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les vies de
yasser
arafat
/
CAHIER DU « MONDE » DU SAMEDI 6 NOVEMBRE 2004, NO 18594. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT
BIOGRAPHIE
1929 A l’agonie, Yasser Arafat, âgé de 75 ans, a incarné les espoirs du peuple palestinien aspirant à la reconnaissance
4 août : naissance
de Mohammad Abdel de ses droits. Mais après des décennies de combat, le chef de l’OLP n’a pas pu réaliser son rêve : voir le drapeau national
Raouf Arafat Al-Koudwa
Al-Husseini au Caire, flotter sur Jérusalem-Est. Il aura imposé la tragédie de son peuple au cœur de l’attention internationale
dans une famille
de la petite-bourgeoisie
palestinienne.
1933
Sa mère meurt ; il part
pour Jérusalem
chez des parents proches
du mufti, avant de revenir
en Egypte en 1937.
1950-1956
Il fait au Caire des études
d'ingénieur et s'engage
dans l'action politique.
Il présidera l'Union des
étudiants palestiniens,
de 1952 à 1956. Il est proche
des Frères musulmans,
mais ne sera pas membre
de la confrérie.
1959
Au Koweït, il fonde
le Fatah, mouvement
de libération nationale
palestinien qui intégrera
plus tard l'Organisation
de libération de la Palestine
(OLP), née en 1964
lors d'un sommet arabe
organisé sous l'égide du
président égyptien Nasser.
Arafat adopte comme
nom de guerre « Abou
Ammar », en hommage au
premier martyr de l’islam.
1964
31 décembre : premier
attentat commis par le
/
1969
4 février : Arafat est
élu président du Comité
exécutif de l'OLP.
1970 a A 1969 : Yasser Arafat avec des fedayins, dans une cave, en Jordanie. Il devra quitter ce pays pour le Liban après l’affrontement de « Septembre noir » contre les troupes hachémites.
« Septembre noir » en
Jordanie : la monarchie
hachémite craint d’être
un palestinien
le FPLP, l’armée royale
attaque les camps
de réfugiés palestiniens,
commettant plusieurs
massacres. Chassés
du pays, Arafat et le Fatah
s'installent au Liban.
1974
Y
Le 26 octobre, au sommet
arabe de Rabat , l'OLP est asser Arafat aurait préfé- ce depuis six ans en Tunisie, après droits du peuple qu’il représentait. étrangers, parce qu’ils étaient infernal. Comme un fauve aux
reconnue comme « seul ré entrer dans l’Histoire avoir été expulsée du Liban. Israël, Il se souciait comme d’une guigne autant de marques de déférence et aguets, se sachant menacé par un
représentant légitime du comme le dirigeant qui a les Etats-Unis et d’autres Etats la de l’aversion qu’il pouvait susciter de soutien à sa lutte, face à un ennemi déterminé à l’éliminer, il
peuple palestinien ». Suit conduit son peuple vers tenaient toujours pour une centra- et savait exploiter à merveille les ennemi qui bénéficiait de très gran- était un sans-abri volontaire, se
un début de reconnaissance l’indépendance et la paix. le « terroriste ». Israël s’acharnait à témoignages de sympathie. Il des sympathies à travers le monde. déplaçant sans prévenir par mesu-
internationale. Mais elle en aura voulu en liquider les dirigeants. Khalil conjuguait ou alternait l’action mili- Homme aux goûts simples, il n’a re de sécurité, peu soucieux de son
Le 13 novembre, autrement, et l’homme Al-Wazir (Abou Jihad), l’une de ses taire et la diplomatie, savait mani- jamais cherché à s’enrichir, alors confort. Il savait que, face à un
à la tribune de l'ONU, dont la « mort clinique » a été figures les plus prestigieuses, les puler amis et adversaires, flatter les même que de nombreuses person- ennemi redoutable, il fallait ruser
Arafat déclare : annoncée le 4 novembre disparaî- plus respectées et les plus actives, ego et tenir en piètre estime, être nes de son entourage l’ont fait, pour survivre. Mais il devait aussi
« Je suis venu porteur tra usé par l’âge et par la désillu- compagnon de la première heure familier et tenir à distance, se faire notamment depuis l’avènement de sa longévité à une certaine baraka,
d'un rameau d'olivier sion de ne pas avoir vu naître l’Etat de Yasser Arafat, avait été assassi- modeste et arrogant, donner géné- l’Autorité palestinienne, en 1994. qui le fit tant de fois échapper mira-
et d'un fusil palestinien auquel il a tant aspiré. né quelques mois plus tôt à Tunis. reusement et couper les vivres, ne Non qu’il dédaignât l’argent, mais culeusement à la mort. Ce fut
de révolutionnaire. Onze ans plus tôt, il avait pour- Les Palestiniens s’entredéchiraient jamais prendre pour quantité négli- pour lui l’argent était le nerf de la notamment le cas quand, en 1982,
Ne laissez pas tomber tant la certitude, et la majorité des et le soutien des « frères » arabes geable une quelconque manifesta- guerre, servant aussi bien à finan- il venait de quitter un immeuble de
le rameau de ma main. » Palestiniens avec lui, que ce rêve n’était ni unanime ni incondition- tion de soutien, si humble soit-elle, cer la lutte armée qu’à entretenir Beyrouth-Ouest et qu’une bombe
était à portée de main, qu’il suffi- nel. Et pourtant, la foi chevillée au ne jamais rompre définitivement une clientèle. Il tenait lui-même les à implosion israélienne réduisit le
1975-1982 rait de six années de négociations
avec Israël – mais qu’est-ce que six
corps, Yasser Arafat voulait voir
naître cet Etat palestinien pour
les ponts avec quiconque pour ne
pas insulter l’avenir.
bâtiment en poussière ; ou encore
en 1992, quand il ne souffrit que de
Dès le début de la guerre
civile au Liban, en avril 1975,
années au regard de l’Histoire ? – lequel il a consacré sa vie depuis Son courage physique n’était pas Né le 4 août 1929 quelques contusions après que son
pour qu’il devienne réalité. Au fil une quarantaine d’années. la moindre de ses qualités. Jamais avion se fut écrasé dans le désert
Arafat s'engage au côté
des opposants à la droite
des ans, l’espoir est toutefois allé Yasser Arafat, c’était d’abord et Yasser Arafat n’abandonna les en Egypte, de Libye.
s’effilochant, renvoyant quasi à la surtout cela : un homme animé par siens dans l’adversité. Il méprisait Obstiné jusqu’à l’entêtement,
chrétienne. Ses forces
sont durement réprimées,
préhistoire ce 13 septembre 1993, une foi inébranlable dans la jus- le luxe, mais prisait les honneurs, le président de peu porté sur l’autocritique, ne
quand, sur la pelouse de la Maison tesse de la cause qu’il servait et des surtout ceux des responsables s’avouant jamais vaincu publique-
d’abord par le Syrien Assad,
puis par Israël, qui investit
Blanche, devant un parterre de per- l’Autorité palestinienne ment – bien qu’il eût maintes fois
sonnalités internationales et sous menacé de démissionner, sa
le pays en juin 1982. les yeux de millions de téléspecta- a toujours dit avoir manière à lui de se faire prier –, il
Le 30 août, les forces teurs à travers le monde, un Yasser Mars 1968 : premier « triomphe » face à Israël s’estimait investi d’une mission
palestiniennes doivent
évacuer Beyrouth assiégée
Arafat tout sourire serrait la main vu le jour à Jérusalem envers son peuple et il n’eut de ces-
de l’un de ses pires ennemis, le pre- C’est surtout la bataille de Karameh, en Jordanie, en mars 1968, qui pro- se de la mener à son terme. Non
par Israël. Arafat établira mier ministre israélien d’alors, pulse le Fatah au summum de sa popularité. Lors de ce combat à armes iné- sans avoir rabattu ses aspirations
à Tunis le siège de l'OLP. Itzhak Rabin. Les accords dits d’Os- gales, un groupe de fedayins du Fatah, auxquels Yasser Arafat a ordonné cordons d’une bourse qui fut un et celles des siens, pour se conten-
de « tenir tête à l’ennemi », met en échec, avec l’aide de l’armée jordanien-
1983 lo qui venaient d’être signés met-
taient en principe l’un des plus ne, une incursion d’envergure menée par l’aviation, des chars et des para-
temps pleine à craquer, tant était
financièrement généreuse – à
ter d’une partie de la Palestine à
laquelle ils rêvaient de revenir
20 décembre : François vieux conflits du monde sur les chutistes israéliens dans ce camp de réfugiés de Jordanie. 97 combattants défaut de l’être autrement – la soli- tous. Et non sans le coup de pouce
Mitterrand organise rails d’une solution. Tout le monde palestiniens sont tués, une centaine emmenés par les assaillants. Mais les darité des pays arabes, et plus parti- d’une conjoncture qui les a forcés
son départ de Tripoli, voulait y croire. Yasser Arafat le Israéliens ont dû se retirer après s’être heurtés à une résistance inattendue. culièrement des monarchies pétro- à admettre qu’une partie était
au Liban, où Arafat était premier, pour qui l’heure était his- Yasser Arafat peut crier victoire, parlant du premier « triomphe » arabe. lières du Golfe. Yasser Arafat était mieux que rien. Car s’il est vrai
encerclé par l’armée torique, l’aboutissement d’une lon- L’année précédente, les armées arabes avaient été défaites en l’espace de un manipulateur presque par que la proclamation de l’Etat pales-
syrienne et des unités gue lutte, le premier acte de l’avè- six jours par l’armée israélienne, qui avait occupé Gaza et la Cisjordanie. nécessité, dans la jungle des organi- tinien, en 1988, impliquait déjà la
dissidentes du Fatah. nement de l’Etat virtuel proclamé Il ne reste plus à Gamal Abdel Nasser qu’à prendre acte de la victoire sations de résistance, parfois inféo- reconnaissance d’Israël et l’accep-
le 15 novembre 1988, à Alger, palestinienne, qui a galvanisé non seulement les Palestiniens, mais égale- dées à des régimes plus ou moins tation de coexister avec lui, ce
1987 devant un Parlement palestinien
en exil en délire.
ment les opinions publiques arabes. Nasser reconnaît le Fatah et son chef,
qu’il avait cherché à circonvenir par tous les moyens. Lors d’un séjour à Mos-
amicaux ou hostiles. C’était aussi
un autocrate, exigeant un droit de
n’était qu’une virtualité. Cinq ans
plus tard, l’ostracisme dont l’OLP
Le début de l’Intifada, Rien, pourtant, ne permettait cou, le raïs égyptien présente Yasser Arafat aux dirigeants soviétiques, qui regard sur les plus petites comme était frappée pour avoir soutenu
dans les territoires alors de croire que le rêve devien- vont devenir un appui précieux aux heures les plus noires de l’histoire de la sur les plus grandes choses. Vérita- l’Irak lors de l’invasion du Koweït
occupés par Israël, change drait réalité, tant les vents étaient lutte du peuple palestinien. Parallèlement, les organisations de résistance ble bourreau de travail, il se conten- en avait fait réfléchir plus d’un,
la donne, soudant de contraires. Le défi était immense. font leur entrée au sein de l’Organisation de libération de la Palestine tait de quelques petites heures de Yasser Arafat le premier.
nouveau l’OLP et brisant L’Organisation de libération de la (OLP), dont Arafat se fait élire président du comité exécutif en février 1969. sommeil, au grand dam de collabo- Même alors, rien n’était vrai-
son isolement politique. Palestine (OLP) était exilée de for- Il peut enfin orienter la centrale palestinienne comme il l’entend. rateurs forcés de suivre son rythme ment joué, et c’est de haute lutte,
indispensables l’un que l’autre au pés. Une nouvelle fois, c’est de ces 25 juillet : échec
mouvement de libération nationa- derniers que viendra le salut. Ils du sommet de Camp
le. Avec un petit groupe d’autres prennent leurs instructions du David entre Yasser Arafat,
exilés palestiniens, rejoints par chairman en personne. Bill Clinton et Ehoud
Abou Iyad, ils mettent sur pied, en Barak. Le 29 septembre,
octobre 1959, l’infrastructure a 13 1974 : Yasser Arafat à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York. Mouna Naïm début de la seconde
Intifada.
2001
Ariel Sharon devient
C
’est Shimon Pérès, ministre gouvernance palestinienne, de provo- d’Oslo, accélère la désagrégation de bre 2001, dans son QG effondré de qui exige sa mise à l’écart. Même si, palestiniens, il confine
des affaires étrangères du cations et représailles en contre-pro- l’esprit de ces accords. Pratiquement Ramallah, peut une nouvelle fois pour eux, Yasser Arafat n’a pas Arafat dans son QG
gouvernement d’Itzhak vocations et contre-représailles, les tous les symboles de l’Autorité pales- compter sur son peuple. Les Palesti- réussi sa conversion de dirigeant détruit de Ramallah.
Rabin, qui, en 1993, a l’intelli- Palestiniens paient le plus lourd tri- tinienne en Cisjordanie et à Gaza niens sont solidaires de leur prési- révolutionnaire en chef d’Etat. Il En octobre, ce dernier
gence de comprendre que la fiction but aux aléas d’une négociation mal sont détruits, et Yasser Arafat est dent dans l’adversité. Même le eut dû, pour cela, céder une partie avait été victime d'une
de l’isolement de l’OLP n’a que trop engagée. Les espoirs soulevés par les déclaré « hors jeu » par le gouverne- Hamas et le Djihad islamique, dans de son pouvoir à d’autres, sauvegar- attaque cardiaque
duré et que la centrale palestinienne accords d’Oslo s’évanouissent, et ment israélien. La nouvelle adminis- l’intérêt de l’unité nationale palesti- dant, ce faisant, son image histori- bénigne.
est incontournable. C’est ainsi que l’Intifada d’Al-Aqsa est déclenchée tration américaine républicaine affi- nienne – et leur propre intérêt bien que de « héros » national. La révol-
s’ouvre, dans le plus grand secret, le
« canal » d’Oslo, qui débouchera sur
fin septembre 2000, après un som-
met israélo-palestino-américain réu-
che une indulgence totale pour
Ariel Sharon, tandis que se multi-
compris –, décident d’arrêter les
attentats anti-israéliens pour peu
te gronde, y compris parmi certains
de ses collaborateurs – dont la plu-
2002
Le 24 juin, George W. Bush
les accords du même nom. Nul ne ni à Camp David au cours duquel Yas- plient les pressions internationales qu’Israël mette fin aux meurtres de part ont soif de pouvoir – et dans
fait du départ d’Arafat la
pense alors que l’application de ces ser Arafat et les siens ont la convic- exigeant de Yasser Arafat une leurs dirigeants. les rangs du Fatah, dont une partie
condition de la création
fameux accords sera une promenade tion d’être victimes d’une duperie, meilleure gouvernance et davanta- S’ils admettent parfois les repro- est de plus en plus radicalisée. Cou-
d’un Etat palestinien.
de santé, mais nul n’anticipe non tant les propositions qui leur sont ge de fermeté envers les mouve- ches qui sont faits à Arafat par la pé du monde et prisonnier de ses
plus l’énormité des écueils sur les-
quels on va buter.
faites pour une solution « définitive »
sont en deçà de leurs attentes.
ments islamistes terroristes.
Pris entre les desiderata contradic-
communauté internationale – auto-
cratie, incurie, corruption et clienté-
tendances autocratiques, Yasser
Arafat s’obstine, et les concessions 2004
De report d’échéances en atten- L’accession au pouvoir en Israël, toires des siens et de la communau- lisme minent en effet l’Autorité qu’il fait sont quasi de pure forme. 29 octobre : Yasser Arafat,
tats terroristes, de changements de en mars 2001, d’Ariel Sharon, dur té internationale, le dirigeant pales- palestinienne –, les Palestiniens jugé dans un état critique,
gouvernement en Israël en mauvaise entre les durs, opposé aux accords tinien, prisonnier, dès décem- refusent le diktat israélo-américain M. Na. est hospitalisé en France.
«le résistant»
afin de recouvrer
son identité nationale.
2. Le Fatah ne lutte pas
contre les juifs en tant
que communauté ethnique
et religieuse. Il lutte
contre Israël, considéré
comme l’expression
d’une colonisation fondée
« La révolution,
c’est la concrétisation
et la réalisation des rêves
et des espoirs. Travaillons
ensemble à réaliser
mon rêve de rentrer
d’exil avec mon peuple
pour vivre dans un seul
Etat démocratique où
chrétiens, juifs et
musulmans vivraient
en toute égalité,
dans la justice et
la fraternité. (...)
Je suis venu porteur
d’un rameau d’olivier
et d’un fusil de
révolutionnaire.
Ne laissez pas tomber
le rameau de ma main. »
13 novembre 1974, devant
l’Assemblée générale
de l’ONU.
« Je
demande
aux
dirigeants
d’Israël
/
de venir ici,
sous l’égide
des Nations
unies, pour a1
1994 : Yasser Arafat entre en Palestine, pour la première fois depuis 27 ans, mais légalement. Il est accueilli dans une liesse indescriptible à Gaza.
que nous
accomplis- Tout d’abord un
souvenir parmi
le lorsque l’intérêt de mon peuple
est en jeu ».
Comment écrire, transmettre, de
façon même infime, la jubilation
cent qu’enfin débarrassés du poten-
tat nous allons accéder à la recon-
tout à la fois « historique » et bana-
lement humain qui nous affirmait,
bureau, dans la né souffle à nos vies des années d’ainsi ramener nos noms effacés que nous le connaissions car il nous l’un des citoyens dont il avait la res-
Déclaration devant
banlieue de la plus tôt. Coïncidant avec nos vingt de Palestiniens en commençant ressemblait intimement, par sa cha- ponsabilité ; un stratège qui, affir-
l’Assemblée générale capitale. Le but déclaré de ma visi- ans, la déroute de juin 1967 s’était par nous proclamer résistants. leur humaine jamais feinte, son hos- mant citer Marx, déclamait du
de l’ONU, te : l’interviewer après sa sortie alors confondue avec la terrible Le Palestinien qui disparaît
13 décembre 1988. sain et sauf du siège de la ville de désillusion d’un avenir qui nous aujourd’hui aura beau être qualifié
Tripoli au nord Liban. La raison apparaissait soudain enchaîné, de chef historique, de symbole de Il nous ressemble intimement, par sa chaleur
secrète, intime, très « enfantine » voué à répéter notre passé immé- la lutte palestinienne, de pragmati-
« Le Conseil national
palestinien réaffirme
de mon voyage, est tout autre : lui diat, ce temps immobile, comme que chevronné, de lutteur « increva- humaine jamais feinte, son hospitalité simple,
dire combien nous sommes bles- noyé dans la tristesse silencieuse ble », d’interlocuteur incontourna-
la nécessité de :
1. Réunir une conférence
sés par les rebuffades et les humi- de nos parents et de nos aînés. ble, de dirigeant retors peu enclin à sa profonde conviction d’être l’enfant d’une
liations qu’il subit, combien son Ce jour-là, la Résistance palesti- partager ses pouvoirs, il demeurera
internationale sur le
Proche-Orient et sur
nouveau statut de paria nous est nienne naissante proclama « l’avè- pour moi, pour nous, le résistant terre des rencontres et non des exclusions
insupportable, lui redire aussi que nement du climat révolutionnaire », qui, par-delà louanges et critiques,
son problème central : nous nous tenons à ses côtés, qu’il fondées ou irrecevables, ne s’est
la question de la Palestine. peut compter sur nous. jamais renié quand l’essentiel était pitalité simple, sa profonde convic- Machiavel ; un chef qui n’acceptait
(...) La conférence doit
être convoquée sur
Il me reçoit comme d’habitude Yasser Arafat en jeu : ramener son peuple à la visi- tion d’être l’enfant d’une terre des jamais d’entamer un repas avant
avec affection, puis, me demande bilité et le sortir de l’absence forcée rencontres et non des exclusions, de servir lui-même ses hommes ;
la base des résolutions
242 et 338 du Conseil
d’emblée : « Pourquoi as-tu a mené le combat dans laquelle ses ennemis avaient son obstination calme, sa longue un résistant qui, après des nuits de
tellement tardé à venir me voir ? » rêvé de le voir disparaître. patience et son profond désir de débats interminables et passion-
de sécurité de l’ONU...
2. Assurer le retrait
et comme je lui réponds que cela des siens Et s’il me fallait résumer en une solution d’un conflit réputé insolu- nés, suspendait les séances du
ne fait que quelques semaines que phrase, une seule, les décennies de ble. Conseil national, notre Parlement
d’Israël de tous les
territoires palestiniens
je n’ai donné signe de vie, il m’in- pour la reconquête fureur et de sang traversées par le Les Palestiniens perdent en ces en exil, pour que nous écoutions,
terrompt en riant : « Non, cela fait mouvement national palestinien heures l’une de leurs grandes figu- tous, unis et enchantés, Mahmoud
et arabes occupés depuis
1967, y compris la partie
exactement six mois, tu es venu à de leur nom : après 1948, je n’écrirai que ceci : res. D’autres apparaîtront, sûre- Darwich déclamer ses beaux
telle date. N’as-tu pas honte qu’un Yasser Arafat a mené le combat des ment, et que personne ne s’en poèmes.
arabe de Jérusalem
3. (...) Créer un climat
vieux comme moi ait une meilleure Palestiniens siens pour la reconquête de leur inquiète ou ne fasse semblant de Que la paix soit sur toi, Yasser
mémoire que toi ? Je te verrai ce nom, Palestiniens, et les tirer ainsi s’en inquiéter. Les Israéliens aussi, Arafat. Et que, demain, ta pierre
favorable à la réalisation soir, quand tout le monde sera parti de l’effacement imposé vers la visi- certains s’en rendent compte, tombale porte, gravés, ces mots
d’un règlement politique et que nous pourrons parler mais nous n’entendions que l’an- bilité, évidence incontournable d’autres s’en réjouissent, sont sur simples : « Ici repose un homme
global, à l’établissement calmement. » nonce de temps où il ferait tout qu’ils existaient et que leurs droits le point de perdre l’interlocuteur aimé de son peuple. »
de la paix et de la sécurité En guise de soir, c’est quasiment simplement beau dans nos vies. étaient identiques à ceux de tous qui avait réussi à persuader son
pour tous par accords la nuit entière que je passai à atten- Par la fierté retrouvée, par la les hommes. peuple que l’heure du partage de
et consentement mutuels, est écrivain et
dre, et c’est à l’aube que je me prise en main de nos petites Aujourd’hui les anciens ennemis la patrie avait sonné et que c’était rédacteur en chef de la Revue
afin que l’Etat palestinien retrouvai face à lui. Je lui dis notre destinées, par nos voix à nouveau sont subitement compatissants et le seul moyen, désormais, pour
soit en mesure d’exercer d’études palestiniennes. Dernier
peine et notre révolte de le voir audibles, par nos rêves juvéniles les analyses et les commentaires que la terre de Palestine revienne à ouvrage paru : Figures du
son autorité nationale ainsi traité tant par ses ennemis de réussir à imposer que le monde pleuvent qui nous décrivent ce que son identité profonde, celle de la
sur ces territoires... Palestinien, identité des origines,
israéliens que par ses frères ara- regardât en face nos beaux visages nous sommes censés ressentir, paix des cœurs réconciliés. identité de devenir, Gallimard
Déclaration du CNP, bes. Mais il m’interrompt : « Sache de résistants venus d’une terre nous mettent en garde contre nos Quant à moi, triste et confiant, « Essais », 300 p., 19,50 ¤.
15 novembre 1988. que je n’ai aucune fierté personnel- disparue. lendemains hasardeux, nous annon- je garderai la figure d’un homme
« Le gouvernement de l’Etat
d’Israël et les délégués de
l’OLP, représentant le peuple
palestinien, conviennent qu’il
est temps de mettre fin à des
décennies de confrontation et
de conflit, de reconnaître
leurs droits légitimes et
politiques mutuels,
de s’efforcer de vivre dans
la coexistence pacifique, (...)
et de réaliser un accord de
a N 1976 : Après Israël, paix équitable, durable et
a O 1976 : La guerre au Liban fait rage. Au sommet arabe de Riyad, la Syrie se tourne elle aussi contre les forces
global, ainsi qu’une
réconciliation historique... »
Yasser Arafat, auquel un strapontin est alloué, affronte l’Egyptien Sadate et le Syrien Assad « palestino-progressistes » au Liban Préambule à l’accord d’Oslo,
24 août 1993.
nouveaux
dirigeants
qui ne
le terroriste
dirigeants, de nouvelles
institutions et de nouveaux
accords de sécurité
avec leurs voisins, les
Etats-Unis défendront
la création d’un Etat
palestinien. »
Déclaration à la Maison
Blanche, le 24 juin 2002.
A
« Yasser Arafat a eu toutes ucun dirigeant palesti-
les occasions de conduire nien n’aura été aussi
son peuple vers la paix longtemps haï et démo-
et n’en a rien fait... » nisé en Israël que
Entretien accordé Yasser Arafat. De la gau-
au Figaro, le 30 mai 2003. che à la droite, une infi-
me minorité d’idéalistes
« J’aimerais voir le président mis à part, il a longtemps incarné le
Arafat dénoncer les activités mal absolu, la menace idéale et
terroristes (...). Le monde consensuelle, la passerelle honnie
libre, le monde civilisé doit entre le nationalisme arabe et l’is-
unir ses forces pour arrêter lamisme mortifère. A l’exception
ce type d’activité. » de la petite parenthèse d’Oslo (et
Conférence de presse encore, pour une partie de la classe
à la Maison Blanche, politique israélienne seulement), le
le 1er avril 2002. chef de l’Organisation de libération
de la Palestine (OLP) aura donc été
de tout temps l’« ennemi ». Dès
son apparition sur la scène
« J'écris politique, nombre de dirigeants
dans mon
/
sassins. » A cette époque, le chef de de pouvoirs locaux alternatifs à tion des deux Etats. D’ailleurs, l’at-
« Le l’OLP cristallise sur sa personne
l’impact qu’eut en Israël la publica-
l’OLP ; de la tolérance envers des
mouvements islamistes situés dans
la passerelle honnie entre le nationalisme tachement au « droit du retour »
des réfugiés, que réclament les
président tion, en 1964, de la Charte de l’OLP, l’orbite des Frères musulmans égyp- arabe et l’islamisme mortifère Palestiniens, ne démontre-t-il pas
qui se fixe comme objectif la des- tiens pour contrer les nationalistes leur volonté de détruire Israël ? Elu
Arafat truction de l’Etat juif, et qui se tra-
duisit sur le terrain par des coups
palestiniens, au début des années
1970, au projet d’un Conseil de sein. Il est à leurs yeux l’allié de lien, Itzhak Rabin, dans les jardins
du camp de la paix un an plus tôt,
M. Barak est d’autant plus crédible
restera de main et des opérations terroris-
tes qui jalonnent le début des
l’autonomie, à leur fin. Cette
constante – éviter toute reconnais-
celui qui bombarde Israël de Scud
pendant les premiers jours de l’in-
de la Maison Blanche, pour para-
pher les accords d’Oslo. Celui qui
quand il assure qu’il a « démasqué
le vrai Arafat », incapable de s’enga-
en Israël, son ministre de la défen- min Nétanyahou jusqu’en le cours nouveau du terrorisme
se, Ariel Sharon, entraîne le gouver- juin 1999, et Ehoud Barak, jusqu’au international, Yasser Arafat est
nement dirigé par Menahem Begin déclenchement de l’Intifada. Mal- redevenu, pour la plupart des Israé-
dans l’aventure de l’invasion du gré ses critiques et une tactique effi- liens, un « assassin ».
Liban, en 1982. L’opération « Paix cace de pourrissement, le chef du
en Galilée » a pour objectif avoué a 13 S 1993 : avant la poignée de mains historique. Likoud, M. Nétanyahou, ne déroge Gilles Paris
L
es dirigeants arabes dans leur blaient parties du bon pied, mais du Golfe
ensemble n’ont jamais porté elles tournèrent au vinaigre leur fit
Yasser Arafat dans leur cœur. lorsque, en novembre 1977, pre- beaucoup
Trop autonome à leur goût, nant son Parlement de court, en de torts et les incita à revoir
trop rusé, insaisissable, un empê- présence d’un Arafat convoqué leur position »
cheur de tourner en rond. Un d’urgence, le successeur de Nasser (pendant la première guerre
aiguillon qui leur rappelle leur incu- annonce son intention de se rendre du Golfe [1990/1991], Yasser
rie face à la question centrale du à Jérusalem. Abou Ammar crie à la Arafat avait soutenu
conflit israélo-arabe, le problème trahison, persuadé d’être tombé Saddam Hussein).
palestinien, dont se réclament pour- dans un piège pour servir de In Mémoires
tant paradoxalement tous les coups caution à une initiative qui serait (Ed. du Rocher, 1995)
d’Etat ou presque – et ils furent perçue comme une trahison. En
nombreux jusqu’aux années 1970. sacrifiant les Palestiniens sur l’autel
Quatre dirigeants arabes en parti- des intérêts de la seule Egypte, le « Yasser
culier, aujourd’hui décédés, ont traité séparé israélo-égyptien de Arafat est
entretenu avec lui des relations 1979 achève de l’en convaincre. le seul
malaisées, complexes, interactives. C’est néanmoins l’Egypte, alors inter-
Non seulement parce que leurs exclue de la Ligue arabe, à cause locuteur
pays, limitrophes d’Israël, faisaient précisément de ce même traité, possible...
partie du « champ de bataille », que Yasser Arafat gratifie de sa visi- Toute mise
mais aussi parce qu’ils ont tous ten- te en 1983, après son expulsion du en cause
té, avec plus ou moins de poids et nord du Liban. Sadate est mort, physique
de moyens, d’instrumentaliser la assassiné, et Hosni Moubarak, il de ses capacités à négocier
« cause » palestinienne dans leur est vrai, est alors au pouvoir. Mais serait une grave erreur. »
la visite d’Arafat a une valeur hau- Paris, TV5, avril 2002.
tement symbolique. Elle « a ouvert
Il n’a jamais oublié
/
gence d’une direction palestinien- qui ont abandonné les Palestiniens méfiance, sinon aversion récipro- édifier un Etat palestinien indépen- d’expression a un sens, leurs agisse-
ne incontrôlable, qui perturberait à leur sort. que. Le conflit sanglant de 1970, qui dant. » Entre ces deux dates-clés, ments finissent par faire déborder
leurs plans. Ils redoutaient aussi les Le Syrien Hafez El-Assad est le s’est soldé par le départ de l’OLP et Yasser Arafat et Hussein de Jorda- le vase. Yasser Arafat se voit acca-
retombées déstabilisatrices de la
popularité grandissante des
premier visé, qui, depuis des
années, n’a de cesse de chercher à
de son chef, en est bien sûr l’une
des raisons, mais aussi à cause des
nie ont tenté à quelques reprises de
mettre sur le métier un projet de
blé de toutes les fautes : celle de
donner des prétextes à Israël pour
« Yasser
fedayins au sein de leurs opinions
publiques. Pour échapper à toutes
affaiblir le président de l’OLP pour
contrôler lui-même le mouvement,
contacts que le souverain entre-
tient avec les dirigeants israéliens,
confédération jordano-palestinien-
ne. Un projet qui n’est pas étranger
des raids en territoire libanais, en
riposte aux actions des comman-
Arafat
les emprises, Yasser Arafat, à son
tour, a joué l’un contre l’autre,
n’hésitant pas à susciter des scis-
sions au sein même du Fatah et à
de son alliance avec les Etats-Unis,
pays notoirement hostile à l’OLP, et
à ce qu’il n’est pas exagéré de quali-
fier de véritable offensive anti-Ara-
dos palestiniens, celle d’avoir pro-
voqué une alliance entre les milices
est le seul
selon les circonstances.
D’abord adversaire, le tout-puis-
intervenir militairement au Liban,
dès 1976, contre les forces « pales-
de la rivalité qui oppose le monar-
que à cette dernière pour la repré-
fat de Hafez Al-Assad, hanté par
l’idée d’être dépouillé de la carte
chrétiennes et l’Etat juif, celle aussi
de n’avoir pas su ou voulu tenir ses interlocuteur
sant Gamal Abdel Nasser, chantre
égyptien du nationalisme arabe,
tino-progressistes ». Quoi qu’il ait
dit ou qu’il ait omis de dire par
sentation du peuple palestinien.
Yasser Arafat finit par l’emporter
palestinienne et de se voir abandon-
né au bord du chemin d’un éven-
hommes, d’avoir laissé se dévelop-
per de petites officines pratiquant possible...
finit, contraint et forcé, par devenir calcul politique, Arafat n’a sans dou- lorsque, en 1974, un sommet arabe tuel accord de paix jordano-palesti- racket et clientélisme, voire faisant
un allié, parfois décevant, mais à te jamais oublié que Damas et les reconnaît l’OLP comme « unique nien avec Israël. la loi ici et là, quasi-Etat dans l’Etat, Il n’y a pas
qui Yasser Arafat doit sa réconcilia- organisations palestiniennes qu’il représentant du peuple palesti- Au Liban, quatrième pays du celle, enfin, de s’ingérer dans les
tion avec Hussein, le souverain
hachémite, après le sanglant conflit
parraine n’ont fait, en somme, que
parachever le travail commencé par
nien ». Mais ce n’est qu’en
juillet 1988 que Hussein de Jorda-
« champ de bataille », sur lequel ils
s’étaient repliés après leur expul-
affaires intérieures d’un pays au fra-
gile équilibre communautaire.
d’autre force
palestino-jordanien de 1970. Avec
Anouar El-Sadate, les relations sem-
l’armée israélienne un an plus tôt
au Liban, en forçant le dernier carré
nie en tire les conséquences, en pro-
clamant la « rupture des liens légaux
sion de Jordanie, Yasser Arafat et
ses hommes n’ont pas laissé un sou- Mouna Naïm
réelle que
l’OLP qui
se soit
présentée
DE L’« Entité sioniste » à l’acceptation d’iSraËl à l’horizon
DANS LA NUIT de la Saint-Syl- des peuples coloniaux vers leur
vestre 1964, quatre Palestiniens émancipation. Celui-ci, en Afrique politique »
infiltrés en Israël font sauter une comme en Asie, s’accompagne sou-
station de pompage, près d’un vent de la « lutte armée ». Conférence de presse
kibboutz israélien. Depuis qu’Ara- C’est évidemment le cas en Algé-
en Israël, en novembre 1992.
fat a créé son parti, en 1959, c’est la rie, qui va, désormais, servir de réfé-
première action du Fatah à l’inté- rent à Arafat et aux siens. Un réfé-
rieur de l’Etat juif. Abou Ammar rent d’autant plus prégnant après
publie aussitôt un « communiqué
militaire numéro un », signé « com-
1962 que, dans ce cas, la « lutte
armée » du FLN s’est soldée par
« Il faut
mandant général des forces d’Al-Assi-
fa », branche armée du Fatah. Com-
une victoire politique incompara-
ble. C’est à Alger que Yasser Arafat qu’Israël
muniqué militaire, commandant…
Intitulé et signature disent bien
ouvrira, dès 1964, le premier
bureau de liaison officiel du Fatah , s’exprime
comment Arafat et ses compa- alors que tous les régimes arabes
gnons entendent « reconquérir la se méfient de lui (lire ci-dessus). clairement,
Palestine » : la voie est celle de la Que donne la « transposition »
« lutte armée ». du tropisme algérien au cas israé- et vous aussi.
- /
l’intuitif
chute de l’Empire ottoman jusqu’à la fin de
1999, avec une postface sur Camp David et le
début de la seconde intifada. Entre les deux ver-
sions, la situation a beaucoup évolué, qui justi-
fie le titre : en 1984, les Palestiniens, que Baron
fut l’un des premiers à qualifier de « peuple »,
étaient tenus au mieux pour des « réfugiés »,
au pis pour des « terroristes ». Quinze ans plus
tard, ils s’étaient vu reconnaître une identité et
Par Robert Malley
des droits politiques en tant que « peuple ». L’auteur raconte la
conquête de haute lutte de ces droits, collant aux faits et aux condi- Enfermé dans De là découlent les innombra- Wye River, ou même les idées de diplomatique au conflit ; à la diffé-
tions régionales et internationales dans lesquelles elle fut menée. la Mouqata’a, bles incompréhensions dont il aura Clinton ? Il marchait à l’intuition, rence de nombre d’entre eux, il a
Sans fioritures, et avec une concision et une précision remarquables, surveillé, isolé fait l’objet. Depuis Oslo, commen- acceptant un jour ce qu’il repous- maintenu jusqu’au bout la convic-
le fil de l’histoire d’un demi-siècle au Proche-Orient se trouve dérou- et honni, Arafat tateurs américains et israéliens sait un autre, prêt aux compromis tion que la violence, parfois, était le
lé, tant il est vrai que la question palestinienne a été et en demeure aura paradoxa- auront tout affirmé et son contrai- historiques comme aux affronte- meilleur moyen de l’obtenir. Il n’y
le pivot. Seuil « Points Histoire », 832 p., 12 ¤.. lement passé re : qu’il a fait un choix stratégique ments homériques si son flair – qui voyait, du reste, aucune contradic-
ses dernières en faveur de la paix en 1993, mais mieux que tout autre reniflait le tion : lutte armée et diplomatie
années dans un aussi qu’il aurait nié le droit à l’exis- consensus et l’équilibre palesti- furent deux instruments qu’il alter-
Arafat l’irréductible
lieu qui lui était tence d’un Etat juif en 2000. Qu’il niens – le lui indiquait. nait selon les circonstances.
à la fois confor- ne fléchit qu’isolé et sous pression, Ceux qui estiment, y compris par- Ma dernière rencontre avec Ara-
d’Amnon Kapeliouk table et familier. Réceptions à la mais aussi qu’isolé et sous pression mi mes anciens collègues améri- fat remonte au mois de septembre.
Préface de Nelson Mandela. Maison Blanche, tapis rouges il recourt systématiquement à la cains du « peace team », qu’Arafat De ce bâtiment délabré, ombre de
Journaliste israélien vivant à Jérusalem, Amnon déroulés, négociations à Camp violence. Qu’il a été mis sur la tou- a rejeté les idées de Clinton en ce qu’il fut naguère, se dégageait
Kapeliouk a eu le privilège de suivre de très David : cela, au fond, constituait che, mais aussi qu’il dirigeait de décembre 2000 par refus de faire la néanmoins cet arôme de pouvoir,
près, et pratiquement au quotidien, les péripé- l’anomalie et l’exception. L’univers main de maître la partie. Que lui paix avec Israël sont, je le crois, vic- odeur qui y fut toujours. L’écart
ties du conflit israélo-palestinien, d’en côtoyer, tel qu’il se le représentait était seul pouvait faire accepter un plan times d’une coûteuse méprise. entre les deux résumait bien l’état
parfois d’en fréquenter les protagonistes, dont empli d’adversité, de combats, de de paix à son peuple, mais aussi D’autres raisons, la poursuite de des choses : écrasement physique
Yasser Arafat et ses collaborateurs. batailles pour la survie. Sa priorité, qu’il en était le principal obstacle. l’Intifada, la colère palestinienne, du peuple palestinien, réoccupa-
Il lui a fallu quatre ans – mais il aurait souhaité depuis toujours, fut de consolider Que son départ amènerait au pou- bien plus facile à exploiter qu’à tion militaire quasi totale de ses ter-
bénéficier du double, tant le sujet est vaste, dit- le mouvement national et sa posi- voir une génération de chefs prag- apaiser, l’absence de pressions ara- res, isolement international accru,
il – pour publier ce portrait en empathie du pré- tion personnelle – objectifs qu’il ne matiques, mais aussi qu’il condui- bes ou palestiniennes en faveur des d’une part ; détermination, opiniâ-
sident palestinien, qui l’a reçu plus souvent distinguait guère d’ailleurs. Pour rait au chaos et à l’anarchie. propositions américaines, la fin du treté et survie du raïs, de l’autre.
qu’à son tour. Yasser Arafat y apparaît pugnace, téméraire, visionnai- cela, il se posait davantage en créa- La clé pour comprendre Arafat, mandat de Clinton et celle, annon- Une entité nationale à genoux et
re parfois, équilibriste et bénéficiant d’une baraka qui ne lui a prati- ture qu’en créateur de la politique si tant est que l’on puisse le faire, cée, de Barak, ainsi que l’espoir aux abois ; un mouvement natio-
quement jamais fait défaut. Kapeliouk pardonne en quelque sorte à palestinienne, reflet plutôt que pro- est de saisir ce besoin d’être à tout d’arracher de nouvelles conces- nal debout et aguerri. Ces deux
Arafat des fautes que les Palestiniens eux-mêmes pointent pourtant ducteur du consensus national, et, instant en harmonie avec son sions l’y ont poussé. Le statu quo facettes devront faire partie, bien
du doigt, l’exonérant notamment de toute responsabilité ou presque surtout, seul capable de le décryp- peuple, cette crainte innée d’être offrait d’apparents avantages, sûr, du bilan que l’on tracera de
dans la tétanie dont a été frappée l’Autorité palestinienne. L’ouvrage ter. Intuitivement conscient des perçu comme un « Karzaï palesti- signer un accord présentait des ris- l’ère Arafat qui s’achève. Arafat pre-
est riche de détails inédits sur le parcours d’un homme devenu le frontières politiques palestinien- nien », imposé de l’extérieur et fort ques évidents. Comme toujours, il nait plaisir à s’imaginer père de la
symbole de la lutte des Palestiniens et à propos duquel a coulé nes, il évitait toute action suscepti- de son seul soutien. Négocier avec s’est fié à son intuition politique – à nation palestinienne. Ses succes-
beaucoup d’encre. Fayard, 520 p., 24 ¤. ble de mobiliser une majorité Arafat, épreuve pénible, frustrante, tort, hélas. Mais de là à penser qu’il seurs devront agir promptement
contre lui et n’agissait qu’assuré du souvent exaspérante, c’était négo- a agi ainsi par refus délibéré et cal- pour éviter que l’orphelin ne suc-
soutien des forces politiques requi- cier, consciemment ou non, avec culé d’un Etat juif, c’est se mépren- combe à son décès.
Israël-Palestine : ses. Pour un peuple sans Etat, souf-
frant de dislocation et d’émiette-
tout cet arrière-plan, son rejet ou
son approbation d’une proposition
dre sur sa façon d’agir et de penser
et faire abstraction de tout ce qu’il , ancien conseiller
vérités sur un conflit ment, soumis aux agressions à répé-
tition arabes autant qu’israélien-
reflétant souvent davantage sa per-
ception des rapports de forces avec
a entrepris depuis au moins 1988.
Rapports ambigus avec la négo-
spécial du président Clinton
pour les affaires israélo-arabes
d’Alain Gresh nes, divisé entre organisations para- Israël et entre Palestiniens que son ciation, rapports équivoques avec (1998-2001), est directeur
La lettre-clé de l’ouvrage est ce « s » de « véri- militaires et partis politiques, appréciation de son contenu. Sau- la violence aussi. Bien avant la plu- du programme Moyen-Orient
tés », qui, d’entrée de jeu, annonce la couleur. c’était à son avis la condition indis- ra-t-on un jour s’il a réellement part de ses collègues, Arafat s’est de l’International Crisis Group.
L’objectif d’Alain Gresh, grand connaisseur du pensable à la survie. « lu » les accords d’Oslo, ceux de converti à la nécessité d’une issue
Proche-Orient et auteur de nombreux autres
ouvrages sur cette région agitée, étant de
dégager quelques repères essentiels et d’ins-
crire les faits dans leur historicité. Le livre tient
une valeur ajoutée dans le flot de ceux qui
concernent le conflit israélo-palestinien, du fait
qu’il est écrit sous l’influence de l’impact « com-
munautaire » en France du second soulève-
ment populaire palestinien, l’Intifada Al-Aqsa,
et des débats et polémiques sur plusieurs sujets actuels : « spécifici-
té » du peuple juif, poussée de l’antisémitisme communautaire, rap- a 2004 :
port à la Shoah... Fayard, 210 p., 12,50 ¤. Arafat,
enfermé depuis