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Journal de la Société des

Américanistes

Le cerf-peyotl et le cerf-maïs : la chasse, rituel formateur de la «


trinité » huichole
Denis Lemaistre

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Lemaistre Denis. Le cerf-peyotl et le cerf-maïs : la chasse, rituel formateur de la « trinité » huichole. In: Journal de la Société
des Américanistes. Tome 77, 1991. pp. 27-43;

doi : https://doi.org/10.3406/jsa.1991.1371

https://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1991_num_77_1_1371

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Abstract
The Peyote-Deer and the Corn-Deer : Hunting, formative ritual of the Huichol « Trinity ». The ritual and
mythological cycle integrates the deer to a network of identical and differential relationships with the
two other emblematic figures of the cognitive trinity : peyote and corn. Having defined the multi-
dimensions dynamics, notably the political dimension of this network, the author attempts to show
through an ordered description of different moments of the hunt, how cynegetic practice is involved in
community and religious identity.

Résumé
Le cycle mythologique et rituel huichol intègre le cerf à un réseau de relations identitaires et
différentielles avec les deux autres figures emblématiques de la « trinité » cognitive que sont le peyotl
et le maïs. Ayant défini la dynamique ulti-dimensionnelle — et notamment politique — de ce réseau,
l'auteur s'efforce de montrer, par une description ordonnée de différents moments de la chasse,
comment la pratique cynégétique s'inscrit dans le renouvellement de l'identité communautaire et
religieuse. En conclusion l'auteur montre les difficultés de cette chasse rituelle dans un environnement,
métis et agricole, hostile et que le dénouement possible du problème passe nécessairement par des
relais politiques.

Resumen
El venado-peyote y el venado-mais : la caza, ritual formador de la « trinidad» huichol. El ciclo
mitológico y ritual huichol coloca al venado al interior de una red de relaciones, de identidad о de
diferencia, con respecto a las dos otras figuras emblemáticas de la «trinidad» cognoscitiva : el peyote
y el maíz. Después de définir la dinámica multidimensional — y especialmente politica — de esta red,
el autor intenta mostrar, por una descripción ordenada de los distintos momentos de la cacería, como
la prática cinegética se incluye en la renovación de la identidad comunitaria y religiosa. Como
conclusión, el autor muestra las dificultades de la caceria ritual en un entorno mestizo y agrícola hostil
y senala que el posible desenlace del problema pasa por relevos politicos.
LE CERF-PEYOTL ET LE CERF-MAÏS : LA CHASSE,
RITUEL FORMATEUR DE LA « TRINITÉ » HUICHOLE

Denis LEMAISTRE *

Le cycle mythologique et rituel huichol intègre le cerf à un réseau de relations identitaires


et différentielles avec les deux autres figures emblématiques de la « trinité » cognitive que sont
le peyotl et le maïs. Ayant défini la dynamique ulti-dimensionnelle — et notamment politique
— de ce réseau, l'auteur s'efforce de montrer, par une description ordonnée de différents
moments de la chasse, comment la pratique cynégétique s'inscrit dans le renouvellement de
l'identité communautaire et religieuse.
En conclusion l'auteur montre les difficultés de cette chasse rituelle dans un
environnement, métis et agricole, hostile et que le dénouement possible du problème passe
nécessairement par des relais politiques.

El venado-peyote y el venado-mais : la caza, ritual formador de la « trinidad» huichol

El ciclo mitológico y ritual huichol coloca al venado al interior de una red de relaciones,
de identidad о de diferencia, con respecto a las dos otras figuras emblemáticas de la
«trinidad» cognoscitiva : el peyote y el maiz. Después de définir la dinámica
multidimensional — y especialmente politica — de esta red, el autor intenta mostrar, por una
descripción ordenada de los distintos momentos de la caceria, como la prática cinegética se
incluye en la renovación de la identidad comunitaria y religiosa.
Como conclusion, el autor muestra las dificultades de la caceria ritual en un entorno
mestizo y agrícola hostil y senala que el posible desenlace del problema pasa por relevos
politicos.

The Peyote-Deer and the Corn-Deer : Hunting, formative ritual of the Huichol « Trinity »

The ritual and mythological cycle integrates the deer to a network of identical and
differential relationships with the two other emblematic figures of the cognitive trinity :
peyote and corn. Having defined the multi-dimensions dynamics, notably the political
dimension of this network, the author attempts to show through an ordered description of
different moments of the hunt, how cynegetic practice is involved in community and religious
identity.

* Université de Paris VII.

J.S.A. 1991, LXXVII : p. 27 à 43.


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On conclusion the autor demonstrates the difficulties of this ritual hunting, in a hostile
« mestizo » and agricultural environment and states that the resolution of this problem must
necessarily be implemented politically.

Le cerf1 est, conjointement avec le peyotl et le maïs, l'une des trois figures
« emblématiques » de la pensée mythologique huichole. C. Lumholtz, à qui l'on
doit la remarquable découverte de cette trilogie, y voyait la synthèse des trois âges
économiques de la tribu : la chasse, la cueillette, l'agriculture. Mais la clarté de cette
périodisation ne doit pas masquer l'essentiel : leur rôle, ici et maintenant, dans la
production du procès social, festif, et de transmission de la connaissance. Le peyotl,
le cerf et le maïs sont unis par un réseau de correspondances serrées. Le mythe et
le rite nous présentent un cercle de métamorphoses où chaque figure est à la fois
créatrice des autres et créée par elles, comme des vases communiquant à l'infini.
L'identité de chaque figure se définit par sa fluidité, sa perméabilité aux autres. On
peut parler d'une « identité plurielle » : le maïs est aussi sang du cerf, le peyotl, nous
allons le voir, est aussi poudre des ramures du cerf ; et le maïs est « l'enfant-même »
du peyotl, Niwetsika.

LE CERF DANS LA PENSÉE MYTHOLOGIQUE HUICHOLE

Dans le cycle sans cesse à reprendre du renouvellement de la vie, la chasse


huichole du cerf se présente comme un rituel pertinent : insérée entre d'autres
rituels qui la déterminent inéluctablement ou sont à leur tour déterminés par elle.
Il est donc possible de situer la chasse dans la diachronie, en tant que séquence
repérable du cycle porteur de l'identité communautaire, mais aussi dans la
synchronie, puisque les éléments de la trilogie énoncée plus haut sont indissociables,
et qu'à tout moment de ritualité intense, chaque figure engendre les autres et
échange ses signes : la mythologie nous apprend que le Grand-Cerf Paritzika, type
le plus élaboré du Marra Mateawa, « Grand-Cerf à la ramure savante », a mangé
ses bois ; il en a laissé un morceau de la taille d'une boule de peyotl et de la corne,
ne tardèrent pas à naître sept « fleurs », sept jiculis (peyotes) 2. La petite fille-maïs,
elle, pleure comme un faon lorsqu'elle pousse ses premières, minuscules feuilles car
elle grandit comme lui à la saison des pluies. Et les femmes ne moulent-elles pas le
peyotl sur le metáte comme s'il était maïs ?
Les rapports des trois figures sont innombrables et nécessiteraient une étude
fort complexe. Elles se reflètent dans le nierika, le «pouvoir de la vision
surnaturelle » 3, elles se complètent dans une unité dynamique, « kaléidoscopi-
que » ; mais aussi elles s'opposent : le cerf et le peyotl, unis dans une circularité
solaire, à connotation masculine se différencient alors partiellement du maïs, de
« la » maïs — devrait-on dire — dont tout le cycle vital se limite à la saison des
pluies, et présente évidemment une forte connotation féminine.
Pour atténuer cette opposition du cerf et du peyotl d'une part, du maïs d'autre
part, la pensée mythique a créé Niwetsika, «l'enfant-même» qui — tous les
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témoignages des Huicholes concordent — est peyotl et maïs. Mais ce dernier se


dédouble en « enfant » du peyotl et nous ramène quelque peu à la logique de la
périodisation de Lumholtz que nous évoquions en première page.
Il demeure pourtant une non-concordance entre le cycle de la vie du cerf, qui
n'atteint sa maturité qu'après plusieurs années, et le cycle reproductif du maïs qui
se limite aux quatre ou cinq mois de la saison des pluies. Prend alors tout son sens
la remarque d'un marakame (chaman) d'Ocota, qui, un jour ensoleillé du mois
d'août me confiait : « En ce moment, pour le cerf, c'est la nuit ». Littéralement —
et symboliquement — c'est le temps de la saison des pluies où le cerf a perdu sa
ramure, autrement dit ses « bâtons de pouvoir » (muvieris en huichol) 4,
assimilables à ceux des chamans. Le cerf qui « sait » perd, provisoirement, son pouvoir
quand le maïs croît. C'est l'une des raisons sans doute de leur intense inter-relation
dans la pratique symbolique et rituelle. Donnons-en un évident exemple : peu avant
la fête des semailles (Namawita), nommée aussi significativement « fête de l'adieu »
(puisqu'elle est l'ultime fête avant la saison des pluies), les autorités
communautaires ont « retourné les bancs » à la Casa de las autoridades et les ont lavés : cette
inversion et cette purification marquent l'arrêt de toute activité politique et
judiciaire officielle. Les affaires courantes seront traitées à l'intérieur du bureau,
dans l'obscurité, et non plus en public.
Or, la mythologie nous apprend que les autorités politiques tiennent leur
pouvoir du soleil et de ses « messagers » : les cerfs. Les autorités vont donc
accompagner rituellement l'astre et ses mandatés dans leur voyage souterrain,
jusqu'au 4 octobre, où aura lieu la cérémonie inverse (le jour de la San Francisco).
Cette cérémonie se déroule à Teupa, chaos de roches sombres où l'enfant-soleil se
jeta autrefois dans le brasier pour réapparaître, « cinq pas plus tard » à Leunar, la
montagne qui domine l'aire du peyotl, à quelques 500 km. vers l'orient. A partir
seulement de cette cérémonie de Teupa on peut célébrer la dernière série de fêtes,
et notamment celle des semailles.
Le soleil, le peyotl, le cerf s'opposent donc, à ce moment-là, à la nuit, à la
croissance, au maïs, et, plus abstraitement, comme la clarté de la connaissance au
mystère de la vie. Car ce qui lie le peyotl et le cerf, assistants du marakame, c'est
qu'ils sont deux figures, reflétées l'une dans l'autre, de la connaissance spéculative
propre à ce dernier. Donnons-en quelques exemples, pris non pas dans la
mythologie proprement dite (qui demanderait une étude bien plus approfondie)
mais, plus immédiatement dans le comportement même du cerf, tel qu'il est décrit
par les Huicholes.
Le cerf est toujours aux aguets, attentif, dans sa vision et son écoute, au
moindre frémissement. Il ne suffit donc pas d'écrire avec Lumholtz que les
Huicholes ont sacralisé le cerf parce qu'il est « l'emblème de la nourriture et de la
fertilité » 5, mais bien de comprendre qu'il est un ancêtre fondateur et un modèle
de la connaissance. Une société chamanique qui possède une idée très nette de la
communication graduelle avec le monde infra ou extra-sensoriel n'a pas manqué,
par exemple, d'être très impressionnée par les ramures de l'animal : « Les cerfs
possèdent les vertus du marakame ; d'après les Indiens, ils les acquièrent en
mangeant la « poudre » de leurs cornes qu'ils ont frottée contre les arbres. Cette
poudre a les mêmes pouvoirs que ceux du jicuri, étant le peyotl-même 6. Toute la
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mythologie nous le confirme : le cerf (mais qui à cette époque était aussi un homme)
portait le peyotl à l'intérieur de ses cornes : pour le donner aux hommes, il devait
en quelque façon se manger lui-même. Sa lucidité en est issue, mais aussi le danger
de s'en approcher sans purification extrême : le cerf est delicado 7. Le marakame,
émissaire du cerf-héros culturel kauyumari8 , lui-même émissaire des grands
ancêtres fondateurs, en est d'autant plus conscient que son pouvoir à lui réside dans
les plumes de son muvieri (cf. note 4) comme celui du cerf est dans ses ramures.
On pourrait se demander pourquoi le cerf n'est pas tabou et sa consommation
interdite. Mais le cerf lui-même y répond : pour donner le peyotl aux hommes, il
a pratiqué un acte d'auto-cannibalisme partiel. Sa chair — et particulièrement sa
durcification dans les bois — est peyotl : le rituel de la chasse et de la
consommation de sa chair s'ensuit inéluctablement.
S'il était besoin de souligner encore une fois l'équivalence presque absolue du
cerf et du peyotl, il suffirait simplement d'observer un rancho de la sierra : les
morceaux boucanés de cerf sont mis à sécher en colliers exactement comme le
peyotl, au point qu'un œil non-exercé éprouve quelque difficulté à les distinguer. Et,
il y a encore peu de temps, le cerf se « cueillait » au filet tandis que le peyotl se
« chassait » symboliquement avec deux flèches entrecroisées 9. Le rituel de la chasse
et celui de la cueillette échangent leurs signes.
Comme on l'a vu, il n'y a pas identification du cerf et du maïs, seulement
parallélisme reconnu entre croissance du jeune maïs et croissance du jeune faon
pendant la saison des pluies. Néanmoins ils se « nourrissent » réciproquement. Les
grandes fêtes du cycle agricole — qu'elles précèdent les semailles ou la récolte —
ne sont pas concevables sans la sacralisation du maïs par le sang du cerf et la
communion des hommes dans le caldo (bouillon de viande).
Inversement, il est offert au cerf tué des boulettes de pâte de maïs et des tostadas
{tortillas grillées), ainsi que du chocolat qui, comme chez les Aztèques, est un
aliment des dieux. Enfin, les « masques » du cerf et ses ramures viendront renforcer
le pouvoir du calihuey 10, le prestige du marakame et la fécondité des milpas.
On voit donc à quel point les trois figures fondamentales de l'alimentation et de
la culture huicholes sont dialectiquement liées, la disparition éventuelle de l'une
entraînant à plus ou moins long terme la disparition des deux autres en tant que
figures d'identification et d'intégration du groupe.
Mais à présent, suivons les hommes du village de San José-Hayucarita (Là où
croît l'eau), faisant partie de la communauté de San Andrès-Cohamiata, à la chasse
au cerf.

LA PRATIQUE RITUELLE DE LA CHASSE

Une géographie mythique

Les terrains de chasse englobent une superficie beaucoup plus vaste que les
terres communautaires, et extérieure à celle-ci.
Il n'y a plus de cerfs sur le territoire de la communauté. Les raisons de cette
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disparition sont de nature politique : la superficie de la communauté s'est réduite


considérablement, depuis quarante ans surtout, sous la pression des ejidos 1 1 métis.
Mais il y a aussi des raisons purement cynégétiques : l'usage maintenant répandu
du fusil et même du revolver, a pour conséquence un trop grand nombre de prises,
et notamment de biches en gestation, qui diminue graduellement la population.
La pratique de la chasse est donc de plus en plus problématique. Nous en
exposerons davantage les raisons dans l'ultime partie de cet article. D'autre part la
mythologie huichole de l'espace, qui nourrit tout le rituel cynégétique, signale un
territoire s'étendant en étoile vers de larges parties des états de Jalisco, Zacatecas,
Nayarit et Durango. Elle nous montre une vaste occupation de l'espace avant la
Conquista... et surtout avant les quarante dernières années.
La conscience mythique contredit donc la réalité administrative : les grottes,
sommets, points d'eau liés aux plus anciens mythes de la tribu sont si nombreux sur
les terrains de la chasse qu'il faudrait vraiment que les Huicholes perdent leur
conscience historique pour renoncer à chasser en ces lieux. Tout espace où vit le
cerf est d'ailleurs marqué d'une « Porte » (Kitenié), faite de roches gravées de signes
solaires et peyotiques.
Le choix du terrain dépend de paramètres politiques, financiers et religieux. Les
chasseurs évitent de camper trop près des ejidos et se concertent sur le prix du
voyage à régler au camionneur, d'autant plus élevé que le territoire choisi sera
éloigné.
L'espace choisi peut aussi signifier la préférence du groupe, ou du marakame :
telle terre peut être plus dense de mythologie clanique ou davantage porter les rêves
nocturnes du marakame. C'est ainsi que le groupe de calihuey de San José se
reconnaît très lié à tout le territoire de chasse qui entoure la grotte ďUtutawita. Ici
l'antique chef Marra Kwarri a veillé avec ses compagnons en ces temps difficiles et
éloignés où les Huicholes n'avaient ni peyotl ni maïs. Ils racontent que les deux
sœurs de Marra Kwarri « prises dans un tourbillon » partirent là-bas, au pays du
peyotl. La plus jeune y resta, « refroidie ». L'autre, après tout un trajet initiatique,
rapporta les premiers peyotes avec lesquels Marra Kwarri put chanter et chasser les
premiers cerfs.
L'espace ďUtutawita est donc riche de la présence conjugée des deux grandes
figures emblématiques de la connaissance. La grotte elle-même est creusée au flanc
presque vertical d'une falaise au sommet de laquelle se dresse parfois, dit-on, un
grand cerf. Un peu en contrebas, une grosse roche au sommet aplani émerge du
chaos de pierres : Ta Tewarisie, « Là-haut où est notre Grand-Père » (le feu). Au
pied il y a une fleur unique, en forme de coupe allongée, de couleur jaune
blanchâtre avec quelques touches de brun clair, effloraison d'une sorte de racine
noueuse au bois noir et funèbre, s'étirant horizontalement dans les interstices de la
roche : « Ne la coupe pas surtout ! Ne la touche pas ! » C'est la plante Kieri,
autrefois ennemie du peyotl et vaincue par lui, et qui renferme une poudre jaune,
un peu comme celle contenue dans les cornes du cerf. Mais celle-là peut rendre fou.
Seuls certains marakate peuvent l'utiliser 12.
Un peu plus haut sur la paroi rocheuse, le marakame ira seul avec quelques
jicareros 13 vers Wawatsata, la grotte du grand cerf Wawatsari 14. En face, de l'autre
côté de la vallée, on distingue deux collines : Aitunita (montagne ronde) et
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Yiirатака (montagne du bourgeonnement). Plus loin à gauche Marra Manaka (où


repose le cerf) et à droite Uarra Manaka (où repose Uarra Huimari, jeune champ
de maïs, la sœur de Marra Kwarri qui rapporta le peyotl). Les témoins de pierre et
d'eau de la vieille histoire huichole nous entourent de tous côtés.

Préparatifs rituels de la chasse

Une chasse dure le plus souvent cinq jours, ce chiffre étant sacré (quatre points
cardinaux et le centre). Mais, en cas d'insuccès, elle peut se prolonger beaucoup
plus longtemps et devenir alors épuisante. Car les dieux décident que la chasse est
accomplie, non les hommes : « Ils ne cessent de poursuivre les pièces nécessaires car
ils affirment que le prêtre continue à prier jusqu'à ce que le feu dise : 'oui' » 15.
Le feu et également les vainuri 16. Le vainuri est une flèche emplumée, munie
d'un nierika (cf. note 3) de corde, symbolisant le « piège » pour le cerf, et traversée
d'un petit sac contenant du tabac. Chaque groupe familial représenté dans la chasse
est porteur d'un vainuri, symbole de son appartenance chamanique au feu, puisque
le tabac est la nourriture privilégiée de ce dernier. Le calihuey aussi est représenté
par un vainuri. Il faudra donc chasser autant de cerfs qu'il y a de vainuri, ce qui a
pour conséquence la multiplication des chants nocturnes : le représentant de chaque
rancho, de chaque famille doit chanter toute la nuit quand vient son tour : demain
on chassera « son » cerf.
Le marakame propose parfois un prolongement de la chasse suivant un
engagement très strict : si la chasse devait être de cinq jours, elle sera prolongée
d'autant de jours.

Les Offrandes : dès l'aube, à jeun, les chasseurs se mettent en marche depuis un
petit village métis autrefois terre huichole. Ils s'arrêtent en plein pâturage autour
d'un petit tas de fagots brûlés : Marra Kwarri Matinieri, où les ancêtres qui
cherchaient le feu se reposèrent. Ils y laissent des coupes votives (rukurf), peintes à
la cire, représentant des cerfs, des croix, des serpents, des scorpions, des enfants,
figurant des vœux de fertilité, de santé, de richesse. Ils y offrent aussi des petites
flèches de bambou, peintes de motifs symboliques et géométriques rouges, bleus,
noirs, et de la farine de maïs, du sel, du chocolat que l'on répand aux quatre vents.
Ils prient selon ce curieux rythme discordant où chacun prie pour soi, même si la
prière est collective. Puis, à la sortie d'un hameau de petites maisons de bois, ils se
rassemblent autour d'un trou d'eau saumâtre : Haurita (où est le cierge). Ce n'est
pas la limpidité qui est recherchée, mais la permanence que marque aussi l'éternel
retour des pèlerins sur le chemin où les ancêtres firent halte. On y dépose une autre
série d'offrandes. Le marakame bénit chacun avec ses muvieri et on boit cette eau
dans sa main, on s'en frotte le visage et on en frotte ardemment les autres.
Le chemin continue, de plus en plus escarpé, vers le cœur d'une puissante
falaise : Ututawita, visite obligée avant de chercher Ta Matz, « Notre-Frère Aîné »,
le cerf. C'est aussi le dernier lieu sacré où se rendent les gens de San José avant la
proche grande fête au calihuey. Ils se sont déjà rendus à Teacata, à l'est, « La
Mecque » huichole, comme l'appelait Lumholtz ; puis à Haramara, à l'ouest, d'où
est venue toute vie : l'Océan Pacifique ; ensuite à Rapaviyemeta, sur le lac de
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Chápala, au sud. Maintenant, voici le nord : Ututawita. Avant d'y pénétrer, tout
le groupe s'asseoit à l'orée d'un bois pour confectionner des offrandes qui auront
d'autant plus de pouvoir qu'elles seront neuves et fraîches.
Le marakame coupe une feuille en forme de palme effilée, la tord en cercle, y
coud du fil bleu et fabrique en quelques minutes un très joli bracelet. \Jnjicarero X1
confectionne un fusil miniature dans un petit morceau de bois. Un autre, collant
de la cire sur un morceau de carton, compose un nama 18 représentant un cerf bleu
{Marra Yuavi, forme métaphorique du cerf-interlocuteur des chamanes, Kauyu-
marî) à l'intérieur de la queue rouge et un nierika (cf. note 3) rouge également.
Les pèlerins montent maintenant le long de la paroi rocheuse ; Ytirûkuakame, le
porteur des bâtons de pouvoir, en tête. Ututawita apparaît enfin, grand
renfoncement dans la falaise, où l'érosion a créé une double arcade dentelée très haute, ce
qui accentue la ressemblance avec un temple naturel. La paroi est tapissée de
fougères perlées de gouttes d'eau de source qu'ils appellent Uarra ktipaya, la
« chevelure » de Uarra Huimari, sœur de Marra Kwarri. La roche monte en escalier
vers l'obscurité du fond, finissant par former une sorte d'autel où sont déposées des
myriades d'anciennes offrandes : flèches plantées jusque dans les fougères, coupes
votives de toutes tailles, flèches portant des namas tissés de fils de couleur, nierikas
à rayons formant une roue, tablas représentant des cerfs (bleus, rouges, jaunes),
chromo minuscule de l'apôtre Saint Jacques, fleurs blanches.
Alors s'allument les cierges et montent les prières ; les officiants s'aspergent
d'eau sacrée et remplissent les flacons de cette eau éternelle qu'ils utiliseront ensuite
dans toutes les cérémonies (baptêmes, maladies, fêtes communautaires). Mais, en
ces lieux où la dangereuse plante Kieri embrasse la pierre où vécut Ta Tewari,
« Grand-Père le Feu », est-il étonnant de trouver des indices de magie noire ? Il
s'agit, bien cachés dans le fouillis végétal, de deux objets soigneusement enveloppés
de tissu et de coton : dans l'un on découvre des cheveux, apparemment de personne
âgée, dans l'autre une peau de vipère : « mal » disent-ils. Comme il pourrait être
dangereux de défaire ce qui est fait, l'homme replace les deux paquets dans la
végétation : à aucun moment il ne les a touchés avec les mains, mais seulement du
bout de sa machette.
Plus tard dans l'après-midi, ils se dirigeront vers deux sources naturelles dont
ils nomment l'ensemble Aictitsita. Ils y apporteront des flèches et des coupes
votives. La seconde source consiste en une longue fente de près de dix mètres
creusée verticalement dans la roche et « chapeautée » d'une énorme pierre. L'eau
goutte sans cesse sur la mouse comme à Ututawita. Tout en bas il y a une minuscule
arcade à la forme ovale presque parfaite, qui permet de laisser les offrandes à l'intérieur
et de les faire bénir à chaque seconde par les fraîches gouttes qui tombent du sommet.
Cette minuscule cathédrale engloutie parait garder en elle un secret déposé là depuis la
jeunesse de l'humanité. « Baigne-toi bien » ordonne le marakame.

Les chants : l'homme s'assied en tailleur. Maintenant il se tait. Bientôt les


compagnons de chasse s'endormiront autour du foyer.
L'homme regarde les flammes, toujours en silence. Elles sont comme les bois du
cerf, elles sont les muvieri du feu, ses « bâtons à plumes ». Lui aussi tient ses muvieri
dans sa main : il est le porte-parole du groupe des chasseurs.
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Puis une sorte de bourdonnement sort de lui, qui peu à peu se transmue : le long
chant nocturne commence.
Il est dit dans le chant :
« Là où la coupe votive nous montre
Là où notre flèche nous montre
Car seuls nous ne pouvons pas »

Le chant est comme cette coupe, comme cette flèche : il cherche à capter une
connaissance à travers la perception consciente de flux énergétiques : à l'instar des
ramures des cerfs, les muvieri du chanteur lui montrent s'il suit le bon chemin. Plus
tard dans la nuit la voix se fera lente, solennelle :
« Oui vraiment, le chant des fleurs, le chant des cerfs s'approche, se transmet dans le
muvieri 19.

En citant ces quelques éléments du chant que nous avons recueilli, nous voulons
seulement montrer que le cantador cherche, avec un objectif précis — la recherche
des cerfs du lendemain — à recueillir un savoir dont il sait qu'il restera inefficace
s'il ne parvient pas à se transmettre concrètement aux symboles de pouvoir que
représentent les muvieri. « Seuls nous ne pouvons pas » : ce constat sans illusions
revient dans nombre de chants.
A cette impuissance reconnue, on remédie en partie par la pratique de la
Costumbre 20 : le chant le dit expressément.
La Costumbre est sacrifice : le cantador commence souvent son exposé aux
ancêtres par un compte-rendu détaillé de toutes les offrandes animales récentes : le
sang frais aussi est un message.
La Costumbre est mémoire : le chant de chasse recherche le modèle culturel, en
traque les traces dans le nierika (cf. note 3) qui reflétera de plus en plus
d'informations « vers deux heures du matin » — disent les Huicholes — à cette
heure qu'ils appellent Pari 21 et qui marque le point, l'étincelle unissant la nuit au
jour.
Le modèle culturel apparaît dans le principe primordial de la connaissance : le
feu. Il s'agit de l'intermédiaire, du messager : le « cerf bleu », Kauyumari, le « jeune
faon du soleil » 22 :
« Là-bas le chevreuil bleu a fait claquer ses sabots
Nous les entendons »

Kauyumari n'est pas parfait : Ta Matzika, « Notre-Frère Aîné ». En lui le huichol


se projette, s'identifie. Lui aussi a connu la tentation, l'erreur, au point que le
chanteur le nomme parfois : « Le Trompeur ». Mais il a réussi pourtant, à travers son
« double » : Marra Kwarri qui a finalement, si difficilement, conquis le peyotl et le cerf.
Tout le chant cherche à retracer ce chemin, ses carrefours, les retours en arrière,
l'avancée finale : « Ils firent un autre pas » dit le chant. « Pour eux ce n'était pas
si difficile » commente parfois le chanteur, qui se nomme « votre descendant ».
Kauyumari, c'est peut-être avant tout la parole ou plutôt ce précipité de tous les
paradigmes de la paroles : le chant 23. Marra Kwarri, double actif de Kauyumari
serait celui qui a su comment faire passer la parole en acte, puis en rituel.
LE CERF-PEYOTL ET LE CERF-MAÏS 35

De même la preuve, l'épreuve du chant du marakame, ce sera la chasse du


lendemain. Tout son talent consiste à recueillir un savoir concret : où les cerfs se
cachent-ils? Qui sont-ils? Sont-ce des femelles, des mâles? Dans ce dernier cas
ont-ils de grands bois ? Il n'est pas seul : le groupe des chasseurs le contrôle et il
devra leur « traduire », peu avant l'aube, ce qu'ils a appris en s'efforçant de
comprendre toute la nuit l'enseignement du chemin, quelque peu labyrinthique, des
ancêtres 24.
Voici un exemple entendu du « savoir concret » obtenu à la suite du long
dialogue nocturne : le marakame a vu un namakáme.
Dans les temps anciens Namakáme, c'est « la maman du peyotl » 25 qui va poser
pièges et épreuves aux premiers chercheurs de la « petite rose » 26. Mais, plus
généralement inama = cacher, couvrir) le namakáme désigne, un peu comme un
masque, une identité qui en cache une autre. Si, dans le cadre de la chasse, le
chanteur voit namakáme, c'est qu'il voit un cerf, en tant qu'il en annonce un autre :
un jeune cerf sans ramure apparaît d'abord. Le marakame comprend alors qu'il est
comme l'envoyé d'un cerf à grande ramure, un Marra Mateawa 27 dont le plus
prestigieux est Paritsika, le Grand Cerf, le plus savant, celui qui a laissé le peyotl
aux hommes.
A partir de ce moment le marakame peut décider de faire durer la chasse jusqu'à
la capture de Paritsika. C'est un élément important pour comprendre l'excès
cynégétique des Huicholes qui affole tant les teihuari, les étrangers : tant que la
réalité ne « colle » pas avec la vision, les chasseurs continuent à tuer d'autres cerfs.
De cette concordance dépend le prestige, le renouvellement du pouvoir du
marakame. Il sera confusément désigné comme le premier responsable si la chasse
est infructueuse. Aussi son chant doit-il être un composé très subtil de son savoir
mythologique, de sa connaissance écologique du lieu où il chasse, et de son propre
nierika : sa vision. Alors il peut chanter :
« Levez-vous, vous qui êtes cachés, n'ayez aucune crainte,
Levez-vous, mes frères aînés, levez-vous,
Êtres de savoir, mes maîtres,
Levez-vous de derrière la colline ! »

Rituels pendant et après la chasse

Le rituel des jours de chasse est extrêmement codifié : rien ne peut être laissé au
hasard pour la réussite de l'entreprise. Les femmes restées au village sont astreintes
à des interdits alimentaires et sexuels, et tentent de correspondre avec les chasseurs
éloignés par la prière et l'offrande.
Les chasseurs, eux, peuvent se diviser en trois catégories suivant le rôle qu'ils
ont à remplir :
— Le xaurishikame est le premier des jicareros (cf. définition lignes suivantes) et
il est un peu à part, en ce sens qu'il doit être le penseur, l'organisateur, et donc le
chanteur principal de la chasse. Il peut pourtant arriver que le xaurishikame, jugé
insuffisant ou chanteur inefficace, soit « relayé » par un autre des principaux
jicareros.
36 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES

— Les jicareros, c'est-à-dire les porteurs de jicaras, de coupes votives {rukuri en


huichol). Il s'agit des titulaires d'une charge au sein du Calihuey (cf. note 10) de San
José, qu'ils doivent assumer pendant une période de cinq ans. Chacun d'eux est
responsable d'un rukuri dédié à un ancêtre, à une eau lustrale, à un lieu particuliers.
Toute décision de nature politique ou religieuse passe par le groupe des jicareros.
Être jicarero n'est pas un travail de tout repos ; c'est une charge dure et de plus en
plus onéreuse : sacrifices d'animaux, dépenses festives, nombreux voyages aux lieux
du culte, parfois fort éloignés. Le système des jicareros montre à l'évidence la
séparation des pouvoirs économique et politique dans la pensée communautaire
traditionnelle.
Les jicareros sont au moins une trentaine par Calihuey. Nous ne citerons que
ceux qui nous ont paru les plus chargés d'activité rituelle :
— Le xaurishikame, déjà cité.
— Uù'rù'kuakame, « le Porteur de Flèches », c'est à dire également les varas, les
« bâtons de pouvoir » en bois du Brésil. Ce jicarero marche souvent en tête du
groupe lors du pèlerinage au peyotl et pendant la chasse. En simplifiant un peu, on
peut le présenter comme le guide politique du groupe dont le xaurishikame serait
le guide religieux.
— Le Ta Tewari, représentant le « prince » du chamanisme : le feu. C'est
presque toujours un homme chargé d'expérience, ayant déjà passé par la plupart
des autres charges. Il sera tout désigné pour aider un xaurishikame en cas de
défaillance.
— Le Naurratame, homme d'expérience lui aussi, chargé notamment de
« confesser » les pèlerins du voyage au peyotl et de jeter au feu les petites cordes
à nœuds représentant les fautes sexuelles.
— Le Niwetsika : le maïs-peyotl. Il lui incombe parfois de chanter en sourdine,
parallèlement au chant principal.
— Le Utù'anaka, jicarero représentant la terre associée à l'eau, qui porte en son
sein le principe du maïs.
— Le Werika : l'aigle solitaire, le soleil. Il s'agit souvent d'un homme jeune, à
l'image de l'enfant qui se jeta dans le brasier.
— Le Marra Kwarri, représentant le premier guide du premier voyage des
ancêtres.
— Le Paritsika, dont le rôle est important pendant la chasse puisqu'il
personnifie le Grand Cerf-Peyotl de la mythologie.
— Le Haramara, représentant la « mère » d'où toute vie est issue : l'Océan
Pacifique.

La liste complète des jicareros demanderait un article entier. Nous nous


contenterons de remarquer que chacun d'entre eux est tenu de veiller à sa jicara :
un oubli, une négligence peut entraîner un « châtiment » qui, disent-ils, retomberait
sur l'ensemble du groupe.
— Le troisième groupe fonctionnel dans la répartition des tâches est constitué
LE CERF-PEYOTL ET LE CERF-MAÏS 37

par les jeunes. Ils ne sont pas encore jicareros, sont considérés comme apprentis et
chargés des besognes domestiques : surveiller l'ordre du campement, recueillir le
bois à brûler, dépecer l'animal sacrifié et couper la viande. L'ethnographe que je
suis s'est inséré dans ce groupe actif. D'ailleurs, les jicareros m'y encouragent.
Lorsqu'un cerf est tué, il s'agit de l'accueillir et de le faire passer rituellement
de son état delicado (cf. note 7) à une situation qui le rende propre à l'appropriation
et à la consommation. L'intensité et la minutie du rituel varie selon la force de
l'animal : son âge et son sexe. Mais il est des gestes de respect et de tendresse pour
tous. L'animal est déposé devant le trapèze improvisé qui porte les varas, les
« bâtons de commandement », symboles privilégiés du prestige du Calihuey et des
différents ranchos représentés. La tête est en général tournée vers l'orient : Viricuta,
le pays du peyotl et des ancêtres-cerfs.
Ce sont de gracieux animaux, au tendre pelage gris-brun, aux longues pattes
légères (« le peyotl, à peine distinguable dans le désert de Viricuta, est comme les
traces légères du cerf » disent-ils) et à petite queue rhomboïdale qui ornera bientôt
les effigies du pouvoir, les poutres des Calihueys, et, parfois, les chapeaux des
chasseurs et des peyoteros.
Le visage du xaurishikame, resté au campement, s'éclaire doucement, un sourire
tendre passe sur ses lèvres ; il parle à sa victime en lui caressant d'abord la tête et
la queue (attributs du pouvoir et de la connaissance) 28, puis toute l'échiné.
Les rares femmes du groupe répandent de petites fleurs entre les cornes,
déposent près de la bouche des tostadas, des fruits, des galettes. S'il s'agit d'un
grand mâle, il reçoit sur l'échiné les « bâtons du commandement ».
Tous les chasseurs se rassemblent alors autour du feu, le xaurishikame au
centre, et allument des cierges, symboles d'« âme » 29, de vie, de métamorphose.
Prière collective, remerciements au cerf pour être venu, aux ancêtres pour avoir
répondu. Chacun trempe, avec empressement, sa flèche (iiriï) dans les flacons d'eau
lustrale et en oint d'abord les « bâtons de commandement », auxquels ont été
accrochés les vainuri (cf. note 16), puis les épis de maïs de chaque couleur30, les
coupes votives {rukuri) et son propre sac de laine ou de fil (cutsiuri). Ils répandent
l'eau également avec les muvieri et des iris.
Tous ces symboles de pouvoir reçoivent aussi le sang du cerf et du chocolat.
Tout cela est d'une minutie presque obsessionnelle. Pour finir, l'on asperge aussi les
fusils d'eau et de sang tout comme le poignet et les joues des chasseurs.
Le cerf a reçu deux peyotes, posés sur ses yeux. Son « âme » peut enfin se libérer
vers l'orient. Pour la pensée huichole, le cerf n'est pas mort, mais enfriado,
« refroidi », à l'image des grands ancêtres qui se sont « refroidis » dans les grottes,
sous forme de concrétions pierreuses 31.
Les jicareros frottent énergiquement des boules de peyotl sur les yeux de
l'animal, sur son museau, sur ses ramures, tout ce par quoi il vivait, sentait, savait,
et surtout sur sa bouche, afin que son « souffle » renforce le pouvoir du peyotl (et,
inversement que ce dernier aide P« âme » dans son grand voyage).
Mais seul un marakame peut réaliser sur le cerf cet acte non médiatisé : aspirer
bouche à bouche son souffle dans l'espoir de recueillir Ytirukame (appelé aussi
tewari, « Grand-Père »), c'est-à-dire une petite pierre, concrétion de l'« âme » d'un
ancêtre, comme une part d'éternité offerte aux plus initiés. Il convient cependant de
38 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES

remarquer que Yilrûkame peut également être tiré de F« haleine » d'un taureau
sacrifié, d'autre part que l'haleine du cerf peut s'offrir aux débuts de l'initiation
d'un marakame (sans qu'il y ait forcément obtention de la pierre). C'est ce que me
contait un marakame d'une autre communauté : « Ta Tei Werika Huimari 32
m'avait envoyé un songe ; j'ai alors rencontré un cerf au bord d'une source. Il
n'avait pas peur. Il m'a laissé approcher. J'ai bu et avalé l'écume qu'il avait des
deux côtés de la bouche. Les deux écumes étaient de couleurs différentes » 33. Et,
plus tard, dans la montagne, le peyotl lui fera rencontrer les cerfs qui se
transformeront en une foule d'hommes, de femmes et d'enfants.
Ainsi se termine la consécration de F« âme » du cerf. Certains jicareros
arrachent délicatement quelques poils de la queue qu'ils rangent dans leur tacuatz
(étui en bambou contenant tous les objets chamaniques). L'on partage alors un
modeste repas de tostadas en veillant à en distribuer d'abord au feu et aux cerfs.
Les jeunes peuvent maintenant se charger de la préparation et de la cuisson des
cerfs. Après avoir retiré la peau très précisément (on la laisse sécher environ 24
heures), ils creusent une ou plusieurs fosses, selon le nombre de prises, et y allument
un feu qu'ils recouvrent de pierres. Lorsque celles-ci sont brûlantes, la viande y est
déposée, protégée ensuite d'une couche d'herbes aromatiques. On recouvre le tout
de terre.
D'autres jeunes lavent les intestins. Le cœur est réservé aux plus initiés, donc en
général aux adultes. Ils consomment une partie du sang à même l'organe et gardent
l'autre pour les fêtes ultérieures.
Commence alors un interminable travail : enfiler les petits morceaux de viande
sur de solides cordes ďixtle (sorte de cactus), afin de les faire sécher. Lorsqu'ils
seront bien secs, ces morceaux ressembleront, à s'y méprendre, aux colliers de
peyotl séché, renforçant l'équivalence symbolique.

Rituel d'accomplissement de la chasse : les «baptêmes» des teucari

Cette équivalence se retrouve dans un acte rituel commun à la chasse et au


voyage vers le peyotl : le choix d'un nouveau nom. Aucun rite ne ressemble
davantage à un jeu, aucun n'est plus gai. Sous les rires et les plaisanteries se cache
l'idée du retour aux origines : pour trouver le peyotl, pour rencontrer le cerf, il faut
avoir le cœur pur — surtout exempt de préoccupations sexuelles — et revenir à un
état d'innocence et d'ouverture, qui était celui de la plupart des grands ancêtres.
Toute la mythologie huichole identifie la naissance et la nomination : ni le feu
ni le soleil ne purent chauffer et éclairer le monde avant que les hommes-animaux
de ces temps-là eussent trouvé leurs noms. Les chasseurs revivent ce principe
chaque année, tout comme les peyoteros.
Les chasseurs proposent des noms pour chacun d'eux. Le groupe en débat
ensuite. Pour certains participants, il est parfois proposé jusqu'à cinq noms avant
de trouver un accord, ce qui déclenche l'hilarité. Le nouveau baptisé doit se lever,
une flèche dans la main, tremper cette flèche dans un flacon d'eau lustrale, se
diriger vers le feu et l'asperger vers les quatre directions ; quand ils voyagent au
peyotl, après la confession, chaque peyotero est secoué, au-dessus du feu, par un
LE CERF-PEYOTL ET LE CERF-MAÏS 39

compagnon « pour que brûle son ancien nom et que le Grand-Père Feu les protège
tous les deux » 34. Dans les deux cas le feu, qui est le premier chaman, a accepté
le nouveau nom en effaçant l'ancien.
Voici quelques uns de ces noms : Uarra Yûri (champ de maïs) qui fut, durant
cette chasse, le nom du xaurishikame ; Muti Wertikti pour Xsjicarero des namakáte
(traduction difficile, qui fait allusion au vautour, oiseau déplumé, car l'homme a
son pantalon en lambeaux !), Muvieri Yuavi (bâton à plumes bleues) pour un autre,
Muku yuavi muyeika awatusa pour le beau-frère du marakame (Ramure blanche qui
chemine dans la colline bleue).
... Et le français, lui, a déjà trois noms. Quoi que puissent signifier ces noms
dans l'ironique esprit huichol, il en est heureux puisque nommer c'est faire naître,
re-connaître. Au village un vieux malicieux l'appelle Werukû Tupiya : Arc de
vautour. Me trouverait-on maigre ? Ou bien serais-je un observateur sans vergogne
qui ne se nourrit que de chair morte ? Je sus plus tard que j'étais dans l'erreur.
A la chasse, mes compagnons me nommèrent Werika Niuquiari, « La Parole de
l'Aigle solitaire ». Je me rengorgeais, roucoulant : « Oh ! N'exagérons rien ! ». Puis
un compagnon m'expliqua : « Tu as de la tumini 35, beaucoup, beaucoup d'argent,
beaucoup de pièces de monnaie. Dessus, chez nous, il y a l'aigle qui fond sur le
serpent. Nous, nous les collons sur les croix, sur les coupes votives, pour les offrir
aux « dieux » 36. Ce sont comme des paroles que nous leur adressons, comme des
prières... ».
Mais le nom que le français revendique le plus fut un nom commun : teucari
(qui veut dire à la fois Grand-père et petit-fils) 37.
Ainsi s'interpellent les compagnons de chasse et les compagnons de la route du
peyotl : alliance forte, mais provisoire.

PROBLÈMES POLITIQUES DE LA CHASSE

Ces collines où ils chassent, ces grottes et ces sources par où passèrent les
ancêtres à la recherche du feu et de la connaissance, ne leur appartiennent plus.
Elles font partie de ces terres que les communautés huicholes ont perdues,
particulièrement au cours des quarante dernières années. Ils y sont devenus des
visiteurs, rarement bienvenus puisqu'ils chassent en se mettant en infraction par
rapport aux lois de protection du gibier et en gênant les éleveurs et agriculteurs
métis des villages avoisinants. Pour eux, les Huicholes qui chassent ne sont que des
braconniers. Avec l'aide de la police et de l'administration, parfois de l'armée, ils
leur font payer très cher leur nécessité rituelle du cerf.
Les groupes de chasseurs savent qu'ils doivent établir des accords avec les
autorités métisses des villages ; il faut se présenter, promettre de ne pas chasser plus
de quelques jours et de quelques bêtes, assurer qu'on paiera au cas où un animal
d'élevage serait tué. Le tepe alcool d'agave local, s'échange pour sceller le contrat.
Mais combien de temps encore ce genre d'accord pourra-t-il durer ? Les autorités
des villages ont peur de l'armée (qui profite du trafic de marijuana pour arrêter les
40 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES

chasseurs et confisquer les fusils, tant demeure grande la méfiance des autorités
vis-à-vis de l'Indien) et sont de plus en plus réticentes à accorder l'autorisation. Si
le xaurishikame du groupe auquel j'ai consacré la majeure partie de cet article
l'avait obtenue, c'est qu'il y était connu depuis longtemps, qu'il n'oubliait jamais
d'offrir une partie de la viande aux autorités villageoises et qu'il faisait du
commerce avec elles... Celles-ci lui ont même proposé d'échanger une camionnette
de deux tonnes contre quinze taureaux reproducteurs. Ce ne serait une bonne
affaire que pour les métis : les taureaux augmenteront leur valeur monétaire tandis
que la camionnette, qui n'était pas toute neuve, en perdra rapidement. Néanmoins
l'offre était tentante et les gens du village le savent : ne possédant pas de véhicule,
le groupe de chasseurs doit en louer pour arriver jusqu'ici (environ huit heures sur
route non revêtue). Cette fois-ci, ils ont payé 300.000 pesos, ce qui représente un
mois de salaire pour un ouvrier agricole de la région. La Costumbre est pénible,
disent souvent les Huicholes. Pénible et chère, de plus en plus chère : comme il a
déjà été dit, avoir des responsabilités politiques est le moyen traditionnel de gagner
du prestige en perdant de l'argent.
Malgré ces dépenses, la chasse s'est bien passée grâce au sens diplomatique du
marakame et il y aura beaucoup de viande de cerf à partager pour la prochaine fete
ďHicuri Neirra (Danse du peyotl). Mais combien d'autres se feront expulser ou
emprisonner, parce qu'ils préfèrent se cacher des autorités du village ? Ceux-là, avec
quelques raisons, se croient encore chez eux (il existe des terres reconnues huicholes
depuis dix ans, par décret de la Présidence de la République, sans que les
« envahisseurs » aient cru bon de s'inquiéter en quoi que ce soit). Ils estiment que
le cerf est là pour eux et qu'ils n'ont de comptes à rendre à personne. De plus, le
cerf se raréfiant et la répression s'accentuant, il se crée une féroce concurrence entre
groupes de chasseurs indigènes : un autre groupe huichol, d'une autre communauté
n'est-il pas passé dire aux autorités que notre groupe avait tué sept cerfs dans le but
apparent de déconsidérer des concurrents ?
Les Huicholes sont donc vus comme des intrus sur cette terre qui leur parle
depuis des siècles. Pourtant, malgré les grosses dépenses occasionnées par la chasse,
malgré la répression militaire qui s'étend jusqu'à San Andrès, au cœur même de la
communauté 38, les Huicholes ont un tel besoin rituel de cerfs qu'ils reviennent
encore sur ces terres des ancêtres.
Mais on peut légitimement se demander si la chasse au cerf n'est pas condamnée
à terme. L'animal, comme les terres des Huicholes, s'est considérablement raréfié ;
les pâturages des espagnols, dès les premiers temps de la colonisation, ont fait
reculer les forêts et donc l'espace des cerfs. Aujourd'hui, l'usage généralisé du fusil,
qui a progressivement remplacé le filet, devient un danger pour la reproduction de
l'espèce : fréquemment une femelle enceinte est tuée. L'équilibre écologique, assuré
encore il y a quelques décennies, est en voie de se rompre. Il faut aller chercher
l'animal de plus en plus loin et les Huicholes se trouvent face à ce dilemme : pour
trouver leur « vie » ils doivent chasser le cerf, mais la chasse actuelle risque de le
faire disparaître, lui qui est leur joie et leur pouvoir.
Certains (dont le propre médecin actuel de la communauté de San Andrès)
veulent trouver des solutions provisoires en repeuplant de cerfs la Sierra Huichole,
ce qui éviterait peut-être, à terme, de chasser sur les terres « étrangères ». Quoiqu'il
LE CERF-PEYOTL ET LE CERF-MAÏS 41

en soit, une réglementation apparaît nécessaire, à laquelle les Huicholes seraient


associés, et non pas faite en dehors d'eux, comme c'est encore trop souvent le cas.
On évitera peut-être ainsi la disparition de Ta Matz, « Notre Frère Aîné ». *

* Manuscrit reçu en septembre 1990, accepté pour publication en mars 1991.

NOTES

1. Marra en huichol. Le nom scientifique est : Odocoileus Virginianus c'est-à-dire le cerf de Virginie,
à queue blanche (Joseph Grimes : « Huichol life form classification » in Anthropological Linguistics, vol.
22 n° 6).
2. F. Benítez : Los Indios de Mexico, tome II : « Los Huicholes », p. 228. Est-ce le fait du hasard si
le nom rituel du cerf chez les Aztèques était Chicome-Xochitl, Sept-Fleurs ?
3. Le nierika (« où l'on peut voir », idée de miroir) est en même temps un concept et un objet.
Concept, c'est le « pouvoir de la vision surnaturelle » (J.Negrin : Acercamiento historko y subjetivo al
huichol, Univ. de Guadalajara, 1986). Comme objet, il peut être d'ordre architectural (linteaux de terre
cuite, percés d'un trou central et situés au-dessus des temples familiaux (xiriquf) dont les « hauts-reliefs »,
gravés des deux côtés du trou, représentent des créatures mythologiques), d'ordre « artisanal » — mais
à finalité religieuse — et consister en un petit cercle de bambou d'où partent des rayons, comme une roue,
et tressé de cercles intérieurs de laine ou de fil. Ce peut aussi être un miroir ou un morceau de miroir.
L'idée commune à toutes ces formes est celle du « trou » à travers lequel les ancêtres d'une part, le
chaman d'autre part, peuvent « voir ».
4. Le muvieri, le « bâton à plumes » est sans doute le plus employé de tous les objets chamaniques.
Chaque chaman en possède plusieurs. Revêtu à son extrémité de plumes de colombe, de vautour, plus
rarement de perruche, de faucon ou d'aigle, il manifeste en même temps le rêve chamanique et la réalité
du pouvoir qu'il enferme, car il est censé se mouvoir seul lorsque le chaman, par son chant, a su « capter »
son énergie.
5. С Lumholtz : Mexico desconocido, tome 2, p. 42 (Ed. I.N.I. , 1986).
6. M. Benzi : Les derniers adorateurs du peyotl, p. 252, note 1, Gallimard.
7. Delicado est un adjectif fréquemment employé par les Huicholes, en espagnol donc, pour désigner
tout ce qui possède un pouvoir magique, donc potentiellement dangereux, et qu'il s'agit, « délicatement »,
de « désamorcer » par la pratique rituelle adéquate.
8. Kauyumari : l'esprit même du cerf et l'interlocuteur privilégié du chaman au cours de son chant
nocturne. C'est un personnage extrêmement riche et complexe, comme l'article tente de le montrer. En
termes ethnologiques plus classiques, il correspondrait à ce que les ethnologues désignent par trickster ou
« héros décepteur ».
9. С Lumholtz, op. cit., p. 41 et 133. F. Benitez, op. cit., p. 562).
10. Calihuey :mot nahua signifiant «Grande Maison» ou «Vieille Maison». Il s'agit du grand
« temple » communautaire.
11. Uejido est défini législativement par la constitution révolutionnaire de 1917. Il s'agit de terres
inaliénables, exploitées collectivement, et dont les paysans ont l'usufruit. Dans le cadre de cette
Constitution, la « communauté indigène » n'est définie que comme une forme particulière de l'ejido.
12. Kieri est marqué d'une intensité fondamentale dans la mythologie et l'histoire des Huicholes. Pour
plus d'informations, on pourra se référer à F. Benitez, op. cit. (bibli, ERA) , l'article de P. Furst et B.
Myerhoff dans El peyote y los Huicholes (éd. Sepsetentas, Mexico), ainsi que deux parutions en français :
J. Negrin : Le chaman-artiste (éd. de l'ambassade du Mexique) et le désormais classique Les derniers
adorateurs du peyotl de M. Benzi (Gallimard, 1972).
13. Jicareros : « gardiens des coupes votives » ainsi que les appelait l'ethnologue germano-américain
R. M. Zingg. Leur rôle politique et rituel sera évoqué largement dans cet article.
14. Ta Matz Wawatsari : « cerf à la ramure ramifiée en huit andouillers » (F. Benítez, op. cit., p. 567).
15. C. Lumholtz, op. cit. , p. 153.
42 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES

16. Malgré mes efforts, je n'ai toujours pas trouvé l'étymologie de ce mot. Je pose pourtant
l'hypothèse qu'il a un rapport avec vai : viande.
17. cf. note 13.
18. Le nama traditionnel (du verbe nama : couvrir, cacher) est une pièce rectangulaire de tissu, brodée
de figures au point de croix, et qu'on accroche aux flèches d'offrande. Lumholtz, encore lui, a
remarquablement analysé l'art religieux huichol du début du siècle ( apparemment plus riche que l'actuel)
dans son livre : El arte simbôlico y decorativo de los Huicholes traduit au Mexique seulement en 1 986, 80
ans après sa première édition américaine (éd. I.N.I.).
19. Les extraits de chants cités ici ont été enregistrés par moi dans la communauté de San Andrès.
Certains m'ont été traduits par un maestro huichol établi dans la ville de Tepic. Notre collaboration se
poursuit mais demeure insuffisante. Plus que jamais, l'ethnologue a besoin du linguiste pour démêler des
problèmes grammaticaux et syntaxiques qui paraissent au premier abord insurmontables.
20. Costumbre : ce mot signifiant infiniment plus que ce qu'on entend en français par tradition, j'ai
préféré le laisser en espagnol. Le mot huichol est Yeiyari : « Le chemin même ».
21. Pari : ce mot, à lui seul, mériterait toute une recherche puisqu'il semble désigner tantôt la lumière,
le jour naissant, tantôt la nuit.
22. J. Negrin : Le chaman-artiste, p. 18.
23. L'idée que Kauyumari est la parole même m'a aussi été suggérée par Juan Negrin.
24. Le marakame n'est pas investi d'une confiance aveugle par ses compagnons et il arrive assez
souvent que quelqu'un lui assène, comme préambule à la discussion qui va suivre, une affirmation
ironique du genre : « Tout ça, c'est de la blague ! ».
25. Information d'un marakame de San José.
26. « La petite rose », la rosita : ainsi les métis voisins des Huicholes désignent-ils le peyotl, peut-être
pour ses petites fleurs légèrement rosées. Mais c'est aussi la traduction du terme affectif par lequel les
Huicholes eux-mêmes désignent la « tête », la boule prête à être consommée : la Tutu, la « fleur même ».
27. Marra : cerf; Mate : savoir, connaître; Awa : corne, bois.
28. Rappelons que le premier guide et chanteur des peyoteros primitifs s'appelle Marra Kwarri :
Queue de Cerf.
29. L'analyse, et la compréhension, de la conception huichole de F« âme », demanderait évidemment
un article entier, sinon un livre. Comme son « champ sémantique » diffère profondément des associations
que ce mot implique en français, nous avons préféré l'insérer entre guillemets.
30. Cinq étant le chiffre huichol par excellence, il y a cinq couleurs « officielles » du maïs : blanc,
jaune, bleu, rouge et pinto, mêlant les couleurs. En fait, il y a aussi du maïs « noir ».
3 1 . Les marakate pensent qu'ils peuvent se transformer en cerfs après leur mort. L'un deux me disait,
en souriant : « Peut-être que les miens me tueront ! Mais mon « âme » ne mourra pas ».
32. Ta : notre ; Тех : mère ; Werika : aigle solitaire ; Huimari : jeune fille. C'est une entité complexe
qui marque bien la subtilité du syncrétisme huichol. En effet, elle présente à la fois des connotations
masculines (l'aigle) et féminines et mêle des attributs indigènes et chrétiens puisqu'elle désigne à la fois
la mère du soleil et la Vierge mexicaine par excellence : la Guadalupana. On dit aussi que c'est l'aigle qui
tient le monde entre ses serres, présidant alors la vie et la mort.
33. Selon R. M. Zingg, l'une des deux « écumes » est le peyotl. R. M. Zingg : Los Huicholes, (I.N.I. ,
1982), note 54, p. 77, tome II.
34. F. Benitez, op. cit., p. 83.
35. Tumini : ainsi la langue wirrarika (huichole) désigne-t-elle l'argent. Le mot est une altération du
nom d'une ancienne monnaie espagnole et a sans doute été introduit dans la sierra avec l'arrivée des
premiers colons et missionnaires franciscains, aux débuts du xvme siècle.
36. L'abstraction impliquée par le mot n'existant pas en langue vernaculaire, je l'ai placé entre
guillemets.
37. Teucari peut signifier également filleul. Mais il y a, dans la pensée et la pratique rituelle une
« réciprocité » évidente entre « grand-père » et « petit-fils » qui implique une théorie de l'« héritage
préférentiel ».
38. En 1988, 28 fusils « 22 long rifle » furent réquisitionnés par l'armée et rendus après « paiement ».
L'intervention de l'armée (début 1988) donna lieu à une plainte officielle de la communauté de San
Andrès qui dénonçait des viols ainsi que des vols et abattages de bovins.
LE CERF-PEYOTL ET LE CERF-MAÏS 43

BIBLIOGRAPHIE

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