Vous êtes sur la page 1sur 21

01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

Tracés. Revue de Sciences humaines


17/2009
Que faire des institutions ?
Traductions

Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?


A G
Traduction de Marc Lenormand

p. 181-210

Texte intégral
1 Depuis sa thèse novatrice sur les Maghribis1 – ces commerçants juifs de la Méditerranée musulmane du e siècle –, les
institutions ont toujours constitué le thème central des travaux d’Avner Greif, aujourd’hui professeur d’économie à l’université
de Stanford. En 2006, il publie un ouvrage résumant plus de quinze ans de recherches théoriques et empiriques sur ce sujet,
Institutions and the Path to the Modern Economy. Lessons from Medieval Trade. Nous publions ici la traduction inédite de
l’introduction de ce livre dont la méthode innovante, qui a déjà suscité nombre de commentaires élogieux et de discussions,
pose les bases d’une analyse institutionnelle multidisciplinaire.
L’analyse de Greif prend pour point de départ les interactions entre les individus. Il insiste notamment sur les phénomènes de
réputation et de coordination, qui permettent de comprendre comment les institutions naissent et évoluent. En raison de cet
attachement aux interactions stratégiques, Avner Greif a été l’un des plus importants promoteurs de l’utilisation de la théorie
des jeux pour l’étude des institutions en histoire. Toutefois, il n’hésite pas à souligner clairement les limites de l’hypothèse de
https://journals.openedition.org/traces/4264 1/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

rationalité des acteurs et de la notion d’équilibre – au fondement de la théorie des jeux – parce qu’elles empêchent, selon lui, de
prendre véritablement en compte l’historicité des institutions. Il explique dans ce texte pourquoi « la théorie des jeux ne fournit
pas une théorie des institutions » et n’est qu’un outil d’analyse limité.
La méthode historique de Greif est donc fondée sur l’individualisme méthodologique et sur la prise en compte des interactions
stratégiques, mais elle insiste sur leur nécessaire recontextualisation, dans la lignée du manifeste théorique qu’il avait publié
avec Robert Bates, Margaret Levi, Jean-Laurent Rosenthal et Barry Weingast : Analytic Narratives (1998). Cette approche a
fortement renouvelé l’histoire économique outre-Atlantique mais demeure trop peu diffusée en France. Le seul texte d’Avner
Greif jusqu’à présent traduit en français a été publié dans un dossier de la revue Annales HSS consacré à la nouvelle
« historiographie économique américaine » (1998b).
Dans cet ouvrage, l’auteur défend ainsi une analyse institutionnelle historique et comparatiste, fondée sur des études de cas, aux
antipodes d’une méthode déductive qui, elle, proposerait une théorie générale des institutions.
De manière schématique, on peut dire que Institutions and the Path to the Modern Economy se structure autour de trois grands
principes. Tout d’abord, il élabore un programme intégrant différentes approches des sciences sociales mais dépassant les
apories traditionnelles de ces approches qui ont souvent tendance à se concentrer sur la stabilité des institutions. Il développe
ainsi de manière analytique une théorie du changement endogène des institutions et une analyse de la « dépendance
temporelle » ( path dependency). Ensuite, Greif étudie les institutions dans leur durée, en se fondant sur des études de cas. Les
interactions individuelles sont donc étudiées en contexte. Greif prend en particulier comme terrain d’enquête le commerce dans
le monde musulman médiéval, et établit une comparaison détaillée entre l’organisation de Venise et celle de Gênes à la fin du
Moyen Âge. Enfin, l’ouvrage entend partir de ces études de cas d’institutions économiques médiévales pour réinterpréter le
développement économique européen (l’« ascension de l’Ouest »). L’analyse comparatiste permet en effet de montrer la forte
différence existant entre les formes institutionnelles de l’Europe chrétienne (sur le plan des interactions, de la coopération et du
gouvernement) et celles du monde musulman. L’auteur reste certes prudent sur les interprétations en termes d’efficacité
économique, mais il pose clairement la question de la possibilité de comparer les effets de diverses institutions, rejoignant ainsi
un champ de réflexion majeur de l’histoire économique.
Éric M
2 Le 28 mars 1210, le Génois Rubeus de Campo accepte de payer une dette de 100 marks sterling à Londres, pour le compte de
Vivianus Jordanus de Lucques. Cet accord n’a rien d’extraordinaire – de fait, on connaît l’existence de milliers d’accords
semblables conclus en Europe à cette époque. Il révèle néanmoins, quoique implicitement, que Rubeus de Campo a vécu à une
époque de croissance économique remarquable, aussi bien en termes d’urbanisation, de croissance démographique,
d’investissement en capital que de transformation des réseaux commerciaux2.
3 Tout d’abord, cet accord reflète le bon fonctionnement des marchés. Les fondations institutionnelles de ces marchés sont
suffisamment solides pour que des marchands fassent confiance à des agents pour gérer leurs affaires à l’étranger, même en
l’absence de contrats légaux. Les prêts impersonnels entre des négociants établis aux quatre coins de l’Europe sont la norme, et
les droits de propriété sont suffisamment garantis pour que les marchands puissent s’aventurer à l’étranger en emportant leur
fortune.
4 Deuxièmement, il reflète le bon fonctionnement des structures politiques. Les fondations institutionnelles de ces structures
dans l’Europe de cette époque permettent la mise en œuvre de politiques génératrices de prospérité économique. Rubeus
conclut son accord avec Vivianus Jordanus dans la République de Gênes, établie seulement un siècle plus tôt mais qui a conduit
des politiques qui en ont fait un carrefour commercial très dynamique. Pour comprendre pourquoi et comment des marchés et

https://journals.openedition.org/traces/4264 2/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

des structures politiques fonctionnant aussi bien sont apparus à divers moments de l’histoire, et ce qui a permis leur pérennité
ou conduit à leur déclin, il nous faut étudier leurs fondations institutionnelles.
5 Étudier les institutions permet d’élucider pourquoi certains pays sont riches et d’autres pauvres, ou encore pourquoi il existe
dans certains un ordre politique qui accroît le bien-être, et pas dans d’autres. Les institutions bénéfiques à la société
promeuvent une coopération et un type d’action qui accroissent le bien-être. Elles donnent aux marchés des fondations en
assignant, protégeant et modifiant les droits de propriété efficacement ; en garantissant les contrats ; enfin, en incitant à la
spécialisation et à l’échange. Les bonnes institutions encouragent également la production en générant de l’épargne, des
investissements en capital humain et physique, le développement et l’adoption de connaissances utiles. Elles assurent un taux
soutenable de croissance de la population, et sont source d’une paix génératrice de bien-être, d’une mobilisation collective des
ressources et de politiques bénéfiques, comme la mise à disposition de biens publics.
6 La qualité des fondations institutionnelles de l’économie et des structures politiques conditionne de manière déterminante le
bien-être d’une société. C’est vrai, parce que les individus ne savent pas toujours reconnaître ce qui sera bénéfique à la société,
pas plus qu’ils ne sont incités à le rechercher de manière effective en l’absence d’institutions appropriées. Une question centrale
pour les sciences sociales et l’histoire est donc de savoir pourquoi les sociétés suivent des trajectoires distinctes dans leur
développement institutionnel, et pourquoi certaines sociétés n’en viennent pas à adopter les institutions de celles qui ont connu
plus de succès sur le plan économique.
7 Ce livre s’appuie sur des études historiques précises pour fonder, illustrer et proposer une perspective nouvelle – une analyse
institutionnelle comparative et historique – qui contribue grandement à faire avancer l’analyse institutionnelle, aussi bien sur le
plan général qu’en ce qui concerne l’évolution de sociétés particulières. Tout d’abord, il propose une conception unifiée du
terme d’« institution » afin d’y intégrer les définitions, aussi nombreuses qu’apparemment incompatibles, qui prévalent dans la
littérature critique. Deuxièmement, il étudie les institutions au niveau des interactions entre les individus, et se demande
comment des règles de comportement institutionnalisées sont suivies, même en l’absence de contrainte extérieure.
Troisièmement, il propose un cadre conceptuel et analytique unifié pour l’étude de la pérennité des institutions, de leur
changement endogène et de l’impact des institutions antérieures sur le développement ultérieur d’autres institutions. Enfin, il
soutient que l’analyse des institutions demande de dépasser les méthodes empiriques traditionnelles des sciences sociales, qui
s’appuient sur une théorie déductive et l’analyse statistique. Il détaille alors une méthode complémentaire, qui repose sur une
analyse contextualisée des interactions. Cette méthode, fondée sur l’analyse de cas, emploie la théorie, la modélisation et la
connaissance des contextes historiques pour identifier une institution, clarifier ses origines et comprendre la façon dont elle se
maintient et se transforme.
8 Cette nouvelle perspective explicite ce que sont les institutions, comment elles apparaissent, comment elles peuvent être étudiées
empiriquement et quelles forces affectent leur stabilité et leur évolution. Elle explique pourquoi et comment les institutions sont
influencées par le passé, pourquoi elles évoluent parfois, pourquoi elles diffèrent tellement d’une société à une autre et pourquoi il
est difficile d’imaginer des politiques visant à les modifier.

Les écueils propres à l’étude des institutions


9 Les sociétés possèdent des caractéristiques « technologiques » différentes, en termes de situation géographique, de
connaissances utiles et de réserves de capitaux, et ces différences influencent les résultats économiques. Les sociétés ont

https://journals.openedition.org/traces/4264 3/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

également des caractéristiques « non technologiques » différentes, en termes de lois et de méthodes d’application de celles-ci,
de manières de distribuer et de garantir les droits de propriété, ou encore en termes de niveau de corruption et de confiance. Je
m’en tiens pour l’instant à cette approche traditionnelle, mais redéfinirai plus loin les institutions et leurs rapports à de telles
caractéristiques non technologiques.
10 Selon la théorie économique, les différences institutionnelles influencent les résultats économiques parce qu’elles affectent les
décisions concernant le travail, l’épargne, l’investissement, l’innovation, la production et l’échange. Les analyses
économétriques suggèrent la même chose. Même si leurs conclusions ne sont encore que provisoires, elles indiquent que de plus
fortes garanties offertes aux droits de propriété, une plus forte application de la loi et une plus grande confiance sont corrélées
avec de meilleurs résultats économiques (Hall et Jones, 1999 ; Acemoglu, Johnson et Robinson, 2001 ; Rodrik et al., 2004 ; Zak
et Knack, 2001).
11 Les analyses économétriques et les études de cas suggèrent également que les origines des différences entre les
caractéristiques non technologiques des sociétés sont historiques. Il a été affirmé que ces différences reflètent par exemple un
passé culturel, des structures sociales et de pouvoir, ou encore des traditions politiques républicaines issues du Moyen Âge
(Greif, 1994a ; Glaeser et Shleifer, 2002 ; Putnam, 1993). Dans les pays en voie de développement, de telles différences peuvent
être le reflet de l’environnement existant au moment de la colonisation (Acemoglu et al., 2001), de l’identité de la puissance
coloniale (North, 1981), ou encore de la distribution initiale des richesses (Engerman et Sokoloff, 1997).
12 Ces conclusions ne constituent cependant que le point de départ, et non le point final, d’un programme de recherche qui se
donne pour objectif de comprendre les institutions. Comprendre le mécanisme causal qui sous-tend de telles conclusions
nécessite de dépasser la simple identification de corrélations entre la mesure de divers facteurs non technologiques et des
résultats que l’on juge intéressants. Cela demande d’examiner ce qui motive les individus en situation d’interaction, et comment
ceux-ci peuvent se comporter de la façon mise en évidence par ces mesures diverses3. Il est certes utile d’établir que la
corruption réduit l’investissement, mais cette conclusion ne révèle pas ce qui motive les gens à se comporter de manière
corrompue, ni ce qui leur permet de le faire. Pareillement, découvrir une corrélation entre les garanties offertes aux droits de
propriété et des résultats que l’on juge intéressants n’explique en rien les différences de niveau dans les garanties qui sont
offertes ; affirmer, comme c’est souvent le cas en économie, que la hauteur de ces garanties reflète la fonction que les droits de
propriété assurent (par exemple, efficacité ou intérêt des élites) n’explique pas comment ces droits se consolident ou
s’affaiblissent. Comprendre comment la propriété est garantie nécessite de savoir pourquoi ceux qui possèdent la capacité
physique de violer ces droits renoncent à le faire. Pareillement, découvrir des corrélations entre des événements historiques et
des différences actuelles dans des caractéristiques non technologiques n’explique ni pourquoi ni comment les institutions
antérieures influencent les évolutions institutionnelles ultérieures.
13 Comprendre l’impact, la persistance et la transformation de caractéristiques non technologiques exige d’examiner les
micromécanismes qui, au niveau des interactions individuelles, soutiennent leur émergence, assurent leur stabilité et sous-
tendent les dynamiques qui les affectent. Cela demande, en particulier, de considérer la motivation (les incitations) qu’ont ces
individus pour agir de telle ou telle façon, laquelle résulte ou se manifeste dans ces caractéristiques non technologiques
spécifiques.
14 Le principal cadre conceptuel et analytique utilisé par le néo-institutionnalisme économique ne se concentre pas, cependant, sur
cette question de la motivation4. Il identifie souvent les institutions économiques à des règles déterminées politiquement qui sont
imposées « verticalement » aux agents économiques par les structures politiques. Ces règles régissent la vie économique, par
exemple en assignant les droits de propriété et en indiquant les impôts qui doivent être perçus. Les institutions politiques – les

https://journals.openedition.org/traces/4264 4/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

règles organisant l’élection des dirigeants et les processus de décision collective – et les organisations politiques, comme les lobbies
et les syndicats, sont au cœur de cette analyse. Les institutions et les organisations politiques sont importantes parce que les
institutions économiques sont construites et transformées par les processus politiques (North, 1981, 1990 ; Barzel, 1989 ; Sened,
1997 ; Grossman et Helpman, 2002). La théorie des coûts de transaction complète cette analyse par le postulat que les agents
économiques, réagissant aux règles, établissent des contrats, et, à travers ceux-ci, construisent des organisations visant à minimiser
les coûts de transaction (Coase, 1937 ; Williamson, 1985, 1996).
15 Ce cadre des « institutions-comme-règles » (institutions-as-rules) est très utile à l’examen de diverses questions, comme les
règles privilégiées par les politiciens et les formes contractuelles qui minimisent les coûts de transaction. Cependant, les
comportements prescrits – règles et contrats – ne sont rien de plus que des instructions qui peuvent être ignorées. Pour que ces
règles prescriptives de certains comportements aient un impact, il faut motiver les individus pour qu’ils les suivent5. La
motivation est l’intermédiaire entre l’environnement et le comportement, que ce comportement soit rationnel, imitatif ou
routinier. Par motivation, j’entends ici les incitations définies très largement pour inclure les attentes, croyances et normes
internalisées.
16 Le cadre des « institutions-comme-règles » n’est cependant pas adapté à l’examen de la motivation à suivre des instructions
qui, sous la forme de règles et de contrats, spécifient un comportement. Pour se donner un point de départ, et à diverses fins
d’analyse, on peut se contenter d’affirmer que les gens suivent une règle de comportement parce que d’autres règles prévoient
une punition s’ils ne le font pas. Mais cette affirmation ne fait que décaler d’un cran la question de l’effectivité des institutions,
en présupposant que ceux qui sont chargés de faire appliquer les règles s’acquittent de leur tâche. Pourquoi cela serait-il le cas ?
Qui surveille le surveillant ?
17 Pour comprendre le comportement, il faut que nous sachions pourquoi certaines règles de comportement, qu’elles trouvent
leur origine dans l’État ou en dehors de celui-ci, sont suivies tandis que d’autres sont ignorées – ce qui n’est pas possible dans
un cadre d’analyse dans lequel la motivation est considérée comme exogène. Pour atteindre une compréhension totale des
règles prescriptives et descriptives, il est nécessaire d’examiner comment se crée la motivation à suivre des règles de
comportement particulières.
18 Le fait de considérer la motivation au niveau des individus en interaction comme endogène est crucial pour le traitement de
nombreuses questions importantes. Il est crucial de comprendre ce que l’on appelle l’« ordre privé » (private order), c’est-à-dire
des situations dans lesquelles l’ordre prévaut en dépit de l’absence d’une instance tierce chargée de faire appliquer cet ordre.
Dans de telles situations, la prévalence de l’ordre ou son absence reflète le comportement des individus en interaction, plus
qu’elle ne résulte du rapport entre ceux-ci et une instance tierce. Et en vérité, un ordre caractérisé par des garanties en matière
de droits de propriété et d’échange prévaut parfois en l’absence d’État, dans des situations où les agents économiques
s’attendent à ce que l’État les exproprie plus qu’à ce qu’il protège leur propriété, ou encore lorsque l’État ne souhaite ou ne peut
garantir des droits de propriété et faire appliquer les contrats. Même dans les économies de marché modernes dotées d’un État
effectif, l’ordre privé est un ingrédient essentiel.
19 Parce que les institutions reflètent les actions humaines, nous devons au final les étudier en tant qu’ordre privé même
lorsqu’un État existe. À des fins d’analyse, il est utile de présupposer – comme le fait la théorie des « institutions-comme-
règles » – que l’État possède le monopole du pouvoir coercitif et qu’il peut faire appliquer ses règles. Mais l’ordre politique et un
État effectif sont des effets. Si les acteurs politiques peuvent avoir recours à la violence et investir dans le pouvoir coercitif,
l’emploi de ceux-ci peut mener au désordre politique ou à la révolution. Étudier l’ordre et le désordre politique exige d’examiner
ce qui motive les acteurs politiques à respecter des règles spécifiques. Par ailleurs, l’effectivité des règles prescrites par l’État

https://journals.openedition.org/traces/4264 5/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

repose sur une capacité à motiver des agents au sein de la bureaucratie et de l’appareil judiciaire pour les faire appliquer. La
compréhension de l’impact de l’État requiert l’examen de la motivation des agents impliqués. En d’autres mots, la
compréhension totale de l’ordre politique ou de son absence et du comportement des agents de l’État nécessite de prendre en
considération la motivation qui influence le comportement des individus qui nous intéressent.
20 En dehors de son intérêt restreint pour l’étude de la motivation, l’approche des « institutions-comme-règles » présente une
efficacité limitée pour l’analyse des dynamiques institutionnelles. Pour rendre compte de la stabilité ou des transformations des
institutions, elle se concentre exclusivement sur l’impact, important certes mais partiel, de la politique et de son efficacité.
Identifier les institutions à des règles ou à des contrats efficaces élaborés politiquement revient à considérer que les
transformations institutionnelles résultent d’un changement exogène des intérêts et de la connaissance des acteurs politiques
qui établissent ces règles ou ces contrats efficaces (Weingast, 1996 ; Williamson, 1985). Les institutions ne contribuent à ces
transformations que dans la mesure où elles modifient les intérêts et les connaissances qui sous-tendent les règles et les contrats
dominants.
21 La pérennité des institutions a été attribuée principalement à des rigidités (frictions) dans les processus d’ajustement
institutionnel (par exemple, le coût induit par le changement des règles) ou à l’impact d’institutions informelles exogènes,
comme les coutumes et traditions. Ces institutions informelles sont considérées comme des caractéristiques culturelles
immuables, dont le rythme de changement est tellement lent qu’il en devient immatériel (North, 1990). Voilà qui laisse
beaucoup de choses inexpliquées, parce que la pérennité et les changements sont attribués à des forces extérieures à l’institution
étudiée (Williamson, 1998, 2000).
22 La théorie des jeux classique a été employée très largement pour faire entrer l’étude de la motivation endogène dans l’analyse
des institutions. La théorie des jeux s’intéresse à des situations qui sont stratégiques au sens où le comportement optimal d’un
joueur dépend du comportement des autres. Dans la théorie des jeux, l’analyse commence par l’identification de l’ensemble des
actions possibles pour chaque joueur, des informations dont celui-ci dispose, et des gains que chacun recevra en fonction des
combinaisons d’actions entreprises par l’ensemble des joueurs. À partir de ces règles du jeu, la théorie des jeux classique
concentre principalement son attention sur les situations d’équilibre, dans lesquelles chaque décideur anticipe correctement le
comportement des autres et considère comme optimale l’action attendue de lui6. Ce cadre d’analyse permet de prendre en
considération les comportements motivés de manière endogène ; chaque joueur, motivé par le comportement qu’il observe ou
peut attendre des autres joueurs, adopte le comportement propre à la situation d’équilibre. La théorie des jeux permet donc
d’étudier la relation entre les règles du jeu et des comportements auto-exécutoires (self-enforcing).
23 Les économistes, en particulier, se sont servis de l’analyse des équilibres dans la théorie des jeux pour interroger les raisons
pour lesquelles les individus suivent certaines règles7. Une telle analyse a été appliquée à l’étude de l’ordre privé, et notamment
d’un ordre privé où les droits de propriété sont garantis et les contrats remplis en l’absence d’un système légal effectif
administré par l’État (Williamson, 1985 ; Greif, 1989, 1993 ; Ellickson, 1991 ; Dixit, 2004). D’autres recherches, en lien avec
celles-ci, ont examiné la motivation endogène à adhérer à divers contrats en dépit d’une information asymétrique ou d’une
possibilité limitée de faire appliquer les contrats légaux (Townsend, 1979 ; Hart et Holmstrom, 1987 ; Hart et Moore, 1999).
Dans l’approche proposée par la théorie des jeux, les institutions sont considérées soit comme des équilibres (Schotter, 1981 ;
Greif, 1993 ; Calvert, 1995), soit comme les croyances partagées qui motivent un jeu orienté vers l’équilibre (Greif, 1994a ; Aoki,
2001), soit comme les règles du jeu (North, 1990).
24 Cependant, lorsque les institutions sont définies de cette manière, la théorie des jeux classique ne fournit pas de cadre
d’analyse adéquat pour l’étude des dynamiques institutionnelles, c’est-à-dire des forces qui poussent les institutions à se

https://journals.openedition.org/traces/4264 6/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

transformer et de l’influence des institutions antérieures sur celles qui leur succèdent. Dans l’acception littérale de la théorie des
jeux classique, le comportement présent et futur des jours est la manifestation d’une stratégie prédéterminée. Tout
comportement est donc orienté vers l’avenir, quand bien même il serait conditionné par des événements passés. Qui plus est,
parce que ce comportement a atteint l’équilibre, il n’existe pas de forces endogènes qui pourraient pousser les institutions à se
transformer. Des transformations institutionnelles exogènes peuvent avoir lieu lorsque les règles du jeu changent – sous l’effet
d’une nouvelle technologie, par exemple –, mais l’étude de changements endogènes est incompatible avec l’idée que les
institutions sont des équilibres.
25 Pire encore, la théorie des jeux révèle que de nombreux équilibres – de nombreux modes de comportement auto-
exécutoires – sont généralement possibles dans tout jeu donné. Les tentatives pour élaborer, dans le cadre de la théorie des
jeux, un modèle d’équilibre qui produirait un seul et unique résultat dans tous les jeux, ont échoué dans les situations qui sont
au cœur de l’analyse des institutions. D’ailleurs, la théorie des jeux ne postule aucun lien entre le comportement adopté dans un
jeu et celui adopté dans un jeu ultérieur8. Dans un nouveau jeu, et même si celui-ci ne diffère que très légèrement d’un jeu
antérieur, tous les équilibres sont également possibles, quel qu’ait été le résultat du jeu antérieur. Si les institutions sont
considérées comme des équilibres ou comme des croyances, il nous est impossible d’étudier l’impact des institutions passées sur
celles qui leur succèdent.
26 Prendre le jeu comme point de départ d’une analyse institutionnelle – donc considérer les institutions comme les règles du
jeu – et prendre pour objet les comportements en équilibre à l’intérieur de ce jeu revient à tenir pour acquises beaucoup de
choses qui demandent à être expliquées. Pourquoi, en dépit de possibilités technologiques semblables, des jeux différents sont-
ils joués dans différentes sociétés ? Affirmer qu’un jeu spécifique est un équilibre atteint au sein d’un méta-jeu plus grand, dont
les règles reflètent simplement les caractéristiques de la technologie disponible et du monde matériel, est utile et cependant
insatisfaisant, parce que cela ne fait que repousser d’un cran la question de l’origine des institutions. Quelle est l’origine de ce
méta-jeu ? La théorie qui permet d’étudier la motivation endogène est insuffisante pour l’analyse des dynamiques
institutionnelles.
27 Enfin, détailler un jeu et lui apporter une solution nécessite de forts postulats concernant les modèles cognitifs partagés par
les joueurs et la rationalité de ces derniers9. Par conséquent, une analyse qui prend le jeu pour point de départ nie, dans sa
postulation même, la possibilité que les institutions jouent un rôle créateur par rapport à la connaissance et au modèle cognitif,
et directeur par rapport au modèle de rationalité. Le rôle majeur joué par les institutions a pourtant été souligné par l’« ancien
institutionnalisme ». Celui-ci affirmait de manière convaincante que le fondement indéniable des institutions était que les
individus n’étaient ni entièrement rationnels, ni en possession d’une connaissance parfaite de la situation (Veblen, 1899 ;
Mitchell, 1925 ; Commons, 1924 ; Hayek, 1937).
28 L’intégration, dans l’étude des institutions et des dynamiques institutionnelles, des thèses de l’ancien institutionnalisme
concernant le caractère limité de la rationalité et de la cognition, est un aspect central de l’institutionnalisme évolutif (qui
s’appuie fortement sur la théorie évolutive des jeux). Cette dernière approche assimile les institutions aux attributs des
individus en situation d’interaction (traits de comportement, habitudes, routines, préférences et normes) et examine comment
les forces évolutives, combinées aux mutations, imitations et expérimentations aléatoires, influencent l’équilibre à long terme
autour duquel se stabilise la distribution de ces attributs (Ullmann-Margalit, 1977 ; Nelson et Winter, 1982 ; Sugden, 1989 ;
Kandori, Mailath et Rob, 1993 ; Weibull, 1995 ; Kandori, 1997 ; Young, 1998 ; Hodgson, 1998 ; Gintis, 2000)10.
29 Éludant la question de la motivation et attribuant les modifications de comportement aux forces évolutives, la perspective
évolutive atténue, dans son étude des dynamiques institutionnelles, les défauts de la théorie des jeux classique. Cependant, son

https://journals.openedition.org/traces/4264 7/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

appareil analytique pose des limites à son applicabilité. Les processus d’expérimentation, de mutation et d’apprentissage qui
orientent les processus de transformation institutionnelle sont considérés comme exogènes à l’analyse. Comme Paul David l’a
noté, « le fonctionnement détaillé du processus d’évolution demeure au mieux imprécis » (David, 1994, p. 208). Par ailleurs,
pour des raisons techniques, l’analyse se fonde souvent sur des postulats extrêmes concernant la nature humaine. Les individus
sont généralement supposés être complètement myopes, incapables de reconnaître ceux avec qui ils ont interagi par le passé,
incapables de choisir avec qui interagir pour coordonner leur comportement, et globalement dans l’incapacité de structurer leur
environnement. Ces postulats fournissent, pour les processus évolutifs dans les sociétés humaines, des micro-fondations qui
sont loin d’être satisfaisantes.
30 Ce survol rapide suffit à montrer que de nombreuses définitions des institutions ont cours en économie (c’est aussi le cas en
sociologie et dans les sciences politiques). Ces définitions ont été considérées comme incompatibles. Les adeptes de la
perspective dite des « institutions-comme-règles » définissent les institutions principalement comme des règles, des
organisations ou des contrats. Les spécialistes de la théorie des jeux classique, quant à eux, définissent les institutions soit
comme des règles du jeu, soit comme des équilibres, ou comme des croyances partagées qui motivent la recherche de l’équilibre
dans le jeu ; les partisans de l’institutionnalisme évolutif, enfin, assimilent les institutions aux attributs – en équilibre – des
individus en interaction, comme par exemple les traits de comportement, les habitudes, les routines, les préférences ou les
normes.
31 La question fait aussi débat de savoir dans quelle mesure les individus, au sein d’une société, peuvent choisir leurs
institutions. La thèse structurelle (et culturelle) – courante en sociologie et dans l’ancien institutionnalisme – affirme que les
institutions transcendent les acteurs individuels, et qu’elles sont des caractéristiques culturelles immuables des sociétés, qui
déterminent le comportement (Sewell, 1992 ; Scott, 1995 ; Dugger, 1990). Au contraire, la thèse agentielle (fonctionnaliste) –
courante en économie et dans le néo-institutionnalisme – affirme que les individus créent les institutions afin que celles-ci
remplissent diverses fonctions. Il est préférable d’étudier les institutions dans une perspective fonctionnaliste, qui reconnaît
qu’elles sont réceptives aux intérêts et aux besoins.
32 Au sein même de chacune de ces approches, les spécialistes avancent des explications divergentes concernant les forces qui
modèlent les institutions et leurs dynamiques. Parmi les tenants de la thèse agentielle, par exemple, certains postulent que les
institutions reflètent un souci d’efficacité, alors que d’autres soulignent l’importance des questions de distribution ou
l’aspiration à un statut social ou au contrôle politique. Certains affirment que les institutions reflètent les résultats, inattendus,
des interactions entre des individus munis d’une rationalité et d’une capacité cognitive limitée, cependant que d’autres
soutiennent que les institutions reflètent les choix intentionnels d’individus rationnels et anticipateurs (Schotter, 1981 ;
Williamson, 1985 ; North, 1991 ; Knight, 1992 ; Acemoglu et al., 2001).
33 Voir ces différentes définitions des institutions comme incompatibles, et redevables d’analyses fondées sur des
présuppositions différentes concernant la nature des institutions et les forces qui les façonnent, fait obstacle à l’avancée de
l’analyse institutionnelle. Chacune de ces présuppositions appréhende un aspect important, quoique différent, de la réalité. Il
est parfois approprié, lorsque nous examinons une question, d’envisager les institutions comme des structures exogènes ; à
d’autres moments, il est préférable de les considérer comme endogènes aux individus en interaction. Dans d’autres cas encore, il
est plus adéquat de les étudier comme le reflet des actions et des intérêts de certains individus, mais pas d’autres. Il n’est donc
pas pertinent d’affirmer que seule la perspective structurelle ou seule la perspective agentielle est toujours adéquate pour l’étude
des institutions.

https://journals.openedition.org/traces/4264 8/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

34 Pour faire avancer l’analyse des institutions, il nous faut des appareils conceptuels et analytiques qui intègrent différentes
problématiques d’analyse des institutions et qui tiennent compte des facteurs, forces et réflexions que chacune d’entre elles met
en avant.
35 La tentative, entreprise par les institutionnalistes, d’étudier la relation entre les institutions et les résultats en termes de bien-
être fait face à trois défis :
36 – conceptualiser les institutions de manière inclusive, pour tirer profit des observations et des cadres d’analyses fournis par
des problématiques d’analyse institutionnelle apparemment opposées ;
37 – étudier les institutions au niveau des individus en interaction, en considérant que la motivation que l’on peut avoir à suivre
des règles de comportement doit être un objet essentiel de l’analyse ;
38 – proposer un appareil conceptuel et analytique unifié en vue d’étudier la pérennité de telles institutions, les transformations
institutionnelles endogènes, et l’impact d’institutions antérieures sur des structures ultérieures.

L’analyse institutionnelle comparative et historique


39 Ce livre présente une nouvelle perspective visant à relever le défi posé par l’intégration des problématiques, la question de la
motivation et celle des dynamiques, en s’appuyant sur les problématiques antérieures et en s’inspirant d’elles11. Partant de
l’observation de la variété des trajectoires suivies par les institutions dans leur développement, j’ai exploré l’origine et les
implications de cette variété en combinant un cadre d’analyse explicite et des informations historiques et contextuelles. C’est
cette approche que je nomme analyse institutionnelle comparative et historique.
40 Pour relever les trois défis mentionnés à la fin de la section précédente, la perspective que je présente ici prend ses distances
par rapport à deux pratiques dominantes dans l’analyse institutionnelle. Tout d’abord, elle s’écarte de la pratique qui consiste à
définir une institution comme une entité monolithique. Comme nous l’avons vu précédemment, de nombreuses définitions des
institutions ont été proposées, mais qui toutes considèrent les institutions de manière exclusive, comme soit des règles, soit des
règles du jeu, ou des croyances, ou bien des normes, ou encore des traits de comportements. À l’inverse, notre perspective
reconnaît que les institutions ne sont pas des entités monolithiques, mais qu’elles sont au contraire composées d’éléments
distincts mais interconnectés – règles, croyances et normes notamment – lesquels prennent parfois la forme d’organisations.
Ces composants institutionnels sont exogènes aux individus – pris isolément – et influencent leur comportement. Ils
fournissent aux individus les microfondations de leur comportement en termes de cognition, de coordination et d’information.
Ils donnent aux individus des dispositions, les guident et les motivent afin qu’ils adoptent un comportement particulier.
41 Ensuite, notre perspective s’écarte à la fois de la simple vision structurelle et culturelle (courante en sociologie) des
institutions, et de la simple vision agentielle et fonctionnaliste de celles-ci (courante en économie). Elle combine bien au
contraire ces visions structurelle et agentielle. Elle souligne l’importance d’une étude des institutions comme phénomènes
d’équilibre, laquelle considère que les institutions constituent la structure qui influence le comportement, et que les réponses
comportementales des agents face à cette structure contribuent à la reproduction de l’institution. Lorsque j’étudie les
institutions comme phénomènes d’équilibre, je ne considère ni les jeux ni les institutions comme les unités de base de l’analyse
institutionnelle. Je m’attache plutôt à développer une vision bien spécifique des transactions, que je considère comme les unités
de base de l’analyse institutionnelle12.

https://journals.openedition.org/traces/4264 9/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

42 En d’autres termes, les institutions sont étudiées dans une perspective qui met l’accent sur les équilibres, reconnaît que les
institutions ne sont pas des entités monolithiques et considère la transaction comme l’unité de base de l’analyse. À partir de là,
je peux proposer un concept intégrateur des institutions, qui explique pourquoi elles influencent si profondément le
comportement, et pourquoi elles ont un impact indépendant sur les dynamiques institutionnelles. Il est dès lors possible
d’étudier ces dernières comme des processus historiques dans lesquels les institutions antérieures influencent la périodicité des
transformations institutionnelles, la façon dont les institutions se transforment, et les aspects précis des nouvelles institutions
ainsi que les effets qu’elles produisent. Nous n’avons pas la place, dans cette introduction, de présenter tous ces aspects dans le
détail ; nous nous proposons seulement ici de donner un aperçu des relations entre le cadre d’analyse évoqué précédemment et
ces différents aspects.
43 La définition inclusive des institutions proposée ici restreint le champ de l’analyse, principalement dans la mesure où elle
requiert de tout composant institutionnel qu’il soit un équilibre exogène à chaque individu dont il influence le comportement.
Parce qu’elle reconnaît que les institutions sont composées d’éléments divers, cette définition englobe des définitions
apparemment opposées des institutions (par exemple, des règles mises en œuvre par l’État ou bien des systèmes de croyance),
dans lesquelles elle voit des cas spécifiques. Elle accepte la possibilité que les institutions puissent avoir différentes origines,
qu’elles puissent remplir différentes fonctions et que si parfois elles reflètent une forme d’apprentissage et de rationalité limitée,
d’autres fois elles reflètent un comportement anticipateur dans des situations bien comprises. Il est possible de s’appuyer sur
des découvertes et des appareils analytiques élaborés dans le cadre de problématiques d’analyse apparemment distinctes.
L’utilité de la définition proposée ici est clairement illustrée par son application, dans le cours du présent livre, à de nombreuses
études empiriques consacrées à des sujets distincts.
44 Pareillement, la perspective adoptée ici relève le défi de l’étude de la motivation endogène en fusionnant les perspectives
agentielle et structurelle. Elle nous permet d’étudier, au sens le plus large du terme, les institutions endogènes – celles qui
s’imposent d’elles-mêmes. Dans les institutions auto-exécutoires, toute motivation est générée de façon endogène. Chaque
individu, réagissant aux composants institutionnels sous-jacents dans le comportement observé chez les autres et attendu de
ceux-ci, se comporte d’une façon qui contribue à activer, guider et motiver les autres à se comporter de la façon qui avait mené à
la mise en place des composants institutionnels ayant suscité le comportement initial de l’individu. Le comportement est auto-
exécutoire dans la mesure où chaque individu, considérant la structure comme donnée, découvre qu’il est préférable d’adopter
le comportement institutionnel qui, en retour, reproduit l’institution au sens où ce comportement confirme implicitement les
croyances qui lui sont associées et réactive les normes qui lui sont associées.
45 Mener une étude des institutions comme phénomènes d’équilibre, et rendre explicites, comme nous le faisons ici, les forces
qui font qu’elles sont auto-exécutoires, met en évidence les chocs exogènes qui précipitent l’échec d’institutions, et
particulièrement les chocs qui font qu’une institution n’est plus auto-exécutoire. Mais la perspective proposée ici permet d’aller
encore plus loin. Elle nous permet d’étudier les dynamiques institutionnelles comme des processus historiques. Les institutions
peuvent conserver leur stabilité dans un environnement en transformation, comme elles peuvent se transformer en l’absence de
transformation de leur environnement. Les institutions antérieures – y compris celles qui ne sont plus auto-exécutoires –
peuvent influencer les institutions ultérieures dans le détail.
46 Pour étudier la stabilité et les transformations dans le même cadre, il est nécessaire de reconnaître que les composants
institutionnels constituent les micro-fondations du comportement, et que les institutions sont des phénomènes d’équilibre ; cela
permet d’étudier à la fois la pérennité des institutions dans un environnement en transformation et les transformations
endogènes dans un environnement stable. Pour déterminer son comportement, un individu a besoin d’une information

https://journals.openedition.org/traces/4264 10/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

adéquate, d’un modèle cognitif et de la capacité à anticiper le comportement des autres. Les individus sont également à la
recherche de conseils en matière de comportements convenables moralement et socialement acceptables. Les composants
institutionnels constituent ces micro-fondations cognitives, coordinationnelles, normatives et informationnelles du
comportement. En même temps, des individus à la vision rétrospective et à la rationalité limitée, mais capables d’anticipation,
réagissent aux prescriptions comportementales et normatives produites par les composants institutionnels sur la base des
informations privées et des connaissances dont ils disposent, et de leurs préférences innées. Dans des situations dans lesquelles
les institutions suscitent des comportements, les composants institutionnels produisent des phénomènes d’équilibre où les
caractéristiques de la situation viennent se combiner. Dans certaines conditions, les institutions peuvent donc se conserver dans
un environnement en transformation. Cela arrive parce que les individus considèrent qu’il est possible, nécessaire et souhaitable
de modeler leur comportement sur le contenu cognitif, coordinationnel, normatif et informationnel des composants
institutionnels, et non directement sur l’environnement. En d’autres termes, pour employer le jargon de la théorie des jeux, les
individus ne jouent pas contre les règles du jeu. Ils jouent, au contraire, contre des règles (institutionnalisées). Parce que ces
composants sont en équilibre et ne combinent pas nécessairement de manière correcte l’information et la connaissance privée,
ils sont souvent plus stables que l’environnement. Le comportement se conserve dans un environnement en transformation. De
fait, le comportement peut se conserver même dans des cas où les individus modèleraient leur comportement sur
l’environnement, si bien que le comportement antérieur ne serait plus auto-exécutoire.
47 Pour comprendre les transformations institutionnelles endogènes, il est nécessaire d’étudier les interactions réciproques
entre les micro-mécanismes par lesquels les institutions influencent le comportement, et leurs effets, comportementaux ou
autres. Ceci souligne la façon dont une institution endogène – bien qu’étant un phénomène d’équilibre – peut se renforcer ou
s’affaiblir. Une institution qui se renforce (ou s’affaiblit) devient auto-exécutoire dans un plus (ou moins) grand champ de
paramètres. L’examen de ces processus de renforcement et d’affaiblissement permet, notamment, d’étudier comment une
institution sème les germes de sa propre disparition, et conduit ainsi à une transformation endogène.
48 Pour comprendre pourquoi et comment les institutions antérieures influencent la direction que prennent les transformations
institutionnelles, il est essentiel de reconnaître la nature duale des éléments qui composent les institutions. Les éléments
interconnectés qui constituent une institution sont des caractéristiques que l’on trouve également dans des individus et des
sociétés. Les règles, croyances et normes héritées du passé informent et reflètent les modèles cognitifs partagés par les
individus ; elles se manifestent dans les préférences de ces individus et dans la vision qu’ils ont d’eux-mêmes ; et elles
constituent des croyances connues du plus grand nombre concernant le comportement attendu, normé et accepté socialement.
Souvent, elles se manifestent également dans des organisations qui ont acquis diverses aptitudes. Il existe donc une asymétrie
fondamentale entre les composants institutionnels hérités du passé et les alternatives technologiquement réalisables.
49 C’est pourquoi, même si le comportement associé à une institution spécifique n’est plus auto-exécutoire, ou si une institution
est devenue nécessaire pour une nouvelle transaction, toutes les institutions rendues possibles par la technologie ne sont pas
des candidates égales. Il est probable que la nouvelle institution reflètera l’impact de composants institutionnels antérieurs. Les
croyances, normes et organisations héritées du passé constitueront un pan des conditions initiales dans les processus qui
mènent à de nouvelles institutions. Qu’un tel processus soit coordonné ou pas, les composants institutionnels antérieurs
influencent la sélection qui s’opère entre différentes institutions rendues possibles par la technologie. Le passé, contenu dans
ces composants institutionnels, oriente les transformations institutionnelles, et amène les sociétés à évoluer selon des
trajectoires institutionnelles distinctes.

https://journals.openedition.org/traces/4264 11/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

50 La perspective que nous proposons facilite encore une analyse institutionnelle comparative entre différentes périodes et
sociétés en faisant de la transaction l’unité de base de l’analyse. Nous pouvons observer une même transaction à différents
moments et étudier les institutions qui, en tant que systèmes reposant sur l’équilibre de leurs éléments constitutifs, suscitent
pour chaque épisode un certain comportement dans le cadre de cette transaction. L’observation des transactions, jointe à une
étude des institutions centrée sur la notion d’équilibre, permet de réunir les deux principales problématiques du néo-
institutionnalisme. L’économie des coûts de transaction (Williamson, 1985) affirme que les institutions sont établies pour
réduire ces coûts ; l’approche des « institutions-comme-règles » envisage les institutions comme des facteurs déterminant ces
mêmes coûts (North, 1990). L’approche que je soumets, centrée sur la notion d’équilibre, permet aux acteurs d’essayer
d’améliorer leur sort, tout en reconnaissant simultanément que l’institution qui en résulte est un équilibre qui détermine les
coûts de transaction auxquels chaque acteur fait face.
51 De nombreux appareils analytiques peuvent et doivent servir à étudier les institutions telles qu’elles sont pensées ici. Les
arguments et études empiriques présentés ici mettent en évidence les bénéfices que l’on peut tirer de l’utilisation d’une théorie
des jeux classique enrichie par les réflexions menées en sociologie, dans les sciences cognitives, dans l’étude de l’apprentissage
et dans la théorie des jeux expérimentale, entre autres domaines d’étude. L’utilité de la théorie des jeux pour l’analyse des
institutions a fait l’objet de débats au sein des sciences sociales. Nombre de théoriciens micro-économistes, comme Gibbons
(1998), pensent qu’elle est indispensable, alors que des économistes institutionnalistes comme North et Williamson se montrent
réservés. La sociologie et les sciences politiques ont été le théâtre d’un débat virulent concernant son utilité empirique (Hechter,
1992 ; Scott, 1995 ; Green et Shapiro, 1994 ; Friedman, 1996 ; Scharpf, 1997 ; Bates, Figueiredo et Weingast, 1998 ; Elster,
2000 ; Munck, 2001).
52 Même si les arguments présentés des deux côtés présentent un intérêt certain, ce débat tend à confondre deux questions. La
première est de savoir si les jeux sont l’unité de base de l’analyse institutionnelle, et si la théorie des jeux fournit en ce sens une
théorie des institutions13. La seconde est de savoir si la théorie des jeux est utile, empiriquement et analytiquement. Ma propre
opinion est que les jeux ne sont pas l’unité de base de l’analyse, et que donc la théorie des jeux ne fournit pas une théorie des
institutions, mais qu’elle présente tout de même une utilité analytique et empirique.
53 Par ailleurs, des réflexions fertiles peuvent découler du constat déconcertant que la théorie des jeux a démontré son utilité
pour l’analyse des institutions, alors même qu’elle repose sur des hypothèses irréalistes en ce qui concerne la cognition,
l’information et la rationalité. La position adoptée ici consiste à demander ce que révèle le besoin d’imposer ces hypothèses. De
quelle manière, et dans quelle mesure, ces hypothèses sont-elles réalisées dans le monde réel ? Qu’est-ce que la façon dont elles
sont réalisées nous révèle sur le moment et la manière dont la théorie des jeux peut être utilisée pour étudier le comportement
dans des situations réellement existantes ? Comme nous le verrons, traiter ces questions contribue grandement à notre
compréhension des institutions. Parce que la perspective présentée ici étudie les institutions à travers le prisme d’une analyse
des équilibres inspirée de la théorie des jeux, elle est souvent qualifiée d’approche des « institutions-comme-équilibres »
(institutions-as-equilibria), et les institutions d’« auto-exécutoires » (self-enforcing institutions). Ces termes sont révélateurs
de l’esprit de cette analyse, mais pas de ses principes fondamentaux. Les institutions ne sont pas des équilibres de la théorie des
jeux, les jeux ne sont pas l’unité de base de l’analyse des institutions, et la théorie des jeux ne fournit pas une théorie des
institutions. En vérité, pour faire progresser l’analyse des institutions, il est précisément essentiel de reconnaître la différence
entre l’analyse des équilibres propre à la théorie des jeux et l’analyse des institutions.
54 L’institutionnalisme évolutif tout comme la théorie des jeux classique tendent à suggérer que la recherche d’une théorie des
institutions globale et déductive – c’est-à-dire d’une mise en adéquation parfaite des traits exogènes observables de la situation

https://journals.openedition.org/traces/4264 12/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

et des institutions – pourrait s’avérer futile. Parvenir à une forme unique d’équilibre dans les modèles évolutifs exigerait de
formuler des hypothèses restrictives concernant les actions possibles, la rationalité et les processus stochastiques sur lesquels
reposent l’expérimentation, l’apprentissage et les mutations. La théorie des jeux classique indique que des équilibres – et donc
des institutions – multiples peuvent être auto-exécutoires. Même en émettant, comme dans la théorie des jeux, l’hypothèse
selon laquelle les individus sont hautement rationnels et selon laquelle le jeu fait l’objet d’une connaissance partagée, les
équilibres multiples sont la règle plutôt que l’exception dans les situations récurrentes qui sont au cœur de l’analyse des
institutions.
55 Cette indétermination des institutions met en cause notre capacité à les étudier de manière déductive. Les prémisses sur
lesquelles repose l’analyse déductive sont que la théorie peut restreindre – prédire – les résultats endogènes possibles pour un
ensemble donné de traits exogènes observables d’une situation. Cette prédiction doit être suffisamment précise si l’on veut que
l’analyse empirique ait un sens. Dans le cas de l’analyse des institutions, nous ne disposons pas d’une telle théorie déductive
capable de prédire des institutions.
56 L’analyse inductive à la manière de Francis Bacon, qui identifie et classe les institutions en fonction de leurs traits observables,
présente les mêmes insuffisances pour l’étude des institutions, même si elle reconnaît la nécessité d’étudier la motivation. Assimiler
les institutions à des traits observables tels que les règles et les organisations nous induit en erreur, parce que c’est la motivation,
alimentée par des croyances et des normes inobservables, qui détermine si les règles sont suivies, et quel impact une organisation
peut avoir14. S’il est facile d’observer certains éléments d’une institution, comme des règles formelles ou des organisations – par
exemple des marchés financiers ou des cours de justice –, d’autres sont intrinsèquement difficiles à observer et mesurer, comme
par exemple les normes concernant l’honnêteté lorsque l’on négocie avec des étrangers, ou la confiance en l’application des lois15.
57 Mais encore, comme le révèlent la théorie des jeux et d’autres cadres d’analyse, de multiples normes et croyances peuvent être
auto-exécutoires dans cette même situation, quand bien même nous supposerions que les individus sont hautement rationnels
et que les règles du jeu sont connues de tous. Il n’y a pas d’adéquation parfaite entre les éléments observables des institutions
(les règles et les organisations) et ceux qui ne le sont pas (les croyances et les normes). Les mêmes règles et organisations
peuvent être les éléments d’institutions qui diffèrent dans leurs croyances et dans leurs normes, ce qui implique que nous ne
pouvons pas étudier les institutions de manière inductive, en nous appuyant sur leurs seuls éléments observables.
58 Face à l’impossibilité d’élaborer une théorie déductive des institutions tout comme d’identifier des institutions sur la seule
base de leurs éléments observables, les méthodes empiriques traditionnellement employées dans les sciences sociales se
trouvent remises en cause. Ces méthodes reposent en effet sur ces fondations jumelles : le pouvoir de prédiction de la théorie
déductive, et la capacité à classer les résultats de manière inductive.
59 La mesure de cette remise en cause apparaît dans les tentatives d’évaluation économétrique de l’effectivité des institutions qui
assimilent celles-ci à leurs traits observables (notamment les règles) ou à leurs effets (notamment la garantie du droit de propriété).
En dépit d’un travail énorme réalisé par les chercheurs et de multiples analyses économétriques, le débat fait toujours rage quant à
savoir si leurs conclusions confirment le postulat soutenant que les institutions sont importantes (Rodrik et al., 2004 ; Glaeser et
al., 2004). Les analyses qui, pour démontrer qu’elles ont un impact sur la croissance, soumettent les institutions à des mesures
quantitatives, en termes par exemple de libertés individuelles et de droit de propriété, manquent pareillement de solidité (Aron,
2000). Même l’impact de l’instabilité politique et du capital social sur la croissance a été difficile à établir par l’analyse
économétrique (Campos et Nugent, 2002 ; Schneider, Plumer et Baumann, 2000).
60 Il est possible que ces résultats peu concluants reflètent un manque d’attention au fait que les composants institutionnels non
observables peuvent varier systématiquement d’une société à l’autre, et ainsi influencer directement l’effectivité d’une

https://journals.openedition.org/traces/4264 13/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

institution. Par exemple, deux sociétés qui partagent exactement les mêmes règles formelles concernant le droit de propriété
connaîtront des niveaux d’investissement différents si la confiance en l’application de ce droit n’est pas la même dans les deux.
Aussi, évacuer ces composants institutionnels non observables en les considérant comme de simples variations
idiosyncrasiques, revient en fait à oublier une variable, ce qui distord toute tentative de mesure qui ne les prend pas en compte.
61 En réponse au défi que l’analyse institutionnelle lance aux méthodes empiriques traditionnelles des sciences sociales, la
perspective évoquée ici propose une méthode complémentaire : l’étude de cas. Celle-ci est particulièrement prometteuse dans le
contexte de l’absence d’une théorie déductive des institutions, d’une grande diversité institutionnelle, d’une aspiration à la
compréhension exhaustive d’institutions spécifiques en vue du développement de politiques publiques, et du besoin d’émettre
des propositions générales en ce qui concerne les institutions.
62 Cette méthode part de l’idée que les composants institutionnels hérités du passé influencent les institutions ultérieures et
affirme la nécessité d’utiliser des informations contextuelles – historiques – pour étudier les institutions. Plus généralement, ce
livre propose une méthode empirique articulée autour d’études de cas et reposant sur une analyse interactive et contextualisée,
laquelle allie une connaissance contextuelle de la situation et de son histoire à une théorie et un modèle explicites et
contextualisés. De manière interactive, cette méthode combine connaissance contextuelle et modèle contextualisé pour
identifier l’institution, élucider pourquoi et comment elle s’est mise en place, et comprendre sa pérennité, ses transformations et
ses effets16.
63 En reconnaissant que les éléments dont sont composées les institutions sont aussi les attributs d’individus et de sociétés, la
perspective élaborée ici comble le fossé entre l’étude des institutions comme règles ou contrats (comme cela est souvent le cas
en économie) et leur étude comme phénomènes culturels (comme cela est souvent le cas dans les autres sciences sociales)17. La
perspective avancée ici reconnaît qu’il est futile de discuter indéfiniment de la définition de la culture et des institutions, ou de
débattre pour savoir ce qui, de la culture ou des institutions, est plus important dans la genèse de tel ou tel phénomène.
64 Bien au contraire, cette perspective souligne à quel point les « culturalistes » et les « institutionnalistes » sont
fondamentalement intéressés par les mêmes phénomènes, à savoir les effets produits par des facteurs humains non physiques,
lesquels génèrent des régularités de comportement tout en demeurant exogènes aux individus – pris isolément – dont ils
influencent ainsi le comportement. Ils s’intéressent par exemple aux systèmes de croyances et aux normes internalisées qui
génèrent des régularités de comportement. Dès lors, notre analyse souligne dans quelle mesure et à quelles conditions le
« culturel » et l’« institutionnel » se recoupent. Dans le domaine de l’économie, cela suppose de réunir l’analyse institutionnelle
et l’analyse du capital social18.
65 De manière plus déterminante encore, la perspective avancée ici nous permet, en reconnaissant l’interconnexion entre
l’institutionnel et le culturel, d’étudier comment ils interagissent. Une conclusion importante de ce livre est que la culture
influence le développement institutionnel. En même temps, l’intégration de composants culturels dans les institutions d’une
société est un mécanisme qui permet leur pérennité.
66 L’extension du cadre de l’analyse pour inclure le culturel, le social et l’organisationnel indique que notre perspective est socio-
économique19. Elle se distingue, tout en la complétant, de l’approche des « institutions-comme-règles », qui étudie les
institutions en tant qu’elles sont déterminées par des forces économiques et politiques. Notre vision socio-économique à la fois
reflète et constitue un « tournant sociologique » pour l’économie néo-institutionnaliste, ce en quoi elle diffère de l’accent mis
sur les aspects politiques et économiques par l’approche des « institutions-comme-règles ». La vision socioéconomique tient
compte de ces aspects, mais va plus loin. De fait, la perspective avancée ici s’inspire des principales traditions de
l’institutionnalisme sociologique : la tradition héritée de Durkheim, qui s’intéresse tout particulièrement à la constitution

https://journals.openedition.org/traces/4264 14/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?

sociale des codes de conduites et des croyances ; la tradition initiée par Parsons, qui porte son attention sur les comportements
normés ; l’accent mis sur les structures et relations sociales par Wrong (1961), Granovetter (1985) et March et Olsen (1989) ;
enfin la tradition associée à Weber (1947, 1949), à Berger et Luckmann (1967), à Searle (1995) et à DiMaggio et Powell (1991),
qui étudie les fondations cognitives du comportement, des organisations et de la construction sociale de la réalité. Comme ces
considérations sociologiques sont également centrales dans l’ancien institutionnalisme (Dugger, 1990), élargir le champ du néo-
institutionnalisme pour les intégrer demande de réunir les deux problématiques de l’économie institutionnaliste.
67 En posant la question de la stabilité des institutions, des transformations endogènes et de l’impact du passé sur des
institutions ultérieures dans un cadre d’étude unifié, l’analyse des dynamiques institutionnelles comme processus historiques
vient compléter trois axes de recherche : l’institutionnalisme historique dans les sciences politiques, qui met en évidence que les
institutions reflètent un processus historique (Hall et Taylor, 1996 ; Thelen, 1999 ; Pierson et Skocpol, 2002) ; les travaux sur les
phénomènes de « dépendance temporelle » ( path dependence) de David (1985) et Arthur (1988), qui soulignent la stabilité
historique des phénomènes hérités ; enfin l’étude de la culture comme « boîte à outils » permettant la reconstruction de la
société dans des situations nouvelles (Swidler, 1986).
68 Le rapport entre la perspective détaillée ici et l’institutionnalisme évolutif est également important. L’analyse des dynamiques
institutionnelles comme processus historiques est évolutive dans la mesure où elle mesure l’impact du passé sur la vitesse et la
direction des transformations. De fait, elle met en évidence les micro-fondations des processus évolutifs dans le développement
institutionnel. Les institutions existantes affectent les processus d’apprentissage, d’imitation et d’expérimentation qui amènent
la création de nouvelles institutions ; elles influencent les coûts et les bénéfices associés à l’introduction de nouveaux
composants institutionnels ; et elles font tendre les nouvelles institutions en direction d’une interconnexion avec les composants
institutionnels existants, les empêchant de s’en écarter très fortement.

Bibliographie
A Daron, J Simon et R James A., 2001, « The colonial origins of comparative development. An empirical
investigation », American Economic Review, vol. 91, no 5, p. 1369-1401.
A Masahiko, 2001, Toward a Comparative Institutional Analysis, Cambridge, MIT Press.
A Janine, 2000, « Growth and institutions. A review of the evidence », World Bank Research Observer, vol. 15, no 1, p. 99-135.
A Brian W., 1988, « Self-reinforcing mechanisms in economics », The Economy as an Evolving Complex System, K. Arrow et
P. Anderson éd., New York, Wiley, p. 9-33.
B Pranab, 1991, « Alternative approaches to the theory of institutions in economic development », The Economic Theory of Agrarian
Institutions, P. Bardhan éd., Oxford, Clarendon Press, p. 3-17.
B Yoram, 1989, Economic Analysis of Property Rights, Cambridge, Cambridge University Press.
B Robert H. et al., 1998, Analytic Narratives, Princeton, Princeton University Press.
B Robert H., F Rui J. P. ( ) et W Barry, 1998, « The politics of interpretation. Rationality, culture and transition »,
Politics & Society, vol. 26, no 4, p. 603-642.
B Peter L. et L Thomas, 1967, The Social Construction of Reality, New York, Anchor Books.
B Mary et N Victor éd., 1998, The New Institutionalism in Sociology, New York, Russell Sage Foundation.
B Richard H., 1996, The Commercialisation of English Society, 1000-1500, New York, Manchester University Press.

https://journals.openedition.org/traces/4264 15/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?
C Randall L., 1995, « Rational actors, equilibrium and social institutions », Explaining Social Institutions, J. Knight et I. Sened éd.,
Ann Arbor, University of Michigan Press, p. 57-93.
C Nauro F. et N Jeffrey B., 2002, « Who is afraid of political instability ? », Journal of Development Economics, vol. 67, no 1,
p. 157-172.
C Ronald H., 1937, « The nature of the firm », Economica, vol. 4, no 16, p. 386-405.
C James S., 1990, Foundations of Social Theory, Cambridge, Harvard University Press.
C John R., 1924, Legal Foundations of Capitalism, New York, Macmillan.
D Partha et S Ismail éd., 2000, Social Capital. A Multifaceted Perspective, Washington DC, World Bank.
D Paul A., 1985, « Clio and the economics of qwerty », American Economic Review, vol. 75, no 2, p. 332-337.
— 1994, « Why are institutions the “carriers of history” ? Path dependence and the evolution of conventions, organization and institutions »,
Structural Change and Economic Dynamics, vol. 5, no 2, p. 205-220.
DM Paul, 1994, « Culture and economy », The Handbook of Economic Sociology, N. Smelser et R. Swedberg éd., New York, Russell
Sage Foundation, p. 27-57.
— 1997, « The new institutionalism. Avenues of collaboration », Journal of Institutional and Theoretical Economics, no 154, p. 1-10.
DM Paul et P William éd., 1991, The New Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press.
D Avinash K., 2004, Lawlessness and Economics. Alternative Modes of Governance, Princeton, Princeton University Press.
D Simeon, G Edward L., L P Rafael, L - -S Florencio et S Andrei, 2003, « The new comparative
economics », Journal of Comparative Economics, vol. 31, no 4, p. 595-619.
D William M., 1990, « The new institutionalism. New but not institutionalist », Journal of Economic Issues, vol. 24, no 2, p. 423-431.
E Thráinn, 1990, Economic Behavior and Institutions, Cambridge, Cambridge University Press.
E Robert, 1991, Order without Law, Cambridge, Harvard University Press.
E Glenn, 1993, « Learning, local interaction and coordination », Econometrica, vol. 61, no 5, p. 1047-1071.
E Jon, 2000, « Rational choice history. A case of excessive ambition », American Political Science Review, vol. 94, no 3, p. 685-695.
E Stanley et S Kenneth, 1997, « Factor endowments, institutions and differential paths of growth among new world
economies », How Did Latin America Fall Behind ?, S. Haber éd., Stanford, Stanford University Press, p. 260-304.
F Jeffrey éd., 1996, The Rational Choice Controversy. Economic Models of Politics Reconsidered, New Haven, Yale University Press.
F Drew et K David, 1988, « A theory of learning and Nash equilibrium », Mimeo, Stanford University.
F Drew et L David K., 1993, « Self-confirming equilibrium », Econometrica, vol. 61, no 3, p. 523-546.
F Erik G. et R Rodolph, 1997, Institutions and Economic Theory, Ann Arbor, University of Michigan Press.
G Robert, « Game theory and garbarge cans. An introduction to the economics of internal organization », Debating Rationality. Non-
rational Elements of Organizational Decision Making, R. Stern et J. Halpern éd., Ithaca, Cornell University Press, p. 36-52.
— 2001, « Trust in social structures. Hobbes and Coase meet repeated games », Trust in Society, K. Cook éd., New York, Russell Sage
Foundation, p. 332-353.
G Herbert, 2000, Game Theory Evolving, Princeton, Princeton University Press.
G Edward L. et S Andrei, 2002, « Legal origin », Quarterly Journal of Economics, vol. 117, no 4, p. 1193-1230.
G Edward L., L P Rafael, L - -S Florencio et S Andrei, 2004, « Do institutions cause growth ? », Journal of
Economic Growth, no 9, p. 271-303.

https://journals.openedition.org/traces/4264 16/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?
G Mark S., 1985, « Economic action, social structure. The problem of embeddedness », American Journal of Sociology, vol. 91,
no 3, p. 481-510.
G Donald et S Ian, 1994, Pathologies of Rational Choice Theory, New Haven, Yale University Press.
G Avner, 1989, « Reputation and coalitions in medieval trade. Evidence on the Maghribi traders », Journal of Economic History, vol. 49,
no 4, p. 857-882.
— 1992, « Institutions and commitment in international trade. Lessons from the commercial revolution », American Economic Review,
vol. 82, no 2, p. 128-133.
— 1993, « Contract enforceability and institutions in early international trade. The Maghribi traders coalition », American Economic Review,
vol. 83, no 3, p. 525-548.
— 1994a, « Cultural beliefs and the organization of society. Historical and theoretical reflection on collectivist and individualist societies »,
Journal of Political Economy, vol. 102, no 5, p. 912-950.
— 1994b, « On the political foundations of the late medieval commercial revolution. Genoa during the twelfth and thirteenth centuries »,
Journal of Economic History, vol. 54, no 54, p. 271-287.
— 1997, « Microtheory and recent developments in the study of economic institutions through economic history », Advances in Economic
Theory, t. 2, D. Kreps et K. Wallis éd., Cambridge, Cambridge University Press, p. 79-113.
— 1998a, « Historical and comparative institutional analysis », American Economic Review, vol. 88, no 2, p. 80-84.
— 1998b, « Théorie des jeux et analyse historique des institutions. Les institutions économiques du Moyen Âge », Annales HSS, vol. 53, no 3,
p. 597-633.
— 2000, « The fundamental problem of exchange. A research agenda in historical institutional analysis », European Review of Economic
History, vol. 4, no 3, p. 251-284.
— 2006, Institutions and the Path to the Modern Economy. Lessons from Medieval Trade, New York, Cambridge, Cambridge University
Press.
G Avner et L David, 2004, « A theory of endogenous institutional change », American Political Science Review, vol. 98, no 4, p. 14-
48.
G Gene M. et H Elhanan, 2002, Special Interest Politics, Cambridge, MIT Press.
H Peter A. et T Rosemary C. R., 1996, « Political science and the three new institutionalisms », Political Studies, vol. 44, no 4, p. 936-
957.
H Robert E. et J Charles I., 1999, « Why do some countries produce so much more output per worker than others ? », Quarterly
Journal of Economics, vol. 114, no 1, p. 83-116.
H Oliver et H Bengt, 1987, « The theory of contracts », Advances in Economic Theory, Fifth World Congress, T. Bewley éd.,
Cambridge, Cambridge University Press, p. 71-157.
H Oliver et M John, 1999, « Foundations of incomplete contracts », Review of Economic Studies, vol. 66, no 1, p. 115-138.
H Friedrich A. ( ), 1937, « Economics and knowledge », Economica, vol. 4, no 13, p. 33-54.
H Michael, 1992, « The insufficiency of game theory for the resolution of real world collective action problems », Rationality and
Society, vol. 4, no 1, p. 33-40.
H Geoffrey M., 1998, « The approach of institutional economics », Journal of Economic Litterature, vol. 36, no 1, p. 166-192.
K Michihiro, 1997, « Evolutionary game theory in economics », Advances in Economic Theory, t. 1, D. Kreps et K. Wallis éd.,
Cambridge, Cambridge University Press, p. 243-277.
K Michihiro, M George et R Robert, 1993, « Learning, mutation and long run equilibria in games », Econometrica, vol. 61,
no 1, p. 29-56.

https://journals.openedition.org/traces/4264 17/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?
K Jack, 1992, Institutions and Social Conflict, Cambridge, Cambridge University Press.
L S , 1952-1954 [1202-1226], « Cartolare », Notari Liguri del sec. e del , H. C Krueger et R. L. Reynolds éd., Gênes,
Società Ligure di Storia Patria, p. 1952-1954.
L David, 1969, Convention. A Philosophical Study, Cambridge, Harvard University Press.
L Margaret, 2004, « An analytic narrative approach to puzzles and problems », Problems and Methods in the Study of Politics, I. Shapiro,
R. Smiths et T. Masoud éd., Cambridge, Cambridge University Press, p. 201-226.
L Robert S., 1976, The Commercial Revolution of the Middle Ages, 950-1350, Cambridge, Cambridge University Press.
M James G. et O Johan P., 1989, Rediscovering Institution. The Organizational Basis of Politics, New York, Free Press.
M Ramon, 1997, « Learning from learning in economics », Advances in Economic Theory, t. 1, D. Kreps et K. Wallis éd., Cambridge,
Cambridge University Press, p. 278-315.
M Wesley C., 1925, « Quantitative analysis in economic theory », American Economic Review, vol. 15, no 1, p. 1-12.
M Peter, 2000, The Political Economy of Democratic Institutions, Cheltenham, Edward Elgar.
M Gerardo, 2001, « Game theory and comparative politics », World Politics, vol. 53, no 2, p. 173-204.
N Richard R. et W Sidney G., 1982, An Evolutionary Theory of Economic Change, Cambridge, Harvard University Press.
N Douglass C., 1981, Structure and Change in Economic History, New York, Norton.
— 1990, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge, Cambridge University Press.
P Karl G., 1988, Pre-Industrial Economic Growth, Social Organization, and Technological Progress in Europe, New York, Blackwell.
P Paul et S Theda, 2002, « Historical institutionalism in contemporary political science », Political Science. State of the
Discipline, I. Katznelson et H. Milner éd., New York, Norton, p. 693-721.
P Michael, 1973, Medieval Trade and Finance, Cambridge, Cambridge University Press.
P Norman J. G., 1994, An Economic History of Medieval Europe, New York, Longman.
P Robert D., 1993, Making Democracy Work, Princeton, Princeton University Press.
— 2000, Bowling Alone, New York, Simon and Schuster.
R Dani et al., 2004, « Institutions rule. The primacy of institutions over geography and integration in economic development », Journal
of Economic Growth, vol. 9, no 2, p. 131-165.
S Fritz, 1997, Games Real Actors Play. Actor-Centered Institutionalism in Policy Research, Boulder, Westview.
S Gerald, P Thomas et B Steffen, 2000, « Bringing Putnam to the European regions. On the relevance of social
capital for economic growth », European Urban and Regional Studies, vol. 7, no 4, p. 307-317.
S Andrew, 1981, The Economic Theory of Social Institutions, Cambridge, Cambrige University Press.
S Richard W., 1995, Institutions and Organizations, Thousand Oaks, Sage Publications.
S Itai, 1997, The Political Institutions of Private Property, Cambridge, Cambridge University Press.
S John, 1995, The Construction of Social Reality, New York, Free Press.
S William H., 1992, « A theory of structure. Duality, agency, and transformation », American Journal of Sociology, vol. 98, no 4, p. 659-
679.
S Kenneth A., 1979, « Institutional arrangements and equilibrium in multidimensional voting models », American Journal of Political
Science, vol. 23, no 1, p. 27-59.

https://journals.openedition.org/traces/4264 18/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?
— 1992, « Institutional equilibrium and equilibrium institutions », Political Science. The Science of Politics, H. F. Weisberg éd., New York,
Agathon Press, p. 51-82.
S Neil et S Richard, 1994, « The sociological perspective on the economy », The Handbook of Economic Sociology,
N. Smelser et R. Swedberg éd., New York, Russell Sage Foundation, p. 3-26.
S Joel, 2002, « Can we trust social capital ? », Journal of Economic Litterature, vol. 40, no 1, p. 139-154.
S Robert, 1986, The Economic of Rights. Cooperation and Welfare, Oxford, Basil Blackwell.
S John, 1991, Sunk Costs and Market Structure. Price Competition, Advertising, and the Evolution of Concentration, Cambridge, MIT
Press.
S Ann, 1986, « Culture in action », American Sociological Review, vol. 51, no 2, p. 273-286.
T Kathleen, 1999, « Historical institutionalism in comparative politics », Annual Review of Political Science, vol. 2, p. 369-404.
T Robert, 1979, « Optimal contracts and competitive markets with costly state verification », Journal of Economic Theory, vol. 21,
no 2, p. 265-293.
U -M Edna, 1977, The Emergence of Norms, Oxford, Clarendon Press.
V Thorstein, 1899, The Theory of the Leisure Class, New York, Macmillan.
W Max, 1947, The Theory of Social and Economic Organization, New York, Free Press.
— 1949, The Methodology of Social Sciences, Glencoe, Free Press.
W Jörgen, 1995, Evolutionary Game Theory, Cambridge, MIT Press.
W Barry et M William, 1988, « The industrial organization of Congress, or why legislators, like firms, are not organized as
markets », The Journal of Political Economy, vol. 96, no 1, p. 132-163.
W Barry, 1996, « Political institutions, rational choice perspectives », A New Handbook of Political Science, R. Goodin et H.-D.
Klingemann éd., New York, Oxford University Press, p. 167-190.
W Oliver E., 1985, The Economic Institutions of Capitalism, New York, Free Press.
— 1993, « Transaction cost economics and organization theory », Industrial and Corporate Change, vol. 2, no 2, p. 107-156.
— 1996, The Mechanisms of Governance, Oxford, Oxford University Press.
— 1998, « Transaction cost economics. How it works ; where it is headed », De Economist, vol. 146, no 1, p. 23-58.
— 2000, « The new institutional economics. Taking stock, looking ahead », Journal of Economic Litterature, vol. 38, no 3, p. 595-613.
W Michael, 1998, « Social capital and economic development. Toward a theoretical synthesis and policy framework », Theory and
Society, vol. 27, no 2, p. 151-208.
W Dennis H., 1961, « The oversocialized conception of man in modern sociology », American Sociological Review, vol. 26, no 2, p. 183-
193.
Y Peyton H., 1993, « The evolution of conventions », Econometrica, vol. 61, no 1, p. 57-84.
— 1998, Individual Strategy and Social Structure, Princeton, Princeton University Press.
Z Paul J. et K Stephen, 2001, « Trust and growth », Economic Journal, vol. 111, no 470, p. 295-321.

Notes

https://journals.openedition.org/traces/4264 19/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?
1 Ce texte est la traduction du début de l’introduction de l’ouvrage d’Avner Greif, Institutions and the Path to the Modern Economy. Lessons
from Medieval Trade, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 1-23. La traduction est réalisée avec l’aimable autorisation de
Cambridge University Press et de l’auteur. © Cambridge University Press.
2 Lanfranco Scriba (1952-1954, no 524). Cette croissance économique a notamment été étudiée par Britnell (1996), Lopez (1976), Persson
(1988), Postan (1973) et Pounds (1994).
3 Djankov et al. (2003) affirment que l’économie comparative doit permettre de comprendre le compromis qui existe entre les risques
d’expropriation privée et publique des droits de propriété. Les dispositifs institutionnels tels que l’ordre privé, l’indépendance judiciaire, l’État
régulateur et la nationalisation sont des figures de ce compromis. Le niveau absolu d’efficacité de chacun de ces dispositifs qui est possible
dans un pays dépend de la capacité de ses résidents à coopérer. La perspective que nous élaborons ici offre un cadre d’étude unifié grâce
auquel il est possible d’étudier le micro-fonctionnement des dispositifs institutionnels et la capacité à coopérer.
4 Pour des études récentes sur le néo-institutionnalisme dans les sciences sociales, voir Eggertsson (1990), Bardhan (1991), Furubotn et
Richter (1997), Hodgson (1998) et Greif (1997, 1998a, 1998b) en économie ; Hall et Taylor (1996) et Thelen (1999) dans les sciences
politiques ; DiMaggio et Powell (1991), Smelser et Swedberg (1994), Scott (1995) et Brinton et Nee (1998) en sociologie. La perspective
exposée ici est néo-institutionnaliste car elle réside dans l’étude des micro-fondations du comportement.
5 J’emploie le terme « motivé » (motivated), plutôt que « contraint » (enforced) parce que les actions peuvent être suscitées à la fois par la
crainte de la punition, et par la récompense de l’obéissance.
6 Les concepts fondamentaux de la théorie des jeux sont exposés dans l’annexe A du livre.
7 Dans les sciences politiques, l’analyse des « équilibres favorisés par les structures » (structure-induced equilibria) a enrichi l’approche des
« institutions-comme-règles » en examinant la motivation des acteurs politiques. Elle étudie les règles déterminées politiquement comme des
équilibres générés au sein d’un jeu encadré par les règles des processus de décision politique. Elle considère les éléments structurels du
processus de décision politique (par exemple, l’organisation du Congrès américain en comités) comme faisant partie des règles du jeu au sein
duquel les agents politiques interagissent. Une analyse en termes d’équilibre identifie précisément ce qui motive les agents politiques à
instituer une règle économique spécifique (Shepsle, 1979 ; Weingast et Marshall, 1988 ; Moser, 2000).
8 Un jeu spécifique peut avoir plusieurs séquences, et le comportement dans des séquences ultérieures peut être conditionné par le
comportement et les événements de séquences antérieures. Cependant, cela ne nous dit rien quant aux relations entre des jeux différents (cela
nous donne seulement la relation entre différentes séquences ou étapes d’un même jeu). La théorie des jeux nous permet de passer d’un jeu à
la stratégie d’ensemble, pas de passer d’un jeu à un autre.
9   La théorie des jeux classique modélise le comportement stratégique d’agents rationnels dans des situations dont les détails sont connus de
tous. S est connu de tous si tous les joueurs connaissent S, si tous les joueurs savent que tous les joueurs connaissent S, et ainsi de suite
jusqu’à l’infini (Lewis, 1969).
10 Pour des modèles d’apprentissage dans lesquels les mêmes joueurs interagissent les uns avec les autres de manière répétée (au lieu de se
coordonner de manière aléatoire), voir Schotter (1981) ; Fudenberg et Kreps (1988) ; Ellison (1993) ; Marimon (1997) et Fudenberg et Levine
(1998).
11 Pour des exposés antérieurs et moins complets de ce projet, voir Greif (1989, 1992, 1994a, 1997, 1998a, 1998b, 2000). Cette perspective se
rapproche le plus fortement de celles proposées par Shepsle (1992), Calvert (1995), Gibbons (2000) et tout particulièrement de celle d’Aoki
(2001).
12 La transaction est l’unité de base dans les analyses inspirées de l’économie des coûts de transaction. Voir Williamson (1993), qui envisage
également la possibilité d’utiliser d’autres unités d’analyse dans l’économie institutionnelle. La définition des transactions utilisée ici est
différente de celle employée dans l’économie des coûts de transaction, comme il est expliqué dans le chapitre 2 de l’ouvrage.
13 Par théorie des institutions, j’entends une théorie qui prédit, à partir des caractéristiques exogènes de la situation, l’institution qui en
résulte.
14 Pour cette raison, c’est se fourvoyer que d’assimiler les institutions à des traits observables, comme par exemple les restrictions
constitutionnelles qui pèsent sur l’exécutif, les règles qui protègent les droits de propriété, ou encore un système judiciaire indépendant.

https://journals.openedition.org/traces/4264 20/21
01/09/2019 Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ?
15 Des documents tels que la correspondance ou les enquêtes qui révèlent les croyances et les normes sont parfois utiles. Voir, par exemple,
Zak et Knack (2001).
16 Cette position s’inscrit dans la lignée de Sutton (1991) ; Greif (1997, 2000) ; Scharpf (1997) ; Bates et al. (1998) ; Levi (2004) ; et d’autres.
17 Le culturel est difficile à définir. En 1952, Knoeber et Kluckholm identifiaient déjà 164 définitions de la culture. Pour des réflexions
stimulantes sur cette question, voir DiMaggio (1994, 1997) et la partie III de cet ouvrage.
18 Le capital social est souvent défini comme « les caractéristiques de l’organisation sociale, telles que la confiance, les normes et les réseaux,
qui peuvent améliorer l’efficacité de la société en permettant de coordonner les actions » (Putnam, 1993, p. 167). Les travaux de Coleman
(1990) et Putnam (1993, 2000) sont devenus des classiques. Voir aussi Woolcock (1998), Dasgupta et Serageldin (2000) et Sobel (2002).
19 Elle rassemble les quatre piliers de l’approche sociologique des institutions, ainsi que Smelser et Swedberg (1994) les ont résumés dans le
Handbook of Economic Sociology. Comme il est désormais courant de le faire en économie, la perspective adoptée ici accepte que les
préférences et la rationalité sont construites socialement, que les structures sociales et les significations sont importantes et que l’économie
fait intégralement partie de la société.

Pour citer cet article


Référence électronique
Avner Greif, « Qu’est-ce que l’analyse institutionnelle ? », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 17 | 2009, mis en ligne le 30
novembre 2011, consulté le 01 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/traces/4264 ; DOI : 10.4000/traces.4264

Cet article est cité par


Cazals, Clarisse. Rivaud, Audrey. (2014) Patrimoine sectoriel et performances : le cas de l’aquaculture. Économie et
Institutions. DOI: 10.4000/ei.5655

Auteur
Avner Greif
Professeur d’économie à l’Université de Stanford (États-Unis) et Bohman Family Professor in Humanities and Sciences

Droits d’auteur

Tracés est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de
Modification 4.0 International.

https://journals.openedition.org/traces/4264 21/21

Vous aimerez peut-être aussi