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Cathédrales, le verbe géométrique

Concept spiritualiste des Maîtres d'oeuvre médiévaux

LE TRACÉ RÉGULATEUR IRRATIONNEL, MYTHE OU RÉALITÉ?


Aucun document écrit ou dessiné nous est jamais parvenu qui permette
d'établir que les maîtres d'oeuvre de l'Antiquité ou de l'époque médiéva-
le aient eu recours aux tracés régulateurs géométriques pour ordonner
leur architecture. En revanche, nombreuses sont les références aux
nombres dans toutes les traditions et les textes sacrés. On pourrait en
inférer que, tel le Temple de Salomon, tout édifice, fût-il sacré, n'a jamais
été réglé que suivant un principe modulaire, intégrant les nombres impo-
sés par les prêtres en rythmes de travées, de piliers, d'arcades, ou en
pieds, coudées, perches, ou en simples "modules", comme Vitruve à
lépoque de la Rome antique ou Palladio, à la Renaissance, qui établira
les rapports hauteur-largeur-profondeur de ses villas princières selon les
rapports musicaux de tierce, de quarte, de quinte ou d'octave.

La proportion dorée, ou plus exactement le "partage en moyenne et


extrême raison" est pourtant clairement énoncée par les Grecs dès
Pythagore. En outre, de nombreux travaux de recherche ont mis en évi-
dence l'utilisation dans l'Antiquité perse, grecque, égyptienne et romai-
ne, de son principe fondamental d'enchaînement de proportions et de
surfaces récurrentes. La Renaissance lui donnera ses heures de gloire,
mais paradoxalement, selon certains auteurs qui font autorité, tel Matila
Ghyka et Georges Jouven, le Moyen Age l'aurait totalement oubliée.

Je me suis par conséquent attaché pendant dix ans à démontrer à tra-


vers l'analyse précise de quatre façades de cathédrales que l'architecture
gothique, comme toutes les architectures sacrées qui l'ont précédée, est
d'abord réglée par la géométrie et le nombre. Il m'est alors apparu que
cette géométrie était, de façon irréfutable, celle du Nombre d'Or.

GÉNIE
Il règne autour de l'arithmologie sacrée et du "Nombre d'Or" un parfum
d'occultisme qui ne se justifie plus. Il est du devoir de l'historien d'exami-
ner sans idée préconçue, sans tabou, tout ce qui peut éclairer l'Histoire.

L'époque médiévale, truculente ou spiritualiste, est celle des cathédrales


romanes et gothiques Pour bien comprendre les élans qui ont présidé à
l'édification des monuments .parmi les plus prestigieux du monde, on ne

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peut faire l'économie d'une analyse pénétrante des motifs qui ont si hau-
tement inspiré leurs bâtisseurs,
Le génie de ces bâtisseurs ne saurait trouver son explication dans la seule
résolution technique remarquable des données propres à la mise en
oeuvre de la pierre. Il ne saurait non plus être réduit à des seules consi-
dérations d'ordre esthétique ni comme seul prolongement de la pensée
scolastique. On ne peut davantage avancer le seul moteur de la Foi, en
notant bien, d'ailleurs, qu'à l'époque gothique les maîtres d'oeuvre et les
corporations de bâtisseurs étaient laïques.

Ce génie est une somme, bien sûr. L'édification des cathédrales s'inscrit
dans l'Histoire comme la culmination la plus occidentale, à travers plu-
sieurs civilisations, d'une continuité culturelle qui, prenant racine dans
l'Antiquité égyptienne, perse, hébraïque, grecque et romaine, s'enrichit
dans son parcours d'une chrétienté rayonnante et inspiratrice. Mais,
remontant au delà de cette Chrétienté le fil du concept architectural des
bâtisseurs médiévaux nous mène à la source de la spiritualité de l'huma-
nité naissante et à un dieu créateur plus encore qu'un dieu rédempteur.

Il faut donc regarder la cathédrale comme une extraordinaire floraison


du sacré éternel, exhalant des parfums plusieurs fois millénaires,
DIEU EST NOMBRE
La cathédrale est un temple. Comme tous les temples, c'est le lieu du dia-
logue entre les hommes et leur ou leurs dieux. Comment ce dialogue
s'établit-il? Par l'intermédiaire du prêtre. Mais aussi par l'intermédiaire du
temple lui-même, dans ses dispositions, rythmes et mesures. Pourquoi?
Parce qu'établir le dialogue avec le ou les dieux c'est d'abord choisir les
termes d'un langage qui leur soit compréhensible. Or ce langage n'est-il
pas ce par quoi ces dieux eux-mêmes se sont exprimés, c'est-à-dire la
CREATION?

Ainsi, qu'est-ce que la recherche de Dieu si ce n'est l'effort de l'homme


pour se mettre en harmonie avec la création?

Qu'est-ce que bâtir le temple, la cathédrale si ce n'est inscrire dans l'es-


pace en un rapport conforme aux lois du cosmos (ordre du Monde,
Socrate; du tout à la partie et de la partie au tout, un lieu destiné à Dieu
et à qui, de la sorte, il se trouve totalement et exactement consacré?
"Nous Pouvons croire que les dieux ont plaisir à voir briller dans le
monde ce qui ressemble le plus à leur propre nature", écrira Nicomaque
de Gérase au i siècle. Mais plus que cette citation, il est important de

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rappeler ici l'inscription portée au fronton, d'un temple de Kéops: "Ce
temple est comme le ciel dans toutes ses proportions".

De façon plus précise, et aussi loin que remonte l'Histoire, les hommes
vont tenter de mettre en équation l'immense diversité d'un univers qui se
révèle aussi à eux dans son incontestable et première unité. Ils découvri-
ront (ou établiront) alors que la Création est régie par une loi incontour-
nable, celle du NOMBRE, et de sa manifestation formelle, la
GÉOMÉTRIE.

Qu'il s'agisse des rythmes et révolutions des astres comme des lois de
croissance et d'épanouissement du monde végétal ou de la formation des
cristaux, ou qu'il s'agisse de la verticale rectiligne du fil à plomb ou des
ondes circulaires parfaites d'un plan d'eau troublé par la chute d'un
corps, la géométrie, le nombre et leurs rythmes semblent constituer l'es-
sence même de l'ordre naturel.

Ainsi Pythagore établira-t-il les données de la gamme musicale à partir


de la moyenne arithmétique entre deux longueurs comme il le fera pour
le nombre d'or en prenant leur moyenne harmonique, découvrant que
les secrets des combinaisons vibratoires primordiales de l'univers ainsi
que les lois qui commandent à la croissance et la symétrie des végétaux
tenaient à la combinaison des quatre premier nombres entiers.

Il fondera au vie siècle avant JC une école philosophique qui durera mille
ans et développera une théorie d'organisation du Monde à partir du
Nombre, dont certains de ses disciples énoncent ainsi les principes

Nicomaque de Gérase: (i siècle)


"Le chaos primitif, manquant d'ordre et de forme et de tout ce qui diffé-
rencie suivant les catégories de la qualité de la quantité... fut organisé et
ordonné d'après le nombre".
Philolaos (vIe siècle avant J.- C.):
"Toute chose possède un nombre et nous ne pouvons rien entendre ni
connaître en dehors de celui-ci".

Nicornaque de Gérase:
"Tout ce que la nature a arrangé systématiquement dans l'univers paraît
dans ses parties comme dans l'ensemble avoir été déterminé et mis en
accord avec le Nombre par la prévoyance et la pensée de celui qui créa
toute chose. Car le modèle était fixé, comme une esquisse préliminaire,
par la domination du Nombre préexistant dans l'esprit du dieu créateur

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I
du monde. Nombre idée purement immatériel dans tout rapport, mais
en même temps la vraie et l'éternelle essence, de sorte que d'accord avec
le Nombre, comme d'après un plan artistique, furent créées toutes ces
choses, et le temps, et le mouvement, les cieux, les astres et tous les
cycles de toutes choses.
Platon (424 347 av. J.C.)
"Dieu est géomètre".
"Le nombre communique sa nature à toute chose".
"Et lorsque tout eut commencé de s'ordonner, tous ces éléments ont
reçu de Dieu leur figure par l'action des idées et des nombres" (Timée).

Et au fronton de son académie:


"Nul n'entre ici s'il n'est géomètre".

Jusqu'à Socrate qui, dans Gorgias, s'adresse à Calliclès en ces termes:


"Certains sages, Calliclès, disent que le Ciel, la Terre, les dieux et les
hommes forment ensemble une communauté, qu'ils sont liés par l'ami-
tié, l'amour de l'ordre, le respect de la tempérance et le sens de la
Justice.
C'est pourquoi le tout du monde, ces sages, mon camarade, l'appellent
KOSMOS, ou ordre du monde et non pas désordre ou dérèglement.
Mais toi, tu as beau être savant, tu ne sembles pas faire attention à ce
genre de choses. I
Au contraire, tu n'as pas vu que l'égalité géométrique est toute puissan-
te chez les dieux comme chez les hommes. En fait, tu ne fais pas atten-
tion à la GEOMETRIE".

Ainsi l'architecture sacrée, temples ou tombeaux, devra-t-elle être l'ex-


pression du cosmos et en intégrer les lois.
En 2800 avant J. C, à Saqqara, en Egypte, la pyramide de DJEZER
nous offre déjà, dans les rythmes de son enceinte à redans, de lire l'an-
née solaire vraie de 365 jours et un quart, et l'année lunaire exception-
nelle de 384 jours (six mois lunaires de 29 jours, plus six mois lunaires
de 30 jours, plus un mois de 30 jours) qui venait s'intercaler toutes les
trois années lunaires longues (354 jours) pour vérifier l'année solaire
vraie. (Jean Rousseau, Mastabas et Pyramides d'Egypte, éditions
l'Harmattan).

On sait encore la précision avec laquelle la pyramide de Kéops est orien-


tée et les indications nombreuses qu'elle recèle dans ses dispositions et
ses mesures angulaires de détail, en matière d'astronomie, ou mesures
linéaires en matière d'arithmétique et de géométrie.

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Dans sa théorie sur la 'Géographie Sacrée du Monde Grec" (Editions
Daniel), Jean Richer démontre que les temples de la Grèce antique ont
été implantés et orientés de façon concertée les uns par rapport aux
autres selon une relation étroite aux douze secteurs d'un zodiaque centré
tour à tour sur les trois sites sacrés de Delphes, Delos et Sardes.
Nos églises romanes, et par conséquent nos cathédrales, élevées pour la
plupart sur l'emplacement des basiliques romanes qui les ont précédées,
ont de même été implantées et mesurées dans un rapport étroit avec la
direction du soleil levant et la longueur de l'ombre de la canne au soleil
de midi, au jour de la dédicace. Double consécration, donc, au Saint
Patron, ou à la Sainte Patronne, et à l'ordre cosmique.

La cathédrale de Strasbourg porte, sur les axes et centres majeurs de sa


façade occidentale les indications rigoureuses des solstices d'hiver, d'été,
des équinoxes, et de l'inclinaison de l'équateur sur l'écliptique, à quoi
s'ajoute une symbolique liée à ces repères solaires.

CERTITUDE ET SUBJECTIVITÉ
Bien que n'étant pas historien, je me suis efforcé dans ma recherche de
me situer au strict plan historique en ne construisant mes démonstrations
que sur ce qui était vérifiable soit par la mesure, soit par l'observation de
l'architecture et de la statuaire, soit par référence à des études existantes
et dignes de foi.

On objectera que ce pari est impossible dès lors que je me permets une
interprétation de la géométrie comme langage symbolique. Je répondrai
que la symbolique géométrique et arithmologique existant, elle constitue
en soi une donnée historique et ne peut de ce fait être ignorée. Son
essence diffère, quoiqu'avec des constantes surprenantes, d'une civilisa-
tion à une autre; l'étude de ces différences est encore devoir d'historien.
Mais il est vrai qu'en proposant une lecture des combinaisons géomé-
triques, d'objective mon attitude devient subjective. Dès lors, j'accepte
évidemment toute interprétation qui diffère de la mienne pourvu que ce
soit avec pertinence.
Mon étude m'a amené, en revanche, à mettre en évidence, sur les quatre
façades étudiées, Amiens, Reims, Rouen et Strasbourg, une géométrie
du Nombre d'or irréfutable, confirmée par une arithmologie qui vient en
souligner les axes forts des nombres sacrés les plus éminents.
Concernant les autres figures emblématiques de la géométrie: triangle
équilatéral, sceau de Salomon, étoile à 7, 8, 9 branches, je n'ai jamais
rien trouvé de probant sinon très ponctuellement. Il n'est pas possible,
par conséquent d'en tirer une règle quelconque.

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Un argument m'a souvent été rapporté, auquel je réponds ici étant
donné l'enjeu de l'hypothèse qu'il véhicule: non, telle architecture ne
peut pas être réglée a posteriori par n'importe quelle figure de géomé-
trie. C'est absurde au plan historique et c'est faux au plan logique.

C'est absurde au plan historique car si toute géométrie est possible, cela
revient à dire qu'il n'y en a aucune ou, en d'autres termes, que la géo-
métrie n'a jamais réglé les architectures monumentales, et en particulier
sacrées. Plus simplement, c'est nier la géométrie comme outil indispen-
sable au tracé architectural. C'est nier l'existence de la règle, du compas
et de l'équerre. C'est oublier par ailleurs que dès l'époque romane la géo-
métrie comptait au rang des sept sciences majeures regroupées selon le
"trivium", discipline de la parole, c'est-à-dire la grammaire, la dialectique
et la rhétorique, et le "quadrivium", disciple du nombre, regroupant
l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique.

Si l'on accepte néanmoins le principe et l'existence des tracés régula-


teurs, alors l'argument est faux au plan logique, car c'est accepter d'un
côté la rigueur, et de l'autre l'approximation:
rigueur d'exécution, précision dimensionnelle surprenante des temples
d'Egypte ou de Grèce, exécutés à joints vifs et rectifiés au millimètre,
comme le Parthénon, pour la correction optique des effets de perspec-
tive. Incroyable perfection des rosaces et des verrières flamboyantes.
Equilibre savant des voûtes gothiques
approximation de la pensée dans le recours à un tracé qui accepterait
pêle-mêle les systèmes en V (triangle équilatéral), en V 2 (diagonale du
carré) et V 5 (nombre d'or).
Ou approximation dimensionnelle de la construction, rendue nécessaire
à l'intégration de ces différents systèmes mathématiquement incompa-
tibles entre eux. Ou enfin approximation du chercheur lui-même...

Non, la distribution savante et harmonieuse des éléments d'architecture


qui commande à la stabilité d'une cathédrale comme à sa beauté ne tolè-
re pas n'importe quelle géométrie. La précision dans la concordance des
schémas avec l'architecture qu'ils règlent est en moyenne de 1/1000è à
1/2000è, soit 1 cm pour 10 à 20 mètres. Si l'on se contente d'une pré-
cision de l'ordre du 1/100è ou du 1/200è ou qu'on ne respecte pas la
hiérarchie des modénatures, on peut alors effectivement installer n'im-
porte quelle géométrie, et par conséquent lui faire dire, en termes sym-
boliques, ce que l'on veut.
C'est cette symbolique géométrique elle-même dont je vous propose
maintenant un exemple de lecture sur la façade de la cathédrale de
ROUEN.

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Cette façade, comme l'édifice entier et comme, sans doute, toutes les
cathédrales gothiques, est réglée par la géométrie de Nombre d'Or dont
on trouvera ci-après la définition géométrique et les aspects symboliques
principaux.

ALEPH, 1, BETH, 2 ET LE NOMBRE D'OR


Le NOMBRE D'OR, plus exactement la section dorée (sectio aurea)
résulte du partage d'une longueur donnée en "moyenne et extrême rai-
son", suivant deux segments a et b tels que:
= b
b a+h
Équation dont les deux racines sont

= I6i8
i/p = O6l8
Au plan géométrique la section dorée AO/OB s'obtient, entre autre,
construction, en rabattant sur la diagonale AD d'un rectangle 1 sur 2, le,
côté DC, en BD, puis en rabattant AB' en AB.

CD=1
AC 2 AD=5
AB'=I5 I
AB/AC = L= L618

A B
-* J
Le rectangle d'or ABCD s'obtient par
rabattement de la diagonale du demi
carré initial EBCF
D(/(B= I +% 1618
L

AEFD est lui-même d'or:


AF=AB EB=I+ 2=1236
AD/AE = 2/1236 1,618
Au plan symbolique on notera cette concordance intéressante que la sec-
tion dorée résulte de la figure géométrique de Dieu en son temple!

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En effet, comme l'ont montré Georges Jouven, Matila Ghyka et d'autres,
le rapport 1 à 2 règle avec une constance surprenante les dimensions
majeures des sanctuaires (ou leurs parties les plus sacrées) tant chez les
Egyptiens, les Grecs, que pour nos édifices chrétiens, les cathédrales y
comprises. Suivant la conception qui était déjà, dans l'Antiquité, celle
d'une création universelle régie par l'idée du nombre, 1 et 2 représen-
taient, pour le premier, l'essence primordiale, l'unité divine, le principe
masculin créateur, le Logos, le Verbe, et pour le second l'origine de la
manifestation, la dyade, le dédoublement procréateur, le principe fémi-
nin. Dans les systèmes d'écriture issus des Sumériens, et particulière-
ment les alphabets de l'Antiquité: phénicien, grec, araméen, hébraïque,
les lettres auront valeur de nombre et de symbole. Ainsi l'alpha, l'aleph,
le Beta ou le Beth signifieront respectivement 1 et 2 mais aussi Taureau,
force, énergie (Aleph, 1) et maison, temple, matrice (Beth, 2, dont
l'idéogramme est un rectangle horizontal, ouvert en bas, c'est-à-dire
représentant une maison, avec son entrée). Ce rapport 1 à 2 devint, par
extension, le rapport du Ciel à la Terre, de Dieu à son temple.

Géométriquement, donc, Dieu,


nombre 1, étant la totalité point
+ cercle, son temple le double
carré (la maison, le beth, nombre
2), Dieu en son temple sera figuré
par le cercle centré dans le double
carré. La dimension sacrée du
temple abritant son dieu sera la
diagonale que le cercle coupe en
segments en rapport d'or avec le
diamètre du cercle.

Le rapport dimensionnel de Dieu


à la diagonale, mesure sacrée du
temple, est donc le rapport d'or.

Ce rapport trouve par ailleurs sa représentation la


plus éclatante dans l'étoile à cinq branches et le tri-
angle sublime qui en est la figure constitutive de
base.
Ce triangle sublime, obtenu par rabattement des
côtés verticaux du rectangle d'or sur son axe, a ceci
de particulier que ses angles à la base mesurent le
double (72°) de son angle au sommet (36°).

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Et l'on retrouve ainsi à nouveau le rapport 1 à 2 du Ciel à la Terre, de
Dieu à son temple, du monde divin au monde humain, de la spiritualité
à la matérialité.

Si, raisonnant dans le plan vertical, on observe que les deux angles de
valeur 2, soit angle B et angle C, reposent au sol et représentent ainsi
par analogie, la Terre, elle même de valeur 2, alors que l'angle au som-
met de valeur 1, occupe la position du ciel, lui même de valeur arith-
mologique 1, on saisira toute l'importance qu'ont donné à ce triangle, au
demeurant très élégant, les constructeurs de cathédrales.

Quant au pentagramme étoilé, cette figure est incontestablement belle.


Au delà de ses qualités graphiques, elle est le symbole de "l'homme réa-
lisé" en tant que manifestation du premier nombre pair, 2, symbole de
la féminité, de la fécondité (nombre de la Terre Mère), allié au premier
nombre impair après "Dieu, 1 " c'est-à-dire 3, symbole de la masculini-
té. Mais aussi par sa silhouette, dont les branches hautes sont les bras,
largement ouverts, les branches basses les jambes écartées, en position
stable, et la branche centrale la tête, le triangle de l'esprit. Enfin, 5 repré-
sente le microcosme, la vie sur terre, dont l'homme est le représentant
privilégié, il est également symbole de perfection.

Il était donc primordial que l'étoile à cinq branches, autrefois signe de


reconnaissance des pythagoriciens fût intégrée comme symbole dans
l'architecture chrétienne où elle représentera notamment le Christ lui-
même, par addition de l'idée de l'Homme, à celle de perfection, d'har-
monie.

ROUEN
En conclusion de l'ensemble des enchaînements géométriques qui
règlent la façade de la cathédrale de Rouen, on découvre deux séquences
particulièrement remarquables.

La première nous montre que le triangle sublime dont la largeur au sol


est donnée par la distance entre axes des portails latéraux, désigne le
sommet de la nef dont l'arc en ogive qui surmonte la rosace est la
marque sur la façade.

A ce triangle sublime vient se superposer une étoile dont le sommet n'est


autre que celui des quatre flèches marquées, à l'altitude précise de ce
point, d'une bague, ou couronne symbolique, qui en indique, sans équi-
voque, le sommet géométrique exact, c'est-à-dire le prolongement de
leurs faces.

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Le calcul montre que ce sommet résulte, avec une précision du deux mil-
1ième (par rapport à la mesure de base donnée par la distance entre axes
des portails latéraux), de la superposition de l'étoile par son centre infé-
rieur, ou "sacrum", au triangle sublime initial sur les dimensions duquel
elle est elle même construite.
Le triangle bas, inscrit dans la hauteur de la nef, vient désigner par ce
geste la clef de voûte de l'harmonie intérieure, suprême conclusion de
l'homme édifice, temple privilégié de Dieu.

Dès lors, l'élégante épure de l'ensemble se lit comme un précepte en syl-


labes géométriques, énoncé par séquences ascendantes pour réaffirmer
sans doute le temple comme lieu d'initiation spirituelle (le triangle subli-
me reliant au sommet de la nef les seuils de l'accès à la cathédrale) et la
spiritualité elle-même comme fondement du principe divin (le triangle
sublime portant le Christ Etoile au plus haut de l'édifice).

La deuxième séquence
nous montre que la lar-
geur du portail central
correspond rigoureuse-
ment à l'intersection
avec le sol des deux
droites qui joignent les
extrémités des branches
hautes et basses de notre
étoile supérieure.
Si l'on accepte la valeur
symbolique de celle étoi-
le, celle du Christ, ou de
l'homme réalisé, telle
que nous l'avons propo-
sée pour la séquence
précédente, n'est-il pas
troublant de constater
que le portail central,
accès privilégié au
temple, a pour mesure la
trace au soi des rayons
marquant l'envergure
même de ce Christ qui,
tous bras ouverts, de là-
haut, accueille le fidèle et
l'appelle à entrer?

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Gestuelle de la géomé-
trie
Appel à l'élévation spin-
tuelle.
LMais ce portail central est
aussi, traditionnellement,
celui du Jugement
Dernier. Représenté au
tympan de nos églises
romane avec un art que
jamais aucune autre
période, fût-ce même la
période gothique, ne
saura atteindre, cette
scène du Jugement ne
nous montre-t-elle pas un
Christ solaire, Zénith du
Ciel, bras ouverts,
comme l'est ici, sur fond
de ciel normand, l'étoile
haute liée au portail par
ces rayons mêmes que la
peinture, la mosaïque ou
la sculpture du Moyen
Age font jaillir des mains
et des pieds du Dieu fait
homme et révélé "lumiè-
re de Dieu"?
Nous ne manquerons pas non plus de nous souvenir de la parole du
Christ "Je suis la Porte". Enfin, et puisque le propre du symbole est d'au-
toriser plusieurs lectures nous pourrions in fine lui adjoindre, celle-ci
(bien qu'anachronique si l'on s'en tient à une naissance de la Franc-
Maçonnerie au dix huitième siècle): il est de tradition qu'au terme de la
perfection graduelle de lui-même qui l'a porté jusqu'aux responsabilités
de Vénérable, celui-ci redevienne humblement couvreur.

AME GEOMETRIQUE
Formulation matérielle et sensible des concepts nés d'une aspiration de
notre esprit à résumer l'ordre du monde, la géométrie chaque fois s'im-
pose, gestuelle, rituélique et symbolique, à l'instant d'ordonnancer le
moindre de nos actes sacrés: le salut matinal, l'hôte qu'on accueille,
comme la prière musulmane, la méditation bouddhiste, la messe chré-

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tienne, les rituels maçonniques, cérémonies modestes ou fastueuses aux-
quelles elle préside, relayant la parole et la pensée, réglant l'attitude et le
geste par là même devenus sacrés, pour perpétuer traditions et mes-
sages de Sagesse des origines.

Réalisant dans la danse l'union de l'espace au mouvement qui est la vie


et au temps qui en est la mesure, elle pouvait rejoindre l'idée de "Dieu"
dans la culture antique, comme sont indissociables de la déité les danses
sacrées ou rituelles des peuples d'Afrique, d'Amérique, d'Orient ou
d'ailleurs, quels que soient leurs cultes, puisque le rythme est nombre.

La Géométrie, en d'autres termes, commande à ces instants privilégiés


de sublimation de nous mêmes où gestes, perceptions, sentiments, rai-
son, soudain résorbés en une seule et fondamentale unité, nous retrou-
vons notre identité au cosmos tel que posé par les grecs et nous entrons
dans la Création même, renouant avec la force oubliée de ses pulsations
et de ses lois.

Ainsi naît notre rapport à l'Art, que nous en recevions les lumières, ou
que nous en soyons le maître. Ainsi naît, l'Art lui-même.

Ainsi, enfin, la Cathédrale est-elle sublimation géométrique.

Epanouissons notre géométrie intérieure.

Thierry de CHAMPRIS

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