DU MANAGEMENT
Anatole France disait « En histoire, il Le management, en tant que discipline, est encore bien
faut se résoudre à beaucoup ignorer ».
En management aussi ! Mais la remise jeune par rapport à d’autres corps académiques comme les
en cause des modèles de direction
d’entreprise et de gestion des hommes
mathématiques, la médecine ou la philosophie, et les historiens
dans un monde en plein bouleversement commencent à peine à analyser son parcours. Il n’existe donc
impose d’avoir les idées claires.
pas de structure communément acceptée pour raconter cette
Et vous, voici combien de temps que
vous n’avez pas ouvert les ouvrages clés
histoire.
de Taylor, Porter, Drucker ou Max Weber
? Vous souvenez-vous encore des
apports de Mc Gregor, Simon, March Nous avons choisi de l’organiser en quatre temps, suivant
ou Beck ? Et ces livres de management
tous neufs qui trônent dans votre
ainsi la préconisation de l’historien Daniel Wren (2004), mais
bibliothèque, avez-vous eu le loisir de en adaptant les trois derniers moments des travaux de Kiechel
les parcourir en profondeur ?
(2012). On abordera le temps pré-managérial, puis l’épisode
Nous non plus ! Prisonniers du quotidien
et passionnés d’actualité, nous
fondateur du management scientifique, ensuite l’apogée du
Le patron de droit divin, un modèle qui a fait son temps…
n’avions pas révisé depuis longtemps managérialisme, et enfin l’époque actuelle qui est un moment
les fondamentaux du management et
avions peine à nous y référer. Alors de remise en question.
nous avons demandé à Fabien De
Geuser, un enseignant-chercheur de
talent qui exerce notamment à ESCP Fabien DE GEUSER
Europe, de nous préparer cette petite
histoire des théories du management.
Le dessinateur Flying Rogers y apporte
sa plume originale et acérée.
SOMMAIRE
Bonne lecture !
4
L’ère pré-managériale : l’apparition du manager
et les nouvelles bases de sa légitimité
6
L’ère de l’exactitude scientifique
et de l’élitisme managérial
8
L’apogée du managérialisme et du management
comme système
12
La crise du management
Fabien De Geuser est Professeur Associé au sein du département Contrôle et Pilotage des
10 Bibliographie
Organisations du campus Paris d’ESCP Europe. Il est titulaire d’un Doctorat ès Sciences
de gestion obtenu en 2006 à HEC Paris sur le sujet « Travail du manager et ergonomie des
instruments de gestion ». Il est en outre diplômé de HEC Paris, d’un DEA de sociologie de
l’université Paris IX Dauphine et d’un DESS d’ergonomie de l’Université Paris I La Sorbonne.
1
LES 10 PRINCIPES DU FONCTIONNEMENT
L’ÈRE PRÉ-MANAGÉRIALE : BUREAUCRATIQUE SELON MAX WEBER :
L’APPARITION DU MANAGER 1 Les individus sont soumis à une autorité uniquement dans le cadre de leurs
2
DE SA LÉGITIMITÉ
Les individus sont répartis dans une hiérarchie d’emplois clairement définie
anciens. Un des plus célèbres est celui d’Amourabi DU MANAGER : 6 La rémunération est fixe, en fonction du grade hiérarchique
HENRI FAYOL
(1800 av. J.-C.) ou encore l’Economique de
Xenophon (362 av. J.-C.). Sun Tsu (500 av. J.-C.),
Machiavel (XVIème), ou Adam Smith et sa fabrique 7 L’emploi est la seule occupation du titulaire
d’aiguilles sont également souvent cités en arrière- Henri Fayol (1841-1925), lui, va se concentrer sur
Logique de carrière : la promotion dépend de l’ancienneté et de l’appréciation
plan historique. Cependant, nombreux sont les le dirigeant et sur la structure des entreprises. Il est 8 des supérieurs hiérarchiques
historiens du management qui mettent en lumière une des rares références françaises dans l’histoire
du management, ce qui a d’ailleurs ralenti sa
le rôle central de Max Weber et de Henri Fayol 9 Les individus ne sont pas propriétaires de leur outil de production
dans la fondation des sciences de gestion. diffusion dans un monde majoritairement anglo-
américain. Pourtant son apport est essentiel.
En effet, Fayol, s’appuyant sur son expérience 10 Les individus sont soumis à un contrôle strict et systématique dans leur travail
LA LÉGITIMITÉ DE de dirigeant d’un groupe d’entreprises minières,
MAX WEBER
différence avec les autres fonctions de l’entreprise
(production, commerciale,…).
POCCC : LES ÉLÉMENTS
Max Weber (1864-1920), sociologue allemand Puis Fayol suggère que ce rôle d’administrateur se
D’ADMINISTRATION SELON FAYOL
connu notamment pour son livre « L’éthique décompose en 5 dimensions : Prévoir, Organiser,
protestante et l’esprit du capitalisme », s’est
intéressé en particulier à ce qui rend acceptable un
Commander, Coordonner et Contrôler. C’est le
PRÉVOIR
célèbre POCCC, qui sera continuellement repris
Imaginer l’avenir et le préparer par un « programme d’actions »
ordre de la part d’une personne envers d’autres. par la suite pour caractériser le travail du manager.
Il en tire une structure théorique pour la notion de Fayol complète l’apport de Weber en mettant en
commandement en distinguant trois sources à la lumière le rôle spécifique du manager, et justifie
ORGANISER
légitimité d’un ordre : la tradition, le charisme et, Munir l’entreprise de tout ce qui est utile à son fonctionnement
alors la nécessité de lui apporter des méthodes et
ce qu’il appelle le rationnel-légal, c’est-à-dire le des outils spécifiques. C’est la tâche à laquelle vont
fait que cet ordre s’appuie sur un raisonnement s’atteler les tenants du management scientifique. COMMANDER
explicite et une référence à des règles, voire des Faire fonctionner le corps social
lois. Cette légitimité rationnelle-légale, prônée par
Weber, fonde l’organisation dite bureaucratique qui COORDONNER
constituera alors l’idéal type à viser pour garantir Mettre l’harmonie entre tous les actes de l’entreprise
l’efficacité, selon Weber. Ce faisant, Weber inscrit
le management à la rencontre entre l’analyse CONTRÔLER
rationnelle et la construction de règles. Vérifier que tout se passe conformément au programme d’actions, aux ordres donnés et aux
principes admis. Signaler les fautes et les erreurs afin qu’on puisse les réparer et éviter leur
répétition
2
observer l’impact sur la productivité (Roethlisberger Humaines mais pour autant cela n’implique en
et Dickson, 1939). rien un système participatif qui concernerait les
ET DE L’ÉLITISME
the girls » dans les études de Hawthorne) dont
la tâche sera de réaliser exactement ce qui
MANAGÉRIAL
leur sera demandé par des managers éclairés
scientifiquement, et dont la légitimité ne pourra
être discutée. D’autre part, ce management est
totalement tourné vers l’intérieur de l’organisation,
et oublie l’environnement.
TAYLOR ET LE L’objectif est de trouver, puis d’imposer, la meilleure
manière de travailler (« one best way »). Taylor et
MANAGEMENT ses disciples (parmi lesquels les époux Gilbreth,
Henry L.Gantt et ses célèbres diagrammes
SCIENTIFIQUE permettant de suivre l’avancée des projets,…)
vont pour cela s’appuyer sur la décomposition
Le management « scientifique », par opposition à des actions en unités de base, et chercher à en
une sorte d’amateurisme qui aurait caractérisé l’ère optimiser les conditions de réalisation tout en
prémanageriale, vise avant tout à augmenter la proposant les systèmes incitatifs les plus adaptés.
productivité à travers une étude systématique des La productivité sera alors fonction de la «
pratiques, et grâce à l’application de démarches scientificisation » des analyses managériales. Taylor
rigoureuses ou « scientifiques ». est souvent considéré comme le fondateur de
Frederick Taylor (1856-1915) en est le représentant toutes les démarches managériales, et la plupart
le plus connu, grâce en particulier à des livres des outils et des pratiques actuelles se réfèrent
comme les Principes du Management Scientifique encore à lui, souvent pour s’en distancer.
(1911).
3
En attendant la génération Z ? ses structures,…) à l’environnement concurrentiel,
à son âge, à sa technologie… Mais ceci confinait
L’APOGÉE DU
le management à un rôle passif : suivre ce que
prescrivait l’environnement.
MANAGÉRIALISME ET DU
Les années 60 remettent l’action managériale
au cœur de la relation entre l’organisation et son
MANAGEMENT COMME
environnement en ouvrant l’ère de la décision et
de la stratégie. Grâce, en particulier, à l’influence
SYSTÈME
des grands cabinets de stratégie, le BCG (Boston
Consulting Group) en tête, vont apparaitre et se
systématiser les grilles d’analyses du portefeuille
DRUCKER
Relations Humaines.
Cette conception constituera un changement
ET LE MANAGEMENT paradigmatique pour le management, résumé
par la célèbre opposition, faite par McGregor
HUMANISTE (1960), entre une théorie dite « X », où l’homme
est considéré comme paresseux et stupide, LES 5 FORCES DE PORTER
Le chercheur incarnant peut être le mieux cette et une théorie « Y » où l’homme souhaite Selon Porter, cinq forces déterminent la structure concurrentielle d’une entreprise :
approche est Peter Drucker (1909-2005). A travers contribuer si l’organisation du travail lui en donne
des livres comme Concept of the Corporation les moyens. De là vont découler les études POUVOIR DE NÉGOCIATION DES CLIENTS
(1946), The Practice of Management (1954) et sur la décentralisation, la responsabilisation,
Managing for Results (1964), Drucker, a amené l’empowerment, mais aussi sur la fixation des POUVOIR DE NÉGOCIATION DES FOURNISSEURS,
le management à considérer chacun comme un objectifs par la négociation, la budgétisation,….
potentiel de créativité (et non pas seulement une qui permettent, selon Drucker et ses disciples, de MENACE DES PRODUITS OU SERVICES DE SUBSTITUTION,
force de travail à motiver et à surveiller), et donc mobiliser le potentiel des individus.
l’organisation comme un ensemble d’individualités MENACE D’ENTRANTS POTENTIELS SUR LE MARCHÉ,
à respecter. Ceci suppose que le rôle du manager
soit d’équilibrer toutes ces individualités qui ne INTENSITÉ DE LA RIVALITÉ ENTRE LES CONCURRENTS.
partagent pas toutes les mêmes objectifs.
4
avantage concurrentiel : c’est l’approche dite Scorecard en 1995 ou plus récemment le Business
Ressource based view of the firm, Wernerfelt, Model Generation de Osterwalder et Pigneur, 2011)
LA CRISE
1984). répondent à ce désarroi cognitif des managers
Puis il faut mobiliser ces collaborateurs, plus divers, face au flux inarrêtable d’information.
DU MANAGEMENT
plus résistants aux règles, et plus contestataires.
t
Pour cela, apparait en particulier le phénomène
du leadership (Bennis, 1989) comme capacité à
INNOVATION ET
pleinement faire adhérer les personnes à un projet APPRENTISSAGE :
collectif. Ce nouveau mode de management en
appelle toujours davantage à un registre affectif. EXPLORATION ET
e
Le manager est devenu psychologue et séducteur. EXPLOITATION
Mais, dans le même temps, ce nouveau manager-
leader porte le risque de l’endoctrinement et Ces managers, maintenant mobilisés
La période précédente est celle d’un management allocations de ressources et les décisions à long de la manipulation. Il convient donc de prévenir subjectivement, informés et sensibles aux intérêts
humaniste et prométhéen, sûr de lui, conquérant. terme. les dérives par le rappel de l’éthique et par les des différentes parties prenantes, pourront alors
Mais les années 80 vont marquer un renversement Par ailleurs, les consommateurs des sociétés codes de comportement ainsi que par l’appel au s’engager dans une course à l’innovation tout en
et le management va entrer en crise. occidentales ont souvent atteint un état de satiété, « whistleblowing » pour construire les garde-fous garantissant la durabilité de leur organisation. Le
et leurs goûts deviennent alors beaucoup plus d’un management basé sur le soft power. management devient ambidextre (Tuschman et
LA FIN DES CERTITUDES fluctuants. Enfin, les aspirations démocratiques
sont toujours plus présentes, et les attentes
O’reilly, 1996) reprenant l’injonction paradoxale
formulée par James March (1991) : à la fois
ET LE MANAGEMENT DE individuelles face au travail de plus en plus variées.
explorer et exploiter. Et pour maintenir cette
Dans ce nouveau monde, le management doit se
L’INCERTITUDE réinventer.
ambidextérité, les organisations doivent devenir
apprenantes depuis les années 90. On va même
jusqu’à créer des CLO : Chief Learning Officers.
La thèse de Simon (1947) sur la rationalité limitée La complexité croissante du monde auquel doit
C’est aussi l’ère des partages d’expériences, des
se diffuse en management et met en lumière faire face le manager s’explique en particulier par
communautés de pratiques ou du benchmarking,
l’impossibilité pour les individus à traiter l’infinité l’explosion du nombre de parties prenantes qu’il
dans lesquels on vient puiser inspiration et
d’informations engendrées par les situations entend servir : clients, fournisseurs, collaborateurs,
créativité.
de gestion. A cela s’ajoute l’accélération des société… Les outils liés au suivi de ces parties
changements technologiques et sociétaux qui rend prenantes se multiplient depuis les années 2000,
particulièrement difficile l’anticipation, et donc les en particulier autour des réflexions sur la RSE ou
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Comment manager les risques du manager ? Wren, D. (2004) The Evolution of Management Thought. New York, NY: John Wiley & Sons
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