome
et dans le monde romain, Coll. de École Française de Rome, 64, Rome, 1982, p. XXII-
XXIII.
80 LES PÉNATES PRIVÉS
important joué, parmi les Pénates, par deux divinités locales, Vénus
Pompeiana et Sarnus; cela doit nous inciter à la prudence, en nous
empêchant de généraliser à l'Italie, et même d'appliquer à Rome, les
conclusions que l'on peut tirer des représentations des Pénates dans la
cité campanienne. Mais ils sont aussi limités dans le temps, et il est
clair que les laraires où les figures des Pénates sont aisément recon-
naissables privilégient une période qui va du Ier siècle avant J.-C. à 79
ap. J.-C. Exemple significatif, la «Maison du Chirurgien», dont les
peintures du laraire ne nous sont plus connues que par un relevé de Piranè-
se102, nous montre, à côté du Genius et des Lares, deux figures de
divinités impossibles à identifier. Aussi notre documentation reste-t-elle, en
définitive, très lacunaire, même dans un ensemble aussi bien conservé
que Pompéi; pour ne rien dire de l'époque archaïque, la religion privée
des IV-IIe siècles nous est extrêmement mal connue.
Nous avons vu que le lien entre les Pénates et le foyer était si fort
que Servius allait jusqu'à voir en ce dernier l'autel propre de nos
dieux103: en effet, attachés qu'ils sont à la partie la plus intime de la
maison, ils demeurent liés au centre même de la vie domestique, le
foyer, lui-même compris comme étant à la fois essentiel à la vie
matérielle de la maisonnée - on y prépare les repas -, et primordial dans la
vie religieuse domestique - on y entretient le culte des dieux
protecteurs de la maison. Nous avons d'ailleurs noté, en étudiant l'usage du
mot Penates combien, en dehors même de tout contexte religieux, il
était fréquemment cité à côté de focus, voire employé métonymique-
ment à sa place.
Cependant, si le foyer est l'autel des Pénates, il arrive souvent, dans
les laraires de Pompéi, que soit représenté un autel peint, parmi les
figures des dieux domestiques : un type iconographique
particulièrement bien attesté est une peinture représentant un autel orné de
feuillages, encadré par deux serpents104; mais on trouve de nombreuses
102 Antiquités de la Grande-Grèce, Pompeia I, pi. 20-21 (cité par G. K. Boyce, op. cit.,
p. 43).
103 Ad Aen XI, 211 : Cum focus ara sit deorum penatium.
104 G. K. Boyce, op. cit., pi. 9 fig. 1 et 2; pi. 16, fig. 1 ; pi. 24 fig. 1, etc. . .
84 LES PÉNATES PRIVÉS
variantes: serpent près de l'autel105 dont les anneaux sont aussi hauts
que ce dernier, ou enroulé autour de l'autel106, ces deux derniers types
étant du reste parfois réunis107; il n'est pas rare non plus que l'autel
soit représenté deux fois, soit sur le même plan108 soit dans deux plans
différents du laraire, une fois sur la bande supérieure, une fois sur la
bande inférieure109. Ces autels ne sont pas toujours dans la niche; ils
sont parfois aussi placés en-dessous d'elle. Dans certains laraires, on a
un autel de maçonnerie, soit placé directement dans la niche110, soit en-
dessous d'elle, accompagné d'un serpent peint111; ces autels véritables
se trouvent de préférence dans les sacraria, pièces sans doute
uniquement consacrées au culte des dieux domestiques112. On peut donc
supposer que ces autels peints ne peuvent être qu'une projection de ce
culte, ou, plus exactement, la transposition, dans le monde de la
religion domestique, des usages de la religion publique, où de grands
sacrifices s'accomplissaient sur des autels placés devant le temple des. dieux.
C'est ainsi que, dans une peinture murale placée sur un mur de cuisine,
on peut voir deux zones nettement séparées dans le sens de la
hauteur113 : en bas, deux serpents sont affrontés de chaque côté d'un autel
sur lequel sont posés des œufs et des fruits; en haut, deux Lares
encadrent une scène centrale, où les personnages s'ordonnent autour d'un
axe de symétrie constitué par un second autel, décoré de feuillages : à
gauche, un tibicen dont le pied est posé sur un scabellum, suivi par un
camillus, représenté beaucoup plus petit, conduisant vers l'autel un
porc; à droite, un Genius vêtu de la toge prétexte, tenant dans sa main
droite une corne d'abondance, derrière qui se tient un second camillus
en tunique blanche, tenant dans sa main droite des guirlandes ou des
bandelettes, dans la gauche un plat plat, sur lequel sont posées des
broches.
Il semble qu'en fait, le véritable lieu du culte des Pénates soit la
114 Op. cit., col. 426; cf. aussi A. De Marchi, op. cit., p. 114-119.
115 IEPAI ΤΡΑΠΕΖΑΙ, MEFR, 79, 1967, p. 77.
116 Fr. 3.
117 Cf. ci-dessus, p. 47.
118 Ibid.
119 En. II, 763-766 :
Hue undique Troia gaza
incensis erepta adytis, mensaeque deorum
crateresque auro solidi, captiuaque uestis
congeritur.
Il faut comprendre que les mensae deorum, de même peut-être que les cratères d'or,
sont arrachés des sanctuaires de Troie lors du sac de la ville.
86 LES PÉNATES PRIVÉS
130 ΐγ^ 4; 3 : «n faut que j'avoue qu'il y avait de l'argent chez C. Fabricius et Q. Aemi-
lius Dapus, premiers de leur siècle. En effet, chacun d'eux avait la patella et la salière des
dieux : mais Fabricius était plus somptueux en ce qu'il voulut que sa patella fût soutenue
par un pied de corne».
131 II, IV, 48 : «II fit servir un petit plat orné de figures en relief d'une rare beauté.
Aussitôt que Verres le vit, il n'hésita pas à enlever de la table de son hôte cet ornement
consacré aux dieux pénates et hospitaliers» (trad. G. Rabaud, C.U.F., Paris, 1959). Cf.
aussi F. Borner, Rom und Troia, Baden-Baden, 1951, p. 102-103.
LES RÉALITÉS DU CULTE DES PÉNATES PRIVÉS 89
132 Odes III, 23, 17-20 : «Si une main qui n'a rien à expier a touché l'autel, elle a pu,
sans qu'une victime somptueuse l'eût rendue plus agréable, apaiser des Pénates hostiles
avec un froment pieux et un grain de sel pétillant» (trad. F.Villeneuve, C.U.F., Paris,
1927).
133 Sat. 265.
134 J. André, L'alimentation et la cuisine à Rome, Paris, 1981, p. 191-193.
135 XXVI, 36, 6 : « en fait d'argent, pour les sénateurs qui ont siégé sur une chaise
curule, les ornements des harnais de leurs chevaux, plus une livre, afin de pouvoir garder
une salière et une coupe pour le culte» (trad. E. Lasserre, Paris, 1950).
136 III, 24-26 :
Sed rure paterno
Est tibi far modicum, purum et sine labe salinum
- Quid metuas ? - cultrixque foci secura patella est.
«Mais tu as sur le domaine paternel une récolte de blé majeure, tu as une salière
propre et sans tare - qu'as-tu à craindre? - et un modeste plat qui assure le culte du
foyer» (trad. A. Cartault, C.U.F., Paris, 1929).
137 A. De Marchi (pp. cit., p. 121) considère que le terme de salinum désignait à
l'origine non la salière, mais la patella elle-même, sur laquelle étaient placés le sel et les
prémices offerts aux dieux.
90 LES PÉNATES PRIVÉS
145 En. V, 61-63 : «Aceste, fils de Troie, vous offre à tous pour chaque navire un
couple de bœufs. Appelez au banquet les Pénates de nos pères et ceux qu'honore Aceste notre
hôte» (trad. J. Perret, op. cit.).
146 Comme Horace, Ovide les qualifie à'auersos {Tristes I, 3, 47) pour dire qu'ils
partagent sa propre amertume pendant son exil.
CHAPITRE II
les qu'ils mettent en jeu, non pas la seule question des Pénates, mais les
conceptions d'ensemble de l'histoire de la religion romaine.
2 Roman Domestic Religion, A.N. R.W. , II, 16, 2, Berlin-New- York, 1978, p. 1563.
3 Har. Resp., 17, 37.
4 Odes II, 4, 15; III, 23, 19; D.G. Orr. s'appuie aussi sur l'exemple des laraires de
Pompéi.
5 En fait, Cicéron dit patrii penatesque dii, expression qui nous paraît en effet,
comme à D. G. Orr, désigner les seuls Pénates, ici du moins, car dans d'autres cas, il peut
s'agir de divinités différentes : cf. infra p. 95-8.
6 Notamment S. Weinstock, in R.E., XIX, 1, s.u. Penates, col. 421-422. G. Dumézil, au
contraire {op. cit. p. 360) souligne le peu d'exactitude de cette équivalence.
LES PÉNATES PRIVÉS : ESSAI D'INTERPRÉTATION 95
7 I, 67, 3 : « Les Romains appellent ces dieux les Pénates ; ceux qui traduisent ce
nom en grec disent, les uns, πατρφοι. . . ».
8 Mil, 38.
9 Cic, Quinci., 83 : De fundo expulsus, iam a suis dis penatibus praeceps eiectus. . .
10 Cic, Leg. Agr., 2, 57.
11 Cic, Phil., 12, 14.
12 Merc, 834.
13 Sat. II, 5, 4-6.
96 LES PÉNATES PRIVÉS
14 Par ex., Cic., Dom., 144; Phil, II, 30, 75; Lucain, IX, 230, etc. . .
15 Lucain, VII, 347.
16 Ovide, Tristes I, 5, 81.
17 Op. cit., col. 421-22.
18 Rom und Troia, Baden-Baden, 1951, p. 106-110.
LES PÉNATES PRIVÉS : ESSAI D'INTERPRÉTATION 97
19 Notons que F. Borner résout dans un sens assez proche de D. G. Orr {op. cit.,
p. 1559) le problème de la relation chronologique entre culte public et culte privé, le
premier, celui des di patrii, étant, selon lui, contemporain de l'autre tandis que Wissowa
soutient la thèse contraire {Die Ueberlieferung über die römischen Penateti, p. 96), reprise
par G. Dumézil {op. cit., p. 359).
20 Les Pénates et l'ancienne religion romaine, REA, 54, 1952, p. 133.
21 Gell., Ν. AU. IV, 17: Scaevola s'est préoccupé pour cette raison de le définir; cf.
supra p. 17-9.
98 LES PÉNATES PRIVÉS
ait pu qualifier de patrius et de patrii les dieux qui veillaient sur lui22. Il
est d'ailleurs curieux de constater qu'à côté de l'expression assez
fréquente pénates patrii que nous mentionnions plus haut, on trouve aussi
pénates et di patrii employée deux fois chez Cicéron23 : il est permis de
se demander s'il ne s'agit pas là d'un hendiadyn, ayant un effet
d'amplification oratoire, comme c'est le cas, nous semble-t-il, dans un
passage de Tite-Live où la ferox Tullia exhorte Tarquin à revendiquer le
trône de Rome qui lui est dû : di te pénates patriique et patris imago et
domus regia et in domo regale solium et nomen Tarquinium créât uocat-
que regem24. Cette phrase nous paraît illustrer particulièrement bien la
confusion qui s'établit entre pénates, di patrii, et domus, le rappel de la
patris imago ordonnant du reste les termes autour de la figure du père,
dont Tarquin tient cet héritage à la fois matériel, religieux et affectif.
Sans doute aussi l'emploi très fréquent de Penates à côté at patria25, ou
de domus20 ou encore de focus21 a-t-il facilité cette assimilation des
Pénates avec les di patrii. Encore peut-on se demander si ces derniers
ont une existence réelle indépendamment des Pénates. L'expression
n'apparaît pas avant Cicéron, et nous semble pouvoir s'expliquer
comme une traduction latine des θεοί πατρώοι grecs, sans toutefois
recouvrir une notion religieuse bien précise, si ce n'est peut-être les Pénates,
avec lesquels, en définitive, les di patrii se confondent.
Parmi les divinités avec lesquelles les Pénates ont été associés ou
confondus, à côté des di patrii, on trouve aussi les diui parentum ou
diui parentes. Dans leur sens le plus strict, ces derniers sont les ancê-
22 On trouve aussi chez Tacite (Hist. Ill, 86, 8) l'expression in paternas pénates; de
même, Plaute écrit (Mere, 834) : Di Penates meum parentum ; si l'on interprète meum
parentum comme un génitif possessif, ainsi que le fait A. Ernout (Comédies, IV, C.U.F.,
Paris, 1956), il faut comprendre que les Pénates ici invoqués ont été reçus en héritage de
ses parents par le jeune Charinus.
23 Sest., 45; Har. Resp., 17, 37.
24 I, 47, 4. Ce n'est pas l'interprétation de J. Heurgon (Tite-Live I (éd. comm), Coll.
Erasme, Paris, 1970, p. 158), qui distingue di pénates «dieux de ton foyer» et di patrii
«dieux de ta patrie».
25 Par ex. Cic, Prov. Cons. 35; Salluste, Hist., 2, 47, 3; 2, 47, 4; Ovide Met. IX, 640;
Liv., VI, 14, 8; XXII, 3, 10; Sénèque, Phéniciennes, 557; 664; Tacite, Hist. Ill, 84, 3.
26 Par ex. Cic., Mil., 38; Liv. XXX, 13, 13.
27 Par ex. Cic., Sest., 145, etc.
LES PÉNATES PRIVÉS : ESSAI D'INTERPRÉTATION 99
28 260 L. : In régis Romuli et Tati legibus : «Si nurus. . . (nurus) sacra diuis parentum
estod». In Servi Tulli haec est : «Si parentum puer uerberit, ast olle plot assit paren(s) puer
diuis parentum sacer esto».
29 La religion romaine archaïque, p. 370.
30 Ad Aen. V, 64: «Les anciens étaient ensevelis dans leur propre demeure: de là
vient la coutume d'honorer les dieux Pénates dans les maisons».
31 Mere, 834.
32 Cf. A. Zadoks, Ancestral Portraiture in Rome, Amsterdam, 1932, passim; Ο. Vess-
berg, Studien zur Kunstgeschichte der römischen Republik, Lund, 1941, passim.; A. De
Franciscis, // ritratto romano a Pompei, Naples, 1951, notamment fig. 1 (sacellum avec des
imagines maiorum).
33 I, 47, 4.
100 LES PÉNATES PRIVÉS
3) Pénates et Lares
II est une autre catégorie d'êtres divins dont les Pénates ont été très
souvent rapprochés: les Lares; ils ont parfois même été confondus.
Tertullien les unit comme dieux du culte privé : priuatos enim deos,
quos lares et pénates domestica consecratione perhibetis40. Mais ce
témoignage tardif ne fait que corroborer l'usage assez fréquent de la
littérature classique, où les Pénates sont invoqués à côté du Lar familiaris
ou des Lares : Ista tua pulchra Liberias deos Penates et familiäres meos
Lares expulit41. Il est remarquable que les Lares, comme les Pénates,
apparaissent à la fois dans le culte privé (Lar familiaris, au singulier,
ou les deux Lares figurés dans les peintures ou les sculptures des larai-
res de Pompéi) et dans le culte public (Lares compitales, Lares militares,
Lares praestites)42.
Cette association des Pénates et des Lares, ou du Lar familiaris,
voire l'emploi de l'une ou l'autre expression dans des circonstances
semblables, s'explique par les nombreux points communs entre ces deux
catégories de divinités43. A part le cas où l'on parle du Lar familiaris au
singulier, les Lares sont une collectivité d'êtres divins, tout comme les
Pénates. Le mot de «collectivité» paraît plus approprié, s'agissant des
Lares, que celui de «communauté indifférenciée», car il existe
différentes sortes de Lares : compitales, praestites, Lar familiaris. . . Il n'en reste
pas moins que nous avons affaire à deux groupes d'êtres divins qui
sont, dans la plupart des cas - et c'est, pour les Pénates, leur caractère
originel -, présentés collectivement sans différenciation
d'individualité.
Un autre trait commun aux Pénates et aux Lares est d'être des
divinités attachées à un lieu44. Les Pénates tirent leur nom de ce lieu, le
penus, et, par extension, leur domaine est devenu l'ensemble de la
maison. Il en va de même pour les Lares, bien que la maison ne soit pas
leur unique séjour. Ils figurent parmi les dieux domestiques séjournant
auprès du foyer au même titre que les Pénates; du reste, il semble que,
dans les demeures de Pompéi, Pénates et Lares soient fréquemment
représentés côte à côte, soit dans les peintures, soit dans les statuettes
contenues dans les laraires; toutefois, nous avons noté que les uns et
les autres n'étaient pas toujours dans le même plan du laraire; d'autre
part, ils sont nettement différenciés du point de vue iconographique :
les Lares, comme nous l'avons vu dans le précédent chapitre, ont une
attitude et un costume bien particuliers, tandis que les Pénates ont le
costume ordinaire de la divinité avec laquelle ils sont identifiés, ce qui
revient à dire qu'ils n'ont pas de type iconographique spécifique.
Cette communauté de séjour dans la maison privée s'accompagne
d'une autre ressemblance, qui en est vraisemblablement la
conséquence : les Pénates et les Lares sont des divinités protectrices. Les uns et les
autres sont en principe bienveillants et, si nous avons vu précédemment
que les Pénates sont quelquefois présentés comme hostiles, cette
attitude n'est pas une caractéristique de leur nature, mais bien plutôt le fruit
de circonstances qui ont justifié leur courroux. Nous avons montré
dans une précédente étude que les Pénates ont pour fonction de veiller
sur le penus, mais aussi sur le bien-être de la maisonnée d'une manière
générale. A cette vigilance matérielle s'ajoutent des fonctions relevant
de la protection morale et religieuse de la famille, qui expliquent en
partie la charge affective dont nous avons déjà à plusieurs reprises
souligné qu'elle accompagnait généralement la mention des Pénates. On
place leurs images sur la table où sont dressés les plats, dont une
portion leur revient. De même, on met les statues des Lares sur la table45
et, lorsqu'un morceau de nourriture tombe au cours du repas, on le
pose sur la table, puis on le brûle au foyer devant les Lares46. Cette
part prise par les Pénates et les Lares aux repas qui réunissent l'ensem-
44 G. Piccaluga, pourtant (p. 82-96), voit là une raison de les opposer plutôt que de
les rapprocher : voir infra p. 107-8.
45 Pétrone, Sat., LX.
46 Pline, N.H., XXVIII, 27.
LES PÉNATES PRIVÉS : ESSAI D'INTERPRÉTATION 103
ble de la famille montre la place que ces dieux tiennent dans la religion
domestique.
De même, nous avons vu que les Pénates étaient fréquemment
invoqués lorsqu'on quittait, ou qu'on retrouvait sa maison, dont ils
représentent en quelque sorte toute la valeur affective et sentimentale,
et qu'ils désignent même souvent par métonymie. Nous avons des
exemples d'invocations aux Lares dans des circonstances analogues : on
s'adresse à eux au moment de partir en voyage47 et aussi au moment
où le fils disparu revient dans la maison de son père48. En arrivant
chez soi, on salue indifféremment, semble-t-il, les uns ou les autres.
Ainsi, chez Térence, un personnage qui regagne son logis déclare :
tandis qu'on lit chez Caton : paterfamilias ubi ad uülam uenit ubi harem
familiärem salutami50. Enfin, comme les Pénates, le Lar familiaris est
chargé de la protection du patrimoine familial et c'est à ces divinités
collectivement que dans le passage du Mercator que nous avons cité
plus haut, le jeune Charinus confie le bien hérité de ses pères au
moment de son départ pour l'exil :
ve que la famille qui habite cette maison n'a plus d'avenir53; comme
pour les Pénates, se séparer d'eux est particulièrement douloureux54.
Enfin, Pénates et Lares ont encore ceci de commun qu'ils sont les
uns et les autres apparentés, ou confondus, avec les esprits des
ancêtres morts. Nous avons dit plus haut que les Pénates étaient parfois
identifiés avec les di parentes, ou di parentum, dieux des parents morts
dont la nature exacte reste, comme l'a noté G. Dumézil55, assez
obscure. Or, les Lares, eux aussi, ont été rapprochés de ces di parentum, ou
di Manes, notions qui semblent assez voisines56, et du reste l'une et
l'autre peu précises. Un commentaire de Servius affirme très
clairement cette identification : Omnes in suis domibus sepeliebantur, unde
ortum est ut Lares colerentur in domibus : unde etiam umbras Laruas
uocamus a Laribus57. Ce texte nous intéresse particulièrement pour les
contradictions apparentes qu'il présente avec le témoignage du même
Servius cité plus haut à propos des Pénates. Le culte domestique des
Lares se trouve ici justifié par la coutume, imputée aux maiores, de
l'ensevelissement dans la maison, comme l'était le culte domestique des
Pénates. Cela implique, en fait, une identification des deux groupes de
dieux, Lares et Pénates, par l'intermédiaire d'une commune
identification aux esprits divinisés des ancêtres morts. Cette assimilation des
Lares et des di parentes peut cependant être mise en relation avec un
certain nombre d'autres témoignages qui font des Lares des esprits
apparentés au monde infernal. Sans nous attarder ici à exposer en
détail les problèmes, d'ailleurs fort complexes58, posés par aspect de la
personnalité des Lares, nous nous bornerons à ceux qui peuvent nous
éclairer sur les rapports de ces dieux avec les Pénates. Le témoignage
de Servius concorde en partie avec un texte de Varron cité par Arnobe :
Varrò similiter haesitans nunc esse illos (= Lares) Mânes et ideo Maniam
matrem esse cognominatam Larum, nunc aerios rursus deos et heroes
53 Suétone, Caligula, 5.
54 Tibulle, II, 4, 53; Juvénal, VIII, 110.
55 Ibid.
56 Cf. J. Β. Jacobsen, Les Mânes (trad. Philippot), Paris, 1924 passim; D.P.Harmon,
op. cit., p. 1603.
57 Ad Aen. VI, 152: «Tous étaient ensevelis dans leurs maisons; de là vient que les
Lares sont honorés dans les maisons; à cause de cela aussi nous appelons les ombres
Laruae, de Lares».
58 Cf. G. Wissowa in Roschers Lexicon s.u. Lares; id., Religion und Kultus der Römer,
2e éd. Munich, 1912; Böhm, loc. cit.; G. Piccaluga, ibid.
LES PÉNATES PRIVÉS : ESSAI D'INTERPRÉTATION 105
59 Ad Nat. Ill, 41 : «Varron, hésitant lui aussi, dit tantôt qu'ils (= les Lares) sont les
Mânes et que pour cette raison la mère des Lares est nommée Mania, tantôt au contraire
déclare qu'ils sont les esprits aériens et sont nommés heroes, tantôt, suivant les opinions
des anciens, il affirme que les Lares sont les Laruae, c'est-à-dire en quelque sorte les
génies et les âmes des défunts ». Voir U. Pestalozza, Mater Larum et Acca Larentia, Reale
Istituto Lombardo di Scienze e Lettere, Rendiconti, XLVI, 1933.
60 De Civ. Dei VII, 6 : « Entre le cercle de la lune et les sommets des nuages et des
vents, il y a des âmes aériennes, mais on ne peut les voir que par l'esprit, pas par les yeux
et on les appelle héros, Lares, Genius». Cf. D. P. Harmon, op. cit., p. 1593-95.
61 Lars, largus et Lare Aineia, in Mélanges d'archéologie et d'histoire offerts à André
Piganiol, 1966, p. 655-664.
62 Ibid., p. 660; U. Pestalozza, loc. cit.
63 Ovide, Fastes III, 55-56.
64 Cf. Ovide, Fastes 1. 1 (trad. H. Le Bonniec), Catane, 1969, p. 162 η. 11.
106 LES PÉNATES PRIVÉS
vraisemblablement sur une tradition plus solide, sur laquelle s'est peut-
être appuyé Servius, qui, réunissant en une seule réalité religieuse le
Lar familiaris et les Lares en général, a fait du foyer le lieu du culte
funéraire primitif. Or, comme on a eu de plus en plus tendance à
confondre Lares et Pénates, pour toutes les raisons que nous avons
exposées, Servius a pu en déduire que les Pénates étaient assimilables
aux Mânes, et aux di parentum, et qu'ils étaient les âmes des membres
morts de la famille, enterrés dans la maison. Aussi nous semble-t-il que,
pour comprendre cette confusion, il faut retourner le raisonnement de
Servius: ce n'est pas «parce que» (unde orta est consuetudo. . .) les
morts étaient anciennement enterrés dans la maison, qu'on a honoré
les Pénates dans ses murs, mais parce que les uns et les autres ont pu
être, à des titres différents, honorés dans la maison, que Servius a cru
pouvoir les confondre, ce qu'il est le seul à avoir fait. En réalité, tout ce
qui touche au monde des morts a un côté inquiétant profondément
opposé à la nature des Pénates, alors qu'au contraire les Lares, en tant
qu'esprits chthoniens, peuvent être dangereux. C'est cette commune
identification des Lares et des Pénates aux âmes des ancêtres morts qui
a entraîné une confusion entre eux, en dépit de certaines différences
profondes de nature.
Les Pénates ont donc été rapprochés d'un certain nombre de
pluralités divines, di patrii, di parentum, et Lares, ou identifiés avec elles. Ils
sont étymologiquement «ceux qui résident dans la partie la plus retirée
de la maison». Or, les pluralités divines dont nous avons parlé, quelles
que puissent être leurs différences avec les Pénates, ont en commun
avec eux de résider dans la maison, même si ce n'est pas leur unique
fonction et qu'elles n'en tirent pas leur nom : les di patrii résident dans
la maison ou la propriété de famille, ou, pour le culte public, dans la
patrie; les Lares résident en partie dans la maison, et, même si ce n'est
pas leur unique résidence, ils sont en tous les cas définis comme les
dieux d'un lieu; ce caractère est évidemment beaucoup moins net pour
les di parentum, mais il se peut que leur soit confusément liée l'idée
d'une résidence dans la maison, soit à cause de la présence des
imagines maiorum dans certains laraires89, soit que, dans les temps primitifs
on enterrât parfois les morts sous la hutte, soit encore parce qu'on
pensait que, lorsqu'elles n'avaient pas été apaisées, lors des Parentalia, par
les sacrifices rituels, les âmes des morts venaient rôder autour de la
maison qu'ils avaient habitée de leur vivant90.
La notion de Pénates était assez vague pour pouvoir être
confondue avec d'autres, avec lesquelles elle offrait quelques parentés. Mais,
nous l'avons vu dans le précédent chapitre, elle s'est étendue au point
de désigner n'importe quel dieu choisi comme protecteur d'une
maison, comme l'attestent les laraires de Pompéi. Ainsi, nous passons de
l'idée précise de dieux qui se définissent par leur localisation et leur
absence d'individualisation, à une extension de cette notion à toute
divinité que le bon plaisir, les goûts, ou le métier d'un maître de maison
aura choisi pour «penate», ce qui justifie la définition des Pénates
donnée par Servius : omnes dii qui domi coluntur91. Comment ont pu se
faire, d'une part, la confusion de la notion originelle des Pénates avec
les pluralités divines mentionnées plus haut et, d'autre part, l'extension
de cette notion à tous les dieux honorés dans la maison, c'est ce que
nous allons nous efforcer d'élucider à présent.
98 Ad Georg. I, 21.
99 Pour l'exposé et la critique de ces théories, cf. G. Dumézil, op. cit., p. 36-48.
100 Par exemple, pour les Indigitamenta présidant à la vie agricole, on a Insitor, Occa-
tor, Vervactor, etc. . .
101 Cf. supra p. 27-8.
102 Rom und Troia, p. 90 sq.
114 LES PÉNATES PRIVÉS
tecturaux font préférer cette interprétation à celle qui voit en elles des
«urnes-réserves aux provisions»: l'une d'elles, par exemple, trouvée
dans une tombe à puits de Grottaferrata, présente la figuration d'une
fenêtre rectangulaire, et des ouvertures pour laisser passer la fumée114.
Par conséquent, et indépendamment même de la signification des
figurines à forme humaine retrouvées dans certaines d'entre elles, il nous
semble qu'il faut renoncer à l'hypothèse, pourtant séduisante, qui fait
reconnaître dans ces urnes des penora très anciens, présentés comme
siège des «Pénates» dans le culte privé.
Mais la signification que F. Borner donne aux figurines
elles-mêmes nous paraît pouvoir soulever des objections. Nous laisserons de
côté l'hypothèse selon laquelle des divinités «méditerranéennes» ont
toujours connu des représentations figurées, au contraire des divinités
«indogermaniques» : la question dépasse le cadre de cette étude. Mais,
nous l'avons vu, les Pénates se présentent toujours comme une pluralité
divine. Or, dans les urnes funéraires des Monts Albains, on a retrouvé,
semble-t-il, une seule statuette par urne, ou par doliolum115; même si
l'on pense, avec F. Borner, qu'il s'agit d'une divinité, et du dieu du
grenier à blé, peut-on vraiment y voir l'ancêtre des Pénates, dont la
pluralité semble un des caractères essentiels? Cette première difficulté se
double d'une autre : les statuettes des tombes albaines sont soit
masculines, soit féminines; ce fait paraît en contradiction avec le genre du
mot Penates, toujours employé au masculin pluriel, ce qui implique
que, si le groupe peut comporter des déesses, il ne peut pas ne
comporter que des déesses. La présence de divinités féminines parmi les
Pénates nous paraît un phénomène relativement tardif, datable du Ier siècle
avant J.-C; c'est ce que l'on voit dans les laraires de Pompéi; mais un
rapprochement avec quelques éléments du culte des Pénates publics
peut appuyer notre hypothèse. Denys d'Halicarnasse nous dit qu'on
voyait dans le temple des Pénates à Rome, sur la Vèlia, leurs statues
sous la forme de «deux jeunes gens. . ., ouvrages d'une facture
ancienne»116; cette dernière expression exclut toute datation précise, mais
pour que Denys puisse s'exprimer en ces termes, il faut que les statues
lui soient apparues comme largement antérieures à son propre temps :
or, ce sont deux divinités masculines qui sont représentées. Enfin, en
114 Ibid., p. 74 n° 1.
115 Cf. F. von Duhn, Italische Gräbenkunde, p. 401-2.
116 I, 68, 2.
LES PÉNATES PRIVÉS : ESSAI D'INTERPRÉTATION 117
117 Cf. Ensemble des articles contenus dans le catalogue Civiltà del Lazio primitivo.
118 Vom Anfang Roms, Heidelberg, 1959, p. 76 sq.
119 Ibid., p. 51-56.
120 P. 81 sq.; voir pi. 21-25; pour l'élaboration de la civilisation latiale, voir J. Heur-
gon, Rome et la Méditerranée occidentale, 2e éd. Paris, 1980, p. 74-79. D'autre part, en
Etrurie, il ne semble pas qu'on trouve de représentation figurée de la divinité avant la fin
du VIIIe ou le début du VIIe siècle av. J.-C. : cf. A. Hus, Les Etrusques et leur destin, Paris,
1980, p. 119-120; M. Pallottino, Etruscologia, 7e éd., Milan, 1984, p. 325 sq.; id., Storia della
prima Italia, Milan, 1984, p. 55 sq.
118 LES PÉNATES PRIVÉS
la mesure où les Pénates sont à mettre parmi les dieux qui, résidant
dans la réserve aux provisions, veillent par là-même sur elle, et donc
sur le bien-être de la maison en général, on peut concevoir que la
représentation des Pénates sous la forme de deux dieux - ancienne
semble-t-il, peut-être attestée au IVe siècle sans qu'il soit possible de
préciser davantage - soit explicable par cette valeur symbolique de la
gémellité. Il faut sans doute croire d'ailleurs que, à l'époque où ils sont
représentés sous cette forme, les Pénates ont conservé leur personnalité
propre, et ne sont pas assimilés à d'autres divinités bien individualisées
par ailleurs : c'est le cas, selon nous, pour le culte public sur la Vèlia,
où le type iconographique des Pénates nous paraît non pas identique à
celui des Dioscures, comme on l'a dit souvent, mais tout à fait original
et exprimant la personnalité propre de ces dieux126; au demeurant, le
mauvais état de la peinture du laraire de la «Maison du Chirurgien» et
le caractère isolé de cet exemple, ne permettent que des hypothèses
prudentes127.
Tibur, Préneste, Lavinium, où les Pénates ont «un rôle analogue par rapport à Enée à
celui des frères Digidii ou Depidii par rapport à Caeculus»).
126 Cf. ci-dessous, p. 430 sq.
127 J. Heurgon {Recherches sur l'histoire, la religion et la civilisation de Capone
préromaine, 2e éd., Paris, 1970, p. 370-72), à propos d'une monnaie de Capoue représentant une
déesse double, note que ce phénomène de déboublement de la divinité est fréquent dans
le monde grec, mais qu'on en trouve aussi d'autres exemples en Italie, par exemple dans
le sanctuaire de la Fortune de Préneste. A propos de la double Fortune d'Antium,
J. Champeaux {op. cit., p. 169-174) a fort bien montré que ces «dyades divines» résultaient
de la duplication d'une divinité unique à l'origine, et que ce processus était attesté, non
seulement dans le monde italique ou méditerranéen, mais dans tous les polythéismes. Les
Pénates, néanmoins, semblent avoir été une pluralité dès leurs origines.
120 LES PÉNATES PRIVÉS
128 Cf. J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, 1957,
p. 121-122.
129 Voir supra p. 19.
TROISIÈME PARTIE
Bien que ces vers ne contiennent, en l'état où ils nous sont connus,
aucune réflexion ni sur l'origine ni sur la nature des Pénates, il est
curieux de souligner le hasard qui nous a fait parvenir cette première
attestation du mot dans le contexte d'usages de la religion privée,
certes, mais expressément rapportés au troyen Anchise, père de l'ancêtre
1 Fr. 3 (Ribbeck) ; on voit généralement dans ce passage (cf. G. Wissowa, Die Ueber-
lieferung über die römischen Penateti, Hermes, 23, 1886, p. 45 sq. = Gesammelte
Abhandlungen zur römischen Religions und Stadt Geschichte, Munich, 1904, p. 104; M. Barchie-
si, Nevio epico, Padoue, 1962, p. 368 sq.) une transposition anachronique des usages du
paterfamilias romain au troyen Anchise.
124 LES PÉNATES PUBLICS
Timée
2 Cf. A. Momigliano, Atene nel III secolo a.C. e la scoperta di Roma nelle storia di
Timeo di Tauromenio, RSI, 71, 1959, p. 529-556; repris dans Terzo contributo alla storia
degli studi classici e del mondo antico. Storia e Litteratura, 108, 1, Rome, 1966, p. 23-53.
3 I, 67, 4 : «Concernant leur apparence et leur forme, l'historien Timée s'exprime en
ces termes : les objets sacrés conservés dans la partie secrète du sanctuaire de Lavinium
sont des caducées de fer de bronze, et de la poterie troyenne ; il tient ces informations des
habitants ».
LES TRADITIONS ANTIQUES SUR LES PÉNATES 125
Cassius Hemina
L'annaliste Cassius Hemina, vers la fin du IIe siècle av. J.-C, est le
premier auteur que nous connaissions à avoir mené une véritable
réflexion sur l'identité des Pénates, du moins ceux du culte public, dans
l'ouvrage qu'il consacra à l'histoire de Rome depuis Enée et la chute de
Troie. Mais l'ouvrage de Cassius Hemina ne nous étant parvenu que
par les fragments cités par des auteurs plus tardifs, il se pose à son
propos le problème, qui est celui de toute citation dans les textes
antiques, de savoir ce qu'il faut exactement attribuer à l'annaliste dans le
texte qui nous est offert. Une première citation de Cassius Hemina nous
est fournie par le scholiaste de Vérone, en commentaire au passage de
l'Enéide où Virgile évoque le départ d'Enée et des siens après le sac de
Troie : après avoir résumé l'opinion de Varron, selon qui Enée avait
emmené son père et ses dieux Pénates, et celle d'Atticus, pour qui Enée
n'avait emmené qu'Anchise, les Pénates étant venus en Italie depuis
Samothrace, le scholiaste écrit : Additur etiam ab L. Cassio Censorio
miraculo magis Aenean patris (dignitate sanctio)rem inter hostes intac-
tum properauisse concessisque ei nautbus in Italiani nauigasse. Idem his-
toriarum libro I ait, Ilio capto (Aenean cum dis pena)tibus umeris impo-
sitis empisse duosque filios Ascanium et Eurybaten bracchio eius innixos
ante ora hostium praetergressos (dat)as etiam ei naues concessumque ut
quas uellet de nauibus securus ueheret*. Outre le prodige de Timpanite
que semble conférer à Enée sa piété envers sa famille et envers ses
dieux, ce passage affirme fortement l'origine troyenne des Pénates
honorés par la suite en Italie, où le fils d'Anchise et de Vénus les a
apportés. Il faut souligner que Cassius Hemina ne parle pas ici
explicitement des origines troyennes de Rome, mais qu'il se contente de
4 Ad Aen. II, 717 : «L. Cassius Censorius ajoute aussi qu'Enée, rendu plus sacré par
la dignité que lui conférait son père, s'était élancé indemne par un véritable prodige au
milieu des ennemis, et qu'on lui avait permis de se rendre en bateau jusqu'en Italie. Dans
le premier livre de ses Histoires le même auteur raconte qu'après la prise de Troie, Enée
s'est enfui avec ses dieux Pénates sur ses épaules, et est passé sous les yeux des ennemis
en tenant dans ses bras ses deux fils, Ascagne et Eurybate ; qu'on lui donna des navires, et
lui permit de prendre et d'emporter en toute sécurité ceux qu'il voudrait».
126 LES PÉNATES PUBLICS
5 Ad Aen. I, 378 : «mais d'autres, comme Cassius Hemina, disent que les dieux
Pénates tiennent de Samothrace leur appellation de «grands dieux», «dieux puissants», «dieux
bienfaisants ».
6 Cf. infra, p. 131.
7 Sat. Ill, 4, 9.
LES TRADITIONS ANTIQUES SUR LES PÉNATES 127
8 Sur les Cabires, voir Kern, in R.E., X, 2, s.u. Kabeiros und Kabeiroi, col. 1401-
1450; F. Chapouthier, Les Dioscures au service d'une déesse, Paris, 1935, p. 153-184;
B. Hemberg, Die Kabiren, Uppsala, 1950, passim.
9 Op. cit. p. 105.
10 Cf. infra, p. 131.
11 Ibid. et η. 9; G. Wissova s'appuie sur l'ouvrage de Wörner {Die Sage von den
Wanderungen des Aeneas bei Dionysos von Halicarnassos und Virgilius, Leipzig, 1882, p. 8)
selon qui la légende du débarquement d'Enée à Samothrace était bien connue en Grèce
dès la fin du Ve siècle.
12 439 L. : At Critolaus Saonem ex Samothrace, cum Aenea deos Penates qui Lauinium
transtulerit, saliare genus saltandi instituisse.
13 Ad Aen. VII, 207 : cum. . . Aeneas Italiani peteret, profectus ad Thraciam est et
Samothracas deos sustulit et pertulit secum ; Vili, 679 : magnos deos, quos Aeneas de Samo-
thracia sustulit.
128 LES PÉNATES PUBLICS
tion de θεοί μεγάλοι, dont Cassius Hemina nous dit qu'elle est l'une des
dénominations que les Pénates ont tirées de leur séjour à Samothrace,
dénomination qui, nous le verrons, a été l'une des raisons de leur
assimilation aux Grands Dieux. Pourtant, si l'on examine de plus près le
texte de Cassius Hemina, tel qu'il est rapporté de façon presque
analogue par le scholiaste de Vérone et par Macrobe, peut-être à travers un
intermédiaire commun, on s'aperçoit que cette désignation n'est qu'un
des trois termes grecs désignant les Pénates à Samothrace. L'existence
de ces trois désignations manifeste, en fait, l'impossibilité de rendre en
grec la notion, spécifiquement latine croyons-nous, de Pénates, pour
laquelle il n'y a pas d'équivalent dans le panthéon grec14. Si, dans
l'esprit de Cassius Hemina, les Pénates avaient été l'exact équivalent des
Grands Dieux - Cabires - Dioscures -, pourquoi n'aurait-il pas
seulement fait état d'une désignation comme θεοί μεγάλοι, au lieu que la
triple dénomination qu'il cite (et qui n'est pas habituelle, dans ses deux
derniers termes, pour les Cabires-Dioscures), apparaît comme une
manière de cerner par différentes approches une notion intraduisible? En
revanche, nous n'avons conservé aucune citation de Cassius Hemina
concernant le transfert des Pénates de Samothrace à Rome, et le récit
qu'il faisait du débarquement d'Enée au Latium, connu par Solin15, ne
mentionne que le culte de Venus Frutis et le Palladium.
S'il y a tout lieu de penser que les traditions rapportées par Cassius
Hemina sur les Pénates ont de lointaines sources grecques, il n'est pas
indifférent de constater que notre annaliste a probablement vécu en un
temps où Rome a connu une forte hellénisation, en particulier autour
des Scipions16; G. Wissowa17 suggère même que Cassius Hemina a pu
connaître ces traditions, non pas directement, mais par l'intermédiaire
d'un grec de l'entourage du jeune Scipion.
δ' έξερμηνεύοντες
14 C'est ainsi aussi
εις την
que
'Ελλάδα
Denys γλώσσαν
d'Halicarnasse
τούνομα,
écrit,
οί μέν
à propos
Πατρώους
de cesάποφαίνουσι,
mêmes dieuxοί: δε
oi
Γενεθλίους, είσί δ' οι Κτησίους, άλλοι δε' Μύχιους, οί δ' Έρκείους (Ι, 67, 3) : « ceux qui
rendent ce nom en langue grecque traduisent par soit « dieux de la famille », « dieux de la
race», «dieux de la propriété», «dieux de l'intérieur de la maison», «dieux de l'enceinte
de la maison ».
15 II, 14.
16 Voir P. Grimai, Le siècle des Scipions, 2e éd., Paris, 1975, p. 27-37.
17 Op. cit., p. 105.
les traditions antiques sur les pénates 129
Varron 18
Après Cassius Hemina, dont l'œuvre ne nous est parvenue que sous
forme de très brefs fragments, c'est Varron qui, dans ce que nous
connaissons de la littérature latine, a mené la plus large réflexion sur
les Pénates, mais l'ouvrage dans lequel il en parlait, les Antiquités
Humaines, ne nous est connu que par les citations d'auteurs
postérieurs19, notamment les commentateurs de l'Enéide.
On trouve chez Varron, attesté par plusieurs citations, l'épisode du
départ d'Enée après la chute de Troie. Chez Servius-Daniel : Varrò
rerum humanarum ait permissum a Graecis Aeneae, ut euaderet et quod
carum putaret auferret; illum patrem liberasse, cum Uli quibus similis
optio esset data aurum et argentum abstulissent. Sed Aeneae propter
admirationem iterum a Graecis concessum ut quod uellet auferret; illum
ut simile quod laudatum fuerat faceret, deos pénates abstulisse. Tune ei a
Graecis concessum ut et quos uellet secum et sua omnia liberaret20. Cette
évocation reprend les thèmes déjà présents chez Cassius Hemina :
désintéressement d'Enée et piété envers son père et envers ses dieux
Pénates, tellement extraordinaires qu'ils lui assurent l'admiration de
ses plus furieux ennemis, et qu'ils sont récompensés; désignation
comme «Pénates» des dieux emportés de Troie; fuite d'Enée, de ses
compagnons, et de ses dieux, loin de Troie. Le scholiaste de Vérone cite
probablement le même passage de Varron, peut être connu de lui, comme
de l'interpolateur de Servius, par une source commune, Cornelius La-
beo, antiquaire du IIIe siècle, qui semble avoir été l'auteur d'une
compilation sur les doctrines théologiques, le De dis animalibus, où il parlait
18 Cicéron ne nous a pas laissé de théorie sur la nature des Pénates publics, mais il a
le premier essayé de donner une explication étymologique du mot : nec longe absunt ab
hac ui (= Vesta) di Penates, siue a penu dueto nomine (est enim omne quo uescuntur
homines penus) siue ab eo quod penitus insident; ex quo etiam penetrates a poetis uocantur
{De Nat. Deor. II, 68). Voir supra p. 13.
19 Cf. l'étude très complète de A. J. Kleywegt, Varrò über die Penaten und die Grossen
Götter, in Medelelingen der Koninklijke Nederlandse Akademie, Amsterdam, 1972.
20 Ad Aen. II, 636 : «Varron, dans les Antiquités Humaines, dit qu'il fut accordé par
les Grecs à Enée de s'en aller et d'emporter ce qu'il avait de cher; il emmena son père
alors que les autres, à qui la même permission avait été donnée, avaient emporté de l'or
et de l'argent. L'admiration qu'en éprouvèrent les Grecs leur fit accorder une seconde
fois à Enée la permission d'emporter ce qu'il voulait; celui-ci, pour accomplir une action
semblable à celle qu'on avait admirée, emporta ses dieux pénates. Alors les Grecs lui
accordèrent d'emmener avec lui ceux qu'il voudrait, et tous ses biens».
1 30 LES PÉNATES PUBLICS
24 Ad Aen. III, 148 : Varrò sane rerum humanarum secundo ait Aeneam deos pénates
in Italiani reduxisse, quaedam lignea uel lapidea sigilla. . . Sane hos deos Dardanum ex
Samothracia in Phrygiam, Aeneam uero in Italiani transtulisse idem Varrò testatur.
25 Sat. Ill, 4, 7.
26 hoc. cit.
27 Ad Aen. II, 717.
1 32 LES PÉNATES PUBLICS
transfert des Pénates par Enée jusqu'en Italie était bien établie. Il
semble donc plutôt que la doctrine d'Atticus s'oppose à la fois à celle de
Cassius Hemina et à celle de Varron en ce que, si elle donne, comme
Varron, une origine samothracienne aux Pénates, elle leur ôte tout
caractère troyen autre que celui d'avoir été transférés en Italie par le
troyen Enée.
L'opinion de Varron sur les origines samothraciennes des Pénates
va amener, plus naturellement encore que chez Cassius Hemina, une
confusion entre les Pénates et les Grands Dieux de Samothrace, ce
qu'exprime sans ambiguïté un commentaire de Servius : Varrò quidem
unum esse dicit pénates et magnos deos; nam in basì scribebatur MA-
GNIS DIS28. Le socle en question (in basi) est très vraisemblablement29
celui des statues des dieux dans leur temple de la Vèlia, à Rome. Daniel
poursuit, en mentionnant un complément à cette doctine qu'il attribue
aussi à Varron, et à d'autres qu'il ne nomme pas : Varrò et alii complu-
res Magnos Deos adfirmant simulacra duo uirilia, Castoris et Pollucis, in
Samothracia ante portant sita, quibus naufragio liberati uota solue-
bant30. On aboutit donc ici à une double identification, attribuée par
les commentateurs de Virgile à Varron : d'une part, les Pénates sont
identiques aux Grands Dieux, d'autres part les Grands Dieux honorés à
Samothrace sont Castor et Pollux, présentés comme des dieux
bienfaisants, en particulier pour les marins. Evidemment, cette doctrine, pour
différente qu'elle soit de celle de Cassius Hemina, la rappelle sur
certains points : les Pénates et les dieux de Samothrace ont en commun la
dénomination de «Grands Dieux»; d'autre part, si Cassius Hemina,
d'après les fragments de son œuvre que nous connaissons, n'assimilait
pas les Pénates aux Dioscures, il proposait comme l'une des
appellations grecques des Pénates le terme de θεοί χρηστοί «dieux
bienfaisants», ce qui n'est pas sans rappeler le rôle de Castor et Pollux à
Samothrace comme protecteurs des naufragés.
Or, comme l'a bien montré C. Peyre31, l'établissement de la
doctrine varronienne sur l'identité des Grands Dieux de Samothrace fait diffi-
Denys d'Halicarnasse
NlGIDIUS FlGULUS
dieux Pénates, qu'Enée apporta avec lui, bien qu'en d'autres passages, le poète ait eu des
positions différentes, ayant suivi les diverses opinions de divers auteurs».
s« Ad Aen. II, 325.
59 III, 40 : « Le même auteur déclare dans le livre XVI, en suivant les « disciplines
étrusques», qu'il y a quatre sortes de Pénates, dont les uns sont ceux de Jupiter, les autres
ceux de Neptune, les troisièmes ceux des enfers, les quatrièmes ceux des hommes
mortels, disant là quelque chose d'inexplicable».
LES TRADITIONS ANTIQUES SUR LES PÉNATES 143
65 II, 325; l'identification de Cérès comme «penate étrusque» a été étudiée par H. Le
Bonniec, Le culte de Cérès des origines à la fin de la République, Paris, 1958, p. 26-27; celle
de Fortuna par J. Champeaux, Fortuna. Recherches sur le culte de la Fortune à Rome et
dans le monde romain (Coll. de l'École Française de Rome, 64), Rome, 1982, p. 229-231;
voir aussi M. Pallottino, Etruscologia, 7e éd., Milan, 1984, p. 330-331.
66 Cf. R. Bloch Quelques remarques sur Poséidon, Neptune et Nethuns, CRAI, 1981,
p. 341 sq.
67 Ad Aen. I, 378.
LES TRADITIONS ANTIQUES SUR LES PÉNATES 145
Enée; les prêtres chargés de la garde des sacra penatium auraient été
nommés Sai à Samothrace, Salii à Rome68. Daniel ajoute : quos tarnen
Penates alii Apollinem et Neptunum uolunt, alii, hastatos et in regia posi-
tos tradunt. Le mot tarnen indique que cette nouvelle définition
s'oppose à la précédente, et il est fort probable que les alii sont Nigidius et
Cornelius Labeo, dont nous savons par ailleurs que la doctrine sur les
Pénates était connue de Daniel. Ce dernier veut-il nous donner à
entendre par là qu'il oppose deux doctrines, celle qui assimile les Pénates
aux dieux de Samothrace d'une part, celle qui les définit comme
Neptune et Apollon, et dont Nigidius aurait été l'un des tenants, d'autre part?
Ce point est d'autant moins net que la dernière phrase de notre passage
oppose aux deux premières une troisième définition des Pénates,
toujours sans référence d'auteur : ce sont des dieux armés de lances dont
les statues se trouvent dans la Regia. Nous pensons que l'interpolateur
de Servius désigne ainsi les statues des Pénates du temple de la Vèlia :
ils étaient, en effet, selon la description de Denys d'Halicarnasse,
représentés comme deux jeunes gens armés de lances, et la proximité de
cette colline et des bâtiments de la Regia69 explique sans doute la
confusion faite par Daniel. Or ces dieux, qu'une inscription gravée sur le
socle de leur statue désignait, selon Varron et Denys, comme les
«Grands Dieux», ont souvent été confondus avec les Dioscures, eux-
mêmes identifiés aux Cabires de Samothrace. Est-ce cette distinction
que Daniel veut établir ici? Nous pensons plutôt qu'il se contente d'énu-
mérer des définitions opposées des Pénates, qui sont, d'après ce
passage, au moins au nombre de quatre, puisqu'immédiatement après il
mentionne la conception «étrusque», étudiée plus haut, de la triade
Cérès, Paies et Fortuna.
Il nous semble donc difficile d'assurer que ce passage contient une
quelconque allusion à l'opinion que Nigidius Figulus pouvait se faire
des Grands Dieux et de leurs relations avec les Pénates. S. Weinstock70
a fait remarquer que G. Wissowa avait peut-être abusivement attribué à
Nigidius un passage de Servius, à propos de la définition des Grands
Dieux71 : Varron, dit-il, pense que les Pénates sont la même chose que
68 Ad Aen. II, 325 : namque Samothraces horum Penatium antistites Saos uocabant,
qui postea a Romanis Salii appellati sunt : hi enim sacra penatium curabant.
69 F. Coarelli, Roma, (Guide archologiche Laterza), Rome, 1980, p. 77 sq.
70 R.E., XIX, I, s.u. Penates, col. 453.
71 III, 12.
1 46 LES PÉNATES PUBLICS
les Grands Dieux, puisqu'il est écrit MAGNIS DIS sur la base de leur
statue : pourtant, ajoute-t-il, ce titre peut être simplement honorifique
{potest tarnen hoc pro honore dici) et il oppose à celle qu'il attribue à
Varron une autre définition des Grands Dieux : nam dii magni sunt Iup-
piter, Minerva, Mercurius qui Romae colebantur, pénates uero apud Lau-
rolauinium72. G. Wissowa73 suggère une attribution de cette définition
des Grands Dieux à Nigidius, ce qui permettrait de voir chez le
pythagoricien une doctrine nettement opposée à celle de Varron : les Grands
Dieux seraient deux dieux de la Triade Capitoline, ou les trois, selon
Daniel, à laquelle s'ajoute Mercure, alors que les Pénates seraient
Neptune et Apollon. Toutefois, ici, non plus que chez Daniel, il n'existe
d'indice sûr qui permette d'attribuer cette conception à Nigidius. Il n'est
pas davantage possible de savoir si l'on doit attribuer la dernière
remarque citée (les Grands Dieux sont honorés à Rome, alors que les
Pénates le sont à Lavinium) à la même autorité, ou tout simplement à
Servius lui-même. Quoi qu'il en soit, on a le sentiment qu'on" a atteint
ici un degré de confusion tel entre toutes ces définitions des Pénates,
que le besoin d'une explication rationnelle et cohérente aboutit à des
affirmations que dément l'architecture religieuse, puisque le temple de
la Vèlia est désigné dans les texte comme Aedes deum Penatium, ce qui
prouve l'existence d'un culte des Pénates à Rome, quelles que soient les
origines et l'histoire des dieux qui en étaient l'objet.
75 Sat. Ill, 4, 7 : «Mais ceux qui mettent plus de soin à découvrir la vérité ont dit que
les Pénates sont les dieux par lesquels nous respirons, par lesquels nous avons un corps,
par lesquels nous possédons la raison. Ils ajoutent que Jupiter est l'éther moyen, Junon la
couche inférieure de l'air et de la terre, Minerve la partie la plus élevée de l'éther. Ils en
donnent comme preuve que Tarquin, fils de Démarate de Corinthe, initié aux mystères de
Samothrace, réunit ces trois divinités dans un même temple et sous le même toit» (Trad.
H. Bornecque).
76 L'ensemble de cette conception paraît inspirée du stoïcisme (cf. A. Rivaud,
Histoire de la philosophie I : Des origines à la scholastique, 2è éd., remise à jour par G. Varet,
Paris, 1960, p. 381-400), et plus précisément de Chrysippe (Cf. E. Bréhier, Chrysippe et
148 LES PÉNATES PUBLICS
plus question ici des trois éléments qui définissaient les Pénates dans la
théorie attribuée à Nigidius Figulus, selon laquelle trois catégories
d'entre eux relevaient du ciel (Jupiter), de l'eau (Neptune), de la terre (les
enfers). Ici, seul l'air est en cause, avec tout de même une allusion à la
terre pour la partie la plus basse (imum aera cum terra). D'autre part,
ce triple principe constituant les Pénates est assimilé à Jupiter, Junon,
Minerve, c'est-à-dire à la Triade Capitoline. L'attribution à chacune des
divinités qui la composent de telle couche de l'éther peut surprendre;
en particulier la place médiane de Jupiter, alors qu'on l'attendrait
plutôt dans les sommets, doit sans doute se comprendre par référence à la
représentation figurée de la Triade Capitoline, avec Jupiter au centre,
entouré de Junon et de Minerve. L'allusion faite au temple, dans la
suite du texte, suggère du reste cette explication. Enfin, l'origine de cette
triade constituant les Pénates n'a plus aucun rapport avec la légende
des origines troyennes de Rome, puisque son introduction est rapportée
à Tarquin l'Ancien, légendairement originaire de Corinthe, mais qui
avait passé une partie de sa vie à Tarquinia, d'où il tire son nom. C'est
donc affirmer l'origine étrusque des Pénates, ainsi que de la Triade
Capitoline, car il n'est pas douteux que l'indication finale de notre
citation {uno tempio ac sub eodem tecto numina memorata coniunxit) est
une allusion au temple à trois cellae du Capitole77. Nous voyons une
fois encore ici la force de l'influence qu'a eue la réflexion théologique
étrusque sur les spéculations des écrivains romains; malheureusement,
les indications très vagues de Macrobe nous laissent ignorer les noms
des tenants de cette conception, et donc sa date. Il nous faut aussi noter
la curieuse mention de la connaissance qu'aurait eue Tarquin des
mystères de Samothrace {Samothracis religionibus mystice imbutus); quel
rapport cette indication a-t-elle avec le culte des Pénates? Faut-il en
l'ancien stoïcisme, 2è éd., Paris, 1951, p. 117-127). Il est clair, toutefois, - et la désignation
par le terme latin Penates de la divinité le montre -, qu'il s'agit d'une adaptation romaine
de la doctrine, probablement tardive, à en juger par la relative impropriété de cette
définition, bien éloignée de celle, généralement et couramment admise, de «dieux du
foyer ».
77 Les historiens romains, Tite-Live notamment (I, 55) attribuent à Tarquin le
Superbe la construction du triple temple du Capitole, exécutée par des artisans étrusques (I,
56). Sur le caractère «étrusque» de la Triade Capitoline, cf. R. Bloch, Tite-Live, II, C.U.F.,
Paris, 1967, Appendice I : Le départ des Etrusques, p. 107; G. Dumézil, Mythe et Epopée III,
Paris, 1973, p. 204-206; id., La religion romaine archaïque, p. 317; id., Anchise foudroyé?
dans L'Oubli de l'Homme et l'Honneur des dieux, Paris, 1985, p. 160-161.
LES TRADITIONS ANTIQUES SUR LES PÉNATES 149
déduire qu'il existe, dans l'esprit des tenants de cette tradition, une
confusion entre Pénates et Grands Dieux de Samothrace? Il est
impossible de le dire78, non plus que de dater cette conception de nos dieux.
Macrobe la fait figurer dans un chapitre du livre III des Saturnales où
il se propose de montrer que Virgile emploie toujours le mot «Pénates»
en conformité parfaite avec la tradition concernant ces dieux. Il a, dans
les lignes précédentes, montré que Virgile suivait la tradition connue
par Varron à propos de l'histoire des Pénates, et, après notre passage,
il mentionne la conception des Pénates qu'avait Cassius Hemina et, là
encore, souligne la précision avec laquelle Virgile en a tenu compte.
Entre les deux est exposée cette tradition concernant la nature des
Pénates, point sur lequel, note Macrobe, Varron ne s'est pas expliqué
en même temps que sur leur histoire. D'autre part, bien que Virgile ne
reprenne pas exactement cette théorie, Macrobe s'efforce de montrer
que les dénominations que le poète applique à Junon sont à la fois
inspirées de la doctrine de Cassius Hemina sur les Pénates et de leur
identification avec Jupiter, Junon et Minerve. Cela implique donc que cette
dernière doctrine est au moins contemporaine de Virgile, peut-être
antérieure à lui.
La comparaison avec un passage de Daniel montre que les deux
auteurs ont dû s'inspirer d'une source commune, qui pourrait bien
être, comme le suggère G. Wissowa, Cornelius Labeo : nonnulli tarnen
Penates esse dixerunt, per quos penitus spiramus et corpus habemus, et
animi rationem possidemus; eos autem esse Iouem aetherem medium,
Iunonem imum aera cum terra, summum aetheris cacumen Mineruam :
quos Tarquinius, Demarati Corinthii filius, Samothraciis religionibus
mystice imbutus uno tempio et sub eodem tecto coniunxit. His addidit et
Mercurium sermonum deum79. La doctrine est, on le voit, semblable à
celle que l'on trouvait dans Macrobe, également anonyme, tout en étant
attribuée à plusieurs auteurs (nonnulli), et exprimée dans des termes à
très peu près identiques; un seul point, important, montre une
divergence entre deux témoignages : l'indication selon laquelle Tarquin
aurait ajouté à la triade de Pénates citée par Macrobe Mercure «dieu des
conversations», ce qui ramène à une conception quadripartite des Pé-
78 Selon Augustin (De Ciu. Dei VII, 28), Varron identifiait les mystérieux Grands
Dieux de Samothrace comme Jupiter, Junon, et Minerve, ce qui représenterait une
nouvelle incohérence par rapport à l'ensemble de sa doctrine.
79 Ad Aen. II, 296.
1 50 LES PÉNATES PUBLICS
Servius nous livre une tradition très semblable : his ergo quaeritur,
utrum Vesta edam de numero penatium sit, ac comes eorum accipiatur,
quod cum consules et praetores siue dictator abeunt magistratu, Lauini
sacra penatibus simul ac Vestae faciunt84. La parenté, voire l'identité,
entre Vesta et les Pénates trouve son expression, selon cette tradition,
dans le sacrifice accompli en l'honneur de l'ensemble de ces divinités à
Lavinium par les magistrats romains. Nos deux auteurs en voient aussi
une preuve dans la dénomination de potens que Virgile applique à
Vesta85, dénomination qui, selon certaines traditions, était donnée aux
Pénates86. Même si nous admettons, comme le fait G. Wissowa, que la
source commune de ces deux textes est l'érudit du IIIe siècle Cornelius
Labeo, cette tradition d'une parenté entre Vesta et les Pénates date au
moins du Ier siècle avant J.-C, puisque nous l'avons déjà trouvée,
totalement inexpliquée d'ailleurs, chez Cicéron : Nec longe absunt ab hac ui
(= Vesta) di Penates*1.
Martianus Capella
préteurs ou les dictateurs, lorsqu'ils entrent en charge, vont à Lavinium faire un sacrifice
aux Pénates en même temps qu'à Vesta» (Trad. H. Bornecque, op. cit.). Cf. infra p. 355-
61.
84 Ad Aen. II, 296.
85 En. II, 296 : Vestamque potentem.
86 Varron, cité par Probus, ad Verg. Bue. VI, 31; cf. R. Schilling, op. cit., p. 1974.
87 De Nat. Deor. II, 68.
88 La religion des Etrusques, p. 670.
1 52 LES PÉNATES PUBLICS
89 Op. cit., I, 41 : «Et bientôt le secrétaire de Jupiter reçoit l'ordre de réunir les
habitants du ciel en fonction de leur rang et d'un protocole réglé, et en premier lieu les
sénateurs des dieux, qui étaient considérés comme les Pénates du Dieu Tonnant en personne,
et à qui, du fait que le secret céleste ne permet pas de publier leur nom, il donne un nom
venu du fait qu'ils agissent en accord, car ils promettent les choses tous en même
temps. »
90 Varron, Economie rurale I, C.U.F., Paris, 1978, commentaire, p. 94.
91 Ap. Arnobe III, 40.
LES TRADITIONS ANTIQUES SUR LES PÉNATES 153
92 i, 45.
93 Voir résumé des doctrines, et discussion in G. Dumézil, La religion des Etrusques,
p. 670-76; A. Pfiffig, op. cit., p. 121-127.
94 Loc. cit. ; G. Dury-Moyaers, Enée et Lavinium. A propos des découvertes
archéologiques récentes, Coll. Latomus, vol. 174, Bruxelles, 1981, p. 194.
PREMIÈRE SECTION
LAVINIUM
INTRODUCTION
1 De L.L., V, 144.
2 La décadence de Lavinium, sensible dès le IIe siècle av. J.-C. dans les sanctuaires
et dans l'architecture civile, semble avoir été un mouvement irréversible, dont on peut
suggérer des explications variées : C. F. Giuliani, dans Enea nel Lazio. Archeologia e mito,
Catalogue de l'Exposition, Rome, 1981, p. 166.
158 LES PÉNATES PUBLICS
3 Les résultats des fouilles ont été publiés dans deux ouvrages majeurs : F.
Castagnoli, Lavinium I : Topografia generale, fonti e storia delle ricerche, Rome, 1972; F.
Castagnoli, L. Cozza, M. Fenelli, M. Guaitoli, A. La Regina, M. Mazzolani, E. Paribeni, F. Picar-
reta, P. Sommella, M. Torelli, Lavinium II : Le Tredici Are, Rome, 1975. Les éléments
nouveaux fournis par le site de Pratica di Mare ont naturellement donné lieu à de
nombreuses publications que nous signalerons le moment venu.
4 La Magna Grecia e i santuari del Lazio, in La Magna Grecia e Roma nell'età arcaica,
Atti dell'ottavo convegno di studi sulla Magna Grecia, (Tarente, octobre 1968), Naples,
1969, p. 11.
LAVINIUM 1 59
construction la plus récente, qui date du IVe siècle, a été refaite sur un
édifice du VIIe siècle dont il reste encore des traces; les treize autels ont
été édifiés du VIe au IVe siècle; la dédicace à Castor et Pollux date du
VIe siècle.
Mais les fouilles récentes de Lavinium, ainsi que celles qui ont été
menées parallèlement dans d'autres cités du Latium, et à Rome même,
nous conduisent aussi à envisager sous un jour nouveau le problème de
l'influence grecque dans le Latium. En effet, la présence de la légende
d'Enée à une époque ancienne à Lavinium, l'architecture des treize
autels, fortement influencée, nous le verrons, par les modèles grecs, et
l'attestation d'un culte à Castor et Pollux, héros venus de Grèce,
montrent des liens très forts entre la Grèce, ou la Grande-Grèce, et le
Latium, dès les VII et VIe siècles. Or, on considérait jusqu'à présent que
l'influence de la Grèce sur le Latium s'était exercée essentiellement par
l'intermédiaire des Etrusques5. Les découvertes archéologiques
récentes, à Lavinium notamment, tendent à prouver plutôt que les Latins ont
reçu directement les importations grecques, ou du moins avec la
Grande-Grèce pour médiateur, diminuant par là même le rôle que l'on
attribuait auparavant à l'Etrurie dans l'élaboration de la civilisation
latine6. C'est donc en tenant compte de ces données nouvelles qu'il nous
faudra éclairer l'apparent paradoxe par lequel Enée, héros troyen issu
des poèmes et légendes grecs apportés au Latium, y aurait établi les
Pénates, dieux spécifiquement latins et sans équivalent dans la religion
grecque.
1 En. VII, 120-122: «Salut, terre que me devaient les destins et vous aussi, dit-il,
salut, fidèles Pénates de Troie : ici est ma maison, ici ma patrie» (Trad. J. Perret, C.U.F.,
Paris, 1978).
2 En. III, 163 sq.
3 En. VII, 122-127.
4 Enée et Lavinium, RBPh, 55, 1977, p. 21 sq.
5 Lavinium I, Rome, 1972, p. 96.
1 62 LES PÉNATES PUBLICS
6 Cf. F. Castagnoli, La leggenda di Enea nel Lazio, Stud Rom, 30, 1982, p. 15.
7 Cf. G. Dury-Moyaers, Enée et Lavinium, A propos des découvertes archéologiques
récentes, Coll. Latornus, vol. 174, Bruxelles 1981, p. 99-127.
8 G. Dury-Moyaers {op. cit., p. 33-94) a donné une revue très complète des textes
littéraires concernant Enée, jusqu'à Virgile; pour notre part, nous avons plus
particulièrement étudié les textes ayant trait au transfert des sacra.
9 XX, 307-308: «C'est le puissant Enée qui désormais régnera sur les Troyens -
Enée, et avec lui, tous les fils de son fils qui naîtront dans l'avenir» (trad. P. Mazon,
C.U. F., Paris, 1938). Cf. N. Horsfall, Some problems in the Aeneas legend, CQ, 29, 1979,
p. 372-390.
10 1008-1016.
11 Cf. G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 38-45.
12 Hymnes, C.U.F., Paris, 1936, p. 144-146 et 146 n. 1.
13 196-197.
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 163
33 Pour S. Mazzarino, au contraire, (// pensiero storico I, Bari, 1958, p. 587 η. 1), il
n'est pas douteux que ce mot, qui désignait «l'Occident», n'ait figuré dans le poème de
Stésichore.
34 G. K. Galinsky (Aeneas, Sicily and Rome, Princeton, 1969, p. 106 sq.) avait déjà
souligné ce fait.
35 Voir infra p. 196 sq.
36 I, 47, 6 et 48, 1.
37 Op. cit., p. 24.
38 Op. cit., p. 52. Au contraire, une position prudente est adoptée sur ce point par H.
Boas (Aeneas arrival in Latium, Amsterdam, 1938, p. 14). Enfin, selon G. Vallet (op. cit.,
p. 272 n. 5), « le nom d'Hespérie . . . désignait au temps de Stésichore la partie de l'Italie
qui s'étendait au-delà du monde habité par les Grecs».
39 T. J. Cornell (Aeneas'arrival in Italy, Liverpool Classical Monthly, 2, 1977, p. 77)
admet aussi que la tradition de la venue d'Enée en Occident puisse remonter à
Stésichore.
168 LES PÉNATES PUBLICS
Misène aux côtés d'Enée ne nous paraît guère une preuve convaincante
non plus : d'une part, il existait une tradition associant les aventures
d'Enée et d'Ulysse en Italie, notamment chez Hellanicos, où ils sont les
fondateurs de Rome, ce qui expliquerait la présence de Misène ici;
d'autre part, comme le note J. Heurgon40, pourquoi le sculpteur aurait-
il emprunté à Virgile ce personnage tout à fait secondaire, s'il ne s'était
pas trouvé chez Stésichore? Enfin, il nous semble un peu arbitraire de
dire que le thème du transfert des sacra ne pouvait se trouver chez
Stésichore, alors que la première mention en est faite par Hellanicos cité
par Denys d'Halicarnasse. Il n'y a pas plus de raison qu'il se soit trouvé
chez Hellanicos que chez Stésichore, et, de surcroît, si l'on met en
doute la fidélité de Théodoros à l'œuvre de Stésichore, en alléguant des
raisons de propagande politique, la même démarche peut aussi
s'appliquer au résumé que nous donne Denys des Troika d'Hellanicos41. En
réalité, il ne nous paraît pas impossible que ces deux thèmes aient été
présents dans l'Ilioupersis de Stésichore. Il existe au VIe siècle de forts
courants d'échanges entre l'Italie méridionale et la Campanie toute
proche42. Or, certaines villes de Grande-Grèce ou de Sicile sont des
fondations chalcidiennes43, et notamment Zancle, qui elle-même fonda
Himère44, patrie probable de Stésichore. La légende d'Enée était
connue dès cette date en Chalcidique, ainsi que l'atteste une monnaie
représentant la fuite d'Enée avec son père et son fils, frappée à Aineia,
cité supposée fondée par Enée, et qui porte son nom45. La légende
d'Enée a dû venir de Chalcidique dans les colonies d'Italie méridionale
et de Sicile, et d'autre part Γ« Occident» mentionné dans le titre donné
à la scène de l'embarquement d'Enée sur le relief peut fort bien
désigner la Campanie étrusquisée du VIe siècle, puissante voisine de la
Grande-Grèce que Stésichore ne pouvait sans doute ignorer. De sur-
2) Le IIIe siècle
Ensuite, ce n'est qu'au IIIe siècle, avec Timée, que nous trouvons à
nouveau dans la littérature grecque une illustration de la légende
italienne d'Enée. Des différentes explications qui peuvent être avancées
pour cette éclipse de deux siècles, nous ne mentionnerons que celle-
ci58 : aux Ve et IVe siècles, les contacts entre les Grecs et l'Italie
s'affaiblissent, mais sont rétablis au IIIe siècle du fait des conquêtes romaines.
Avec Timée59, nous avons pour la première fois un témoignage direct
sur le développement de la légende d'Enée en Italie, puisqu'il a eu
l'occasion de mener sur place une enquête auprès des indigènes : πυθέσθαι
δε αυτός ταΰτα έπί των έπιχωρίων. D'autre part, Timée est le premier
auteur, à notre connaissance, à rapporter expressément à Lavinium les
origines de la légende italienne d'Enée. Ce que l'on peut savoir du
personnage de Timée60 permet de mieux juger la portée de son
témoignage. Ce Sicilien, qui vécut la plus grande partie de sa vie en exil à
Athènes, qu'il admirait, écrivit à deux reprises sur Rome : une fois dans son
57 Pour le transfert des sacra chez Hellanicos d'après Denys, voir infra p. 490-3. Sans
évoquer le transfert des ιερά, Xénophon fait mention de la piété d'Enée envers son père,
qui lui valut la considération des Grecs : Αινείας δε σώσας, και αυτός τον πατέρα, δόξαν
ευσέβειας έξηνέγκατο ώστε και οί πολέμιοι μόνφ έκείνω ών έκράτησαν (Cyn. Ι, 15):
«Enée, pour avoir sauvé lui aussi son père, acquit un renom de piété, si bien qu'il fut le
seul des vaincus dans Troie à qui les ennemis permirent de n'être pas dépouillé de ses
armes» (trad. E. Delebecque, C.U.F., Paris, 1970).
58 Cf. G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 64-65.
59 Cité par Denys d'Halicarnasse, I, 67, 4.
60 Cf. A. Momigliano, Atene nel IH secolo a.C. e la scoperta di Roma nelle storie di
Timaeo di Tauromenio, RSI, 71, 1959, p. 529-556 = Terzo Contributo alla storia degli studi
classici e del mondo antico, Rome, 1966, I, p. 23-53.
172 LES PÉNATES PUBLICS
sur les Latins et les Dauniens, il fondera une cité avec trente tours, en
nombre égal aux petits de la truie noire qu'il transporta sur son navire
depuis les hauteurs de l'Ida et le pays de Dardanus, et qui mit au
monde en une fois ce nombre de petits; dans une seule cité il placera son
image et celle des porcelets nourris de lait, façonnée en bronze; il
construira un sanctuaire à Myndia Pallènis et y installera les images des
dieux de sa patrie, que, négligeant femme, enfants, et tout le riche
ensemble de ses biens, il vénérera en même temps que son vieux père».
Le terme Βορειγόνοι72 désigne, selon T. Zielinsky73, «les peuples du
nord», qui sont, d'après ce texte74, les Latins et les Dauniens; J. Heur-
gon reconnaît dans ces derniers, à la lumière d'un texte de Denys d'Ha-
licarnasse, les Campaniens de l'est, et il note que l'ensemble de
l'expression désigne «par une anticipation hardie, un empire qui rassemblait
les Latins et les Campaniens». Quant à la «cité aux trente tours», dont
le nom n'est pas précisé, elle a donné lieu à diverses identifications;
J. Perret a proposé d'y reconnaître Albe et ses trente colonies75, mais
déjà R. H. Klausen76 avait suggéré qu'il s'agissait de Lavinium, ce que
confirment d'une part l'indication sur la présence d'une statue de
bronze de la truie miraculeuse, dont Varron77 nous dit qu'elle existait
encore de son temps sur le Forum de la cité78, d'autre part l'allusion, assez
δηκον Μυνδία Παλληνίδι / πατρώ' άγάλματ' έγκατοικιεϊ θεών, / α δη, παρώσας και δάμαρτα
καί τέκνα / και κτήσιν άλλην όμπίαν κειμηλίων / σύν τω γεραιω πατρί πρεσβειώσεται.
72 Cf. J. Heurgon, op. cit., p. 281; J. Perret, op. cit., p. 361-365.
73 Xenien der 40 sten. Versammlung deutscher Philologen, Munich, 1891, p. 41.
74 Pour lequel diverses corrections ont été proposées : cf. J. Heurgon, op. cit., p. 281
n. 5; G. D'Anna (Lycophron, Alex. 1254, in Studi in onore di A. Ardizzone, Rome, 1978,
p. 281-290) propose de lire «au-delà du Lacinio et des Dauniens», c'est-à-dire au nord de
la Calabre et des Pouilles (cité par F. Castagnoli, op. cit., p. 161 n. 8).
75 Op. cit., p. 350-351.
76 Aeneas und die Penaten, Hambourg-Gotha, 1839-40, p. 675 sq.; C. von Holzinger
{op. cit., p. 341) retient lui aussi cette identification; de même, G. W. Mooney, op. cit.,
p. 135.
77 Res Rusticae II. 4, 18.
78 Pour le commentaire sur la couleur de la truie aux trente porcelets, cf. C. von
Holzinger, loc. cit. ; A. W. Mair, op. cit., p. 424-425. D'autre part, A. Alföldi (Early Rome,
p. 272) souligne que la légende d'une truie miraculeuse est attestée dès le IIIe siècle à
Tuder, en Ombrie, sur une monnaie (A. Sambon, Les monnaies antiques de l'Italie, Paris,
1903, n° 156) où est représentée une truie avec trois porcelets; A. Alföldi rapproche cette
image des monnaies de Vespasien montrant la même scène, et estime que les trois petits
en représentent symboliquement trente; la truie mettant bas un grand nombre de porce-
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 175
lets semble donc un thème légendaire d'Italie centrale, prodige qui est gage de prospérité
pour la cité dans laquelle il s'accomplit.
79 Loc. cit.
80 Op. cit., p. 141 : «II ne peut en aucune façon être montré que Lycophron a ici
utilisé comme source Timée».
81 Cette question sera reprise ci-dessous, p. 264 sq.
1 76 LES PÉNATES PUBLICS
82 C'est ce qui l'a rendu suspect à J. Perret (op. cit., p. 353) qui refuse, de ce fait,
l'identification de Lavinium comme «la cité aux trente tours».
83 Cf. F. Castagnoli, // culto di Minerva a Lavinio, Accademia Nazionale dei Lincei,
Quaderno 246; Enea nel Lazio, p. 187 sq. ; C. Bearzot Atena Itonia Tritonia e Iliaca, in
Politica e religione nel primo scontro tra Roma e l'Oriente, Milan, 1982, p. 57-60; M. Torelli,
Lavinio e Roma. Riti iniziatici e matrimonio tra archeologia e storia, Rome, 1984, p. 19 sq.;
F. Castagnoli, Ancora sul culto di Minerva a Lavinio, BCACR, 90, 1, 1985, p. 7-12. '
84 Fr. 3 Barchiesi.
85 Pour le commentaire de ce passage, cf. M. Barchiesi, Nevio epico, Padoue, 1962,
p. 368 sq.
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 1 77
3) La tradition annalistique
92 In Schol. Verg, Ad Aen. II, 717 = fr. 5 Peter; voir supta p. 125-8.
93 On désignait par ce nom le sud de la péninsule, plus précisément le Bruttium, nom
antique de la Calabre : cf. G. Vallet, Rhégion et Zancle, p. 103.
94 La Magna Grecia e i santuari del Lazio, p. 24.
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 179
4) L'épanouissement de la légende
95 Ad Aen. II, 717 : «Dans le second livre de ses Histoires, Varron raconte qu'après la
prise de Troie, Enée occupa la citadelle avec un grand nombre de ses concitoyens, et
obtint, par une grande faveur de l'ennemi, la permission de se sauver. Aussi lui accorda-
t-on le droit d'emporter ce qu'il voulait; alors que tous les autres s'attardaient à choisir
de l'or et autres richesses, Enée chargea son père sur ses épaules; et lorsque les Achéens,
émus de cette piété, l'autorisèrent à revenir à Troie, Enée emporta sur ses épaules les
dieux Pénates figurés par des statuettes de bois, de pierre, et de terre cuite. Les Grecs,
stupéfaits d'admiration, l'autorisèrent à emporter tous ses biens, et Enée, refaisant
plusieurs fois le trajet, enleva de Troie tous ses biens et les déposa dans ses navires ».
1 80 LES PÉNATES PUBLICS
aspect : piété filiale d'abord (Aenean patrem suum collo tulisse), qui va
valoir à Enée une seconde autorisation de retourner à Troie96, et lui
donner l'occasion de montrer cette fois sa piété envers les dieux (ac
deos Penates umeris extulisse). Certains éléments de ce récit rappellent
celui de Cassius Hemina : les sacra de Troie sont désignés comme des
Penates, et les termes mêmes par lesquels est évoqué Enée portant sur
ses épaules ses dieux Pénates rappellent aussi le texte de Cassius
Hemina {Aenean cum dis Penatibus umeris impositis); mais nous ne
retrouvons pas ici le «groupe pyramidal»; les différents éléments de la
pyramide sont dissociés, chacun d'entre eux figurant dans l'un des voyages
d'Enée des ruines de Troie au rivage : Anchise d'abord, les Pénates,
puis omnia sua, parmi lesquels il faut sans doute comprendre Ascagne.
Cette dissociation suscite une émotion devant le personnage d'Enée,
différente de celle que donnait la vision saisissante du raccourci formé
par le «groupe pyramidal»; elle permet de montrer que c'est
précisément par sa pietas, dans ses exercices successifs, qu'Enée a pu
emporter de Troie en ruines tout ce qui lui tenait à cœur. Mais, si la mise en
scène de l'exercice de cette pietas semble due à Varron, l'existence de
cette dernière comme caractéristique du personnage d'Enée remonte
peut-être à Stésichore, cependant que le thème du désintéressement
d'Enée, prêt à renoncer à ses richesses, se trouvait déjà exprimé chez
Lycophron97. Enfin, si la destination du voyage d'Enée n'est pas
mentionnée dans ce texte, elle est néanmoins formulée très clairement
ailleurs chez Varron : Oppidum quod primum conditum in Latto stirpis
Romanae, Lauinium : nam ibi dii Penates nostri. Hoc a Latini filia, quae
coniuncta Aeneae, Lauinia, appellatum98 : Lavinium est le premier
établissement troyen en Italie, le siège des Pénates apportés par Enée.
La même scène est évoquée, de facon beaucoup moins frappante,
chez Denys d'Halicarnasse, dont les Antiquités Romaines sont très
largement inspirées de Varron". L'épisode de la résistance d'Enée et de
ses compagnons dans la citadelle de Troie est longuement développé,
alors que le départ d'Enée proprement dit tient en quelques lignes :
άπήει . . . αγόμενος επί ταΐς κρατίσταις συνωρίσι τόν τε πατέρα και θεούς
τους πατρφους γυναικά τε και τέκνα και των άλλων ει τι πλείστου άξιον
ήν σώμα ή χρήμα100. On trouve ici les mêmes éléments que dans les
documents précédents : le départ d'Enée avec son père, ses παθρωοι
θεοί, et son fils. Mais il s'agit d'une simple enumeration, qui ne se
soucie pas de composition dramatique, ni ne cherche à susciter l'émotion;
elle comporte quelques détails que l'on ne trouve pas ailleurs :
existence de plusieurs enfants d'Enée à Troie, présence de sa femme Creuse;
en revanche, le terme du voyage d'Enée est très clairement indiqué
dans un passage voisin101; Enée et ses compagnons arrivent en Italie
près de l'embouchure du Tibre : les Aborigines, habitants du lieu,
donnent aux Troyens fugitifs des terres sur lesquelles Enée fonde la ville
de Lavinium, épisode sans doute directement inspiré du texte de Var-
ron cité plus haut.
Tite-Live, s'il mentionne au début de son ouvrage la légende de
l'établissement d'Enée en Italie102, ne donne aucun détail sur les
conditions dans lesquelles le héros troyen a fui sa patrie. Ni Anchise, ni les
Pénates ne sont cités, et Ascagne est le fils, non du mariage troyen
d'Enée avec Creuse, mais de l'union d'Enée et de Lavinia en Italie.
C'est évidemment chez Virgile que l'épisode du transfert des sacra
de Troie en Italie par Enée reçoit la mise en œuvre la plus riche. Cela
s'explique par le rôle que jouent les sacra pour assurer la continuité
entre Troie, l'établissement fondé par les Troyens au Latium, et la
future Rome; leur présence en Italie fonde et justifie les prétentions des
Romains à être les héritiers des Troyens et celles de la Gens Iulia et
d'Auguste à détenir le pouvoir suprême; elle donne à l'histoire d'Enée
et de ses descendants une dimension religieuse et spirituelle.
Il y a quelques années, G. Dumézil avait montré de facon très
convaincante103 comment, au livre II de l'Enéide, se dévoile la mission
d'Enée, qui va opérer chez le héros une transformation complète. Dans
100 I, 46, 4 : « il partit . . . emportant avec lui, dans ses meilleurs attelages, son père,
son épouse, et ses enfants, et tout ce qui, être vivant ou bien, était le plus précieux».
101 I, 45, 1 : εις Λαύρεντον, αίγιαλον Λβοφιγίνων επί τω Τυρρηνικοί πελάγει κείμενον
(«vers Laurentum, rivage des Aborigines sur la mer Tyrrhénienne»).
102 I, 1, 1 sq.
103 Mythe et Epopée I, 2e éd., Paris, 1974: Enée et la première fonction, p. 384-393;
Genèse de la mission d'Enée au deuxième chant de l'Enéide, p. 393-403.
1 82 LES PÉNATES PUBLICS
un ouvrage plus récent104, il écrit : «le sujet du second chant n'est pas le
malheur de Troie en tant que tel, mais la mutation qu'il produit dans
l'âme d'Enée et qui fait d'un guerrier vaincu, désespéré, sans patrie, le
sauveur des Pénates et le dépositaire presque sacerdotal d'un grand
avenir». Le thème du transfert des sacra se développe du livre II, où
Enée évoque chez Didon la dernière nuit de Troie et son départ loin de
sa patrie, au livre VIII, où le Tibre lui apparaît en songe pour lui
révéler qu'il a atteint le terme de son voyage fixé par les destins, la terre où
il devra établir les Pénates de Troie, et fonder une cité d'où ses
descendants partiront pour en fonder une autre, promise à l'empire du
monde105.
C'est au moment même où se prépare la ruine de Troie que sa
mission est pour la première fois révélée à Enée. Les Troyens, trompés par
les paroles de Sinon, ont fait pénétrer le cheval des Grecs dans leur
ville, dont tous les habitants dorment paisiblement. Hector apparaît
alors en songe à Enée, lui annonce la ruine prochaine de Troie, lui
conseille de fuir et ajoute :
113 II, 320-321 : «avec dans ses bras les objets saints, nos dieux vaincus, un enfant,
son petit-fils, qu'il traîne lui-même.» (op. cit.).
114 Cf. VIII, 11 : uictosque Penatis.
115 Servius (Ad Aen. II, 320) note que le sens du mot sacra, désignant, selon lui, les
objets saints de Troie, s'éclaire par le rapprochement avec les paroles d'Hector (II, 293).
R. G. Austin (op. cit., p. 144), s'appuyant sur un passage d'Augustin (De Ciu. Dei, I, 3),
affirme qu'il s'agit ici des Pénates de Troie, et rapproche, à juste titre croyons-nous, le
texte de Virgile d'une des scènes représentées sur la Tabula Iliaca du Musée du Capitole;
cf. infra p. 207.
116 II, 559-560 : «Alors pour la première fois une horreur atroce m'envahit; je
demeurai sans mouvement» (op. cit.).
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 185
d'Enee, mais l'une des formes de sa pietas, son attention aux siens, se
manifeste ici. Cet élargissement du champ d'exercice de la pietas
d'Enée prend une ampleur particulière chez Virgile, à qui ce thème a
pu être inspiré par Cassius Hemina et Varron; rappelons que Lyco-
phron faisait à Enée un mérite de préférer ses dieux et son père à sa
femme et à ses enfants. La violence et la colère du héros vont
s'exprimer une dernière fois, lorsqu'il aperçoit Hélène117. Un désir de
vengeance et de meurtre s'empare de lui, et il aurait tué Hélène si Vénus ne lui
avait alors montré l'inutilité, l'absurdité de ce geste, impuissant à
sauver Troie de la ruine ou à réparer ce désastre.
Dès lors tous les éléments sont en place pour qu'Enée accepte et
accomplisse sa mission. Il gagne la maison d'Anchise, ducente deo118, ce
qui lui permet d'éviter les traits des Grecs et souligne le caractère sacré
qui sera désormais le sien. Il a un dernier sursaut de colère guerrière,
qui est désarmé par Creuse, et, surtout, par le prodige qui s'accomplit
sur la personne d'Ascagne : l'aigrette de feu qui apparaît au-dessus de
sa tête le désigne comme l'élu des dieux, le porteur des espoirs de Troie
en ruines119. Ce prodige signifie que la race troyenne, en la personne
d'Ascagne, est promise à d'autres destinées, et que les dieux n'ont pas
abandonné Enée et sa famille. C'est bien ainsi d'ailleurs qu'il est
interprété par Anchise, chez qui il suscite une soumission à la volonté
divine, dont il voit désormais qu'elle les protège, lui et les siens, comme
héritiers de Troie 12°. Enée va, lui aussi, comprendre que le prodige
porte le même message que le songe dans lequel Hector lui était apparu;
alors va se former le « groupe pyramidal » :
Ergo age, care pater, ceruici importere nostrae; . . .
mihi paruos lulus
sit cornes, et longe seruet uestigia coniunx . . .
Tu, genitor, cape sacra manu patriosque penatis;
me bello e tanto digressum et caede recenti
117 Π, 567-587. Notons que l'authenticité du passage concernant Hélène, que Servius
ne commente pas, a été vivement contestée. Voir un résumé de la discussion chez R. G.
Austin (op. cit., p. 217-218, avec bibliographie p. 219).
118 II, 632.
119 Cf. H. Boas, op. cit., p. 165 sq. Selon Virgile, Lavinia (En. VII, 71 sq.) et Octave
(En. VIII, 680 sq.) firent l'objet du même prodige. Mais la même tradition existait à
propos du roi Servius Tullius : voir J. Champeaux, Fortuna. Le culte de la Fortune à Rome et
dans le monde romain, Coll. de l'École Française de Rome, 64, Rome, 1982, p. 295-296.
120 II, 703.
186 LES PÉNATES PUBLICS
121 II, 707-720 : « Allons, père chéri, place-toi sur notre cou . . . que le petit Iule
m'accompagne, et qu'un peu plus loin mon épouse suive bien notre marche . . . Toi, père,
prends dans tes mains les objets sacrés, les Pénates de nos ancêtres ; moi qui sors à peine
d'une guerre si rude et de ses carnages, je ne peux les toucher avant de m'être purifié
dans une eau vive» {op. cit.).
122 Mythe et Epopée I, p. 401.
123 II, 747.
124 II, 781 : et terram Hesperiam uenies.
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 187
134 Apollon tient une place essentielle dans le livre III (cf. R. D. Williams, op. cit.,
p. 19-20), et c'est lui encore dont l'oracle accueille Enée sur la côte italienne, au livre VI;
il est par ailleurs {En. VIII, 720) le protecteur d'Auguste : J. Gagé, Apollon romain. Essai
sur le culte d'Apollon et le développement du «ritus Graecus» à Rome des origines à
Auguste, Paris, 1955, p. 479-522; P. Boyancé, Apollon solaire, in Mélanges J. Carcopino, Paris,
1966, p. 149-170; J. Perret, Enéide, l. V-VIII,- C.U.F., Paris, 1978, Notes Complémentaires,
p. 165-166.
135 J. Carcopino, Virgile et les origines d'Ostie, 2è éd., Paris, 1968, p. 433 sq.
136 VII, 106.
137 VII, 120-122 : «Salut, terre que me devaient les destins, et vous aussi, dit-il, salut
fidèles Pénates de Troie, ici est ma maison, ici ma patrie» (op. cit.).
138 H. Boas, op. cit., p. 4-26.
139 Sur la présence d'Anchise, voir C. J. Fordyce, Aeneidos Libri VII-VIH, Oxford,
1977, p. 85 (éd. commentée).
190 LES PÉNATES PUBLICS
140 vil, 229-230 : « Nous demandons pour les dieux de notre patrie une modeste
demeure, un rivage paisible» (op. cit.).
141 Alex., 1261.
142 VIII, 11-12 : «qu'Enée arrivé avec une flotte y installe avec lui ses Pénates vaincus,
prétend que ses destins l'appellent à y être roi» (op. cit.).
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 191
Les termes de ce dernier vers sont très proches des mots que
Virgile fait prononcer à Enée lorsqu'il invoque les Pénates après la mandu-
cation des tables146. Cette reprise est destinée à tirer Enée de son
trouble, de ses hésitations, et l'effet en est renforcé par la répétition des
mots certa, certi, certi pénates contrastant évidemment avec uictos deos
et uictos pénates employés précédemment147. Un dieu local accueille
donc Enée et l'investit religieusement d'une souveraineté qui ne lui est
pas encore reconnue sur le plan politique et humain. Il lui apprend
aussi que s'est réalisé le prodige de la truie aux trente porcelets
annoncé par Hélénus au livre III. C'est alors seulement qu'Enée en apprend
Enée accomplit son sacrifice sacra ferens, nous dit Virgile156. Cette
expression, souvent négligée par les commentateurs, ou même les
traducteurs, présente quelques difficultés d'interprétation. Il nous semble
qu'elle peut être comprise de deux façons, en liaison avec le sens que
l'on donne à sacra et suos Penates151; tout d'abord, puisqu'il s'agit de
l'accomplissement d'un sacrifice, on pourrait penser que Virgile se
réfère aux réalités religieuses de son temps, et que sacra désigne les
objets cultuels nécessaires au sacrifice. Mais une autre interprétation
nous semble beaucoup plus satisfaisante, surtout si l'on accepte de voir
dans sacra et Penates une seule entité. Ce sont, en effet, les sacra et les
Pénates qu'Hector confie à la garde d'Enée lorsqu'il lui apparaît en
songe158, eux que Panthus emporte dans la citadelle quand Enée tente
de résister aux Grecs159, eux encore dont Enée, souillé, charge Anchise
lorsqu'il se décide à quitter Troie160. Le mot sacra pouvant désigner des
satuettes cultuelles, on peut penser que la présence des Pénates au
sacrifice de la truie miraculeuse est fortement suggérée ici. Certes, le
sens de ferens n'est pas très clair : «apportant les images de ses dieux»,
pour que les dieux de Troie assistent au sacrifice qui consacre l'arrivée
d'Enée sur la terre que lui ont destinée les destins nous paraît le sens le
plus probable. Sans doute peut-on objecter que la truie est immolée à
Junon, non aux Pénates, mais il paraît assez naturel que, comme le font
les Pénates du culte privé, les dieux de Troie assistent à tous les
événements de la vie domestique, surtout lorsqu'ils ont l'importance de
155 VIII 86-89 : « Tout au long de cette longue nuit, le Tibre a calmé ses flots
tumultueux ; rappelant son cours, il s'est arrêté ; l'onde se tait ; comme en un lac paisible ou sur
des eaux dormantes, il étend sur le fleuve sa surface unie les rames n'ont plus à lutter»
(op. cit.).
156 VIII, 85.
157 II, 293.
158 II, 293.
159 II, 320.
160 II, 717.
194 LES PÉNATES PUBLICS
celui-ci : ils ont été les comités d'Enée pendant son voyage et assistent
au sacrifice destiné à célébrer la fin de leurs errances communes et à
désarmer la dernière hostilité à l'installation d'Enée au Latium, celle de
Junon161. On sait du reste que la victime est immolée en plein air, sur
un autel, hors de la présence de la statue du dieu destinataire du
sacrifice, située, elle, à l'intérieur du temple. Le texte de Virgile distingue les
sacra apportés par Enée - de petits objets -, de l'ara consacrée à Junon
sur lequel il immole la truie.
Les deux prodiges qui marquent l'arrivée d'Enée au Latium ne
sont pas une création de Virgile parmi les péripéties du transfert des
sacra. Ils sont l'un et l'autre mentionnés par Lycophron162 et par Denys
d'Halicarnasse163 : chez ce dernier la manducation des tables est
annoncée par une divinité mal déterminée, une nymphe, ou la Sibylle, où par
l'oracle de Dodone, avec la même signification que chez Virgile; Yomen
de la truie miraculeuse est mentionné aussi, avec quelques variantes de
détail, et il présage aussi la souveraineté de la race d'Enée sur le
Latium164.
Après le second prodige, Enée n'a plus de doute sur sa mission, et
le sacrifice de la truie marque une sorte de prise de possession
religieuse de la terre latine, accomplissement des fata devant lequel Junon elle-
même va s'incliner. Dans l'Enéide, l'histoire du transfert des sacra va
de pair avec la transformation du personnage d'Enée : l'un et l'autre se
font par étapes, et ne suivent pas une progression continue : les
différentes escales des sacra en témoignent; et jusqu'aux derniers vers du
poème, Enée a recours aux armes, mais ce n'est plus alors que
contraint, pour accomplir les fata. Sa transformation, son dévouement
absolu à sa mission religieuse, se manifestent d'ailleurs par le fait que
c'est cette mission même qui le définit et délimite son apport dans le
pacte final qui l'associe à Latinus pour la souveraineté sur le Latium :
nec mihi regna peto : paribus se îegibus ambae
inuictae gentes aeterna in foedera mutant.
Sacra deosque dabo; socer arma Latinus habeto165.
161 Sur le sacrifice du porc aux Pénates, voir supra p. 90; de la truie, infra p. 213 sq.
162 Alex., 1250-52; 1255-60.
163 I, 55-56.
164 Voir C. J. Fordyce, op. cit., p. 208-210.
165 XII, 190-192 : «... et je ne demande pas la royauté pour moi : que sous des lois
égales les deux nations invaincues s'unissent dans une alliance éternelle. Leurs rites,
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 195
leurs dieux, je les leur donnerai moi-même ; que mon beau-père Latinus possède le
pouvoir militaire» (trad. J. Perret, C.U.F., Paris, 1980).
166 Op. cit., Notes Complémentaires, p. 246; cf. aussi id., Le serment d'Enée et les
événements politiques de janvier 27, in Mélanges Durry, REL, 47 bis, 1969, p. 277-295.
167 II, 293. Le rapprochement de ces deux passages a été fait par J. Conington, The
Works of Virgil, vol. 3, Aen. VI-XII (éd. comm., revue par H. Nettleship), Hildesheim,
1963, p. 422-423.
196 LES PÉNATES PUBLICS
II - La tradition iconographique
1) Le VIe siècle
Le thème de la fuite d'Enée apparaît au VIe siècle sur les vases atti-
ques à figures noires et, au début du Ve siècle, sur les vases attiques à
figures rouges169. K. Schauenburg 17° en a relevé 52 exemples sur les
premiers, 5 sur les seconds. Ces figurations correspondent toutes à peu
près au même type iconographique : le groupe central est formé par
Enée portant Anchise sur ses épaules; il n'y a qu'une exception : sur un
lécythe à figures rouges trouvé à Gela171, Enée conduit son père par la
main; le vieillard marche derrière lui. L'aspect guerrier des deux
personnages est souligné : Enée porte toujours un casque, très souvent une
cuirasse et une lance, Anchise tient lui aussi parfois une lance. Ce
groupe n'est jamais isolé, mais les personnages qui l'entourent varient : ce
sont soit des guerriers, soit une femme (sans doute Creuse), ou
plusieurs femmes. Sur les 57 vases de notre corpus, Ascagne n'apparaît
que 1 1 fois, et sur 4 vases figurent autour d'Enée et d'Anchise plusieurs
enfants, ce qui est une attestation de la légende suivant laquelle Enée
aurait eu plusieurs enfants de son mariage troyen 172. Sur aucune de ces
peintures ne figure aux mains d'Anchise ou d'Enée la ciste ou le
récipient contenant les sacra. Tous ces vases sont datés du dernier quart du
168 Cf. W. Fuchs, Die Bildgeschichte der Flucht des Aeneas, A.N.R.W., I, 4, Berlin-New-
York, 1973, p. 615-632.
169 Cf. J. D. Beazley, Attic Black-Figure Vase Painters, Oxford, 1956; Attic Red-Figure
Vase Painters, 2e ed., Oxford, 1963.
170 Aeneas und Rom, Gymnasium, 67, 1960, p. 176-191.
171 J. D. Beazley, Attic Red-Figure Vase Painters, 956.
172 Cf. Cassius Hemina, in Servius, Ad Aen., II, 717 (= fr. 5 Peter); cf. supra
p. 125 sq.
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 197
187 P. Zazoff (ibid.) voit dans l'objet tenu par Anchise non une ciste contenant les
sacra, mais un simple coffret où sont conservés des objets précieux. Cette interprétation,
qui ne nous convainc guère, est reprise par F. Castagnoli (La leggenda di Enea nel Lazio,
p. 4) ; pour F. Zevi (Note sulla leggenda di Enea in Italia, in Gli Etruschi a Roma, Incontro
di studio in onore di M. Pallottino, Rome, 1981, p. 153), la présence des sacra est
caractéristique de l'iconographie italique de la fuite d'Enée, par opposition à ses représentations
grecques.
188 C. Praschniker, Parthenon Studien, Augsburg-Vienne, 1928, p. 107 sq.; G. Κ. Ga-
linsky, op. cit., p. 56; W. Fuchs, op. cit., p. 620.
189 G. Q. Gigliogli, Observazioni e monumenti relativi alla legenda delle origini di
Roma, BMIR, 12, 1941, p. 8-15; Ch. Picard, Un groupe archaïque étrusque: Enée portant
Anchise, RA, 21, 1944, p. 154-156; G. Bendinelli, Gruppo fittile di Enea ed Anchise
proveniente da Veio, RFIC, 26, 1948, p. 88-97; A. Alföldi, Die Trojanischen Urahnen . . ., p. 16-17;
F. Bömer, Rom und Troia, p. 14 sq.; P. J. Riis, Art in Etruria and Latium during the First
Half of the Fifth Century B.C., Entretiens sur l'Antiquité Classique, XIII, Les origines de la
République romaine, Vandoeuvres-Genève, 1967, p. 83; G. K. Galinsky, op. cit., p. 133-134;
M. Pallottino, loc. cit.; J. Perret, Rome et les Troyens, REL, 49, 1971, p. 41-43; M. Torelli,
C.R. de l'ouvrage de L. Vagnetti, // deposito votivo di Campetti a Veio, DArch, 7, 1973,
p. 396-404; G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 169-171.
190 II est impossible de dire si Enée est nu ou vêtu.
200 LES PÉNATES PUBLICS
épaules et serre ses deux bras autour du cou de son fils; pas de trace,
donc, des sacra dans ces célèbres statues, et Ascagne n'apparaît pas. La
datation de ces œuvres est très discutée; G. Bendinelli191 propose
l'explication suivante : autour de 470-460 a dû être érigé, près d'un des
sanctuaires de Véies, un groupe de bronze, grec, représentant Enée et
Anchise; sur ce modèle, on a fabriqué, à partir de moules, des ex-voto
de terre cuite dont nos quatre statues sont un exemple, que G.
Bendinelli date de la lère moitié du Ve siècle. A. Alföldi a d'abord accepté la
datation de H. Fuhrmann192, à savoir cette même moitié du siècle, puis,
plus prudemment, a renoncé à les situer précisément à l'intérieur du Ve
siècle193; ses critères ne sont d'ailleurs pas stylistiques : il pense que ces
statuettes ont été faites en un temps où Enée a pu être considéré
comme un fondateur, c'est-à-dire entre 500 et 400. Au contraire, J. Perret194,
s'appuyant sur une analyse proposée par M. Torelli195, suggère
d'abaisser cette date de presque un siècle : du point de vue stylistique d'abord,
il souligne la gaucherie de ces statues «comme ensommeillées»,
contrastant avec «l'art nerveux et expressif» des vases et des acrotères
du Ve siècle; du point de vue archéologique, il s'appuie sur un
document fourni par l'un des inventeurs, qui estime impossible de dater les
statuettes du Ve ni même du IVe siècle, mais propose le IIIe siècle.
Revenant sur ce problème, P. J. Riis196, par comparaison avec d'autres
œuvres étrusques et latines, situe très précisément ces statues dans le
second quart du Ve siècle. Cette datation haute nous paraît préférable.
La datation basse197, en effet, implique que ces statues ont été faites
sous l'influence de Rome. Or, le type de l'Enée romain, nous le verrons,
est différent : l'image de la fuite comporte généralement celle des sacra
et d'Ascagne, dont la présence avait une telle importance pour les
Romains; ces deux éléments, en revanche, n'intéressaient pas les Grecs,
214 Selon une tradition attestée pour la première fois chez Thucydide (VI, 2, 1-5),
Ségeste serait une fondation d'un groupe de Troyens qui avaient fui après la destruction
de la cité; cf. M. I. Finley, La Sicile antique, Londres, 1968, trad, franc. J. Carlier, Paris,
1986, p. 25-26.
215 Cf. ci-dessus, p. 129-136.
216 E. Sydenham, The Coinage of the Roman Republic, Londres, 1952, p. 168, n° 1013
(pi. 27).
217 Op. cit. p. 624.
218 L'interprétation est très délicate. Cf. W. Fuchs, op. cit., p. 625.
219 G. K. Galinsky, op. cit., p. 51; et p. 3-61 pour l'étude de la figure du pius Aeneas;
cf. aussi J.-P. Brisson, Le «pieux Enée», Latomus, 31, 1972, p. 379-412.
220 Notamment chez Denys d'Halicarnasse, I, 69, 2, cf. infra p. 460-7.
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 205
commencé dès 42, n'ait eu lieu qu'en 2 avant J.-C.226. Il se fonde d'abord
sur le fait qu'à partir de 28, Auguste effectua plusieurs voyages à Troie,
voyages dont l'influence se fait sentir, par exemple, dans la forme de
son mausolée. D'autre part, W. Fuchs met ce groupe statuaire en
relation avec un passage de Virgile, au livre II de l'Enéide, où Enée, lors de
son départ, évoque le tableau qu'il formera avec les siens227 : son père
sera sur ses épaules, et Iule les accompagnera; et il précise228 qu'Anchi-
se portera sacra patriosque penatis, que l'enfant le tiendra par la main
droite, et que lui-même aura les épaules couvertes d'une peau de lion.
Cette évocation semble à W. Fuchs une description tout à fait fidèle du
groupe du Forum d'Auguste; or, note-t-il, c'est entre 29 et 23 que
Virgile a lu à Auguste des livres séparés de l'Enéide, et notamment le livre
II. Nous savons du reste que cette période semble correspondre à une
phase architecturale particulièrement active sur le Forum d'Auguste229.
Enfin, on a retrouvé un fragment de sculpture ayant sans doute
appartenu à ce groupe, que l'on peut dater des mêmes années230. Un autre
témoignage littéraire, celui d'Ovide, est sans doute une allusion à ce
même groupe statuaire :
Hinc uidet Aenean oneratum pondère caro
et tot Iuleae nobilitatis auos;
hinc uidet Iliaden umeris ducis arma ferentem231.
226 P. Zanker, Forum Augustum, Tübingen, 1968, p. 5 sq.; F. Coarelli, Roma (Guide
Archeologiche Laterza), Rome, 1980, p. 104 sq.
227 En. II, 707-711.
228 En. II, 717-724.
229 Op. cit., p. 628 n. 64.
230 Op. cit., et P. Zanker, op. cit., pi. 35.
231 Fastes V, 563-65 : «Ici, il voit Enée chargé de son cher fardeau et maint ancêtre de
la lignée des Jules; là il voit le fils d'Ilia portant sur ses épaules les armes d'un chef
vaincu» (trad. H. Le Bonniec, Bologne, 1970).
232 Pompei alla luce dei scavi nuovi di Via dell'Abbondanza, Rome, 1953, I, p. 150 sq.
(fig. 183 et 184).
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 207
se, et vêtu d'un manteau sacerdotal dont un pli lui couvre la tête;
l'expression du visage est grave; derrière lui se tient un personnage très
mutilé : il n'en reste que le bras droit qui tient un bâton à nœuds, et un
morceau de l'épaule droite et du corps qui permet de voir qu'il porte
un manteau militaire; la tête a été rapportée sur le corps par G.
Moretti246.
Si l'identification du personnage central comme Enée ne soulève
guère de difficulté, il n'en va pas de même pour la figure de droite.
G. Moretti247 propose de voir en elle un compagnon d'Enée, le fidus
Achates, débarqué avec le héros troyen en Italie; il ne peut, selon lui,
s'agir d'Ascagne, que toute la tradition littéraire et iconographique
présente comme un enfant. Mais précisément, l'absence d'Ascagne, ou
Iule, dont la Gens Iulia tire son nom, sur ce relief destiné à célébrer la
dynastie naissante, surprend un peu. Aussi G. Moretti a-t-il supposé,
constatant que la partie du relief située au bas et à droite, contre le
pilastre, était vide, - compte tenu de ce que l'on peut reconstituer du
volume de la silhouette de droite -, qu'Achate tenait par la main Asca-
gne, ou que ce dernier se tenait à côté de lui, dans le coin droit en bas
du relief248. A l'appui de cette hypothèse, on peut faire valoir que
l'ensemble de la scène offrirait alors une composition triangulaire, dont la
tête d'Enée, personnage essentiel, formerait le sommet; de chaque côté
de lui s'ordonneraient symétriquement deux figures, de hauteur
décroissante en allant du sommet à la base du triangle : les deux camilli à
gauche, Achate et Ascagne à droite. Au contraire, S. Weinstock249 fait
remarquer que le personnage d'Achate est une invention de Virgile, et
qu'il est plus vraisemblable de penser qu'il s'agit d'Ascagne : car ce
dernier, qui était un enfant au moment du sac de Troie, peut fort bien être
un jeune adulte lors de l'arrivée des Troyens en Italie; il serait, d'autre
part, surprenant qu'Ascagne ne fût pas présent lors de cette célébration
solennelle. Cette interprétation soulève une difficulté, relevée du reste
par S. Weinstock lui-même : c'est que, s'il s'agit bien d'Ascagne, sa
représentation en adulte serait le seul exemple dans l'iconographie de
ce sacrifice, qui figure sur des médailles d'Antonin le Pieux250. Etant
251 Le personnage d'Hermès-Mercure est présent aussi aux côtés d'Enée et d'Anchise
sur la fresque de la Casa Omerica, datée de 30 avant J.-C. environ. Il y aurait donc
concomitance dans l'apparition du personnage auprès des Enéades dans les représentations
figurées; dans les témoignages littéraires, seul Naevius le mentionne.
252 Op. cit., p. 215.
253 Op. cit., p. 305.
254 I, 56.
255 En. VIII, 81-85.
256 Pax and the Ara Pacis, p. 57.
212 LES PÉNATES PUBLICS
257 J. M. C. Toynbee, Roman Medaillons, New- York, 1944, pi. 25; Cf. F. Castagnoli,
Lavinium. I, fig. 80, 81, 82; Α. Alföldi {Early Rome, p. 272) montre que le nombre réduit
des porcelets figurés ne doit pas empêcher de reconnaître dans l'animal la truie aux
trente porcelets.
258 Macrobe, III, 4, 11; Servius, Ad Aen., III, 12; cf. infra p. 355-61.
259 Comme le fait J. Carcopino, Virgile et les origines d'Ostie p. 607; selon R. Turcan
{Enee, Lavinium et les treize autels, RHR, 200, 1983, p. 51), «la truie n'est pas une victime
appropriée aux Pénates»; contra, voir A. De Marchi, // culto privato di Roma antica,
Milan, 1896, p. 138.
260 Cf. infra p. 424-5.
261 Ara Pads Augustae, Vienne, 1902.
262 Op. cit., p. 215. Sur les représentations des dieux dans les scènes de sacrifice, voir
E. Will, Le relief cultuel gréco-romain. Contribution à l'histoire de l'art de l'Empire romain,
Paris, 1955, p. 241.
ÈNEE ET LES PÉNATES : LE TRANSFERT DES SACRA 213
263 Cf. P. Gros, Aurea Templa. Recherches sur l'architecture religieuse de Rome à
l'époque d'Auguste, Rome, 1976, p. 101 sq.
264 G. Wissowa, Religion und Kultus der Romer, 2e éd., Munich, 1912, p. 56; P. Gros,
op. cit., p. 155 sq.
265 Cf. supra p. 71 sq.; Hug, R.E. XII, s.u. lararium, col. 794-95.
214 LES PÉNATES PUBLICS
271 Cf. H. Le Bonniec, Le culte de Cérès à Rome des origines à la fin de la République,
Paris, 1958, p. 82 : le sacrifice d'une truie «convient particulièrement à Cérès et à Tellus,
mais elle est sacrifiée à bon nombre de divinités, si bien que l'on n'ose rien affirmer».
272 E. Benveniste, Symbolisme social dans les cultes gréco-italiques, RHR, 86, 1945,
p. 12 sq.; G. Dumézil, Tarpéia, Paris, 1947, p. 142 sq.
273 Op. cit., p. 57.
274 Cf. infra, p. 355 sq.
216 LES PÉNATES PUBLICS
d'Enée représente une femme nourrissant deux enfants; quelle que soit
l'identité de cette dernière275, le relief célèbre la prospérité romaine; la
quatrième scène est à peu près complètement effacée276. L'ensemble
illustre donc à la fois la paix et l'abondance romaines, et les deux
reliefs de la façade représentent les deux fondateurs de la race
romaine : Enée, l'ancêtre troyen, et son descendant, Romulus, fondateur de
Rome. L'association des deux personnages en des scènes symétriques
rappelle évidemment les peintures des Fullonica de Pompéi et les
groupes statuaires des niches centrales du Forum d'Auguste.
Les reliefs de Y Ara Pacis célèbrent la paix enfin établie par
Auguste. Ni Romulus, ni Enée ne sont représentés comme les guerriers qu'ils
sont dans certains épisodes de leur légende. Fait très rare dans
l'iconographie du personnage, Enée ne porte pas un casque, mais le vêtement
sacerdotal : il est bien le pius Aeneas chanté par Virgile277; mais il y a
plus : l'expression de son visage, le traitement de sa barbe et de sa
chevelure rappellent, comme le fait remarquer G. Moretti278, le type
iconographique de Jupiter; Enée serait donc définitivement passé ici, pour
reprendre la terminologie de G. Dumézil, de la fonction guerrière à
celle de la souveraineté, et même, il serait presque identifié au dieu de
cette fonction, Jupiter.
On voit comment la légende de la venue d'Enée au Latium et du
transfert des sacra s'est peu à peu élaborée et transformée dans la
littérature et l'iconographie entre le VIe et le Ier siècle avant J.-C. Le destin
du héros troyen se précise peu à peu. Dans la plus ancienne attestation
littéraire du personnage d'Enée, l'Iliade, un avenir brillant est promis
au héros, sans que le poète dise où se réalisera cet avenir. Au VIe siècle,
avec Stésichore - si on accepte de considérer que la Tabula Iliaca
illustre bien son poème -, la terre promise à Enée est l'Hespérie, et au Ve
siècle, Hellanicos et Damastes parlent, selon Denys d'Halicarnasse, de
l'Italie. Aux IIIe et IIe siècles, ni les auteurs grecs ni les auteurs latins
n'ajouteront de précision supplémentaire et ce n'est qu'avec Varron,
puis Virgile, que la légende du débarquement d'Enée au Latium, et
plus précisément à l'emplacement de la future Lavinium, s'établit
définitivement.
1 De L.L. V, 144.
2 Pour une étude détaillée de la signification de ce sacrifice cf. ci-dessous, p. 355-61.
3 Ad Aen. II, 296.
4 III, 4, 11. Sur les deux leçons adeunt et abeunt, voir ci-dessous, p. 355-7.
220 LES PÉNATES PUBLICS
1) La tradition littéraire
πατρω'
δείμας δε
αγάλματ'
σηκον Μυνδία
έγκατοικιεΐ
Παλληνίδι
θεών6.
souligné Holzinger8, par le fait qu'elle est par excellence une déesse
poliade, à Troie en particulier, et que l'établissement de son culte par
Enée dans la cité qu'il fonde en Italie est hautement symbolique du fait
que cette dernière est une nouvelle Troie. Le terme σηκός désigne
«l'enceinte sacrée» plutôt que le temple lui-même9: c'est peut-être une
allusion aux cultes archaïques en plein air, ou au caractère hâtif,
provisoire, de ce premier établissement donné par le Troyen à Athéna; mais
sans doute ne faut-il pas chercher à attribuer un sens trop rigoureux
aux termes d'un texte volontairement énigmatique. A s'en tenir à cette
prophétie en tout cas, les πατρφοι θεοί d'Enée, en qui, croyons-nous, il
faut reconnaître les Pénates, n'ont pas à Lavinium de sanctuaire qui
leur soit propre : leurs images (αγάλματα) sont déposées dans celui
d'Athéna.
Quel crédit peut-on accorder à ce témoignage? Les obscurités et les
fantaisies qu'il contient ne doivent pas jeter sur lui un discrédit total.
Le culte d'Athéna, considérée comme une déesse troyenne, a été étudié
par G. Pugliese Carratelli 10, qui s'appuie sur un texte de Strabon; ce
dernier mentionne les cités d'Italie du sud qui passaient pour des
établissements troyens et où étaient vénérées des statues d'Athéna Ilias
que l'on considérait comme «troyennes»11. Strabon évoque, non sans
ironie, la multiplicité de ces «Athénas troyennes», dont l'une se trouve
à Lavinium : και έν 'Ρώμη και έν Λαουϊνίω και έν Λουχερία και έν Σειρί-
τιδι Ίλιας 'Αθηνά καλείται, ώς εκείθεν κομισθεΐσα 12. Le fait qu'Enée
installe ses dieux ancestraux dans le temple d'Athéna est-il l'expression
d'un lien cultuel? C'est peu vraisemblable, car il n'existe aucune
attestation d'un tel lien, si ce n'est, par l'intermédiaire, précisément, du per-
39 J. Toynbee, op. cit., p. 143, pi. XXV n. 4; F. Castagnoli, op. cit., p. 78 fig. 80; G.
Giorgi, La leggenda delle origini di Roma in un raro medaglione di Adriano, RIL, LVII,
1955, p. 84-87.
40 F. Gnecchi, op. cit., p. 22 η. 115, pi. 55, 8; F. Castagnoli, op. cit., p. 79 fig. 82.
41 A. Alföldi, op. cit., p. 273.
42 On se rappelle que Lycophron (Alex., 1252-1256) faisait allusion aux «trente tours»
de Lavinium, qu'il mettait en rapport avec le nombre de porcelets de la truie
miraculeuse : voir supra p. 173 sq.
43 Op. cit., p. 114.
44 Ibid.
228 LES PÉNATES PUBLICS
45 L'une est conservée au Musée Kestner de Hanovre (inv. 1170) (cf. F. Castagnoli,
op. cit., p. 79 fig. 83), l'autre au Musée d'Aquileia (ibid., p. 79 fig. 84).
46 Cf. F. Castagnoli, op. cit., p. 114.
47 Sur la lampe du Musée de Hanovre, une inscription sur la base du Palladium
désigne Enée, Anchise et Ascagne.
48 Cf. F. Castagnoli, op. cit., p. 115.
49 Auguste se présentait comme un nouveau Romulus (G. Radke, Quirinus. Eine
Kritische Überprüfung der Überlieferung und ein Versuch, A.N. R.W. , II, 17, 1, Berlin-New-
York, 1981, p. 294-95), Hadrien comme un nouvel Auguste (J. Beaujeu, La religion
romaine à l'apogée de l'Empire : I La politique religieuse des Antonins, Paris, 1955, p. 126-127 et
152 n. 2), et Antonin revivifia la légende des origines troyennes {ibid. p. 291-293); voir
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 229
62 A. Sommella Mura, La decorazione del tempio arcaico, PP, 32, 1977, p. 65.
63 F. Castagnoli, Sulla tipologia. . . p. 150.
64 F. Coarelli, Roma (Guide archeologiche Laterza), Rome, 1980, p. 50-52; L. Shoe,
op. cit., p. 104; F. Castagnoli, Sulla tipologia. . ., p. 151.
65 Op. cit., p. 94-97.
66 Op. cit., p. 349.
67 L. Cozza, op. cit., p. 93.
68 Lavinium : Compendio dei documenti archeologici, p. 357-59.
232 LES PÉNATES PUBLICS
Le premier problème posé par l'ensemble des treize autels est celui
de sa destination : ces autels sont-ils consacrés à autant de divinités
auxquelles on pouvait faire un sacrifice simultanément, ou au contraire
sont-ils dédiés à une même divinité par différentes cités, voire une
confédération de cités? En d'autres termes, il faut se demander si le
nombre de ces autels a une signification strictement religieuse, ou une
signification politique.
Le nombre des autels offre déjà une difficulté. Nous avons vu que
les fouilles en avaient mis au jour treize; le XIII est le plus ancien, et
situé à un niveau nettement inférieur à celui de l'autel voisin, le XII;
celui-ci appartient au dernier groupe d'autels construit pour compléter
69 Pour un schéma très clair de ces différents stades de construction de la série des
treize autels, cf. C. F. Giuliani - P. Sommella, op. cit., p. 358 fig. 2.
70 Cf. P. Sommella, in Lavinium II : Lo scavo stratigrafico delle platee, p. 82.
71 Lavinium II : Introduzione, p. 5.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 233
quels les magistrats romains venaient sacrifier une fois par an, et on
accomplissait le sacrifice sur les douze autels, dont le nombre
correspond à celui des dieux; ce nombre serait une marque de l'influence de
la religion étrusque dans le Latium, à la suite probablement d'une
occupation, ou d'une domination politique. Cette hypothèse est
mentionnée par F. Castagnoli78 avec des réserves, mais plus nettement
soutenue par M. Torelli79. A l'appui de cette hypothèse, au premier abord
séduisante, on peut avancer plusieurs arguments. D'autres cultes de
Lavinium portent peut-être la marque d'une influence étrusque, avec
notamment, la présence de l'épiclèse Frutis donnée à Vénus dans cette
cité, interprétée comme la traduction étrusque de ΓΑφροδίτη
grecque80, et le nom de la déesse Juturne81. De plus, nous connaissons par
l'interpolateur de Servius une autre définition des Pénates étrusques :
Tusci Penates Cererem et Palem et Fortunam dicunt*2, liste à laquelle
Caesius, cité par Arnobe dans le texte mentionné plus haut, ajoutait
Genius Iouialis. Or, le culte de Cérès à Lavinium est attesté par le texte
d'une lex sacra gravée sur une lamelle de bronze découverte près d'un
des autels83 et on a trouvé une inscription dédiée à Fortuna sur un
socle de pierre84. Enfin, cette interprétation paraît permettre
d'expliquer de façon cohérente l'ensemble cultuel du temple et des autels.
Cependant, ces arguments en faveur de l'hypothèse d'un sanctuaire
et de douze autels influencés par la religion étrusque nous semblent
assez mal résister à un examen plus approfondi. Sans doute ne faut-il
78 Lavinium I, p. 108.
79 Un templum augurale d'età repubblicana a Bantia, Rend. Line. Série VIII, vol. XXI,
fase. 7-12, 1966, p. 313; id., compte rendu de l'ouvrage de L. Vagnetti, // deposito votivo
di Campetti a Veto, in DArch, VII, 1973, p. 400.
80 R. Schilling, La religion romaine de Vénus, 2e éd., Paris, 1982, p. 75-83; cf.
ci-dessous, p. 315-6.
81 Cf. K. Latte, Römische Religiongeschichte, Munich, 1960, p. 77.
82 Ad Aen. II, 325; voir supra p. 143-4.
83 R. Bloch, Une lex sacra de Lavinium et les origines de la Triade agraire de l'Aventin,
CRAI, 1954, p. 203-212; F. Castagnoli, Lavinium II : Iscrizioni, p. 443-44; Enea del Lazio,
p. 179-180; M. Guarducci, Legge sacra da un antico santuario di Lavinio, ArchClass, 3,
1951, p. 99-103; id., Ancora sulla legge sacra di Lavinio, ArchClass, 11, 1959, p. 204-211 ; id.,
Nuove osservazioni sulla lamina bronzea di Cerere a Lavinio, Mélanges J. Heurgon, Rome,
1976, p. 411-425; H. Le Bonniec, Le eulte de Cérès à Rome, Paris, 1958, appendice, p. 463-
66 : La lex sacra de Lavinium; id., Au dossier de la lex sacra trouvée à Lavinium, Mélanges
J. Heurgon p. 508-517; S. Weinstock, A lex sacra from Lavinium, 1RS, 42, 1952, p. 34-36.
84 F. Castagnoli, Lavinium I, p. 75; 112.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 235
85 L'étymologie de Frutis est très discutée: cf. infra p. 315-6; pour Iuturna, cf. A.
Alföldi, Early Rome, p. 270 sq.
86 Op. cit., p. 633.
87 Die Götter des Martianus Capella und der Bronzeleber von Piacenza, Gieszen, 1906,
p. 33-42; id., Die Etruskische Disciplin, Göteborg, 1906, I, p. 27 sq.
88 Rivista di Epigrafia Etrusca, SE, 22, 1948-49, p. 254.
89 Varron, Economie rurale, I, C.U.F., Paris, 1978, Commentaire p. 93-94, n. 8.
90 Notamment Augustin, De Ciu. Dei, IV, 23.
236 LES PÉNATES PUBLICS
91 R.R. i, 1, 4.
92 F. Coarelli, Guida archeologica di Roma, Milan, 1974, p. 50-51 ; 74.
93 Liv., XXII, 9, 10.
94 Gette question a fait l'objet de nombreux travaux, très bien analysés par F.
Castagnoli, Lavinium I, p. 107 (η. 10 à 14 en particulier).
95 Op. cit., p. 312.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 237
l'érudition romaine qui aurait fait, au Ier siècle, la lumière sur leurs
origines étrusques. Il ne peut s'agir ici que d'hypothèses, que nous ne
pouvons, étant donné la complexité de la question, laisser de côté, mais qui
ne permettent pas d'affirmer pour les Pénates de Lavinium une origine
étrusque incontestable.
Néanmoins, il est surprenant, si les douze autels ont été dédiés à
douze Pénates inspirés par le modèle étrusque, qu'ils n'aient pas été
construits ensemble, et surtout que l'achèvement définitif de
l'ensemble, constituant une série complète à peu près sans intervalle entre les
plates-formes des autels, se situe au IVe siècle, en un temps où la
domination étrusque sur Rome et le Latium ne se fait plus sentir depuis
longtemps96. Aussi l'hypothèse selon laquelle les douze autels de
Lavinium seraient consacrés aux Pénates, douze divinités héritées de la
religion étrusque ou influencées par elle, nous paraît-elle séduisante, parce
qu'elle permet de résoudre avec élégance les deux problèmes essentiels
posées par l'ensemble cultuel (signification du nombre des autels,
destination de ces autels et du sanctuaire attenant), mais fragile.
Le chiffre douze peut aussi s'expliquer par une influence de la
religion grecque, dont l'apport dans la religion romaine à l'époque
classique est depuis longtemps admis97; en ce qui concerne l'époque
archaïque, on accorde aujourd'hui une part de plus en plus importante à
l'apport grec, parfois par l'intermédiaire de la Grande-Grèce, dans
l'élaboration de la civilisation du Latium entre le VIe et le IVe siècles. Nous en
avons vu des exemples en étudiant la diffusion de la légende d'Enée de
Grèce en Italie. Les douze autels et le sanctuaire seraient alors dédiés
aux douze grands dieux hérités du dodékathéon grec98. G. Pugliese
Carratelli" a défendu cette thèse, en montrant que la Grande-Grèce a
souvent servi d'étape intermédiaire entre la Grèce et le Latium,
notamment dans le domaine religieux. Il cite l'exemple de cultes grecs
adoptés par Rome : celui d'Hercule, de Diane sur l'Aventin, de la triade de
Demeter, Dionysos, et Korè. A Lavinium même, il relève des cas
analogues d'adoption de dieux grecs : culte de Cérès attesté par la lex sacra,
dont les prescriptions rituelles lui semblent de caractère grec, et celui
100 F. Castagnoli, Lavinium II : Iscrizoni, p. 441-443 (avec une bibliographie); id., Enea
nel Lazio, p. 179-1800; ce problème sera étudié dans le chapitre suivant, p. 285-92.
101 De même, on a voulu voir dans la présence d'Enée à Lavinium tantôt une marque
de l'influence étrusque, tantôt au contraire on l'a considérée comme l'expression d'une
propagande anti-étrusque (cf. G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 165-179); G. Dumézil {Anchise
foudroyé? dans L'oubli de l'homme et l'honneur des dieux, Paris, 1985, p. 160-161)
suppose que la légende d'Enée, implantée en Italie centrale avant la domination étrusque sur
Rome, aurait pu focaliser, par la suite, la propagande anti-étrusque, et aurait «nourri la
résistance des Latins à l'hégémonie des Tarquins installés sur les sept collines».
102 Cf. L. Séchan et P. Leveque, Les Grandes Divinités de la Grèce, Paris, 1966, p. 26.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 239
Saliens, prêtres du dieu, et, aussi, avec le nombre des mois de l'année,
ou les signes du Zodiaque. A Rome, les Frères Arvales sont également
douze. Il est probable, en outre, qu'à ce chiffre s'attache une notion de
tout achevé, et par là, de perfection, comme en témoigne le passage de
Virgile très judicieusement cité par F. Castagnoli à ce propos107; il s'agit
de l'arrivée de Latinus en face des armées latine et troyenne :
Latinus. . .
cui tempora circum
aurati bis sex radii fulgentia cingunt,
Solis aui specimen . . . 108
nos, qui avait été obligé d'émigrer en Italie, la fondation dans ce pays
de douze cités à la tête desquelles se trouvait un chef unique, éponyme
de Tarquinia; cette cité se trouvait donc très probablement à la tête de
la ligue : δώδεκα πόλεις εκτισεν (= Tyrrhénos), οικιστή ν έπιστήσας
Τάρκωνα, αρ' ού Ταρκυνία ή πόλις. La permanence de cette ligue est
attestée au temps de Tarquin l'Ancien, puisque, selon Denys d'Halicar-
nasse, des ambassadeurs étrusques viennent apporter au roi douze
haches appartenant chacune au chef d'une des cités : και τους δώδεκα
πελέκεις έκόμισαν αύτω λαβόντες έξ έκαστης πόλεως ενα114. Denys
mentionne une nouvelle soumission des douze cités étrusques (αί δώδεκα
πόλεις) à Rome sous le règne de Servius Tullius115.
Cette ligue des douze cités étrusques aurait servi de modèle, selon
F. Altheim116, à la réorganisation de la Ligue latine opérée par Servius
Tullius. La même idée a été reprise par M. Di Vietri117, qui explique la
mainmise de Rome sur la Ligue latine comme une conséquence de la
destruction d'Albe, qui exerçait jusqu'alors l'hégémonie. Selon elle, à
l'occasion de ce changement dans la direction de la Ligue, la nature
même de cette dernière aurait été modifiée : l'association à caractère
strictement religieux des Latins, sous la tutelle d'Albe et autour du
sanctuaire de Jupiter Latiaris sur le Mont Albain, serait devenue une
confédération politique dont Servius Tullius aurait pris le modèle sur
les Etrusques, et qui, à l'imitation de ceux-ci, aurait comporté douze
cités. Ce changement dans la direction et le caractère de la Ligue aurait
été facilité par la destruction d'Albe, et, conséquemment, la disparition
de la tutelle religieuse autour de laquelle s'organisait la confédération.
Pourtant, cette dernière aurait conservé une expression religieuse, avec
l'instauration du culte de Diane sur l'Aventin, que Denys d'Halicarnasse
rapporte en effet aux mêmes circonstances et au même roi118.
Ainsi s'établit une sorte de filiation dans un modèle de ligue à la
fois politique et religieuse119. Le modèle ionien de la dodécapole a
inspiré la constitution de la confédération des douze cités étrusques, qu'a
114 III, 61, 2; voir R. Bloch, Appendice IV : les insignes du pouvoir à Rome, p. 122,
dans Tite-Live, II, C.U.F., Paris, 1967; P.-M. Martin, L'idée de royauté à Rome. De la Rome
royale au consensus républicain, Clermont-Ferrand, 1982, p. 122.
115 IV, 27, 4.
116 Op. cit., p. 69.
117 Una dodecapoli etrusco-romana al tempo di Servio Tullio?, SCO, 2, 1953, p. 79-82.
118 IV, 26, 4.
119 Cf. J. Heurgon, L'Etat étrusque, p. 87.
242 LES PÉNATES PUBLICS
120 Ajoutons que Diane reçoit, outre le culte de l'Aventin, un culte fédéral à Némi,
près d'Aricie (cf. F. H. Pairault, Diana Nemorensis, déesse latine, déesse hellénisée, MEFR,
81, 1969, p. 425-471).
121 C'est cette version que l'on trouve dans l'Origo Gentis Romanae : Ascanius comple-
tis in Lauinio triginta annis recondatus nouae urbis condendae tempus aduenisse ex
numero porculorum, quos pepererat sus alba. . . ciuitatem communit (17, 1).
122 V. 1253-1260: «Au pays des Aborigènes, sur les Latins et les Dauniens, il fondera
une cité avec trente tours, en nombre égal aux petits de la truie noire qu'il transporta sur
son navire depuis les hauteurs de l'Ida et le pays de Dardanus, et qui mit au monde en
une fois ce nombre de petits; dans une seule cité il placera son image et celle des
porcelets nourris de lait, façonnée en bronze»; voir supra p. 173-4; cf. aussi D. Briquel,
L'oiseau ominal, la louve de Mars, la truie féconde, MEFR, 88, 1976, p. 40 sq.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 243
128 V, 61, 3.
129 Cf. A. Alföldi, Early Rome, p. 53.
130 Lavinium I, p. 102.
131 Fr. 58 Peter = Priscian. IV n. 629 P.
132 Cf. F. Castagnoli, loc. cit.
133 Early Rome, p. 25 sq.
134 Op. cit., p. 102.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 245
135 IX, 42, 11 ; IV, 25, 7-8 (cf. A. Alföldi, op. cit., p. 28 n. 3 et 4).
136 VIII, 58, 1, cf. A. Alföldi, loc. cit.
137 Römische Geschichte, Berlin, 1926, p. 165.
138 Op. cit., p. 68 sq.
139 Compte rendu de l'ouvrage d'A. Alföldi, Early Rome, in JRS, 57, 1967,
p. 215 = Quarto contributo alla storia degli studi classici e del mondo antico, Rome, 1969,
p. 496.
140 Lavinium, I, p. 102.
141 Op. cit., p. 47 sq.
142 Op. cit., p. 85 sq.
143 Municipium et ciuitas sine suffragio. L'organisation de la conquête jusqu'à la
Guerre Sociale, Coll. de l'Ecole Française de Rome, 36, Rome, 1978, p. 66 n. 59.
246 LES PÉNATES PUBLICS
149 Cf. aussi F. Castagnoli, Sulla tipologia. . . p. 145 sq.; L. Cozza, Le tredici are :
struttura et architectura, in Lavinium II, p. 89 sq.
150 Cf. M. Humbert, op. cit., p. 176-195; cf. infra p. 347 sq.
151 Das Heroon . . .. loc. cit.
152 Lo scavo stratigrafico delle platee, in Lavinium II, p. 81 sq.
248 LES PÉNATES PUBLICS
153 Pour une étude très détaillée, cf. P. Sommella, Lo scavo stratifrafico delle platee,
p. 83.
154 Dans un article récent (Enée, Lavinium et les treize autels, RHR, 200, 1983, p. 54-
61), R. Turcan propose un schéma explicatif plus souple du nombre des autels et de sa
signification : les bouleversements stratigraphiques qu'a connus le site rendent assez
suspectes les conclusions trop rigides que l'on pourrait tirer des données du terrain; R.
Turcan admet néanmoins que le nombre des autels utilisés simultanément a pu passer de 13
à 12 (ce dernier chiffre au milieu du IVe siècle), ce en quoi il se rallie aux explications
proposées par les archéologues italiens (cf. C. F. Giuliani-P. Sommella, op. cit., p. 359); R.
Turcan pense pouvoir rendre compte de ce changement par les particularités propres du
calendrier lavinate, qui, selon Augustin citant Varron, aurait d'abord comporté treize
mois, mais aurait pu être ramené à douze au milieu du IVe siècle, lors de la dissolution de
la Ligue latine et de l'établissement de l'hégémonie romaine sur le Latium, événements
qui « durent s'accompagner de certaines mesures d'uniformisation et d'alignement sur les
institutions romaines» (op. cit., p. 61); selon R. Turcan, un rituel d'offrandes mensuelles
se pratiquait sur ces autels, dont chacun était réservé à un mois.
155 A. Alföldi (Early Rome, p. 89) remarque que les sanctuaires fédéraux - c'est le cas
de celui de Diane sur l'Aventin - ont pour caractéristique d'être situés à l'extérieur des
murs d'enceinte, ce qui s'explique par les privilèges d'exterritorialité dont il doivent
bénéficier.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 249
C) La divinité dedicatane
163 CIL X, 797; Cf. J. Carcopino, Virgile et les origines d'Ostie, 2e éd., Paris, 1968,
p. 168 sq.
164 Cf. infra, p. 354-5; A. Alföldi Early Rome, p. 264-265 et n. 9.
165 Voir aussi Die Trojanischen Urahnen der Römer, Bale, 1957, p. 46 et n. 124-125; F.
Castagnoli {Lavinium I, p. 104 n. 5) approuve cette interprétation.
166 Cor., 29, 2: «Lavinium, où les Romains gardaient les emblèmes sacrés des dieux
de leurs ancêtres et d'où leur nation tirait son origine, puisque c'était la première ville
fondée par Enée» (trad. R. Flacelière et E. Chambry, C.U.F., Paris, 1964).
167 Denys d'Halicarnasse, I, 67, 3.
168 C. F. Giuliani - P. Sommella, op. cit., p. 366-368.
169 Op. cit., p. 367; id., Heroon di Enea a Lavinium, RPAAA4, 1971-72, p. 47-74; id.,
Das Heroon des Aeneas und die Topographie des antiken Lavinium, Gymnasium, 81, 1974,
p. 273-303; en revanche, J. Poucet (Le Latium protohistorique et archaïque II, AC, 48, 1979,
p. 181-182) est très réticent pour admettre cette identification, et exprime les mêmes
réserves dans Un culte d'Enée dans la région lavinate au quatrième siècle avant J.-C.?,
Hommages à Robert Schilling, Paris, 1983, ρ 187-201; de même G. Dury-Moyaers, op. cit.,
p. 212 n. 163.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 251
170 I, 64, 5.
171 La proximité des deux édifices fait aussi pencher L. Quilici (Roma primitiva e le
origini delle civiltà laziale, Rome, 1979, p. 135 sq.) pour une identification du sanctuaire
des Treize autels comme celui d'Indiges et des Pénates.
. m II, 52, 3.
173 E. Cary, traducteur de l'édition Loeb (Cambridge, 1968, p. 461), la traduit par un
singulier : « at the altar ».
252 LES PÉNATES PUBLICS
174 C. Peyre, Castor et Pollux et les Pénates pendant la période républicaine, MEFR, 74,
1962, p. 433-462; cf. infra p. 437-9.
175 A. Alföldi pense, pour sa part, qu'il a existé deux lieux de culte des Pénates à
Lavinium : d'une part, le sanctuaire fédéral des Treize autels {Early Rome, p. 265-267), où les
Pénates étaient identifiés aux Dioscures, réinterprétation modernisée de vieilles divinités
locales, vénérées d'autre part dans une petite chapelle représentée sur le relief de l'Ara
Pads (op. cit., p. 269).
176 Cf. supra, p. 41 sq.
177 Cf. aussi R. Turcan, op. cit., p. 57.
178 F. Castagnoli, Lavinium II : Introduzione, p. 4.
179 Macrobe, III, 4, 11; Servius-Daniel, Ad Aen. III, 12.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 253
189 L'autre se trouve dans Festus: Frutinal templum Veneris Fruti (80 L); mais cette
définition ne contient aucune indication sur la localisation du sanctuaire en question.
190 R. Schilling {La religion romaine de Vénus, 2e éd. Paris 1982, p, 75 sq.) donne au
mot une origine étrusque; cf. F. Castagnoli, Lavinium I, p. 106-107, pour un résumé des
différentes explications proposées.
191 432 L : «En effet les Italiques se voilent la tête à l'imitation d'Enée car ce dernier,
tandis qu'il faisait sur le rivage de Vager Laurens un sacrifice à sa mère Vénus, se couvrit
la tête afin qu'Ulysse ne le reconnût pas et ne lui fît pas interrompre le sacrifice, et évita
ainsi d'être vu par l'ennemi».
192 S.u. 'Αφροδίτη.
193 M. Torelli (Lavinio e Roma, p. 161) attache cependant une grande importance à
cette indication : il faudrait comprendre qu'Aphrodite έφιππος accompagne son fils
jusqu'à l'endroit où se couche le soleil, donnant ainsi au culte qui sera implanté en ce lieu
une connotation solaire qui l'oppose à la valeur lunaire de celui d'Aphrodite; les deux
divinités seraient associées dans les processus de maturation du vin, ce qui permet à
M. Torelli de donner de l'épiclèse Frutis une explication nouvelle : le mot serait à mettre
en relation avec defrutum («le vin nouveau»), Vénus Frutis étant alors définie comme
«celle qui fait fermenter le moût» (pp. cit., p. 172-173).
194 V, 3, 5 : «Au milieu entre Ostie et Antium se trouve Lavinium, qui possède un
sanctuaire d'Aphrodite commun à tous les peuples latins, mais commis aux soins des
Ardéates, qui le font entretenir par des intendants. Puis vient Laurentum, puis, en arrière
256 LES PÉNATES PUBLICS
de ces villes, Ardéa, établissement des Rutules à 70 stades de la mer, près du sanctuaire
d'Aphrodite où les Latins tiennent leur panégyrie. Les Samnites ont pillé ces lieux, mais
si l'on n'y voit que les vestiges des villes antiques, ces vestiges, du moins, ont été rendus
illustres par le séjour d'Enée, et par les cérémonies sacrées qu'on prétend remonter
jusqu'à cette époque reculée» (trad. F. Lasserre, C.U.P., Paris, 1967).
195 Nous n'aborderons pas ici le problème de la relation entre Lavinium et Lauren-
tum; nous renvoyons à J. Carcopino Virgile et les origines d'Ostie, p. 327; F. Castagnoli,
Lavinium I, p. 85-90.
196 Pour la question de l'administration de ce sanctuaire, cf. ci-dessous, p. 362 sq.
197 Pour R. Schilling (op. cit., p. 68) il a bien existé deux sanctuaires fédéraux de
Vénus-Aphrodite, l'un à Lavinium, le plus ancien, l'autre à Ardée, sorte de «filiale» du
temple de Lavinium ; au contraire, A. Alf oidi (Early Rome, p. 256 n. 7) et F. Castagnoli {op.
cit., p. 110-111) estiment invraisemblable l'existence de deux sanctuaires fédéraux de
Vénus à si peu de distance l'un de l'autre; bibliographie de la question in Lavinium I,
p. 110 n. 8.
198 III, 5, 56-7.
199 II, 4, 71.
200 Lavinium II : Introduzione, p. 5 ; le savant italien a repris cette même hypothèse
dans une conférence faite à E.P.H.E. le 13 mars 1982: Lavinium: Topographie. Cultes
intra et extra muros.
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 257
2) Le sanctuaire de l'est
201 Voir A. Dubourdieu, Le sanctuaire de Vénus à Lavinium, REL, 49, 1982, p. 83-
101.
202 Lavinium I, p. 37 et 111.
203 Cf. G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 153-158. Outre les objets présentés en septembre
1981 -janvier 1982 à Rome à l'exposition Enea nel Lazio (cf. Catalogue, p. 187-271) la
découverte du dépôt votif avait été brièvement commentée dans P. Sommella, Le dépôt de
statues votives découvert à Pratica di Mare, Archeologia, n° 116 mars 1978 p. 20-21 (trad. R.
Chevallier). La statue de Minerve a fait l'objet d'une publication détaillée : F. Castagnoli,
// culto di Minerva a Lavinio, Accademia Nazionale dei Lincei 1979, quaderno 246, p. 3-
14.
204 Enea nel Lazio p. 187-190.
205 R. Turcan (op. cit. p. 66) considère que le texte de Strabon (V, 3, 5) citant l'Aphro-
dision fédéral des Latins comme un sanctuaire encore en service au moment où il écrit
va à l'encontre de l'identification de ce monument avec le sanctuaire des Treize autels,
sûrement tombé en désuétude du temps du géographe, puisque Denys d'Halicarnasse,
son contemporain, ne mentionne pas l'édifice; le texte de Pline, infirmant le témoignage
de Strabon (quondam), évoque, selon R. Turcan, le temple situé entre Ardée et Antium,
non le sanctuaire des treize autels; contra : M. Torelli, op. cit., p. 157-173.
258 LES PÉNATES PUBLICS
209 Ces deux aspects de la déesse sont relevés par F. Castagnoli {Enea nel Lazio,
p. 189); M. Torelli, au contraire (Lavinio e Roma, p. 19-31), estime que le caractère
essentiel de la Minerve lavinate est celui de protectrice des initiations juvéniles.
210 Enea nel Lazio, p. 193-194, D 62.
211 Ibid., p. 193-194, D. 63.
212 Ibid., p. 194.
213 Notamment Cicéron, Scaur., 48 : Palladium illud quod quasi pignus nostrae saluas
atque imperi custodiis Vestae continetur; cf. ci-dessous p. 460-7.
214 Enea nel Lazio, p. 239-240, D 224; F. Castagnoli, ibid. p. 10-11.
215 F. Castagnoli, ibid., t. XI, fig. 3.
216 En. II, 171; II, 227; V, 615. Pour les différentes interprétations de cette épithète,
cf. F. Castagnoli, II culto. . ., p. 4-6; id., Enea nel Lazio, p. 191.
217 II, IV, 515; Vili, 39; XXIII, 183; Od., Ili, 78.
218 Théogonie, 893 ; 924.
219 F. Castagnoli, op. cit., p. 4 η. 5.
260 LES PÉNATES PUBLICS
220 Lazio, Roma e Magna Grecia prima del secolo quarto a.C, PP, 23, 1968 p. 324. Cf.
aussi C. Bearzot, loc. cit. ; M. Sordi, loc. cit. C. Cogrossi, loc. cit.
221 VI, 1, 14.
222 I, 57, 1.
223 Penatibus pariter et Vestae (Macrobe III, 4, 11); Penatibus simul et Vestae (Servius-
Daniel, Ad Aen. Ili, 12).
LE SANCTUAIRE DES PÉNATES À LAVINIUM 261
224 C'est l'hypothèse à laquelle est arrivé aujourd'hui F. Castagnoli (Ancora sul culto
di Minerva a Lavinio, BCAR, 90, 1985, p. 8-10), qui note qu'elle est conforme aux données
iconographiques des monnaies d'Antonin et d'Hadrien ; cf. supra p. 227-8.
225 P. Sommella, Lavinium. Rinvenimenti preistorici, Arch Class., 21, 1969, p. 18-33;
M. A. Fugazzola Delpino, L'età del bronzo, in Civiltà del Lazio primitivo, Rome, 1976,
p. 17-19; p. 65-67; G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 99 sq.
CHAPITRE III
IDENTITÉ ET HISTOIRE
DES PÉNATES DE LAVINIUM
1) Le témoignage de Timée
4 ι, 67, 4.
5 Ρ. Sommella, Lo scavo stratigrafico delle platee, in F. Castagnoli. . . Lavinium II : Le
Tredici Are, Rome, 1975, p. 45.
6 J. Perret, Les origines de la légende troyenne de Rome, Paris, 1942, p. 346; 441-
443.
7 Voir J. Gagé, Comment Enée est devenu l'ancêtre des Siluii albains?, MEFR, 88,
1976, p. 8.
8 I, 67, 4 : πυθέσθαι δε αυτός ταΰτα παρά των έπιχωρίων; cf. ci-dessus, p. 124-5.
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 265
μεν ό συγγραφεύς ώδε άποφαίνει · κηρύκεια σιδηρά και χαλκά και κέρα-
μον, Τρωικον είναι τα έν τοις άδύτοις τοις εν Λαουϊνίφ κείμενα ίερά9.
Avant d'essayer de voir quel type de relation les objets décrits par
Timée peuvent avoir avec la divinité, il convient de s'interroger sur leur
signification propre et d'abord sur celle de ces «caducées de fer et de
bronze», dont c'est l'unique mention, aussi bien dans le culte privé que
dans le culte public des Pénates. Le κηρύκειον, de par son nom même10
n'est pas défini autrement que par son appartenance au héraut, et cette
désignation comme «bâton de héraut» n'implique pas a priori de
décoration particulière. Pourtant, dans la plupart des représentations
figurées, ce qui distingue le caducée du simple bâton, ce sont les ornements
de son extrémité supérieure, qui se présentent comme des
entrelacements assez compliqués, mais se ramenant à deux types à partir
desquels existent des variations11. On trouve d'une part, à l'extrémité du
bâton, un cercle surmonté d'un autre cercle ouvert, ou, d'un arc de
cercle assez court, d'autre part deux bifurcations entrecroisées enroulées
le long de la partie supérieure du bâton12. On a cherché à ces formes
des explications. L'une d'elles a été suggérée à A. Legrand13 par le fait
que le caducée est le bâton d'Hermès, dieu qui «a d'abord été pâtre»;
or, ajoute-t-il à propos de la forme particulière du caducée, «les pâtres
grecs ont pu trouver naturellement cette forme en contournant des
scions laissés au bout d'une branche». Cette explication, qui nous
semble plausible, ne prend en compte que l'aspect ornemental du caducée.
Aussi A. Legrand en propose-t-il également une autre, qui n'infirme du
reste pas la première. Le caducée présenterait la reproduction de
modèles iconographiques antérieurs, empruntés à l'Orient; pour
l'entrecroisement des rameaux, on peut songer à la figuration de l'arbre sacré
14 Sur le caducée dans les monuments phéniciens, cf. V. Bérard, Essai de méthode en
mythologie grecque. De l'origine des cultes arcadiens, Paris, 1894. Sur l'expansion
phénicienne en Occident, G. Garbini, I Fenici in Occidente, SE, 34, 1966; p. 111-117; J. Heurgon,
Rome et la Méditerranée occidentale, 2e éd., Paris, 1980, p. 127-131 ; 145-149.
15 Cf. Gazette archéologique, 1879, p. 133 (cité par A. Legrand, op. cit., p. 1807 n. 13).
Selon A. Legrand (ibid. n. 19), le caducée est aussi un des hiéroglyphes des inscriptions
hittites.
16 A. Legrand, ibid., n. 21.
17 R. Cagnat et V. Chapot (Manuel d'Archéologie romaine I, Paris, 1916, p. 401)
donnent la même explication de cet emprunt : «... l'attribut habituel d'Hermès, le caducée,
emblème oriental que les Grecs avaient adopté à contre-sens ». Le caducée est attesté dans
l'art mycénien, comme on peut le voir sur un anneau d'or trouvé à l'Agora d'Athènes, où
il figure aux mains d'un personnage mal identifié (Ch. Picard, Les Religions
préhelléniques, Paris, 1948, p. 255 n. 2).
18 Les religions de l'Afrique antique, Paris, 1954, p. 77-78.
19 La même remarque a été faite par M. Leglay, Saturne africain, Paris, 1966
(notamment pi. XVII fig. 1, pi. XXI, fig. 2; 3; 5).
20 Théogonie, 938-39.
21 Od. X, 319.
22 Β. Combet-Farnoux (Mercure romain. Le culte public de Mercure et la fonction
mercantile à Rome de la République archaïque à l'époque augustéenne, B.E.F.A.R., vol 238,
Rome, 1980, p. 343) note que κηρύκειον «était une forme adjective, qui dans l'expression
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 267
32 Cf. Heichelheim, in RE, XV, 1, s.u. Mercurius, col. 975-982. Dans les peintures qui
décorent l'entrée de la maison de Trimalcion {Sat., XXIX), le maître de maison est
représenté, jeune, lors de son arrivée à Rome, un caducée à la main (caduceum tenebat); il
semble que ce soit une allusion à la fortune qu'il va faire dans le commerce, comme en
témoigne aussi, un peu plus loin, l'effigie de Mercure soulevant Trimalcion. Cf. aussi
B. Combet-Farnoux, op. cit., p. 426-431.
33 III, 52.
34 s.u. κηρύκειον.
35 Ad Aen. IV, 242 : uirga serpentes diuidit.
36 Ad Aen. VIII, 138 : caduceum Uli ideo adsignatur, quod fide media hostes in amici-
tiam conducati cf. Β. Combet-Farnoux, op. cit., p. 343-45.
37 hoc. cit. : serpentes ideo, introrsum spectantia capita habent ut significent inter se
legatos colloqui et conuenire debere.
38 Ibid. : quibus caduceis duo mala adduntur, unum Solis, aliud Lunae.
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 269
66 Cette suggestion, dont nous le remercions vivement, nous a été faite par M. A.
Hus.
67 P. Sommella, Lavinium. Rinvenimenti preistorici e protoistorici, AC, 21, 1969,
p. 18-33; M. A. Fugazzola Delpino - R. Peroni, Le fasi cultuali della protoistoria laziale, in
Lazio primitivo, Catalogue de l'Exposition, Rome, 1976, p. 17-25; G. Dury-Moyaers, Enee
et Lavinium. A propos des découvertes archéologiques récentes, Coll. Latomus, vol. 174,
Bruxelles, 1981, p. 99 sq. (avec bibliographie).
68 R. Peroni, Contatti tra il Lazio e il mondo miceneo, in Enea nel Lazio, Catalogue de
l'Exposition Rome, 1981, p. 87-89.
69 Op. cit., p. 87.
70 M. Pallottino (Storia della prima Italia, Milan, 1984, p. 59) note que la légende
d'Enée, comme tous les nostoi des héros de la Guerre de Troie, fait partie des apports
mycéniens en Italie à cette époque.
71 Voir infra p. 320 sq.
72 P. Sommella, Heroon di Enea a Lavinium, RPAA, 44, 1971-72, p. 47-74.
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 275
qualifiée de Τρωικόν. Car il nous paraît que cet adjectif est une allusion
aux origines troyenne, sinon de Rome, au moins de Lavinium, et qu'il
est appliqué, par les Lavinates, à des objets sacrés (ιερά) apportés par
Enée, selon la légende, jusqu'au Latium. A tout le moins, il implique la
tradition d'une venue des Troyens à Lavinium73, peut-être d'une
fondation de Lavinium par des Troyens. Peut-être aussi faut-il interpréter ce
κέραμος comme le vase, ou la ciste, qui était supposé renfermer les
sacra de Troie, et que l'on voit aux mains d'Anchise sur certaines
représentations, le scarabée étrusque de la Collection de Luynes notamment,
et aussi la Tabula Iliaca du Capitole, mais, également, sur l'amphore de
Vulci74 où un personnage identifié comme Creuse tient sur la tête un
vase allongé. M. Crawford75 propose de voir dans ce récipient la ciste
dans laquelle furent transférés les sacra troyens, met cette
représentation en rapport avec le texte de Timée, et établit, de plus, un
parallélisme avec des faits romains, puisque, selon Tite-Live76, les sacra du
Penus Vestae furent cachés dans des doliola lors du siège de Rome par
les Gaulois en 390.
A la lumière de l'adjectif Τρωικός, les caducées de nos dieux nous
paraissent mieux s'expliquer, comme emblèmes de divinités errantes,
elles aussi d'origine troyenne. Il est tout à fait remarquable, d'ailleurs,
que ce soit dans la seule Lavinium, où les Pénates sont, à strictement
parler, des étrangers, qu'existe cette tradition concernant la présence
de caducées. Au demeurant, la signification originelle des caducées de
Lavinium a pu, elle aussi, se perdre, ou prêter à d'autres
interprétations, conformes à la nature ou aux attributions des Pénates, dont nous
suggérons l'une comme possible. Le caducée est l'emblème de Mercure,
comme messager des dieux, mais aussi, comme patron negotiorum
omnium77, dieu des marchands78; étant donné l'importance du commerce
du blé à Rome, il a été considéré également comme le dieu de
l'approvisionnement en blé79. Les Pénates étant «ceux de la réserve aux
provisions», on peut avancer l'hypothèse selon laquelle les caducées de Lavi-
73 Cette tradition est confirmée, avant Timée même, par des témoignages littéraires
et iconographiques. Cf. ci-dessus, p. 162 sq.
74 Voir ci-dessus, p. 201 sq.
75 A Roman Representation of the κέραμος Τρωικός, JRS, 61, 1971, ρ. 153-154.
76 V, 40, 8 ; voir ci-dessous, p. 470-80.
77 Festus, 111 L.
78 G. Dumézil, La Religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, p. 439-440.
79 Cf. Heichelheim, op. cit., col. 975-982.
276 LES PÉNATES PUBLICS
80 Die Όeberlief erung über die römischen Penateti, Gesammelte Abhandlungen zur
römischen Religions und Stadt Geschichte, Munich, 1904 p. 110 sq.
81 Ad Aen. II, 717: «Varron, dans le second livre des Histoires, raconte qu'après la
prise de Troie, Enée emporta sur ses épaules ses dieux Pénates, représentés sous forme
de statuettes de bois, de pierre, et aussi de terre».
82 Cf. F. Borner, Rom und Troia, Baden-Baden, 1951, p. 60 sq.
83 Comme dans l'une des représentations de la Tabula Iliaca du Musée du Capitole;
voir supra, p. 163 sq.
84 Ad Aen. III, 148: «Varron, dans le second livre des Res Humanae, dit qu'Enée
ramena en Italie ses dieux Pénates, des statuettes de bois ou de pierre».
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 277
85 De Ciu. Dei IV, 31 : «Varron dit aussi que les anciens Romains honorèrent les
dieux sans images pendant plus de cent soixante-dix ans; si cette coutume, ajoute-t-il,
s'était maintenue, les dieux seraient vénérés avec plus de pureté».
86 I, 68, 1.
87 Op. cit., p. 61-65 et 99-110.
88 Op. cit., p. 102.
89 Dictionnaire étymologique de la langue latine, s.u. signum.
90 Les Pénates et l'ancienne religion romaine, REA, 54, 1952, p. 109-115.
278 LES PÉNATES PUBLICS
91 Alex., 1261-62.
92 P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, I, Paris, 1968, s.u.
άγάλλομαι.
93 I, 67, 1-2.
94 P. Chantraine, op. cit., I, s.u. βρέτας; II, Paris, 1970, s.u. εζομαι.
95 F. Jacoby (F. Gr. Hist. Ill, Β, ρ. 566, Fr. 59) ne retient pas ces mots comme étant
de Timée, à qui il n'attribue que la description des ιερά.
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 279
décrits par Timée, ont avec ces dieux, ni même s'ils en ont un; c'est
précisément la nature de ce rapport que nous voudrions éclairer un
peu à présent.
J. Perret" a mis en doute l'existence de ce lien puisque, selon lui,
Timée «a reconnu. . . la poterie troyenne, il aura apparemment vu dans
ces vases des présents offerts par Enée aux indigènes; les caducées de
fer ou de bronze lui ont paru se rapporter aux inévitables ambassades
qu'un nouveau venu comme Enée devait adresser aux occupants de la
terre où il voulait se fixer»; et, ajoute J. Perret, ce n'est que beaucoup
plus tard, avec Varron, dont s'est inspiré Denys, que ces objets,
originellement sans rapport avec eux, auraient été identifiés comme les
Pénates de Lavinium. Pourtant, il ne nous parait guère douteux que ces
sacra ont entretenu avec les Pénates une relation qui justifie leur
commune présence dans le penetrale du sanctuaire de Lavinium. Nous
avons dit que nous croyions pouvoir considérer les caducées comme
l'emblème de personnages itinérants. D'autre part, Timée n'a pas vu
personnellement les objets, mais tient ses informations des Lavinates.
Ces derniers peuvent fort bien soit avoir fait une réponse
volontairement énigmatique à propos de sacra interdits aux profanes, soit avoir
indiqué à l'historien ce que les images des Pénates avaient de plus
singulier, ce qui leur paraissait le plus caractéristique dans ces statues. Si
l'on accepte l'une ou l'autre de ces interprétations, on admettra que les
caducées n'étaient pas les Pénates, mais seulement leurs attributs.
Quant à la relation existant entre les Pénates et le κέραμος Τρωικός,
nous pensons qu'il faut exclure, comme pour les caducées, l'idée d'une
identification entre l'objet et les dieux100. Au demeurant, considérer le
κέραμος comme un objet rattaché au culte des Pénates, ainsi que
l'interprétation de G. d'Anna y invite, est une hypothèse plausible : à
Lavinium, le culte de nos dieux semble étroitement lié à celui de Vesta,
comme le suggère l'attestation, chez Macrobe et Servius-Daniel, d'un
sacrifice commun; or, dans le culte de Vesta, les vases utilisés pour le
transport de l'eau sont l'objet de prescriptions rituelles extrêmement
strictes et doivent être, précisément, en terre cuite101. L'autre
interprétation, suggérée par M. Crawford, est qu'il s'agit de la ciste sacrée où
comme semble le confirmer, sur le relief, le fait qu'ils sont assis, dans
une attitude calme et majestueuse. Certes, on peut dire que le caractère
d'itinérants n'est pas davantage conforme à leur nature, mais nous
avons déjà répondu à cette objection : les Pénates de Lavinium sont
troyens. Sur ce relief, les deux dieux sont vêtus d'un costume drapé
autour des jambes et sur les épaules, qui laisse à découvert une grande
partie du buste; la draperie est particulièrement bien modelée sur la
statuette de droite. Le vêtement doit être interprété, nous semble-t-il, en
fonction de l'ensemble de la scène, en particulier de ceux des autres
personnages : en contraste avec les vêtements des deux camilli et de la
silhouette très mutilée de droite, le costume des Pénates rappelle
beaucoup celui d'Enée; l'effet de draperie autour de la taille et sur l'épaule
est le même. Peut-être faut-il y voir une intention, chez le sculpteur, de
marquer un décalage géographique et chronologique entre les deux
groupes de personnages; en habillant Enée et les Pénates de costumes
grecs111, il aurait voulu les reléguer dans un passé lointain, mythique
même, par rapport à son propre temps, dans lequel se situent en
revanche les détails réalistes comme la présence des camilli et les objets
cultuels qu'ils ont dans les mains; cela peut être une façon de marquer
l'origine étrangère, lointaine, des Pénates, et il paraît en tout cas
vraisemblable que l'artiste ait voulu rappeler, par la ressemblance des
costumes, une certaine parenté entre Enée et les dieux qui assistent à cette
scène, parenté qui inviterait à penser qu'il s'agit des Pénates de
Lavinium.
Un autre détail du relief nous paraît révéler l'origine étrangère des
deux dieux assis, origine conforme à ce que la tradition nous apprend
des Pénates de Lavinium : ils sont représentés la tête nue, ce qui paraît
confirmé par une indication de Servius; commentant le passage de
l'Enéide où les Pénates apparaissent en songe à Enée avec des uelatas
comas, Servius précise qu'il ne peut s'agir là que de bandelettes,
puisque les Pénates de Lavinium étaient nu-tête : nam dii qui erant apud
Laurolavinium non habebant uelatum caput112. Or, il semble que les
dieux «indigènes», c'est-à-dire dont le culte était considéré comme
antérieur à l'arrivée d'Enée en Italie, avait la tête voilée : c'est le cas
notamment d'Hercule à l'Ara Maxima. La tenue du sacrifiant est à l'image de
111 Cî.ibid.
112 Ad. Aen., III, 174; cependant, J. Perret (Enéide, 1. 1, C.U.F., Paris, 1977, p. 81)
traduit cette expression par «leur chevelure voilée».
284 LES PÉNATES PUBLICS
113 Servius-Daniel, Ad Aen. VIII, 288; Macrobe III, 6, 16; voir B. Liou-Gille, Les cultes
«héroïques» romains, Paris, 1980, p. 17-18.
114 432 L; voir En. III, 404-7.
115 Au contraire, l'obligation rituelle de sacrifier à Hercule, à l'Ara Maxima, operto
capite est présenté comme une singularité ; pour le culte de l'Ara Maxima, voir J. Bayet,
Les origines de l'Hercule romain, Paris, 1926, p. 141-154.
116 Voir ci-dessus, p. 196-217.
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 285
117 Cette pratique paraît tout à fait singulière : les statues des dieux ne sont offertes
aux regards des profanes qu'en deux types de circonstances : elles sont sorties des cellae
des temples lors des lectisternes, et, lors des supplicationes selon le Graecus ritus, les
temples sont ouverts de façon permanente (G. Dumézil, La religion romaine archaïque, p. 358-
359).
118 Cf. infra, p. 424-6.
119 Nous empruntons à F. Castagnoli {Iscrizioni, in Lavinium H, p. 442-443) la liste
des abondants commentaires suscités par cette inscription : F. Castagnoli Dedica arcaica
lavinate a Castore e Polluce, SMSR, 30, 1959, p. 109 sq.; S. Weinstock, Two archaic
inscriptions from Latium, JRS, 50, 1960, p. 112 sq.; R. Schilling, Les Castores romains à la lumière
des traditions indo-européennes, in Hommages. . . Dumézil (Coll. Latomus, 45), Bruxelles,
1960, p. 177 sq.; R. Bloch, L'origine du culte des Dioscures à Rome, RPh, 34, 1960, p. 182
sq.; id., Tite-Live et les premiers siècles de Rome, Paris, 1965, p. 88 sq.; id., in Acts of the
Fifth International Congress of Greek and Latin Epigraphy, Oxford, 1967, p. 180; G.
Pugliese Carratelli, PP, 17, 1962, p. 17 sq.; Α. Alföldi, Early Rome, p. 269 sq.; A. Degrassi, ILLRP
(lère ed. Berlin 1963) 1271a; id., Imagines (1965) 30; G. Radke, Zu der archaischen Inschrift
286 LES PÉNATES PUBLICS
von Madonnetta, Gioita, 42, 1964 p. 214 sq.; id., Die Götter Altitaliens, Münster, 1965,
p. 84; R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy-Books 1-5, Oxford, 1965, p. 289; M. Guarducci,
in Mélanges. . . Piganiol, Paris, 1966, p. 1618; G. Dumézil, La Religion romaine archaïque,
p. 415-6; M. Lejeune, BSL, 62, 1967, p. 76 n. 2; J. Heurgon, Atti dell'VIII Convegno di Studi
sulla Magna Grecia, Naples, 1969, p. 19 sq.; C. De Simone, Die griechischen Entlehnungen
im Etruskischen, II, Wiesbaden, 1970, p. 91 n. 50; R. Lazzeroni, SSL, 11, 1971, p. 9 sq.;
R. Arena, RIL, 106, 1972, p. 445; R. Schilling, A.N.R.W., I, Berlin-New-York, 1972, p. 320.
On pourrait ajouter: N. Masquelier, Pénates et Dioscures, Latomus, 25, 1966, p. 88-98;
G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 198-205; F. Castagnoli, in Enea nel Lazio, Catalogue de
l'Exposition de Rome, Rome, 1981, p. 179-180; G. Radke, Archaisches Latin, Darmstadt, 1981,
p. 97 ; M. Torelli, Lavinio e Roma. Riti iniziatici e matrimonio tra archeologia e storia,
Rome, 1984, p. 163 sq.
120 F. Castagnoli, Lavinium II, p. 441.
121 Op. cit., p. 20.
122 Op. cit., p. 442; Enea nel Lazio, p. 179.
123 Cf. l'ensemble des travaux du congrès Lazio arcaico e mondo greco, PP, 32, 1977.
124 S. Weinstock, Two archaic inscriptions from Latium p. 114; F. Castagnoli,
Lavinium I, p. 109.
125 R. Bloch, L'origine du culte des Dioscures à Rome, p. 186 sq.; J. Heurgon {op. cit.,
p. 22) pense aussi à une origine locrienne, avec Rhegium comme intermédiaire.
126 F. Castagnoli, Dedica arcaica lavinate a Castore e Polluce, p. 111 ; cf. J. Champeaux,
Fortuna. Le culte de la Fortune à Rome et dans le monde romain, Coll. de l'Ecole Française
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 287
de Rome, 64, Rome, 1982, p. 118-119, pour le parallèle à établir avec la Fortuna
Primigenia de Préneste, mère et fille de Jupiter.
127 Enea nel Lazio, p. 179.
128 Enea nel Lazio, p. 180.
129 Cf. supra p. 234.
130 Cf. supra p. 249 sq.
131 Le problème sera repris de façon plus complète ci-dessous p. 430-9.
132 C. Peyre, Castor et Pollux et les Pénates pendant la période républicaine, MEFR, 74,
1962, p. 433.
133 Cette interprétation a été contestée : voir C. Peyre, op. cit., p. 447-449.
288 LES PÉNATES PUBLICS
1) Eléments autochtones
Nous avons vu 152 que, par son thème pen-, le mot Penates désignait
à la fois «ceux de la partie la plus intime de la maison» et «ceux de la
réserve aux provisions», et que, d'autre part, le suffixe -aies ajouté à
et Virgile poursuit :
157 I, 57, 1.
158 voir supra, p. 216-7.
159 III, 4, 11 : «Virgile a appelé du même nom (de Pénates) Vesta aussi, qui, à coup
sûr, fait partie des Pénates ou est leur compagne».
160 Ad Aen. II, 296 : «On se demande donc si Vesta aussi fait partie des Pénates, ou si
elle est considérée comme leur compagne».
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 295
Vesta, et le feu qui la symbolise, sont donc présentés ici comme des
équivalents, presque des synonymes des sacra et des Pénates, et, du
reste, Hector va les chercher adytis penetralibus, «dans la partie la plus
retirée du sanctuaire», siège habituel des Pénates dont le nom même,
en relation étymologique avec penetralis, est suggéré par cet adjectif162.
A notre connaissance, il n'existe pas avant Virgile d'attestation d'une
telle assimilation entre Vesta et les Pénates troyens. Il est fort probable
que c'est la communauté de sanctuaire entre Vesta et les Pénates sur le
Forum, à Rome, et l'existence d'un sacrifice commun, à Lavinium, qui
ont amené Virgile à transformer ce lien en une identification, attestée
plus tard par Macrobe et Servius.
Vesta et les Pénates ont un autre point commun, spécifique, sem-
ble-t-il, du culte lavinate, probablement en relation avec le précédent.
On sait qu'au culte de Vesta est liée une très grande importance donnée
à la pureté, comme le montre, notamment, la chasteté exigée des
Vestales163. L'interpolateur de Servius affirme qu'il existe une différence
entre les Grands Dieux, vénérés à Rome, et les Pénates, vénérés à
Lavinium, mais que l'on qualifie eux aussi de Magni en raison de
l'importance attachée à leur culte, qui elle-même s'explique par l'étendue de
leur pouvoir; à l'appui de cette dernière affirmation, il rapporte
l'anecdote suivante : nam cum ambae uirgines in tempio deorum Lauini simul
dormirent, ea quae minus casta erat fulmine exanimata alteram nihil
sensisse1M. Les Pénates, divinités dédicataires du temple où dorment les
deux jeunes filles, punissent donc celle qui est minus casta, montrant
par là le prix qu'ils attachent à la pureté, ainsi que la capacité où ils
sont de la déceler chez ces jeunes filles. La relation établie par ce
témoignage entre les Pénates et la pureté, le fait que la scène est suppo-
161 II, 293 et 296-97 : « Troie te confie ses choses saintes et des Pénates. . . Ainsi dit-il,
et des profondeurs du sanctuaire, il apporte de ses mains les bandelettes, la puissante
Vesta et le feu éternel» (trad. J. Perret, C.U.F., Paris, 1981).
162 Cf. Cicéron, De Nat. Deor. II, 68 : (Penates) penitus insident; ex quo etiam
penetrates a poetis uocantur.
163 Cf. C. Koch, R.E., Vili A 2, s.u. Vesta, col. 1732; G. De Sanctis, Storia dei Romani,
IV, 2, t. I, Florence, 1953, p. 164 sq.; G. Radke (Die dei pénates und Vesta in Rom,
A.N.R.W., II, 17, 1, Berlin-New- York; 1981, p. 367-368) relève le fait que les Vestales, qui
doivent être chastes, sont d'autre part chargées du culte du fascinus : cf. infra p. 458-60.
164 AdAen. III, 12.
296 LES PÉNATES PUBLICS
165 C. Koch, op. cit., col. 1718-20; G. Giannelli, // sacerdozio delle Vestali Romane,
Florence, 1913, p. 16 sq.
166 Gell., I, 12, 14; cf. G.Dumézil, Te, amata, capto, Quinze questions romaines, in
Mariages indo-européens, Paris, 1979, p. 241-243.
167 Uar. Resp., 12.
168 G. Dumézil, La Religion romaine archaïque, p. 322.
169 Cicéron, Sull, XXXI, 86; cf. C. Peyre, op. cit., p. 460.
ci-dessous, p. 454-70.
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 297
B) Le Numicus
189 vin, 9, 6.
190 Dictionnaire étymologique de la langue latine, s.u. Indiges.
191 Religion und Kultus der Römer, 2e éd., Munich, 1912, p. 18-23.
192 La Religion romaine archaïque, p. 55 n. 1.
193 Le culte de l'Indiges à Lavinium, REL, 57, 1980, p. 59.
194 Pour la lecture de ce texte, cf. commentaire et références in R. Schilling, op. cit.,
p. 54 n. 1.
195 Gestirnverehrung im alten Italien, Frankfurt-am-Main, 1933, p. 99; cf. J. Cham-
peaux, Fortuna, p. 232.
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 301
196 C'est cette conception qu'a encore récemment réaffirmée F. Castagnoli (La
leggenda di Enea nel Lazio, p. 10-11; p. 13 η. 64). Voir aussi B. Liou-Gille, Cultes «héroïques
romains, p. 86 sq. ; pour M. Torelli (Lavinio e Roma, p. 173-176), le caractère solaire
d'Enée-Indiges à Lavinium est essentiel, et se voit aussi dans le culte romain à l'origine
duquel il se trouve, celui de Sol sur le Quirinal, dont le dies natalis est en plein été, le 9
août.
197 Cf. I. Cazzaniga, // frammento 61 degli Annali di Ennio : Quirinus-Indiges, PP, 29,
1974, p. 369.
198 I, 54, 2.
199 II existe un texte d'Arnobe qui atteste ce lien : Indigetes Uli qui in flumen repunt et
in alueis Numici cum ranis et pisciculis degunt (Adu. Nat. I, 36); il nous paraît sujet à
caution pour diverses raisons; il s'agit ici des di indigetes, non d'Indiges ni de Sol Indiges,
et ce commentaire tardif pourrait porter la marque de l'embarras d'Arnobe pour définir
les Indigetes, notion assez confuse apparemment pour les Romains eux-mêmes, et,
d'autre part, n'être que l'écho de la légende, désormais bien établie, selon laquelle Enée,
devenu Aeneas Indiges, était mort en tombant dans le Numicus.
200 Cf. F. Castagnoli, Lavinium I, p. 71-75.
302 LES PÉNATES PUBLICS
201 N. H. III, 5, 56; pour la lecture du texte, cf. F. Castagnoli, Lavinium I, p. 93 n. 10;
voir aussi B. Liou-Gille, op. cit., p. 99-116.
202 / luoghi connessi. . ., p. 235 sq. (voir carte p. 236); id., in Enea nel Lazio p. 167;
G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 143 sq.
203 Les sanctuaires du Latium archaïque, CRAI, 1977, p. 474.
204 I, 55, 2 : «au dieu, en remerciement pour les eaux»; sur l'association de l'eau et du
Soleil dans la légende d'Enée, voir infra p. 323 sq.
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 303
205 I, 55, 2.
206 Cette influence est sensible, nous l'avons vu, dans l'introduction à Lavinium du
culte de Castor et Pollux, au cours de la seconde moitié du VIe siècle. On la trouve aussi
dans la céramique d'importation : les mêmes dieux sont peut-être représentés allongés
sur une klinè, à l'intérieur d'une coupe laconienne datée du milieu du VIe siècle trouvée
dans la zone du sanctuaire des Treize autels (cf. E. Paribeni, Ceramica d'importazione, in
Lavinium II, p. 362-368; id., Enea nel Lazio, p. 177, D 10).
207 Cf. R. Schilling, op. cit. p. 63-64. I. Cazzaniga (ibid., passim) fait un parallèle entre
Indiges comme ancêtre fondateur à Lavinium, auquel fut assimilé Enée, et Quirinus-Indi-
ges à Rome; voir aussi J.-C. Richard, Le culte de «Sol» et les «Aurelii» : à propos de Paul
Fest. p. 22 L., Mélanges I. Heurgon II, Rome 1976, p. 917-919.
208 De Mens. 4, 155 : «Ils célébraient aussi une fête appelée Agonalia en l'honneur du
Soleil, protecteur du laurier et fondateur de race».
209 Op. cit., p. 61 et 64.
304 LES PÉNATES PUBLICS
sible dans l'apparence même du personnage : les douze rayons d'or qui
ceignent sa tête sont Solis aui specimen210; le Soleil est donc bien
l'ancêtre de la dynastie autochtone. D'autre part, Varron proposait de voir
une relation étymologique - vivement contestée par les modernes211 -
entre le nom du laurier, laurus, et celui des habitants primitifs de la
contrée où débarque Enée, les Laur entes : In (Auenti)no Lauretum ab
eo quod ibi sepultus est Tatius rex, qui ab Laurentibus interjectus est212.
Cette étymologie est reprise par Virgile, qui lie le laurier, non
seulement au nom des habitants de l'endroit, mais aussi à l'acte même de la
fondation de la ville par Latinus :
215 Hésiode, Théogonie 1008 sq.; cf. commentaire de S. Weinstock sur ces généalogies
mythiques in Two archaic inscriptions front Latium, p. 117-118. C. Cogrossi {Atena Iliaca e
il culto degli eroi, in Politica e religione nel primo scontro tra Roma e l'oriente, Milan, 1982,
p. 89-98) suggère d'ailleurs que l'hérôon récemment découvert était à l'origine celui de
Latinus; cf. M. Sordi, Lavinio, Roma e il Palladio, ibid., p. 70. Au demeurant, il n'existe
aucune mention de ce monument dans les textes anciens, ni aucune attestation d'une
identification entre Latinus et Indiges.
216 Cf. B. Liou-Gille, op. cit., p. 7-8; R. Schilling, La déification à Rome. Tradition
latine et influence grecque, REL, 57, 1981, p. 137-139.
306 LES PÉNATES PUBLICS
ture d'un personnage important. Or, cette tombe a été ouverte au VIe
siècle, comme en témoigne la présence d'une œnochoè de bucchero qui
ne peut dater d'avant la première moitié du VIe siècle217. On est en droit
de supposer que cette ouverture de la tombe, accompagnée du dépôt
d'une pièce au moins de nouveau mobilier funéraire, correspond à un
changement dans la destination du monument. C'est peut-être à ce
moment que se produit la fusion du concept originel d'Indiges et de
celle du héros fondateur, divinisé du fait même de cette fusion. Il n'est
pas encore, à cette date, assimilé à Enée, et il est assez probable qu'il ne
porte pas d'autre nom que celui d'Indiges. A l'appui de cette hypothèse,
nous voudrions avancer une fois encore l'inscription lue par Denys
d'Halicarnasse sur la tombe qu'il désigne comme l'Hérôon d'Enée :
Πατρός θεοΰ χθονίου. Ces trois termes nous semblent très exactement
s'appliquer à la tombe d'un héros fondateur divinisé. Le mot χθονίος,
comme le note R. Schilling218 «pouvait convenir à un culte funéraire» et
paraît donc approprié à une inscription figurant sur une tombe. Sans
qu'on puisse l'affirmer avec certitude, Denys doit traduire par ce terme
le mot Indiges, qu'il interprète dans un sens dont nous verrons qu'il est
définitivement établi à l'époque où sont écrites les Antiquités Romaines.
Θεός, traduction très probable de deus, suggère que le personnage
enseveli là a eu une vie terrestre, une vie de mortel, et a été divinisé
après sa mort. Quant à Πατήρ, qui rend à coup sûr un Pater dans
l'inscription originale, il exprime, selon nous, deux notions : d'une part, il
traduit l'idée que le personnage enterré dans cette tombe est l'ancêtre
de la race; mais d'autre part, le mot se comprend aussi en liaison avec
θεός (deus), car, comme le note G. Dumézil219, la qualification de pater
et de mater que l'on donne aux dieux dans la religion archaïque est une
marque de respect. On pourrait même penser que le mot pater, par son
ambivalence, a facilité l'assimilation de l'ancêtre fondateur avec une
divinité très ancienne220.
statue de Veiovis a été trouvée dans la zone des autels, ce qui est peut-être une
confirmation de l'hypothèse de C. Koch.
221 Op. cit., p. 22 L
222 voir supra p. 163 sq.
223 Voir supra p. 196.
224 Voir supra p. 197 sq.
225 Voir supra p. 201 sq.
226 C. F. Giuliani-P. Sommella, Compendio. . ., p. 368-370.
308 LES PÉNATES PUBLICS
227 Ibid.
228 Plan et schémas de reconstitution de l'édifice, ibid., p. 262-263.
229 M. Mazzolani, Terrecotte architettoniche, in Lavinium II, p. 175-178.
230 Cf. F. Castagnoli, Les sanctuaires du Latium archaïque, passim.
231 La Magna Grecia e i santuari del Lazio, notamment, p. 9-19.
232 I, 55, 1 ; cf. F. Borner, Rom und Troia, p. 18 sq.
233 Cf. F. Castagnoli, / luoghi connessi . . ., p. 246. J. Heurgon, ibid. ; F. Zevi (Note sulla
leggenda di Enea in Italia, in Gli Etruschi a Roma, Incontro di studio in onore di M. Pallot-
tino, Rome, 1981, p. 154-156) a une vision plus nuancée du rôle portuaire de Lavinium,
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 309
incontestable, admet-il, à l'époque archaïque, plus douteux aux IV-IIIe siècles, ce qui le
conduit à placer l'apparition de la légende du débarquement d'Enée au Latium à une
date haute.
23" Cf. supra p. 198-9.
235 Die Trojanischen Urahnen der Römer, Bale, 1957, p. 14 sq.; thèse reprise dans
Early Rome, p. 278-287 (avec bibliographie de la question p. 278 n. 2).
236 Voir aussi F. Bömer, Rom und Troia, p. 19; F. Castagnoli, La leggenda di Enea nel
Lazio, p. 6.
310 LES PÉNATES PUBLICS
Sicile, où les Elymes seraient considérés par les Etrusques comme leurs
ancêtres, ou leurs parents. Cependant, il nous semble qu'il faut se
garder de la tentation de vouloir établir la chronologie et l'itinéraire d'une
légende d'Enée, porteur des Pénates et fondateur d'une nouvelle Troie,
dont tous les éléments auraient été donnés dès l'origine; d'autre part,
s'il est certain que l'histoire politique de l'Italie centrale entre le VIe et
le IVe siècle a eu de fortes incidences sur les lieux d'implantation et la
formulation de la légende, il est à l'heure actuelle très difficile de
délimiter exactement, dans le temps et dans l'espace, les apports grecs et
étrusques dans l'élaboration de la civilisation latine242.
Les arguments sur lesquels s'appuie la thèse donnant à la légende
d'Enée en Italie des origines étrusques sont essentiellement d'ordre
iconographique. Or, il faut examiner avec beaucoup de prudence ces
documents. L'amphore de Tragliatella est d'une interprétation délicate,
et G. K. Galinsky, qui en tient pourtant pour une origine étrusque de la
légende d'Enée, conteste qu'il faille voir dans le mot Truia une allusion
à la cité de Priam, et considère au contraire qu'il désigne simplement
une place fortifiée243, en notant d'autre part que le sens de l'ensemble
des scènes représentées reste mystérieux, et que certaines sont
manifestement erotiques. La datation du scarabée étrusque de la Collection de
Luynes, comme des statuettes de Véies, est également très discutée.
M. Pallottino244 reconnaît dans les caractères stylistiques de l'intaille
une expression de l'art tardo-archaïque du début du Ve siècle, tandis
qu'il propose le milieu du Ve siècle pour le groupe de terre cuite
représentant Enée et Anchise; enfin, les acrotères de Véies, si tant est que
l'on puisse admettre (ce que le savant italien, nous l'avons rappelé,
conteste par ailleurs) que l'un d'eux représentait Enée et Anchise,
datent du Ve siècle. De la sorte, nous semble-t-il, on arrive assez bien à
se représenter l'histoire du thème iconographique de la fuite d'Enée en
Etrurie : dans la seconde moitié du VIe siècle, comme l'atteste la
découverte des 17 vases attiques traitant ce sujet, les ateliers grecs font
connaître la figure d'Enée, qui est ensuite reprise, vers le début du Ve
siècle, par les artistes locaux. Il n'y a donc pas coïncidence, ainsi que le
242 Cf. l'ensemble des études contenues dans Lazio arcaico et mondo greco, PP, 32,
1977.
243 Aeneas, Sicily and Rome, p. 121-122, et p. 122 n. 47 pour la bibliographic
244 Compte rendu de l'ouvrage d'A. Alföldi, Die Trojanischen Urahnen der Römer, in
SE, 26, 1958, p. 336-339.
IDENTITÉ ET HISTOIRE DES PÉNATES DE LAVINIUM 313
245 G. Dury-Moyaers (op. cit., p. 173) aboutit à une conclusion analogue: «Si les
Etrusques ont reçu le personnage d'Enée dès la fin du VIe siècle, ils ne l'ont intégré à leur
culture que durant la première moitié du Ve siècle. C'est seulement à partir de ce
moment qu'ils sont susceptibles de l'avoir transmis aux Latins. Or à cette époque,
l'influence étrusque dans le Latium diminue, et l'on voit mal les Latins accueillir un héros
«vénéré» par ceux dont ils essaient de limiter l'influence sur leurs territoires».
246 Ibid.
247 Op. cit., p. 338.
248 Rome et les Troyens, REL, 40, 1971, p. 41-43; la même idée est exprimée chez un
certain nombre de critiques : cf. J. Poucet, op. cit., II, p. 181, n. 77.
249 Cf. J. Perret, Rome et les Troyens, p. 43 ; T. J. Cornell, Aeneas and the Twins,
PCPhS, 201, 1975 p. 13; F. Castagnoli, La leggenda di Enea nel Lazio, p. 3-4.
314 LES PÉNATES PUBLICS
semble avoir tenu une place aussi importante que celle d'Enée250.
Enfin, un certain flottement dans le traitement iconographique du thème
donne à penser que le personnage d'Enée, dont le nom ne figure du
reste dans aucun document étrusque archaïque, n'avait pas en Etrurie
l'importance qu'A. Alföldi et G. K. Galinsky veulent lui accorder : le
type, assez grossièrement façonné, quoique émouvant, des statuettes de
Véies, où les sacra ne figurent pas aux mains d'Anchise, est très
différent de celui du scarabée, d'une facture fine et d'un modelé délicat, et
sur lequel apparaît pour la première fois la ciste tenue par Anchise251.
Nous sommes donc en face de deux faits troublants : d'une part,
l'absence d'attestations de la légende d'Enée à Lavinium avant le IVe
siècle, d'autre part la présence de cette légende en Etrurie dès la fin du
VIe siècle ou le début du Ve siècle. Nul doute en tout cas - et les vases
attiques importés en témoignent - que la légende soit apparue en Italie
centrale sous l'influence de la Grèce. L'absence de documents
iconographiques ne prouve d'ailleurs pas que la légende d'Enée, non comme
héros fondateur, mais comme rescapé de la Guerre de Troie, ait été
inconnue à Lavinium à l'époque archaïque. Il faut, plutôt que de
chercher à assigner une primauté à telle ou telle influence, se représenter la
civilisation du Latium comme une «koinè culturelle», suivant
l'expression de J. Poucet252. Au VIe siècle, le personnage d'Enée est introduit en
Italie, mais peut-être simultanément dans le Latium et en Etrurie
méridionale253, parmi beaucoup d'autres éléments de la culture grecque.
J. Heurgon254 a insisté sur l'importance jouée par le trafic maritime sur
ces côtes, trafic qui a permis la pénétration de la civilisation grecque :
les villes portuaires ont naturellement joué un rôle de premier plan
dans ce processus, parmi lesquelles Caeré pour l'Etrurie méridionale,
et Lavinium pour le nord du Latium. Les navigateurs, remarque
255 Cf. aussi G. Vallet, Rhégion et Zancle, Paris, 1958, p. 309 sq.
256 In Denys d'Halicarnasse, I, 47, 6 et 48, 1.
257 Voir ci-dessus, p. 197.
258 Lavinium I, p. 110-111; Lavinium II, p. 5.
259 Strabon V, 3, 5; Cassius Hemina cité par Solin, II, 14.
260 Cassius Hemina, in Solin, II, 14.
261 R. Schilling, {La religion romaine de Vénus, 2e éd., Paris, 1982, p. 83-84) reconnaît
à Lavinium un rôle de premier plan dans la diffusion du culte.
262 80 L.
316 LES PÉNATES PUBLICS
Lazio, p. 9), F. Castagnoli estime que le toponyme est une conséquence de l'introduction
de la légende d'Enée, et non l'inverse.
CHAPITRE IV
1 De L.L. V, 144.
2 VIII, 49, 6.
320 LES PÉNATES PUBLICS
1) Développements architecturaux
2) Aeneas Indiges
dans le fleuve, qui lui a alors été consacré, indique ailleurs Servius : in
quo (= le Numicus) repertum est cadauer Aeneae et consecration31. Tite-
Live mentionne la mort d'Enée au même endroit et dans les mêmes
circonstances, en ajoutant que le Troyen a été enterré, ou qu'on lui a
construit un cénotaphe, près du Numicus, où il est vénéré sous le nom de
Jupiter Indiges : situs est (= Enée mort)... super Numicum f lumen :
louent Indigetem appellant32; toutefois, Tite-Live refuse de reprendre
tout à fait à son compte cette apothéose et même le nom sous lequel on
désigne le Troyen mort (quemcumque eum dici ius fasque est)33; Denys
d'Halicarnasse donne davantage de précisions34: quand la nuit qui a
séparé les deux armées fait place au jour, et que les Troyens constatent
la disparition d'Enée, certains expliquent ce fait comme une apothéose
(οί μεν είς θεούς μεταστήναι εϊκαζον), d'autres pensent qu'Enée est
tombé dans le fleuve (οί δ' έν τω ποταμφ. . . διαφθαρήναι). Mais surtout,
indépendamment du fleuve qui garde présent le souvenir du héros
divinisé, les compagnons d'Enée construisent en son honneur un hérôon
qui exprime clairement l'identification du mort avec le Numicus,
puisqu'on pouvait y lire, selon Denys, l'inscription suivante : Πατρός θεοϋ
χθονίου, ος πόταμου Νομικίου ρεΰμα διέπει35. L'étranger Enée est donc
assimilé, après sa mort, au lieu même où il a fini sa vie, identifié au
fleuve le plus important de la région de Lavinium. C'est non pas
identifié au fleuve, mais associé à lui, qu'il est représenté sur la ciste Pasinati
de Préneste36: Enée est au centre de la scène, en haut, symétrique
d'une divinité fluviale allongée en bas, dans laquelle on reconnaît le
Numicus; le dieu tient à la main une gerbe de roseaux, qui rappelle le
37 Par exemple, Orig. Gent. Rom. 10, 12, 4 : peruenisse (Aenean) ad duo stagna aquae
salsae uicina inter se.
38 I, 55, 1 : «Lorsqu'ils eurent jeté l'ancre à Lavinium et qu'ils eurent monté leurs
tentes près du rivage, avant toute chose, les hommes torturés par la soif - car l'endroit ne
possédait pas d'eau douce (je dis ce que j'ai appris des habitants), virent surgir
spontanément hors de terre des sources de l'eau la plus douce, dont se désaltéra toute l'armée et
dont l'endroit fut baigné de toute part, car l'eau s'écoula des sources jusqu'à la mer».
39 I, 55, 2 : «Aujourd'hui cependant les sources ne sont plus assez abondantes pour
déborder, mais il y a juste un mince filet d'eau recueilli dans un endroit creux, dont les
habitants disent qu'il est consacré au Soleil; et près de lui se trouvent deux autels, l'un
tourné vers l'est, l'autre vers l'ouest, constructions troyennes sur lesquelles, selon la
légende, Enée offrit le premier sacrifice au dieu en remerciement de l'eau ».
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 327
peu plus haut, dans son récit, Denys note : το χωρίον εξ φ κατεστρατο-
πεδεύσατο εξ εκείνου Τροία καλείται40. Le toponyme de Troia comme
lieu du débarquement d'Enée en Italie est bien attesté par ailleurs chez
les auteurs latins : ab Sicilia classe ad Laurentum agrum tenuisse. Troia
et huic loco nomen est41, peut-on lire chez Tite-Live, et chez Festus :
Troia. . . locus in agro Laurente, quo primum Italiae Aeneas cum suis
constituit42. Le lieu-dit Troia, où a eu lieu le prodige du surgissement
de l'eau, est mis également en relation avec le Numicus par Dion Cas-
sius : περί Λαυρέντον δέ προσώκειλε (= Enee) το και Τροίαν
καλούμενη ν, περί Νουμίκιον ποταμόν43. En ce lieu, consacré par Enée au
Soleil, on construisit un sanctuaire à Sol Indiges, connu par la mention
qu'en fait Pline l'Ancien; énumérant les villes et lieux-dits de la côte du
Latium entre Ostie et Ardée, il cite, après la première de ces cités,
oppidum Laurentum (= Lavinium) locus solis Indigetis, amnis Numtcius44.
On remarque ici que l'emplacement consacré au Soleil se trouve entre
Lavinium et le Numicus ce qui est en partie confirmé par une
remarque de Denys, selon qui Troia serait à quatre stades de la mer45, et à
vingt-quatre stades de la colline où se réfugie la truie miraculeuse
qu'Enée doit sacrifier, et qui est l'emplacement de la future Lavinium :
l'animal y met bas les trente porcelets46. Même en tenant compte du
changement de la configuration de la côte depuis l'Antiquité, on est
parvenu à identifier comme le sanctuaire de Sol Indiges les restes d'un
bâtiment découvert sur la zone côtière au sud-est de Lavinium, et un
peu au nord de l'embouchure du Fosso di Pratica47. Cet endroit,
rattaché au souvenir du débarquement d'Enée, ne doit pas être confondu
avec l'emplacement de l'hérôon; Denys, excellent observateur de ces
lieux, qu'il a lui-même visités et sur lesquels il s'est informé auprès des
habitants, les différencie nettement, et par leur signification, et par
40 I, 53, 3 : «L'endroit où ils (= les Troyens) installèrent leur camp s'appelle depuis
ce temps Troia»; cf. supra p. 316.
41 I, 1, 4.
42 504 L.
43 Fr. 1, in Tzetzes, Ad Lyc, 1232.
44 N.H., III, 5, 56; certains éditeurs ont corrigé Locus Solis en Lucus louis.
45 I, 53, 3; cela fait une distance de 708 mètres.
46 I, 56, 2; vingt-quatre stades = 4.262 mètres; supra p. 174-5.
47 Cf. F. Castagnoli, / luoghi connessi..., p. 237-240. On se rappelle (cf. ci-dessus
p. 302) que le sanctuaire a dû être élevé à l'emplacement où se tenait plus anciennement
un culte en plein air.
328 LES PÉNATES PUBLICS
48 I, 64, 5.
« Fastes III, 655-56 :
Placidi sum Nympha Numici :
amne perenne latens Anna Perenna uocor.
50 Pun. VIII, 179-200.
51 Le lien étroit existant entre Anna Perenna et le Numicus avait été souligné par
R. H. Klausen {Aeneas und die Penaten II, Hambourg-Gotha, 1839-40, p. 719), pour qui
Anna Perenna est une nymphe dont le culte est attesté à Lavinium, Albe, et Rome; F.
Castagnoli {Lavinium I, Rome, 1972, p. 111, et n. 5 pour les références bibliographiques)
pense qu'elle est liée au Numicus, mais reste réservé sur sa nature, discutée, et n'accorde
guère de valeur au témoignage d'Ovide, en raison de l'identité que le poète postule entre
la nymphe et la sœur de Didon; M. Torelli {Lavinio e Roma, Rome, 1984, p. 63), estimant,
au contraire, qu'il faut accorder la plus grande foi aux vers d'Ovide et aux différentes
explications étiologiques qu'ils contiennent, réaffirme, à la suite du poète, les liens étroits
d'Anna et du Numicus, mais considère comme un motif secondaire l'identification des
deux «Anna»; D. Porte, enfin {L'étiologie religieuse dans les Fastes d'Ovide, Paris, 1985,
p. 142-150), considère que tout le passage est un pastiche de l'Enéide, une sorte de «suite
du chant IV» qui réussit à «opérer une assimilation complète entre Enée et Anna»
(p. 145); dans cette perspective, le lien entre Anna et le Numicus est, non la cause, mais la
conséquence de Γ« assimilation » effectuée entre Anna et Enée. Sans vouloir nous pronon-
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 329
cer ici sur les arguments littéraires qui soutiennent cette hypothèse - le goût d'Ovide
pour le pastiche, par exemple -, nous pensons que des arguments d'ordre géographique
et religieux peuvent lui être opposés; la région de Lavinium abrite, dans l'Antiquité, de
nombreuses sources et cours d'eau : Numicus, sources de la zone du sanctuaire des
Treize autels et de l'hérôon (F. Castagnoli, op. cit., p. 11); d'autre part, les cultes les plus
anciens de Lavinium s'adressent à des divinités liées aux eaux, Sol Indiges, Vesta, Juturne
(G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 105); enfin, les fêtes d'Anna Perenna à Rome se déroulent -
selon le témoignage d'Ovide, il est vrai -, sur les rives du Tibre. Nous estimons donc
préférable de considérer que c'est la relation d'Anna Perenna avec l'eau du Numicus qui a
suggéré à Ovide le rapprochement avec Enée, renforcé - et c'est peut-être là une
invention de son cru -, par l'identification de la nymphe et de la sœur de Didon.
52 / luoghi connessi . . ., p. 244.
53 Ad Aen. VII, 150.
54 Cf. M. Guarducci, Enea e Vesta, MDAI (R), 78, 1971, p. 73-118.
55 Cf. G. Radke, Die dei pénates und Vesta in Rom, A.N. R.W. , II, 17, 1, Berlin-New-
York, 1981, p. 344-373.
330 LES PÉNATES PUBLICS
renseigne guère sur la nature des Pénates, puisque Vesta est purement
et simplement confondue avec eux. Cette identification, dans le culte
public, est peut-être l'équivalent de ce qui s'est produit dans le culte
privé, où, comme le montrent les sacello, de Pompéi, le nom de Pénates
a fini par désigner toutes les divinités protectrices de telle maison,
divinités dotées par ailleurs d'une personnalité propre.
C'est précisément ce lien des Pénates avec une divinité liée à l'eau -
Enée, et, très différemment, Vesta -, qui a permis à certains
commentateurs d'assimiler les Pénates aux Dioscures, sur le modèle des faits
romains. En effet, Castor et Pollux sont venus en aide à l'armée
romaine pendant la bataille du lac Régule; la légende raconte56 qu'au soir de
cette bataille, les jumeaux apparaissent à Rome à la fontaine Juturne,
où ils abreuvent leurs chevaux; des deniers émis en 92 environ par la
Gens Postumia illustrent cet épisode57. Le temple consacré aux
Dioscures à la suite de cette bataille est du reste situé tout à côté de la
fontaine Juturne sur le Forum, mais aussi très près du sanctuaire de Vesta.
Or Juturne est une divinité originaire de Lavinium. Elle est, chez
Virgile la sœur de Turnus, aimée de Jupiter et transformée en fontaine
. . . deam, stagnis quae fluminihus sonoris
praesidet58.
63 Cf. F. Castagnoli, La leggenda di Enea nel Lazio, p. 1 1 sq. ; Dans certains aspects du
mythe d'Héraklès, on trouve cette même association de l'eau et du soleil : voir F. Bader,
Les Travaux d'Héraklès, dans R. Bloch, F. Bader, D. Briquel, F. Guillaumont, D'Héraklès à
Poséidon. Mythologie et protohistoire, Paris, 1985, p. 94-95.
64 Herôon di Enea a Lavinium, p. 70-74.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 333
65 Tre cippi arcaici con inscrizioni votive, BCAR, 72, 1946-48, p. 3-10; cf. J. Cham-
peaux, Fortuna. Le eulte de la Fortune à Rome et dans le monde romain, Coll. de l'Ecole
Française de Rome, 64, Rome, 1982, p. 436 sq.
66 Cippo arcaico con dedica a Enea, BCAR, 76, 1956-58, p. 3 sq.
67 Lare Aineia?, MDAI (R), 77, 1970, p. 1-9.
68 Two arcate inscriptions from Latium, JRS. 50, 1960, p. 1-118.
69 Enea e Vesta, p. 73-89; voir aussi G. Dury-Moyaers, op. cit., p. 240-246.
70 J. Heurgon, Lars, largus, et Lare Aineia, in Mélanges d'archéologie et d'histoire
offerts à A. Piganiol, Paris, 1966, p. 655-664.
71 Ibid., p. 660.
72 XIX, 2.
334 LES PÉNATES PUBLICS
fini par devenir lui aussi assez vague. Cependant, il n'est pas possible,
en l'état actuel de notre documentation, d'affirmer qu'antérieurement
au IVe siècle, ni même après cette date, Lar et Indiges étaient
synonymes.
La découverte et l'interprétation de ce cippe tendent donc à
prouver que, malgré les réserves émises par certains savants77, il a existé
dès le IVe siècle un culte d'Enée dans la région de Lavinium.
Néanmoins, pour identifier l'hérôon découvert près de Pratica di Mare avec
le monument décrit par Denys, deux difficultés subsistent. La première
est que l'on n'a pas retrouvé l'inscription que Denys a traduite en grec,
ce qui laisse évidemment planer un doute sur la destination exacte du
monument; l'autre, qui est liée à la première, est de savoir si le
monument mis au jour était réellement considéré comme l'Hérôon d'Enée
antérieurement au Ier siècle. J. Poucet78, nous l'avons vu, insiste sur le
fait, indéniable, que le nom d'Enée n'apparaissant pas dans
l'inscription citée par Denys, il peut fort bien s'agir de la sépulture d'un héros
local dont l'assimilation à Enée ne s'est faite qu'au Ier siècle, au
moment où la légende des origines troyennes de Lavinium et de Rome est
définitivement établie. Nous avons dit plus haut que les mots employés
par Denys, Πατρός θεού χθονίου, nous semblaient traduire le latin Pater
Indiges ; d'autre part, cette divinité est mise en relation avec le Numicus
(ος ποταμού Νομικίου ρεΰμα διέπει). Certes, comme le note J. Perret, «il
importe de ne pas glisser, sans s'en apercevoir, d'une affirmation à une
autre»79, mais plutôt que d'une série d'équivalences, il nous semble
qu'on peut parler ici d'un faisceau de convergences. Le cippe de Tor
Tignosa atteste dès le IVe siècle la divinisation d'Enée comme ancêtre
fondateur; nous savons qu'au Ier siècle, Enée était assimilé à l'ancienne
divinité locale Indiges, dont Denys nous apprend qu'on le vénérait à
Lavinium dans un hérôon; les découvertes récentes mettent au jour à
Lavinium un hérôon du IVe siècle. Il nous paraît donc qu'on peut avec
quelque vraisemblance avancer l'hypothèse - en insistant, bien sûr sur
l'incertitude qui subsiste du fait de l'absence de preuve archéologique
77 J. Perret, Rome et les Troyens, REL, 49, 1971, p. 48 n. 1 ; J. Poucet, op. cit., II,
p. 183; T. J. Cornell, loc. cit.
78 Op. cit., II, p. 181-183. J. Heurgon {Les récentes découvertes archéologiques dans le
Latium, IL, 27, 1975, p. 126-129) avait déjà souligné ce fait.
79 Op. cit., p. 43.
336 LES PÉNATES PUBLICS
Nous en arrivons ainsi à ce qui nous semble être une autre preuve
de l'existence de la légende des origines troyennes de Lavinium dès le
IVe-IIIe siècle : la première mention des Pénates de Lavinium, présentés
par les indigènes comme des reliques troyennes, faite par Timée81. La
foi que l'on peut accorder à ce témoignage a été fortement mise en
doute. On a soupçonné Denys d'avoir «sollicité» le texte de Timée82,
lorsqu'il attribue à l'historien sicilien l'identification des Pénates
comme κηρύκεια σιδηρά και χαλκά και κέραμον Τρωικόν. Pourtant, la
présence des sacra dans la légende de la fuite d'Enée n'est pas une donnée
apparue au Ier siècle : nous les avons trouvés aux mains d'Anchise sur le
scarabée de la Collection de Luynes, et peut-être dans un doliolum tenu
par un personnage qui serait Creuse sur l'amphore de Vulci83. Aussi
est-il tout à fait plausible qu'on les trouve dans les développements
locaux de la légende que Timée a pu nous transmettre en témoin direct.
Nous avons vu que la littérature et l'iconographie grecques laissent
généralement dans l'ombre le transfert des sacra, qui semble bien être
un développement spécifiquement italique de la légende d'Enée; ils ne
sont du reste pas présents dans toutes les images archaïques italiques
de la fuite d'Enée, et manquent en particulier dans les statuettes de
Véies. Mais le succès extraordinaire des sacra dans la version lavinate
de la légende nous paraît lié à la transformation du personnage d'Enée
que nous avons notée plus haut, et que nous croyons pouvoir dater du
IVe siècle : Enée devient le fondateur de la ville de Lavinium; or toute
fondation s'appuie sur des éléments religieux, qui la sanctionnent et la
justifient. C'est ainsi que s'explique, selon nous, l'essor du thème des
sacra, dont le transfert finira par apparaître, en particulier chez
Virgile, comme la signification essentielle de la mission d'Enée : sacra deos-
que dabo84, dit-il pour définir la part qu'il se réserve dans l'alliance
qu'il conclut avec Latinus. Que ces sacra, présentés comme troyens à
Timée par les habitants de Lavinium, aient été désignés du terme de
Penates dès le IIIe siècle s'explique assez bien aussi. Le mot est
mentionné dès cette époque par Naevius à l'aube de la littérature latine. Ces
dieux sont spécifiquement latins; ils sont une pluralité indéterminée et
indéfinissable autrement que par sa fonction protectrice de la partie la
plus intime de la maison. Aussi se prêtaient-ils sans doute assez bien à
être assimilés aux sacra (dont on ne savait ce qu'ils étaient exactement)
symbolisant religieusement Troie. Les auteurs grecs nous parlent - Sté-
sichore notamment - des ιερά mis aux mains d'Anchise, ou d'Enée; il
est clair que le terme de sacra en est une traduction, et que ces derniers
ont été assimilés à des dieux latins existant à Lavinium, les Pénates, qui
n'avaient rien à voir, à l'origine, avec la légende troyenne85. Il a dû
subsister longtemps un flottement entre ces deux notions, ce que nous
prouvent les textes des IVe-IIIe siècles, mais aussi celui de l'Enéide.
Nous remarquions, dans le précédent chapitre, que la phrase de Denys
d'Halicarnasse citant le témoignage de Timée à propos des Pénates de
Lavinium, ne nous permettait pas, de par sa structure syntaxique, de
savoir si Timée prononçait le mot de «Pénates» à côté de celui de
ίερά86. En revanche, le texte de {'Alexandra de Lycophron parle sans
ambiguïté des πατρώα αγάλματα θεών87, où nous pensons que πατρώα
est employé, par hypallage, pour qualifier θεών, les θεοί πατρφοι étant,
comme l'indique Denys d'Halicarnasse88, l'une des désignations
grecques des Pénates. Il semble donc, d'après ce texte, qu'à l'époque de
Lycophron, la fusion entre ίερά troyens et Pénates soit réalisée. Au
reste, un autre détail du texte nous prouve l'insertion de la légende
troyenne dans les traditions lavinates : Enée déposera ces statues, nous dit le
poète, dans le temple de Myndia Pallènis, c'est-à-dire de Minerve. Or,
nous l'avons vu, les récentes découvertes archéologiques89 attestent
l'existence d'un culte de cette déesse à Lavinium dès le Ve siècle. Les
nombreuses statues et ex-voto trouvés dans le dépôt votif, datables du
début du Ve aux premières années du IIe siècle, avec un matériel parti-
II - Rome et Lavinium
λεΐς110. Le verbe έδει suggère bien qu'il s'agit d'une obligation rituelle,
et que, probablement, elle revient à date fixe; mais Denys va plus loin :
par les détails que, contrairement à Tite-Live, il nous donne sur
l'accomplissement du sacrifice (τοις πατρφοις θεοΐς, υπέρ της πολέως, τους
βασιλείς) il suggère un rapprochement entre ce dernier et le sacrifice
des magistrats romains à Lavinium lors de leur entrée en charge111.
Dans les deux cas, le sacrifiant est le personnage principal de Rome, ou
l'un des personnages principaux, et le sacrifice est offert, selon Denys,
aux πατρφοις θεοΐς, qui sont, pour lui, l'un des équivalents grecs des
Pénates latins112; ce sacrifice est donc implicitement rapproché de celui
qui est offert à Vesta et aux Pénates113. Il nous semble que le même
rapprochement est suggéré par les mots solemne sacrificium chez Tite-
Live. Bien sûr, on peut objecter à cette interprétation que Denys,
comme Tite-Live, ont pu projeter sur l'histoire de Rome naissante des
institutions qu'ils connaissaient bien eux-mêmes, mais dont l'instauration
est en réalité plus tardive. Il n'en reste pas moins que Tite-Live
connaissait très certainement l'étymologife de solemnis expliqué comme un
composé de annus et qu'il n'a pas employé le mot à la légère, non plus
que Denys n'a inventé tous les détails concernant les conditions du
sacrifice; le rapprochement des deux cérémonies, bien qu'il ne soit que
suggéré par les auteurs anciens, nous paraît très riche de signification.
Le récit que fait Plutarque de la scène du meurtre est très
semblable, dans l'ensemble, à celui de Tite-Live : άποκτιννύουσιν αυτόν έν
Λαβινιω θύοντα μετά 'Ρωμύλου προσπεσόντες114. Mais l'établissement du
sacrifice expiatoire par Romulus est présenté un peu différemment;
après l'assassinat de Tatius, les Laurentes, craignant des représailles de
la part des Romains, livrent les meurtriers à Romulus, qui les renvoie
en disant que la mort a payé la mort; quelque temps après, une
épidémie s'abat sur Lavinium et sur Rome, et on comprend que c'est parce
que les meurtriers n'ont pas été punis, ni la transgression des lois
expiée religieusement. Aussi Romulus décide-t-il de procéder à un sa-
110 II, 52, 3 : «Etant venu à Lavinium avec Romulus pour y accomplir un sacrifice,
que les rois devaient faire aux πατρώοι θεοΐς pour la prospérité de la cité».
111 Macrobe, III, 4, 11; Servius-Daniel, Ad Aen. Il, 296; cf. infra p. 355-61.
112 I, 67, 3.
113 F. Castagnoli, Lavinium I, p. 101.
114 Romulus, 23 : «Ils se jetèrent sur lui (= Tatius) au moment où il faisait un sacrifice
avec Romulus à Lavinium, et le tuèrent» (trad. R. Flacelière, E. Chambry, M. Juneaux,
CUF, Paris, 1957).
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 343
crifice expiatoire : και καθαρμοΐς ό Ρωμύλος ήνισε τας πόλεις, ους ετι
νυν ίστοροΰσιν επί την φερεντίνης πύλης συντελεΐσθαι115. Plutarque ne
parle pas explicitement d'un renouvellement annuel, mais il le suggère
fortement, en notant que le sacrifice est accompli encore de son temps,
renseignement qui n'est pas de première main, comme l'indique le mot
ίστοροΰσιν. L'indication έπί της φερεντίνης πύλης est surprenante : la
«porte Férentine» est inconnue par ailleurs. R. Flacelière, M. Juneaux
E. Chambry116 suggèrent que Plutarque désigne peut-être par ce terme
la Porta Latina, puisque Ferentinum était situé sur la Via Latina; il
faudrait alors admettre que ce sacrifice s'accomplit à Rome, ce qui est
possible dans le contexte (Plutarque indique que Romulus «purifia les
deux villes», Rome et Lavinium), mais constituerait alors une indication
isolée. Doujat et Cluver ont proposé de corriger πύλης, l'un en ΰλης,
l'autre en πηγής117, en raison de l'existence, bien attestée ailleurs118 d'un
Lucus Ferentinae, ou Caput aquae Ferentinae; Festus nous en indique la
localisation : caput Ferentinae, quod est sub monte Albano119. Il ne s'agit
donc ici ni de Rome, ni de Lavinium, ce qui paraît en contradiction
avec le récit de Plutarque. En ce lieu se tenaient des réunions des
peuples latins120, dont aucun texte ancien ne nous dit qu'elles
comportassent des cérémonies religieuses, mais qui étaient plutôt des réunions
militaires ou politiques121. Leur origine fait problème. Si l'on accepte la
correction de Cluver, elles dateraient de Romulus122, mais d'autres
auteurs les mettent en relation avec Tullus Hostilius123, Tarquin
l'Ancien124 et Tarquin le Superbe125, ce qui indique seulement leur
ancienneté, selon A. Alföldi126, qui ne pense pas, d'autre part, que les réunions
des Latins au Caput aquae Ferentinae datent d'avant le Ve siècle avant
115 Romulus, 24 : «Romulus purifia les deux villes par des sacrifices expiatoires, qui,
dit-on, sont encore célébrés aujourd'hui à la porte Férentine» (ibid.).
116 Ibid., p. 91 n. 2.
117 Plutarque, Vit. I, 1, éd. K. Ziegler, Leipzig, 1960, p. 67.
118 Cf. A. Alföldi, Early Rome, p. 34-36.
"» 276 L.
i20 Liv., VII, 25, 5 : concilia populorum Latinorum ad Lucum Ferentinae habita.
U1 A. Alföldi, op. cit., p. 35.
122 Notons encore que la mention de sacrifices expiatoires en ce lieu serait la seule
indication de célébrations de caractère religieux.
123 Denys d'Halicarnasse, III, 34, 3.
124 Id., Ill, 51, 3.
125 Id., IV, 45, 3; Liv., I, 50, 1.
126 Op. cit., p. 34.
344 LES PÉNATES PUBLICS
127 vu, 4.
128 ι, 14, 3.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 345
129 i, 1, 9.
130 A. Ernout-A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, s.u. ferio; voir
aussi ibid., s.u. ico.
131 Ibid. : «Enée aurait été reçu chez Latinus; c'est là que Latinus devant ses Pénates
aurait ajouté une alliance de famille à l'alliance politique en donnant sa fille en mariage à
Enée» (trad. G. Baillet, C.U.F., Paris, 1958); voir R. M. Ogilvie, A Commentary on Livy,
Books 1-5, Oxford, 1965, p. 39.
132 Cf. supra p. 109.
133 I, 57-58.
346 LES PÉNATES PUBLICS
139 Cf. A. Alföldi, Early Rome, p. 411 ; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale,
p. 321-322; F. Castagnoli, Lavinium I, p. 102-103.
140 VIII, 11, 15.
141 G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer, 2e éd., Munich, 1912, p. 552 sq.
142 III, 22, 11 «Les Carthaginois ne feront aucun tort au peuple d'Ardée, d'Antium, de
Laurente, de Circe, de Terracine, ni à aucun autre des peuples latins qui sont soumis à
Rome» (Trad. J. de Foucault, Paris, 1971, C.U.F.) sur le traité, voir A. Alföldi, Early Rome,
p. 350 sq. ; H. Bengston, Die Verträge der griechisch-römischen Welt von 700 bis 338 vor
Ch., II, Munich-Berlin, 1962, p. 16 sq.; J. Heurgon, Rome et la Méditerranée, p. 386 sq.; P.
Pédech, La méthode historique de Polybe, Paris, 1964, p. 385 sq.; R. Werner, Der Beginn
der römischen Republik, Munich, 1963, p. 304; la lecture Λαυρεντινοΐ a été contestée par
F. Zevi (Note sulla leggenda di Enea in Italia, in Gli Etruschi a Roma, Incontro in onore di
M.. F'allottino, Rome, 1981, p. 154-155).
348 LES PÉNATES PUBLICS
143 Cf. G. Baillet, {op. cit., p. 24 n. 4) pour le rapprochement entre le pacte qui a suivi
la mort de Titus Tatius et le traité de 338.
144 CIL X, 797.
145 Op. cit., p. 263-264.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 349
165 Cf. E. Manni, Per la storia dei municipi fino alla Guerra Sociale, Rome, 1947, p. 42
n. 2.
166 Op. cit., p. 179-184.
167 Roma e Capua nella seconda metà del quarto secolo av. C, Athenaeum, 20, 1942,
p. 92.
168 Ibid.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 353
Deux témoignages tardifs nous apprennent qu'une fois par an, les
plus hauts magistrats de Rome se rendaient à Lavinium pour y
accomplir un sacrifice adressé conjointement à Vesta et aux Pénates. Le fait
est attesté par Macrobe : eodem nomine appelauit (Vergilius) et Vestam,
quam de numero Penatium certe comitem eorum esse manifestum est
adeo, ut et consules et praetores seu dictatores, cum adeunt magistratum,
Lauini rem divinam faciant Penatibus pariter et Vestae 182. La cérémonie
est donc célébrée par les magistrats de Rome, qui l'accomplissent
chaque année au moment de leur entrée en charge. Ce dernier point a été
contesté, et semble démenti par un passage de Servius 183 : hic (=
Vergilius) ergo quaeritur, utrum Vesta etiam de numero Penatium sit, an
cornes eorum accipiatur, quod cum consules et praetores siue dictator
abeunt magistratu, Lauini sacra Penatibus simul et Vesta faciunt. Selon
Servius donc, le sacrifice des magistrats romains a lieu lors de leur
sortie de charge. Cette contradiction avec Macrobe est surprenante, car les
ressemblances entre les deux textes sont telles qu'il est certain que
179 Die Trojanische Urahnen der Römer, Bale, 1957, p. 46 η. 124-125; Early Rome,
p. 264-265 n. 9.
180 Lavinium I, p. 104.
181 La leggenda di Enea nel Lazio, p. 12.
182 III, 4, 11 : «Virgile a appelé du même nom Vesta, dont il est si manifeste qu'elle
fait partie des Pénates, ou qu'elle est leur compagne, que les consuls, les préteurs ou les
dictateurs, lorsqu'ils entrent en charge, font à Lavinium un sacrifice aux Pénates en
même temps qu'à Vesta».
183 Ad Aen. II, 296 : « Virgile se demande donc si Vesta aussi fait partie des Pénates,
ou si elle est considérée comme leur compagne, parce que, lorsque les consuls, les
préteurs ou le dictateur sortent de charge, ils accomplissent à Lavinium des cérémonies
sacrées destinées aux Pénates en même temps qu'à Vesta » ; voir supra p. 292-6 pour les
liens entre Vesta et les Pénates.
356 LES PÉNATES PUBLICS
184 Römische Religions Geschichte, Munich, 1960, p. 295, n. 5; cf. aussi A. Alföldi,
Early Rome, p. 261 η. 3, et F. Castagnoli, Lavinium I, p. 72 n° 142, η. 1.
185 R.E., XIX, 1, s.u. Penates, col. 428.
186 I, 6, 7.
187 De Off., Ill, 109; cf. éd. de M. Testard, C.U.F., Paris, 1970, p. 188 n. 1.
188 Cf. C. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen. I : Les structures de
l'Italie romaine, Paris, 1977, p. 337.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 357
196 Ad Aen. VIII, 664 : « Les flamines avaient sur la tête un bonnet surmonté d'une
courte baguette. Les uns disent que la raison de cet usage est que, alors qu'ils sacrifiaient
à Lavinium, et que les oiseaux venaient des bois voisins leur arracher les entrailles des
victimes, ils voulurent les effrayer par la hauteur des baguettes. La coutume s'est
maintenue de porter de longues baguettes à Lavinium, et non des baguettes courtes comme à
Rome ».
197 Ad Aen. I, 239.
198 Le délit religieux dans la Rome tardo-républicaine, in Le Délit religieux dans la cité
antique, Ecole Française de Rome, Rome, 1981, p. 171.
»» R.U.K., p. 518.
200 Early Rome, p. 261.
201 Lavinium I, p. 109 n. 3.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 359
202 18-19, p. 21 C : «Cn. Domitius qui fut consul en même temps que C. Cassius,
lorsqu'il était tribun de la plèbe, courroucé contre Scaurus parce qu'il ne l'avait pas coopté
pour le collège des augures, l'assigna à comparaître devant le peuple et proposa à ce
dernier de lui infliger une amende parce que, disait-il, les cérémonies sacrées du peuple
romain avaient, par sa faute, subi un préjudice. Il lui faisait grief de ce que les
cérémonies sacrées en l'honneur des Pénates du peuple romain, qui se font à Lavinium, avaient
été par sa faute trop peu correctement et purement accomplies ».
203 Dalle Guerre Puniche a Cesare Augusto, Rome, 1918, p. 154 sq. Cf. J. Scheid, op. cit.
p. 168-169.
204 Op. cit., p. 169-171.
205 Un texte d'Obsequens reprend à peu près littéralement celui de Valére Maxime,
mais, curieusement, assimile la faute de Scaurus, considéré en tant que consul, à celle de
C. Hostilius Mancinus : M. Aemilio C. Hostilio Mancino coss. cum Lauinii auspicar entur,
pulii e cauea in siluam Laurentinam euolarunt neque inuenti sunt (24).
206 J. Scheid, op. cit., p. 125.
207 Cf. J.-L. Ferrary, Recherches sur la législation de Saturninus et Glaucia, II, MEFR,
91, 1979, p. 100, n. 47.
208 C. Nicolet, loc. cit. : C. Hostilius Mancinus perdit son titre de citoyen romain.
360 LES PÉNATES PUBLICS
B) Eléments légendaires
229 1, 72-89.
230 I, 72, 2: «L'auteur de l'histoire des prêtresses d'Argos et des événements qui se
produisirent du temps de chacune d'elle dit qu'Enée vint avec Ulysse du pays des
Molosses en Italie, et fonda une cité dont il tira le nom de celui de Rome, l'une des Troyennes».
Voir N. Horsfall, Some Problems in the Aeneas' Legend, CQ, 29, 1979, p. 376 sq.
231 1008-1016; voir supra p. 162.
232 Contra : T. J. Cornell {Aeneas'arrival in Italy, passim), pour qui la légende, apparue
à la fin de la République, est une élaboration savante, sans racines populaires.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 365
235 Contra : F. Borner, Rom und Troia, p. 65-78 ; voir aussi P. Boyancé, Les Pénates et
l'ancienne religion romaine, REA, 54, 1952, p. 113-114.
236 Alex, 1261-62; voir supra p. 174 sq.; 260 sq.
237 Lazio, Roma e Magna Grecia, p. 324-325.
238 Virgile {En. XII, 447) désigne comme Palladts arces la cité où règne Latinus.
239 F. Castagnoli, Lavinium I, p. 106 n. 13.
240 M. Fenelli, Enea nel Lazio, p. 193-194 (D 63) et fig. D 63 p. 195. Pour M. Sordi
{Lavinio, Roma e il Palladio, in Politica e religione nel primo scontro tra Roma e l'Oriente,
Milan 1982, p. 65-78), le Palladium de Lavinium est un «faux».
241 Cicéron, Scaur., 48 : eripuit fiamma Palladium Mud quod quasi pignus nostrae
salutis atque imperi custodiis Vestae continetur; cf. Denys d'H., I, 69, 4; voir infra p. 460-
7.
242 Lavinium I, p. 99 n. 9; id., Ancora sul culto di Minerva a Lavinio, BCAR, 90, 1,
1985, p. 7-12.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 367
C) Réalités historiques
243 Una testa d'Atena arcaica del Palatino, ΒΑ, 49, 1964, p. 193-198.
244 Μ. Pallottino, Le origini di Roma, ArchClass, 12, 1960, p. 1-36; P. Romanelli,
Certez e e ipotesi sulle origini di Roma, StudRom, 13, 1965 p. 4-18; M. Pallottino, Le origini di
Roma: considerazioni critiche sulle scoperte e sulle discussioni più recenti, A.N.R.W. I, 1,
Berlin-New York, 1972, p. 22-47; R. Peroni, Le fasi preurbane della fine dell'età del bronzo
et dell'inizio dell'età del ferro, in Civiltà del Lazio primitivo, Catalogue de l'Exposition,
Rome, 1976, p. 19-25; J. Poucet, Le Latium protohistorique . . ., I, p. 572 sq.
245 // Foro Romano. I : Periodo arcaico, Rome, 1983, p. 56 sq.
368 LES PÉNATES PUBLICS
253 T. J. Cornell, Aeneas and the twins : the development of the Roman foundation
legend, PCPhS, 201, 1975, p. 1-32; G. D'Anna, // ruolo di Lavinio e di Alba Longa nei primi
scrittori latini, in Problemi di Letteratura latina arcaica, Rome, 1976 p. 49 sq.
254 J. Heurgon, Archeologie et critique historique : la Rome des rois, Catalogue de
l'Exposition Naissance de Rome, Paris, 1977.
255 V, 52, 8 : Uli sacra quaedam in monte Albano Lauiniique nobis facienda tradide-
runt. Ces paroles, par lesquelles Camille, après le siège de Véies, au moment de l'invasion
gauloise de 390, propose aux Romains les maiores comme modèles de piété sont très
significatives, en raison de l'association qu'elles font des cultes de Lavinium et du Mont
Albain d'une part, de l'importance qu'elles donnent à ces cultes d'autre part.
256 Liv., I, 22-23; voir infra p. 445 sq.
257 I, 67, 1 et 2.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 371
Tite-Live nous dit266 que depuis 338 jusqu'à son temps, et, nous
l'avons vu, au moins jusqu'au règne de Claude, le fœdus entre Rome et
264 Les textes de Servius et de Macrobe parlent du sacrifice romain à Lavinium, mais
n'y mentionnent pas la présence de représentants d'autres cités latines.
265 VIII, 11, 15; cf. M. Torelli, Lavinio e Roma, p. 228-236.
266 VIII, 11, 15.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 373
271 P. -M. Martin, La propagande augustéenne dans les Antiquités Romaines de Denys
d'Halicarnasse, REL, 48, 1971, p. 162-175.
272 Cf. C. Thulin, in R.E., X, 1, s.u. Iuppiter, col. 1134-35; Denys d'Halicarnasse, IV,
49, 2.
273 Cf. M. Pallottino, Compte rendu de l'ouvrage d'A. Alföldi, Die Trojanischen
Urahnen der Römer, in SE, 26, 1958, p. 336-339.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 375
274 vin, 4, 2.
275 Cf. J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale, p. 223 ; A. Alföldi, Early Rome,
p. 411-414.
2™ De Rep. I, 9.
277 V, 19, 1.
27» N.H., XXVII, 45.
279 Samter, op. cit., col. 2214.
376 LES PÉNATES PUBLICS
280 G. Wissowa, R.U.K., p. 552 sq.; A. Alföldi, Early Rome, p. 265; CIL, X, 797.
281 CIL XIV, 2238; Liv., XXV, 12, 1; XLI, 16, 1; XLII, 22, 16 et 35, 3.
282 C'est en janvier 44 qu'eurent lieu les Fériés Latines au retour desquelles César fut
acclamé triomphalement et ne protesta pas lorsqu'un inconnu orna sa statue d'une
couronne de laurier entrelacée de bandelettes blanches (Suétone, César, 79, 2; cf. aussi Cicé-
ron, Ad Fam., VIII, 6, 3). Il est arrivé cependant qu'elles aient lieu en mars, comme en
témoigne une lettre de Cicéron à son frère {Ad Quint, fratr. II, 4, 2).
283 Suétone, Claude, 4; Tacite, Ann., IV, 36.
ROME ET LES PÉNATES DE LAVINIUM 377
284 Les Fériés Latines furent célébrées jusqu'en IVe siècle ap. J.-C. (cf. Samter, op. cit.
col. 2216).
285 A. Alföldi (Early Rome p. 264-265) souligne le fait que la date du renouvellement
du traité d'alliance entre Rome et Lavinium, coïncidant avec celle des vœux des
magistrats au Capitole, a été fixée en même temps que Rome établissait définitivement son
hégémonie sur le Latium.
286 Ibid.
378 LES PÉNATES PUBLICS
ROME
INTRODUCTION
1 Cf. Fr. 4 Peter ; J. Heurgon, Archéologie et critique historique : la Rome des Rois, in
Naissance de Rome, Catalogue de l'Exposition, Paris, 1977; G. Manganaro, Una biblioteca
storica nel ginnasion a Tauromenion, in A. Alföldi, Römische Frühgeschichte, Heidelberg,
1976, p. 83-96.
2 Alcimos par exemple (cf. G. Manganaro, ibid.).
3 Cette tradition semble spécifiquement grecque; on la trouve notamment chez Hel-
lanicos (apud Denys d'Halicarnasse, I, 72, 2); cf. Enea nel Lazio, Catalogue de
l'Exposition, Rome, 1981, p. 109-154; dans la littérature latine, seul Salluste {Cat. VI, 1) s'est fait
l'écho de cette tradition.
384 LES PÉNATES PUBLICS
me. Les Pénates du temple de la Vèlia, nous disent les Anciens, étaient
représentés comme deux jeunes gens assis tenant des lances, alors que
les Pénates enfermés dans le Penus de l'Aedes Vestae étaient de
mystérieux objets.
S. Weinstock9 a voulu voir dans cette double tradition un écho
romain de celle qu'il avait relevée à Lavinium, hésitant entre une
représentation anthropomorphique des Pénates proche du type
iconographique des Dioscures et les assimilant même à ces derniers, et une
conception des Pénates comme objets «aniconiques»; nous avons dit10 quelles
réserves nous inspirait cette interprétation du témoignage de Timée sur
les Pénates de Lavinium, et, par conséquent, toute tentative pour voir
un parallèle exact entre faits lavinates et faits romains.
Comment expliquer, d'autre part, que les Pénates du peuple
romain aient été honorés dans deux temples aussi proches, dont un seul,
il est vrai, leur était spécifiquement dédié? La réponse à cette question
est difficile, à cause de la minceur de la documentation littéraire
concernant le temple de la Vèlia, de son obscurité et de ses
contradictions à propos des mystérieux sacra du Penus Vestae; les attestations
iconographiques sont évidemment inexistantes pour ces derniers, rares
et sujettes à caution pour les dieux de la Vèlia. Enfin, la topographie du
Forum, en l'état où nous pouvons aujourd'hui la connaître, ne fait
guère qu'accroître ces difficultés : du Penus Vestae ne subsiste que la trace,
à l'identification hypothétique, d'une enceinte de pierres sur le sol;
quant à la Vèlia, elle a connu de tels bouleversements, dans l'Antiquité
comme à l'époque moderne, qu'il est bien délicat d'y reconnaître la
trace de monuments antérieurs au temps de Néron, malgré les très
intéressantes perspectives ouvertes par F. Coarelli11 sur l'histoire
architecturale de cette colline.
Outre l'étude de ces deux lieux du culte public des Pénates à Rome,
et de leurs rapports éventuels, il nous faudra aussi nous interroger sur
la coexistence dans la conscience religieuse des Romains du culte lavi-
nate et du culte romain des Pénates publics. S'il est clair que les
Pénates de Lavinium leur apparaissent comme les sacra apportés de Troie
par Enée, et qu'ils les reconnaissent pour leurs, on voudrait pouvoir
1) Le cadre géographique
7 Solin, I, 25.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 389
16 474 L.
17 Cf. commentaire de H. F. Rebert, op. cit., p. 56.
18 R.E. I, s.u. Antistius, col. 2550 sq.
19 Cf. Liv., I, 43, 13 : Quadrifariam enim urbe diuisa regionibus collibusque qui habi-
tabantur. Pour un résumé très clair des problèmes posés par cette Roma Quadrata, voir
F. Castagnoli, Topografia di Roma antica, Turin, 1980, p. 55-56.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 391
24 Ibid. : «vous n'aurez pas à craindre la Vèlia. Je descendrai habiter dans la plaine,
ou, mieux encore, au pied de la colline : ainsi, puisque je suis un citoyen suspect, vos
maisons domineront la mienne. Pour construire sur la Vèlia, il faut être meilleur
républicain que Publius Valerius»« (ibid).
25 λόφον περίτομον (Denys d'Halicarnasse, V, 19).
26 A propos de la description faite par le Pseudo-Aristote de la ville d'Oinarea, en
Etrurie, en partie située sur une hauteur et dont les habitants craignaient, pour cette
raison, que quelqu'un ne fût tenté par la tyrannie, J. Heurgon {Oinarea-Volsinii, in
Beiträge zur Alten Geschichte und deren Nachleben, Festschrift für F. Altheim, Berlin, 1969
p. 273-279) souligne que l'histoire grecque offrait des exemples analogues ; R. M. Ogilvie
(A Commentary on Livy, Books 1-5, Oxford, 1965, p. 250) pense qu'il s'agit peut-être d'un
thème hellénistique.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 393
27 Liv., I, 11-12.
28 R. M. Ogilvie (op. cit., p. 251) remarque justement qu'il faut accorder une
importance particulière au geste qui précède le discours de Valerius, par lequel il fait abaisser
les faisceaux devant le peuple, auquel il va s'adresser (II, 7, 7 : submissis fascibus) ; cette
explication historique d'une pratique romaine, l'abaissement des faisceaux devant le
peuple souverain, annonce bien la tonalité générale du discours du consul.
29 Solin, I, 25: Tullus Hostilius in Velia (habitauit) ; Varrón, αρ. Non., 531, 19: Tul-
lum Hostilium in Veliis. Le rapprochement entre Valerius Publicola et Tullus Hostilius
est d'ailleurs explicitement fait par Cicéron (De Rep. II, 31): P. Valerius ... aedes suas
detulit sub Veliam, posteaquam, quod in excelsiore loco Veliae cepisset aedificare eo ipso
ubi rex Tullus habitauerat, suspicionem populi sensit mouere. La localisation de la maison
de Valerius Publicola in Velia par le même écrivain dans un autre texte (De Har. Resp.,
1-6) n'est qu'une apparente contradiction avec ce qui précède, très justement expliquée
par H. F. Rebert (op. cit., p. 63). Cf. aussi Valére Maxime (IV, 1, 1) qui définit ainsi la
situation primitive de la maison de Valerius Publicola : excelsiore loco . . . instar arcis.
394 LES PÉNATES PUBLICS
30 V, 48.
31 Publicola, 10, 3-6: «... sur le mont appelé Vèlia une maison qui surplombait le
Forum et voyait d'en haut tout ce qui se passait. Elle était d'un accès escarpé et difficile ».
(Trad. R. Flacelière, E. Chambry, M. Juneaux, C.U.F., Paris, 1961).
32 De Vins Illustrious, XV.
33 G. Lugli, / templi dei Lari e dei Penati sulla Velia, p. 401.
34 S. B. Platner-T. Ashby, op. cit., p. 76-78.
35 S. B. Platner-T. Ashby, op. cit., p. 100; E. Nash, Pictorial Dictionary of Ancient
Rome, Tübingen, 1962, I, p. 180; 290; F. Coarelli, Roma, p. 78; id., Il Foro Romano I:
Periodo arcaico, Rome, 1983, p. 111-113.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 395
2) Les monuments
Vèlia, qu'il faut placer tous les monuments dont les auteurs anciens
nous disent qu'ils étaient in Velia, ou in Veliis. Quant au Murus Mustel-
linus, en face duquel se trouvait le sanctuaire de Mutunus Tutunus,
Festus ne nous donne aucune précision sur sa localisation dans
l'ensemble géographique qu'il appelle la Vèlia42.
D'autres édifices se trouvaient au pied de la colline. Nous venons
de voir que Valerius Publicola, soupçonné d'aspirer à la tyrannie, avait
décidé de faire construire sa maison au pied de la Vèlia : infra Ve-
liam; . . . ubi nunc Vicae Potae est domus in infimo cliuo aedificata43. Le
sanctuaire de Vica Pota, très ancienne divinité selon G. Wissowa44,
dont Cicéron explique le nom comme signifiant «vaincre et pouvoir»
(uincendi et potiundi)45, existait donc encore à l'époque d'Auguste,
mais aujourd'hui aucun vestige ne permet de le localiser. Il y avait dans
la zone de la Vèlia un autre monument lié à Valerius Publicola, le
tombeau de la Gens Valeria, présenté par les auteurs anciens comme
exceptionnel et par son emplacement, et par les conditions dans lesquelles il
fut édifié. Cicéron46 souligne que, bien que la loi des XII Tables
interdît les sépultures à l'intérieur de la ville, certains grands hommes, dont
Publicola, avaient obtenu antérieurement à cette loi le privilège d'être
enterrés dans Rome, privilège dont leurs descendants continuaient à
bénéficier. Selon Tite-Live47, Valerius Publicola, à sa mort, était si
pauvre que ses ressources personnelles ne suffirent pas à payer ses
funérailles; l'Etat s'en chargea, pour marquer sa reconnaissance des
immenses services qu'il avait rendus à Rome : sumptus . . . de publico est
datus. Chez Denys d'Halicarnasse se trouvent combinées les deux
traditions : ή μέντοι βουλή, μαθοϋσα ώς είχεν αύτοΐς τα πράγματα άπορώς, έκ
των δημοσίων εψηφίσατο χρημάτων έπιχορηγηθήναι τας είς την ταφήν
δαπανάς, και χωρίον ένθα έκαύθη και ετάφη . . . έν τη πόλει σύνεγγυς της
αγοράς άπέδειξεν ύπο Όυελίας48. Si l'on en croit Denys, la sépulture de
Valerius se serait donc trouvée en bas de la Vèlia, ce que Plutarque
note également en localisant le tombeau παρά την καλουμένην Όυε-
λίαν49. Il semble que, cette fois, l'archéologie puisse confirmer la
tradition littéraire, puisque l'on a découvert, en 1876, un fragment d'un
éloge de M. Valerius Messalla 50, sur le chemin qui mène à l'Aedes Pacts,
derrière la Basilique de Maxence. Cette inscription provient
évidemment de la sépulture de la Gens Valeria, mais les indications
topographiques que nous pouvons en tirer pour notre propos restent
imprécises : le fragment n'a sans doute pas été trouvé à son emplacement
originel, et a dû être réutilisé dans une construction qui a remplacé la
sépulture des Valerii51. Si l'on admet qu'il n'a pas été beaucoup déplacé, il
indiquerait alors à peu près la limite nord de la Vèlia, vers les Carinae;
cette sépulture constituerait donc l'unique référence topographique
utilisable des monuments dits in Velia, sub Veliis, infra Veliam. Il est
probable, au reste, que c'est la présence de cette sépulture, encore visible,
semble-t-il, au temps de Cicéron, qui a donné naissance à toutes les
légendes concernant la maison de Valerius Publicola, celle de son frère,
et la générosité de Rome à leur égard ; ces traditions, assez confuses,
viennent peut-être, comme le note H. F. Rebert52, de la Gens Valeria
elle-même : Cicéron53 affirme que les deniers de l'Etat servirent à
payer non le tombeau, mais la maison, de Publicola, tandis qu'Asco-
nius54, citant Hygin, rapporte que le fils de Valerius, M. Valerius Valé-
48 V, 48, 3 : «Le Sénat, toutefois, apprenant dans quel dénûment ils (= les parents de
Valerius Publicola) étaient, décida de subvenir avec l'argent de l'Etat aux dépenses de la
sépulture et désigna un lieu où il fut brûlé et enseveli, dans la cité, près du Forum, au
pied de la Vèlia».
49 Publicola, 23; la contradiction entre cette indication topographique et celle que
donne ailleurs Plutarque pour le même monument (Quaest. Rom., 79 : έν άγορα) est
résolue de façon très convaincante par F. Castagnoli (op. cit., p. 160 n. 1) : dans ce dernier
passage, Plutarque fait référence à des hommes illustres que les Romains décidèrent
d'ensevelir sur le Forum, à titre exceptionnel; l'imprécision dans la localisation de la
sépulture de Publicola tient peut-être au fait qu'elle est mentionnée dans une
enumeration de monuments.
50 Cf. A. Degrassi, Elogia, 77.
51 Cf. A. M. Colini, Forum Pacis, BCAR, 65, 1937, p. 14.
52 Ibid., p. 64.
53 De Ear. Resp., 26.
54 In Pis., 52.
398 LES PÉNATES PUBLICS
65 De L.L. V, 54.
66 531, 19.
67 XLV, 16, 5.
68 XIX.
69 I, 25.
70 Nous avons déjà noté à deux reprises un certain flou dans les indications
topographiques données par Cicéron pour la localisation de la maison de Valerius Publicola, par
Plutarque pour celle du sépulcre des Valerti.
400 LES PÉNATES PUBLICS
dant vers le Forum et s'ouvrant sur la Via Sacra par deux portes de
bronze datant de l'Antiquité, d'autre part une partie rectangulaire,
utilisée pour l'édification de l'église proprement dite, à laquelle le
monument rond a servi de vestibule, puisqu'une porte a été percée entre les
deux corps de bâtiments pour les relier. L'identification de ces
monuments est problématique, et a été l'objet d'une longue controverse, dont
nous retraçons brièvement l'histoire84. R. Lanciani85 voit dans l'édifice
rond le tombeau de Romulus, fils de Maxence, tandis que l'édifice
rectangulaire aurait été une seule salle à l'origine (le Temple de la Paix,
construit par Vespasien), divisée ensuite en deux parties dont l'une
serait le Templum Sacrae Urbis; P. Whitehead, dans une première
étude86, puis G. Biasotti et P. Whitehead87, et à nouveau P. Whitehead88,
au contraire, contestent l'existence d'un tombeau - ou d'un hérôon - de
Romulus près du Forum, et identifient la partie nord-est du bâtiment
rectangulaire comme le temple des Pénates, et le bâtiment rond comme
un vestibule monumental construit par la suite pour entrer dans ce
dernier; l'hypothèse de ces deux savants s'appuie du reste, en ce qui
concerne l'identification du temple des Pénates, sur une étude
antérieure de E. Van Deman89. H. F. Rebert90 propose, lui aussi, cette
identification du temple des Pénates, en se fondant sur la même étude, et elle
est acceptée également par S. Weinstock91. Au contraire, F.
Castagnoli92 conteste l'identification du bâtiment rectangulaire comme le
temple de nos dieux, et le même savant et L. Cozza93 proposent d'y voir
deux parties distinctes : le Templum Pacis et, peut-être, la Bibliotheca
Pads mentionnée par des auteurs tardifs.
Examinons de plus près cette identification du temple des Pénates.
E. Van Deman fonde son hypothèse, déjà avancée par H. Jordan et C.
CLIVVS AD CARINAS
ÌVÌ4
AEDLS t
DEVM j
PENATtV/Λ ·
97 Loc. cit.
98 Cf. aussi F. Castagnoli, op. cit., p. 165 n. 2.
99 Op. cit., ad. loc.
100 Supra p. 288-9.
406 LES PÉNATES PUBLICS
lui, que l'église dédiée aux deux saints se soit élevée précisément sur
l'emplacement du temple des Pénates-Dioscures; ce serait, au contraire,
un témoignage d'une remarquable continuité dans les traditions
religieuses, du paganisme gréco-romain au christianisme. Le monument
antique utilisé pour la construction de l'église est d'ailleurs désigné
comme le «Temple des Castors» dans un dessin du bâtiment fait au
XVIe siècle par P. Ligorio, accompagné d'un commentaire de son
contemporain Panvinio, conservés à la Bibliothèque Vaticane101.
Cette localisation nous paraît au demeurant appeler de sérieuses
réserves. La première vient du fait que, dans toutes les références
littéraires au temple, sauf chez Denys si l'on accepte la leçon ύπ' Ούελίας,
ce dernier est situé in Velia, ou εν Ούελία. Or, nous l'avons vu à propos
des autre édifices que la tradition situe sur la Vèlia, il semble que les
auteurs fassent une différence très nette entre les monuments situés
sur la colline elle-même (in Velia, in Veliis) et ceux qui se trouvent en
contrebas (sub Velia, infra Veliam). Cette distinction est
particulièrement bien illustrée par l'anecdote du déplacement de la maison de
Valerius Publicola. Aucun des monuments n'est localisé à l'aide de l'un
ou l'autre terme indifféremment, sauf, précisément, la maison de
Publicola située in Velia dans un texte de Cicéron, singularité dont nous
avons rendu compte précédemment102. Nous verrons plus bas qu'il est
ύπ'
peut-être possible de résoudre la contradiction entre la leçon
Ούελίας et les autres références littéraires antiques. De toute façon,
cette localisation constitue une difficulté topographique, dans la mesure
où l'emplacement même de l'église S.S. Corne et Damien n'est pas à
proprement parler au pied de la Vèlia, mais un peu plus à l'ouest, le
long de la Via Sacra. Cette difficulté n'a d'ailleurs pas échappé à H. F.
Rebert103 qui, pour justifier le relatif éloignement de cet emplacement
par rapport à la hauteur sur laquelle est construite la Basilique de
Maxence (hauteur qu'il identifie comme la Vèlia) propose de donner
plusieurs sens au terme Velia : oppidum, dans la mesure où elle était
l'une des collines du Septimontium; deuxièmement le nom d'une
colline; troisièmement «une expression pour ainsi dire formelle qui a fini
par être vidée de tout contenu topographique»104; ce dernier sens se
115 BCAR, 61, 1933, p. 82, cité par F. Castagnoli (// tempio dei Penati e la Velia, p. 159
n.2).
116 Op. cit., p. 159-160.
410 LES PÉNATES PUBLICS
te117. Si cette rue conduit bien, comme nous le croyons, du Forum aux
Carinae, et est taillée à flanc de colline, il est néanmoins impossible de
s'appuyer sur le texte de Denys pour savoir quelle portion de la rue
était voisine du Temple des Pénates. F. Castagnoli118 fait valoir que le
Temple de Tellus, que P. Ligorio situe près de l'église Sant'Andrea in
Portogallo, aux environs de l'actuelle Via del Colosseo, était localisé,
par le même Denys, κατά την έπί Καρίνας έρουσαν όδόν119, et encore in
Carinis. Mais, selon nous, ces références n'indiquent pas que le Temple
de Tellus était en bordure de la même section de la rue, ni même qu'il
s'agissait de la même rue; les deux temples peuvent avoir été situés,
l'un - celui des Pénates - près du Forum, l'autre - celui de Tellus - à
l'autre extrémité de la rue, aux Carinae même. En l'état actuel des
lieux, il nous paraît à peu près impossible de trancher de cette dernière
question. En revanche, il est fort probable que ce temple, quel qu'ait
été son emplacement précis par rapport au sommet de la Vèlia -
versant tourné vers les Carinae ou versant tourné vers le Forum -, a été
détruit au IVe siècle lors des énormes travaux de construction de la
Basilique de Maxence, qui occupe en fait la plus grande partie de la
superficie de la Vèlia.
117 Le plan proposé par G. Biasotti et P. Whitehead {op. cit., p. 86, fig. 2), reproduit
ci-dessus, offre une interprétation de cette localisation.
118 Op. cit., p. 159 n. 1.
119 VIII, 79.
120 Guida archeologica di Roma, Milan, 1975, p. 94.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 411
140 F. Castagnoli, Gli edifici rappresentanti in un rilievo del sepolcro degli Haterii,
BCAR, 69, 1941, p. 59-60.
141 Cicéron déclare (Cat. I, 5, 11) avoir réuni le Sénat dans YAedes louis Statoris pour
y prononcer la Première Catilinaire, ce qui est repris par Plutarque (Cic, 16). Or, nous
savons par Aulu-Gelle (N. Ait. XIV, 7, 7) que le Sénat ne pouvait voter de sénatus-consulte
valable que dans un espace orienté et inauguré, ce qui exclut un monument rond (cf.
G. Dumézil, La Religion romaine archaïque, 2è éd., 1974, p. 322-3). Cependant, le
sanctuaire proprement dit, ici désigné comme aedes, pouvait être construit à l'intérieur d'un
espace délimité consacré au dieu - que désigne précisément le mot templum -, lui-même
orienté.
142 G. Dumézil, loc. cit.; l 'Aedes Vestae est un monument rond, non orienté.
Remarquons cependant que peuvent être désignés comme aedes des sanctuaires quadrangulai-
res, par exemple, sur le Forum, X Aedes Saturni, X Aedes Concordiae, X Aedes Castorum.
416 LES PÉNATES PUBLICS
ne N° 9005-9006.
149 Cf. C. H. V. Sutherland-R. A. G. Carson, op. cit., p. 346 sq.
418 LES PÉNATES PUBLICS
4) Conclusion
155 I, 68, 1-2: «dans ce temple se trouvent des images des dieux de Troie qu'il est
permis à tous de voir, portant une inscription qui les désigne comme les Pénates : ce sont
deux jeunes gens assis, tenant des lances, ouvrages d'une facture ancienne ; nous avons
vu beaucoup d'autres images de ces dieux dans des sanctuaires anciens, et dans tous, ils
sont représentés comme deux jeunes gens en tenue militaire; il est permis de les voir,
d'en entendre parler et d'écrire à leur sujet».
"' Op. cit., p. 222, et p. 222-223, n. 6.
157 «II me semble en effet que la lettre θ n'ayant pas été inventée, les anciens
rendaient sa valeur par le δ».
158 Commentaire aux Antiquités Romaines, Breslau, 1840-46, I, p. 236.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 421
173 Cf. A. Alföldi, Hasta - Summa Imperii, AJA, 63, 1959, p. 1-27.
174 F. Castagnoli, op. cit., p. 164-165 : «les images des Pénates (sur le relief de l'Ara
Pacis) sont identiques à celles que décrit Denys»; R. Schilling, op. cit., p. 1972.
175 Res Gestae, XIX.
176 Une autre identification a été proposée par Petersen. Cf. ci-dessus, p. 212.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 425
177 Le costume d'Enée, à part le voile sacerdotal qui recouvre sa tête et sur lequel
nous nous sommes expliqué plus haut (cf. ci-dessus, p. 283-4) présente une ressemblance
frappante avec celui de certaines sculptures grecques classiques, par exemple celui du
personnage de droite d'une stèle funéraire du Musée des Beaux-Arts de Moscou (cf. Y.
Morisot, A propos de la représentation sculptée des vêtements dans l'art grec, REA, 75, 1974,
p. 117-132, pi. VII = H. Diepoler Die Attische Grabereliefs des 5 und 6 Jahr v. Chr., Berlin,
1931, pi. 31).
178 Cf. G. Moretti, Ara Augustae, Rome, 1948, p. 215.
426 LES PÉNATES PUBLICS
notre relief, comme sur l'indication de Denys, selon laquelle ils sont
représentés comme δόρατα διειληφότες. Il nous paraît en effet que l'on
s'est peut-être trop hâté d'interpréter dans un sens guerrier cet attribut,
et qu'il convient plutôt d'y voir un bâton de messager, comme dans les
δόρατα que Denys mentionne aux mains des dieux de la Vèlia.
ont pas non plus les vêtements qui rattachent les deux jeunes gens assis
côte à côte dans le petit temple à un monde lointain et surhumain;
contrairement à ces derniers, les figurines des monnaies de Maxence
sont montrées dissociées, et dans des positions non pas semblables,
mais symétriques. Au demeurant, ce dernier détail nous paraît
aisément explicable par des raisons relevant de la composition générale de
l'une et l'autre images. Sur les monnaies, les deux statuettes ne sont pas
côte à côte, mais encadrent, en quelque sorte, la partie centrale du
monument qui, par son volume, est la plus importante, et sert d'axe de
symétrie à l'image. Sur l'Ara Pacis, au contraire, les deux statues
constituent un groupe, et le choix qu'a fait le sculpteur de leur mettre leur
long bâton dans la main gauche s'explique par l'orientation du temple,
sur le devant duquel ils apparaissent, par rapport à l'ensemble de la
scène; en effet, l'édifice n'est pas représenté de face, mais de trois-
quarts, et ce n'est qu'en leur faisant tenir leur bâton dans la main
gauche que l'artiste pouvait éviter qu'une partie du corps des dieux fût
cachée par leur bras droit. La rareté des représentations figurées des
Pénates publics ne permet pas de faire une étude concluante sur ce
point, mais dans la figuration, souvent assez voisine, des Dioscures, les
dieux tiennent leur lance dans la même main ou non, et dans la main
droite ou gauche, suivant un critère qui semble être essentiellement
l'effet de composition de l'ensemble de la scène, ou du groupe qu'ils
constituent180. Il existe de grandes parentés entre les statuettes des
monnaies et celles de YAra Pacis : le fait que les dieux soient au nombre
de deux, qu'ils soient assis, qu'ils tiennent de longs bâtons.
Evidemment, nous ne pouvons affirmer avec certitude qu'il faut reconnaître
les statues des Pénates dans le temple de la Vèlia, ni sur le relief, ni sur
les monnaies commémoratives de Maxence. Cependant - et le fait nous
paraît mériter d'être fortement souligné -, les caractères communs aux
deux figurations sont précisément ceux que relève Denys dans sa
description des Pénates de la Vèlia : deux jeunes gens assis tenant de longs
bâtons dont nous avons essayé d'expliquer pourquoi Denys les avait
identifiés comme des lances.
180 Cf. F. Chapouthier, Les Dioscures au service d'une déesse, Paris, 1935, p. 22-96
(pour l'iconographie des Dioscures); cf. aussi l'ensemble des monnaies représentant les
Dioscures réunies par C. Peyre (op. cit.).
428 LES PÉNATES PUBLICS
184 II, 293 : «Troie te confie ses choses saintes et ses Pénates» (trad. J. Perret, C.U.F.,
Paris, 1977).
185 III, 154-155: «Ce qu'Apollon te dira si tu te rends à Ortygie il te l'annonce ici:
voici qu'il prend les devants et nous envoie sur ton seuil» (ibid.).
430 LES PÉNATES PUBLICS
IV - Dioscures et Pénates
189 Ph. L. Williams, Amykos and the Dioskouroi, AJA, 49, 1945, p. 330-347.
190 Cf. R. Bloch, L'origine du culte des Dioscures à Rome, RPh, 86, 19 60, p. 182-193;
id., Tempium Castoris, BSAF, 1980-81, p. 35-47.
191 Cicéron, De Nat. Deor. II, 2, 6; Liv., II, 20, 12; Denys d'Halicarnasse, V, 13.
192 M. Albert, Le culte des Dioscures en Italie, Paris, 1883, p. 18.
193 Op. cit., p. 456.
194 pénates et Dioscures, p. 93.
432 LES PÉNATES PUBLICS
distingue des autres sacra emportés par Enée en Italie les μεγάλοι θεοί,
culte apporté en dot par Chrysè à Dardanus, qui l'établit à Samothrace,
où l'on en célèbre encore les mystères, puis en Asie, dans les deux cités
fondées par Dardanus, Dardania et Troie; à la chute de Troie, les
μεγάλοι θεοί furent emportés par Enée en Italie, et constituent une partie
des objets sacrés, interdits à la vue des profanes, conservés dans le
sanctuaire de Vesta. Enée, dit Denys, a emporté en Italie d'autres sacra
interdits aux profanes, que R. Schilling croit pouvoir identifier avec les
Pénates, ou πατρφοι θεοί, bien distincts, donc, des μεγάλοι θεοί; or,
constate-t-il, à Rome, les faits sont compliqués par l'assimilation des
Dioscures aux Grands Dieux; les dieux de la Vèlia, décrits par Denys et
figurés sur le relief de l'Ara Pacts, sont en fait «une représentation des
Dioscures qui, par suite d'un anachronisme propre à la restauration
d'Auguste, n'ont de Pénates que le nom»210. Nous sommes donc en
présence d'un «enchaînement des assimilations» Pénates - Grands Dieux -
Dioscures. «Ce confusionnisme», poursuit R. Schilling, «serait
décourageant s'il n'apparaissait comme un phénomène largement artificiel,
entretenu sinon créé par les glossateurs . . . Tout se -passe comme si
l'expression grecque μεγάλοι θεοί, qui avait chez Denys d'Halicarnasse
une signification claire avec sa référence d'origine à Samothrace, avait
perdu dans la traduction latine sa spécificité et s'était prêtée aux
spéculations les plus fantaisistes». En fait, conclut R. Schilling, dans la
pratique cultuelle, les Romains n'ont jamais pu confondre les Pénates avec
les Castores honorés dans leur temple du Forum, non plus qu'avec les
dieux de la Vèlia, les μεγάλοι θεοί qu'Enée avait apportés de Troie. On
notera combien les conclusions de cette étude sont opposées à celles de
C. Peyre, à la fois pour l'identification des statuettes de la Vèlia et pour
la portée donnée à la confusion Pénates-Dioscures, savante pour
R. Schilling, populaire pour C. Peyre.
Au demeurant, il nous apparaît que la confusion entre Pénates et
Dioscures, à cause d'une commune origine samothracienne, est en fait
le résultat de l'assimilation des deux groupes de divinités aux Cabires
de Samothrace - les grands Dieux211 -, dont les raisons essentielles sont
les suivantes : les Cabires, qui passaient pour avoir à Samothrace un
212 Cf. Kern, s.u. Kabeiros und Kabeiroi, in R.E., X, 2, col. 1424.
213 Ibid., col. 1430; cf. aussi le texte de Varron cité par Servius (Ad Aen. III, 12) que
nous avons rappelé ci-dessus; et B. Hemberg, Die Kabiren, Uppsala 1950, passim.
214 Voir ci-dessus p. 316-7.
215 Cf. F. Castagnoli, La leggenda di Enea nel Lazio, StudRom, 30, 1982, p. 10.
438 LES PÉNATES PUBLICS
qui les a du même coup ennoblis : ils ont été considérés comme une
partie de l'héritage sacré apporté par Enée de Troie, héritage assez
vague d'abord, désigné du nom de ίερά, chez Stésichore par exemple.
Ces sacra associés au voyage du héros troyen étaient suffisamment
imprécis pour prendre place dans d'autres légendes, qui se sont
combinées à celles des errances des fugitifs. C'est ainsi par exemple que les
sacra ont connu des spécifications diverses selon les légendes
auxquelles ils ont été associés : Grands Dieux de Samothrace, Pénates,
Palladium. De là viennent les flottements et les confusions des traditions les
concernant, traditions que Varron, Denys, Servius et son interpolateur
Daniel, semblent avoir tenté d'unifier et de rationaliser216. Aussi
l'assimilation des Pénates aux Dioscures nous paraît-elle un effet secondaire
de la légende troyenne, conséquence du lien établi entre Enée et les
Grands Dieux-Dioscures d'un côté, Enée et les Pénates, de l'autre. Elle
ne peut donc pas être antérieure au IVe siècle av. J.-C.
D'autre part, nous croyons aussi qu'elle est limitée dans la
conscience religieuse des Romains. C. Peyre, comme R. Schilling,
soulignent qu'il était difficile à un habitant de Rome de confondre deux
groupes de divinités dont les temples, sur le Forum même, étaient si
clairement distingués. Certes, C. Peyre a bien montré217 par le
rapprochement de deux textes de Cicéron, invoquant sur Rome, l'un la
protection des Pénates, l'autre celle des Dioscures, combien ils étaient
proches dans leur rôle de divinités tutélaires. Il n'en reste pas moins
que des compétences partiellement communes ne sauraient suffire à
établir une confusion entre dieux que séparent leur origine, leur
histoire et l'ensemble de leur sphère d'action. De plus, C. Peyre a sans
doute raison de remarquer que ce rapprochement, attesté de façon
très limitée dans le domaine iconographique, a été rendu possible par
la modification proprement romaine de la personnalité des
Dioscures218, qui, de dieux guerriers, sont devenus simplement des
protecteurs de la ville, rôle qui les rapprochait évidemment des Pénates, en
216 R. Schilling {op. cit., p. 1973) ajustement souligné que ces tentatives apparaissent
bien souvent comme des spéculations d'érudits.
217 Op. cit., p. 460.
218 R. Schilling {Les Castores romains à la lumière des traditions indo-européennes,
Hommages à G. Dumézil, Coll. Latomus, 45, 1960, p. 186 sq.) a montré comment, dans
cette transformation proprement romaine des Dioscures de divinités guerrières en
divinités pacifiques, Castor avait éclipsé son frère au point que le couple des jumeaux était
appelé Castores.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 439
qui il faut certainement voir, comme le dit C. Peyre, les divinités «assi-
milatrices». Cette confusion a, croyons-nous, été faite par Denys dans
la description qu'il nous a laissée des dieux de la Vèlia, et elle lui a
fait identifier le long bâton qu'ils tiennent à la main comme une lance.
Quant aux autres sanctuaires «anciens» où Denys prétend avoir vu les
Pénates figurés comme deux jeunes gens en costume militaire, nous
pensons qu'il s'agissait en réalité de temples des Dioscures, puisque
l'historien ne fait apparemment pas la distinction entre les deux
groupes de divinités.
1) L'histoire du temple
222 XLV, 5.
223 XIX.
224 I, 68, 1 ; cf. supra, p. 400-2.
225 Op. cit., p. 158-159.
226 Roma. Il centro monumentale, p. 226.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 441
sûrement plus ancienne que la moitié du IIe siècle av. J.-C, nous ne
possédons pas le moindre document qui permette de connaître avec
certitude tout ou partie de son histoire, et, en particulier, l'origine du
culte reste mystérieuse. Aussi allons-nous tenter de reconstituer cette
histoire en mettant en relation les différentes traditions ayant trait à la
Vèlia et aux Pénates.
Nous avons déjà vu qu'il existait une tradition qui plaçait sur la
Vèlia la maison de Tullus Hostilius; elle est attestée chez Solin : Tullus
Hostilius in Velia, ubi postea deum Penatium aedes facta est221; Nonius
la mentionne aussi, en l'attribuant à Varron : Tullum Hostilium in
Veliis, ubi nunc est aedis deum Penatium22*. La grande ressemblance
des deux formulations fait penser qu'il s'agit dans les deux cas d'une
citation de Varron229. Mais d'autres faits témoignent d'un lien entre
Tullus Hostilius et la Vèlia. Comme le montre clairement le récit de
Tite-Live, l'événement essentiel du règne du roi est la guerre contre
Albe, avec ses diverses péripéties, et, pour finir, la destruction de la
cité; l'épisode des Horaces et des Curiaces, le plus frappant sans doute
dans le déroulement des hostilités, se clôt, après le meurtre de sa sœur
par Horace triomphant, sur le châtiment infligé au jeune guerrier par
son propre père au nom de toute la cité : transmisso per uiam tigillo,
capite adoperto uelut sub iugum misit iuuenem. Id hodie quoque publiée
semper refectum manet : sororium tigillum uocant230. Or, le Tigillum
227 I, 22.
228 531, 19.
229 II existe une variante au moins à cette tradition, transmise par Tite-Live, selon
qui, après la destruction d'Albe et l'agrandissement de Rome consécutif à l'arrivée des
Albains, Tullus Hostilius aurait désormais habité sur le Caelius, dès lors rattaché à la
ville ; aucune indication n'est donnée sur sa première résidence : Caelius additur urbi
mons et, quo frequentius habitaretur, earn sedem Tullus regiae capit ibique habitauit (I, 30,
1).
230 I, 26, 13 : «Le père plaça une poutre en travers de la rue et fit passer son fils la
tête voilée sous cette sorte de joug. Cette poutre existe encore et est toujours restaurée
par l'Etat. On l'appelle «la Poutre de la Sœur» (trad. G. Baillet, C.U.F., Paris, 1958). Selon
G. Dumézil (Heur et malheur du guerrier, 2è éd. Paris, 1985, p. 37), ce rite du passage sous
la poutre, ou sous le joug, « rappelle des moyens connus de désacralisation, de transfert
d'un monde à l'autre, du retour du surnaturel ou de l'exceptionnel à l'ordinaire et à
l'humain ».
442 LES PÉNATES PUBLICS
239 Sur ce problème, qui a été très largement débattu, voir la mise au point de M. Pal-
lottino, Le origini di Roma, A. N.R.W. , I, 1 p. 33-37.
240 Guida Archeologica di Roma, p. 194-195; id., Il Foro Romano I, p. 24-26.
241 Cf. M. Pallottino, Le origini di Roma, ArchClass 1960, p. 26; P. Romanelli, Certezze
e ipotesi sulle origini di Roma, StudRom, 13, 2, 1965, p. 11-12; F. Delpino, Sepolcreti della
valle del Foro e tombe del Palatino, in Civiltà del Lazio primitivo, Rome, 1976, p. 103-107;
F. Coarelli, Roma, p. 40.
242 Cf. aussi M. Pallottino Le origini di Roma, ArchClass, 12, 1960, p. 9.
243 Ibid., p. 7.
244 De L.L. V, 48; cf. P. De Francisci, Primordia Civitatis, Rome, 1959, p. 483; J.
Collari, Varron, De Lingua Latina V, p. 174.
245 Ibid., p. 482; G. Lugli exprime (// tempio . . ., p. 407) l'opinion contraire : pour lui,
la Vèlia aurait été une sorte de banlieue élégante de la cité palatine, appréciée pour son
calme.
444 LES PÉNATES PUBLICS
à mettre à part, cette dernière cité n'étant pas, par rapport à Rome,
dans une simple relation d'hostilité, ni même d'altérité. Car, Tite-Live le
souligne dès le début de son récit de la guerre avec Albe, Romains et
Albains sont, dans une large mesure, semblables, comme peuvent l'être
des frères, ou des pères et des fils : Et bellum utrimque summa ope
parabatur, ciuili simillimum bello, prope inter parentes natosque, Troia-
nam utramque prolem, cum Lauinium ab Troia, ab Lauinio Alba, ab
Albanorum stirpe regum oriundi Romani essent262. La similitude entre
les deux peuples est soulignée chez Tite-Live non seulement par le
rappel de la filiation entre Rome et Albe - filiation bien établie désormais
par la vulgate de la légende des origines -, mais aussi par le rappel
d'une commune origine troyenne, et d'une autre relation de filiation,
entre Albe et Lavinium cette fois; la mention de cette filiation ne sert
d'ailleurs qu'à expliquer le fait essentiel, le centre de la phrase Troia-
nam utramque prolem. Cette «guerre civile» présente deux phases dans
le récit de Tite-Live : après le combat des Horaces et des Curiaces et la
victoire d'Horace, un premier traité de paix est conclu entre les deux
peuples, donnant évidemment la suprématie à Rome, conformément
aux clauses établies conjointement avant le combat par les deux rois.
Mais, à la première occasion - la guerre contre Véies -, les Albains se
rendent coupables de trahison vis-à-vis de leurs alliés Romains, ce
pourquoi Tullus Hostilius décide de détruire la ville et d'accueillir à
Rome sa population, considérée non pas comme étrangère, mais
comme profondément parente de celle de Rome, fraternelle, au point que
ce transfert est finalement présenté par le roi comme le retour à une
unité perdue lors de la fondation de Rome : mihi . . . populum omnem
Albanum Romam traducere in animo est . . . unam urbem, unam rempu-
blicam facere; ut ex uno quondam in duos populos diuisa Albana res est,
sic nunc in unum redeat263. La fusion des deux peuples prend ainsi
l'allure d'une réconciliation, après une division plus ou moins imposée par
le méchant roi Amulius et une trahison dont est seul rendu responsable
le dictateur Mettius Fufétius, cruellement châtié. Aussi, dans la mesure
262 I, 23, 1 : Les deux peuples mettent toute leur ardeur à préparer la guerre,
véritable guerre entre concitoyens, presque entre pères et fils : tous deux étaient d'origine
troyenne, puisque Lavinium était sortie de Troie, Albe de Lavinium et Rome de la famille
royale d'Albe (trad. G. Baillet, op. cit.).
263 Liv., I, 28, 7: «J'ai pris la résolution de transférer toute la population d'Albe à
Rome ... de n'avoir plus qu'une seule ville et un seul Etat. Autrefois, Albe a partagé son
peuple en deux; qu'elle reprenne aujourd'hui son unité» (trad. G. Baillet, op. cit.).
448 LES PÉNATES PUBLICS
264 Cf. A. Alföldi, Early Rome, p. 236 sq.; selon R. M. Ogilvie {op. cit., p. 105), on peut
distinguer dans le récit de Tite-Live trois couches de matériel : d'une part, des éléments
légendaires, par exemple la bataille des champions et la mort de Mettius Fufétius,
appartenant à la. tradition indo-européenne et plus anciens que Rome même; ensuite, des
éléments historiques qui ont quelques chances d'appartenir au VIF siècle, comme le nom du
roi Tullus Hostilius, celui de Fufétius, et la prise d'Albe; enfin, les résultats des
recherches faites par les Romains pour expliquer, par des éléments légendaire ou historiques
des premiers temps de Rome, le nom, autrement inexpliqué, de certains lieux, comme la
Fossa Cluilia, ou les Sepulcra Horatiorum et Curiatiorum.
265 N.H. III, 69.
266 Cf. R. Bloch, Les origines de Rome, Paris, 1959, p. 47-58.
267 Cf. M. Pallottino, Le origini di Roma, A.N.R.W., I, 1 p. 40-41.
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 449
268 I, 22.
269 Le origini di Roma, A.N.R.W., I, 1, p. 40.
270 Ibid.
271 Voir ci-dessous p. 453 sq.
272 Voir ci-dessus p. 355 sq.
450 LES PÉNATES PUBLICS
273 T. J. Cornell, Aeneas and the twins : the development of the Roman foundation
legend, PCPhS, 201, 1975 p.. 1-32; G. D'Anna, // ruolo di Lavinio e di Alba Longa nei primi
scrittori Latini, in Problemi di letteratura latina arcaica, Rome, 1976, p. 43-144.
274 Cependant, il n'est pas douteux que Lavinium ait gardé à cette époque tout son
prestige comme cité sainte, ainsi qu'en témoignent les réalisations architecturales du
temps : transformation de l'hérôon, achèvement de la rangée des autels (cf. supra p. 232;
299). Cela implique d'ailleurs une activité économique importante, l'existence de
nombreux artisans et de riches commanditaires, la fortune de ces derniers étant attestée par
les bijoux et parures féminines de certaines statues votives : cf. Enea nel Lazio.
Archeologia e mito, Catalogue de l'Exposition, Rome, 1981, p. 211-269.
275 Liv., V, 52, 8 : «leurs traditions à eux nous obligent à faire des sacrifices sur le
Mont Albain et à Lavinium» (trad. G. Baillet, C.U.F., Paris, 1969).
276 I, 67, 1-2; les mêmes événements se trouvent rapportés dans YOrigo Gentis Roma-
nae (17, 2).
LE CULTE DES PÉNATES SUR LA VÈLIA 451
277 i, 68, 1.
CHAPITRE II
1 Cf. A. Preuner, Hestia-Vesta, Tübingen, 1864; H.Jordan, Der Tempel der Vesta,
Berlin, 1886; E. Van Deman, The Atrium Vestae, Washington, 1909; S. B. Platner-T. Ash-
by, A Topographical Dictionary of Ancient Rome, Oxford, 1929, p. 557-59; A. Brelich, Vesta,
Zurich, 1949; F. Coarelli, Roma, (Guide archeologiche Laterza), Rome, 1980, p. 80-86;
F. Castagnoli, Topografia di Roma antica, Turin, 1980, p. 82.
2 Cf. S. Β. Platner-T. Ashby, op. cit., p. 558; F. Castagnoli, op. cit., p. 82.
3 Plutarque, Numa, 11; Festus, 320 L.
4 Cette signification du terme Atrium Vestae a été contestée : cf. ci-dessous, p. 507
sq.
5 Festus, 296 L.
6 Cf. supra p. 21-2.
7 G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer, 2e éd., Munich, 1912, p. 165 sq. ;
G. Radke Die dei pénates und Vesta in Rom, A.N.R.W., Π, 17, 1, Berlin-New- York 1981,
p. 358-361.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 455
8 Cf. Ch. Hülsen, // Foro Romano, Rome, 1905, t. II, p. 179; S. Β. Platner-T. Ashby,
op. cit., p. 558; F. Coarelli, op. cit., p. 82.
9 Cf. supra p. 21-2.
10 296 L.
11 152 L : mûries. . . quae est intus in aede Vestae in penu extenore.
12 C. Koch, in R.E., Vili A 2, s.w. Vesta, col. 1730.
13 Cf. G. Dumézil, La Religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, p. 324-25.
14 C. Koch, loc. cit.
15 C. Koch, loc. cit.
456 LES PÉNATES PUBLICS
21 Loc. cit.
22 Liv., XXVI, 27, 14.
23 Hist. Aug., Héliogabale, 6, 6.
24 Ad Aen. III, 12 : nam et ipsum penetrai penus dicitur.
25 V, 40, 7 : quae sacrorum secum ferenda. . . essent consultantes.
26 Fastes VI, 450 : sacra uir intrabo non adeunda uiro.
27 N. H. XXVIII, 7.
28 II, 66, 4.
29 Cam., 20, 5.
30 Cam., 20, 4: «Cependant, quelques écrivains prétendent que celle-ci (= les
Vestales) ne gardent pas autre chose que le feu perpétuel » (trad. R. Flacelière, E. Chambry,
M. JUneaux, C.U.F., Paris, 1961).
458 LES PÉNATES PUBLICS
2) Le phallus
36 De Ciu. Bei VII, 21 : «Dans la cité de Lavinium, un mois tout entier était consacré
à Liber, pendant lequel chacun employait les mots les plus orduriers, jusqu'au jour où ce
membre était porté à travers le forum et installé au lieu qu'on destinait à son repos. Sur
ce membre déshonnête, il fallait que la mère de famille la plus honnête déposât
publiquement une couronne. Voilà comment on devait apaiser le dieu Liber pour obtenir
l'heureuse germination des semences, voilà comment on devait détourner des champs les
mauvais sorts; il fallait qu'une matrone fût contrainte de faire en un lieu public ce
qu'une courtisane même ne devrait pas pouvoir faire au théâtre, si les matrones
risquaient de voir la scène» (Trad. J. Perret, Paris, 1960).
37 Cependant, J. Champeaux (op. cit., p. 404) met les rites lavinates en rapport avec
les fêtes romaines de Fortuna Virilis aux calendes d'avril : à la croyance en la vertu
fécondante de 1 obscénité à Lavinium correspondrait à Rome l'indécence du «bain
choquant des humiliores et des courtisanes parmi les hommes».
460 LES PÉNATES PUBLICS
3) Le Palladium
38 Loc. cit.
39 Cf. L. Ziehen, in R.E., XVIII, 3, s.u. Palladion, col. 182; les différentes traditions
antiques relatives au Palladium ont été très clairement présentées par F. Chavannes {De
Palladii raptu, Berlin, 1891).
40 48 ; cf. Philippiques XI, 24, à propos de Brutus : qui ita conseruandus est ut illud
signum quod, de caelo delapsum, Vestae custodiis continetur : quo saluo, salui sumus.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 461
41 V, 52, 7 : « Faut-il citer le feu éternel de Vesta et la statue, gage de notre puissance,
gardée dans son temple?» (trad. G. Baillet, C.U.F., Paris, 1969).
42 XXVI, 27, 14 : «Ils avaient cherché à atteindre le temple de Vesta, son feu éternel,
et, caché dans son sanctuaire, le gage donné par le destin à l'empire romain» (trad.
E. Lasserre, Paris, 1950).
43 Sénèque, Contr., I, 3, 1 ; Properce, IV, 4, 45; Ovide, Fastes VI, 424-435; Pline, N.H.
VII, 45, 141; Lucain, Pharsale 1, 598; Juvénal, Sat. Ill, 139.
44 Una testa di Minerva arcaica del Palatino, BA, 49, 1964, p. 193-198.
45 Ancora sul culto di Minerva a Lavinio, BCAR, 90, 1985, p. 12 n. 32.
46 Naissance de Rome, Catalogue de l'Exposition, Paris, 1977, η. 707.
462 LES PÉNATES PUBLICS
tête sur la Vèlia, datable du dernier quart du VIe siècle. Si l'on suit
F. Castagnoli, il n'y a donc pas d'attestation iconographique du
Palladium avant le Ier siècle après J.-C.
Sous le règne d'Auguste, on voit le Palladium pour la première fois
sur la base de Sorrente47 : la statue d'Athéna armée apparaît dans
l'encadrement de la porte entre les colonnes du sanctuaire de Vesta;
encore faudrait-il avoir la certitude que le relief représente bien YAedes Ves-
tae du Forum, et non un temple de la déesse qu'Auguste aurait fait
construire sur le Palatin48, édifice dont l'existence est d'ailleurs
discutée49; G. E. Rizzo50 et M. Guarducci51 pensent que le sanctuaire a bien
été bâti par Auguste sur le Palatin, et que c'est lui qui figure sur la base
de Sorrente. Posant plus précisément le problème de la présence du
Palladium sur le relief, M. Guarducci fait remarquer52 que la statue
d'Athéna, tenue hors de portée des regards profanes, n'aurait, selon
une tradition rapportée par Hérodien53, été montrée au public pour la
première fois qu'à la fin du IIe siècle après J.-C, sous le règne de
Commode, et affirme qu'il ne peut s'agir, sur notre relief, que d'une copie
du «vrai» Palladium, celui du sanctuaire du Forum, qu'Auguste aurait
fait exécuter pour la placer dans le temple du Palatin. Cette hypothèse
permet de rendre compte d'un fait à première vue peu vraisemblable :
la représentation figurée, sur le relief, d'une statue que nul ne devait
voir. Cependant, ne montrer qu'une copie du Palladium rendait-il
possible de contourner l'interdit religieux pesant sur lui? La réponse à cette
question est d'autant plus délicate que, comme nous le verrons plus
loin, une partie de la tradition affirme qu'il a existé très tôt, à Troie
même, des copies du Palladium. Après l'époque d'Auguste, on constate
la présence de la statue sur des monnaies à partir du règne de Galba54 :
elle figure aux côtés d'une représentation de Vesta. Nous avons vu plus
62 Pour M. Sordi (Lavinio, Roma e il Palladio, in Politica e religione nel primo scontro
tra Roma e l'Oriente, Milan, 1982, p. 65-66), le culte d'Athéna à Lavinium préexiste à
l'arrivée d'Enée, tradition qu'a, du reste, suivie Virgile dans l'Enéide (XII, 477 sq.), puis-
qu'Amata et d'autres femmes se réfugient aux pieds de la déesse lors de l'arrivée des
Troyens. Selon M. Sordi, le culte d'Athéna à Lavinium serait, chez Virgile, anti-troyen et
anti-romain.
63 Cf. supra p. 364-5.
64 Contra : T. J. Cornell, Aeneas' arrival in Italy, Liverpool Classical Monthly, 2, 1977,
p. 77-83.
65 I, 72, 2.
66 Ibid.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 465
67 C'est la tradition rapportée par Servius, Ad Aen. VII, 150: nam Numicus ingens
ante jluuius fuit, in quo repertum est cadauer Aeneae et consecratum ; cf. supra p. 323-6.
68 Cf. supra p. 161-218.
69 I, 67, 1-2.
70 17, 1.
71 C'est ce qu'exprime l'oracle en vers rendu à Dardanos lorsqu'il quitte Samothrace
pour l'Asie avec le Palladium et les images des Grands Dieux, reproduit par Denys (I, 68,
4); G. Dumézil (Ilos, Mon et le Palladium, dans L'oubli de l'homme et l'honneur des dieux,
Paris, 1985, p. 38-46) prête au Palladium une signification « trif onctionnelle ».
466 LES PÉNATES PUBLICS
VIIIe siècle avant J.-C.72 : le Palladium est un don divin d'Athéna à Dar-
danos73 et consiste dès l'origine en deux statues, installées à Troie par
Dardanos; après la prise de la ville, Enée en aurait emporté une, tandis
qu'Ulysse et Diomède auraient volé l'autre. Mais Denys oppose à cette
tradition le récit même d'Arctinos, selon qui une seule de ces statues
aurait été le véritable Palladium, l'autre n'étant qu'une copie destinée à
tromper des voleurs éventuels, et effectivement dérobée par les
Grecs74. Enfin, dans l'Antiquité, de nombreuses cités se targuaient de
posséder le véritable Palladium75. Ces confusions ont sans doute
largement facilité l'établissement des traditions romaines concernant la
statue.
De quand date la prétention des Romains à détenir le Palladium?
W. Volgraff 76 considère qu'elle se formule au IIIe siècle avant J.-C;
pour M. Sordi77, elle s'accompagne nécessairement de la conviction
que la statue de Lavinium est un faux : selon elle, la liste, connue par
Servius78, des sept pignora imperii - dont le Palladium - possédés par
Rome comporte plusieurs couches chronologiques, exprimant
l'élargissement progressif des ambition romaines de domination; la présence
supposée, à Rome, du vrai Palladium, daterait du conflit avec Antio-
chus, en 192 avant J.-C; L. Ziehen79, à la suite de G. Wissowa, date au
contraire les prétentions romaines du temps de Varron. Nous croyons
préférable de considérer que la tradition selon laquelle YAedes Vestae
du Forum aurait enfermé le Palladium de Troie est intimement lié au
rôle assigné par les Romains à Enée, d'une part comme fondateur de
Lavinium80, mais surtout comme ancêtre de tous les Latins, légende
72 I, 68, 3; sur Arctinos, voir H. G. Evelyn- White, Hesiod; the Homeric Hymns and
Homerica, Loeb Classical Librairy, Londres, 1920, p. XXXI; M. L. West met en doute la
valeur du témoignage de Denys, qui est de troisième main (Hesiod, Theogony, Oxford,
1966, p. 432).
73 Selon une tradition rapportée par Varron (chez Servius, Ad Aen. II, 166) et Ovide
(Fastes VI, 421), le Palladium était tombé du ciel.
74 I, 69, 2-3.
75 L. Ziehen, op. cit., col. 171-172; E. Paribeni, in E.A.A., V, s.u. Palladio, p. 893-97;
G. Pugliese Carratelli, Roma e Magna Grecia prima del secolo quarto a.C, PP, 23, 1968,
p. 324 sq. ; F. Castagnoli, op. cit. p. 7.
76 Le Palladium de Rome, BAB, 1938, p. 34 sq.
77 Op. cit., p. 74-77.
78 Ad Aen. VII, 188.
79 Op. cit., col. 183.
80 F. Castagnoli, op. cit., p. 12 n. 32.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 467
4) Les Pénates
sanctuaire de Vesta sur le Forum abritait, lui aussi, les Penates populi
Romani.
Telle est, résumée à grands traits, l'argumentation d'A. Brelich,
fondée essentiellement sur le silence de la tradition littéraire
concernant la présence des Pénates dans YAedes Vestae à l'époque
républicaine, et, d'autre part, sur le caractère unique et la date du témoignage de
Tacite. Cependant, il nous semble que la présence, parmi les sacra de
YAedes Vestae, du phallus sacré et du Palladium peut être un argument
contre la thèse d'A. Brelich. Il est clair, en effet, que l'un et l'autre ont
une valeur de talisman : ils sont des gages de fécondité dans un cas, de
pérennité dans l'autre; à leur présence est attachée l'existence même de
Rome. Or, précisément, dans la légende de la fuite d'Enée emportant
ses dieux, dans les pratiques du culte privé, dans l'usage même que
font les textes du mot Penates, on voit que ces dieux représentent
l'essence de la maison, ou de la patrie, qu'ils peuvent désigner par
métonymie. Est-il alors vraiment surprenant qu'ils soient conservés au foyer
de l'Etat87? D'autre part, l'analogie avec les faits lavinates - rappelons
que le sacrifice des magistrats romains à Lavinium était dédié à Vesta
et aux Pénates, ce qui laisse supposer un temple commun88 - a pu
jouer en faveur de l'identification comme Pénates des sacra de YAedes
Vestae*9.
A cette première série d'arguments, nous voudrions à présent en
ajouter deux autres, qui tendent, croyons-nous, à établir que les Pénates
de l'Etat se trouvaient bien dans le sanctuaire de Vesta antérieurement
à l'époque augustéenne. Ce sont, d'abord, les récits qui nous sont
parvenus concernant l'histoire des sacra du sanctuaire, récits qui prouvent,
selon nous, des parentés entre eux et les Pénates publics que nous
connaissons par ailleurs à Lavinium et sur la Vèlia; d'autre part, la
présence des Pénates publics dans YAedes Vestae nous paraît s'expliquer
par la signification topographique et historique de ce monument dans
la Rome archaïque; enfin, la légende des origines troyennes de Rome a
pu exercer une certaine influence sur les traditions concernant ce
troisième lieu du culte des Pénates publics.
A) Le récit de Tite-Live
le prêtre ne soit pas également désigné par le nom du dieu qu'il servait
est assez surprenant94, mais J. Bayet justifie le choix de cette leçon par
la suite du texte ; nous y reviendrons. La leçon sacerdotesque et Vestales
donnerait à entendre que c'est de l'ensemble des prêtres et prêtresses
de Rome qu'il s'agit, ce qui rend alors difficilement compréhensible la
mention du flaminem : en effet, les leçons flamines d'une part, et
Vestales d'autre part, se trouvent dans des manuscrits différents95. Si l'on
accepte, comme le fait J. Bayet, la leçon Vestales, il est permis de
penser que les sacra publica mentionnés sont uniquement ceux du
sanctuaire de Vesta, considérés comme les plus saints et les plus importants de
Rome, ce qui semble bien confirmé, nous allons le voir, par le récit que
fait Tite-Lïve de la suite de l'épisode. Cependant, dans la fin de la
phrase, nous croyons pouvoir relever une discordance entre la leçon cultum
eorum, choisie par J. Bayet, de préférence à cultum deorum donnée par
un manuscrit, et la traduction «le culte des dieux» de G. Baillet. La
leçon eorum nous paraît un argument en faveur de notre
interprétation : l'anaphorique renvoie à sacra publica, et il s'agirait des sacra de
l'Aedes Vestae, auxquels est lié le salut de Rome. Du reste, l'ensemble
du passage cité, et la suite96, semblent bien marquer une opposition
entre les dieux gardés par les Romains sur le Capitole (ceux de la
Triade Capitoline évidemment, mais peut-être d'autres dont on aurait
envisagé de mettre les statues en lieu sûr dans la citadelle ou dans le triple
temple du Capitole), et ceux que les prêtres emportent loin de Rome.
Dans la suite de son récit, Tite-Live explique que le Capitole étant
une colline trop petite pour accueillir l'ensemble de la population de
Rome; les plébéiens renoncent à ce refuge et se dirigent vers le Janicu-
94 Habituellement, le nom du flamine est suivi d'un adjectif formé sur le nom du
dieu qu'il sert (Dialis, Martialis, etc. . .); G. Dumézil (Flamen-Brahmane, Paris, 1935, p. 43-
44) note l'étroite dépendance où se trouve ce prêtre par rapport à son dieu, et souscrit
entièrement à la définition qu'en donne C. Jullian (in D.A. II, p. 1159 b) : «esclave du dieu
dont il est prêtre»; id., La religion romaine archaïque, 2e éd. Paris, 1974, p. 118 sq.; il
semble donc naturel que le flamine soit toujours désigné par le nom de son dieu.
95 R. M. Ogilvie (A Commentary on Livy, Books 1-5, Oxford, 1965, p. 722) souligne
très clairement les deux problèmes posés par ce passage : qui est ce flamine ? Sacerdotes
désigne-t-il les Vestales, ou est-il employé pour distinguer d'elles d'autres collèges de
prêtres qui auraient fui en leur compagnie? Le rapprochement avec le passage que nous
citons ci-dessous (V, 40, 7) amène R. M. Ogilvie à identifier le flamine comme celui de
Quirinus, tandis que les sacerdotes seraient les Vestales, interprétation appuyée sur le
commentaire de Weissenborn (Liv., V, Berlin, 1821, ad /oc).
96 V, 39, 2 : si arx Capitolium, sedes deorum. . .
472 LES PÉNATES PUBLICS
97 V, 40, 7-10 : «Cependant, le flamine de Quirinus et les Vestales, sans songer à eux-
mêmes, se demandent quels objets sacrés ils doivent prendre avec eux, lesquels il faut
laisser faute de pouvoir tout emporter, et dans quelle cachette fidèle ils les mettront en
sûreté. Le mieux, pensent-ils, est de les enfermer dans des jarres, et de les enterrer dans
une chapelle voisine de la maison du flamine de Quirinus, à l'endroit où aujourd'hui
encore il est sacrilège de cracher. Quant aux autres objets, ils se partagent entre eux le
fardeau et les emportent par la route qui mène au Janicule par le pont Sublicius. Les
prêtresses montaient la côte quand un homme de la plèbe, Lucius Albinius, les aperçut. Il
emmenait sur un chariot sa femme et ses enfants parmi toute la foule des
non-combattants qui évacuait Rome, Sachant même en un pareil moment faire une différence entre
les choses divines et les choses humaines, et se faisant scrupule de voir à pied des
prêtresses de l'Etat avec les objets sacrés du peuple romain tandis que sa famille était en
voiture, il fit descendre sa femme et ses enfants, installa sur son chariot les Vestales et les
objets sacrés et les conduisit à Caeré, où les prêtres se rendaient» (op. cit.).
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 473
98 Op. cit., p. 64-65, n. 1 ; J. Bayet renvoie à Liv., V, 52, 13-14; mais dans le passage en
question, il n'est pas réellement établi de lien entre les Vestales et le flamine de Jupiter :
Tite-Live se contente de les présenter comme les prêtres les plus prestigieux de Rome, et
flamen employé seul (§ 14) renvoie évidemment au flamen Dialis mentionné quelques
lignes plus haut (§ 13).
99 Voir G. Dumézil, «.Te, amata, capto», Quinze Questions Romaines, Dans Mariages
Indo- Européens, Paris, 1979, p. 241-243.
100 Cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, p. 168-172.
101 G. Dumézil, op. cit., p. 257.
102 II est possible, également, que la tradition rapportée par Tite-Live s'explique par
l'identification du fondateur, Romulus, à Quirinus, dont le prêtre interviendrait ici pour
sauver la ville dans ce qu'elle a de plus sacré ; mais la datation de cette identification fait
474 LES PÉNATES PUBLICS
problème : cf. G. Dumézil (op. cit., p. 260) qui, refusant de la considérer comme une fable
répandue par la Gens Iulia, à des fins de propagande politique, au Ier siècle av. J.-C,
estime qu'elle peut dater «du temps même où les légendes sur les origines de Rome
recevaient leur forme définitive»; pour R. M. Ogilvie (op. cit., p. 724), la seule circonstance où
les Vestales et le flamine de Quirinus apparaissent conjointement est la fête des Consua-
lia, et le point commun entre elle et le sauvetage des sacra servait peut-être, pense-t-il, le
suivant : Consus étant le dieu de l'emmagasinage, il serait naturel que son flamine
participe à celui des sacra; de plus, les Consualia sont une «fête sabine», et Quirinus était le dieu
de la communauté sabine du Quirinal avant son identification avec Romulus; selon
F. Coarelli, au contraire (Foro Romano I : Periodo arcaico, Rome, 1983, p. 284), les cultes
auxquels est attaché le Flamen Quirinalis ont un caractère chthonien et funéraire, et
notamment les Consualia.
103 Op. cit., p. 66 η. 1.
104 Servius, Ad Aen. Vili, 663; voir U. Scholz, Studien zum altitalische und
altrömischen Marskult und Marsmythos, Heidelberg, 1970, p. 26-29.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 475
105 J. Gagé (Le chariot d'Albinius et le transfert des sacra au temps de l'invasion
gauloise à Rome, in Enquêtes sur les structures sociales et religieuses de la Rome primitive, Coll.
Latomus, vol. 152, Bruxelles, 1977, p. 520-545) donne de l'épisode une interprétation qui
tend à abolir cette distinction ; en effet, relevant le rapport établi par les Anciens entre les
mots Caere et caerimonia, il suppose que la ville est à l'origine de cette pratique, mal
connue, et consistant sans doute, selon lui, en «une demi-exibition aux fidèles de
symboles divins d'ordinaire invisibles» (p. 533), d'origine pélasge, et exprimant, dans le fait de
promener ces symboles , « le souvenir et le respect essentiel du mouvement de migration »
(p. 534), caractéristiques de ces peuples; J. Gagé fait enfin remarquer que les sacra qui
furent transportés et ceux qui furent enfouis sont sans doute les mêmes : « La caerimonia
d'Albinius aurait compris, selon nous, le placement et la promenade de symboles très
sacrés sur un chariot sans valeur officielle, mais probablement aussi le dépôt scrupuleux
de ces symboles au terme de l'itinéraire, en les faisant descendre du chariot pour leur
assigner un lieu où ils seraient inviolables et invisibles» (p. 537).
106 De L.L. V, 157 : «Le lieu que l'on appelle Doliola, situé près de la Cloaca Maxima,
et où il est interdit de cracher, tire son nom de jarres enfouies sous terre. Il existe deux
traditions concernant ces dernières, puisque les uns disent qu'elles contiennent des os de
morts, les autres des objets sacrés ayant appartenu à Numa, enfouis là après sa mort».
107 / monumenti minori del Foro Romano, Rome, 1947, p. 101-110; E. Nash, Pictorial
Dictionary of Ancient Rome, Tübingen, 1962, p. 305-6.
476 LES PÉNATES PUBLICS
113 Two archaic inscriptions from Latium, JRS, 50, 1960, p. 112-114.
114 Voir supra p. 431 sq.
115 La suite du récit de Tite-Live évoque la résistance des Romains lors de l'assaut des
Gaulois vers le Capitole, l'échec de cette tentative, l'organisation de la résistance romaine
par ceux qui avaient fui à Ardée et à Véies, autour de Camille, lui-même exilé à Ardée par
Rome; ce dernier est nommé dictateur, et, grâce à lui, les Romains parviennent, malgré
leur épuisement, à mettre en fuite les Gaulois, puis il les convainc de ne pas abandonner
leur ville, presque entièrement détruite, pour s'installer à Véies, mais, au contraire, de
rebâtir les édifices privés et publics ; et il fait dire par un sénatus-consulte : cum Caereti-
bus hospitium publice fieret, quod sacra populi Romani ac sacerdotes recepissent beneficio-
que eius populi non intermissus honos deum immortalium esset (V, 50, 3). Les mot sacra
populi Romani ac sacerdotes reprennent exactement les termes employés plus haut, et ne
nous éclairent donc pas; en revanche honos deum immortalium tendrait à nous faire
478 LES PÉNATES PUBLICS
donner un sens large à sacra, car il est assez peu probable que ce terme désigne
seulement Vesta et les Pénates, et non l'ensemble des dieux du Forum dont les sacra auraient
été emportés par les prêtres ; la suite du texte appuie cette hypothèse : on y apprend que
Jupiter, loin de devoir partir pour l'exil, a protégé le Capitole où est édifié son temple :
quod Iuppiter Optimus Maximus suam sedem atque arcem populi Romani in re trepida
tutatus esset (V, 50, 4). Il nous paraît impossible, toutefois, de déduire d'une confrontation
entre ce passage et le précédent que, dans le premier, le mot sacra désignait l'ensemble
des objets sacrés de Rome, et non pas seulement ceux que renfermait le Penus Vestae.
116 Op. cit., p. 290-94.
117 Voir A. Fraschetti, Le sepolture rituali del Foro Boario, in Le délit religieux dans la
cité antique, Rome, 1981, p. 51-115; D. Briquel, Des propositions nouvelles sur le rituel
d'ensevelissement des Grecs et des Gaulois au Forum Boarium, REL, 49, 1982, p. 30-37.
118 Plutarque, Numa, 10.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 479
B) Le récit de Plutarque
124 M. Torelli, op. cit., p. 59 : Tite-Live (IX, 36) atteste qu'à cette époque, certains
nobles romains étaient éduqués à Caeré. Sur les rapports entre Rome et Caeré, voir
M. Sordi, / rapporti romano-ceriti e la civitas sine suffragio, Rome, 1960, p. 36-52.
125 J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale, p. 299-301 ; pour J. Gagé (op. cit.,
p. 532-36), Caeré est, certes, une ville hellénisée, mais elle porte peut-être aussi la trace
d'influences pélasgiques, impossibles à dater, qui se manifestent, à l'époque historique,
par des traditions religieuse comme les caerimoniae, que Rome lui aurait empruntées
dans un moment de crise, lors de l'invasion gauloise.
126 Cam., 20, 3 : «Mais leur premier soin fut pour les objets sacrés; il en est que l'on
transporta au Capitole, mais ceux de Vesta furent emmenés hors de Rome, avec l'aide
des prêtres, par les Vestales en fuite» (ibid.).
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 481
tions. Selon les uns, comme nous l'avons vu, il s'agirait du Palladium
troyen, apporté par Enée en Italie; mais ces ιερά sont aussi définis
δ'
autrement : είσι oi τα Σαμοθράκια μυθολογουντες Δάρδανον μεν εις
Τροίαν έξενεγκάμενον όργιάσαι και καθιερώσαι κτίσαντα την πόλιν,
Αίνείαν δε περί την άλωσιν έκκλέψαντα διασώσαι μέχρι της έν 'Ιταλία
κατοικήσεως 127. Cette seconde tradition rapportée par Plutarque
as imile donc les sacra du temple de Vesta à ceux de Samothrace, transférés
par Dardanos de l'île à Troie, par Enée de Troie en Italie. Evidemment,
les lignes de Plutarque plaident fort en faveur d'une identification de
ces sacra comme les Pénates, pour deux raisons. D'une part, nous avons
vu128 que pour certains auteurs, en particulier Varron129, les dieux de
Samothrace sont Castor et Pollux, eux-mêmes parfois identifiés avec les
Pénates; il est tout à fait possible que le terme, vague, de τα
Σαμοθράκια désigne, outre les mystères cultuels, les dieux. D'autre part, le fait
qu'Enée, dans cette tradition, est supposé avoir transporté ces sacra de
Troie en Italie suggère fortement qu'il s'agit des Pénates. Si ces
derniers ne sont pas nommément désignés, nous pensons que c'est parce
que Plutarque a sans doute ici comme source Denys d'Halicarnasse130,
et, à travers lui, des sources grecques, qui ne connaissent pas, ou
n'utilisent pas, le terme de «Pénates». Au demeurant, il nous semble très
probable que c'est bien d'eux qu'il s'agit dans ce texte. A la lumière de
cette tradition rapportée par Plutarque, on peut peut-être interpréter,
dans le récit précédemment étudié que fait Tite-Live de la même
invasion gauloise, la mention des sacra populi Romani que le texte de
l'historien, nous l'avons vu, ne permettait pas de définir précisément : nous
pensons que l'expression désigne, elle aussi, les Pénates publics.
Plutarque conclut ainsi l'exposé des différentes traditions sur les
sacra du temple de Vesta : Οι δε προσποιούμενοι τι πλέον έπίστασθαι
περί τούτων δύο φασίν ού μεγάλους άποκεΐσθαι πίθους, [ών]τον μεν
άνεωγότα και κενόν, τον δε πλήρη και κατασεσημασμένον, αμφότερους
δε ταΐς παναγέσι μόναις παρθένοις ορατούς. "Αλλοι δε τούτους διεψεϋ-
127 Cam., 20, 6: «D'autres racontent que Dardanos, après avoir fondé la ville de
Troie, y apporta les objets sacrés de Samothrace, qu'il fit servir au culte et à la
célébration des mystères, et qu'Enée, à la prise de la ville, les enleva secrètement et les garda
jusqu'à son établissement en Italie» {ibid.).
128 Ci-dessus, p. 432 sq.
129 De L.L. V, 58.
130 Cf. R. Flacelière, E. Chambry, M. Juneaux, op. cit., Notes complémentaires,
p. 236; voir ci-dessous, p. 490 sq.
482 LES PÉNATES PUBLICS
σθαι νομίζουσι τω τα πλείστα των ίερών τότε τας κόρας εμβαλούσας εις
πίθους δύο κρύψαι κατά γης υπό τον νεών του Κυρίνου, και τον τόπον
εκείνον έτι και νυν των Πιθίσκων φέρεσθαι την έπωνυμίαν131. Nous
trouvons ici la notation, déjà rencontrée dans d'autres témoignages, de
l'interdiction faite aux profanes de voir les ίερά du temple de Vesta, ce qui
explique en partie les incertitudes de la tradition à leur sujet. Plutarque
est le seul auteur à nous faire connaître la version de la légende selon
laquelle il y aurait eu en permanence dans le temple de Vesta deux
jarres; cette tradition, dont il ne cite malheureusement pas les tenants,
nous semble s'expliquer, une fois encore, à la lumière de l'assimilation
qui a été faite, pendant une période limitée132, entre les Pénates et les
Dioscures, ces derniers étant souvent symbolisés par des jarres ou
représentés avec des jarres133; la précision selon laquelle l'une était
pleine et l'autre vide peut être mise en relation avec le pouvoir magique
accordé à ces ίερά, et rapprochée des légendes sur la duplication du
Palladium, dont une ou plusieurs copies auraient été faites pour
tromper les voleurs éventuels; de même, ici, seule la jarre pleine (Plutarque
ne précise pas de quoi elle est remplie, mais on peut imaginer que c'est
de ίερά, en tout cas des objets précieux et mystérieux, puisque la jarre
est scellée) aurait une valeur réelle, et la seconde ne serait qu'un double
destiné à brouiller les pistes; mais on peut penser aussi que les jarres
constituent en elles-mêmes les objets sacrés. Cependant, Plutarque le
note lui-même (άλλοι δε τούτους διεψεΰσθαι νομίζουσι), cette tradition
paraît se superposer à une autre, que nous avons déjà relevée chez Tite-
Live, selon laquelle les ίερά du temple de Vesta n'auraient pas séjourné
en permanence dans des jarres, mais n'y auraient été placés par les
Vestales que lors de l'invasion gauloise. Plutarque, toutefois, nous
fournit ici un détail qui ne figurait pas chez Tite-Live : ces jarres étaient au
131 Cam., 20, 7-8 : «Ceux qui prétendent en savoir là-dessus plus que les autres disent
qu'il existe là deux jarres de médiocre grandeur, dont l'une est ouverte et vide, et l'autre
pleine et scellée, et que toutes les deux ne sont visibles que pour les vierges sacrées.
D'autres, enfin, pensent que ces derniers ont été abusés par le fait que les Vestales mirent
alors la plupart des objets sacrés dans deux jarres, qu'elles cachèrent sous terre au pied
du temple de Quirinus, et que cet endroit porte encore aujourd'hui le nom de «Petites
Jarres» (op. cit.).
132 Cf. supra p. 437-9.
133 Cf. S. Weinstock, Two archaic inscriptions from Latium, pi. XIII. Notons
cependant qu'ici, Plutarque précise que les ίερά qui furent enterrés ne sont pas ceux du temple
de Vesta.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 483
136 Cam., 21, 2 : «II les y (= sur le chariot) fit monter, pour qu'elles pussent gagner
l'une des villes grecques» (op. cit.).
137 Cf. R. Flacelière, E. Chambry, M. Juneaux, op. cit., Notes complémentaires,
p. 237 : «II n'y a pas de raison de croire que Plutarque suivait une autre tradition, car, n'y
regardant pas de trop près, il pouvait considérer comme grecque une ville telle qu'Agylla-
kCaeré, qui était en bons rapports avec les Grecs et avait construit un trésor à Delphes
(Strabon, V, 2, 3; Hérodote, I, 167)».
138 I, 1, 10 : Urbe enim a Gallis capta, cum flamen Quirinalis uirginesque Vestales sacra
onere partito ferrent easque pontem Sublicium transgressas et cliuum, qui ducit ad Ianicu-
tum ascendere incipientes L. Albanius, plaustro coniugem et liberos uehens, aspexisset, pro-
prior publicae religioni quam priuatae cantati suis, ut plaustro descenderent, imperauit
atque, in id uirgines et sacra imposita, omisso coepto innere, Caere oppidum peruexit, ubi
cum summa ueneratione recepta. Grata memoria ad hoc usque tempus hospitalem humani-
tatem testatur; inde institutum est sacra caerimonias uocari, quia Caeretani ea infracto ret-
publicae statu perinde ac fiorente coluerunt : « A la prise de Rome par les Gaulois, le
flamine de Quirinus et les Vestales emportaient les objets sacrés dont ils s'étaient partagé le
fardeau. Ils venaient de passer le pont Sublicius, et commençaient à gravir la côte qui
mène au Janicule, lorsque L. Albanius, qui emmenait sur son chariot sa femme et ses
enfants, les aperçut : plus attaché à la religion de l'Etat qu'à ses affections privées, il fit
descendre sa famille du chariot, y plaça les Vestales et les objets sacrés et, se détournant
de sa route, il les conduisit au bourg de Caeré, où ils furent accueillis avec la plus grande
vénération. La reconnaissance a perpétué jusqu'à ce jour le souvenir de cette généreuse
hospitalité. Car dès lors s'établit l'usage de donner aux rites sacrés le nom de cérémonies,
parce que les habitants de Caeré les célèbrent aussi bien dans les malheurs de la
république qu'au temps de sa prospérité» (trad. P. Constant, Paris, 1935).
139 L'étymologie du mot reste incertaine. A. Ernout-A. Meillet (Dictionnaire
étymologique de la langue latine, s.u. caerimonia) proposent une dérivation à partir d'un mot
étrusque caerimo. L'étymologie avancée par Valére Maxime n'est donc peut-être pas aussi
fantaisiste qu'il paraît; cf. supra p. 475 n. 105.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 485
détail original donné par l'écrivain, par rapport aux récits de Tite-Live
et de Plutarque, se trouve dans les mots omisso coepto itinere : Lucius
Albinius change donc sa destination primitive pour aller à Caeré, et il
est facile d'imaginer que c'est à la demande des Vestales. Cela
confirmerait une importance particulière de la ville à cette époque aux yeux
des Romains, comme nous avons cru pouvoir le montrer en étudiant le
récit de Tite-Live.
Le dernier témoignage concernant ce sauvetage des sacra est celui
.
140 I, 13, 11-12 : «Les pontifes et les flamines prennent dans le temples les objets les
plus sacrés et les cachent dans des tonneaux enfouis sous la terre, ou les emportent avec
eux à Veies sur des chariots. En même temps, les vierges affectées au sacerdoce de Vesta
accompagnent nu-pieds les objets sacrés dans leur fuite. On raconte que les fugitives
furent cependant recueillies par un plébéien, Albinius, qui, après en avoir fait descendre
sa femme et ses enfants, les prit dans son char» (trad. P. Jal, C.U.F., Paris, 1967).
486 LES PÉNATES PUBLICS
A) Le témoignage d'Ovide
ne sert à rien! Emportez dans vos mains virginales les gages de notre destin ce ne sont
pas vos vœux, mais vos bras qui les sauveront ! Malheur à moi ! vous hésitez ? » dit-il. Il les
voyait hésiter et tomber à genoux toutes tremblantes. Il puise de l'eau et levant les
mains : «Pardonnez-moi, dit-il, objets sacrés. Moi, un homme, je vais entrer dans ce lieu
où un homme ne doit pas pénétrer. Si c'est un crime, que le châtiment de la faute
retombe sur moi! Que Rome, au prix de ma vie, soit tenue quitte!». Il dit et s'élança; la déesse
qu'il enlevait approuva son acte et fut sauvée par l'intervention de son pontife» (trad. H.
Le Bonniec, Bologne, 1970).
148 Cicéron, Scaur., 48.
149 Penates, in R.E., XIX, 1, col 441.
150 Cf. Festus, 296 L; Ovide (Fastes VI, 261-262) oppose à la toiture de bronze que l'on
voit de son temps sur l'Aedes Vestae le toit de chaume et les murs d'osier tressé de «
l'époque de Numa», sans qu'il soit possible de dater ces changements dans l'architecture du
temple.
151 Festus 296 L.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 489
à qui Ovide fait dire uir intrabo non adeunda uiro, et dont la fonction
ne suffit pas pour le faire excepter de la règle générale152; nous verrons
d'ailleurs plus loin que d'autres éléments de la légende de Métellus
semblent confirmer ce point153. Le poète met dans la bouche de
Métellus des propos qui insistent beaucoup sur la conscience qu'il a de
transgresser la loi religieuse : il demande par avance son pardon (ignoscite),
et revendique pour lui-même, et non pour Rome, toute la punition que
pourra vouloir susciter le courroux des dieux outragés. Sans doute
peut-on expliquer comme un geste de purification les mots haurit
aquas : il faut comprendre que Métellus se purifie les mains - on se
rappelle le rôle capital que joue l'eau dans le culte de Vesta à Rome, et
les prescriptions religieuses très strictes qui réglementaient le puisage
et le transport de cette eau154 - avant de toucher les objets sacrés
désignés deux fois, de façon très vague, par les mots sacra et pignora
fatalia; nous avons déjà relevé l'emploi de cette dernière expression
chez Tite-Live pour désigner le seul Palladium155, mais nous ne pensons
pas qu'il faille interpréter ce pluriel comme poétique; il nous semble au
contraire que c'est bien de l'ensemble des sacra qu'il s'agit, et qu'Ovide
désigne ainsi, outre, très probablement, le Palladium, les autres objets
sacrés que la légende faisait venir de Troie, et en particulier les
Pénates156. Aussi, en définitive, le geste courageux de Métellus, qui brave les
dangers matériels de l'incendie, mais aussi la colère des dieux en
enfreignant les interdits, fait-il ressortir l'extraordinaire valeur des
sacra qu'il permet de préserver de la destruction, valeur qui se comprend
d'autant mieux qu'ils sont considérés comme l'héritage de Troie. Les
mots dea rapta sont ambigus; nous croyons en effet qu'on peut en
donner deux interprétations. Si, comme on est naturellement tenté de le
152 Dans le récit que fait Tite-Live de l'invasion gauloise de 390, le Grand Pontife
n'accompagne pas les Vestales et les sacra, mais se retire avec une partie des Romains sur le
Capitole, pour organiser la défense de Rome (V, 41, 3).
153 Cf. aussi Denys d'Halicarnasse (II, 66, 3), pour qui le fait que les sacra soient
confiés à des jeunes filles, et l'interdiction faite aux hommes de pénétrer à l'intérieur du
temple, se justifient par la nécessaire pureté des premières; voir supra p. 295.
154 C. Koch, in R.E., Vili, A 2, s.u. Vesta, col. 1753-1755.
155 V, 52, 7. Cf. aussi Cicéron, Scaur., 48.
156 Dans la suite du texte (v. 455-456), Ovide oppose d'ailleurs les dangers courus
autrefois par les sacra du sanctuaire à la sécurité que leur assure le principat d'Auguste,
et se félicite de ce que le feu brûlera toujours in Iliads focis ; selon J. G. Frazer (Publii
Ovidii Nasonis Fastorum Libri sex, vol. IV, 1. V-VI, Londres, 1929, p. 267), Ovide, malgré le
vague de l'expression pignora fatalia, pense principalement au Palladium.
490 LES PÉNATES PUBLICS
se pose à L. Caecilius Métellus, pour savoir s'il doit sauver les sacra (ou
ίερά), au risque de bafouer l'interdiction faite aux hommes d'entrer
dans le penetrale. Aussi le problème a-t-il été posé de savoir si le Grand
Pontife n'était pas excepté de cette interdiction159; à cette question,
Denys a donné, dans le passage qui précède immédiatement notre texte,
une réponse positive160. Son témoignage est particulièrement
intéressant pour notre propos, parce que, précisément, l'historien s'interroge
sur la nature et la définition des ίερά. L'épisode de leur sauvetage par
Métellus lui semble la preuve que l'intérieur du sanctuaire du Forum
ne contient pas simplement le feu de la déesse. Mais, poussant plus loin
son enquête sur les ίερά sauvés par Métellus, il ajoute : τούτο μη λαβον-
τες όμολογούμενον έπισυνάπτουσιν αυτοί στοχασμούς τινας ίδιους, οί
μεν εκ των έν Σαμοθράκη λέγοντες ίερών μοΐραν είναί τίνα φυλαττο-
μέυην την ένθάδε Δαρδάνου μεν είς την ύφ' έαυτοΰ κτισθεΐσαν πόλιν έκ
της νήσου τα ίερά μετενεγκαμένου, Αινείου δέ, οτ' εφυγεν έκ της Τρω-
άδος άμα τοις άλλοις καί ταύτα κομίσαντος είς Ίταλίαν161. Cette
tentative de définition est, on le voit, particulièrement incertaine et confuse.
D'une part, Denys ne nomme pas les tenants des différentes définitions
des ίερά, et, d'autre part, il indique que ces hypothèses (στοχασμούς),
plutôt qu'étayées sur des traditions nettement établies, risquent fort de
n'être que des spéculations fantaisistes d'érudits (ίδιους), qui tentent de
mettre en ordre ou de rationaliser des données légendaires confuses et
contradictoires. La forme même dans laquelle Denys les expose montre
ce flottement : rien n'y est strictement défini; των έν Σαμοθράκη ίερών
μοΐραν reste vague, et ne peut guère s'éclairer que par un passage du
159 Cf. C. Koch, op. cit., col. 1730-31; si l'on en croit Lucain (Pharsale I, 598), l'accès
au Palladium était même réservé à la seule Grande Vestale.
160 II, 66, 3 : είσί δέ τίνες οι φασιν εξω του πυρός απόρρητα τοις πολλοίς ίερά κεΐσθαι
τίνα έν τω τεμένει της θεάς, ών οϊ τε ίεροφάνται την γνώσιν εχουσι καί ai παρθένοι : « II y
a des gens qui disent qu'en plus du feu, il y a dans le sanctuaire de la déesse des objets
sacrés interdits aux profanes, et dont seuls ont la connaissance les pontifes et les
Vestales». Denys ne prend donc pas à son compte l'affirmation du fait que les pontifes - et
non pas seulement le Grand Pontife - ont accès aux ίερά, mais la rapporte à des auteurs
dont il ne cite pas le nom.
161 II, 66, 5 : « Considérant ce point comme acquis, ils ajoutent des hypothèses de leur
cru : les uns déclarent que c'est une partie des objets sacrés de Samothrace qui est
conservée là, Dardanos ayant transporté les objets sacrés de cette île jusqu'à la cité par
lui fondée, et Enée, lorsqu'il fuit de Troade, les ayant emportés, en même temps que
d'autres, en Italie».
492 LES PÉNATES PUBLICS
170 De Ciu. Dei VI, 2 : « que celui de Métellus arrachant les objets sacrés de Vesta à
l'incendie, ou d'Enée soustrayant les Pénates au désastre de Troie» (trad. J. Perret, Paris,
1960).
171 II nous semble que c'est dans ce sens que va l'analyse d'A. Brelich (Vesta, p. 77).
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 495
172 IV, 9, 14-15 : «A partir de ce moment, alors que le feu dévastait tout dans
l'enceinte du Forum, il s'empara du sanctuaire de Vesta. Et, comme les dieux ne se portaient
même pas secours à eux-mêmes, un feu éphémère écrasa ce feu que l'on pensait éternel;
à cette occasion aussi, Métellus, en arrachant aux flammes les dieux qui allaient brûler,
les emporta à grand peine dans ses bras, à demi brûlé lui-même».
173 Pour l'identification du personnage, voir F. Münzer, in R.E. III, 1, s.u. Caecilius,
col. 1203 n°72; F. Coarelli, Le Tyrannoctone du Capitole et la mort de Tiberius Gracchus,
MEFR, 81, 1969, p. 149 n. 1; J.-C. Richard, Sur quelques grands pontifes plébéiens,
passim.
174 Scaur., 48.
175 I, 4, 4 : Insequenti nocte aedis Vestae arsit, quo incendio Métellus inter ipsos ignis
raptum Palladium incolume seruauit.
176 Contr. IV, 2 : Métellus pontifex, cum arderei Vestae templum, dum Palladium
rapuit. . .
177 N.H. VII, 45 : Métellus . . . cum Palladium raperei ex aede Vestae.
178 20, 1 1 : Gaius Métellus pontifex (qui ex) ardente tempio Vestae Palladium extulit. . .
179 III, 138-139 : qui/seruauit trépidant flagranti ex aede Mineruam : Juvénal ne
nomme pas Métellus, ce qui prouve la notoriété de son exploit; il est d'ailleurs remarquable
que le poète fasse allusion à lui après avoir mentionné Scipion Nasica, qui reçut chez lui
la pierre noire de Pessinonte, et Numa comme modèles d'honorabilité et de piété.
496 LES PÉNATES PUBLICS
180 De du. Dei III, 18 : «Mais à ce moment-là, le feu ne se contentait pas de vivre, il
faisait rage. Epouvantées de son assaut, ces vierges étaient impuissantes à dérober aux
flammes l'emblème fatal qui déjà avait porté malheur aux trois villes qui l'avaient gardé.
Alors, le pontife Métellus, oublieux en quelque sorte de son propre salut, s'y précipitant à
demi-brûlé l'emporta» (trad. G. Combes, Paris, 1959).
181 Op. cit., p. 485 n. 2; P. de Labriolle {La cité de Dieu, livres I-V, Paris , 1941), traduit
aussi Ma fatalia par «l'emblème fatal» et explicite cette traduction dans la fin de la
phrase « Métellus. . . leur arracha le Palladium ».
182 xxvi, 27.
183 Ad Aen. II, 166 : «inséré à l'intérieur de la muraille. Au cours de la guerre contre
Mithridate, un Romain, Fimbria, signala, dit-on, qu'il l'avait découvert. On sait qu'il fut
transporté à Rome, et comme un oracle avait prédit que le pouvoir se trouverait là où
serait la statue, beaucoup d'exemplaires semblables furent faits par les soins du forgeron
Mamurius. Mais on reconnaît la vraie statue à son pouvoir de faire bouger sa lance et ses
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 497
yeux ». Voir M. Sordi, Lavinio, Roma e il Palladio, in Politica e religione nel primo scontro
tra Roma e l'Oriente, p. 76.
184 Op. cit., p. 485, η. 1.
iss Voir ci-dessus, p. 257-61.
186 Ce sont les conclusions auxquelles parvient F. Castagnoli (Ancora sul culto di
Minerva a Lavinio, passim), à partir de l'analyse du texte de Strabon que nous avons cité :
le Palladium n'a, en fait, jamais été déposé à Lavinium, et Strabon se moque des
prétentions de la cité à le détenir; le culte de Minerve, très richement attesté dans le sanctuaire
extra-urbain découvert à l'est des murs de la ville, doit être distingué de celui du
Palladium, conservé à Rome.
187 Cf. L. Ziehen, in R.E. XVIII, 3, s.u. Palladion, col. 171-201; P. Grimai, Dictionnaire
de la mythologie grecque et latine, Paris, 1951, p. 339-340.
188 II est évident que l'expression employée par Augustin (très presserant ciuitates) est
tout-à-fait polémique, puisqu'elle tend à faire des fatalia, non les victimes de la défaite,
mais les véritables agents de cette défaite : le sens et la forme active du mot presserant en
témoignent.
498 LES PÉNATES PUBLICS
à Troie, parmi lesquels les di patrii emportés par Enée pour les
soustraire à la destruction de la ville, est un thème dont nous avons vu qu'il
est bien attesté dans la littérature et l'iconographie189. De même,
l'allusion probable à Albe parmi les trois cités s'explique mieux : Augustin
peut songer, soit à l'épisode du transfert des Pénates de Lavinium à
Albe lors de la fondation de cette cité, de l'échec de cette tentative, et
du retour des Pénates, la nuit, dans le sanctuaire de Lavinium190, soit
encore à la guerre entre Rome et Albe et à la destruction totale de cette
dernière. Cette seconde interprétation est incompatible avec la
première, qui reconnaît dans Albe une cité fille de Lavinium et nie la présence
à Albe de Pénates lavinates; mais on peut considérer qu'Augustin ne
prend en compte que le lien de filiation existant entre les deux cités.
Toutefois, même dans l'hypothèse où Ma fatalia désignerait les sacra en
général, la mention de Lavinium reste inexplicable si ce n'est par une
assimilation polémique faite par Augustin du sort de cette cité à celui
de sa cité-mère, Troie, et de sa cité-fille, Albe, toutes deux anéanties. Il
nous semble, en tout cas, que cette interprétation est de beaucoup
préférable à celle qui voit dans les fatalia le seul Palladium. Par
conséquent, le témoignage d'Augustin nous "paraît, en définitive, se ranger
parmi ceux qui attribuent à Métellus le sauvetage de l'ensemble des
sacra, et non pas simplement du Palladium. Le rapprochement entre ce
passage et celui que nous avons précédemment étudié du même auteur
est du reste assez éclairant à ce sujet191.
En définitive, il ne nous paraît pas téméraire de penser que l'action
héroïque de Métellus consiste à avoir sauvé des flammes les sacra du
sanctuaire de Vesta, plutôt que la seule statue d'Athéna. Que le
Palladium soit assez souvent mentionné seul nous paraît pouvoir s'expliquer
par le fait qu'il était sans doute le seul objet sacré à avoir un nom
propre, et par le prestige dont il jouissait; l'identité des autres était assez
vague, comme le montre du reste leur désignation par le simple terme
de sacra, sauf dans le texte de Tacite où il est question de Penates populi
Romani.
Quant à la portée de l'action de Métellus, et donc à l'importance
des objets sacrés qu'il mit à l'abri par son courage, elle est, en
général, fortement soulignée par les auteurs que nous venons de citer.
Nous n'insisterons pas sur la valeur qu'elle revêt chez les deux
auteurs chrétiens, Augustin et Orose, valeur essentiellement polémique,
puisqu'il s'agit de ridiculiser les dieux des païens en montrant qu'en
des circonstances critiques, incapables d'assurer leur propre salut, ils
ne furent sauvés que par une intervention humaine. Le point de vue
des auteurs païens est évidemment tout autre, et met fortement en
valeur l'exploit de Métellus, comme nous avons cru pouvoir le
montrer dans le cas d'Ovide. Denys192 signale que de grands honneurs
(τιμάς μεγάλας) furent rendus au Pontifex Maximus, rappelés dans
une inscription figurant au pied de sa statue sur le Capitole. Pline
l'Ancien est plus précis : tribuit ei populus Romanus quod nulli alii ab
condito aeuo, ut, quotiens in senatum iret, curru ueheretur ad cu-
riam19i. D'autre part, de même qu'Ovide insistait sur le danger couru
par Métellus, Valére Maxime, Augustin et Orose194 notent que
Métellus fut à demi-brûlé. Mais d'autres précisent qu'il perdit la vue à
cette occasion: Pline l'Ancien195, Sénèque le Rhéteur196 et Ampelius197.
Cette cécité peut parfaitement s'expliquer comme la suite des
brûlures que subit le Grand Pontife, ou comme la blessure causée à ses
yeux par la lumière trop vive des flammes. Mais il semble bien que,
comme le suggère A. Brelich198, il faille accorder une autre
signification à cette infirmité, dont Sénèque, dans la Controversia déjà citée,
souligne ce qu'elle a d'incompatible avec les charges exercées par la
192 π, 66, 4.
193 N.H. VII, 45, 141 : «II reçut du peuple romain un privilège qui n'a jamais encore
été accordé depuis notre ère : celui de se faire transporter en char à la curie, chaque fois
qu'il se rendait au Sénat» (op. cit.). A. Brelich (// mito nella storia di Cecilio Metallo,
SMSR, 15, 1939, p. 33) pense, tout en en critiquant, à la suite de Mommsen (ibid., n. 7), la
plausibilité historique, que cet honneur fait entrer Métellus dans un monde surhumain.
R. Schilling (op. cit., Commentaire, p. 205 n. 6) est beaucoup plus nuancé et réservé.
194 I, 4, 4 : semiustus; De Ciu. Dei III, 18 : semiustus; IV, 11, 9 : semiustatus.
195 N.H. VII, 141 : /5 Métellus orbam luminibus exegit senectam amissis incendio, cum
Palladium raperei ex aede Vestae : « Ce Métellus passa sa vieillesse dans la cécité ; il avait
perdu la vue dans un incendie, en enlevant le Palladium du temple de Vesta» (op. cit.);
dans la suite, Pline affirme que le privilège qui lui fut octroyé par le peuple romain était
destiné à compenser cette infirmité.
196 Contr. IV, 2 : oculos perdidit ; le titre de la Controuersia est d'ailleurs Métellus Cae-
catus.
197 20, 1 1 : oculos amisit.
198 Op. cit., p. 34 sqq.
500 LES PÉNATES PUBLICS
199 Cf. Münzer, op. cit., col 1204, et la bibliographie donnée par A. Brelich, op. cit.,
p. 33 n. 1.
200 II, 66, 3.
201 Fastes VI, 453.
202 Loc. cit.
203 Servius, Ad Aen. VII, 678; Schol. Veron., Ad Aen. VII, 681 ; Solin, II, 9. Cf. A.
Brelich, op. cit., p. 38 n. 1.
204 Tertullien, Ad Nat. II, 15. Cf. A. Brelich, op. cit., p. 36 n. 3.
205 Op. cit., p. 38.
206 par Min> 17 (cf_ a. Brelich, op. cit., p. 35 n. 5). Cependant, chez le
pseudo-Plutarque, Métellus et Ilos, après avoir été punis par la cécité, finissent par recouvrer la vue, ce
qui, pour Métellus, est absolument contraire à l'ensemble de la tradition, comme le
souligne A. Brelich (ibid.).
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 501
207 I, 67, 1 : «un temple comprenant un espace inviolable ayant été construit».
208 I, 67, 4.
209 Cf. Hymne homérique à Aphrodite, 286-288, pour la menace; Théocrite, ap. Ser-
vius, Ad Aen. I, 617 et II, 35, 649, 687, pour son exécution. Voir A. Bedini, L'ottavo secolo
nel Lazio e l'inizio dell'orientalizzante antico, in Lazio arcaico e mondo greco, PP, 32, 1977,
p. 302, n. 61.
210 Cf. A. Bedini, op. cit., p. 297-303.
502 LES PÉNATES PUBLICS
211 Op. cit., p. 302, n. 62; G.Dumézil {Anchise foudroyé?, in L'oubli de l'homme et
l'honneur des dieux, Paris, 1985, p. 151-161) accepte cette interprétation du bronze de
Castel di Decima, qu'il appuie par des exemples analogues, empruntés à la mythologie
grecque et scandinave.
212 De du. Dei VI, 2.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 503
3) Incendies divers
213 XXVI, 27 : « Le temple de Vesta fut défendu à grand peine, surtout grâce aux
efforts de treize esclaves, qui furent rachetés pour le compte de l'Etat et affranchis»
(trad. E. Lasserre, op. cit.).
214 38 L. : alii appellatos eos (= Caecilios) dicunt a Caecade Troiano, Aeneae comité ; des
listes des «familles troyennes» figuraient, notamment, dans l'ouvrage de Caton, De
aduentu Aeneae (cité par Servius, Ad Aen. IX, 707; Or. Gent. Rom., 15, 4), et dans celui de
Varron, De familiis troianis (Servius, Ad Aen. V, 704); cf. S. Weinstock, Penates, col. 446.
215 XLII, 31, 3.
216 LIV, 24, 2.
504 LES PÉNATES PUBLICS
222 Hist. Aug., Heîiog. VI, 6-9 : « II profana les objets sacrés du peuple romain après
avoir violé les penetralia. Il voulut éteindre le feu perpétuel. . . et se précipita dans le
Penus Vestae, où seuls les Vestales et les Pontifes ont accès. Il tenta d'emporter les objets
sacrés cachés dans le sanctuaire et tandis qu'il avait enlevé, la prenant pour la vraie, une
jarre que la Grande Vestale lui avait mensongèrement désignée, et qu'il avait constaté
qu'elle ne contenait rien, il la jeta à terre et la brisa. . . Pourtant, il emporta une statue
qu'il croyait être le Palladium, et la plaça dans le temple de son dieu, attachée par des
chaînes d'or».
223 Ce sens est conforme à la définition de Festus (231 L.) : penetralia sunt penatium
deorum sacrario.
,224 Liv., V. 40, 8; Plutarque, Cam., 20, 7.
506 LES PÉNATES PUBLICS
Vesta, p. 75-85.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 507
231 Dans le passage déjà cité des Annales (XV, 41, 1), à propos de l'incendie de Néron,
Tacite écrit : Numae regia et delubrum Vestae cum Penatibus populi Romani exusta.
232 Numa, 11, 1 : «On dit que Numa donna au temple de Vesta, où l'on garderait le
feu perpétuel, la forme ronde» {op. cit.).
233 320 L : Rutundam aedem Vestae Numa Pompilius rex Romanorum consecrasse
uidetur.
234 Cf. Liv., I, 20, 1 sq.
235 Nous reviendrons sur cette question très largement controversée : cf. infra p. 513
sq.
236 I, 25.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 509
237 Fastes VI, 263-264 : « Cet espace étroit, qui porte aujourd'hui l'Atrium de Vesta,
était alors le grand palais de Numa, le roi chevelu» (trad. H. Le Bonniec, op. cit.).
238 Op. cit., p. 208 n. 62.
239 Op. cit., p. 9.
240 Roma, p. 81.
241 Une remarque d'E. Van Deman va dans le même sens : « Pendant la première
période de son existence, il n'y avait pas de constructions distinctes à l'intérieur de
l'enceinte de Vesta, mais les différentes parties, plus ou moins étroitement unies entre elles,
formaient une unique structure complexe» (loc. cit.); et elle ajoute en note : «La route qui
sépare à présent le temple de la dernière Regia n'est pas d'origine» (loc. cit., n. 2); voir
aussi J. G. Frazer, op. cit., p. 188-201.
242 Cf. A. Preuner, Hestia-Vesta, passim; A. Brelich, Vesta, passim; J.-P. Vernant, Hes-
tia-Hermès : sur l'expression religieuse de l'espace et du mouvement chez les Grecs, in
l'Homme, 1963, 3, p. 12-50 (repris dans Mythe et Pensée chez les Grecs I, Paris, 1965,
p. 124-170); cette explication du statut des Vestales peut être rapprochée de la tradition
rapportée notamment par Tite-Live (I, 3, 11), selon laquelle Rhéa Silvia, fille du roi d'Albe
Numitor, était Vestale (voir P. M. Martin, L'idée de royauté à Rome. De la Rome royale au
consensus républicain, Clermont-Ferrand, 1982, p. 108); cette opinion est combattue par
510 LES PÉNATES PUBLICS
M. Beard (The sexual status of the Vestal virgins, JRS, 70, 1980, p. 12-27), pour qui les
Vestales sont les épouses, plutôt que les filles, du roi : leur costume ressemble à celui des
matrones, et la formule de la capito, où le Pontifex Maximus a pris la place du roi,
instaure une relation de type conjugal, plutôt que filial; la légende de Rhéa Silvia est
interprétée en ce sens : c'est l'aspect de la Vestale comme mère de Romulus et Rémus qui est
retenu, tandis que M. Beard souligne que le rapport privilégié des Vestales au feu peut
être expliqué comme une sorte d'union sexuelle, la flamme étant un symbole phallique,
comme l'illustre la légende de la naissance de Servius Tullius (cf. supra p. 458 n. 33);
M. Beard estime d'ailleurs que le statut sexuel des Vestales est ambigu, pour partie
féminin, pour partie masculin.
243 Fastes VI, 261-262: «Ce temple que vous voyez aujourd'hui couvert de bronze,
vous l'auriez vu alors couvert de chaume, et ses parois étaient faites alors d'osier
flexible» (trad. H. Le Bonniec, op. cit.).
244 Op. cit., p. 208 n. 61; voir aussi C. Koch, Vesta, col. 1725-26.
245 Comme le rappelle H. Le Bonniec, loc. cit. ; G. Dumézil (La religion romaine
archaïque, p. 319-326) explique cette forme par des traditions religieuses indo-européennes.
246 C. Koch, op. cit., col. 1724-25.
247 Cf. R. Lanciani, Notizie Scavi, 1883, p. 434 sq.; G. Boni, ibid., 1900, p. 159 sq.;
A. Bartoli, // valore storico delle scoperte al Palatino e al Foro, in Atti della Soc. hai.
Progresso delle Scienze, 21, 1932.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 51 1
248 I pozzi dell'area sacra di Vesta, Monumenti Antichi, Accademia dei Lincei, 45, 1961,
p. 3-143; cf. aussi G. De Sanctis, Storia dei Romani, IV, 1, Florence 1953, p. 164-165.
249 Op. cit., p. 19.
250 Op. cit., p. 13-14.
251 P. Romanelli, Certezze e ipotesi sulle origini di Roma, StudRom, 13, 2, 1965, p. 12.
252 Op. cit., p. 15-16.
253 F. E. Brown, New Soundings in the Regia : the evidence for the early Republic, in
Les Origines de la République romaine, Entretiens sur l'Antiquité Classique, XIII,
Fondation Hardt, Vandoeuvres-Genève, 1967, p. 47-64; La Protostoria della Regia, RPAA, 47,
1974-75, p. 15-36. F. R. Brown avait, en 1935 consacré une première étude à la Regia (The
Regia, MAAR, 12, 1935), essentiellement topographique et archéologique. Enfin, on trouve
un résumé des travaux récents sur la Regia chez J. Poucet, La Rome archaïque. Quelques
nouveautés archéologiques : S. Omobono, le Comitium, la Regia, AC, 49, 1980, p. 308-312.
254 Cf. F. E. Brown, La Protostoria della Regia, p. 19.
512 LES PÉNATES PUBLICS
255 Voir E. Gjerstad, Early Rome II, Lund, 1956, p. 17; P. Romanelli, op. cit., p. 11-12;
J. Heurgon, Rome et la Méditerranée occidentale, p. 85.
256 Op. cit., p. 20-21.
257 A l'appui de son hypothèse, F. E. Brown cite un texte de Cicéron (De Leg. II, 21) à
propos de l'action des augures : urbemque et agros et templa liberata et effata habento.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 513
258 E. Gjerstad, Early Rome III, Lund, 1960, p. 307. Cette inscription a été étudiée en
dernier lieu par M. Guarducci (L'epigrafe REX nella Regia del Foro Romano, Vestigia,
XVII, 1972, p. 381-84) qui considère que l'inscription date d'avant 509 et désigne donc un
des derniers rois de Rome, et non le rex sacrorum républicain. J. Poucet (ibid., p. 309)
donne une bibliographie détaillée du sujet.
259 New soundings in the Regia : the evidence for the early Republic.
260 Festus, 346 L.
261 Servius, Ad Aen. VII, 603; Gell., Ν. Au. IV, 6, 1-2.
262 Varron, De L.L., VI, 21 ; Festus, 202 L. ; voir P. Pouthier, Ops et la conception
divine de l'abondance. . ., Rome, 1981, p. 65 sq.
263 Festus, 190 L.
264 Voir M. Torelli, Storia degli Etruschi, Rome-Bari, 1981, p. 174 sq.; F. Coarelli, //
Foro Romano I, p. 61-70.
514 LES PÉNATES PUBLICS
265 Cf. C. E. Ostenberg, Med Kungen pa Acquarossa, Malmö, 1972, p. 133-137, cité par
F. E. Brown, La Protostoria della Regia p. 34 η. 1 1 ; M. Torelli, Etruria, p. 225.
266 Κ. Phillips, Poggio Civitate: The archaic Etruscan Sanctuary, Florence, 1970;
M. Cristofani, Considerazioni su Poggio Civitate, in Prospettiva, I, 1975, p. 9 sq.
267 I, 25 : Ceteri reges quibus locis habitauerunt dicemus. . . Huma in colle primum
Quirinali, deinde in regia quae adhuc ita appellatur. . . Tullus Hostilius in Velia, ubi postea
deum Penatium aedes facta est. . . Ancus Martius in summa Sacra Via ubi aedes Larum
est. . . Tarquinius Priscus ad Mugoniam Portant, supra summam Nouam Viam. . . Servius
Tullius Esquilinus supra cliuum Urbium. . . Tarquinius Superbus et ipse Esquilinus supra
cliuum Pullium ad Fagutalem lacum ; voir F. Coarelli, // Foro Romano I, p. 56-57.
268 La tradition cependant situait les demeures de Romulus et de Tatius
respectivement sur le Palatin et sur l'Arx uniquement, la fondation de la Regia du Forum n'étant
attribuée qu'à leur successeur Numa.
269 La Protostoria della Regia, p. 35-36.
LES PÉNATES ET L'AEDES VESTAE SUR LE FORUM 515
270 Cette interprétation est contestée par G.-Ch. Picard : « Ne vaudrait-il pas mieux
supposer que l'édifice a toujours eu une destination religieuse, y compris les repas qui
pouvaient être préparés et consommés dans la chapelle d'Ops, déesse de l'abondance?»
(Les mystères de la Regia, REL, 54, 1977, p. 354).
271 Voir J. Champeaux, op. cit., p. 293-95.
272 F. Coarelli, II Foro Romano I, p. 64.
273 Analogie e rapporti fra Atene e Roma arcaica. Osservazioni sulla Regia, sul Rex
sacrorum e sul culto di Vesta, PP, 26, 1971, p. 443-460.
516 LES PÉNATES PUBLICS
280 Ibid.
281 Voir supra p. 355-61.
282 De numero Penatium. . . esse (Servius, Ad Aen. II, 296; Macrobe, III, 4, 11).
283 De Nat. Deor., II, 68.
518 LES PÉNATES PUBLICS
rées du temple des Pénates à Lavinium284, nous avons constaté que, sur
des monnaies d'Hadrien et d'Antonin et des lampes de la même époque
montrant l'arrivée d'Enée à l'emplacement de la future Lavinium, on
apercevait dans le fond de la scène un temple rond offrant une
ressemblance frappante avec les images de ÏAedes Vestae sur le Forum,
soulignée par F. Castagnoli285. Nous avions noté alors qu'il n'était pas
impossible que ce monument fût le sanctuaire du Forum; dans cette
hypothèse, l'allusion très claire faite aux Pénates par la présence d'Enée serait
une attestation supplémentaire du lien entre Vesta et les Pénates à
Rome même.
Si, comme nous avons cru pouvoir le montrer, les Pénates étaient
honorés dans le sanctuaire de Vesta, et si ces Pénates étaient ceux «de
Numa», il subsiste deux difficultés. La première est qu'une partie de la
tradition désigne ces sacra comme troyens, ce qui revient à les
rattacher plutôt à Enée qu'à Numa. La légende qui fait d'Enée le fondateur
de Rome ne nous paraît pouvoir fournir qu'une solution partielle à
cette difficulté, dans la mesure où cette tradition reste très limitée et
semble le fait de l'historiographie grecque, tandis qu'à Rome même,
Romulus s'impose comme fondateur286. Deux éléments nous semblent avoir
joué un rôle beaucoup plus important dans la tradition relative à
l'origine troyenne des sacra du Penus Vestae. C'est, d'une part, la présence
parmi eux du Palladium, dont l'origine «troyenne» a pu s'étendre à
tous les objets conservés là, d'autant plus d'ailleurs que, en tant que
pignora imperii, ils étaient entourés d'un mystère qui favorisait ces
confusions. D'autre part, nous croyons qu'il faut voir dans cette
tradition le reflet de l'importance prise par la légende des origines troyen-
nes de Rome : à partir du moment où cette dernière fut nettement
affirmée, dans le courant du IVe siècle selon nous287, les Pénates du
sanctuaire du Forum, originellement romains, autochtones et rattachés
à Numa, furent considérés comme troyens. Cette fois encore, nous
constatons que nos dieux apparaissent comme l'expression de l'image
que Rome se fait d'elle-même.
La seconde difficulté est la suivante : pourquoi seul le texte de
put imposer son hégémonie sur le Latium qu'au prix de luttes longues
et difficiles, pouvait tirer un grand prestige de sa parenté avec la
fabuleuse cité évoquée par les poèmes homériques, dont la chute même
avait quelque chose de grandiose.
Au demeurant, l'existence de la légende des origines troyano-lavi-
nates n'a été rendue possible que parce qu'à Lavinium ont existé, très
tôt, des éléments de l'histoire d'Enée, dont nous avons vu au cours de
notre étude les preuves archéologiques. A cet égard, le rôle portuaire
de Lavinium, ou du lieu-dit Troia, situé sur la côte même, a dû être
déterminant dans l'introduction et la fixation d'éléments de la religion,
de l'art, et de la littérature grecs. Toutes les découvertes de ces vingt
dernières années à Lavinium tendent à nous montrer une cité
marchande florissante au VIe siècle, attirant de nombreuses importations
grecques, mais aussi une ville à l'architecture religieuse imposante, qui
fait voir en elle une des métropoles religieuses du Latium. Il est
probable qu'entre le VIe et le IVe siècle, pour des raisons qui nous échappent
en partie, le rôle politique de Lavinium, sans doute lié à son rôle
portuaire, a connu un certain déclin, mais que son rôle de métropole
religieuse a toujours été rayonnant, comme le montre la construction
progressive, entre ces deux dates, de la rangée des treize autels. La
découverte, en 1977, de l'important dépôt votif sur une hauteur à l'est du
village de Pratica, montre l'importance des commandes qu'étaient
capables de satisfaire les ateliers locaux au IVe siècle, et, en définitive, le
rôle économique, probablement centré sur la vie religieuse, qu'avait
encore la cité. Le prestige de cette métropole religieuse, l'implantation
sur son territoire, autour du personnage d'Enée, d'éléments de la
légende troyenne, expliquent largement, à côté des raisons qui pouvaient
faire préférer Enée à un autre héros des poèmes homériques comme
ancêtre fondateur, que Rome se soit plu à voir en elle l'une de ses deux
cités-mères, la seule en tout cas qu'elle n'ait cessé de respecter et
d'honorer par le pèlerinage annuel de ses plus hauts magistrats. Nous
avons souligné le contraste existant entre l'attitude de Rome vis-à-vis de
Lavinium en 338, les égards qu'elle manifesta pour les Lavinates, et la
dureté du châtiment qu'elle avait exercé, trois siècles plus tôt, à l'en-
contre de son autre cité-mère, Albe, totalement anéantie, cependant
qu'était maintenu le grand culte de Jupiter Latiaris sur les Monts
Albains. La double filiation lavinate et albaine que se reconnaît Rome
s'exprime en particulier dans des cérémonies religieuses, comme le
montrent les paroles adressées par Camille aux Romains, selon Tite-
Live, au moment où ils envisagent d'abandonner Rome pour se réfu-
CONCLUSION 529
5 V, 52, 8.
530 LES ORIGINES ET LE DÉVELOPPEMENT DU CULTE DES PÉNATES À ROME
les éléments dont nous disposons, nous croyons pouvoir affirmer que le
culte des Pénates est au cœur de l'image que les Romains se font de
leur maison, et, pour le culte public, de leur patrie. En lui se lisent
beaucoup de traits spécifiques de la mentalité romaine : attachement
très fort au foyer dans le culte privé, et à la patrie dans le culte public.
Mais dans le culte des Penates populi Romani s'exprime également la
fascination des maiores et du passé, si reculé soit-il, ainsi que le désir
de l'auréoler. Aussi le culte des Pénates publics nous apparaît-il, en
définitive, comme l'une des expressions les plus significatives de
l'image que, entremêlant légende et histoire, réalité et mythe, Rome a voulu
offrir d'elle au regard d'autrui et à sa propre contemplation.
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Atticus: 125; 126; 127; 131-2. ciste : 202; 281. - ciste contenant les sacra
Auguste: 6; 52; 70; 181; 189; 215; 224; troyens: 164; 165; 167; 169; 178; 196;
395; 396; 398; 404; 408; 409; 424; 429; 197; 198; 204; 207; 209; 222; 276; 280-
436; 440; 461; 462; 463; 468; 506. - 81; 307.
Octave: 185 n. 119; 188 n. 130; 205. - Cloaca Maxima : 100; 475-6.
Forum d'A. : 205; 216. Consentes Complices (Di) : 5 ; 1 34-5 ; 1 52-3 ;
Aulus Postumius : 431. 233-6; 249.
Baal : 266. Consualia : 473; 474 n. 102.
Bacchus: 79; 80; 81; 82; 120. Coriolan: 54; 319.
bulla: 109; 258 η. 207. Cornélius Labeo : 6; 129; 131; 134; 140;
Cabires: 127; 128; 145; 437. 141; 144; 145; 149.
Cacus : voir Scalae Caci. Crète: 187; 429.
caducée: 124; 172; 220; 264-70; 292; 421; Creuse: 8; 165; 181; 185; 186; 187; 196;
428-30; 525. 197; 201; 202; 275; 290; 307; 310; 315;
Caecilius Métellus L. : 457; 460; 487; 500; 336.
503; 504; 526. Critolaos: 127.
Caecina : 152. Crustumerium : 118 n. 125.
Caeculus : 118; 458 n. 34; 500. cuisine - culina : 66 sq.
Caere: 309; 314; 315; 472 sq.; 475 η. 105; Damastes de Sigée : 170-1 ; 216.
476; 479-80; 484-5; 505. Dardania: 138; 139; 436.
caerimonia : 475 η. 105; 480 η. 125; 484. Dardanus: 130; 131; 135; 136; 138; 139;
Caesius: 143; 144. 140; 144; 174; 436; 437; 466; 481; 491-
Caesius L. : - monnaie de C. : 432. 2.
Callistratos : 137; 465. Dea Syria : 273.
Camille: 54; 477 η. 115; 485; 528. Demeter: 238; 239; 249.
Campanie: 2; 30; 74; 165-8; 347. Depidii Digidii (frères) : 119 η. 125.
Campaniens: 174; 350 sq.; 461; 503. deuotio: 112; 300.
Capitole: 135; 390; 391; 392; 393; 400; Diane: 75; 79; 81; 82; 362 η. 225. - culte
414; 470; 471; 477-8 η. 115; 480; 489 de l'Aventin : 237; 242; 246. - Diana Ne-
η. 152; 490 η. 158; 499. - Temple du C. : morensis : 246.
115; 148; 471; 477-8 η. 115. Didon: 182; 328-9 n. 51.
Capoue: 119 η. 127; 350-55; 461. Diomède: 141; 190; 259; 463; 466; 506.
Cannae : 394; 397; 400; 409; 410; 412; 414; Dionysos : 238 ; 239.
443. Dioscures: 8; 9; 127; 128; 132; 133; 137;
Carthage: 347; 361; 368. 145; 158; 159; 236; 238; 239; 249; 251;
Cassandre: 172; 173; 220; 259; 260. 285-92; 301; 303 n. 206; 311; 330; 331;
Castel di Decima : 501 ; 502 η. 211. 385; 405-6; 423; 427; 430-39; 477; 481;
Castores: - Temple des C. : 431; 436. 482; 483; 515; 526.
- nom des C. : 438 n. 218. di parentes (parentum) : 98-101; 104; 109;
cella penaria : 19-20; 26; 27; 67; 69. 110; 120.
κέραμος τρωικός: 124-5; 171-2; 202; 220; di patrii - θεοί πατρφοι : 94-8; 110; 120;
265; 274-5; 280; 289-91; 421; 477; 525. 146; 181; 190; 222; 223; 225; 250; 251;
Cérès: 79; 81; 143; 144; 234; 238; 249; 337; 341-2; 345; 346.
285; 287; 301. dodécapole : 240 sq.
César: 6; 46; 165; 204. - monnayage de dodékathéon : 237-9; 240; 248.
C. : 204; 205; 207. doliolum (-α): 100; 114; 116; 201-2; 217;
Chalcidique: 168; 315. 275; 288; 289-91; 309; 310; 336. - nom
Chrysé: 138; 139; 436. de lieu: 100; 475-9; 486.
INDEX NOMINVM ET RERVM 549
Mattalia : 300. 489; 491; 492; 493; 494; 496; 497-8; 502;
Maxence (Basilique de): 9; 394; 395; 400; 506; 517; 529.
402; 406; 409; 410; 411; 412; 413; 414; Osiris: 79; 267.
415-6; 419; 426; 440. - monnaies de M. : Palatin; 2; 3; 70; 389; 390; 393; 394; 398;
387; 411-2; 413; 416-7; 426-7. 400; 401; 442-4; 449; 461; 462; 468; 503;
mensa : voir table. 508; 511; 514 n. 268; 516; 525.
Mercure: 61; 79; 80; 81; 82; 120; 146; Paies: 143; 144-5; 234.
150; 164 η. 23; 208; 267; 268; 275; 276; Palinure: 166.
284; 433; 526; voir Hermès. Palladium (-a): 128; 204; 205; 222; 228;
Mézence : 324. 259; 366-7; 438; 460-7; 469; 481; 482;
Minerve- Athéna : 79; 81; 82; 136; 146; 148; 488; 489; 491 n. 159; 492; 493; 495; 495-
175; 259; 433; 495 n. 179. - voir Athéna 8; 500; 502; 503; 504; 505; 506; 518;
et Myndia Pallénis. 529.
Misène : 165-9. Pan : 79.
Mithra : 65. - Mithreum : 75. Parilia: 22 n. 46; 455.
mola salsa : 22 η. 46; 455-6. Pasinati (ciste) : 325.
Mucius Scaevola Q. : 17; 18; 20. patella : 87 ; 88; 89; 90.
mundus : 115. Pax : 79.
Pénates étrusques : 142 sq.; 233 sq.
municipium : 353 sq.
Pénates dans l'héritage : 95; 96; 98 n. 22.
mûries : 455-6.
Penates louts : 143.
Murus Mustellinus : 395-6. Penates populi Romani : 2; 3; 7; 10; 59; 60;
Mutunus Tutunus : 395-6; 400.
96; 468-9; 498; 501; 504; 506; 508
Myndia Pallénis : 174; 220; 260; 337. n. 231; 518; 524; 526; 530.
Neptune: 82; 140; 141; 142; 144; 153; Pénates et Vesta: 3; 44-45; 60; 150-1 ; 219;
526. 227; 252; 260; 280; 292-6; 329-30; 331;
niche: 66; 67; 72; 73; 77; 84; 457. 342; 355 sq.; 384; 468; 469; 477-78
Numa : 100; 341 n. 104; 442; 445; 454; 475- η. 115; 478; 517; 518.
6; 479; 486; 488 n. 150; 495 n. 179; 508; penator : 20; 23.
509; 510; 511; 512; 514 n. 267 et 268; Penestes : 15 n. 13.
515; 516-9; 524; 529. - calendrier de N. : penetrale (ta, is) : 13; 22; 64; 134; 135; 279;
300; 365. - N. et Egèrie : 515. 280; 295; 457; 458; 460; 461; 488; 491;
Numicus: 297-98; 324-32; 335; 465. 503; 505; 516.
Ops Consiva: 513; 514; 515; 519. penus: 5; 7; 13; 14-21; 29; 97; 523; 529.
origines albaines de Rome: 117; 370; 383; Penus Vestae: 14; 15; 21-22; 25; 26; 27;
446-51; 453. 28; 44; 59; 69; 100; 275; 288; 289; 366;
origines troyennes de Rome: 5; 6; 9; 124; 385; 453; 454-8; 459; 468; 474; 477; 479;
125; 157; 167; 170; 205; 215; 228; 264; 488; 494; 501; 504; 506; 517; 518; 519;
293; 294; 296; 298; 300; 309; 335; 360; 523; 527; 529.
365 sq.; 429-30; 438; 447-51; 453; 467; Perséphone-Korè : 82 ; 237.
506; 518; 526; 527; 528. phallus: 458-60; 469.
origines troyennes des Pénates de Lavi- pignora imperii: 22; 202; 259; 296; 466;
nium: 5; 6; 124; 125; 126; 127; 130; 467 η. 83; 487; 489; 518; 519.
131; 132; 134; 139; 144-5; 161; 167; 168; pignus : 366 η. 241 ; 460-1 ; 496; 503.
172; 182; 188; 190; 198; 209; 215; 217; Plaisance (foie de) : 151 ; 153.
219; 263-4; 275; 280-1; 283; 292; 307; Poggio Civitate : 514.
319; 332; 336-7; 384; 385; 419; 422; 428- pomerium : 388; 516.
30; 435-37; 451; 457; 465; 468; 481; 486; Pompéi: 2; 61; 63; 65; 67; 71; 72; 74; 75;
552 INDEX NOMINVM ET RERVM
77; 80; 81; 82; 93; 96; 99; 102; 107; 111; origine troyenne des Pénates de Lavi-
116; 117; 118; 119; 207; 216; 250; 330; nium.
340; 348; 353; 354; 360; 371; 523; 524. sacra Penatium : 36; 47-8.
Pontifex Maximus: 473; 487; 500; 503; sacra populi Romani: 22; 25; 139; 250;
507; 509 n. 242; 526. 360; 385; 457 sq. 470 sq.; 481; 504 sq.;
pontifices : 485. 507; 516; 517; 518; 519; 526.
pore (sacrifice du): 90; 109 η. 86; 211; sacra principia(-orum) : 354; 360; 371.
212; 439. sacrarium: 65; 71; 75; 84; 99; 277; 474.
Pratica di Mare: 4; 8; 158; 162; 172; 176; sacrifice aux Pénates privés : 108-9.
220; 233; 252; 360; 363. Saliens: 127; 145; 240; 288.
Frenesie : 118; 299; 458 n. 34; 500. salinum : 87; 89.
Priam: 8; 184. Samothrace: 125-8; 130; 131-4; 138; 140;
Priape : 82. 148-50; 433; 468; 481; 491-2.
Pyrrhus (fils d'Achille) : 184. Sant'Omobono (aire sacrée de) : 230.
Pyrrhus (roi d'Epire) : 6. Saon : 127.
Quirinal: 302; 442; 483; 508; 514 η. 267. Sarnus: 79; 80; 81; 83.
Quirinus: 46 sq.; 118; 473-4 η. 102; 483-4. Satyros: 137; 465.
- Q. Indiges : 303 η. 207. - Temple de Q. : Scaevola M. Q. : 17 sq.
483. Scalae Caci : 401-2; 516 n. 277.
Regia: 21; 27; 145; 288; 404; 443; 445; Scalae deum Penatium: 401-2; 408; 409;
474; 476 n. 110; 507-8; 509; 511-5; 516; 418.
517; 519; 524; 525. scarabée étrusque (coll. de Luynes) : 7 ;
relief du British Museum (sacrifice
198-9; 202; 275; 281; 307; 309; 312; 314;
d'Enee): 226-7; 260.
317; 336.
représentation non anthropomorphique
sceptre-σκήπτρον : 80; 266-7; 272; 273;
des dieux: 114-5; 124; 130; 276-7; 282; 422-3.
288-92; 385; 421; 523; 525. Scipion (s) : 128.
rex sacrorum : 507; 513 n. 258; 515; 519.
Ségeste : 203-4.
Rhéa Silvia : 509-10 n. 242.
Rhomè : 8 ; 464. Septimontium : 390-1; 393; 406; 443; 525.
ritus Graecus : 284. Sérapis: 79; 82.
Romulus (fondateur de Rome) : 47 ; 99 ; serment (par les Pénates) : 47.
115; 206; 207; 216; 319; 341-4; 348; 353; Servius Tullius : 53; 185 n. 119; 241; 242;
370; 383; 388; 411; 413; 414; 415; 449; 245; 246; 308; 368; 390; 442; 444; 458
450; 453; 454; 458 n. 34; 464; 473-4 n. 34; 509-10 n. 242; 514 n. 267; 515;
n. 102; 508; 514 n. 268; 516; 517; 518; 525.
525; 527; 529. - R. et Rémus : 4; 105; Sicile: 172; 199; 203; 312; 366.
118; 215; 411; 413; 449; 509-10 n. 242. sigillum (-a): 88; 130; 131 n. 24; 179; 276-
Romulus (fils de Maxence) : 387; 403; 410- 8.
8. - Temple ou Hérôon de Romulus : 3 ; Sol : 79 ; 82 ; 268 ; 302 sq. ; 324 sq. ; 332 ; 339.
403; 410-8; 440. - Sol Indiges : voir Indiges.
sacellum : 66; 213; 225; 330; 419; 439. Stésichore: 163; 170; 180; 183; 184; 186;
sacra - Pénates troyens : 5; 6; 46; 126; 130; 198; 208; 217.
139; 140; 144; 162; 165; 172; 177; 178; Sucellus : 273.
182; 186; 187; 195; 202; 215; 275; 292; Sulla: 74; 80.
295; 307; 310; 329; 332; 337; 346; 365; Sulpicius C. : - monnaies de C.S. : 432.
369 ; 379 ; 383-6 ; 428 sq. ; 436 sq. ; 465 sq. ; suouetaurilia : 215.
489; 492-3; 494; 496; 502; 517. - Voir table(s)-raensa : 36; 85 sq.; 102-3; 176-7.
INDEX NOMINVM ET RERVM 553
Plutarque Sénèque
Quaest. Rom, 79 : 397 n. 49. Oed. 708: 51.
Vitae : Phèdre 89-91 : 42.
Cam. 20, 3 : 480. 20, 4 : 457. 20, 5 : 457. Phén. 503-4 : 42. 663 : 54 n. 68.
20, 6: 463; 481. 20, 7: 505 n. 224. 20, Servius-Daniel
7-8: 482. 21, 1 : 483. 21, 2: 484. Ad Aen I, 170 : 164 n. 23. 259 : 323 n. 22.
Cic. 16: 415 n. 141. 378: 126. 617: 501 n. 209. 703: 18-9.
Cor. 29, 2 : 250. 736 : 87.
Numa 10: 478 n. 118. 11: 454 n. 3; 476 II, 35 : 501 n. 209. 166 : 463 n. 57; 466
n. 111. 11, 1 : 508. 18: 297. n. 73; 496. 296: 60 n. 7; 149; 150-1;
Public. 10, 3-6 : 394. 10, 6 : 396 n. 43. 23 : 219; 294; 342; 517. 320: 184 n. 115.
397. 325: 142; 145; 234; 273 n. 64. 339:
Rom. 19: 349 n. 148. 20: 401 n. 77. 23: 297. 469 : 66. 484 : 24 n. 58; 64. 514 :
342. 24 : 343. 2; 63-4; 76; 524. 636: 129. 649: 501
POLYBE n. 209. 687 : 501 n. 209. 717 : 36; 125-
III, 22, 11 : 347; 361; 368. 52: 268. 6.
Pomponius Mela III, 12: 132; 145 n. 71; 150; 212; 252;
II, 4, 71 : 256; 362. 260; 288; 295; 355 sq.; 421; 433-4;
Priscien 437 n. 213; 457; 468 n. 86. 119 : 141.
IV, 629 Ρ : 244. 148: 131; 276. 168: 130 n. 21. 174:
Probus 283. 257 : 87.
Ad Verg. Bue. VI, 31 : 151 η. 86. IV, 242 : 268; 273 n. 63. 620 : 324.
Properce V, 64: 99; 110. 704: 503 n. 214.
IV, 4, 13-14 : 297. IV, 4, 45 : 461 η. 43. IV, VI, 152: 104. 760: 271 n. 55.
11, 73 sq. : 182 η. 107. VII, 150: 297; 325; 329; 465 n. 67.
PSEUDO-AURÉLIUS VICTOR 188: 466; 467 n. 83. 207: 127. 603:
Origo Gent. Rom. 10, 12, 4 : 326 η. 37. 14, 513 n. 261. 678 : 500 n. 203. 709 : 349
4 : 323 η. 21 ; 324. 15, 4 : 503 η. 214. 17, n. 148.
1 : 242 η. 121; 465. 17, 2: 450. VIII, 138: 268. 288: 284 n. 113. 663:
Pseudo-Plutarque 474. 664 : 358. 679 : 127.
Par. Min. 17: 500. X, 541 : 214 n. 268; 224; 360.
Res Gestae XI, 211 : 66; 83.
IV, 2, 3: 106. IV, 7: 225. X, 12: 106. Ad Georg. I, 21 : 113.
XIX, 2: 333; 387 η. 3; 398; 424; 440; Silius Italicus
445. Pun. : VIII, 179-200: 328.
Salluste SOLIN
Cat. VI, 1 : 383 n. 3. I, 18: 401 n. 77; 516. 21: 445. 21 sq. :
Hist. 2-, 47, 3: 50 n. 52; 98. 47, 4: 50 442. 22 : 441. 23 : 445. 25 : 388 n. 7; 393
n. 52; 98. n. 29; 398; 399; 508; 514; 519; 524.
SCHOLIASTE DE BOBBIO II, 9: 500 n. 203. 14: 128; 254; 315; 323
Cic. Pro Plane. 23 : 373 n. 269. n. 21; 463.
SCHOLIASTE DE VÉRONE Souda s.u. 'Αφροδίτη : 255. s.u. κηρύ-
Ad Aen. I, 239 : 341 η. 104; 358. 259 : 323 κειον : 268 ; 269.
η. 19. II, 717 : 130; 179; 276. VII, 681 : Stace
500 η. 203. Silves III, 5, 12-13: 43 n. 23.
Sénèque le Rhéteur Strabon
Contr. I, 3, 1 : 461 n. 43. IV, 2 : 495; 499; V, 2, 2 : 240. V, 2, 3 : 484 n. 137. V, 3, 5 :
500. 255; 315; 323; 362. VI, 1, 14: 221.
INDEX LOCORVM ANTIQVORVM 559
ap. Aug., De Civ. Dei, IV, 31 : 114; 277. sq. : 188. 404-7 : 284 η. 114. 395 : 188.
VII, 21 : 249; 459. VII, 28 : 136. 603-4 : 43.
αρ. Donat, Eun II, 2, 25 : 401. V, 61-63: 91 η. 145. 615: 259.
αρ. Macr., Ill, 4, 7 : 134. 6, 16 : 284. VI, 760-5: 271.
ap. Non., 528: 270. 531 : 109 η. 84. 531, VII, 59-64: 304. 71 sq.: 185 η. 119.
19: 393; 398; 399; 441; 442; 524. 81 sq. : 346 η. 134. 106 : 189. 116 : 86-
αρ. Prob., Ad Verg. Bue. VI, 31 : 151 7. 120 sq. : 189; 191. 122 sq. : 161.
η. 86. 170 sq. : 298. 229-30: 190.
αρ. Schol. Ver., Ad Aen. II, 717: 130; VIII, 11: 184 n. 114. 11-12 : 190. 29:
179; 276. 191. 31 sq. : 192. 36 sq. : 191. 81 sq. :
ap. Serv., Ad Aen. II, 166 : 466 n. 73. 636 : 192; 211. 82 : 214 n. 268. 84 sq. : 192.
129. Ili, 12: 132; 288; 421; 433; 468 85: 214; 338. 86 sq. : 193. 543: 1;
n. 86. Ili, 148 : 131 ; 276 n. 84. V, 704 : 101 n. 41. 678-9: 42 n. 18; 45; 134.
503 n. 214. 680 sq: 185 n. 119. 720: 189 n. 134.
Virgile IX, 258: 101 n. 41.
En. I, 704: 67; 90. XII, 138-9: 330. 161-63: 240; 303-4.
Π, 171: 259. 227: 259. 293: 184 η. 115; 161-215: 346. 192: 336; 338; 346.
193; 195; 295; 429. 293 sq. : 182; 338. 294 : 192 sq. : 349. 366; 477 sq. : n. 238
48. 296-7 : 295. 318 sq. : 164. 319 : 183. 320 : 464. 794 : 323 n. 19.
193. 320-1: 184; 338. 559-60: 184. 632: VlTRUVE
185. 707 sq. : 186; 206. 717: 193. 747 sq. : IV, 9, 1 : 230. VI, 150: 20 n. 33.
206. 718: 338. 747: 186; 338. 767-8: 49.
804: 187. XÉNOPHON
Ill, 11-12: 42 η. 18; 45; 134; 187. 15- Cyn. I, 15: 171 n. 57.
16: 41. 118-9: 141. 154-5: 429. ZONARAS
163 sq. : 161; 187. 255-7: 188. 388 VII, 4 : 344.
Le sacrifice d'Enee (/Ira Pacis, Rome. Cliché Deutsche Archäologische Insti
Planche II
/'■;v
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** > «
Pag.
Introduction 1
Première partie
Deuxième partie
Introduction 59
Troisième partie
Varron 129
Denys d'Halicarnasse 136
Nigidius Figulus . 140
Indications éparses et anonymes 146
Martianus Capella 151
Introduction 157
Introduction 383
Conclusion 521
Bibliographie 531
Planches I et II