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Histoire des mathématiques

de l'Antiquit , à l'an mil

A la découverte des origines


EDITIONS • IS no31
PO LE ISSN 2263-4908
Bibliothèque
Ta.n9 L'aventure noat:hénoat:ique
e

Tangente Hors-série n° 30

Histoire des mathématiques


de l'Antiquité à l'an mil
Sous la direction d'Élisabeth Busser

© Éditions POLE - Paris 2015


Toute repré entation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle, par tou procédés , en
tous pays, fa ite sans autorisation préalable est illicite, et exposerait le contrevenant à des poursuites
judiciaires . Réf. : Loi du 11 mars 1957 .
I.S.B.N. 9782848841892 I.S.S.N. 2263-4908 Commission paritaire 1016 K 80883
Prochaine01ent
dans la Bibliothèque Tangente

EDITIONS.
POLE
Histoire des mathématiques
de l'Antiquité à l'an mil

Sommaire
Mathématiques : chronologie
de quatre siècles d 'aventures
Les divisions du savoir dans I'Antiquité
Dupliquer un carré chez Platon
De l'astrologie à la science
La naissance des mathématiques

l •X•tii i3,1 Les ciulllsations


Les mathématiques furent l'invention de toutes sortes
de peuples, qui les pratiquèrent tantôt pour raisons
comptables, astronomiques ou religieuses, tantôt pour
elles-mêmes. Les hommes voyagent, les peuples se ren-
contrent, les uns deviennent les passeurs du savoir des
autres, tels les Arabes exhumant la science grecque ou
offrant des chiffres d'origine indienne à l'Occident.

La Grèce antique et sa zone d'influence


Alexandrie : sept cent ans
d 'histoire des mathématiques
La mystérieuse machine d'Anticythère
Babyloniens et Égyptiens
La méthode de Héron
Mathématiques en Chine ancienne
Mathématiques indiennes : les origines
La cience arabe racontée par Shéhérazade
Dans l'Amérique précolombienne
Le latin, langue des mathématiques

DOSSIER Les personnages


Les mathématiques antiques doivent leur développe-
ment à la passion de personnages remarquables, fon-
dateurs d'écoles ou savants solitaires. Certains de ces
grands noms, Pythagore, Euclide ... nous sont familiers.
D'autres , comme Théétète ou Hypatie, sont moins
connus. Dans cette partie, nous rendons aussi homma-
ge à al-Khwarizmi, Zu Chongzhi, Aryabhata et d 'autres
grands savants orientaux.

Thalès et l'ombre de la pyramide


Trois mathématiciens chinois
Les pythagoriciens : des maths ésotériques et secrètes

Hors série n°30. Histoire des mathé


Deux mille ans avant Galois, Théétète
Euclide
Aristote
Archimède, le quadrateur
Hypatie d 'Alexandrie
Aryabhata et Brahmagupta
Al-Kindi
Al-Khwarizmi, maître de l'algèbre
Thabit ibn Qurra
Le pape qui aimait les chiffres

DOSSIER les grands thèmes


Comment calculaient les Anciens ? Connaissaient-ils
les objets mathématiques qui nous sont aujourd'hui
familiers ? Comment abordaient-ils les grands
concepts mathématiques? Dans ce dossier, on délaisse
nos calculatrices modernes pour goûter aux joies du
maniement de l'abaque. On compare l'efficacité des
systèmes de numération. On redécouvre les premières
réflexions sur la nature du nombre, l'invention du zéro,
la manipulation - prudente - de la notion d 'infini...

Écrire les mathématiques


Une histoire d'inconnues
La découverte des grandeurs incommensurables
Pourquoi les Grecs n'ont-ils pas inventé l'algèbre ?
L'invention de la trigonométrie
Des chiffres « romains » aux chiffres « arabes »
Les naissances multiples du zéro
L'infini, potentiel ou actuel ?
L'abaque grec et la calculette romaine
Les polyèdres dans l'Antiquité
Un recueil mathématique vieux de douze siècles

En bref

Jeux et Problèmes
Solutions

4 Tc:ingent:e Hors-série n°30. Histoire des math


par F.C. et J.-J.D. EN BREF

Mvthes et fantômes la naissance de la


La vie de quelques auteurs de !'Antiquité nous est
bien connue. C'est le cas de Platon , dont on connaît •••••tr1•par MICIIII Serres
même la généalogie sur plus de six générations du
« Or en moins de quatre
moins pour sa lignée maternelle. Aussi bien du côté
siècles, de Thalès de Milet à
de sa mère que de son père, Platon descendrait. .. de
Euclide d'Alexandrie et qu'ils
Poséidon. On voit ici que la légende s'empare vite des le veuillent ou non, les pen-
figures historiques. seurs grecs, rivaux de villes
D'autres personnages sont plus flous , comme et d'écoles, d'économie et de
Théétète, dont on n'arrive pas bien à savoir s'il est religion, acharnés à se
mort à 20 ans ou 46 ans. D'autres encore sont des contredire, fils de la terre
fantômes : on sait si peu de choses d'eux que l'on contre amis des formes ou
doute parfois de leur existence. Ainsi , Timée de penseurs du mouvant contre
Lacres ne serait qu 'une création littéraire de Platon. éternitaires, ont, ensemble,
Certes, Timée de Lacres et Théétète ne passionnent construit, de façon fou-
pas les foules - et c'est sûrement injuste pour droyante et inattendue, un
Théétète - mais Pythagore, Euclide! Eh bien même Empire invisible et unique
Pythagore pose problème aux historiens. Il semble dont la grandeur sans déca-
qu 'il ait existé, mais il n'a rien écrit et la tradition orale dence perdure jusqu'à nous,
autour de son œuvre était secrète, réservée aux initiés un bâtiment sans autre
de sa secte! Dans ces conditions, difficile de démêler exemple dans l'histoire où ils
l'écheveau des légendes brodées autour de sa vie et nous amènent encore, à plus
de ses connaissances. Pour Euclide, c'est pire. Bien de deux millénaires de dis-
qu 'il soit l'auteur d'un des textes fondateurs des tance, à travailler selon les
mathématiques, les Éléments, on ne sait rien de lui! mêmes gestes qu'eux et sans
Longtemps, il a été confondu avec Euclide de Mégare, l'abandonner sous le pré-
personnage du Théétète de Platon . Aujourd'hui , les texte de la confusion de nos
spécialistes se perdent en conjectures. Existait-il? langues et même si nos
N'était-il que le chef d'une école? A-t-il fait un travail haines croissent. L'humanité
original ou a-t-il compilé les connaissances de son
a-t-elle jamais formé un
accord équivalent? Cette
époque?
réussite s'appelle les mathé-
Il reste des recherches historiques considérables à
matiques. »
faire pour préciser les contours de ces figures du
Extrait de Gnomon, les débuts
Panthéon des mathématiques. Espérons que de nou- de la géométrie en Grèce,
velles découvertes viennent percer ces mystères et in Éléments d'histoire des
peut-être ressusciter des génies aujourd'hui oubliés. sciences, sous la direction de
Michel Serres.
Bordas, 1986.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tcingent:e


HISTOIRES par Élisabeth Busser

mathématiques : chronologie
de quatre siècles d' auentures
Présentes dans tous les aspects de nos vies, les mathéma-
tiques sont ancrées dans le passé, le présent et l'avenir d e
tous les peuples. Brossons un panorama de leur histoire jus-
qu'à l'An Mil.
' histoire des mathématiques com- une période spécia lement féco nde de

L mence avec celle de l' humanité


pui sque les peuples du paléoli-
thique comptaient déjà les entaill e sur
l'aventure mathématique.

Les précurseurs
les os. Les fi gures et les nombres n'ont
cessé depui s de hanter l'esprit humain . Vers 3500 avant J .-C. , les Babylo-
L' Antiquité jusque vers l' An Mil est nien étaient déjà ex perts : ex perts e n
numération , il s gravaient de tables de
multiplication sur leurs tablettes d 'ar-
gile ; experts en algèbre, ils ré o lvaient
des équations du second degré ; ex perts
en géométrie, ils savaient calculer des
aires pl anes et construire des tables de
Comment partager 6 pains entre 10 personnes? Pour triplets pyth agoric iens ; ex pe rts en
nous aujourd'hui, c'est simple : donner à chacun six as tronomie, il s étaient capables d 'éta-
dixièmes de pain, mais comment le compter? Couper blir des prév isions fi ables des positions
chaque pain en dix et ne prendre que six parts? Que de des planètes.
miettes l Pour les Egyptiens contemporains du scribe Vers 1700 avant notre ère, le scribe
Ahmès, le transcripteur du papyrus Rhind, en 1700 Ahmes rassemble dans le papyru Rhind
avant J.-C., le problème trouve une solution très élé- plus de quatre-v ingt problèmes avec
gante qui repose sur le mode de calcul en vigueur à leur solutions, touchant essentie lle-
l'époque : la dêcomposition de toute fraction en ment aux domaines de la vie quotidien-
somme de fractions de numérateur 1. Comme, pour ne.
1
notre problème, ...!...
10
=.!..
2
+ - - , il suffira, pour faire
10 Ve rs 800 ava nt J .-C., lo in de là, en
le partage, departager un seul pain en dix, les cinq Inde, le prêtre Baudhaya na, en ex pli -
autres en deux et... de donner à chacun la moitié d'un quant comme nt construire des aute ls,
pain et un dixième. Cela fait beaucoup moins de dévo ile dans ses sulbasutras des pro-
découpes, et tous ont des parts de même forme. priétés qui ressemblent fo rt au théorè-
me de Pythagore.

6 Tangente Hors-série n°30 . Histoires des mathématiques . ..


Vers 1700 ava11t notre ère, le scribe
Texte d'un sulbasutra Ahmès rassemble dans le papyrus
Rhind plus de quatre-vingts pro-
Co mment co nstruire un carré d'ai,·e blèmes avec leurs solutio11s, tou-
ég ale à la somme des aires de deux car-
rés donnés ?
chant essentiellement aux domai11es
Le dess in parle de lui-même, dans ce de la vie quotidienne.
sulb as utra indien, datant d 'e n-
viron 8 00 avant J .-C. , où figurés et. . . on célèbre théorè-
fi gurent à l'origine des me officialisant ce que les géo-
recommandations pour mètres babyloniens ou indiens
construire les connaissaient déjà sous forme
autels. empirique. À la suite de Tha-
Si a et b dési- lès , il introduit la notion de
gnent les côt és « propriété toujours vraie » . De
de deux carrés donnés, le fait que le carré situation « pré-mathématique »,
co nstruit comme l'indique le dessin ait on est pa é, avec Thalès et
une aire égale à a 2 + b 2 implique la Pythagore, à la sc ience mathé-
connaissance d'une relation entre les car- matique! Après eux , la décou-
rés des côtés d'un triangle rectangle, ce verte de l'existence de nombres
qui deviendra trois siècles plus t ard le irrationnels inhibera sans doute Extra it d ' un e tra-
théorème de Pythagore. la construction de l'arithmé- du cti on médi é-
tique, faisant des mathémati - va le (pa r le dit
ciens grecs es entiellement de Henri o n) des
É lé m e nts
C'est Thalès qui , autour de 575 avant géomètres.
d 'E ucl ide.
J .-C. , allant au-delà des considérations
purement pratiques, importera en Grèce
les savoirs mathématique des
Baby loniens. C'est ain si que, pré- ~·-·····-·
figurant la similitude, il ca lcu le la
hauteur d ' une pyramide en mesu-
ra nt son ombre . li mettra la géo-
métrie théorique sur les rai l e n
résolvant des probl èmes comme le
ca lcul de la di stance entre les
bateaux et le rivage , imposs ibles à
résoudre sans disposer d'un mini -
mum de données .

In fluencé par Thalès, Pythagore de


Samos est encore aujourd 'hui un mythe
mathématique. Plus philosophe que
mathématicien , il fonde à Crotone en
Italie une école fonctionnant comme une
secte et sa doctrine du « Tout est
nombre » va faire le tour du monde. Il
nous lai se des travaux sur les nombres
HISTOIRES Chronologie de 4 siècles •••

les législateurs D 'autres o nt été entraînés dans ce silla-


ge : Ari starque de Sa mos, qui calcul a
Au ,ve siècle avant J .-C. Pl ato n , avec ve rs 290 ava nt J .-C. , par la géomé trie ,
l' Acadé mie, et Ari stote avec le lycée les di stances Terre- So le i I et
fire nt d ' Athè nes le vra i centre inte l- Terre-Lune ; Archimède qui vers 250
lectue l du monde médite rranéen et ava nt J .-C. do nna une méthode de ca l-
eure nt tou s de ux une influe nce cer- cul du périmètre du cercle ; Apo llo niu s
ta ine sur le déve loppe me nt des de Perge qui vers 225 avant J.-C. déve-
mathé matiques e n tant que sc ience. loppa la théorie des sectio ns d ' un cône
Les mathé maticie ns grecs sont très par un pl an , po ur ne c ite r que les plu s
reche rc hés et les souve rains de la connus. Les conna issances mathé ma-
\iijgiiizilill[lll!III d ynastie des Ptolé mée vont savoir tiques se déc line nt ma inte nant e n un
1, les attire r à Alexandrie, le nou veau e nc haîne me nt log ique impl aca ble où
centre de la c ulture sc ie ntifique e n l' on di sting ue des dé finiti o ns, des
Un manu scrit
d ' al-Kwari zmi Médite rranée . C 'est ic i qu 'Euclide a ax io mes et des théorè mes.
datant du e nseigné créant ve rs 300 ava nt J .-C. la
x• s i è cl e . plu s g rande œ uvre des mathé matiques les héritiers
g recques, les Éléments. C e tte œ uv re
monume nta le, avec ses tre ize livres, Alexandrie e t restée « la G rande Géo-
est une vé rita ble «somme », fédé rant mètre », co mme le di sa it Apo ll o niu s,
des résultats connus pour certa ins ma is jusque dans les année 400 après J .-C.
épars, codifiant les règles de la démo ns- Les héritie rs d ' Euclide et de la log ique
tra tion , é te nda nt son influe nce s ur la d ' Aristo te sont nombreux à y avoir tra-
géomé trie et son e nseig ne me nt jus- vaillé. Héron d ' Alexandrie qui , dans ses
qu 'au xxe s ièc le. À la uite de Pl aton Métriques, do nne des fo rmules de cal-
et d ' Ari stote, Euc lide a é té un lég is la- c ul d 'a ires et de volumes, Nicomaque
te ur de la géométrie. de Gérase, le pre mie r à avoir vra ime nt
sépa ré l'arithmétique de la géomé trie,

les Neut Cha11itres lie l'an llu calcut exemples


Dans une ville carrée de dimensions inconnues, il y a une porte au milieu de chaque côté.
Dehors, vingt pas après la sortie Nord, il y a un arbre. Si vous quittez la ville par la porte
Sud, marchez quatorze pas vers le Sud puis 1775 pas vers l'ouest, et là, vous commencerez
tout juste à apercevoir l'arbre. Quelles sont les dimensions de la ville? Tel est le genre de
problèmes que l'on trouve dans les Neuf Chapitres sur l'art du calcul, ouvrage
chinois de 200 avant J.-C.

On résoudrait aujourd'hui ce problème en écrivant une relation de


proportionnalité entre les côtés des triangles ABN et ACD, qui, si x
désignait la longueur du côté de la ville, fournirait l'équation du
second degré x2 + 34X = 71 ooo.
C'est ce que font les Chinois, mais ils donnent pour cette
équation une solution plus proche de la géométrie que de
l'algèbre et trouvent évidemment 250 comme solution.

Ta.ngente Hors-série n°30. Histoires des mathématiques ...


Méné laü s, spéc iali ste des trian g les à traduire en arabe les œuvres des
sphériques, Ptolémée , qui applique mathématiciens babyloni ens, g recs et
scientifiquement la géométrie à l'astro- indiens et c 'est là que naît une véritable
nomie, Dioph ante e t ses « Arithmé- pe nsée a lgébrique sy mboli sée par al-
tiques », Pappu s , tou s ont lai ssé leur Khwari zmi (780 - 850), l' un des plu s
nom dans l' histoire des mathématiques. grand mathématiciens arabes. Son trai-
On pense que c'est l' assass inat en 415 té Calcul par restauration et réduction ,
par des chrétiens de la première mathé- nou s fournit les premiè res techniques
maticienne , Hypatie , à la tête de l' éco- algorithmiques, du nom de leur célèbre
le platonic ienne d ' Alexandrie, qui pré- in venteur. D 'a utres ont suivi ses
cipita le déclin de traces : Thabit ibn
l' influence intell ec- Qurra, le premier à
tuelle de cette v ilie . JyaJ ,,_ .' '"'~ . parler (vers 850) de
~~$ji::1,J/t~!.P~~ nombres rée ls, le Per-
Le continent asiatique sa n Omar Khayya m , Ci-contre :
n'est pas en reste pour ~,.&JiJJ/jL:(j~~- poète mathématicien , extrait d'un
manuscrit arabe
le progrès de la scien- qui sut s i bi e n (vers
antique.
ce mathématique : en l~~~cfiB:µ41 l'an 1000) fu sionner
Chine, vers 200 après les savo irs géomé-
J .- C., reparaît après triques et algébriques
une période d' autoda-
Jn;~~~~J,tl,~
. .P • - , dans on Traité sur la
fés de li vres, le tex te démonstration des
de référence : Jiu zhang Suanshu ou Les problèmes d 'algèbre.
Neuf Chapitres de l'art du calcul , la r-
gement commentés par le mathé mati - À ce moment en Europe, l'éducation
cien Liu Hui (220-280). On y trou ve n 'était pas la première préoccupation
de « astuce » arithmétiques : extrac- de dirigeants et c ' est dan s les monas-
tions de racines éniè mes , de résolu- tè re que survécut la vie sc ientifique.
ti ons d 'équations y compri lors- Le moine Gerbert d ' Aurillac, devenu
qu 'elles sont indéterminées. par la suite pape sous le nom de Syl -
L' Inde , qui use désormai s d ' un système vestre Il , re met à l' honneur la culture
décimal de numération , position ne t, antique e t surtout use de sa position
plus pratique que le systè me a lphabé- papale pour y faire adopter le ystème
tique grec, nous donnera le premier arabe d ' écriture des nombres, avec le
système de numération de position zéro. Auteur de deux traités d 'arithmé-
connu , avec un s igne particulie r pour tique et d ' un traité de géométrie , il fut
désigner le zéro. Ver 630 , le mathéma- l' un des derniers mathématiciens avant
tic ien indien Brahmagupta utili se déjà l' an 1000 .
des nombres négatifs et résout des
équations diophantiennes . É.B.

L' influence perdue d 'A lexandrie s' est


maintenant transposée à Bagdad, nou-
velle capitale du savo ir mathématique,
sous l' impul sion des califes de la
dynastie des Abbasides. Les sava nts y
travaillent à la « Mai son de la Sagesse »

Hors-série n° 30. Histoires des mathématiques ... Tangente


HISTOIRES par Élisabeth Busser

Les diuisions
du sauoir dans l'Hntiquité
Nous avons l'habitude de séparer les savoirs puis de faire
éclater ces grandes divisions en catégories. Les Anciens
procédaient-ils de la même façon que nous ?

ous fa isons to us, no us utili sons la classification d'Hristote


Li s t e d ' un e t a bl ett e
s um éri enn e .
N tous des « li stes » aujo urd ' hui :
listes de courses, de tâc hes à
accomplir, réperto ires d'adresses, nomen-
Mésopo tamie, datée de l'a n 3 clature di ver es, dictio nnaires , encyclo-
On a comme ncé par énumé rer, e n uite
o n a rasse mblé les do nnées, et pui s on
les a cl assées . C'est Aristo te (384 - 322
du règ ne d ï bbi-Sin d 'U r, fin
pédies, bases de données info rmatiques, ava nt J .-C.) qui , c hez les Grecs, fut le
du 111' mi ll énaire avant J. -C .
instructio n des programmes d 'ordina- pre mi e r à ré unir les di sc iplines d u
(Musée d11 Lou1-re, A111iq11irés
orientales. AO 2680). teurs ... Les pre mières « li ste » de l' hu- avoir e n un « corpus » o rganisé.C'est
manité se sont écrites sur des bie n souve nt à l'a ide de ses notes de
tablettes d 'argile, en caractères cuné i- cours, retrouvées à l'état de frag ments,
formes. Elles datent des Sumérie ns, qu 'on a recensé les travaux du g rand
vers le ve s iècle ava nt notre ère. phil osophe . Ari stote , en plus d ' un dic-
Leurs textes y fi g ura ie nt e n tio nna ire de te rme philosophiques et
colo nnes , répe rto ri ant to us les d ' un résumé des théorie de Pythagore,
savoirs de l' époque, sous fo rme de a pro posé to ut un systè me d ' organi sa-
listes de noms classés par groupes de ti o n des savo irs e t e n parti c ulie r de
syno nymes : to u les mé tie rs, tous cl ass ificatio n des sc iences.
les no ms de die ux, etc. Le besoin Il di sting ue to ut d ' abo rd les sc ie nces
d'organiser les savoirs, de classer les qu ' il no mme « théorétiques » et q u ' il
connaissances, a donc de tous te mps considè re comme « les plus hautes des
ha nté les ho mmes. Co mme nt les sc ie nces » . Ce sont des sc ie nces « spé-
Anc iens di visaient-ils le savoir ? c ulati ves » , qui composent selon lui la
philosophie théorique : les mathé ma-
tiques, la « c ience des êtres immobiles
e t sépa rés » , la phys ique, cette « sorte
C' est Aristote qui, chez les Grecs, de substance qui possède en e lle le prin-
fut le premier à réunir les disciplines c ipe de · son mo uve me nt e t de son
du savoir en un « corpus » organisé. re pos » , qui « étudie des êtres séparés

Tcingente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques .. .


mais non immo biles» et la théolog ie,
qu ' il qualifie de « la plu s ha ute des Origine ilu mot
science théorétiques». Fidèle à ses di x
« catégories», la substance, la qualité,
II mathématiaue II
la quantité, la relation , le lieu, le
Le mot « mathématique » a pour origine le nom
temps, la situation, l 'avoir, l'action et
la passion , dé fini es dans l' Organon,
d'une catégorie d'élèves de l'école pythagoricienne.
Aristote affirme que « la Géométrie et
Auve siècle avant J.-C., Pythagore délivrait son
/'Astronomie ont pour objet un genre
enseignement en public, tout en réservant une par-
[XJrticulier de la quantité, tandis que la
tie plus approfondie à un public restreint, les
Mathématique générale étudie toutes
Pythagoriciens. Parmi ceux-ci, deux groupes, qui
s'opposaient parfois d'ailleurs violemment :
les quantités en général ».

Ari stote di stingue en uite la philoso-


. .
• les akoutiskoï qui, se contentant d'écouter rece-
va1ent un enseignement (akousmata, les choses
phie pratique , celle qui traite des ques-
entendues) sans aucune démonstration,
ti ons de mora le et il y met l' éthique et
• les mathematikoï qui, eux, recevaient l'enseigne-
la po litique. Il di stingue enfin la philo-
ment au complet (de mathema, la science c'est-à-
soph ie poétique, qui s' intére e à la
dire chez les Grecs toute la connaissance ), donné
production (poiésis) d 'œuvres d ' art, où
par le maître lui-même, d'où le mot « mathéma-
il pl ace l'art poétique et la rhétorique,
tiq~e ». Nous noterons qu'en grec aussi bien qu'en
l'art du di scours. On peut s'étonner de
latin, les mot « mathematica » est toujours au plu-
ne pas vo ir la logique fig urer dans cette
riel ; c'est pourquoi on parle «des» mathéma-
class ification . Pour Aristote, e lle n'est
tiques. Ce n'est qu'au XIXe siècle qu'on a employé ce
pas une sc ie nce et ne fa it parti e d 'a u-
mot au singulier, dans une tentative d'unifier cette
cune science ; il la considère comme un
discipline.
instrument de la sc ience, c'est-à-dire un
outil pour favo ri ser l'accès aux li établit sur le même modè le une c las-
connaissances . Aristote partage donc le s ifi cati on des êtres vivants se lon une
savo ir en troi s grands dom a ines, qui éche lle « de la compl ex ité de l'âme ».
correspondent en gros aux di vers On comprend mieux cette cl ass ification
champs de l'acti vité hum a ine: la à la lecture de l'introduction que le phi -
sc ience, la morale et l'art . losophe Po rph y re (234 - 305 après
J .-C.) en a fa ite que lques sièc les plu s
tard dan on lsagogè, sorte de mode
d 'empl o i à l' usage des scolaires de
l' Organon d ' Ari stote . Dans la cl ass ifi -
cation d 'Ari stote, les propriétés dev ien-
nent de plus en plus générale au fur et
L' arbre d e
Porph yre à mesure de la mo ntée vers la « sub-
(gravure du stance » ; c'est ce que Porph yre visua-
XV IIIe s ièc le) . 1ise dans un « arbre » o ù, à chaque
nœ ud , le « genre» se di vise e n sous-
genres en fo ncti on des « différences »
(propriétés) ajoutées.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tcingent:e 11


HISTOIRES Les divisions ...
Ty mp a n
du port a il
d e la cath édr a le
de C ha rt re s
re présentant des
a ll égo ri es des se pt
arts libé rau x .
La Sagesse trô ne au
milie u des perso n-
nificati o ns du 1ri-
vi u111 re prése nt ées
par Do nat. C icéro n
et Aristote et du qua-
dri viu111 fi gurées par
Boèce , Euclide,
Pyth ago re et
Pto lé mée .

Les sept arts libéraux corres pond plutôt à la philosophie


d 'aujourd ' hui , et le quadri vium , partie
À la cl assification d ' Aristote va se sub- plutôt sc ie ntifique, dans laque lle o n
stituer une autre class ification des trou ve ! 'arithmétique, la géométrie, la
savoirs, sans doute sous l' influence de mu s ique et ! 'astronomi e. Po ur les
l'esprit pratique des Roma ins, qui va sc iences, cette c lass ificati on reprenait
perdure r dan s tout le Moye n Âge en la di vision des mathé matiques chère
Occ ide nt. Pour l'auteur latin Varra aux pythago ric ie ns. Les autres arts
( 116 , 27 avant J.-C .), pui s po ur sont les arts mécaniques, c'est-à-dire
Cicéron ( 106 , 43 avant J.-C.) dan Les les acti vités manue lles, par oppos iti on
Académiques, les seules di sc iplines aux acti vité inte llectue lles : l' architec-
dig nes d 'être étudiées par un homme ture, la sculpture, la pe inture et l'orfè-
libre sont les ept arts libérau x. C' est vre rie. Comme chez Ari stote, une
un autre auteur latin de I' Antiquité tar- hiérarchie s'établit , plaçant la philoso-
dive, Martianus Cape ll a (ve siècle après phie au-dessus de autres domaines de
J .-C.) qui les codifiera, fa isant référence conna issances : le pre mier ni veau en
dans une sorte d 'épopée invrai sem- sera le tri vium , et dans le quadri vium ,
blabl e, à une c lass ification des arts les mathématiques fi gureront au niveau
défini e à partir de sept Muses: l ' hi s- intermédi aire alors que les autres
toire (Clio), l'é loque nce et la poés ie sc iences se ront un ni veau plu s haut .
héroïque (Calliope), la tragédi e Co mme chez les Grecs auss i, la
(Me lpomè ne), la comédie (Tha lie), la conn aissance est le fa it des hommes
mu sique (Euterpe), la danse libres, les escl aves, limités aux savoirs
(Te rpsichore), l'é légie (Érato), le bas iques et ré pétiti fs, ne pouva nt y
ly ri sme (Po lymni e) et l'astro no mi e accéder. Ces di vis io ns du savo ir o nt
(U ranie). Cette no uve ll e di visio n du év idemment conditionné l'organisation
savoir di stingue donc le tri vium , partie et les pratiques de l'enseigne ment , de
plutôt littéraire composée de la gram- l' Antiquité à nos jours.
maire, la rhétorique et la di a lectique,
c 'est-à-dire les sciences du langage, qui É.B.

Ta.ngent:e Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


par Benoit Rittaud EN BREF

Dupliquer culier, il n'aborde pa la question de l' incom-


men urabilité de la diagonale du carré (autre-
ment dit le fait que racine de 2 est irrationnel),

un carré
un fait mathématique qu'il mentionne pourtant
en d'autres occasions comme un résultat
essentiel.

chez Platon
Le plus ancien texte grec à teneur mathé-
OBSCURE RlPllQUE
Dan le Ménon , on trouve au si ce pas age :
« Quand on demande [à un géomètre] 'il est
matique est un texte de Platon, le Ménon, possible d'inscrire en tant que triangle une
écrit probablement en -385. Comment le telle surface dans un cercle donné, [il
grand philosophe y parle-t-il des maths ?
répond] : (. ..) Si la surface en question est
telle qu'une fois appliquée sur sa ligne don-
née, elle lai se pour reste un espace semblable
UN PROBLlME DU MIIIOII à l 'espace qui a été appliqué, je pense qu 'il
s 'ensuit telle cho e, et à l 'inverse telle autre
Dans Je Ménon de Platon, Socrate s'emploie,
choses 'il est impossible que cette situation se
ou les yeux de Ménon à discuter avec un
produise. »
e clave ur le problème de la duplication d'un
Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce
carré : un carré
pa age ne brille pa par sa clarté : on en
étant donné, com-
dénombre aujourd hui des dizaines d' interpré-
ment con truire un
tations géométriques différentes ! Il s' agit ici
carré d'aire
bien plu d'une réplique pédante que de la
double ?
mi e en valeur d' un ré ultat de géométrie.
Certains commentateurs soupçonnent
Fidèle à a pratique de la maïeutique, art d 'ac-
d' ailleurs Platon de 'être ain i un peu moqué
coucher l 'esprit, le philo ophe athénien tente
du monde ...
d'amener l' e clave à la découverte de la bonne
répon e par le biais de ques-
Bien sûr, Platon tenait les mathématiques en
tions simples, san donner lui-
haute estime(« que nul n'entre ici s'il n'est
même tout ou partie de la
géomètre», lisait-on à l'entrée de son
répon e (en principe).
Académie), et il en est question dans d'autres
dialogues (en particulier le Théétète, cf article
LES MATHS AU SERVICE page 86).
DE lA PHILOSOPHIE
Référence
Dan le Ménon, Platon envisage le problème
Platon, Ménon, Garnier-Flammarion, 1993
de la duplication du carré avant tout comme
(traduit et commenté par Monique Canto-
un exemple pour illustrer des propo plus
perber)
généraux de philo ophie. Dè qu'il e time on
D.H. Fowler, The mathematics of Plato s
but atteint (l ' esclave a accouché d'un savoir),
Academv . ' Oxford Univer ity Pre , 1987 .
il cesse de s'intéres er au problème. En parti-

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente 13


HISTOIRES par Jean Lefort

De l'astrologie
à la science
L'astrologie, née du besoin, chez l'homme antique, de prévoir
son avenir, est la mère de la numérologie. Cette dernière, s i
elle n 'est assurément pas une science sérieuse, influença et
motiva sans doute l'étude de l'arithmétique.

C
omprendre le monde dans lequel avo ir un di e u tuté lai re qui les meut,
il vit a toujours été pour comme Ne ptune le dieu de la mer,
l' homme le moteur de la Éo le, celui du ve nt ou, e n Égypte, le
connaissance. Pour ex pliquer une nature dieu du Nil qui règle es crues ...
complexe, il a recherché de causes L' homme cherche sa pl ace dans la na-
Illu s tration d ' un simples et effectué des assoc iations ture. D 'où vient-i l, que doit-il fa ire
ou v rag e pour
d ' idées lui permettant de cla ser les phé- pour év iter d 'être le jouet des forces na-
C h a rl es Quint
(n f s i è cle ) . nomènes. Le but ultime est de pouvoir turelles qui peuvent se révéler catastro-
anticiper, prévoir ce qu ' il va se passe r, phiques ? Les cos mo log ies ont pour
avoir un moyen d ' action sur le futur. but d 'ex pliquer la naissance du monde
et de l' homme, d ' imposer des conduites
faire des hypothèses à sui vre pour ass urer la pérennité de la
c ivi li sation . Pour cela , dans toutes les
Une des premières catégorisations cultures, il faut des sacrifices, mais
(et qui perdure largement aujour- auss i une étude attenti ve des divers
d ' hui , malgré le flou de certaines phénomènes pour trouver des règles qui
fronti è res) a pe ut-être été la dif- permettent d 'antic iper le urs venues. Et
férence entre animé ou vivant et ce fut le début de la science.
inanimé ou inerte. L'animé a
une âme et c'est a in si que l'on l'astrologie
rencontre les esprits des forêts ou
des plantes, les contes où les ani - L' observation du ciel étoi lé fai t appa-
maux ont un rôle quas i-humain , etc. raître sept astres dont la rég ul arité du
L' inerte ne pe ut se mou vo ir que s' il mouvement ne saute pas aux ye ux . Ce
est manipulé par un être vivant. Ainsi so nt le Soleil et la Lune a in si que les
la me r, le vent , les é toiles doive nt- il s c inq planètes (en utili sant le vocabul ai-

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


re moderne) Mercure, Vénus, Mars, Ju -
piter et Saturne.
L' influence du c iel sur la vie humaine
est évidente : pluies, orages, tempête,
beau temps, les aisons rég lées par la
hauteur du So le il , les marées que Py-
théas (en - 330) attribua à la Lune . ..
Pourquoi les autres pl anètes n'auraient-
elles pas un rô le ? Et lequel ? Vo ilà une
dé marche toute sc ientifique : hypo-
thè es, prév isions et co mparaison à la
réalité . Mais il n'est pa fac ile d 'analy-
ser la complex ité du réel. Ne nous mo-
quons donc pas mais remercions plutôt
Ptolémée (au ne s .) q ui , à côté d ' un re-
marquable travail mathématique et géo-
graphique , ex pliqua le caractère des
peuples par l' influe nce des astres. Car
comprendre la volonté des dieux qui
meuvent les planètes , c 'est d' abord bien
comprendre le mouvement de ces der- to ur complet e n 60 ou en 360 parti es , La mosaïque
nières et en conséquence accumuler des cette dernière di vision ayant ! 'avantage de la synagogue
sièc les d'observation. Ainsi de c ivili sa- d' une quasi-coïncidence avec le nombre de Beit Alpha
ti on en c ivili satio n , Sume r passa nt le de jo urs de l' année. (Les Chino is ont (vi" siècle).
relais à Babylone qui le passa aux Égyp- di visé le cerc le en 365 parti es). C'est
tiens , ceux-c i au Grecs , les Grecs aux Hipparque (nes. avant J .-C.) qui impo-
Ara bes .. . chac une apporta sa pierre à sa les 360°. Ma is les mesures ne suffi-
l'édification de la connaissance en utili - sent pas ; il fa ut les re li er, e t ce la
sant le savoi r acc umulé par les précé- condui s it à to ut un déve lo ppe me nt de
dentes. la géométrie sur la sphère avec l' étude
Soyons cla irs , l'a tro log ie n' est pas des tri angles sphériques et les pre-
encore « la fi lle dévergondée qui nour- mières notions de tri gonométrie .
ri t sa mè re pauvre, ! 'astrono mi e » se- Développements mathématiques et as-
lon la boutade de Kepler, ma is plutô t tro no miques vo nt de pa ir, perme ttant
l' inverse. Il fa ud ra attendre le dévelop- de mieux pos iti onner la Terre au sein
pement de la tati tique pour mettre à de l'Uni vers. Mise en évidence de la pé-
bas toute le théorie astrolog iques . riodic ité des éc lipses (le saros) , des
Pos iti onner les as tres sur la vo ute cé- princ ipales inégalités du mouvement de
leste implique de les repérer. Pour ce la la Lune, de la précess io n des équi -
il fa ut mesurer des angles d'où le choix noxes, mes ure de la di stance
d' une un ité . Pour des raisons d ' uni fo r- Terre- Lune, tentati ve de la mesure de
misation des po ids et mes ures, Sume r la distance Terre- So le il . .. Sous prétex-
in venta la base 60 qui va perdurer jus- te d ' astrol ogie, et pour chercher à pré-
qu'à nos jours avec le minutes et les voir I avenir, préoccupati o n to ujo urs
secondes et avec les périodes du calen- actue ll e de l' humanité, les savants de
drier chino is . Cepend ant les savants I' Antiquité o nt établi sur des bases
ont longte mps hés ité e ntre di vise r le sc ientifiques le mo uvement des pl a-

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Ta.ngente 15


De l'astrologie à la science

(ces deux douze étant liés). Dans la


éclipses, ces dernières Bible, le douze est assoc ié au sacré.
ayant un rôle impor- Élever un nombre au carré c'est en ren-
tant dans la conduite forcer le sy mboli sme. Ça 1'est encore
des affaires de l'em- de considérer le nombre triangulaire as-
pereur de Chinqui soc ié, c'est-à-dire la somme des entiers
est le fils du Ciel. success ifs jusqu'à lui -même. Ain i, i
En effet, une 6 est mauva i , 36 l'est e ncore plus et
éc lipse prév ue 666 (le triangula ire de 36), avec cette
qui ne se produi- répétition du 6, l'est au maximum .
sa it pas était un L' utili sation de carrés et des triangu -
signe favora ble laires est un a pect particulier de toute
mais une éc lip- une géométrie des nombre que mettra
se qui se pro- en fo rme Pythago re (vie siècle avant
sans J .-C.). 11 sa nctifiera la Tetrakys (le
avo ir été pré- no mbre 4) dont le tri angul aire est 10,
sig ni - base de la numération .
que Un autre aspect de la numéro log ie est
l 'e mpe re ur basé sur l' utili sati on de l'alphabet pour
ava it perdu représenter les nombres, ce qui est ! ' ha-
son man- bitude des peuples sém itiques et grecs.
dat avec le Mais ce la est plus ancien pui sque déjà
Ciel. les sumé rie ns assoc iaie nt au roi
(SHÀR) le no mbre 3600 (SHÀR).
L' influenc e du
zodiaque sur l es la numérologie En fait , l' homme a toujours beaucoup
div e r s or gan es de mal à di stingue r le symbole de ce
d e l ' homm e Une autre des retombées de l'astrologie qu ' il représente, le signifiant du sign i-
(Calendrier est la numéro log ie, qui influe nça fié. Les mathé matici ens so nt devenu s
et compo~t des bt:r- l'arithmétique. maîtres de cette di stinctio n et une
gers. :w " ~ièclc) . li y a sept astres mobiles et un quart de même éq uatio n peut représenter bien
lun aison dure enviro n sept jours. 7 fut des phénomènes différents se lon le
alors considéré comme un nombre ma- contex te dans lequel e lle est écrite.
léfique par les assyriens ; le septiè me, Mais cette di stinction n'est pas immé-
quatorziè me, vingt-et-unième et vingt- diate et bien des découvertes, même ré-
huitiè me jour de chaque moi s, il ne fa l- centes, proviennent de l'aptitude du
lait rien faire de peur que tout ai lle de cherc he ur à appliquer à on problème
travers. Les Hébre ux reprirent l' idée des technique d' un autre secteur. Mer-
mai s pour faire de tou s les septi è me ci à nos ancêtres d 'avoir su se dégager
jours des jours sacrés. 6, qui représente petit à petit de l'astrol og ie pour
un manque, est donc attribué à Lucifer, con truire les sc iences qui sous-tendent
8 est attribué à l' homme car se lo n la notre culture.
genèse l' ho mme fut c réé le huitiè me J.L.
jour.
Le nombre 12 joue auss i un grand rôle
en astrologie à cause des douze mois de
l'année ou des douze signes du zod iaque

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques .. .


par Élisabeth Busser EN BREF

les astrologues, des les mathématiciens,


umathématiciens n ? des uastrologues n?
Dans la Rome antique , des escl aves venus de Les mathématiciens, c'est sûr , avaient les connais-
Grèce ou de Syrie se rendirent célèbres par leur sances d 'astronomie nécessaires pour appréhender le
science et leur culture et devinrent les favori s de mouvement des astres. De là à étudier l' astrologie
leurs maîtres en leur enseignant l' astrolog ie. On puis à lui accorder un certain crédit , il n'y a qu 'un
se mit à les appe ler les « Chaldéens » et le sur- pas .. . que des mathématiciens connus ont franc hi !
nom se généralisa puisqu ' on l'étendit par la suite Cette mauvai e habitude a d 'ailleurs perduré bien
à tous les astrologues, que lle que soit leur contrée après l'an mil : l'astronome mathématicien alle-
d ' orig ine. Ce sont ces« Chaldéens» qu 'on mand Regiomontanus (1 436-1476) , spécia-
appela auss i, durant la période fl o- liste des comètes , se penche, dans ses
ri ssante de r astrolog ie à Rome, Éphémérides, sur l'influence des
c ' est-à-dire entre 30 avant signes du Zodiaque sur certaines
J .-C. et 100 après J.-C.. les parties du corps. Jérôme Cardan
« Mathématic iens » . Eu x (1501 - 1576) calcule l'horo-
seul. . tout comme les scope de Jésus-Christ, prédit
m a th é m a ti c i e n s, le jour de sa propre mort (et
conna issa ient l'art du cesse de s'alimenter pour cor-
ca lcul as trono mique roborer sa prédiction).
indi spensable aux astro- Newton, Kepler et Cassini
logues. Ces « mathémati - croyaient, dit-on, aux horo-
ciens » d ' un autre style pri - scopes et dans le premier règle-
rent d 'ailleurs tellement d ' in- ment de l'Académie des sciences ,
fluence que Ti bère les cha5sa de fondée par Colbert, un de articles
Rome en l'an 16 a près J .-C. et inter- interdi ait à ses membres de s'occuper
dit auss i bien la diffusion d ' horoscopes que d 'astrologie et de rechercher la pierre philosophale.
les consultations d 'astrologues. Quand même!

UNE RÉPUTATION
C"est l'astrologie des Grecs et des Arabes qui
D'ASTROLOGUE régnait sur le bassin méditerranéen autour de
l'an Mil et on a même pu par la suite attribuer au mathématicien Gerbert d'Auri llac (938-
1003 ). devenu par la suite pape sous le nom de Sylvestre Il . de s'être laissé tenter par
ses pratiques . Cette réputation qu'on lui a faite n'est pas étrangère au fait que c'est lui
qui a fait connaître l'astrolabe à l'Occident en le ramenant d'Espagne . Cet instrument.
qui permet de représenter le mouvement des étoiles sous la voûte céleste et dont l'utili-
sation était très répandue chez les astronomes arabes . est en fait davantage utilisé pour
l'astrologie que pour l'astronomie . Comme Gerbert d'Auri llac avait par ailleurs une répu-
tation de novateur et même un peu de prophète. de là à lu i attribuer la réputation su lfu-
reuse de pratiques astrologiques occultes . il n'y avait qu 'un pas '

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente 17


par Hervé Lehning

la naissance des
mathématiques
La naissance des nombres remonte à la préhistoire. La
nouvelle qui suit en propose un scénario vraisemblable
sous forme de mythe. Elle débouche sur la naissance des
mathématiques.

L
a bergère descend de la colJjne ré unissez de ux tro upeaux , assemblez
en prenant de l' avance sur son leurs caillo ux et vous o btie ndrez un tas
troupe au . Elle court puis correspondant au troupeau total . En ver-
monte sur un rocher où e lle retrou ve les sion guerrière , une armée peut ai nsi faci-
ca illou x dé po és le m atin mê me. Son le me nt compte r e pertes . Avant de
chien fait défiler les moutons à ses pieds. partir en campagne, c haque ho mme
À chaque passage, la bergère enlève un dépose un cai llou dans un lieu consacré.
caillo u . Qua nd le de rnie r mo uto n est Au reto ur, c hacun e n reti re un. Le tas
passé, tro is reste nt sur le so l. E ll e restant re présente les pertes . To utes ces
regarde vers la colline . Pas trace de mou- o pérations sont simples à réali ser et ne
to ns . E lle crie aussitôt : devie nne nt fas tidieuses qu 'avec les
« Chien ! Il manque trois moutons! Va grands no mbres, que l'on re ncontre au
les chercher! » ni vea u de la gestio n d ' un état ou d' un
La issons la be rgère retrou ver ses mou- grand domaine.
De simples sou- to ns. So n évocation illustre la naissance Que lques millé na ires plus tard , un
des nombres , à l'aube de l' humanité. fi comptable croule sous les cailloux . Le
cis comptables s'agit d ' une sorte de pense-bête, ou plu- sol autour de lui e n est couvert. À sa
sont à l' origine tô t de pe nse-humain car si les chie ns droite, se tro uve le tas des mouto ns . À
de la naissance sont , comme nous, capables de distin- sa ga uche, celui des vaches, de rrière,
des nombres g ue r qu ' il manque un mouton parmi celui des chevaux. Le do mai ne do nt il
de ux, trois ou quatre, aucun n 'a jam ais s'occupe est immense, et il passe a vie
entiers naturels.
conçu l ' artifice de la bergère pour le à manipuler des ca illoux : en enlever en
détecter dans un plus grand no mbre. cas de mort ou de vente , en ajouter pour
Mê me nos cousins le c himpa nzés en les nais ances, etc. Pour fac iliter son tra-
sont incapables. La méthode pe rmet va il , devant chaque tas , il en regroupe
d 'ajo uter o u de ou stra ire. Si vous que lques uns à part , e n petites pyra-

T4ngente Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ...


Bonzi, Paysage
avec bergers
troupeau.y, 1621,
Pinacoteca
Capitolina, Rome.

mides. Il a sa technique : un caillou par base 10) dans lequel dix petits cailloux
doigt. Autrefois, son père a imaginé cet sont remplacés par un gros , dix gros par
artifice pour gagner du temps. Ainsi , il un très gros, et ainsi de suite.
est entouré de trois gros tas, chacun pré- Si on adopte la base 10 , rien ne sépare
cédé d'un bon nombre de pyramides. Une la notation « cailloux », des chiffres
main , à pei ne, sépare les moutons des romains. Il s uffit de noter un petit
vaches ou des chevaux. Un jour, il le ca illou par un bâton (I) , un gros, par
sent , les tas se mé langeront. .. et les une croix (X) et un plus gros, par un
ennui s commenceront. Le maître ne C. On continue e ns uite avec un M.
plaisante pas avec les comptes! Ainsi, le nombre cent so ixante- sept
Comment faire ? Il regarde à l'extérieur. s'écrit : C XXXX:XX llIIIII , ce qui est
De ouvriers construi sent un mur, e n difficile à lire. Pourquoi ? Parce que le
manipulant de gros blocs. L' un d 'eux dé nombrement in stinctif est limité à
crie : qu atre. À partir de cinq, il nou s faut
« Mets des petits ici à la place d'un compter. Pour vo us e n convaincre ,
gros . .. » regarder les deux groupes : IIIII et Illl.
Cette réfle xion fait jaillir un éclair dans Normalement , vo us devez voir d ' un
l'e prit du comptable : comme les coup d ' œi l que le second est composé
maçons , remplacer un tas de petits de quatre bâton s . En revanc he , vo us
cailloux par un gros! Quelques généra- êtes obligé de sci nder le premier en
tions plus tard , l' un de ses successeurs a de ux pour réa li ser qu ' i I e n contient
l' idée de faire de pyramides de gros c inq. Pour cette raison, les Romains
cailloux et de le remplacer par d 'autre utili saient des chiffres intennédiaires :
encore plus gros. V pour IIIII , L pour XXXXX et D pour
CCCCC, ce qui correspond à l' usage
les premiers chiffres d ' une seul e main . Cent so ixante-sept
s' écrit alors : C LX VII , deux mille
Ces cai lloux sont les pre mie rs chiffres quatorze : MM X UII. Si cette façon
de l' histoire de l' humanité, c 'est-à-dire la d 'écrire les nombre est économique ,
première façon d 'écrire les nombres ; e lle n' amène aucun progrès dans les
avan t même l'invention de l'écriture , le calculs. Au contraire , pour ajouter
premier alphabet. Nos comptables ont C LX VII à MM X llII , on revient aux
ainsi inventé le système déc imal (ou à cailloux. On les di spose sur une table ,

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tc:ingente


La naissance ...

appelée abaque, selon des L'arpentage


colonnes représentant le
unités, di za ines, centa ines, Un ho mme marche ur un chemin de
etc. (voir l'artic le ['Abaque l 'Antiquité , et re ncontre une bergère.
grec et la Calculette Après l' avoir saluée, il demande :
romaine). « C'est encore loin la ville ?
Ain s i, de simpl es souc is - À la vitesse où vous allez, vous
comptables sont à l'ori gine devriez y être j uste avant la nuit ! »
de la naissance des nombre Cette conve rsation est immé moria le.
entie rs nature ls , ceux que Qu and on se dépl ace à pied , les d is-
des ca illou x peuvent repré - tances se mes ure nt e n jo urs et en
senter, a insi que de l 'addi - heures pui sque seul importe de
tion et de la sou strac tion. connaître l'heure d 'arrivée. La méthode
Quel est le princ ipe mathé- a toutefois un inconvé nient : ce temps
matique sous-jacent à cet art dépend de la vitesse de chacun , et même
de compter, in ve nté par la du sens de parcours. En côte, la marche
bergère et perfectionné par es t plu s le nte. Po ur mes urer les d is-
le comptable ? Comme tout tances, les arpenteurs de I ' Antiquité ont
ce qui est essenti e l, i I est préféré compte r leurs pas. Dans l' em-
in visibl e . Il 'ag it du prin - pire ro ma in , il s ' ag issa it de de ux
cipe de récurrence. L' idée est enj ambées (rég lementaires) d ' un
que tout no mbre est sui v i lég ionna ire. Au x bo rds des vo ies
par un autre. Après chaque ro ma ines, les borne indiquent ainsi les
ca illo u , notre bergère peut milliers de pas, que l'on no mme
e n pl ace r un autre sur sa « mill es » plu s s impl e ment. Le mile
pyramide . Elle sa it qu ' e lle ang lais en déri ve , tout en étant un peu
po urra touj o urs fa ire ainsi, plu s lo ng : 1 609 mètres au lieu de
mê me s' il est lég itime de 1 482. Les Ro ma in s ont éga le ment
penser que le processus s' ar- hérité une mesure des Grecs : le stade ,
rêtera. No n seul e ment la qui va ut 125 pas . Les li e ux où l' o n
Terre ne contient qu ' un pratiqu ait ! 'athléti sme ava ient cette
no mbre fini de ca ill o ux, longueur, d 'où leurs noms .
mais de plu s, les forces et la Les crues, du Nil en Égypte , du Tigre
vie de la bergère ne suffi ront et de !'Euphrate en Mésopotamie,
pas à les épui ser. apportent les allu vions nécessaires à la
Cependant , notre esprit imag ine cette fe rtilisation des terres mai effacent les
infinité . No tez po ur finir que le mot limites des c hamps, autrefo is co mme
« calcul » sig nifi e « ca ill ou » , ma is il auj ourd ' hui . Le lende ma in , commen t
n 'est plus utili sé dans ce sens qu ' e n rétablir chaque pay an da ns sa pro-
médecine : les calculs que je vous sou- priété? La première idée est de mesurer
haite ne pas avo ir d ans les re ins o u se côtés avant la crue et d 'es ayer de la
a ille urs n' o nt rien à vo ir avec l' art de rétablir à l' identique ensuite.
compter, ce sont ju ste de pe tits L'arpenteur opère ainsi mais, un jour,
ca ill oux. l' opérati on s'avère imposs ible. li veut
restituer un lopin de 30 pas de large et
En mathématiques, Fexception ne confirme
80 de long . Aujo urd ' hui , le fle uve a
pas la règle : elle l'anéantit ! c hangé de cours et il ne di spose plu s

Tangente Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ...


que d' une longueur de 60 pas. exemple (voir la figure ci-des ou ).
Comment fa ire ?

Un champ trapézoïdal : Pour calculer


la surface de ce champ, on peut le
Découpage d'un champ en par- découper en un rectangle (en orange)
celles carrées et échange de deux et un triangle rectangle (en jaune).
surfaces égales. On trouve 26 carrés.

Si les côtés o pposés sont de longueur


L'arpenteur dess ine un modè le du 40 et 50 d ' une part , 50 et 80 de l'autre,
champ au sol (voir la fig ure ci-dessus) les arpenteur égy pti ens calcule nt 45
et tro uve la olutio n e n découpant le (moyenne de 40 et 50) multiplié par 65
morceau qui dépa e en longueur pour (moyenne de 50 et 80), ce qui donne
le disposer e n largeur. Le nouveau 2 925 . Un découpage subtil du champ
champ n'a pas la même fo rme que l' an- montre que la surface véritable est
cien mais il comporte le même nombre égale à 2 600 . Les arpenteurs suréva-
de carrés de dix pas de côté, c'est-à-dire luent la taille du champ , et ce la systé-
24. matique me nt pour les champs no n
L' addition a une ori gine comptable, rectangulaires ! Comme les arpenteurs
ma is la multiplication vient de l'arpen- étaie nt agents du fisc, o n peut y vo ir
tage, même si e lle peut se définir à par- un in variant. Est-il concevable qu ' un
tir de l'additio n: multiplie r 15 par 8 e mpl oyé des impôts sous-éva lue un
consiste à aj outer huit fo is le mê me bien ?
nombre 15. En notation moderne :
8 X l5= 15+ 15+ 15+ 15+ 15+ 15 la preuue
+ 15 + 15.
Pour effectuer le calcul , on peut utiliser Plu s série usement , ce type d 'erreurs
un grand no mbre de ca ill oux, mais ce introduit ('ex igence de preuve e n
n'est pas fac ile : e ayez donc! Bien mathématiques, a in si que l'omnipré-
entendu, il ex i te des méthodes sence des tri angles en géométrie.
empl oyant l'abaque utili sé pour l'addi - Pourquoi ? Tout d 'abo rd , il est néces-
tion, mais e ll e o nt te ll e me nt tech- saire de disposer d ' un moyen incontes-
nique que, à cette époque, le calcul était table po ur détermine r si une formul e
réservé à des pécialistes : les abacistes. est juste ou fa usse. Il ne uffit pas de
Laissons-les et revenons aux arpenteurs. véri fier sa validité dans quelques cas .
Il s ont l' habitude de mesurer les quatre Par exemple, pour affirmer que la sur-
côtés des champs pour les rétabl ir après face d ' un triangle est égale à la moitié
les crue . Quand les côtés opposés ne du produit de sa base par a hauteur, i I
sont pas égaux, il s en fo nt la moyenne, est néce saire de fournir la preuve que
ava nt de mul tiplie r les rés ultats. cette fo rmule est vraie pour tous les tri-
Voyons ce que ce la donne sur un angles (vo ir l'encadré Une preuve

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tcingente


'
HISTOIRES La naissance ...

• • • rigoureuse?) , auss i bi zarres que dans la première colonne , pui s un dans


• • • • l' on pui sse les imag ine r. En la seconde et ain si de uite en recom-
• • • • mathé matiques, l'exception ne mençant à la pre mière après la qua-
• • • • confirme pas la règle : e ll e trième. Quand il n'a plu s de caillou, il
• • • •
• • l'anéantit!
D 'autre part , pourquoi cette
décide d 'en donner cinq à chacun mais
il e n reste de ux (vo ir la fi gure c i-
Répartition omniprésence des triangles en géomé- contre) . On peut imag iner qu ' il les
du troupeau tri e? Pour y ré pondre , rappelon s garde pour se payer de on trava il , à
en quatre parts. d 'abord que géométrie signifi e moin qu ' il ne les fa e rôtir pour fê ter
« mesure de la Terre » . Son but initi a l sa trou va ill e . D ans tous les cas, leur
est de permettre l'éva luation des s ur- sort ne concerne pas les mathé ma-
faces, des champs e n parti c u Iie r. Vu tiques.
sou s cet as pect , l' importance des tri - La méthode de partage appliquée par le
ang les es t év ide nte : to ut c ha mp notaire fonctio nne en toute c irco ns-
limité par des segments de droite peut tance. Il est to ujours pos ible de di vi-
être décomposé e n triang les, pas fo r- er un no mbre , di son s 125 , en autant
cément e n rectang les ou e n carrés . Il de parts qu 'on le dés ire. La valeur de
e st ain s i poss ibl e de ca lc uler la s ur- chaque part est appelée le quotient et ce
face de tout champ pol ygona l. qu ' il reste .. . le reste . Bien sûr, ce reste
e t plus petit que le nombre de parts ,
La diuision sinon o n po urra it pl ace r un ca ill ou
supplé mentaire dans chaque colonne.
Le notaire est perplexe . Un homme est Cette di vision porte le nom de di vision
mort. Il possédait un petit troupeau de euclidienne même si elle est très anté-
mouton s. Comme nt le partage r e ntre rieure à Euclide (fie siècle avant Jésus-
ses quatre fil s? Chri st) do nt e ll e po rte le no m , et qui
Co mme to us les be rge rs le fo nt , il n' a peut-être jamai ex isté . En notation
prend un ca illou par mouton et trace moderne, la di vision de 20 1 par 13 (par
qu atre co lo nnes s ur le sol , une pour exe mpl e) consiste à trouver le deux
chaque fil s. Il pl ace ensuite un ca ill ou no mbre A et 8 réali sant l'égalité :
201 = 13 x A + B , A est dit le quotient
et B , le reste de la di vi ion de 20 1 par
une preuve rigoureuse ? 13 ( ic i A = 15 et
Les triangles ABH et ABD ont même surlace car on peut 8 = 6). Si ce reste est nul , on parle de
superposer le premier sur le second en le faisant pivoter di viseurs . Par exemple , puisque
comme indiqué sur la figure. De même pour ACH et 18 = 2 x 9 alors 2 et 9 sont des di vi-
ACE. La surface du triangle ABC est donc la moitié de seurs de 18.
celle du rectangle BCED, qui est égale au produit de BC Des considérations pratiques ont ainsi
par AH. Cette preuve souffre un cas d'exception: que se donné le jour aux nombres entiers natu-
passe-t-il si H n'est pas situé entre B et C? Cette lacune re ls et aux quatre opérations (addition,
est cependant soustraction , multiplication et di vision).
facile à corriger, Tout peut se compre ndre et toutes les
on distingue opérations pe uve nt s'effectuer en utili-
trois cas dont sant de simples cailloux ou des fi gures
deux sont symé- compo ées de triangles . Cela suffit pour
triques. que naissent les mathématiques .
H.L.

Tcingent:e Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ...


HISTOIRES par Élisabeth Busser

la Grèce antique
et sa zone d'influence
« Arithmétique », « géométrie » , « logarithme » : le grec
ancien vit en nous par les mathématiques. Pourquoi cette
influence du monde mathématique grec ?

ous parlons tous grec en pro- Grecs, qui avaient des comptoi rs com-

N nonçant « arithmétique » , « géo-


métrie » , « parallélogramme »,
« logarithme » ou « hyperbole ». Le grec
merciaux dans tout le monde méditerra-
néen, rapportaient d ' Orient non
seulement des matières premières pré-
ancien vit encore en nous en particulier à cieuses mais auss i un nouveau savoir,
travers les mathé matiques. Mais pour- fa it de connaissances scienti fi ques
quoi cette fonnidable réussite du monde acquise auprès de mages babyloniens
mathématique grec créé il y a deux mille et de prêtres égypt iens. Il s ava ient
C'est grâce cint cents ans? donc les terres , mais aussi le pouvoir.
au génie et à Ver 500 avant J.-C. , après les guerres
Entre le VIe et le pre mier siècle avant médique contre les envahi sseurs
la langue J .-C ., le monde c réé par le Grecs perses, Athènes est la plu s pui sante
grecs que autour de la Méditerranée ava it tout cité du monde grec. Le rayonnement de
purent s'épa- pour réussir : les terres et le pouvoir, le la démocratie grecque , la première du
nouir et se savo ir et les écoles, la science et l' écri- monde antique , est intense.
ture ... et on peut dire qu ' il a réuss i ! Une fo is l'hégémonie d'Athènes di spa-
répandre les rue au profit de Sparte, c'est-à-d ire
connais- les terres et le pouuoir après les guerres du Péloponèse, autour
sances scien- de 400 ava nt J .-C. , mê me si la pui s-
tifiques Vers 600 avant notre ère, la Grèce sance des cités grecques s' affa ibli t, la
s'étendait des rives de l' Asie mineure civilisation grecque, enrichi e des
acquises des (partie occidentale de l' Asie au sud de apports de l' Orient , continue de s' épa-
Babyloniens la Mer Noire) j usqu 'au Sud de l' Italie nouir, en particulier à Alexandrie, vi l-
ou des et e nglobait auss i bie n la Sic ile que lephare de la culture grecque . La
Égyptiens. Marseille , les côtes d 'Espagne ou d 'É- conquête de nouveaux territoi res par
gypte ou les ri ves de la mer Noire. Les Alexandre le Grand en Inde va renfo rcer

Tc:1,ngente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques .. .


LES CIVILISATIONS

c::=J1Le monde grec Le mond e grec


1 , Cité s et colonies grecques a u ve s iècle ava nt J. -C.
- Empire perse

le ra pproche ment de la c iv ili sati on curseur d ' une v isio n rationnelle du


grecq ue et des civili sations orientales. mo nde . C'est e nsuite au tour des
Après la chute d ' Alexandre et même au Pythagoriciens de fonder leur école, au
début de la conquête romaine, l' esprit milieu du VIe sièc le, à Crotone au sud
créatif des sc ientifiques grecs demeure de l' Italie . Puis vient l'Académie , fon-
et le début de l' ère chrétienne vo it dée par Pl aton au ive siècle avant J .-C .,
encore naître des mathé matic ie ns de qui réserve à l'approche scientifique des
renom . choses et des événements une grande
place. Aristote son é lève fonde une
le sauoir et son organisation école concurrente , le Lycée, conçu
comme une uni versité d 'aujourd ' hui
De leur périples en Orient , les Grecs pui squ 'on y e nseig ne un savo ir « uni -
rapportent de nouvell es ex périences et versel ». Le iv e s ièc le vo it aussi se
un nouveau avoir. Il s savent , comme déve lopper l' imme nse centre sc ie nti -
le dit la ling ui te He nrie tte Walter fique d ' Alexandrie, avec sa bibliothèque
« mettre à profit le conn aissances de six cent mille volumes, qui sut atti -
acqui se au contact des peuples qu ' il s rer tout ce que la Grèce d ' a lors comp-
ava ient soumi s , ma is e n les tait de savants.
dépouillant de leur fondement magique
et en développant la recherche de la L'empire grec favorise donc l'épanouis-
connaissance désintéressée ». sement des intelligences non seulement
C ' est nature llement que le savo ir grec en su c itant des vocations, mai s auss i
s organi se autour d ' écoles. en sachant organiser ses e nseigne-
La première se crée à Milet , vers 650 me nts.
ava nt J .-C . et Thalès y dev ient le pré-

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente


HISTOIRES La Grèce Antique
'
Euclide

Socrate
f'Al? -lae1 Aristote [-lC~ ; -2f;J
' ArcblϏdc
f-470 ;-399) ffü; -füj f-287 ; -2121

-6"0 -51)0
''
-4d0 -300
.. .
-:ioo '

....... . . '
'' '
'
......... !
''.'
.. ..' ..'
...., ' :
. 1...,-1
~
Alexandre le
Guer~s Guerres du Gra nd (-356 ;
m~dl,uea ~loponhe -323) :

~ri ode ~rio de


ar a que c aas que

la science et sa diffusion science grecque.


Vecteurs de diffusion de cette sc ience,
Si c'est grâce au génie grec que purent les Arabes à partir du vue siècle après
s'épanouir les connaissances cienti- J .-C. le sont auss i pui sque ce sont eux
fiques acquises des Babyloniens ou des qui ont redécouvert ou con ervé , tra-
Égyptiens, c'est grâce à la langue duit et di ffusé, en particulier en
grecque qu 'e ll es se sont répandues, et Europe, les manu sc rits d 'Euclide, de
diffusées aussi loin. C 'est en effet la Diophante, d 'Archimède, de Menelaüs
langue grecque qui unit entre e ll es ou d' Aristarque.
toutes le cités du monde grec et favo-
ri se le sentiment d 'appartenir à une L'influence grecque sur l'évoluti on de
civili sation commune. C'est e lle auss i la sc ience mathématique est donc écla-
qui sera le me ille ur véhicule de la tante et va bien au-delà du monde médi-
science développée par les Grecs. terranéen. Quel que soit le cham p de la
La philosophie grecque de Pl aton , qui pratique mathé matique, on trava ille,
développe dans La République la thèse plu s de deux millénaire plu tard , en
que les mathématiques sont une science refa isant les mêmes gestes et les
très forma trice pour les futurs diri - mê mes raisonne ments que les mathé-
geants, l'ex igence de logique mati ciens grecs. On peut dire qu 'en
d ' Ari stote, se sont e lles auss i large- moin s de quatre sièc les, de Thalès à
me nt répandues et ont influencé le Euc lide, les savants et pense urs grecs
développement de la philosophie et de ont construit un e mpire unique et pour-
la sc ience dans le monde ara be et dans tant invisible dont l' immensité dans le
l' Occident encore bien après le Moyen te mps et l'espace s'est prolongée jus-
Âge. Il fa ut dire que l' impul sion don - qu 'à nous, exemple d ' univer alité
née par les souverains de la dynastie des unique dans l' hi stoire : les mathéma-
Ptol émée, qui ont soute nu , encouragé tiques.
et financé la recherche et le recrutement É.B.
de sava nts d ' importance, est pour une
large part dans le rayonnement de la

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


Par Hervé Lehning LES CIVILISATIONS

restre. L'approximation concernant le diamètre de

Un calcul la Lune est proche de la réalité. Pour la di tance de


la Terre à la Lune, le résultat est erroné (troi fois
inférieur à la réalité), tout comme ceux concernant

<<expérimental>> Je Soleil, gro ièrement faux (le rayon olaire vaut


109 foi le rayon terre tre, la di tance Terre-Soleil
est de 24000 fois ce même rayon).
Vers 260 avant notre ère, Aristarque estime
le rapport des diamètres de la Terre et de la Des mesures difficiles
Lune avec une précision surprenante. En
Aristarque a po tulé un certain nombre de valeur
revanche, son évaluation de la distance de la
numérique , comme de axiomes, faute de pouvoir
Terre au Soleil est fausse ...
effectuer le me ure appropriée pour déterminer
ce valeurs. Pour calculer le rapport de rayons de
Dan son traité , Aristarque énonce un certain la Lune et de la Terre, iJ lui uffirait théoriquement
nombre de propriétés qu'il admet pour en déduire de mesurer l'angle parcouru par la Lune entre le
en uite de e timations de diamètres de la Lune et moment où elle di paraît et celui où elle réappa-
du Soleil. Il considère qu'au moment de la demi- raît lors d'une éclipse totale. Cependant, cette
lune le triangle TSL (ferre- Soleil- Lune) est rec- me ure e t délicate à effectuer de manière précise
tangle la Lune étant le ommet de l'angle droit. et Aristarque a préféré réali er une approximation
L'angle TJ que font le Soleil et la Lune vu de du diamètre lunaire en examinant l'ombre de la
la Terre e t l'élongation lunaire, prise Terre projetée ur la Lune lors d'une éclip e. Autre
égale à 87°. L difficulté : la me ure précise de l'élongation
En uite , d'après ce que lunaire. En effet, cette me ure néce site de déter-
l' on peut ob erver s . - < : : : . . . . - - - - - . : . . L . l T miner le moment exact de la demi-lune. Pour un
!or d'une éclip e ré ultat à un degré prè , cet in tant doit être établi
solaire, la Lune et le Soleil ont les à une heure prè ! Impo sible à cette époque. Ici
mêmes rayons a~ppa- encore Aristarque a postulé une valeur de 87°
rents. Langle ~ (pourquoi cette valeur? Difficile de le savoir).
a correspon- T L S
dant est pris La méthode d' Ari tarque ne doit pas être comprise
égal à 1° (une comme une démarche expérimentale au en actuel
valeur largement exce ive). du terme. Les Grecs n'ont d'ailleur pa inventé
Enfin , le rayon de l'ombre de la Terre qui se pro- les ciences expérimentales, mais la démarche
axiomatique en mathématiques. Cependant, les
~~:;e :~;s~~n; lors s'r@
': . ____ ( - calcul d' Aristarque sont intére sants, car ils mon-
uppo é mul- - ::-:-:_.-{ - - - - - - - - . trent comment de concepts mathématique peu-
tiple du rayon ( - _ T vent aider à e repré enter le monde qui nou
.
lunaire : r0 = krL,
~ --- - - - entoure.
avec k=2. H.L.
Par un raisonnement utili ante entiellement Références
le théorème de Thalès et, compte tenu de choix • Otto Neugebauer. A History of Ancient
numériques précédent , on obtient que le rayon Mathematical Astronomy (Springer-Verlag,
lunaire e t le tier de celui de la Terre, et que celui 1975).
du Soleil e t ept foi celui de notre planète. De • les calculs d'Aristarque. Tangente 68 Spécial
plus , les di tances Terre-Lune et Terre-Soleil ont Éclip e .
respectivement égales à 20 et 400 foi le rayon ter- • les angles. Bibliothèque Tangente 53, 2015.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente 27


HISTOIRES par Bertrand Hauchecorne

Hlexandrie ••
sept cents ans d'histoire des mathématiques
Lorsque Alexandre le Grand fonda Alexandrie, il ne se doutait
pas que cette cité serait pendant près d'un millénaire l'un des
centres culturels les plus importants . Dotée de la plus grande
bibliothèque de l'époque, la ville héberge a Euclide,
Ératosthène et Ptolémée.

hilippe II , é lève d ' Aristote et roi conquêtes jusqu ' en Inde et revient vers

P
Les noms des mathémati-
ciens de l'époq ue hellénis-
tique sont souvent connus
de Macédoine, réussit en quelques l' ouest et meurt à Babylone en - 323; il
en France sous leur fom1e années à conquérir la Grèce. Alors n'avait que 32 ans.
latine . Dans cet anicle. nous
avons conservé les fom1es
qu ' il fêtait sa victoire, il fut assass iné en
grecques originelles. Ainsi 336 avant notre ère par l' un de ses offi- le mouseîon
nous parlons d'Apollon ios,
de Mene laos el de Pappos .
ciers, peut-être à l'instigation de Darius,
roi des Perse . Son fi ls Alexandre accède Ami d ' Alexandre , généra l à ses côtés ,
à 20 ans au pouvoir et ne rêve que de Ptolémée 1er Sôter assoit son pouvo ir en
conquérir l' Asie. Après avo ir é liminé, Égypte et se fa it proclamer roi en -305.
aidé de sa mère Ol ympi as, ses ri va ux 11 fo nde a insi la dynastie des Lagide, du
potentie ls, il consolide les conquêtes de nom de son père Lagos. Choi issant
son père sur le continent européen. Cela Alexandrie com me capitale, il rêve d'en
fa it , il se lance en - 334 à la conquête de fa ire la ville la plus brillante du monde,
l' empire perse. Son grand sens straté- de surpasser Athènes. Pto lémée Sôter
gique mais aussi la dé liquescence de cet construit en -297 sur l'île de Pharos un
empire lui permettent d'avancer très rapi- phare qui deviendra )' une des ept mer-
dement. Les victoires se succèdent , lui veilles du monde. Souhaitant développer
ouvrant les portes de l' Asie mineure et dans cette ville les arts , les lettres et les
de la Phé nicie ; il e ntre en Égypte en sc iences , il fonde en - 288 le Mouseîon ,
décembre -332. Il est acc ueilli e n libé- c'est-à-dire le palais des muses; ce com-
rateur; les Égyptiens vivent en effet mal plexe com pre nai t une uni vers ité, une
la domination des Perses. académie et une bibliothèque. Celle-ci s'en-
Alexandre le Grand descend jusqu'à richit au cours des années pour devenir,
Memphis se faire couronner Pharao n, pendant neuf siècles, la plus grande du
pui s rev ient sur la côte et décide de fon- monde. On y trouvait un fo nds des plus
der une ville en bord de mer à l' ouest du exceptionnels, obtenu oit par achat, oit
de lta du Nil : e ll e portera so n no m , par copie. De nombreux textes sont tra-
Alexandrie . Il re part a lors combattre duits en grec, langue de culture de l'époque.
Dariu s, qu 'i l bat à la bata ille de Gau- Cette atmosphè re favo rab le au déve-
gaméles en -33 1. Il le poursuivra jusqu 'à loppe me nt des cie nces et des lettres
sa mort en -3 30. Alexandre poursuit ses attira les plus grands savants et de nom-

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES CIVILISATIONS

bre ux étudiants venus les écouter.


À pe ine arrivé au pouvoir, Ptol é mée
s'empresse de conquérir la Cyrénaïque ,
colonie grecque où une école philoso-
phique de grande influence s'était déve-
loppée. Au y c sièc le ava nt notre ère,
Théodore de Cyrène y e nse ig nait les
mathématiques et la philoso phie . On
connaît en particulier ses preuves de l ' ir-
rationalité des racines de nombres pre-
miers. Théétète a été son élève et Platon ,
lui -mê me, es t ve nu le rencontrer et a
découvert , grâce à lui , l'octaèdre et l'ico-
saèdre , complétant ain i sa connaissance
sur les polyèd res platoniciens.
Pourquoi Euclide est-il aJTivé à Alexan-
drie? On ne le sa it pas. Il semble qu ' il
so it ve nu s ' y in staller ava nt mê me la
fo nd ation du Mou seîo n . Il rédi ge les
Éléments , ouvrage dans lequel il reprend
toutes les connaissances mathématiques
de! 'époque, et sa contribution n'est pas
des moindres . Il donne en effet les fon-
dements de la géométrie, sur une base
ax iomatique, et son ouvrage restera la
référence dans ce domaine pendant deux
mille ans. Par son enseignement , par ses connaissance avec Conon de Samos ; cet
écrits, il attire de no mbre ux étudiants as tronome fut appelé à Alexandrie par
et certains de ses disciples feront la ré pu- Ptolé mée III Évergète. Ses travaux ne
tation du Mou seîon en mathé matiques. nous sont pas parvenus. Si l'on en croit
Aristarque est, comme Pythagore, natif Apollonius , il s ' intéressa aux section s
de l'île de Samos. Astronome et mathé- coniques et , d ' après Pappos, c ' est lui
maticien , il dirigea la biblioth è qu e qui aurait introduit la spiral e que l'on
d ' Alexandrie. li affi rme di x-sept siècles attribue à Archimède . Il faut dire qu ' une
avant Copernic que la Terre tourne autour grande amiti é persista entre les deux
du Soleil. Il étaye on propos par des cal- savants et qu ' il s continuèrent à échan-
cul s précurseurs de la tri gonométrie. ger après le retour du Syracu sa in dans
Archimède est né à S yrac use e n - 287 son île.
au sud de la Sicile. Il semble qu ' il ait De dix ans son cadet, Ératosthène est natif
séjo urné à Alexandrie pour y s ui vre de Cyrène. Il séjourne à Athènes jus-
l'ense ignement des successeurs d' Eu- qu 'à l'âge de 40 ans avant d 'être in vité
e! ide e t même qu ' il y a it e nse ig né. par Ptol émée III Évergète pour diri ger
Reve nu s ur so n île nata le, on sa it le la grande bibliothèqu e. Son nom est
bénéfice qu ' il e n obtint et les décou- resté attaché à ! 'a lgorithme du cribl e
vertes fo nd ame nta les qui fure nt les permettant de li ste r les nombres pre-
siennes (voir Tangente 150). C'est sans mie rs ; Érato thène est auss i célèbre
doute dans la capita le lag ide qu'il fit pour son calcul du di amètre de la Terre

Hors-série n• 30. Histoire des mathématiques Tcingente 29


HISTOIRES Alexandrie

l'axe te rrestre. Po ur me ne r ces di ffé-


rentes études, il é labore les fo ndements
de la tri gono métrie , calcul ant des lon-
Frontispice de la gue urs de cordes d 'angle , ce qui cor-
première édition respond à établir une table des sinus.
anglaise des
Éléments d ' Euclide Un désintérêt progressif
publiée en 1570. et l'époque romaine

Déjà à l'époque d ' Hipparque, l' activ ité


sc ientifique s' essouffle. Les souverains
succe sifs y tro uvent peu d ' intérêt. En
- 145 , Pto lé mée VIII Évergète ex pul se
même tous les savants du Mouseîon ; on
ne sa it pas si Hipparque , encore vivant ,
fa isa it parti e du lot. La dynas ti e des
Lagides sombre dans la confus ion, ryth-
mée par la consanguinité et les me urtres
fa miliaux. Elle s'éte int avec les amours
e ntre C léo pâtre e t Césa r, pui s Marc
obte nu e n compara nt l'a ng le d ' inc i- Antoine. Ce dernier est battu par Octave
de nce des rayo ns so laires au so lstice à la bataille d ' Actium en 3 1 avant notre
d'été à Alexandrie et à Syène (Assouan) ère et l'année sui vante l'Égypte tombe
situé sur le tropique du Cancer. sous la domination romaine alors que la
Né un quart de iècle après Archimède, re ine se suic ide.
Apo llonios est nati f de Perga, ville hel- Le pays est désorma is géré par un pré-
lé ni stique située à prox imité de l'ac- fe t au nom de l'e mpereur. L'acti vité d u
tue ll e vill e d ' Anta lya. Attiré pa r le Mouseîon avait alors repris, bien loin de
prestige d ' Alexandrie, il vie nt y fa ire l'éc lat des dé buts . La fi n du premi er
ses études ; il y fut très influe ncé par siècle voit de nouveau l' é mergence de
Archimède, soit en ayant sui vi son ensei- que lques mathématic iens de va leur, en
gnement , soit ce lui de ses successeurs . particulie r dans le do mai ne de la géo-
Apo ll o ni os co mpl ète sa fo rm ati o n à métrie . C ' est le cas de Mene lao qui
Pergame dont la bibli othèque riva li sait étudie au Mouseîon puis qui y enseigne.
avec ce ll e d ' Al exa ndri e . Il reto urne li s' installe ensuite à Rome et se consacre
cepe nda nt s ' in sta ll e r dé finiti ve me nt à l'astro no mi e . Des six ouvrages qu ' il
dans la capitale des Pto lé mée; c ' est là éc rit , seul Sphaerica nous est parvenu
qu ' il rédigea son ouvrage sur les coniques. grâce aux Ara bes . li y développe des
Hipparque de Nicée est la seule grande propriétés des tri angles, qu ' il s so ient
figure des mathématiques à avoir séjourné pl ans ou sphériques .
à A lexandrie au ne sièc le avant notre À peu près à la même époque , Héron
ère. Il s'y in sta lle après avo ir véc u à d' Alexandrie, sans doute d'origine égyp-
Rho des de lo ng ues années. D ' abo rd tien ne , s ' intéresse à la géo métr ie. Très
astronome, on lui attribue entre aut res inventif, il conçoit di ffé rentes machines ,
la découverte de la précession des équi- ce qui le pousse à étudier des proprié-
noxes, une contributio n à la théorie des tés géomé triques et des méthodes de
éc lipses et le calcul de l' inc linaison de ca lc ul po ur les fa ire fo nctio nner.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES CIVILISATIONS

Cepe nda nt , le ma thé m ati c ie n le plu s Vi va nt à la fin du ive s ièc le, Théo n
brill ant est a ns conteste Cl a ude Pto lé- d ' Alexandrie est astro no me e t mathé-
mée. Il vit à Alexandrie au W sièc le et matic ie n . Son œ uvre est avant tout de la
sa production c ientifique se s itue pro- compil a tion . Avec sa fill e H y pa tie, il
bable ment e ntre 140 et 160 . Il est à la commente les Éléments d ' Euclide . Hypa-
reche rc he d ' une compré he ns io n ration- ti e e t d 'a ill e urs la pre mi è re fe mme
ne lle du mo nde e t de l' uni vers par di f- mathématic ienne connue ; e lle enseig ne
fé re ntes approc hes . A ins i est-il à la fo is au Mo useîon e t domine les mathé ma-
as tro nome et géog raphe, ma is ) 'étude tiques de l'époque. Ce pe nda nt l'Égypte
de ces matiè re le po u se à di ve rs tra- a beaucoup évolué . La chri sti ani sation
vaux mathématiques e n géométrie et e n est déso rma is bie n a nc rée, e t e ll e ne
trigo no métrie, compléta nt ceux d ' Hip- pousse pas au développement des sciences.
parque. Il est le pre mie r à c he rc he r à En 391 , l'empere ur Théodose fait fermer
démontre r le c inqui è me postulat d 'Eu- le Mouseîon et Théon e n est do nc le der-
cl ide. So n o uvrage l 'A lmageste exer- nie r directe ur. Le patriarche C yrille est
cera un e profonde influe nce s ur ses très virule nt pour dé fe ndre la foi c hré-
successeurs et sa conception du mo nde tie nne e t combat les païe ns comme les
fera référe nce jusqu 'à Cope rnic, tre ize hé résies du c hristia ni sme; il s'oppose
siècles plus tard . e n ce la à Oreste, le préfet rom a in de
L' acti vité mathé matique s'est po ursui- l'Égy pte, pourta nt lui -mê me c hré tie n .
vie à Alexandrie, ma is no us di sposons C yrille cons idé rait Hy patie comme un
de trop pe u de ré fé re nces à son suje t . da nge r pour la pe nsée c hré ti e nn e, e t
Zénodo re, qui trava ill a e n géomé trie, c'est semble-t- il sur son o rdre qu 'ell e
vivait au UC siècle. Est-il passé à Alexan- fut assass in ée de la m a ni è re la plu s
drie, nul ne le sa it , ma is il est c ité par ig no ble. Alexandrie se fe rme a lo rs aux
Pappos et Théon , ce qui pe ut le fa ire sciences et c'est dans l' indifférence géné-
supposer. ra le que brGl e la bibliothèque e n 642
Dio phante, quant à lui , est une é ni g me. lo rs de l' in vasion des Arabes. Co mbie n
On ne sa it pas mê me exacte me nt quand d 'o uvrages ont a lo rs di s pa ru à tout
il vivait ; l' inte rvalle d ' incertitude varie ja ma is !
e ntre 150 et 350 de no tre è re. De plu s, B.H.
son approche sur les équatio ns est nova-
trice. Son œ uvre a été longtemps mécon-
nue; Bac het de Méz iri ac l'a traduite
du grec vers le latin e t Pie rre de Fe r-
mat l'a véritable me nt sortie de l'ombre.
Pappos est le de rnie r g ra nd géomè tre
de I' Antiquité. Il e nseigne à Alexandrie
au dé but du IV 0 s ièc le . S o n o uv rage
Co llections ma th éma tiques re pre nd
to utes le conna issances e n géomé trie
de l'époque. Lis les complète et démontre Claude
de no uvea ux résulta t , e n pa rtic uli e r Ptolémée.
dans l'étude des sectio ns conique . Il
fa ud ra atte ndre après lui plus d ' un mil -
léna ire po ur voir de no uvea ux prog rès
e n géométrie !

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Te&ngente


HISTOIRES par Jean-Jacques Dupas

La ffi!JStérieuse machine d'Hntic thère


La civilisation grecque est célèbre pour ses philosophes, ses
mathématiciens, ses historiens... Mais depuis la découverte
de la machine d'Anticythère, la conception de machines
complexes doit s'ajouter aux très nombreuses avancées du
génie grec.
la deuxième guerre
punique, le généra l romain
Ci-contre : Marce llu s (Marc us Claudius
reconstitution Marcell us, vers - 268 ; - 208) pensait
de la machine prendre rapidement la cité-état grecque
d' Anticythère de Syrac use . En réa lité, il lui fa llut plu
au musée de deux ans et l' un des plus grands
d 'Athènes. sièges de l' Antiquité pour vaincre la
colonie grecque, car dans la ville e
trou va it un e nnemi redoutab le
Archimède, ass isté de ses mac hines.
Lors d ' une fête en l' honne ur du culte L' aute ur latin s'étonnait qu ' une simple
d ' Artémis, les habitants se tinrent un machine puisse décrire les mouvements
pe u moin s s ur le ur s ga rd es. Les des astres. Les hi storiens n'ont accordé
Roma ins en profitèrent pour fa ire une qu e pe u d e c ré dit à ce passage de
brèc he d a ns les fortifications de la Cicéron. La machine sophi stiquée dont
ville. M arce llu s vo u la it pre ndre il parl ait se mbl a it bien au-de là de ce
Archimède viva nt , mais celui-ci fut tué l'on connaissait de l' ingénierie grecque.
pendant la pri se de la ville . La légende Cicéron n'étant pas un technicien, il ne
veut qu ' un soldat l' ait occ is alors qu ' il déc ri v it pas le fo ncti onne ment de la
était absorbé par la résolution d ' un pro- machine et l' on pensa que , dans un jeu
blème mathématiq ue. Une des œuvres rhétorique, il avait exagéré. Cependant ,
d'Archimède fut sa u vée : Marce llu s les restes de la machine d ' Anticythère
rap porta à Rome un mécani sme sphé- lui donnèrent raison, même i ce lle-c i
rique en bronze , montrant les mouve- n ' es t probablement pas ce ll e qu ' i I a
ments du so leil, de la lune et des pla- vue. Elle démontre qu ' un mécani sme
nètes vues de la terre . complexe, ac tionné à la main par une
manive ll e, co mme ce lui dépeint par
Décrite par Cicéron Cicéron, ex istait be l et bien et que la
technolog ie grecque était trè avancée.
La mac hine resta d ans la fa mill e de Le mécanisme fut découvert il y a un
Marce llus et fut décrite par Cicéron (- peu plus d ' un siècle par des pécheurs
106 ; -43) a u pre mi e r s ièc le ava nt d 'éponges de l' ile de Symi , de l' arch i-
Jés us-C hri s t , bi e n que Ci céro n lui - pel du Dodécanèse , dans la mer Egée .
mê me ne vî t j a ma is ce tte m ac hin e . En 1900 , lors d'une tempête , ils trouvè-

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES CIVILISATIONS

re nt re fu ge da ns l ' i le d ' Anticythè re


(entre l'île de Cythè re et la Crète). Une
fo is la te mpête pa sée, ils plongèrent et,
s' il s ne trou vè re nt pa d 'éponges, il s
virent des statues de marbre et des tas
de bronze : ils avaient trouvé une épave. Le fragment
Le go uve rne me nt g rec dépêcha immé- principal de
di ate me nt une é quipe po ur re nfloue r la machine
l' épave . Travail dangere ux : du rant les d ' An ticythère,
di x mo is de l ' e xpéditi o n , un mort e t vu de face et de
deux paralysés furent à déplore r suite à derrière,
l'absence de paliers de décompress ion . au musée
Ce pe nd a nt , o n mit à j o ur un trés or d 'Athènes.
incroyable : des statues de marbre et de
bronze, des joyaux ...
Da n l 'e nth o u s ias m e, perso nn e ne
prêta atte ntion à un bloc de bronze cor-
ro dé, couvert de co nc ré ti o n s, la issé
dans une caisse dans la cour du musée
arc héo log iqu e d ' Ath è nes. M a is to ut un mécani sme comp lexe ac tionné à la
cela changea à l'ouverture de la ca isse. main par une manive lle, servant à calcu-
Après séchage, on vit des engrenages , ler la positio n du sole il , de la lune et vrai-
et des cad ra ns éc rits e n g rec a nc ie n. semblablement des planètes vus de la terre,
Cet artefact dé labré dev int le « méca- et servant à prédire les éclipses de lune
ni s me d ' Anti cy th è re » e t pro voqu a et de sole il. Un cadran en face avant indi-
é mo i ... e t con te rn ati o n . Ava nt cette quait la date dans le calendrier égyptie n,
déco uve rte , l ' Antiquité n'avait ja ma i la longitude écliptique du soleil et de la lune,
fo urni ni e ng re nages, ni a ig uill es, ni une sphère noire et blanche désignait la phase
cadrans. Et comme depui s (il fa ut bien de la lune ; en face arrière un cadran pré-
l'avoue r) o n n 'a rie n trou vé de sem- senta it la date dans un cale ndrier luni -
bl able , ce mécani sme de meure unique. so la ire grec, le plus comple t que no us
connaissions, un autre cadran dit du Saros
mécanismes indiqua it la poss ibilité d ' une éclipse de
lune où de sole il , un petit cadran donnait
Certains érudits ont d'abord pensé à un canu- le numéro du cycle du Saros ( 1, 2 ou 3),
lar. D' autres pensèrent qu ' une machine un autre petit cadran pe rme tta it la cor-
moderne était to mbée dans l'épave par rection du calendrier luni-sola ire, enfin
hasard . Les référe nces d ' un cadran aux un de rnier petit cadran repéra it les jo urs
signes du zodiac et le mot « Pachon » (qui de l' année .
désigne un mo is de l'année en grec ancien) La complex ité de la conception - plu
fi ni rent de convai ncre les plus sceptiques . de trente roues dentées - et le fait qu 'el-
éanmo ins, le mécanisme retomba dans le embarque l'état de l'art de l'astrono-
l'oubli avant que, dan les dernières décen- mie de l'époque montre nt le génie de
nies, plu ieurs chercheurs 'y intére sent ses concepteurs. Cette machine, malgré
à nouveau . Grâce à le urs longs efforts et une grande complex ité interne (elle pos-
de nombreuses radiographies, nous avon sède un train é picyc loïdal), éta it d ' un
une bonne idée de ce qu 'était la machine: u age très simple . Il suffi sait à l' opéra-

Hors-série n• 30. Histoire des mathématiques Tangente


HISTOIRES La machine d'Anticythère

fit esca le da ns la plu s grande île du


Sur les traces d'Archimède Dod éca nèse ava nt de somb re r .
L'astronome Hipparque (vers - 190 ; -
Peu d'éléments de la vie d'Archimède nous sont connus. Né 120), do nt les théories sont contenues
à Syracuse, il excelle en géométrie. On lui doit la méthode d a ns le méca ni s me, véc ut à Rh odes
d'exhaustion, qui consiste à encadrer un cercle entre deux juste quelques décennies auparavant. Il
polygones réguliers O'un inscrit, l'autre exinscrit). En utili- y forma des di sc iples. Le mécanisme
sant des polygones à 96 côtés, il obtient un encadrement de aurait donc pu être construit à Rhodes.
n:, entre 223/71 et 22/7. Par la même méthode, il démontre Cicéron visita égale ment Rh odes dans
que le volume d'une sphère inscrite dans un cylindre est égal ces a nn ées, e t il déc ri v it un e a utre
aux deux tiers du volume du cylindre. mac hine de bron ze construite par son
De nombreux objets portent son nom, en mémoire du mathé- ami Pos idonios (- 135; -5 1) qui repro-
maticien ou de l'ingénieur: la propriété archimédienne d'un dui sa it éga lem e nt le mou ve me nt du
corps (comme celui des réels), les solides archimédiens, le sole il , de la lune et des c inq pl anètes
principe d'Archimède (en hydrostatique), la spirale d'Ar- connues. Posidonios était le chef de fi le
chimède, la vis d'Archimède (en ingénierie), la machine d'Ar- d ' une école de philosophie à Rhodes à
chimède (en art de la guerre) ... l'époque de notre nav ire. Le généra l
Pompée admirait beaucoup son ense i-
g ne me nt e t s'arrê ta plu s ie urs foi à
teur de tourner une manivelle jusqu'à ce Rhodes pour lui rendre visite. Il n 'est
qu ' un des cadrans affichât une position donc pas exclu que Posidonios lui ai t
d és irée (jour, alignement so leil - fourni le mécani sme ...
lune .. .) ; alors, directement , l'opérateur
pou va it lire sur les autres cadrans les Sqracuse?
correspondances dans d 'autres cycles.
La pre miè re urpri se est qu ' un cadran Une incohérence, dan cette hypothèse,
serva it aussi à indiquer les Olympiades est que les noms des mois gravés sur la
ainsi que les autres Jeu x, dont les date mac hine n'étaient utilisés que dans les
é ta ie nt très important es pour les calendriers locaux des colonies ouest de
Grecs ! La machine ava it donc un rôle la Grèce. Il est ainsi tout à fa it poss ible
social en plu de son usage de calcula- que cette colonie ne so it autre que la
teuranalog ique . pui ssa nte S y rac u e (da ns l'ac tu e ll e
Sic il e). Ce qui e us-ente ndrait que la
Un rlUe soctal mac hine a é té fa ite par que lqu ' un de
cette ville, ou pour quelqu ' un dans cette
L'étude de l'épave e t de sa cargaison ville. Le problème, avec cette nouvelle
suggère que le nav ire appare ill a en - 65 hypothèse, c'est que le nav ire fa isa it
ava nt J .- C . de l ' A s ie- min e ure vers voile vers la Sicile.
l'ouest. C' était un nav ire romain rame- Mais la Sicile se trouve sur la route de
nant un butin de gue rre grec. À cette Rom e ! Il es t don c poss ibl e qu e la
é poque, le jeune e t intrépide général machine ait été construite à Rhodes pour
Pompée (Gnaeus Pompe ius Magnus, - un riche commanditaire de Syracuse. Le
106 ; -48) revenait triomphal e me nt tyle des écritures gravées sur la machi-
d 'As ie mine ure, qu ' il ava it va inc ue. ne date la construction entre 200 et I OO
Ce bateau aurait pu lui appartenir ... avant J .-C. Des étude récentes, ba ées
La présence de jarres de ravitaillement sur les dates historiques d 'écl ipses repé-
de Rhodes lai sse pe nser que le vaisseau rées sur le cadran du Saros, placent la

34 Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES CIVILISATIONS

aufrage

-
Deux ième gucm=
pun;que Construction de la machine

· 300 . 250 • 200 • 150 · 100

Archimède HJpparque
1

1
Ctésibios Posidonios !
Marcellus Pompée I
Cicéron

construction vers 180 à 200 avant notre o bservation s as tron o miques e t vo ulu
ère. La princ ipale source de renseigne- fa ire co ll e r plu s pré ci sé m e nt les R éférences:
me nts sur la machine n'est rien mo ins modè les aux observatio n ... • Jo Marchant.
que les nombreux textes mis à jour par Modé liser les c ieux avec des engrenages Decod ing the
les tomographies de 2005. Dans ce scé- est une tradition qu ' il fa ut voir en para l- Anti kythera. New
nario, la mac hine aura it été construite à lè le de celle qui consiste à construire des Scie11tisr , déce mbre
Syrac use puis emmenée à Rhodes pour y animaux, des jouets ... non pas avec des 2008.
être montrée, a mo ins que to ut simple- eng renages, ma is avec des systè mes à • Jo Marchant.
me nt son propriéta ire a it dé mé nagé et a ir chaud o u à vapeur. C e tte traditio n Decod ing the heav-
que, plus tard, les Romains l'aient rame- commença avec Ctésibios d ' Alexandrie ens: So lving the mys-
née. Le plus troublant , dans cette affaire, (ver -285 ; vers -222), le fo ndateur de tery of the world 's
est que Syracuse était justement la patrie l'école de mécanique d ' Alexandrie. Or, firs t computer.
d'Arc h imède (vers -287; -2 12). Les Archimède travailla avec lui lors de son Hei11ema1111, 336
desc riptio n de C icéron no us la issent séjour à Alexandrie. Les deux traditions pages, 2008 .
penser qu ' il aurai t pu être à l'ori gine de pourra ie nt avoir une source commune . . . • Tony Freeth.
ce type de machines . Hé ro n d 'A lexa ndri e (sa ns doute 1er Decod ing an Anc ient
s ièc le) res te le plu s co nnu d e ce tte Computer. Scienrijic
L'école de mécanique d'Alexandrie école. N 'a-t-il pas réa li sé la pre miè re American, décembre
machine à vapeur po ur infirmer la thèse 2009.
ous savons, d 'après d 'anc ie ns textes, d ' Ari stote, selon laque lle un corps ne • Tony Freeth.
q u 'A rc himè d e fut un pi o nni e r d a ns pouvai t se mettre en mo uve ment que si Alexander Jones.
l' utili sation d 'engrenages afin de lever o n le poussait ? Yi iblement , les Grecs John Steele et Yanis
des charges. D 'autre part , d 'aprè le e serva ie nt de le ur techno log ie po ur Bitsakis. Calendars
quelques détails biographiques qui nou comprendre et modé li er l' uni vers. On with Olympiad d is-
so nt parve nu s, no us savons qu e so n ne aurait rêver plu be lle utili atio n de play and ecl ipse pre-
père éta it astrono me. li serait logique de la tec hn o lo g ie. La m ac hin e diction on the
pe nse r qu ' il a ura it pu mo dé li se r les d ' A nticythère n'a pas encore Ii vré tous Antikythera
déplace ments des a tres avec des e ngre- ses ecrets ! L'équipe pluridi sciplinaire Mechan ism. Nature
nages. Surto u t qu ' un d e es li v res, pour uit on travail. Le décryptage des (454),j uillet 2008.
a ujo urd ' hui pe rdu , s'a ppe ll e S ur la textes révélés par le to mographie de • Phili p Ball. Complex
construction de la sphère. 2005 continue et nous permet d ' aller de clock combines calen-
La théorie de épicycles éta it en germe surprise en surpri se . Après de nouvelles dars, Nature (454),
à l'époque d 'Archimède, pe ut-être ini- plo ngées sur le site, une autre épave a j uillet 2008 .
tiée par Apo llonios de Perge (mort vers été local isée, proche de l'anc ienne . Qui Le site officiel de la
- 190) e t re pri se p a r Hipp a rqu e. sait quelles merveilles attendent encore machine:
H ipparq ue no us es t j uste me nt connu d 'être mises à jour! www.antikylhera-
pour avo ir collecté de très nombreuses J.-J. D. mechan ism.gr.

Hors-série n• 30. Histoire des mathématiques Tangente 35


HISTOIRES par Élisabeth Busser

Babyloniens ~

1ens
Les civilisations babyloniennes et égyptiennes, très avancées
dans bien des domaines (législation, administration, irri-
gation, service postal même ... ) l'étaient aussi dans le domaine
des mathématiques, allant bien au-delà de la science du calcul.
ur les bords de l'Euphrate, les Leur maîtrise du calcul réside dans

S Babyloniens, qui divisaient déjà


le jour en vingt-
quatre heures, les heures
2
l'usage courant de tables de toutes

0; 30
sortes : on a retrou vé sur des
tablettes babyloniennes d'en-
en soixante minutes et les viron 2000 avant J .-C. des
minute en oixante se-
3 0 ; 20 tables de carrés, de cubes et
conde , comptaient en 4 0 ; 15 d' inverses (cf. encadré).
ba e oixante. Pour eux, 5 0 ; 12
5 ; 15 , 30 (comme on di- 6 0 ; 10
rait 5h 15mn 30 ), en 8 0 ; 7, 30 Table
choi is ant de faire figurer
un point-virgule en gui e
9
10
0 ; 6, 40
0 ;6
d'inverses
de virgule décimale pour
12 0 ;5 à Babvlone
plus de clarté dans
15 0 ;4
l'écriture, représentait Ici , par exemple,
5+ li+-2!L. 16 0 ; 3,45
8 a pour inverse
60 3600 18 0 ; 3,20
1 = 7 + 30
0 ;3 8 60 60 2
et pour les « tro us » dans
la table, on utili sait des va leurs appro-
chées ! Ces tables serva ient en particu-
lier à la résolution d 'équations du type
ax = b dont la so lution s'obtient en
multipli ant b par l' in verse de a.
LES CIVILISATIONS

A Babylone, des tables


numériques
Les tables numériques de Babylone al-
laient encore plu s lo in puisqu 'on a re-
trouvé ce lles qui donna ient les
triplets pythagoriciens, c'e t-à-dire les
côtés entiers de tri angles rectangle
(3, 4 , 5 par exemple pui que 32 + 4 2=5 2)
et celles qui permettaient de résoudre
bien des équations de degré trois. Les
arithméticiens babyloniens ont en effet
établi une table des valeurs de n. 3 + n. 2 .
Elle leur permettait de résoudre les
équation du type ax3 + bx 2= c.
Comment s'y pre nai e nt-il s ? Il s Tablette babylo-
jouaient avec les constantes , cor men- utili ser les fractions, extraire des ra- nienne conte-
çant par tout multiplier par ~ pour
c ines carrées . Ils avaient aussi étudié la nant des trip let
b
obtenir, en notations d 'aujourd ' hui : mesure du cercle et , même s ' ils résol- de Pythagore.

(:r (:r =::.


+
Cette tran forma tion , qui dénotait déjà
va ient leurs problè mes unique ment
dans des cas concrets , et ne
fa i aient pas toujours une di stinction
une profonde compréhen ion des méca- nette entre valeurs exactes et valeurs
nismes du calcul , leur permettait , par approchées, on peut dire que , du
un changement d ' inconnue , d 'arriver à point de vue calculatoire, il s ava ient at-
l'équation y3 + y2 = ca32 , pui de te int un remarquable njveau de sophis-
b tication.
la ré oudre par lecture de leur table.
Même i cette techn ique repré ente une
belle avancée, il faudra attendre plu- Les mathématiques égyptiennes,
ieur millénaire pour avoir une mé-
d'inspiration pratique, ne sont pas
thode générale de résolution de équa-
tions de degré 3. Honni ce tyle de exemptes d'un certain souci de la
calcul , le Babyloniens avaient faire généralisation, à défaut d'un haut ni-
bien d ' autre choses encore veau d'abstraction.
HISTOIRES Babyloniens et Égyptiens

les fractions égyptiennes


Le Égyptiens utili aient de fraction très particulière , ayant toute pour numérateur L. Cette
contrainte, qui peut à première vue paraître inconfortable, a été la source de nombreux problème .
En particulier, peut-on repré enter tout nombre rationne l comme somme de fraction numérateur
l , autrement dit de fractions « égyptiennes » ?
On peut bien ûr écrire 1 = l + l + l mais comment faire si l' on impose en plu que tou les
7 7 7 7
dénominateur soient différent ? Les Egyptien avaient leur technique !
Commençons par chercher la plus grande fraction égyptienne qui soit inférieure à 1: c' est l.
7 3
Recommençons maintenant avec 1_ l = -1..: c'est l. La plus grande fraction égyptienne
7 3 21 3
inférieure à -1.. étant _L , on recommence avec _1_ _ _L , qui est préci ément égal à ... _ l_
21 11 2 1 11 23 1
Ain i , 1 = 1 + -'- + - 1- .
7 3 1L 231

Nou dirion aujourd ' hui que l'algorithme e générali e à tout nombre rationnel x et peut ' écrire,
en langage de programmation :
Tant que x ~ 0 , calculer : n, le plus petit entier> l
Recommencer en remplaçant x par x - l . x
n

Un sysH11e peu apte au calcul Voilà pour le calendrier civil . On éva-


lua ensuite la longueur exacte de l' an-
Sur les bords du Nil, vers 1650 avant née à 365 jours et quart, si bien que
J .-C., par contre, le système égyptien deux calendriers ont coexisté. Il e t à
de numération, lourd à écrire, ne se prê- noter que c'est le calendrier égyptien
tait guère au calcul. Il fallait pourtant qui a servi de base aux calendriers ..i
bien trouver des astuces pour pouvoir julien et grégorien. Les Égyptiens,
prédire avec exactitude les crues du Nil, qui avaient, comme les
qui préoccupaient beaucoup les pay- Babyloniens, une ap-
sans. Cela nécessitait de savants calculs proche trè pratique de
de calendrier, impliquant un choix ri- problèmes, ont donc
goureux du commencement de l'année. su contourner
L'année des Égyptiens comptait, dès les difficultés
2776 avant J.-C., trois cent soixante-
cinq jours répartis en douze mois de
trente jours avec cinq jours J>éciaux.

38
LES CIVILISATIONS

liées à leur système de numération peu rapports de longueurs égaux à n, mais


propice en gérant par exemple de ma- cela paraît peu crédible. Une chose est
nière très subtile l' usage des fractions. sûre cependant, c'est qu 'on trouve dans
certaines dimensions de la grande pyra-
En Égypte , les nombres ne ont pas mide des triangles 3, 4, 5, une preuve
pensés comme des quantité abstraites, que les Égyptiens usaient avant la lettre
mais comme Je cardinal d' une collec- du théorème de Pythagore pour
tion , un « nombre de ... » . Les pro- con truire des angles droits.
blèmes du papyru Rhind comme ceux
du papyrus de Mo cou contiennent Le mathématiques égyptiennes sont
des équence d' « exercices d'apprentis- donc , nou l'avon dit, toujours d' ins-
age » assez répétitives sur de ujet piration pratique, mais le écrit qui
trè concret comme de problèmes de nous ont parvenu témoignent un
partage. On y trouve cependant certain ouci de la généralisation, à dé-
quelque tentative de généralisation faut d' un haut niveau d'ab traction.
comme cette indication sur le partage
den pain entre dix personnes et ses so- É.B.
lution pour n = 1, 2, 6, 7, 8, 9 suc-
ce ivement.

En ce qui concerne la géométrie, on a


retrouvé sur d'anciens papyrus des ren- les deux 11111,rus
eignements sur la construction des py-
ramides, en particulier celle de Gizeh. Le papyrus Alexander Henry Rhind fut
On a voulu faire dire à ces textes beau- écrit par le scribe Ahmès vers 1650 avant J.-
coup de chose . On y a par C. Découvert à Thèbes. Acheté par !'Écossais
exemple vu le nombre H. Rhind en 1858. Conservé au British
d'or et certains Museum.

Le papyrus de Moscou fut écrit vers 1850


avant J.-C. Découvert à Thèbes par le Russe
Vladimir Golenischev en 1893. Conservé au
Musée Pouchkine à Moscou.
SAVOIRS par Hervé Lehning

La méthode
de Héron
Héron d'Alexandrie est connu pour ses travaux en hydrau-
lique, mais aussi pour une formule donnant l'aire d'un triangle
en fonction de la longueur de ses côtés ainsi que pour une mé-
thode de calcul des racines carrées. C'est à cette méthode que
s'intéresse cet article.

éron d ' Alexandrie vécut

H à. . . Alexandrie, au premier
sièc le après Jésus-Chri st,
donc en Égypte sous domination ro-
maine du point de vue administratif,
mais grecque au niveau culturel. Il
était connu comme ingénieur, pour sa
conception d ' automates mus par l' eau.
Il a décrit en particulier un mécanisme
permettant d 'ouvrir les portes d ' un
temple automatique ment, ainsi qu ' une
fontaine fonctionnant selon le principe
des vases communiquant.
Fontaine de Héron
(réplique moderne).

Comme mathématicien, on lu i attribue


également une fo rmule liant les côtés
d ' un triangle et son aire, fo rmule pour-
tant déjà démontrée par Archimède
plusieurs siècles auparavant. Mais il
est rare, on le sait, que les théorèmes
mathématiques anciens portent le nom
de Jeurs véritables auteurs !

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES CIVILISATIONS

Si je t'oublie Babylone...

On doit également à Héron une excel-


lente méthode de calcul approché de la
raci ne carrée d ' un nombre. Sa pater-
nité est à nouveau contestée car on en
trouve trace dans une tablette babylo-
nienne.

Les spéc iali stes restent di visés sur l' in-


terprétation qu ' il convient d 'avoir de
ce texte très court. Mais on pourrait
A B M c
auss i interpréter le travail de Héron Le carré bleu foncé a pour côté AB= 1,
comme une antic ipation de la méthode il est plus petit que le carré cherché
de Newton de résolution des équa- (d'aire 2). Le carré bleu clair a pour
tions et, plus généralement, de toutes côté AC = 2, il est plus grand que le
les méthodes d' approx imatio ns suc- carré cherché. Le carré de côté [AM] où
cessives. C'est bien Je cas, même s' il M est le milieu de [BC] est une meilleure
est douteux que Héron ait conçu sa approximation du carré cherché.
méthode comme un cas particulier de
méthodes futures. De même, les sa- L' aire du carré de côté AB = 1 est in-
vants de Babylone n'ont pas fo rcément fé rieure à celle du carré cherché (d'aire
imaginé une appl ication récursive de 2), son côté éga lement. L' aire du carré
ce que l'on peut dev iner sur leurs ta- de côté AC = 2 est égale à 4. Elle e t
blettes. Il est dangereux d ' interpréter le supérieure à celle du carré cherché, son
passé à l'aune du pré ent ! La tablette côté également. Pour amé liorer l'ap-
YBC 7289 n'est probable ment pas un prox imation de /2 correspondante,
« plagiat par antic ipation » . une idée logique est de considérer le
carré de côté [AM] où M est le milieu
Ne craignons pas les anachronismes de [BC]. Un calcul simple montre que
pour décrire la méthode de Héron et AM = 3/2. Le carré correspondant a Tablette
empl oyons donc le langage moderne. pour ai re 9 / 4, qui est supérieur à 2, babylonienne
La double inégalité 1 < /2 < 2 équi - d 'où l'encadrement : J < /2 < 3 / 2, (YBC 7289)
vaut à 12 < ( 2 ) 2 < 2 2, c'est-à-dire à qui est une amélioration du précédent évoquant la
1 < 2 < 4. Elle est donc vraie. résultat. méthode de
Pour améliorer cette approx imatio n, Héron.
on re marq ue que déterminer /2 équi- Cet encadrement peut être im-
vaut à trouver un carré d 'aire égale à 2. médi atement amé lioré en
Trouver un carré est di ffici le, trouver considérant le rectangle
un rectangle est plu s fac ile. On cherche d 'aire 2 dont l' un des cô-
donc un rectangle d ' aire égale à 2. Si tés est [AM]. So n autre
l'on part de l , notre pre mière approxi- côté a pour longueur
mation de /2, le rectang le a po ur cô- 4 / 3, fo rcément infé-
tés I et 2. Le résultat est d'ailleurs le rieur à /2. On en déduit
même si l'on part de 2. le nouve l encadrement :
4 / 3 < 2 < 3 / 2. La préci-

Hors-série n°30. Histoire des mathematiques Tg,ngente


SAVOIRS La méthode de Héron

s ion obtenue de fi est infé rie ure à la .


rac111e de I' eq . n y= x + I
' uat1o
2 x.
diffé re nce 3 / 2 - 4 / 3, qui va ut 1 / 6. Cette équatio n se simplifie e n x2 = 2.
L' a mé lioration de la précision étant Comme x > 0 , x = fi . Bie n entend u,
satisfaisante, il est légitime de recom- o n n' arrivera jamais à une telle éga li-
me ncer e n partant de AB = 4 / 3 et té, mais e lle ex plique la relation entre
AC= 3 / 2. L'aire du recta ngle corres- y - fi et x - fi. Tout d ' abo rd, e lle
po ndant est bie n égale à 2. permet d ' écrire :
Le calcul de la lo ng ue ur AM donne :

AM = AB~AC = 3:2 /i-


4 3
=
y- 2 = ~2 +1-
X
- (_1_
2
+_1
_)
fi.
En regro upa nt les te rmes, ce la donne :

Le carré correspo ndant a po ur a ire Y


-
2 = x-fi
r;:;
\IL. 2
+1- __l_
X fi·
289 / 144, qui est supé rie ur à 2. On En réduisant au même dénominateur,
e n déduit l' e ncadre me nt 24 / 17 < o n s ' aperço it que le second terme s 'ex -
fi < 17 / 12. La précis io n o bte nue prime auss i e n fo nctio n de x - fi . En
de fi est infé rieure à la différence effet,
17 / 12 - 24 / 17, qui vaut 1 / 204. 1 1 2- x
Une seule itératio n supplé me ntai re de
X - fi= x fi .
ce procédé pe rmet de trouver l'e nca- E n réduisant à no uveau au même dé no-
dre me nt 8 16 / 577 < fi < 577 / 408 , minate ur 2x, o n e n déduit :
qui correspo nd à une précision de _ (x-fiY
1 / 2354 16. y- 2 - 2x
La sui va nte donne: Com me x > 1, cette égalité implique
94 1 664 / 665 857 < fi < l' inégalité sui vante :
665 857 I 470 832, y-fi < (x - fiY
so it une précision de : 2
1 / 3 13506783024. Si, à une étape donnée, la préci sion de
N chiffre s ig nificatifs est atte inte, à la
Une précision inouïe ! sui va nte o n obtient de ux fo is plus de
c hiffres ! Cela se voit mieux quand on
Il est évide mme nt poss ible de conti - écrit les termes de la suite sou forme
nue r ainsi. Cette démarche suffit pour décimale :
o bte nir fi à to utes les précisio ns 1,
ra isonnables voulues . Po ur le com- 1,5 ,
prendre, il est essentie l de préciser, à 1,4 17,
la lumière des no tations modernes, la 1,4 14 2 16,
mé thode utili sée. L ' a nac hroni sme de- 1,4 14 2 13 562 375 ,
vie nt ic i phé no mé na l ! Jamais Héron 1,4 14 2 13 562 373 095 048 80 1 690,
n' a urait pu concevoir la question de 1,4 14 2 13 562 373 095 048 80 1 688
cette maniè re . 724 209 698 078 569 67 1 875 377,
Partant d ' une vale ur de x(x = 1), o n a et a insi de suite. Cette écriture diffère
re mplacé cette valeur par y = ~ + ; de celle de Héron d ' Alexandrie, qui
e t recomme ncé indéfi nime nt (o u a u n ' utili sa it que des fractions. Il devenait
mo in plus ieurs fo is . .. ) cette o pé- a lo rs difficile de visua li ser cette pro-
ration. Si , à une étape du processus, priété ...
o n obtient l' égalité y = x, alors x est H.L.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


ar D. Justens, P. Adjamagbo et D. Rampelberg EN BREF

les secrets des papyrus


Des mathématiques presque abstraites li Vassilievitch Struve. Le manuscrit original,
1800 ans avant notre ère ! C'est ce que dé- en hiératique (simplification cursive des hié-
voilent les trésors exhumés des papyrus égyp- roglyphes), fut traité par la méthode du car-
tiens. Ainsi, le papyrus de Moscou contient bone 14 qui lui attribua 3 800 ans, le situant
la formule donnant le volume d'une pyramide aux environs de 1800 avant J.-C. Moins long
tronquée. Ce papyrus fut acheté en 1893 par que le Rhind (5,40 m de long sur une largeur
Wladimir Golenischeff mais ne sera traduit variant entre 4 et 7 cm), il comporte vingt-
qu 'en 1930 par l'orientaliste soviétique Vassi- cinq problèmes avec leurs solutions.

Le célèbre papyrus Rhind fut acheté par


l'égyptologue Alexander Henry Rhind en
1858, qui le légua au British Museum (inven-
taire BM 10057 et 10058). Ce texte est écrit en
hiératique et date des environs de 1650 avant
J.-C., mais, dans son introduction, le scribe
signale qu'il s'agit de la copie d'un texte beau-
coup plus ancien remontant probablement à
1850 avant notre ère.

:::~, On dispose également du papyrus de Kah un,


: :;Rn trouvé par William Matthew Flinders Petrie
(et publié en 1898) et du papyrus de Berlin.
.... 1111
Alors, nuls en maths, nos ancêtres égyptiens ?
::: ~~ ::~( ! )°'l\.

iÏlhind :l'Afrique à la pointe


Le scribe Ahmès (prononcer « Ahemessou ») , égyp-
tien africain, est incontestablement « le premier
mathématicien connu de l'histoire » et « le premier
philosophe des mathématiques ». Il a écrit, près de
1650 ans avant notre ère, à l'encre rouge, au dos
du papyrus dit de Rhind, plus de mille ans avant
les premiers philosophes grecs, à une période où
même les héros légendaires de la Grèce n'étaient
pas encore nés, la réflexion surprenante suivante :
« Méthode exacte ou rigoureuse d'investigation de
la nature, afin de découv1·ir tout ce qui existe mais
est caché. » Le contenu du papyrus qu'il présente,
et dont les objets sont des nombres, des figures géométriques dans le plan et dans l'espace,
et les « mesures » attachées à ces dernières, préfigure, à plus d'un titre, des découvertes
bien postérieures.
L ~
Hors-série n°30. Histoire des mathématiques TC1.n9ent:e
HISTOIRES par François Lavallou

mathématiques en
Chine ancienne
Bien qu'une grande partie de la production mathématique
chinoise antique ait été perdue, nous pouvons nous faire une
idée de sa profonde originalité dans l'histoire mathématique
mondiale. De récentes études mettent ainsi en évidence, der-
rière un pragmatisme très calculatoire, le fréquent recours à
des structures algorithmiques pour la résolution de pro-
blèmes.

s i la Chine anc ienne a la issé


trace dans l'hi sto ire mondiale
de nombre ux phil osophes, sa
production mathé matique, fa ute de
textes et d 'études, a été longtemps sous-
no mbreux philosophes qui apportèrent
des perspecti ves orig inales, inconnues
de la philosophie occ identale. La phi -
losophie chinoi se diffère si radicale-
ment de la philosophie occ ide ntale
estimée. Ce n'est que dans les années qu ' on pe ut , au vu de ses méthodes et
1960 qu 'on prit conscience que certains résultats, lui contester le statut de phi -
livres, composés de problèmes et procé- losophie au sens grec du terme . Très
Confucius dures, étaient de l' importance des Élé- rapidement , la pensée chinoi e penche
(551 - 479 ments d ' Euclide en présentant une autre nettement pour un réa li sme pragma-
avant J.-C.). façon de faire de mathématique , plus tique où sont exclues métaphysique et
axée sur la généralité que sur l'abstrac- log ique, s'orie ntant ve rs la sy nthèse
tion , sur la synthèse que sur l'analyse. plutôt que ve rs l'analyse. Les mathé-
matiques, une des manifestatio n de la
Cent Écoles pensée huma ine, n'échappent pas à
cette tend ance. Cec i est amplifié par
La civili sation c hinoi se, sui va nt son l'absence d ' une entité créatrice du
génie propre, a dé ve loppé un systè me monde et donc d ' une vérité ultime. On
de pe nsée ri che sou s l'impul sio n de s' inté resse plu s à la mo ra le huma ine
pour la gestion pratique des problèmes
La puissance d'une écriture positionnelle de soc iété. Cette pen ée chino ise est
est bien sûr de permettre donc essentie llement politique . Seul le
biais occ idental ne ressort de cette pro-
une mise en calcul simplifiée ducti on que la part cosmique fa ite de
des quatre opérations fondamentales. méditati on - vo lonté de ne vo ir, à

44 Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathematiques . .


LES CIVILISATIONS

Un boulier chinois.

Dire c'est bien, voir c 'est mieux,


toucher c'est parfait.
Proverbe chinois

l'aune de notre propre pen sée, que des la base 5. La numération déc imale nous
concepts abstraits plutôt qu'une philo- paraît maintenant si naturelle que nous
soph ie (modèle de pensée), une sagesse en oublions la profonde ur et l' impor-
(modèle de comportement). tance. Ce système utilise dix signes dif-
Confucius, ce roi sa ns co uronne , ne férents et e t positionne! : la pl ace du
put jamais ap pliquer ses idées. Ses signe détermine sa valeur. Les Chinois
« entretiens » sont une co mpil ation de développèrent un te l système , dont on
discussion avec ses di sc ipl es et on ne trouve les premjères traces dès la dynas-
dispose donc pas d ' un système de pen- ti e Shang ( 1 600 avant J .-C.) sur des
sées cohérent. li n' utili se pas les outils éca ill e de tortue portant des inscrip-
logico-déd uctifs de nos philosophes, tions divinatoires. Pui s, il y a e nviron
mais use de tautologies, et d'analogies. deux mille cinq cents ans, apparaît sur
Suit la période fertile des « Cent des bronzes un système de treize signes,
Éco les » où ses idées sont mi ses e n neuf pour les chiffres de I à 9 et quatre
systèmes et donne nt naissance à de pour 10 , 100 , 1000 et 10000. Pour
nombreux courants . L' étude de ses l'écriture du nombre 2000, par exemple,
textes a nourri le système éducati f chi- le sy mbole du chiffre deux est dess iné
nois et fournira le modè le politique de au-dessus de celui représentant 1000 . Le
la Chine pendant des siècles. passage à une notation positionnelle ne
demande alors qu 'à supprimer les parties
Système décimal inférieures. Chose faite avec l' apparition
des baguettes à calculer. Elles é taie nt
Les systèmes de numération furent fabriquées , le plus souvent, en bambous
variés sui vant les c ivili sation s : les et servirent comme instruments de cal-
Baby lonien utili aient la base 60, les cul au début de la dynastie des Han (200
Celtes et les Mayas la base 20 , d'autres avant J .-C.) . Pour lever les ambiguïtés ,

Hors-serie n° 30 H1sto1re des mathemat,ques .. Tangente


Mathématiques en Chine ...

elles sont disposées verticalement dans une va le ur exacte pour n = 5, de l'ordre


les colonnes de rang impair, et hori zon- de 10 12 et estime à 10 208 le nombre de
talement pour ce lles de rang pair (vo ir poss ibilités pour le je u entier (11 = 19).
fi gure c i-dessous) . Ce système permet
ainsi, la plupart du temps, de déterminer les quatre opérations
les espaces vides puisqu 'entou rés par des
lots de baguettes para llè les . On notera La pui sance d ' une éc riture pos iti on-
que cette méthode, dite du « Wei », appa- ne lle est bien sûr de permettre une mi se
rait près de mille an s avant son équiva- e n ca lcul simplifi ée des quatre opéra-
lente indienne ! tions fond amentales. L'addition et la
soustraction sont grandement fac ilitées
1 Il Ill 1111 11111 T TT llT' l11T par l' emploi de baguette de bambous.
Pour les no mbre négati fs, Liu Hu i
- - -- -- -- .1. -...1.. ..L
- ....&.- (voir encadré en page 35) nous apprend
qu ' on utili sa it des bag uettes no ires
1 2 1 3 4 5 6 7 8 9 pour les no mbres pos iti fs et ro uges
·- - - -
pour les négatifs. Si vous ne di spos iez
Numération savante ( - 200).
que d ' un seul type de bag uettes, on
Ce système permet la manipul ation de inc lin a it les bag uettes vertica les d ' un
grands nombres. Lor que le grand no mbre négati f. La fi gure c i-dessous
mathé matic ie n et astrono me 1-Hsing donne un exemple de la faço n de procé-
(vu!° siècle) voulut évaluer le nombre de der po ur une multipli cati o n, étant
situations poss ibles au Weï-Chi (jeu de entendu que no us avons décortiqué ce
Go), il chercha à calculer des quantités processus calcul atoire pour raison péda-
2
de la forme 3" pour une grille carrée de gogique, et qu ' un calcul ate ur ex péri -
côté n (3 états possibles pour une inter- menté en réduirait le nombre d 'étapes.
section : blanc, noir ou vide). Il obtient So it à multiplier 32 par 57 (a). Le cal-

a
TT lb TT c ~TT ,
5 7
11111~ 50 X 30

5o x2 ~ I D
3 2

-- Il -- 11 ~ 1 =Il
d O TT e
TT f D
T ~5o x 32 -T - llr = 1111
7x30 ~Il 1 8 2 4
7x2 ~
1111
__. -= Il -- Il DO
Algorithme de multiplication.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ..


cul ex pl oite la di stri buti vité de la mul -
ti pli cation par rapport à l'addition. On liu Hui (220-2801
décale (b) le nombre 32 d' un cran car il Sa vie couvre intégralem ent la période d es Trois
va être mul tipli é par le c hi ffre des royaumes, après l'effondrement de l'empire Han. Il ne
dizaines (c) (on décalerait donc de deux nous reste rien de sa vie et peu de ses écrits, parmi les-
espaces si le nombre supérieur compor- quels le très impor-
tait tro is chiffres). La di za ine 5 multi - tant commentaire sur
plie séparément la d izai ne 3 et l' unité les Neuf Chap itres
2. Les rés ultats, qui supposent connues sur l'art math éma-
les tables de multipli cation, sont addi - tiques en 263. Il pré-
tionnés (d) pour do nner 160. On sente une approche
rep lace 32 pour la multiplicatio n par bien plus mathéma-
l' unité 7 de 57, qui s'effectue (e) de tique que celles
même que précédemment , e n sépara nt du (des) réd act eur(s)
dizaines et unités. On addi tionne enfi n des Ne uf Chap itres
le tout (j) pour trouver le résultat fi nal : en s'efforçant de jus-
57 X 32 = 1824. tifier les calculs, d e
La procédure in verse est , bie n sû r, systématiser les pro-
assoc iée à la div isio n , ma is eng lo be cédures et n'hésitant pas à pointer du doigt les erreurs
auss i les ex trac ti ons de rac ine . Po ur des anciens. Un de ses plus b rillants apports (chapitre
des raisons pra tiques, le systè me des 1) concerne l'estimation de it . Il ét ablit une récurrence
rég lettes a évo lué vers le ve sièc le e n entre longueurs des côtés et des fl êches (dista nce du
différents systèmes de perles, de valeurs côté au cercle) des polygo nes de 3.2" et 3.2n - ' côtés et
assoc iées à des couleurs, précurseurs du détermine, par un procédé non encore totalement expli-
boulier (X11f sièc le). cité, la valeur de 3927/1250 = 3,1416, soit une p récision
de 2 . 10 - 7 pour un calcul avec baguettes ! Il donne la
Corpus mathématique surface du cercle comme étant égale au demi-produit de
sa circonfére nce pa r son rayo n, par un procéd é qui
Rares sont les textes mathématiques de nécessite une comp réhension du passage à la limite. Fin
la Chine anc ienne qui ont à la fo is sur- du chapitre 4, il const ate que la formul e du volume
vécu à l'épreuve du temps (en effet , il s d 'une sphère est fausse, et s'avoue incapable de la déter-
étaient dess iné sur des matériaux hau- miner. Il complète dans le chapitre 5 la gamme d es
tement péri ssabl es comme l'écorce ou sol ides dont on peut calculer le volume : prisme, pyra-
des planches de bambous) et échappé à mide, t ét raèd re, cylindre, t ro nc d e cône. Il utilise une
)'autodafé impéri al ordonné e n 2 13 découpe en éléments infi niments petits, prémisses du
ava nt J .-C . ! Po ur les te mps anc ie ns, calcul intégral, et trouve des volumes égaux pour des
la légende raconte que le grand empe- corps ayant des sections à la même hauteur égales : c'est
reur Yu aperçut un carré magique la génèse du principe de Cavalieri, ou principe de Zu en
(fig ure en page sui vante) sur le dos Chine. En complément du chapitre 9 sur le triangle rec-
d ' une tortue di vine, version chinoise de tangle, il nous a laissé un manuel sur les mathéma-
la tortue Kurma , avatar de Vishnu . tiques de l'île maritime, réunion de neuf p roblèmes de
Vers 1000 avant J.-C., o n trouve trace t riangul ation, qui permet , par exemple, d e calculer la
du triplet pyt hagoric ien (3, 4 , 5) ma is distance d 'une île à la côte par deux mesures de visée,
sans preuve générale du théorè me de d 'où le titre de cet ouvrage fa isant partie des Dix
Pythagore. Les quelques traités qui ont Classiques.
survécu et leurs comme ntaires ont été
compi lés par Li Chun fe ng en 664 pour

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Ta.ngente 47


Mathématiques en Chine ...

constituer les Dix Classiques, référence ! ' horizon mathématique en Chine en ce


abso lue de la conna issance pour les milieu du 3e siècle (cf. encadré ci-contre) .
fo nctionnaires impériaux .
Nous nous intéresserons plus particulière- les commentateurs
ment au plus célèbre de ces classiques :
Les textes épars constituant les Dix
Classiques ont bénéficié pour la plupart
des explications et améliorations de nom-
breux commentateurs, dont le plus

+
important fut certainement Liu Hui (cf.
encadré p. 35). Il s'efforça de justifier les
procédures de résolution des problèmes
des Neuf Chapitres.ce qui peut être con i-

<7 . <>
Carré m agiqu e « Lo Shu ».
déré comme une tentative de démonstra-
tion. Il fa it référence à des figures, alors
que les Neuf Chapitres n'en contiennent
aucune, pour utiliser un mode fondamen-
tal de démonstration par coloriages des
pièces d 'un puzzle (figure ci-dessous) .
Plutôt qu'un inventaire des productions
Les Neuf Chapitres sur l'art mathéma- mathématiques , insistons sur la di ffé-
tiques, compilation de 246 problèmes rence conceptuelle des textes et démons-
entre - 1OO et + 1OO, commentés et déve- trations en s'appuyant sur le plus riche
loppés par Liu Hui vers 263 de notre ère.
Somme des connaissances mathématiques
jusqu 'au milieu du troisième siècle, ce
vademecum est composé de neuf chapitres
distincts, ensemble de problèmes unis par
une procédure commune de résolution.
Trois chapitres fournissent des formules
pour le cadastre et l' ingienierie, trois sont « Démonstr ation visuelle » du
dédiés aux problèmes de taxation et de théorème de Pythagore.
bureaucratie administrative, et les troi s
autres présentent des techniques de cal- ouvrage parmi les « classiques » et son
cul spécifiques. Une présentation du plus brillant commentateur. Il fa ut y
contenu des chapitres permet de cerner voir bien plus qu'une collection de pro-
blèmes pratiques pour fo nctionnaires
impériaux. Les explicati ons, les ajo uts
et critiques de Liu Hui nous montrent à
' Zu Chongzhi : astronom e, ingé- l'év idence qu'il considérait ces pro-
nieur, mathém aticien . Il t rouve blèmes des Neuf Chapitres comme des
3,1415926 < 1t < 3,1415927, paradigmes, volonté de généralisa-
' et :rc est quelquefoi s nommé
« nombre de Zu ».
Il établit avec son fil s le « principe
de Zu », correspondant au prin-
cipe de Cavalieri.

48 Tangent:e Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES CIVILISATIONS

6. Paiement de l'impôt de manière égali-


taire en fonction du transport : pour régler
Ces neuf chapitres, en reprenant les termes de le problème des taxes de transport, ce chapitre
Karine Chemla, sont les suivants : utilise les procédures mises en place dans les cha-
1. Champ rectangulaire : la partie principale pitres « bureaucratiques » 2 et 3.
donne les formules pour calculer les surfaces de 7. Excédent et déficit : cette procédure est en
champs de formes géométriques variées, et la fait une méthode d'interpolation linéaire,
seconde présente, comme outils pour le reste de connue sous le nom de règle de lafausse posi-
l'ouvrage, les procédures des quatre opérations tion en Occident. Soit à résoudre f (x) = o. Si
sur les fractions. On y trouve un rapport du péri- f(a 1) = b1 (excédent) et f (a 2 ) = - b2 (déficit),
mètre du cercle sur son diamètre estimé à 3. alors x = (a 1b 2 + a 2 b 1)/(b1 + b 2 ). Elle donne un
2. Petit mil et grains décortiqués : les résultat exact pour un problème linéaire, appro-
pourcentages et proportions sont utilisés pour, ché dans un cas non linéaire, et on peut dans ce
initialement, traiter de tables de conversion des cas réitérer le processus. Notons que cette
poids et volumes des grains au cours des diffé- méthode n'a pas été connue en Europe avant le
rentes étapes de leur traitement : décorticage, XVIII" siècle avec Léonard de Pise, dit Fibonacci.

cuisson, fermentation, délayage. On y présente 8. Fangcheng : fang est lié à la notion de jux-
un algorithme fondamental, celui de la règle de taposition et cheng à celle de mesure. Fangcheng
trois (certainement d'origine indienne), sous le consiste donc à mettre côte à côte des relations
nom de procédure du « supposons ». quantitatives entre des éléments dont on cherche
3. Parts pondérés en fonction des à évaluer les valeurs, ce qui constitue un système
degrés : deux algorithmes sont présentés de d'équations linéaires. Nous donnons en encadré
façon abstraite indépendamment de tout pro- (page 40) un exemple référence tiré du premier
blème, la procédure des parts pondérées en problème de ce chapitre, appliqué à la produc-
fonction des degrés qui permet des partages tion de céréales. Naturellement, il peut arriver au
pondérés et la procédure de l'inversion des cours du processus d'élimination des inconnues
coefficients de la pondération qui explique un qu'apparaissent des nombres négatifs et une
partage en parts inversement proportionnelles règle abstraite, la procédure du positif et du
à des facteurs donnés, et qui se ramène à la pro- négatif, est introduite pour gérer les additions et
cédure précédente. Les outils utilisés sont les soustractions entre nombres positifs et négatifs.
progressions arithmétiques, géométriques, les Le haut degré de complexité de l'ensemble de ces
proportions et la règle de trois. techniques fait que la procédure Fangcheng est
4. Petite largeur : peut-être la partie la plus certainement, aux dires de Karine Chemla, la
abstraite des Neuf Chapitres. On y traite princi- plus élaborée des Neuf Chapitres.
palement de la division, cherchant à déterminer 9. Base et hauteur : ce dernier chapitre est
les côtés d'une figure dont on connait la surface, entièrement consacré au triangle rectangle. Le
ou volume, et une dimension caractéristique. théorème de Pythagore y est donné sous forme
On y établit l'agorithme d'extraction d'une d'algorithme. En notant a le plus petit côté (la
racine carrée et la mesure du volume de la base), b le plus grand (la hauteur) etc l'hypoté-
sphère, qui occuperait les 9/16 du cube qui lui nuse, les premiers problèmes consistent à
est circonscrit. déterminer les côtés d'un triangle dont on
5. Discuter des travaux : concerne le calcul de connait deux des neuf données qu'il est possible
vingt-et-un types de solides, initialement pour de former par addition ou soustraction à partir
régler des problèmes liés à des travaux de terras- de a, b, c, comme par exemple a et c - b, ou
sement. c + a etc + b. Un des problèmes (9.19) nécessite
de résoudre une équation quadratique !

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques . .. Tangente


HISTOIRES Mathématiques en Chine ...

tion qui ne prend pas la forme abstraite


des mathématiques grecques.
Le plu s vieux rec ue il chinoi s vient
d 'être ex humé, en 1983 , d ' une tombe
fermée en 186 av. J.-C. Ce li vre
d 'arithmétique sur lattes de bambou ,
qui n'a pas encore livré tou s ses
secrets.

Racine carrée
La procédure, semblable à celle de la divi-
sion, est illustrée sur la figure suivante pour
l'extraction de la racine carrée de 53 361.
Nous avons pris un carré exact pour la sim-
plicité de l'illustration, mais le calcul pour-
rait se continuer en donnant un nombre
décimal. Dans ce cas, un symbole représen-
tant l'unité de mesure se situe sous le chiffre
des unités, les chiffres situés à droite consti-
tuant la partie décimale. Pour extraire une
racine carrée (a), on découpe le nombre par
tranches de deux chiffres (b) et la racine (2)
du premier paquet (5). On se décale vers la
droite (c), on double notre résultat (4=2 x 2),
et on essaie 3, division de 13 par 4 (d). On
soustrait de notre paquet en cours (133) la
quantité 3 x 43 = 129, et on se décale (e) : il
nous reste 461, on double notre résultat :
46=2 x 23, on essaie 1 (f), et on trouve
231 (g) . Les moins jeunes d'entre nous se
souviendront peut-être avoir appris cette
méthode en primaire !

b V c
Il Il
Miroir des vers chinois
11111 = 111 .L 1 =Ill .L I
et japonais (1833 - 1834),
11111 -
Hokusai Katsushika. 14 4 4 4 -- 1
d
Il
V
!l Il - f Il =i 8JII - 1
Ill .L I 1111 .L I .L I 2 3 1

_ 111 1111 .L 1111 .L I


- 1 1

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


HISTOIRES Mathématiques en Chine ...

rité des mathématique chinoi ses

Fan1chen1 ancienne d 'avo ir recours aux opéra-


tions fondamentales de nos algo-
rithmes: itération , conditionnelles ,
L'écriture d'un système d'équations linéaires relève as ignation de variable . L'ori ginalité
d'un système positionne} qui permet en outre sa des mathématiques de la Chine,
résolution. La lecture des tableaux s'effectue de haut empreinte , à l' in star de ses philoso-
en bas, et de droite à gauche. Nous avons mis en cor- phies, d ' un réa li sme pragmatique ,
respondance l'écriture moderne de ce système de s'avère donc être d' une profonde moder-
trois équations à trois inconnues. En multipliant les nité !
colonnes et les soustrayant entre elles, on obtient de F.L.
proche en proche un système triangulaire (diagonal
ici). Nous avons associé les matrices des différentes
étapes pour montrer la frappante ressemblance avec
notre notation matricielle moderne ! C'est exacte-
Problèmes chinois
ment la méthode du pivot de Gauss apprise en pre- • Théorèmes des
mière année de l'enseignement supérieur ! restes chinois
La première trace d'un tel pro-
1 Il Il blème est due à Sun Zi (lue
Il Il Il siècle):
Il 1 1 Combien l'armée de Han Xing
=T = 1111 =Dil comporte-t-elle de soldats (au
moins) si, rangés par trois
a
1 ~ 1 b ~ ~ 1 colonnes, il reste deux soldats ;
rangés par cinq colonnes, il
Il 11111 Il 1111 11111 Il
reste trois soldats ; et rangés
1 1 1 T 1 1 par sept colonnes, il reste deux
=T =1111 =nn =nn =1111 =nn soldats?

c ~ ~ 1 a : (2') = 3.(2) - 2.(1) • Cercle inscrit


~ 11111 Il b : (3') = 3.(3) - (1) Déterminer le rayon du cercle
c: (3") = 5.(3') - 4.(2')
1111 1 1 (3") ___. inscrit d'un triangle rectangle.
-1 = 1111 =nn etc...
• Règle de trois
Une vache, un cheval et une
chèvre s'invitent à déguster
2
3
1 3
1
22
1
3] 4 5 2
8 1 1
[o o
052
3][0
4 1 1
3] 0 4 0
4 0 0
4J o [o o quelques épis de blé dans un
champ. Le dommage est estimé
[ à 700 C par le propriétaire du
26 34 39 39 24 39 11 24 39 11 17 37
champ. Sachant que la chèvre
mange moitié moins d'épis de
aux commentateurs modernes , est com- blé que le cheval, qui lui-même
po é de soixante-dix problè mes de consomme deux fois moins que
nature commerciale ou administrative la vache, combien devront res-
avec description de leur méthode de pectivement payer les proprié-
réso lution , semblables à ceux des Neuf taires de ces animaux ?
Chapitres. Ceci confirme la particula-

Ta.nge-nte Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


Solutions des • Cercle inscrit
En notant S la surface du triangle, p son
problèmes chinois périmètre et r le rayon cherché, Liu Hui
«montre» que pr=2S. Ce résultat se
• Théorème chinois démontre facilement pour un triangle
La solution de Sun Zi est, sans plus d'expli- quelconque en considérant les triangles
cation: admettant pour sommets le centre du
« Multiplie le reste de la division par 3, cercle inscrit et deux des sommets
c'est-à-dire 2, par 70, ajoute lui le produit du triangle, qui ont tous r pour
du reste de la division par 5, c'est-à-dire 3, hauteur et un des côtés pour
avec 21 puis ajoute le produit du reste de la base.
division par 7, c'est-à-dire 2, par 15. Tant
que le nombre est plus grand que 105,
retire 105. »
Ceci demande un peu plus d'explication.
Soit à déterminer n tel que: n .. r 1. modm ,,. • Règle de trois
Le problème se réduit à résoudre :
·-
1 - 1, ... , k. Notons M = nk
i=1
m; et Mi= -
M.
mi
x + 2X + 4X = 500 , c'est-à-dire x = 100 C
pour la chèvre, et donc 200 C pour le cheval
On vérifie facilement que la solution
k et 400 C pour la vache.
cherchée, modulo M, est n =L., r-µ-M
1 1 1
°"'
. avec
i= l
µ;M; .. 1 mod mi, Vi = 1, ... , k.
Pour notre problème, nous avons :
m1 =3 r1 = 2 M1 = 35 µl = 2 r1µ1M1 = 140
m2= 5 r2 = 3 M=150 M2 = 21 µ2 = 1 r2µ2M 2 = 63 n = 233 .. 23 mod 105
m3 =7 r3 = 2 M3 = 15 µ3 = 2 r3µ3M3 = 3o

. Histoire des mathématiques... a 53


HISTOIRES par Nicolas Delerue

mathématiques indiennes :
les origines
Dès l'âge du bronze, certaines civilisations indiennes pra-
tiquaient les mathématiques indiennes. Tantôt liées à des
considérations commerciales, religieuses, astrono-
miques ou autres, les mathématiques indiennes ont une
histoire très riche qui nous a légué le zéro et les chiffres
« arabes ».
' hi sto ire des mathéma- va llée de l' Indu s ont un rapport lon-

L tiques indiennes commence


il y a près de qu atre mille
an dan une rég io n qui se
gueur- large ur- hauteur de 4-2- 1, ce qu i
montre que cette c ivili ation maîtri sai t
certa ins concepts géométriques. Des
trou ve aujourd ' hui au masses retrou vées lors des fo uill e
Paki stan. La c ivili sati on de la indiquent que cette civili sati on utili -
vallée de l' lndus s' éta it éta- a it , probablement pour le commerce,
blie le long du fl euve un systè me de po ids et mesures basé
Sara wati . Cette civili sation , sur des multiples de 2 et 5. Les roues
qui atte int son apogée e ntre des chariots semblent avoir été cerclées
2600 et 1900 avant notre ère, de fer, ce qui requiert une idée (au
a v a i t m o i n s
c on s truit
Les mathématiques védiques, approximati ve)
plu s i e ur s pratiquées par des prêtres, sont du rapport
Une des roues
de pierre du
centres urba in s des outils permettant de entre le di a-
impo rt ants. À résoudre des problèmes d' ordre mètre d ' un
temple du soleil Harappa , des cercle et sa cir-
de Konark fo uil les ont mi s
liturgique, conférence (n).
construit au jour des in s- et non une finalité. À Loth a l, un
au XIIIe siècle. truments de mesure dont les plus instrument pe rmettant de mesurer des
petites graduations mesuraient à pe ine angles dan le c ie l à été retrou vé.
1,7 mm (une préc isio n inégalée po ur Lothal étant le princ ipal port de la civi-
une c ivili sation de l'âge de bronze). li sation , il est probable que cet in tru -
Les briques utili sées pour la construc- ment ait été uti li é pour la nav igati on
tion des vill es de la c ivilisation de la maritime.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES CIVILISATIONS

Cette carte montre la


localisation des principaux
centres urbains
de la civilisation d e la vallée
de l'In dus.

Vers l'an 1900 avant notre ère, la le propo rtion s à re pecter pour les
rég ion connut un boul everseme nt aute ls re li g ieux . Un autre, le Vedanga
important : le fl e uve Saraswati , res- Jyotisha, daté de 1300 avant notre ère,
ponsable de la prospérité de cette civi- ex plique co mme nt sui vre les mo uve-
li sation, semble avoir lais é place à un me nts de la Lune et du So le il , et est
canal asséché (aujourd ' hui connu sous l' un des exemples les plu s anc ie ns
le nom de ri vière Ghaggar-Hakra). La d ' usage de la géométrie et de la tri go-
civi li sati on de la vallée de l' Indu s nométrie en astronomie .
décl ina donc très rapidement. Dans la chronologique védique, le Rig-
Verb. est sui vit par le Yajur- Verb. Dans
Les mathématiques uédiques ce texte co mposé e ntre 1200 et 900
avant notre ère, apparai ssent les pre-
La chute de la civi li sation de la vallée miers chi ffres indiens, mais sans utili-
de )' Indus semble avoir été sui vie, vers ser un système positionnel (c'est-à-dire
le xvi° siècle avant notre ère, par l' arri- où la pl ace des chi ffres e t importante).
vée progressive de tribus aryennes dans Le nombre « parardha» val ant mill e
la rég ion. Ces tribus se mé langère nt milli ards y est mentionné ainsi que le
avec la population loca le et s'établirent concept d ' infini (appelé« puma», plé-
princi palement dans la pl a ine du nitude). D'autres textes é laborés à la
Gange, formant la civilisation védique. même époque s'attaquent à la résolu-
La religion tient une pl ace très impor- tio n sommaire de certaines équations
tante da ns cette civili satio n et les pre- du econd degré.
mier textes sac rés hindo us sont Composé au IXe siècle avant notre ère,
élaboré à cette période. Certains de ces le Shatapatha Brahmana s' intéresse de
tex tes reli gieux contie nne nt des é lé- nouveau à la di sposition des autels reli-
ments mathé matiques. L' un d 'eux, le gieux avec une approximation de n cor-
R ig- Verb, datant de 1500 - 1200 avant recte deux chiffre après la virgul e. Ce
note ère, décrit en termes géométriques texte contient aussi des règles qui sem-

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente


HISTOIRES Mathématiques indiennes ...

Chiffres utilisés
en Inde vers l'an blent indiquer que l'auteur connaissait ce diagonale à partir du centre ; construire
que nous appelons le théorème de un cercle à partir de cette ligne , I /3 de
100 de notre ère.
Pythagore . Reprenant de travaux anté- ce cercle se trouve en dehors du carré. »
rieurs, le Shatapatha Brahnuma donne Cette méthode donne effecti veme nt un
une estimation re lativement précise de cercle dont! 'aire est très proche de celle
la durée d ' une année tropique (année du carré initial. Les sout ras de
solaire) différant de eulement ix Baudhayana contiennent de nombre ux
minutes de la valeur admise aujourd ' hui . autres tra va ux mathé matiques de pre-
Peu de temps après, les Sulba Soutras, mie r plan pour l'époque, te l qu ' une
rédigés entre 800 et 500 avant notre ère, approximation (correcte c inq c hiffres
s' intéressent de nouveau à la construc- après la virgule) de la racine carré de 2
tion des autels religieux , avec cette fois- et la rec he rc he de solution pour un
ci une tentative de quadrature du cercle et polynôme de second degré.
!' usage de nombres irrationnel s. Les Les travaux de Baudhayana furent repris
Sulba Soutras contiennent de nombreux quelques décennies plus tard par Manava
soutras (textes relig ieux) provenant de (750- 690 avant notre ère). Manava les
différents auteurs et écrits à des dates dif- perfec tionna e t y ajo uta plusieurs
férentes. Ces soutras ont avant tout été approximations de la valeur de rt.
rédigés par des prêtres dans le but de Vers l' an 600 ava nt J.-C., Apastamba
résoudre des problèmes liturgiques, les re prit le travaux de ses prédécesseurs
mathé matiques étant ici un outil permet- et y ajouta, entre autre, une dé monstra-
tant de résoudre ces problè mes et non tion numé rique du théorè me de
une finalité. Pythagore ai nsi que des équation dio-
Le prêtre et mathé maticien Baudhayana phantie nnes contenant cinq variables.
est l'auteur de certains des plus anciens Ve rs 500 a ns ava nt notre è re , le lin-
soutras de ce recueil. L' un des passages gui ste Pa nini ( - 520 , - 460, approxi-
de ces soutras indique (au suje t d ' un mativement) décida de recenser le règles
rectangle) qu ' « une corde tendue le long grammatica les du sanscrit (parlé à cette
de la diagonale détermine une aire que époque en Inde). n proposa 3 959 règles ,
les cotés vertical et horizantal forment qui utili sent une log ique très ava ncée
ensemble » , ex prima nt ainsi le théo- avec, par exemple la notion d 'opérateur
rè me de Pythagore environs troi s cent booléens (ET / OU / NON). Certa ines
an avant Pythagore . Baudhayan a s' in- règles utilisent aussi des récurrences ou
té re sa aussi à la quadrature du cercle. des transformation avancées donnant à
Dans l' un de ses soutras, il cherche à son systè me grammatical une capaci té
construire un cercle ayant la mê me a ire de résolution log ique comparable à celle
qu ' un carré et il propose la construc- de la machine de Turing (le système
tion suivante : « Tracer la moitié de sa log ique utilisé pour décrire les ordina-
te urs moderne ). La notation utili sée
pour décrire les règ les syntaxiq ues des
L? étude des mathématiques permet-elle
langages formels (comme par exemple
une meilleure réincarnation ? les langages de programmation informa-

56 Tcingente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES CIVILISATIONS

tique) repose sur le système é laboré par mathé mati c ien s j aïn s identifi e nt plu -
Panini . sie urs types d ' inifini s : l' infini dan s
Avec les travaux de Panini , la période une seul e direction , l' infini dans deux
du sanscrit véd ique s ' ac hève la issant directions , l' aire infinie, l' infini omni-
pl ace au sanscrit c lass ique dont la présent et l' infini éterne l (une te ll e
grammaire éta it « figée » par ces tra- compréhension de l' infini en Europe ne
vaux. On retiendra principalement de la sera pas atte inte ava nt le XIXe sièc le).
période védique que les travaux mathé- Dans ce contexte, les nombres pe uvent
matiques y éta ie nt do minés par des être di visés e n troi s catégories : les
nécess ités liturg iques , principa le ment nombre énumérables , les nombres non-
la détermination de règles géométriques énumérables (trop grands pour être énu-
de construction des aute ls et bûchers. mérabl es) et les nombres infini s. Dès
Les progrès mathé matiques réa li sés à 400 avant notre è re, des constructions
cette é poque en Inde ava ient donc une ava ient été proposées pour des nombres
moti vatio n fortement re li g ie use et de chacune de ces familles.
furent souvent l'œuvre de prêtres . Plus tard , le mathé-
matic ie n et mu si-
les mathématiques jaïnes c ie n Pinga la fut
le premier à pro-
Les six siècles sui va nt apportè rent un poser un système
grand changement : les mathématiques bina ire et il l' uti-
quittèrent leur statut d ' « outils » re li - li sa pour former
gieux et furent enfin considé rées un code (comparable au
comme une di sc ipline abstraite méri- code morse). Pingala introdui -
tant une étude de ple in dro it. it auss i dans ses trava ux ce
Le Jaïnisme est à la fois une re li g ion que nous connai sons aujour-
et une philosophie. Il est proche du d ' hui sous le nom de triang le
bouddhisme et de l' hindoui sme. Selon de Pascal et de suite de
les croyances jaïnes, il est poss ible Fibonacci. Dans certains de
d ' obtenir une meille ure ré incarnation ces trava ux , il utili sa un
en menant une vie juste et acco mplie. point pour noter « zéro » .
La recherche de l' accompli ssement spi - À peu près à la même époque,
rituel encourage les tra va ux inte ll ec- un li vre intitul é Vaishali
tue ls et , pour les jaïns, réa li ser des Ganit di scute de l' utili sation
travaux mathématiques est donc une d ' un système déc imal, des frac-
source d ' accompli ssement spiritue l. tions, des carrés et des cubes , de
Le jaïnisme semble avoir pri s sa forme l' utilisation des mathématiques
actue ll e aux alentours du v ie siècle dans le commerce (de nombreux
ava nt notre ère. Po ur les j aïn s , jaïns sont des marchands) . Des
l' Uni vers a toujours été et ne di sparaî- tra va ux contemporains s' intéres-
tra jamais , cependant il suit des cycles sèrent à des équations quartiques Une sculpture
durant lesquels le bien et le mal domi- (d'ordre 4) et aux méthodes de multipli- d'Aryabhata.
nent tour à tour. Chaque cycle est censé cations et divi sions.
durer 2 588 ans . Cette ex istence sans Au début de notre ère, certains travaux
limite de l' Univers crée chez les jaïns s' intéressent aux combinaisons et permu-
une fascination pour l' infini , qui se tations (introduisant ce que nous connais-
retrou ve dans le urs trava ux . Ainsi, les sons sous le nom de formule du binôme

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tc:ingente 57


HISTOIRES Mathématiques indiennes ...

de Newton) et un peu indie nne et il s se propagè rent vers


plus tard à la théorie des l' occ ident avec le système pos iti onne(
ensembles. déc imal. La forme de certa ins symboles
Le manuscrit de semble remonter à la c ivili sation de la
Bakhshali est un autre vallée de l'lndus alors que d'autres pri -
document important de re nt form e beaucoup plus tard .
cette période dont ('au- Aujourd ' hui encore, en Inde, ces sym-
teur (j aïn ou non) est boles ont des formes légèrement di ffé-
inconnu . Ce texte est re ntes se lon les langues et alphabets
l' un des premiers utili - utilisés dans chaque état (l' inde compte
sant les chiffres indo- 22 langues offi c ie lle , chac une ayant
arabes dans un système son propre alphabet).
positionne( (c'est-à-dire La forme de ces symbole fut modifiée
Vid ya dh a r a , gé ni e un systè me o ù la posi- lors de leur périple à trave rs le monde
p o rteur d es sc ie n ces tion des chi ffres change leur valeur). Le arabe et ensuite lors de leur arri vée en
(U tt a r Pra d es h , chiffre zéro et des nombres négati fs appa- Europe .. .
y e s i èc l e , ra issent aus i dans ce manuscrit a insi
é poqu e G upt a, qu 'une méthode pour calculer des racines La période classique
ph ot o É . T h oma s, carrées de manière très préc ise. La date
Pa ri s, musée exacte à laquelle ce manuscrit a été écrit Entre le lie et le 1v e siècle de notre ère,
G uimet ) .
est cependant très difficile à établir. Les des luttes de pouvoirs troublèrent le nord
dates les plus probables le situent entre de l' inde, rédui ant fortement la produc-
le 1f siècle avant notre ère j usqu 'au ive tion sc ientifique et mathématique.
siècle de notre ère. Le manuscrit qui L'ascension de la dynastie des Gupta
nous est parvenu semble être une copie dont l'empire unifia le nord de l' Inde per-
d ' un document plus ancien, empêchant mit un renouveau intellectuel et I'appa-
sa datation par carbone 14 . riti on de nouveaux travaux
mathématiques . Durant cette période,
Le système décimal c'est l' astronomie qui dominait la scène
mathématique et de nombreux progrès
ri est difficile de dater préc i ément ('ap- furent moti vés par la volonté d'expliquer
pariti on du systè me déc imal pos itio n- ou de prédire ce qui se passe dans le ciel.
ne ( que nous utili sons aujourd ' hui . Le Le Surya Siddhanta est un traité d 'as-
manu sc rit de Bakhshali et d 'autres tronomie qui semble avo ir été rédi gé
textes du dé but de notre ère montre nt vers l'an 400 de notre ère. Le texte qui
que ce système était déjà connu et lar- nous est parvenu contient de nombreux
gement utili sé à cette é poque. Dès le mots étra ngers laissant supposer qu ' il
IXe siècle, l' usage de ce système s'était s' inspire d 'autres trava ux antérieurs,
générali sé en Inde (alors qu 'en Europe peut être même de travaux provenant de
il fallut atte ndre le XV Ie sièc le). L' idée Mésopotami e ou de Grèce. L' un des
d ' un système positionne ( de base 10 chapitres de ce texte po e les bases de
semble être née e n Inde en combinant la trigonométrie moderne avec l' une
des idées venue de Mésopotamie (où des premières utilisations des fo nctions
un systè me parti e ll e ment pos itionne ( tri gono métrique sinu s (et son
de base 60 était utilisé) et de Chine. in ver e), co inus, et tangente.
Les sy mboles que nou s appe lon s Environ un sièc le plus tard , Aryabhata
« chiffres arabe » ont auss i d ' ori gine (476 - 550) écrivit l'Aryabhatiya, une

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES CIVILISATIONS

compilation des connaissances de un as tronome . li prati -


l' époque en astronomie auxque lles il quait les mathématiques
ajo uta ses contribution s pe rsonne lles. pour la beauté de l' art.
Il y décrit le sy tème solaire en faisant Ses travaux reprirent
! ' hypothèse que les planètes sont en ceux de autres mathé-
rotation autour du Sole il et sui vent des matic iens jaïns et des
orbites elliptiques. Il calcula aussi avec mathé mati c ie ns-astro-
précision la date d 'écl ipses de Soleil et nomes de la période
de Lune en utili sant des équations dif- clas ique auxquel s il
férentielles. Certaines de ces idées , trop ajo uta ses propres
en avance sur le ur temps , ont été contribution . Se tra-
expurgés des copies ultérie ures de vaux couvrent de nom-
I' Aryabhatiya faites par ses di sc ipl es breux domaines dont la
(certa ines versions ultérieures de ces question du zéro , la géo-
textes ignorent par exemple sa vision métrie dan s le plan et
héliocentrique du monde). dans l'espace et la réso-
Peu de te mps après, Yarahamihira lution d 'équations qua-
(505 - 587) s ' intéressa aux formules dratiques , cubiques et
trigonométriques. li rédigea des tables d'ordre supérieurs . Siva Vyakhyana-
trigonométriques correctes à la qua- daksinamurt y,
maître de la
trième décimale et découvrit certaines l'héritage indien connaissance
re lati o ns tri gonom étriques te ll es que ( photo É . Thomas,
cos 2 x + sin 2 x = 1 . À la fin du pre mi er millé naire , les Pari s, musée
Les travaux d ' Aryabhata furent repri s conn aissances mathé matiques di spo- G uim et ).
par Brahmag upta (598 - 668) qui les nibles en Inde étaient donc très avan-
développa et les amé liora . Brahmagupta cées. Les échanges avec le monde arabe
s' intéressa de nou veau au zéro à la fois permirent la propagation de ces travaux
comme chiffre dans le systè me numé- vers l'est et, après quelques siècles , il s
rique positionne! et co mme sy mbole parvinrent en Europe.
signifi ant « rien » . Ayant compri s le Politiquement , l' Inde était cependant
zéro , il fut capable d ' aller plus loin dans très divi sée et l' est restée jusq u' à la
la même direction en s' intéressant aux co loni sation britannique . Pe ndant
nombres négatifs . Ayant donné une longte mps , la co ntribution indi e nne
place à part entière au zéro, il se heurta aux mathé matiques et à l' astronomie
au problème de la division par zéro . est donc restée dans !'ombre des contri-
Contrairement à l' idée ac tue ll e se lon bution s ara bes et grecques qui les
laq uelle une di vision par zéro n'est pas avaient repri ses (l'exemple le plu s fl a-
définie , Brahmagupta proposa que le grant étant ce que nou s appe lons les
résultat d'une division par zéro est O. li « chiffres arabes », qui furent initi a le-
semble que ses travaux aient fortement ment inventés en Inde). Les recherches
influencé les savant arabes de la même mathé matiques continuèrent en Inde
époque. durant le second millé naire et aujour-
Au IXe siècle, Mahariva , un mathémati- d'hui, l' Inde compte de nombreux
cien jaïn, écrivit le Canif Saar mathé maticie ns de réputation mon -
Sangraha, un texte de référence pour diale.
l'époque. Contrairement à la plupart de N.D .
se contemporains, Mahari va n'était pas

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... TC1.n9ent:e


HISTOIRES par Chérif Zananiri

la science arabe
racontée par Shéhérazade
Imaginons un instant ce qu'une Shéhérazade particulière-
ment visionnaire aurait pu raconter au roi Shahriyar si elle
était née un siècle plus tard, c'est-à-dire au IXe siècle de notre
ère, sur les apports incommensurables de la science arabe.

// o
''
A mon roi, nous sommes
&ig~ad au of s~èc/e. Écoute-
mot, mats ne t endors pas!
à est à ses pieds. Dans la nouve lle
« Ma ison de la sagesse» qu ' il vient de
fa ire construire pour y fa ire travai ll er
Je vais te raconter la science arabe , ses ensemb le des savants de tout le monde
acteurs et son rayonnement. » méditerranéen, il re nd visite à son vizi r
et lui demande si son trava il ava nce.
Ala maison de la sagesse « Maître de to us les croyants. j'ai res-
pecté vos o rdres, les scribes sont à
Le ca life a l-M amun , successeur du l'œ uvre. Près de ce nt parmi les plus
ca life Haroun al-Rac hid , a e n ma in érudits tradui sent les livres des Grecs.
tous les pouvo irs et l'empire abbass ide Déjà le Li vre des Hypothèses œ
Pto lé mée, les Coniques d ' Apollonius ,
les Éléments d 'Euclide, les Sphères et
les Cylindres d ' Archimède se trou ve nt
dans notre bibliothèque à la di spos ition
de tes savants et de tes astronomes. Et
la li ste s'a llon ge de jour e n jour. Très
--<
bi e ntôt , l'A lmageste de Ptol émée sera
terminé.
- Pas ma l, mo n viz ir. Et po ur les
sciences?
- Les Miroirs de Dioc lès, les
Sphériques de Théodose, les Travaw: de
1
/ Mécanique de Pappu s, le Planisphère
1 , ,. '
de Ptolémée.»
Le souvera in semble sati sfa it , il se dit

60 TCLngente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES CIVILISATIONS

que bien après sa mort , on continuera à de Ptolé mée et estimant avec précision
magnifier sa pui ssance et sa c la ir- la durée de l'année.
voya nce.
Et pui s l' hi sto ire avance e t le royaume fil-Khwarizmi, le magicien
poursuit sa c roissance. À cette époque, de l'algèbre
Thabit ibn Qurra e t Qu sta ibn Luq a
o nt e n c harge de l'astrono mi e. Ce Alors que le prince comme nce à s'as-
sont Sahl a l-Tabari et a l- Hajjaj be n soupir, Shéhérazade l'interpelle encore.
Yusuf les responsables des traductions : « Maintenant , je veux te parler de al-
le ca li fe a l- Mam un compte s ur e ux Kha warizmi . Originaire de Ki va, au
pour diriger ce ll e de l 'A lmag es te œ sud de la Mer d'Aral. où il est né en
Claude Pto lé mée. Les constructions de 780, l 'homme va voyager et aller jus-
deux no uvea ux ob e rvatoires, qu 'en Inde pour apprendre, voir et com-
Shammasiya à Bagdad e t Qas iyun à prendre. Il sait que seuls les contacts
Damas sont ac hevées : l'étude du c ie l entre les homm es des contrées loin-
sera entrepri se . L'astrono mi e est a lors taines enrichissent la science et la
la sc ie nce la plu s nob le, la plus ha ute mathématique. »
puisque c'est celle qui se rattache a ux Po urta nt e n Inde, on ne trou ve g uè re
exigences du culte. li s'agit de détermi- d 'écrits mais seulement une tradition
ner avec préc is ion le mo is de prière e t ora le . Al-Khwarizmi doit donc se rap-
de jeûne: le ramadan . pe ler de tout e t le transcrire. Il e n fera
On peut maintenant vérifier les chi ffres un tra ité où il ex posera la numération
de Pto lémée, et s'assure r de la position e t les frac tio ns sexagés im a les e t déc i-
des astres. De nou velles éphé mérides ma les. À la suite du ma thé mati c ie n
seront établies : les Ta bl es vérifi ées, indi e n Brahmag upta, le pre mie r à le
remettant en cause le modè le du sole il défi nir, il va introduire e t utili ser le

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Ta.ngente 61


La science arabe ...

la théorie des parallèles M a is a l- Khwari zmi aura- t-il j ama is


que son œ uvre maîtres e, traduite par la
d'Hassan Ibn al-Havtham suite e n latin , do nnera le Liber
Algorismi de Numero lndorum ? Serait-
La fameuse « théorie des parallèles » trouble aussi il rass uré d 'appre ndre que son nom a
- comme elle l'avait fait pour Tabit ibn Qurra, qui lui donné le mot algorithme, désormais si
avait consacré deux livres - Hassan ibn al-Haytham fa milier des sièc les plu s tard ? Sa it-il
(Alhazen), le physicien du Caire, lui qui se sent investi que son traité va fonder l' algèbre, disci-
de la mission universelle d'expliquer les lois de la pline dont le nom vie nt juste me nt de
nature à ceux qui l'interpellent. al-jabr ?
« Ma "théorie des parallèles" peut paraître iconoclaste,
du moins jusqu'à aujourd'hui. J'espère convaincre Bagdad, un r@ue de culture
mes pairs du bien-fondé de mon point de vue : même
en géométrie, une démonstration peut s'appuyer sur Bagdad , printemps 873 : les frères ben
le mouvement, confie Hassan ibn al-Haytham à son Musa trava ill ent. À la mort de l'aîné,
collègue le médecin Masawayh al-Mardini. Mohamed , Ahmed et Hassa n contem-
Masawayh assis en face de lui, un gobelet de thé plent le chemin fa it ensemble. À tro is,
bouillant à la main, suit avec attention l'explication. ils étaient invulnérables, ayant maîtrisé
« En effet, lorsqu'une des extrémités d'un segment les mathématiques, l'astro no mi e, la
glisse le long d'une droite donnée, l'autre extrémité mécanique, la géométrie. Toute la ville
décrit alors une droite. a retenti du bruit de leurs trava ux, de
- Mais mon ami, affirmer que l'équidistance décrite le ur généros ité, de le ur sc ience. On se
est semblable ne vaut-il pas le postulat d'Euclide ? souviendra , aux siècles futurs, du Livre
- Tu as raison, mais cela va plus loin. Regarde ce qua- sur les procédés ingénieux écrit par ces
drilatère à trois angles droits : comment est le qua- troi s ingénie urs expe rts en mécanique et
trième? Je postule qu'il peut être aigu, obtus ou droit. en hydraulique. Le te mps e t lo in où .
En réfutant les deux premières hypothèses, je encore e nfa nts, il s furent confiés par
démontre que la figure est un rectangle. le ur père Mu sa be n Shakir, un anc ien
- Ce qui nous ramène au postulat du Grec ! » bri gand , dit-on , devenu astro nome, à
La discussion se poursuit fort longtemps dans la nuit l' homme qui deviend rait par la suite le
cairote. Seul le muezzin au soleil levant leur rappelle calife de Bagdad , al-Mamun . Ce lui -c i
que la nouvelle journée vient de commencer. les a é levés comme ses propres fil s,
le ur a do nné une so lide in structi on
sc ientifique et auss i une fo rtune consi-
dérable. Ils deviennent donc mécènes de
zéro , qu ' il sy mboli se par « un pe tit la Maison de la sagesse, ce lie u rêvé
cercle». C' est grâce à ce nou veau sym- pour le sage et le géomètre où œuvrent
bol e qu ' il est poss ibl e d 'ex prime r un des dizaines de traducteurs et de savants.
nombre au ss i grand que l' on ve ut. 11 avec à le ur tête l'astronome Thabit ibn
espère que son traité re ncontrera le Qurra, qu ' il s ont spéc ialement recruté
même succès que son Précis sur le cal- pour développer leur programme sc ien-
cul de al-jabr et a/-mukaba/a. Dans sa tifique. Le calife pe ut compter sur eux
bo uche, a/-jabr est une opération qui po ur fin ancer la no uve lle ville al-
pe rmet d 'ajouter aux de ux me mbres Ja ' Fari yya et partic iper à la vie de sa
d ' une équation des termes égaux et a/- cour.
mukabala permet de réduire les termes C 'est dans l'observa to ire de Bagdad
sembl ables. co ns truit par le ca life, to ut comme

62 Ta.ngente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


1

LES CIVILISATIONS

ceux de Dama et du Ca ire, que Thabit l' arithmétique, sur l'espace e t le te mps,
ibn Qurra passe to utes ses nuits a lors sur l'optique, sur la théorie des para l-
que ses jours sont consacrés à l'ense i- lè les (qui in spira éga le me nt d 'autres
g ne me nt e t à la corresponda nce . Il a savants arabes, voir l'e ncadré page 50),
bi e n ré fl échi : les affi rmation s de adoptant pour tou s ces s uje ts une
Claude Pto lé mée manque nt de consis- approc he résolument scie ntifique.
tance. C'est a in s i qu ' il re pre nd les
sché mas des mouve me nt des planètes « Sais-tu , mon. roi, que la science,
de faço n complète me nt géométrique et désormais écrite en langue arabe par des
aboutit à la pre mi è re ana lyse d ' un érudits de toutes origines, et touchant
mo uve ment accéléré. Encore mieux : à aux mathématiques, à la mécanique, à
ses moments perdu s, ce fou d 'astrono- l 'optique , à la médecine et à la philo-
mie étudie l'arithmé tique e t se pas- sophie, s 'étendra jusqu'en Europe ?
sionne pour les nombres «a imab les » , Sais-tu qu 'un. jour rou tes les œuvres
ces coupl es d 'entie rs dont la somme que les savants arabes ont traduites du
des di viseurs propres de l'un est éga le à grec et qu 'ils ont enrichies de leurs
l'autre, co mme 220 e t 284. Il trouve connaissances, seront traduites en
mê me une formule pe rme tta nt d 'en latin ? »
obte nir de manière systé matique ! Ce ne
sont là que que lques exemples de la for- Avant d 'avoir fini sa de rniè re phrase ,
midable impul s ion donnée à l'activité tout é mue de cette ré uss ite,
sc ie ntifique sous l'ég ide des califes Shéhérazade voit le roi , e nfoui da ns les
abbassides à Bagdad . profond s couss in s rouges qui ga rni s-
sent l'estrade, s'endormir douce ment ,
Des sauants éclectiques be rcé pe ut-être lui auss i par le mê me
rêve. De main elle lui racontera l' hi s-
Mon roi, sais-tu que d 'autre gra nd s toire de ! 'eau qui actionne des e ngins.
savants o nt rayonné dans ! ' hi stoire
arabe? Al-Kindi, pa r exempl e, dont c.z.
tout é rudit doit reconnaître ce qu ' il lui
do it. Encouragé par a l-M a mun , a l-
Kindi connaît tout sur tout : la classi-
fication d 'Aristote a pour lui fait long
feu et il juge qu ' il est te mps de mettre
de l' ordre dans l'énumération des Bibliographie
branches du savo ir c ie ntifique. Il • Al-Hassan e t D .R . Hi Il , Sciences et Techniques en Islam
entreprend la rédaction de Ihsa al-Ulum, ( 1991 ), Pari s Unesco.
Énumération des Sciences, e t trouve • Benoît et F. Mi c heau, L 'intermédiaire arabe dans M. Serres
raisonnable de diviser la science en c inq (dir. ) . Éléments d'Histoire des Sciences, ( 1989), Pari s, Bordas.
branches : la ling ui stique e t la philolo- • Djebbar, Enseignement et recherche 111arhémariques dans le
gie, la log ique, le sc ie nces mathé ma- Maghreb des x11(-x 11r siècles. pub. de l'Université d'Orsay,
tiques (l'arithmé tique pure, la sc ie nce 11"8 1-82, s.d .
du calcul, la co mpta bilité, la géomé- • Rashed (dir.) Histoire de la Science Arabe, 1997 , 3t., Pa ri s,
trie), l'arpentage, les mé tie rs de mesure Seuil.
des dimensions. No n seule me nt philo- • Re né Du gas, Histoire de la mécanique chez Dunod (Éditions
o phe, ma is auss i m athé ma ti c ie n , al- du Griffon).
Kindi a la issé des écrits sur

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente 63


HISTOIRES par Nicolas Delerue

Dans l'Hmérique
précolombienne
Isolées de l'Europe et de l'Asie, les civilisations d'Amérique
avaient, elles aussi, développé une culture scientifique. Bien
que peu de documents aient survécu à l'invasion espagnole, il
est néanmoins possible d'avoir un aperçu des connaissances
mathématiques de ces civilisations.

vant l'ruTi vée de Christophe flu centre : les mayas


Co lomb , les c ivili satio ns du
ontinent américa in vivaient et Co mmençons ce panorama par une
se développaient indépendamment de c ivili sati on installée en Amérique cen-
celles du Vie ux Monde. Il en était de tra le : ce lle des Mayas.
même de leur savo ir scientifique . Elle occupait la péninsule du Yucatan
au sud du Mex ique mais présenta it de
no mbre ux traits culturels communs à
! 'ensemble de l' Amérique centrale.

Il est difficile de dater ! 'apparition de la


c ivili sati o n maya . La rég io n d u
Yucatan a été pe uplée pour la première
fo is aux alentours du xe millénaire
ava nt notre ère, et dès - 1800 , certains
lie ux d ' habitation présentent toutes les
caractéri stiques de la civilisation maya
antique. Entre 200 et 900 après J .-C.,
cette c ivilisation était à son apogée
comme le montrent les très nom-
bre uses ruines data nt de cette époque.
Après 900 , la c ivilisation commença à
décliner pour des raisons qui nous ont
inconnues . Lorsque les Espag nols arri-

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES CIVILISATIONS

Les Mayas utilisaient une notation


positionnelle pour écrire leurs nombres,
bien avant qu'un tel système ne soit
introduit en Europe.
position est uti lisée pour les mu ltiples
de 7200 ( 18 x 20 x 20) et a insi de
suite ...

Les Mayas pratiquaient les additions et


soustractions, mai s ils ne semblent pas
vère nt au xv,e siècle, il s se trouvèrent avoir pratiqué ni la multiplication , ni
face à de nombreuses cités-États e n la di vis ion .
guerre e ntre e lles.
les calendriers mayas
Le Mayas ava ie nt é ta bli un sys tè-
me numérique vigésimal, c'est à Les Mayas avaient développé troi s
dire de base 20 ( proba bl e ment parce manières différentes de compter les
qu ' il utili sa ie nt à la fois leurs dates : un calendrier religieux de 260
doigts et le urs orteils pour comp- jour , le Tzo Ucin , un cale ndrier civil de
ter) . Il s utili sa ie nt un e nota tion 365 jours appelé le Haab et un comp-
positionnelle pour éc rire le ur tage des jours depuis la « création »
nombres (b ie n ava nt qu ' un te l sy - appelée compte long .
tème ne so it introduit e n Europe).
Dans ce sys tè m e, troi s sy mbol es Le T zolkin , calendrier liturg ique , est
suffisa ie nt à écrire n 'i mporte que l formé de deux cycles qu i se combinent :
no mbre . U n point (o u un h a ri co t) un cyc le de vi ngt noms de jours asso-
va lai t 1, un e b a rre hori zo ntal e c iés à un phé nomè ne nature l et un cycle
va lai t 5 e t un coquill age va la it de treize chiffres. Les deu x cycles s' in-
zéro. Un c hiffre (e ntre O e t 19 dan s
le système v igési m a l) é ta it donc 0 1 2 3 4
formé so it d ' un coquill age (0), so it
de un à quatre point s e t un à troi s
@ • •• ••• ••••
barres ho ri zo nt a les (vo ir illu s tra - 5 6 7 8 9
tion) .

Les vi ngtaines sont placées au-dessus


-----
• •••••••••
10 11 12 13 14

-----
des unités, donc le nombre 20 est formé
d' un point au-dessus d'un coquillage, 2 1.
est formé de de ux po ints l' un au dessus
• • •••••••• Les chilTrcs
Mayas de Où 19.
de l'autre. Une anomalie du ystè me est

-----
15 16 17 18 19
que la troisième position est utili sée
• • ••••••••
pour les multiples de 360 ( 18 x 20 au
lieu de 20 x 20 = 400). La quatriè me
-----
Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tc:ingente
HISTOIRES Dans l'Amérique précolombienr,

crémentent chaque jour et la même


combinaison rev ient donc tou le 260
Les Mayas avaient aussi mesuré avec jours san qu ' il y ait de début ou de fin
une très grande précision la durée d'une au calendrier. Ainsi, si un jour s' appe l-
année solaire comme étant le « 1 lmix (nénuphar) » le lendemain
365,242 jours (la valeur moderne est sera « 2 lk (vent) » et onze jours plu
tard sera « 13 B 'en (M aïs) », le lende-
365,242 198 jours). main étant « 1 lx (Jaguar) » (le cycle
des chiffres recommence et celui des
noms de jours continue) , ix jours plu s
tard sera « 7 Imi x (nénuphar) » (le cycle
des noms de jours recommence) et ain i
de suite . Ce système est imil aire à
notre combinaison de jours de la semai-
ne et de jour du moi s (lundi I cr est sui vi
par mardi 2, etc.)
La ra ison du choix d ' un cycle de 260
jours n'est pas connue. De nombreu e
hypothè e ont été avancées . Dan cette
zone tropicale, il s'écoule environ 260
jour entre la pl antation du maïs et a
récolte. C'e t au si la durée qui s 'écou-
le entre deux apparitions de la planète
Vénus à la mê me position et entre la
non-apparition des menstruations et la
naissance d'un bébé ...

Le Haab était le calendrier civi l. Formé


de dix-huit périodes de vingt jours puis
d ' une période de cinq jours dit néfastes .
il comporta it donc un total de 365
jour . Une même combinaison de date
entre le Haab et le Tzolkin n' apparais-
sa it que tous les 52 ans. Ce cyc le de 52
ans éta it donc important pour les
Mayas .

Pour dater les événements hi storiques,


les Mayas utili saie nt le compte long,
qui indiquait le nombre de jours écoulés
depui la date de la « création » ( 12
août 3 11 3 avant notre ère). La plupart
des monuments construits par les
Maya sont datés de cette manière per-
L'un des rares codex ayant
mettant de savo ir exactement quand ils
survécu i1 la conquête espa- ont été con truits. L' une des ruines de
la v ille de Tikal porte l'inscript ion
gnole.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES CIVILISATIONS

« 8. 14.3. 1.12 » ce qui signifie que cet mayas n'ayant pas été détruit par les Ruines mayas.
éd ifice a été construit 1 253 912 jours Espagnols contient de très nombreuses
après la création (8 x 18 x 203 observations astronomiques et en parti -
+ (4 X (8 X 20 2 culiers de Vénus.
+3x 18x20+ 1 x20+ 12), ce qui Il s avaient aussi mesuré avec une très
correspond à l'an 320 de notre ère . grande précision la longueur d ' une
année solaire comme étant 365,242
L'astronomie maga jours (la valeur moderne est
365 ,242 198 jours) .
Les Mayas s' intéressaient beaucoup à
ce qui se passa it dans le cie l. Ils effec-
tuaient leurs observations grâce à deux
bâtons placés en forme de croi x pour
viser I astre céle te voulu. Bien que
n' ayant développé aucun instrument
avancé , ils avaient observé de nom-
breux phénomènes qui ne furent décou-
verts en Europe que grâce aux lunettes
astronomjques comme par exemple la
nébuleuse d ' Orion. Les Mayas atta-
chaient beaucoup d ' importance à
Vénus, encore plus qu ' au sole il. Le
codex de Dresde , l' un des rares textes

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente


HISTOIRES Dans l'Amérique précolombienn4

être restée my térieuse et la plupart de


ces quipus furent détruits sur ordre des
Espagnols.
Un document rédi gé peu après la
conquête espagnole indique que le qui-
pus servaie nt à la compil ation de sta-
ti stiques et à enreg istrer des informa-
tions numériques .

Les Incas

Plu au sud , les Incas régnaie nt sur un


empire bea ucoup plus vaste dans la cor-
dillère des Andes. Aucun document écrit
par le Incas n'a survécu à la conquête
espagnole, ce qui est surprenant car
toutes les autres civi li sations avancée
de l'Amérique précolombie nne avaient
développé une forme d 'écriture .
Le Inca utilisaient par contre des
cordes nouées appelées « kipu s » (ou Un exemple de quipu.
quipus). Les Espagnols avaient remar-
qué que ces cordes contenaient des Les Incas utili sa ie nt un systè me posi-
informations importantes (elles éta ient tionne ! déc imal pour in scrire des
même parfoi utilisées dans les tribu- nombres sur ces quipus : des groupes de
naux) mai s leur s ig nification semble nœ uds à intervalles réguliers sur le
même morceau de corde donnaient les
unités, les di zaines, les centaines etc.
La régularité de ! 'espacement e ntre
nœ uds (chiffres) était importante car le
zéro était noté par l' absence de nœud .
Des nœuds diffé rents étaie nt utili sés
pour marquer les unités, ce qui permet-
tait donc d ' inscrire plus ieurs nombres
sur le même morceau de corde. Des qui -
pus comportant des additions ont été
retrouvés.
Certains quipu utili e nt des cordes de
cou le urs différentes, ce qui semble cor-
respondre à des statistiques po ur des

Tc:ingente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES CIVILISATIONS

Machu Picchu , une


ancienne cité inca.

objets différents (par exemple le mations de nature autre que numé rique.
nombre de lamas dans une couleur et En outre, certaines légendes incas font
l' abondance d ' une récolte dans une ré fére nce à un systè me d 'écriture . Si te l
autre). Chaque ville avait un ou plu- est le cas, peut-être les quipus contien-
sieurs Quipucamayocs (noueur de qui- ne nt-il s auss i des textes.
pus) do nt le rô le é ta it de no ue r les
in formations importantes sur le qui - Lor de la conquête espagnole, les tra-
pus qui devaie nt e nsuite ê tre envoyés à ditions et écrits des civilisations de
Cuzco , la capita le de l'empire inca . l'Amérique précolombienne furent
Cuzco recevait donc régulièrement des jugés hé rétique e t dé truits.~
Si..-.-- - - - - . - . .
statistiques très déta illées sur l' état de
l'empire. Le traitement des ces infor- parvenues, de nombreu
mations aurait probable ment demandé tent donc à éclaircir.
l' utili sat io n de ca lcul s sta ti stiques
avancés (pour l' époque). Il n 'ex iste
malheureusement aucune relique docu-
mentant comment ces informatio ns
éta ient traitées .
De nombre ux mystères subsiste nt au
sujet des quipus et de l' e mpire inca. De
récents travaux semble nt indiquer que
les quipus conti enne nt aussi des infor-

Hors-série n° 30 . Histoire des mathématiques Tan9ent:e


HISTOIRES par Bertrand Hauchecorne

le latin,
langue des mathématiques
Les Romains ne furent pas un peuple de mathématiciens.
Cependant, l'influence de leur langue dans cette discipline,
comme dans toutes les sciences, fut considérable. À défaut de
mathématiques latines, jetons un œil aux mathématiques en
langue latine.

es Romains ont des ture mathé matique occ identale et de

L juri te , des admini trateurs ,


parfoi s de bons littéraires,
ils excellent dans l'art de la guerre.
le ur lang ue, le latin , po ur de ux ra i-
sons:
• C 'est souvent par l' intermédiaire des
Ce ne sont en rien des scientifiques. Ro ma in s que no us sont parvenu s les
Les spéculations intellectuelles des résultats sc ie ntifiques des Grecs et les
Grecs sur les mathématiques leur textes ont souvent été traduits en latin .
sont très étrangères. Pour Cicéron ,
les mathématiques n'étaient utiles • Le latin est resté en Occ ident la
qu 'à compter et à mesurer. En réa- langue de toute la di ffusion sc ie nti -
lité elles servaient aussi aux astro- fique, jusqu 'au XVIIe sièc le, et les der-
logues souvent appe lés niers textes dans cette langue datent du
Gerbert d'Aurillac. mathématiciens. Cec i explique mi lieu du XIXe iècle.
)' utili sation du mot géomètre, jus-
qu'au xvae iècle, pour désigner ces der- Notre vocabu laire mathématique é lé-
niers. Aussi ne trouve-t-on aucun grand menta ire est encore imprégné des
mathématic ien romain ni même de usages de l'époque . Les petits Romains
langue latine. apprena ient à compter avec des
ca illo ux, calcu./us e n latin. Nous par-
Il ne faut ce penda nt pas minimi ser lons encore de la somm e pour désigner
l' importance des Ro ma in s dans la cul - le résultat de l' addition. Ceci nous rap-
pe ll e que les Roma in s metta ient le
résultat sur la li gne du haut et non celle
du bas comme no us le fa isons. Somme
Les Romains de l'Antiquité
et somm et sont donc de la même
ne sont en rien des scientifiques ... fa mille.

T«ngente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES CIVILISATIONS

Bo èc e e n se i-
g nant ,
manusc rit de la
Co nso lati o n de la
phil oso phi e, 138 5 .

l 'apport de Boèce Les débuts du moyen Age

Cependant , toute la tradition mathéma- Après Boèce, les mathé matiques som-
tique médiéva le n 'a tenu qu 'à un nole nt en Occ ide nt. Cependant,
homme, Anicius Boetiu s, connu sou s quelques intellectuels polyvalents ur-
son nom franci sé de Boèce (475 - 524) . nagent. Sans élaborer des mathé ma-
om mé con ut par le roi Theodoric en tiques nou ve lles, il s transmettent le
522 , il sembl e avo ir été un homme connaissances et permettront ('éclosion
d 'État intègre et compétent. Pour des des sciences dès le XIVe siècle .
raiso ns restées obscures , il tombe e n L'écrivain latin Cas iodore (480- 575)
disgrâce et se retrouve en pri on. C'est s' intéresse à la mu sique , di sci pline
là qu ' il écrit son ouvrage De consola- considérée à l' époque comme une
tione plilosophiae, alors qu ' il se doute branche des mathématiques. Il traite des
déjà de son exécution prochaine. Ce relations e ntre les nombres et de le ur
li vre tra ite de tous les domaines de la représentation géométrique .
pensée, on y trouve donc des mathéma- On peut auss i citer Bède le Vénérable
tiques. Boèce n'y traite rien d ' original (673 - 735) , un moine bénédictin
pui squ ' il reprend en arithmétique les anglais. On lui doit des ouvrages de
œuvres de Nicomaque ; il donne sans mathé matiques. Il s'est particulière-
démonstration une partie des Éléments ment pe nché sur le calendrier et sur le
d'Euclide et s' inspire del' Almageste œ phénomène des marées.
Ptolémée pour ce qui concerne l' a tro- Alcuin de York (735-804) est appe lé
nomie . L' importance de Boèce provient par Charlemagne pour impulser un
du fa it que on œuvre a servi de base à renou veau culturel dans on empire. Il
l'enseignement mathématique médiéval cherche à développer les sciences et les
et la date de a mort est souvent consi- lettres. Il propose des problè mes pour
dérée comme la charnière entre stimuler la réflexion des j eun es (vo ir
('Antiquité et le Moyen Âge . encadré). À cette époque, de nombreux

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tcingent:e


HISTOIRES Le latin, langue des ...

le pape mathématicien
Quelques problèmes
proposés par Alcuin Es prit in venti f e t c ulti vé, le mo ine
Gerbert d 'Aurillac (environ 945- 1003)
est vite re marqué pour ses aptitude
Soit un plateau qui pL•se :{o li\Tes ou 600 sous. Il est inte llectue lles exceptionne ll es. Il s ' in-
composé d"or, d'argent. de cui\Te et d 'étain. Il est té resse à tou le do m a ines de la
composé dl' trois fois plus d"argL' nt que d"or, trois conn a issance. Il étudie tro i an e n
fois plus de cui,Te que d 'a rgent. trois fois plus Espag ne e t se fa mili ari se avec les
d'étain que de cui\Te. Dise qui peut quel poids de chiffres arabes ma i ignore le zéro. On
chaque métal il contient. lui do it de ux tra ité d 'arithmétique ,
Un acheteur dit : « .Je \'eux acheter cent porcs pour l' un ur la di vi io n e t l ' autre s ur la
cent deniers, en payant 10 dL•niers pour un Yerrat, multiplication . Il che rche à perfectio n-
s deniers pour une truie et 1 denier pour deux por- ne r l'abaque et do nne des mé thodes
celets. » Dise qui sait raisonner combien de ,·e1Tats pour compte r avec les doi gts. En géo-
et de truies d'une part, combien de porcelets d'autre métrie, il développe des calculs d ' aires
part il doit acheter pour que les deux nombres tom- et de volumes. Il im ag ine et construit
bent juste. toutes sortes d 'obje ts à vocation cultu-
En mourant. un père de famille laissa en héritage ù re ll e comme un g lo be te rrestre, un
ses fils JO bouteilles de \"l'!Te . Dix d'entre elles org ue o u des ho rloges , et cec i avec tant
étaient pleines d'huile , dix autres ù moitié pleines, d ' habileté qu ' il est soupçonné d ' avo ir
les dix dnnit•res C:•taient vides. Partage qui peut vendu son âme au diable . Ceci ne l'e m-
J"huile et les bouteilles, de telle sorte que chacun des pêche pas de devenir pape de 999 à
trois fils obtienne la même quantile'.• d 'huile et de 1003 sous le no m de S y Ivestre Il .
boutcillL•s.
Un homme qui se dl'.•pla,ait sur unL' route ,·it ,·enir
, ·ers lui d 'autres homnws et leur dit : « .J'aurais aime'.·
que ,·ous soyez deux fois autant qm• Yous êtes. En
ajoutant ù ce nombre la moitil'.· de sa moitié et la
moitit'.> de ce dernier nombre , a\'L'C moi Yous auriez
été 100 » . Dise qui ,·eut combien d"hommes il a ren-
con très.
G) @©©
,J'ai une pi èce dt• tissu qui mesure 100 coudées de
long et 80 de large. ,Je Yeux en tirL' r des pièces telles Abaque de Gerbert d'Aurillac.
que chacune mestll"e s coudl'.•es de long et 4 de large.
Ditl's . je , ·mis prie, aprt•s rè tlexion, combien de Ge rbe rt n 'est pas un grand mathé mati -
pit•ces on peut obtenir. c ie n au sens actue l du terme ma is il est
un re la is e ntre la c ulture ara be et celle
de l'Occ ide nt. Ce fré missement cul tu-
tex tes mathé matiques sont retra nscrits re l mettra plu s de cent ans à se concré-
dans la nouve lle écriture caroline , plus ti ser avec les pre miè res uni ve rs ités du
fac ile à lire, ce qui a fav ori é le ur diffu- x1f siècle et les pré mices d ' une sc ience
s io n . mode rne surg iro nt que troi s ce nt s a ns
plus tard , avec Nicole Oresme ou Jean
Buridan .
B. H.

Tangente Hors-série n°30. Histoires des mathématiques ...


. . . --'"l·~~. .
..i
~ Thalès et l'ombre de la pyramide
Trois mathématiciens chinois
les pythagoriciens : des maths ésotériques
et secrètes
Deux mille ans auant Galois, Théétète p. 86
Euclide p. 89
Hristote p. 90
Hrchimède, le quadrateur p. 92
Hypatie d'Hlexandrie p. 96
Hryabatha et Brahmagupta p. 99
Hl-Kindi p. 1OO
Hl-Khwarizmi, manre de l'algèbre p. 104
Thabit ibn Qurra p. 106
le pape qui aimait les chiffres p. 108
SAVOIRS par Hervé Lehning

Thalès
et l'ombre de la pyramide
En mesurant une ombre, il est possible de calculer la
hauteur d'un bâtiment. D'après certains ouvrages, Thalès
de Milet fut le premier à utiliser ce principe sept siècles
avant Jésus-Christ, pour déterminer la hauteur de la
pyramide de Khéops. Légende ou réalité?
Rapport d'ombres
elon la légende , Thalès de Milet

S (environ 626-547 av. J.-C .) visita


les pyramides lors d' un voyage en
Égypte. Alors qu ' il admirait celle de
La légende no us révèle ces paroles de
Thalès : « Le rappo rt qu e j 'entretiens
Khéops, le pharaon de l'époque le défi a avec mon ombre est le même que celui
d 'en trouver la hauteur. Thalès la déter- de la pyramide avec la sienne . »
L'ombre de mina-t-il effecti vement en appliquant une En calculant la hauteur de Thalès, la lon-
Thalès méthode fondée sur «son » théorème? gueur de son ombre et de celle de la pyra-
plane Nous n'en avons aucune certitude. Peu mide, on obtient donc la hauteur de la
importe ! Il est certain qu ' Hiéronyme de pyramide à partir de la formule:
toujours sur Rhodes la connaissait quand il raconta cette
la grande hi s t o ir e
Hauteur Jbolès
pyramide. quatre siècles Hauteur Pyramide = Longueur ombre Pyramide ·
plus tard. Longueur ombre ·n,aJès

Soleil
Malheureu ement , comme le centre de
la pyramide n'est pas access ible, il est
Le rapport de la pyramide impos ib le de mesurer directement la
à son ombre. longueur de son ombre . On peut cepen-
dant la ca lculer quand les rayon s sont
perpe ndicul aires à l' un des côtés . Les
pyra mides étant orientées ple in sud
po ur des ra i ons re li g ieuses, ce la est
pos ibl e tou s le jours à midi , he ure
sol aire du lieu.

Tcin9ent:e Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES PERSONNAGES

Soleil

·-·---------··--···------·--:
L
L' ombre de la pyramide à midi

Il suffit alors de mesure r la longue ur


d' un côté L et celle Ide l'ombre à par-
tir du côté nord . La longueur cherchée
est donnée par la fo rmule:
L
Longueur ombre Pyr.imide =l +
2
Pour que cette mes ure so it réali sabl e,
le so leil ne do it pas être trop haut dan
le c ie l à midi afi n qu e so n o mbre
dé passe le côté no rd . Plu s préc isé-
me nt , so n ang le avec ! ' ho ri zon doit
être in fér ieur à ce lui de la pyramide ,
c 'est-à-dire à 50 degrés e nviron . La
lati tude de la pyramide étant égale à 30
degrés, la hauteur du so le il à midi aux
équin oxes est de 90 - 30 =60 degrés.
Po ur les a utres d ates, i I fa ut te nir
compte de la déc lina ison sola ire , c 'est-
à-dire de l'ang le que ses rayo ns fo nt

La pyramide de
avec l' équateur. No u savons qu 'e ll e
Khéops.
varie e ntre ::t 23 ,5 degrés du sol sti ce
d ' hi ver à celui d ' été . Ains i, la hauteur
du sole il à midi est de 36,5 degrés le
2 1 décembre . Bien sûr, la variation de
la déc lina ison n'est pas linéaire ma is,
en pre mière approximation , nous pou-
vo ns le suppose r. No us o bte no ns
a lors - 10 degrés (23 ,5 di v isé par 2
e nviron ) un mo is et de mi ava nt le so l-
sti ce. L'événement cherché se produit
a in s i pe nd a nt un pe u plu s de troi s

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tcingente


SAVOIRS Thalès et l'ombre ...

mo is a uto ur du 2 1 décembre.
L' utili sati on d ' une tabl e d 'éphé mé-
rides permet d 'a ffine r ce ca lcul : la
période favorable se situe entre les 2 1
octobre et 2 1 fév rier.

la mesure de Thalès

L' hi sto ire de Tha lès es t à la fo is plu s


s impl e mathé matiqu e me nt et plu s
compliquée as tro nomique ment. Sans
doute ne conn a issa it - il pas le théo-
rè me qui po rte auj o urd ' hui so n nom
(vo ir l'encadré Nom d 'un th éorème ).
Se lon la lége nde, il constata qu e
l'ombre d ' un bâto n é ta it éga le à sa
haute ur. La co nc lu sio n es t a lors
fac ile: la haute ur est éga le à la lo n-
gueur de l' ombre . La mes ure est donc
poss ible qu and la déc lin aison so la ire
est éga le à - 15 degrés exacteme nt
c'est-à-dire les 2 nove mbre et 8
février. Une marge d 'erreur de 1 % sur
la longueur de l'ombre permet un jour
d 'écart , une marge de 5 % , c inq jours.
Dans ce cas, 22 jours de l'année sont
po ss ibl es pour cette be ll e hi sto ire.
Légende ou réa lité? Pe u impo rte, il
reste que, co mme ce ll e de Bl ake et
Mortime r, l' ombre de Tha lès pl ane
toujours sur la grande pyramide.

H.L.

7-6 Ta:ngente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


par Gaël Octavia EN BREF

les zu, une tamllle


de mathématiciens
Zu Chongzhi (ou Tu Ch'ung
Chi) e t né en 429 à Jiankang
(aujourd'hui Nankin, dan la pro-
vince du Jiang u) et e t mort en
500. Dan la famille Zu, le savoir
mathématique et astronomique se
transmettait de père en fil et plu-
sieur de se membre occupè-
rent des po te <l'a tronome à la
cour impériale, attaché notam-
ment à la détermination de calen-
drier (le réfonnes de calen-
drier étaient courante en ca de changement d'empereur). Zu Chongzhi évalua la longueur d ' une
année tropique avec une erreur de seulement cinquante secondes, s'intéressa également au mouvement
de la Lune, du Soleil ou de Jupiter. li fut le premier en Chine à tenir compte de la préce ion des équi-
noxes (découverte par Yu Xi au ive siècle de notre ère) dan e calculs. Enfin, dan on ouvrage mt1-
tulé Zhui shu (Méthodes d 'interpolation , qui fera partie des Dix Classique ) il approche :n: par la valeur
355 / 113 , ce qui e t correct six chiffres aprè la virgule, et prouve que 3, 1415926 < :n: < 3, 1415927.
Son fil Zu Geng (ou Zu Xuan) (450 - 520), fut également mathématicien et affinna que i deux
olide ont même hauteur et que leurs section par de plan de même hauteur ont un rapport con tant
alor ce rapport est au icelui de leur volumes, ce qui est une gén 'ralisation du principe que avalieri
énoncera au XVIIe iècle. . ' ' . .
-
"
~ .....i.
...
~ ~
' ' ••. - • '

Li Chunfeng et les Dix Classiques


Li Ch'un-feng naît en 602 après J.-C. dans la province de Shaanxi et meurt en 670 à Chang'an.
Né sous la dynastie de Sui, dont le règne fut une période d'unification de la Chine, il vécut sur-
tout sous celle des Tang. De religion taoïste, il fut non seulement mathématicien et astronome,
mais aussi astrologue et numérologue (toutes ces activités étaient sans doute en étroite relation).
Dans sa jeunesse, il étudia les mathématiques à l'Académie impériale. En 627, en vue d'une réfor-
me du calendrier, il fut embauché au Bureau astronomique impérial, dont il prendra la tête à par-
tir de 648. Il calcula la vitesse angulaire du mouvement apparent du soleil et développa une
méthode de différences finies pour ses calculs astronomiques.
li dirigea la rédaction des Dix Classiques, une collection de traités mathématiques de référence.
Il corrigea et annota également des traités existants, comme les Neuf Chapitres, où il releva entre
autres une erreur de Li Hui (cf. article page 44) sur la valeur du petit commun multiple des
entiers jusqu'à 12, et donna la bonne valeur de 27 720. Dans ces mêmes Neuf Chapitres, il rem-
plaça l'approximation de :n: = 3 par celle de n = 22 / 7.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente


HISTOIRES par Denis Guedj

les pythagoriciens ••
des maths ésotériques et secrètes
Étonnement ! Voilà que ces mathématiques, idéal du
savoir scientifique, de la raison, de la rigueur et de la
logique, si exemptes, a priori, de croyances et de foi,
auraient quelque chose à voir avec de la religion ! On
savait les origines communes, nobles, des mathéma-
tiques et de la philosophie, on en découvre d'autres plus
sulfureuses.
ait hi storique incontestable, leuer de rideau
F les mathématiques grecques,
canon universe l d ' un type
d ' intelligence du monde et de produc-
Studi euse me nt assis, il s écoute nt. La
voix c la ire et persuasive porte bie n.
tion de certitudes, ont nées et ont été « IL » parle . li s l'entendent mais ne le
crées au ein d ' une secte : les voient pas. Un rideau tendu les en
Pythagoricien . Scandale des Origines empêche. Pl acés à l'exté rie ur de l'es-
souvent pa é ou silence! pace privilégié, ce sont les exotériques .
Y a-t-i l une génétique des pratiques cercle extérieur des adeptes.
humaines, qui révèlerait ce qui , dan De l'a utre côté du rideau, le Maître.
les conditions de leur naissance , consti- D'autres adeptes l'entourent. Us entendent
tue leur essence? Le caractère « ésoté- Pythagore ET le voient. Ceux-là ont tra-
rique», tant dé noncé, des versé le rideau, ce sont les ésotériques,
mathématiques, y trouverait-il sa cercle rapproché du Maître.
ource? Ce qui préside à cette distinction , concréti-
En mathématique s, pourtant , on ne sée par le passage, effectif, du rideau ?
s'appuie que sur des vérités établies, Les premiers, purs auditeurs, les acousma-
tandi s que dan s le doma ine religieux , tiques, n'ont accès à la connaissance que
sur des vérités révélées. Qu 'y aurait-il par l'entremise des akousmaJa. Catalogue
de commun entre le caractère absolu de de doctrine auxquelles « on prête
ces deux types de certitudes? l' oreille » : elles ne sont transmises
qu' oralement. Ce ont des maximes débu-
tant par «C'est ainsi qu ' il faut faire ». i
explication , donc ni sens, ne les soutien-
Déjà les mathématiques sont réservées nent ; elle se présentent comme de pures
aux jeunes qui travaillent dur. recettes dépourvues de démonstrations et

78 Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES PERSONNAGES

d'argument . Les econd , eux, ayant été maticiens, le véritables pythagoriciens.


jugés dignes d'avoir accès aux démonstra- Hippase de Métaponte, Philo laos,
tions, travaillent à la mathéma, la Archytas de Tarente sont les plus célèbres
connaissance véritable. Ce sont les mathé- d'entre eux.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente


HISTOIRES Les pythagoriciens ...
Pour ex plique r cette di stincti on, on Tenir sa langue et retenir
raconte que dès son arri vée à Crotone,
Pythagore rencontra les personnes, Sévère sé lecti on des me mbre de la
âgées déjà, en charge de la c ité. secte . Choisis e n parti culier pour leur
Comprenant qu ' il ne pourrait les in s- aptitude à « te nir leur langue » .
truire à l'aide des mathématiques et de Qu alités ex igées : le si le nce , le
la dé monstration, il déc ida de leur secret. Les ade ptes commencent par
offrir les rés ultats mais pas les garder le sile nce durant cinq années et
démonstrations pe rmettant d 'y par ve- ensuite il s sont te nus au sec ret le plu
nir. Par contre, lorsqu ' il cro isa it des stri ct ; il le ur est interd it de révé ler à
je unes ho mmes qui pouva ie nt tra- l'ex té ri e ur le urs conn aissa nces. Ce
vailler dur, iI les instrui sait au moyen qui a fa it dire que Pyth agore s'occ u-
des démonstrations. pait plu s du s ile nce que de la paro le.
Ai ns i, les acousmatiques so nt - il s

Pythagore,
détail de l'École
d'Athènes de
Raffaello
Sanzio, 1509,
Stanza della
Segnatura,
Palazzi
Pontifici,
Vatican.

Tcingent:e Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES PERSONNAGES
« aveugles» et muets . À propre me nt
parler, il s sont e n pl e in my stère. Tout
autre est la si tu at ion des mathé mati -
Pvthagore de Samos
ciens.
Pyth ago re, littéralement « port e-pa rol e de la
Afi n que leur avoir ne tombe pas aux
Pythie», doit so n nom à un présage de la prêtresse
mains de personne extérieures à la
d'Apollon, oracle de Delphes. Interrogée par les
secte, les pythagoricien vont u er d ' un
futurs parents du maî tre, elle aurai t ann oncé la
langage codé. Obscur pour les non-ini-
naissa nce d'un fils ext rao rdin airement bea u et
tiés , ple in de sens pour les initiés, ces
intelligent qui devi endrait « l'un des homm es les
écrits mettent en jeu sumbolo et ainig-
plus sages de tous les temps».
mata : des symboles et des énigmes.
Né ve rs 580 ava nt notre ère s ur l'île de Samos,
Tous les membres doi vent donc possé-
Pyth agore consac re sa jeun esse à l'étud e (il aurait
der une fac ulté essentielle la
été l'élève de Thalès) avant de parcourir, durant
mémoire . Ne di sposant pas de la
trent e a ns d'apprentissage et d'obse rva tio n, la
démonstration des mathé mati ciens,
Syrie, la Perse, l'Arabie, la Chaldée, l'Inde, l' Égypte
l'acou matique ne di spose que d 'elle
et la Gaul e. De retour sur so n île natale, à plus de
pour se le appropri er. Une bonne
ci nqu ante ans, il rêve de transmettre cc qu'il a
mémoire se cultive chaq ue jour.
appris, et fo nde un e première école : « l'hémicycl e
Hygiène, un pythagoricien ne se levait
de Pyth ago re », où l'on débat de sujets philoso-
jamais avant de s'être remis en mémoire
phiques et d'intérêt public. Ses co urs remportent
les événements de la veille, ce qu ' il avait
un vif succès auprès de nombreux disciples, mais
entendu , vu, fait, dè son réveil , quelle
déplaise nt au tyran Polycrate, qui co ntraint le
était la première personne qu ' il avait ren-
maître ù l'exil. Pyth ago re s'établit fi nalement ù
contrée, les paroles qu ' ils avaient échan-
Crotone, coloni e dori enn e de la Grand e Grèce, en
gées .
Italie du Sud où il fo nde le Musée, sa fa meuse école
au règlement quas i-monastiq ue, où les d isciples
Hux Pythagoriciens, app re nn ent princi palement la géomét ri e, l'arith -
tes mathématiques reconnaissantes métique, l'astronomi e et la musique.
Domin ant la vie spirituelle, intell ec tu elle et poli-
Une secte, qu ' importe! Il s ont inventé
tiqu e de Crotone, étendant so n influence bien au-
la démonstration ! Posant et mettant en
delà, l'école pyth ago ri cienn e fin it par s'a tti rer les
pratique que les vérités mathématiques
foudres de Cylon (ou Kylon), un noble de Crotone
s'établi ssent dans leur absolue généra-
qui y ava it été refusé co mme disciple et qui la fit
lité par l' usage d ' un mode inédit de
incendi er en représa illes. Ce rtains histori ens pen-
preuve : la dé monstration. Procédé
sent que Pyth ago re périt dans l'incendi e. Pour
argumentaire qui rejette tout autant les
d'autres, il se réfu gia à Métaponte où il mourut vers
preuves numériques que l'évidence
l'âge de 90 ans.
concrète.
G. Octavia et M.-A. Porti er
En arithmétique, il s ont établi des di s-
tinction entre les nombres qui , au de là
de leurs identités propres, ont été ras- di stingue radicalement les mathéma-
emblés en des classes di stinctes . Ces tiques grecques de toutes autres.
cla sifi cati o ns, é lé me ntaires mais Première distinction : pair-impair. Cette
jamais e ncore pri ses e n co mpte, vont séparation qui met en jeu la plus simple
permettre d ' établir des proposition s des di visions, la division par 2, leur per-
générales, indépendantes de nombres met d'établir les premiers théorèmes de
particuliers : des théorèmes. Notion qui l'arithmétique , ceux concernant la

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques .. . Tcingent:e


Les pythagoriciens ...
conservation de la parité par addjtion et Uoir les maths
produit.
Deuxième di stinction : simple-com- À propo , que vo ient le mathé mati -
posé. On généralise à la divisibilité par c iens, de l'autre côté du rideau, que les
n ' importe quel nombre . Les nombres acou smatiques ne vo ient pas?
simples, non divi sible , ont dits pre- Pyth agore, bi e n sûr, ma i urto ut il s
miers, les composé sont composés - vo ient les mathé matiques qu ' il est en
par produits - de simples. Philolao , train d 'écrire. Imag ine-t-on des mathé-
l' un des plu anciens adeptes, auraü été matiques pure ment me ntales?
le premier à affirmer que « un » est un Purement ora les? Partic ulièrement
nombre . Impair et premier. celles-là.
La démonstration ex ige l'écriture. On
Les pythagoriciens ont labouré le champ do it laisser trace des di ffé rentes étapes
fertile des proportions, moye nne arith- e mpruntées pour pouvo ir mettre ses
métique, géométrique, harmonique, pas dans ceux du mathématic ien et
double moyenne proportionnelle . vérifier la justesse de l'a sertio n.
D 'autre part , pour les pythagoric iens,
En géométrie , il s ont dé montré le les no mbre eux-même ont des
Théorème de Pythagore , ou « théorème fi gures. Il le a soc ie nt à de fi gures
de troi s carrés». La propriété était géométriques constituées de po ints uni-
connue des Égyptiens et de tés. Nombre carrés, oblongs, tri angu-
Babyloniens, mais non formul ée de la ires. Quant aux nombre premiers,
façon générale . Il s ont établi que la il s sont « linéaire », étant indécompo-
somme de angles d ' un triangle est égale sables, il s ne peuvent être pré entés par
à deux angles droit , c 'est-à-dire un tour une fi gure à de ux dimensions, un rec-
complet. Ce qui revient à démontrer tang le .
qu ' il faut et qu ' il suffit de trois segment Cette pré e ntation visue lle fa it appa-
pour enclore une portion d 'espace . Dit raître les propriété arithmétiques des
autrement , le triangle est la figure recti- nombres : somme des n. premiers
li gne fermée la plus simple. Il ont nombres impa irs, des 11 premiers
posé, et résolu , certains problè me de nombre pairs. Tout cec i se vo it. Bien
quadrature : con truction à la règle et au e nte ndu ensuite, il fa ut fa ire une
compa (i.e. à l'ajde de droites et de démonstration . Démon trati on dont le
cercle ) de carrés égaux à une figure don- principe se voit directement dans l'évo-
née, rectangle, triangle, lunule, etc. lution de la fi gure .
Il s ont voué un vé ritable culte a u
Tétraktys, la Décade, être parfaü conte- la diuine surprise
nant toutes les dime n ions de
l'espace : 1, le point ; 2, la li g ne ; 3, Au cours de circonstance di ver ement
la surface ; 4 , le solide, il es t la contées, Pythagore fit une découverte
somme de quatre premiers nombres : capita le pour l'hi stoire de la connais-
1 + 2 + 3 + 4 , pre mière progress ion ance. E ntre les troi s intervalles mu si-
arithmétique. Fig uré par un tri ang le caux, il repéra de relations con tante .
équilatéral de côté 5 , le Tétraktys com- l' octave dans le rapport 2/ 1, la quinte,
porte autant de nombres premiers : 1 , 3/2, la quarte, 4/3. Ce fut la première
2, 3, 5 , 7 , que de composés: 4 , 6 , 8 , loi phy ique. De là, naquit la croyance
9 , 10 . que le cosmos, l'ordre de l' uni vers,

Tc:1ngente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES PERSONNAGES
tenait dans la pui ssance des nombres.
Le c ie l tout entie r est une ga mme
musica le , la cé lèbre mu sique des
sphè res. Ain s i to ut es t no mbre. Plu s
tard , on di ra que la Nature est écrite en
langage mathématique.
Retenons que l'acou tique est née au
mili eu d ' un groupe qui ava it fa it du
silence , une vertu . Pythagore en profita
pour bâti r une véritabl e mystique des
nombres qui parfo is fa it sourire , mais
qui recè le de jo li es trouva illes. À
Pyth ago re , un j our, on demanda :
« Qu ' est-ce qu ' un ami ? » Il aurait
répondu : « Ce lui qui est 1'autre mo i-
même comme sont 220 et 284. » Deux
no mbres o nt a mi s si chac un est la
somme de to ut ce qui mes ure 1' autre.
On ne comprendrait pas le sens de cette
dénominatio n si l'on ne se souvena it
pas que pour Pyth ago re l' amitié est
une éga lité et que la di vision est une
mesure. Par exemple, « 3 mesure 12 »
parce qu ' il fa ut 3 unités de 4 pour fa ire
12 .
Et il y a des nombres pa,faits, ceux qui
sont éga ux à la somme de leur di vi-
seu rs , 6 et 28, par exemple . Il s'ag it
Et voila que ces nombres qu i se préten- Sculptures du
bien des propriétés arithmétiques des
da ient! 'essence de toute chose, se révè- portail royal
nombres et non de calcul numérique ;
lent incapables de dire la grandeur d' une de la cathé-
celu i-c i qui , éjecté du champ de
ligne dont la réalité est hors de doute. drale de
mathé matiques , ce lui -c i est re légué
Au cœur de la fig ure la plus simpl e, le Chartres (à
dans la logistique .
carré de côté un , une grandeur se révèle gauche, repré-
En affi rm ant que to ut est no mbre,
indicible, irrationnelle - œrêton : indi- sentation de la
Pythagore marque une di fférence radi -
c ible, pri vée de raison commune (alo- musique et de
cale avec Th alès qui lui ava it déc laré
gon) , il n 'y a pas de no mbre po ur la Pythagore,
que tout est eau. Car l'eau , même sym-
dire. 1150-1170).
bo li sée , est un é lé me nt nature l, a lo rs
Comment oser affirmer une non-ex is-
que le no mbre est un concept.
tence sinon par l'emplo i d ' une démons-
Toujours, cette avancée vers l'abstrait.
tra ti on . On pourra it le dire a in si : le
nombre (ratio nne l) dont le carré est
le scandale
deux n'ex iste pas, j'ai démontré que je
ne peux pas le rencontrer. En Grèce , il
Après la magni fi que urpri e offerte par
n' y eut jamais de no mbres irrationne ls
la musique, la terrible dés illusion tapie
- tout le probl è me est là - ma is des
dans les fig ures. La d iagonale d ' un
grandeurs, des lignes, irrationnelles.
carré n' est pa commensurable avec
Le scandale éclate. Le rêve de l'unifica-
son côté!

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente


Les pythagoriciens ...

Théano et les PVthauoriciennes


L'école pythagoricienne accueillait aussi bien les femmes que les hommes, comme élèves
ou comme professeurs. Dans la Vie de Pythagore, le philosophe Jamblique répertorie
dix-sept pythagoriciennes « remarquables », souvent filles ou femmes de pythagoriciens:

« Femmes pythagoriciennes les plus remarquables :


Timycha, épouse de Myllias de Crotone ;
Philtys, fille de Theophris de Crotone, soeur de Byndacos ;
Okkelô et Ekkelô (soeurs d'Okkelos et d'Ekkelos), toutes deux de Lucanie;
Cheilonis, fille de Cheilôn de Sparte ;
Kratesikleia, de Sparte, épouse de Kleanôr, de Sparte ;
Théano, épouse de Brontinos, de Métaponte ;
Myia, épouse de Milôn de Crotone ;
Lasthenia, d'Arcadie;
Habroteleia, fille d'Habrotelês, de Tarente ;
Echekrateia de Phlionte ;
Tyrsenis de Sybaris ;
Peisirrhodê, de Tarente ;
Theadousa de Laconie ;
Boiô d'Argos;
Babelyka d'Argos ;
Kleaichma, soaur d'Autocharidas de Laconie.
Au total : 17. »

Selon certains historiens, Théano était la fille d'un .philosophe et médecin crétois nommé
Pythonax, admirateur de Pythagore. Disciple de l'école pythagoricienne, elle devint
l'épouse du maître dont elle prit la relève après sa mort, aidée de ses deux enfants. Selon
d'autres sources, Théano était en fait la fille de Pythagore et l'épouse de Brontin (c'est
ainsi que la présente Jamblique dans l'extrait qui précède), pythagoricien important ori-
ginaire de Métaponte.
Malgré la difficulté d'attribuer avec certitude les travaux issus de l'école à des personnes
particulières, Théano est l'auteur présumé d'écrits de mathématiques, de physique et de
médecine.
La tradition en fait aussi une féministe avant l'heure, plaidant la cause des femmes de
Crotone en demandant à Pythagore d'enseigner aux hommes « le respect dû à l'épouse ».
En effet, non seulement l'école pythagoricienne était mixte, fait remarquable en soi, mais
la fidélité et l'interdiction de battre sa femme figuraient parmi les règles de vie auxquels
étaient soumis les pythagoriciens !
G.O.

ti o n s'écroule. Le li e n entre les Le grand rêve des pythagoriciens


nombres et les fi gures est tragiquement s'écroule. C 'est, dit-on, Hippa e de
rompu par la révélation de l'ex istence Métaponte qui , vio lant la lo i du secret ,
de quantités irratio nne ll es. Il 'ag it aurait di vulgué le scandale . La morale
bien d ' une révélation. sera sauve quand on apprendra que selon

Tcingente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques .. .


LES PERSONNAGES

La maison de
Diogène par
John William
Waterhouse,
1882.
la légende , Hippase mourut peu après n'est pa le cas des autres sciences : la
dans un naufrage. physique , par exemple . La production de
vérités n'est animée que par la croyance
Des uérités inoxydables à la toute puissance de la démonstration .
Celle-ci se révélant capable de prouver
Les pythagori ciens ont dématérialisé jusqu 'à la non-ex istence d ' un nombre ,
l' arithmétique et la géométrie par une dont pourtant la mesure s'affiche sur
« vision » non empirique des êtres une fi gure.
mathématiques , conçus comme de pures Jamblique parle de « science de la vérité
idéalités . Les pythagoriciens ont créé un des êtres, de ce qui est dépourvu de
uni ver inéd it , les mathématiques , peu- matière et qui est éternel », c'est-à-dire
plé d' être idéaux , les idéalités , qu 'au- les incorporel s. C' e t )' honneur des
cune action concrète, matérie lle , ne mathématiques que de pouvoir démon-
pourra altérer, mettant en jeu des vérités trer une impossibilité.
pures , transcendantes au monde , des
vérités éternelles : ce qui a été démontré D.G.
ne pou rra jamais être infirmé. Ainsi en
va-t- il de toute allégation re ligieu e, le
temps ne fa it rien à l'affa ire. Ce qui

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Ta:ngente


PORTRAITS par Gaël Octavia

Deux mille ans auant Galois,


Théétète
Mathématicien grec de l'époque platonicienne, Théétète est
à l'origine du livrex des Éléments d'Euclide. Son œuvre est si
importante qu'il fut longtemps difficile, pour les historiens
des sciences, d'admettre que ce mathématicien était un
prodige mort à 20 ans, comme Galois.
héétète est un mathé mati - tence de ces c inq polyèdres réguliers
Platon

T cie n , astrolog ue et phil o-


sophe (di sc ipl e
Socrate) g rec né ve rs l' année
de
con vexes. Pl ato n et Euc lide, ma is
auss i, plu sieurs sièc les après, Kepler,
Euler, Descartes ou Cauchy reprendront
4 15 ava nt notre è re. Pl aton ses travaux dans ce domaine.
l'évoque dans deux de es Théétète a éga lement travaillé sur les
di alogues: le Sophiste, e t irrationne ls. Il a notamment démontré
surto ut le Th éétète, do nt le l' irratio nalité de ~ (lorsque n est un
sous-titre est Sur la science. entier naturel non carré) par la méthode
Le philosophe néoplatonic ien de l'anth yphérèse (dans le li vre x).
Proclus, qui est l' auteur d ' une Pl ato n l'évoque dans le texte qui suit ,
hi stoire des mathématiques, extrait du Théétète (traduit par Auguste
dit de lui qu ' il fut un des plu Diès, Éd . Gallimard , 1992):
grands mathématic iens de Théétète : « Tout ce qui est nombre fu t
I' Antiquité grecque et, d 'après par nous séparé en deux groupes: celui
les hi tori ens Tannery et qui peut se résoudre en un produit
Gardi es notamme nt , il d'égal par égal, nous l'avons représenté
sera it à l'ori g ine des par la fig ure du carré et l'avons appelé
livres x e t x1u des Élé- carré et équilatéral.
ments d ' Euclide. [ ... ]
Celui qui s 'intercale entre les nombres
Théétète s'est inté- du premier genre, comme le trois, le
ressé à la géométrie cinq, et, en général, tout nombre qui ne
des po lyèdres. Il a décrit peut se résoudre en un produit d 'égal
les c inq solides dits « platonic iens» et par éga l, mais se résout toujours en
est le pre mier à avoir démontré l'ex is- plus gra nd par plus petit ou plus petit

Tc:ingent:e Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES PERSONNAGES

« Théodore, qui a tant loué devant moi d'étrangers et d'Athéniens,


n'a encore fait de personne l'éloge qu'il vient de faire de toi. »
Socrate à Théétète dans le Th éétète de Pl aton.

par plus grand et toujours constitue s' imposer. Le mathé maticien Jean-
une figure dont l'un des côtés est plus Pierre Kahane fut le premier à l'expri-
grand que l'autre, nous l 'avons repré- mer.
senté par la figu re du rectangle et En effet, comme nous l' apprend le pro-
l'avons appelé nombre rectangulaire. logue du dialogue éponyme de Platon ,
- Socrate: Excellent, mais ensuite? la mort de Théétète est conséquente aux
- Théétète : Toutes les lignes dont le blessures et à la maladie qu ' il
carré constitue un nombre plan équila- contracta lors d ' une des deux
téral , nous les avons définies lon- guerres de Corinthe. La pre-
gueurs. Toutes celles dont le carré mière guerre eut lieu e n 395
constitue un nombre dont les deux fac- avant J .-C . et la seconde en
teurs sont inégaux, nous les avons défi- 369 avant J .-C. Le hi sto-
nies puissances, parce que, non riens tranchèrent sans doute
commensurables aux premières si on en faveur de la seconde
les considère selon leur longueur, elles guerre à cause de la qualité
leur sont commensurables si l 'on du livre x des Éléments. Il
considère les surfaces qu 'elles ont puis- était invraisemblable que l'au-
sances pour former. Pour les solides , te ur d ' une œuvre si riche , s i
enfin, nous avons fait des distinctions profonde , fût mort à 20 ans !
analogues.» Pourtant , plu sieurs détail s
Théétète nomme ici puissances les donnent à penser que
racines carrées des « nombres dont les Théétète est bel et bien
deux facteurs sont inégaux», c'est-à- mort pendant la première guerre de Socrate
dire les racines d 'entiers non carrés, et
affi rme bien que ces racines sont
incommensurables aux longueurs (aux le lhrre • des l/émemsd'Eucllde
entier , donc) : autrement dit , elles
sont irrationnelles. La dernière phrase Le livre x des Éléments d'Euclide traite des
semble suggérer que Théétète a établi irrationnels. Il comprend cent-quinze propo-
la même dé monstration pour les sitions et constitue à lui seul le quart des Élé-
rac ines cubiques . Il s'ag it sans doute ments. Au fil des siècles, on a souvent déploré
d'une erreur de Platon car une telle sa difficulté, le qualifiant de « croix des
démon tration est imposs ible par mathématiciens», d'ouvrage à la lecture
anthyphérèse. pénible, voire même, comme le père
Dechalles au XVIIIe siècle, d' « inutile à p1·esque
La précocité de Théétète toutes les parties des mathématiques».
Même si d'autres mathématiciens, comme
On a longtemps pensé que Théétète Woepcke, au x1x•· siècle, y voient le « chef
était mort à 46 ans et quelques biogra- d'œuv,·e de la science grecque», il reste, de
phies le tipulent e ncore, mais, assez tous les Éléments, le livre le plus mystérieux
récemment , l'idée qu ' il fût décédé bien quant à sa motivation et son intérêt.
plus jeune , à 20 ans , a commencé à

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tcingente


PORTRAITS 2000 ans avant Galois, ...

Corinthe. Le plu s probant e t le sui - En outre, on peut s'étonner, vu la réputa-


vant : Pl aton a créé sa fa meuse tion de Théétète, qu ' il n 'ex i te aucun
Acadé mi e e n 387 avant J .-C ., oit témoignage sur son âge mûr. Dans les
entre les deux guerres de Corinthe. Or dialogues de Platon, il n'est qu ' un jeune
Théétète ne fi gure pas dans la li ste des homme. Le phil osophe insiste,
Acadé micie ns. Une chose impe nsabl e d 'ailleurs, à mainte reprises , sur sa jeu-
quand on sa it l'admiration que Pl ato n nesse. Quand Théodore vante ses qualités
vouait à Théétète ! et son intelli gence, il ajoute qu ' « on
Ne fait-il pas dire à Théodore, qui décrit s 'étonne de l 'âge qu 'il a » . Dans le
Théétète à Socrate: « De tous ceux que Sophiste, Socrate e père à on sujet,
j 'a i pu j amais rencontrer - et le comme une prémonition «pourvu qu'il
nombre est bien grand de ceux que j'ai atteigne l'âge convenable » . Dans
fréquentés- j e n 'ai encore constaté, Théétète, il promettait qu ' « il deviendrait
chez aucun , une si merveilleuse célèbre s'il parvenait à l'âge d 'homme » .
nature. » Théodore précise que Théétète Théétète n'est donc vraisemblablement
apprend « avec une fa cilité dont on jamais « parvenu à l' âge d' homme ». Il
trouverait à peine un autre exemple» et est mort à 20 ans, préfi gurant le destin
in s iste, subjug ué, sur « cette acuité, d'Évariste Galois.
cette vivacité d 'esprit, cette mémoire».
Théodore, et à tra vers lui Pl aton , G.O.
consc ient de l'ampleur de l'éloge, va
jusqu' à se défendre d 'être amoureux de
Théétète en répétant que ce dernier Merci à Dominique Roux pour ses
« n 'est point beau ». précieuses informations.
Théétète avait donc toute sa place dans
l' Académie platonicienne et, ' il n'y a
pas fi g uré, c'est qu ' il était mort avant
sa création.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


par Gaël Octavia EN BREF

Euclide
sés et pré entés avec la clarté qui caractérise cet
ouvrage remarquable.
Euclide fut aus i l'auteur d'ouvrages d 'optique
et de mu ique.

Auteur du premier postulat de géométrie lE FUEUI POSTULAT


que nous étudions à l'école, Euclide n'en « Par un point, il passe une et une seule droite
est pas moins un personnage chargé de
parallèle à une droite donnée. » Est-ce bien ûr?
mystère. Son œuvre majeure, les
Le cinquième po tulat d'Euclide fut à l'origine
Éléments, fonda la géométrie occidentale.
posé dans une formulation autre que celle-ci , qui
e t de Proclus, mai équivalente. Beaucoup de
On ne sait pas grand chose de la vie d'Euclide, mathématiciens d'antan ont cherché à le démon-
certain doutent même de on existence. Né vers trer à partir des quatre autre . Au ve iècle après
325 av. J .-C., peut-être à Athène , et mort à J .-C., Proclu en donne de faus e démonstra-
Alexandrie en 265 av. J.-C ., il en eigna les tions. Au xvrf iècle, Wallis
mathématique dan l'Égypte de Ptolémée 1er. le reformule : « Pour chaque
Avec e disciple , il mena de nombreu es et triangle, il existe une infini-
fructueu e recherches , comme en témoignent té de triangles semblables de
le Éléments. Il e mêla aus i de affaires de la dimensions quelconques. »
Cité et fit par exemple adopter à Athènes l'usa- Le cinquième postulat
ge de l'alphabet de Milet pour l'écriture des d'Euclide revient également
textes de lois, plutôt que l'alphabet local. à dire que la somme des
angles d'un triangle est
LES lllllENTS égale à deux droits.
Les Éléments d'Euclide sont le texte fondateur Au début du XIXe siècle,
des mathématiques européennes et contiennent la Gaus a l'intuition que ce
ornme d'un avoir géométrique inconte té dan postulat n'est pas la seule
l' enseignement mathématique pendant vingt ba e po ible pour une fon-
siècles. Ils se pré entent en treize livres où des dation de la géométrie. Le
théorème ont énoncés et démontrés à partir de jeune Johann Bolyai envisa-
ré ultat précédemment démontrés, ou de postu- ge à la même époque « un
lats. Le livre I à VI traitent de géométrie plane. monde étrange » dan lequel
Le livre VII à IX, de proportions. Le livre X ce cinquième po tulat e t
e t consacré aux irrationnel (on suppose que les aboli. Enfin, Lobatchevski
ré ultat pré ent dans ce livre sont du à ( 1792 - 1856) e t le premier
Théétète). Le livre XI à XIII (encore Théétète), à publier de articles où il
enfm, se consacrent à la géométrie dan l'espace, construit une géométrie ima-
avec en particulier la démon tration de l'existen- ginaire dan laquelle il existe plus d'une parallè-
ce de cinq polyèdres réguliers (les solide « plato- le à une droite donnée passant par un même point
niciens ») et l'étude de leurs propriété . extérieur de cette droite. Enfin, Riemann, disciple
Euclide a-t-il vraiment écrit le Éléments? Il de Gaus , développe dès 1854 une géométrie de
n'est en tout ca pa le découvreur de tou les la sphère dans laquelle les parallèles sont irnpo -
résultat mathématique qui ' y trouvent (peut- sibles.
être d'aucun), mais an doute le a-t-ils organi- G.O.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Ta.n9ente


HISTOIRES par Benoit Rittaud

Aristote a posé les bases de la logique. Il a également réfléchi


aux concepts d'infini et de continuité. Les mathématiques lui
doivent donc beaucoup, même si l'immense philosophe n'était
pas un mathématicien.
une grande diffé rence avec Galilée, qui ,

A
istote n 'est pas considéré
omme un mathématic ien ; il plus tard , entreprendra de ' intére er au
dmettait d 'ailleurs lui-même comment , ce que l' on considère aujour-
qu ' il n'était pas vrai ment doué pour d' hui comme la seule façon de se poser
cette di scipline. Pourtant , il reconnaît un problème cientifique (ce qui ne
aux mathématiques beaucoup de veut pas dire que la question du pour-
valeurs, et il s'est posé certaines ques- quoi soit dénuée de sens ou d' intérêt).
tions do nt les liens avec les mathéma-
tiques sont évidents : ainsi de la nature la logique
et de l'ex i tence de l' infini , du problè-
me de la continuité (du temp , de la Ari stote élabore la distinction entre
ligne droite) et de la logique. ax iomes, propo itions, définiti ons. Il
Lorsque Aristote parle de mathéma- explique la notion de syllogisme dans
tiques, il se réfere en fai t toujours à des les Premiers Analytiques . L'exemple le
résultats déjà très c lass iques pour plus connu de sy llogisme (qui n'est
l'époque. Il cite par exemple souvent le d'ailleurs pas d' Aristote) est le sui vant :
théorème selon lequel la somme des Tout homme est mortel
angles d' un triangle est égale à deux Socrate est un homme
droits, ou encore l' irrationalité de fi, Donc, Socrate est mortel.
démontrée par les pythagoric iens. Le syllogisme se compose de deux pré-
Aristote considère que la question pri- mi sses (une majeure , une mineure), et
mordi ale est celle du pourquoi des d ' une conclusion. Trois termes appa-
choses, ce en quoi il se range c laire- raissent : le grand , le moyen et le petit
ment du côté de la philosophie. C 'est là (ic i « morte l », « ho mme »,
« Socrate »). Pour établir la li ste de
Pour Aristote, la question primordiale est tous les sy llog ismes poss ibles , on
celle du pourquoi des choses. C'est là tient compte du mode :
• uni ver el affirmati f, comme « tout
une grande différence avec Galilée, qui, homme est morte l » ;
plus tard, s'intéressera au comment • uni versel négatif, comme «aucun che-
val n'est un ho mme » ;

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES PERSONNAGES
• particulier affi rm ati f, comme « i I c'est-à-dire qu ' il n'y a rien d ' infini ex is-
ex iste un homme bl anc » ; tant réellement dans notre monde, mais
• particulier négati f, comme « il ex iste il ex iste « en pui ssance », « potentielle-
un homme qui n'est pas blanc ». ment » . L' infini a ainsi une façon d ' ex is-
On regarde ensuite quelle place occupe ter bien particul ière : c'est le perpétuel
chacun des termes dans chacune des inachevé, « non pas en dehors de quoi il
propos iti o ns : s ujet o u attribut. n 'y a rien, mais ce en dehors de quoi il
Ari stote appe lle syllogisme de premiè- y a toujours quelque chose, voilà l' infi-
re fig ure un sy llogisme dans leque l le ni .» (Physique, m, 6) .
moyen terme est sujet dans la prémisse
maje ure et attribut dans la mineure. Il Aristote a très bien perçu l' anaJog ie
défi nit de faço n analogue la deuxième entre la continuité tempore lle et la
fig ure, où le moyen te rme est attribut continuité pati ale. Le passage sur la
dans les deux prém isses, et la troisiè- compos ition du continu est délicat : les
me , où le moyen terme e t sujet dans questions qu 'aborde Ari stote ne seront
les deux pré mi sses. En log iqu e, mathématiquement clarifiées qu 'au XJX 0
Aristote parle également de la notion de siècle. Il explique qu ' une dro ite n 'est
conversion, qui consiste à examiner ce pas constituée de po ints, notamment
qui se passe quand on renverse les parce que les points, pour fa ire une
termes d ' une affirmation . droite, devraient être en contact , c'est-à-
Un des points di ffic iles de la logique dire confo ndus puisqu ' un po int n 'a pas
d ' Aristote est la log ique modale, c'est- de partie et pas d 'extrémités. « Le
à-dire celle qui s'occupe des proposi- continu se trouve dans les choses dont
tions qui ne sont que peut-être vraies la nature est de ne fa ire qu ' une lor -
(on d it contingentes) . qu ' elles ont en contact. » (Physique ,
V, 3) .
l'infini et le continu
Par son étude de l' infini et du continu ,
Un autre li vre d ' Ari stote qui fit autori - Ari stote s'oppose aux différentes ver-
té est la Physique, où il est question du sions du fame ux paradoxe de Zénon (cf.
mouve ment . De ux notions purement artic le page 132 sur I' Infini) qui affir-
mathématiques y sont étudiées : l' infi- mait qu ' Achille ne pouvait rattraper la
ni , et la continuité. tortue, arguant du fa it que lorsqu ' il
aura it rejo int la position initi ale de la
À tous ceux qui s' interrogent sur l'ex is- tortue, celle-c i se serait déplacée, et
tence ou la non-ex istence de l' infini , ain i de suite. Aristote démonte le para-
Ari stote apporte une réponse subtile. li doxe, expliquant que cette façon de voir
commence par expliquer les raisons les choses néglige le fa it que le temps,
pour lesquelle on ne peut concevoir de comme l'espace, est indéfiniment di vi-
corps in fi ni , puis explique que, d ' un sible, et ainsi que la situatio n où
autre côté, supposer que rien n 'est in fi ni Achille est derrière la tortue durera un
impl ique des problè mes insurmon- te mps fini , qu ' il est to ut à fa it poss ible
tables, comme le fa it que le temps s'ar- de di viser à l' infini . Le paradoxe n'en
rêtera, ou que l 'on ne peut compter aussi est donc pas un !
loin que l'on veut . La réponse d 'Aristote
est que l' infi ni ex iste , mais d ' une certai- B . R.
ne faço n. li n'existe pas « en acte »,

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente 91


SAVOIRS par Hervé Lehning

Hrchimède,
le quadrateur
Archimède a développé, pour déterminer l'aire d'un segment
de parabole, une méthode proche du calcul infinitésimal et
pouvant évoquer l'idée d'infiniment petit.

es premiers calculs d'aires remon- c une le huiti è me de ce lle de ABC. Le

L te nt à I' Antiquité grecque et en


particulier à Archimède . Celui-ci
développe une méthode proche du calcul
to ut fo rme un po lygo ne approxi mant
mi e ux l'a ire c herchée que le tri a ng le
initial. So n a ire est éga le à ce ll e de
infinitésimal pour déterminer en particu-
lier l' aire d ' un segment de parabole. ABC multipliée pa r 1 + __!_. E n itérant
4
Parta nt d ' une corde AB , Archimède
Tria ng le co ns idè re le point C le procédé sur le nou vea ux segme nts,
parabo lique ABC.
A où la ta nge nte est o n o btie nt un po lygo ne a pprox im ant
para llè le à AB. Tl e ncore mie ux le segme nt de para bo le.
obtient un tri a ng le Son a ire est égale à celle de ABC fo is
ABC (en j a une sur la
1 1
figure) do nt l' a ire est l+ - + - .
infé rie ure à celle du
4 42
c tri a ng le para bo liqu e
(en j aune et ble u sur la
fi gure).
Il recomme nce alors à
partir des cordes AC et
B
CB . Tl o bti e nt de ux
no uvea ux tri a ng les
Deuxième
do nt il dé mo ntre que les a ires sont cha-
étape de
l'a pproxima ti on
Archimède imagine la quadrature de l' aire du
seg ment
d'une parabole. de parabole .

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques .. .


'
LES PERSONNAGES
Les parti es e n fo rm e de
En co ntinu ant a in si, on obtient une
coin sur la fig ure c i-des-
suite de polygones d'aire égales à celle sus so nt ho mo th é tiqu es
de ABC facteur de: l' une de l' autre dan le
rapport 1/2 . Le urs a ires
1 1 1
l+ - + -2 + ... + - ont don c dans un rappo rt
4 4 4" 1/4 . E ll es s ' e mb oîte nt
l' un e da ns l' autre pour
Archimède utili se un raisonne me nt
fo rmer le ca rré do nt l' aire
géométrique pour montrer que la
est égale au qu atre tiers du
so mme c i-dessus continuée à l' infini pre mi e r « co in ».
est égale à 4/3, en év itant toutefois soi-
gneusement le recours à l'infini actue l. lm
Somme d'une série géométrique un rai sonnement par l'absurde pour
conclure. Il suppose success ivement
Partant de cette idée, Archimède recons- ! 'a ire en question strictement supé-
truit les aires pour former un carré.
Cela correspond à la fi gure ci-contre. Il rieure pui s stricte ment inférieure à _i_
démontre ainsi l'égalité :
3
pour montrer que le résultat est impos-
1 1 4
1 + - + - 2 + etc. =- sible e n n' utili sant que des sommes
4 4 3
finies . Autreme nt dit , il utili se la
Pour sa démon stration , Archimède ne méthode d ' ex haustion ( voir l'article
se contente pas de ce dess in . Il utili se L'infini, potentiel ou actuel?).

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente


SAVOIRS Archimède, le quadrateur

Pesées par la pensée exemple, voyons comme nt l'idée fo nc-


tio nne po ur pe rme ttre le calcul du
Comme nt Arc himède trou ve- t- il ces vo lume d ' une sphè re, e n le compara nt
résultats a va nt de les dé mo ntre r de à ceux d ' un cy lindre et d ' un cône (voir
manière détournée? Par pesée ! En uti - l'encadré Cicéron au tombeau
li sant une ba la nce romaine , o ù l'équi- d'Archimède).
libre est créé par déplacement des poids Arc himède im ag ine une sphère S , un
e t no n e n les augme ntant comme dans cy lindre C e t un cône K a uto ur d ' un
la balance de Roberval. même axe de ré volutio n .
Po ur les représente r, il trace la secti o n
A B c de ces troi s s urfaces par un pla n méri -
die n . Une pe rpe ndicul aire que lco nq ue
à l'axe le coupe e n M , la sphè re S e n
N , le cô ne C e n P e t le cy lindre K e n
p a Q . Arc himède dé mo ntre e n utili sant le
Si l'équi libre est atte in t.
les po ids P et Q placés en A et B
théorè me de Pythagore que le carré de
vé rifi e nt : AB x P = BC x Q MN plu s ce lui de MP est égal au rec-
ta ng le OMQR ( vo ir la fi g ure
page 83). Le fl éa u d ' une balance étant
e n 0 , les cerc les de rayo n MN e t MP
pl acés e n A s'équilibrent do nc avec le
ce rc le de rayon MQ la issé e n M . Le
C es ba lances ont des bras inégaux, cy lindre K équilibre ain s i le cône e t la
l'équilibre est obte nu po ur des poid s sphè re, à conditio n de les dé pl acer de
inversement proportionne ls à le urs lon- sorte à pl ace r le urs centres de grav ité
g ueurs . Arc himède utili se ce princ ipe e n A . Comme AO = 2 OG o ù G est le
en effectuant des pesées par la pe nsée. centre de grav ité de K , Archimède e n
Où place r un carré pour équilibre r un déduit que le volume du cy lindre K est
triangle? C 'est ains i qu ' il a imaginé la éga l a u do ubl e de la so mme des
quadrature de la parabole exposée précé- volumes du cône C e t de la sphè re S .
demment. Plutôt que de revenir sur cet Si R est le rayo n de la sphè re, le

C y l i n dr e ,
sphè re et cône.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques .. .


LES PERSONNAGES

li légende d'Archimède
Archimède est, avec Euclide s'il a existé, le plus grand mathématicien de l'Antiquité. Il
passe son enfance à Syracuse. n fait un séjour à Alexandrie où il rencontre Conon de
Samos et Eratosthène. Plus tard, il les tiendra au courant de ses découvertes. A Syracuse,
le gouvernement lui demande souvent conseil car son astuce à résoudre les problèmes
théoriques ou techniques est reconnue de tous. n meurt à Syracuse lors du siège de la ville
par le général romain Marcellus. Lors de l'attaque finale, Marcellus ordonne à ses soldats
de laisser la vie sauve à Archimède. L'un d'entre eux entre chez lui alors qu'il étudie une
figure géométrique dessinée sur le sable. Il demande au soldat de se tenir à l'écart pour ne
pas l'endommager. Se sentant
insulté, celui-ci le tue. Comment
savoir quelle est la part de la
légende dans cette belle histoire ?

Sur cette fi gure , AO et OT o nt éga ux a u


di amètre du cercl e. Si le fléau de la balance
es t e n 0 , le cercl e de rayo ns M et MP
placés e n A s' équilibre nt avec Je cercl e de
rayon MQ laissé e n M .

volume du cy lindre est éga l à 8 n R3,


ce lui du cône au tiers. Si celui de la
sphère est V, nous avo ns donc :

ous en dédui sons le résultat connu :

4 :n; R 3
V= - -
3
H. L.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tc:in9ente


PORTRAIT par Monique Zalmanski

Hypatie
d'Hlexandrie
D'Hypatie, il ne reste plus guère que le nom d'un cratère
lunaire et un poème de Charles-Marie Leconte de Lisle. C'est
pourtant un personnage hors du commun, une des rares
mathématiciennes connues de l'Antiquité. Portrait d 'une
femme troublante, brillante et libre.
emme phil osophe, mathémati- coniques d ' Appoloniu , l 'A lmageste œ

F c ienne, s' intéressant à l'astrono-


mie, Hypatie véc ut à Alexandrie
de 370 à 415 après Jésus-Christ. Fi lle de
Pto lé mée et /'Arithmétique œ
Di ophante, père de ! 'algèbre selon les
historiens des sc iences, qui avait ensei-
Théon, elle fut éduquée par son père, gné les mathématiques à Alexandrie un
selon l'idéal de Platon , pour devenir un siècle ava nt elle. Avec son père, elle a
« être humain parfait » . Elle s ui vit en rédi gé une nouvelle ve rsio n des Élé-
Grèce des cours à l'Académie, fondée par ments de géométrie d'Euc lide. Elle
Platon et au Lycée, fondé par Ari stote. sera it à l'ori g ine de l' in ve ntion de
De retour dans sa ville, elle fut nommée l'aréomètre, in strument permettant de
professeur de philosophie et de mathéma- mesurer la densité des liqueurs et aurait
tiques et obtint la chaire munic ipale du construit un astro labe pl an, ex trê me-
philosophe néoplatonicien Plotin (205 - me nt pra tique pour re lever les pos i-
270 après Jésus-Christ). ti o ns des pl anètes, des étoi les et du
so le il. Il se mbl e auss i q u'e lle a it pris
mathématicienne, astronome pos iti o n po ur l' hé li ocentri sme cont re
et philosophe le géoce ntri sme. Toutes ces ac tiv ités
no us donne nt une idée de se compé-
Hypatie partagea les trava ux de Théon tences sc ientifiques.
s ur le systè me as tronomique e t les
Hypati e se pro me na it da ns la vill e
vêtue du manteau des philo ophes. Les
no mbre ux étudi ants qu i s ui va ient ses
« Nous avons vu, nous avons entendu celle cours au Mu sée l'appréc ia ie nt et e lle
qui préside aux mystères sacrés est évoquée a in si par l' un de ses di s-
de la philosophie. » ciples, Synés ius, qui devi nt évêque de

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques .. .


LES PERSONNAGES

Cyrène, cité par Éric Sartori dans son délicate dans une oc iété où l'empire
Histoire des f emmes scientifiques de cédait le pas devant le déve loppement
r
/'Antiquité au x siècle (Pion, 2006) : de l' ég li se chrétienne qu i soutenai t le
« Nous avons vu , nous avons entendu nati onali sme égyptie n contre les juifs
celle qui préside aux mystères sacrés de et les Grecs , mê mes si ce dernie rs
la philosophie. Elle est sainte et chère comptaient au si nombre de chréti ens
à la di vinité, ma bienfai trice, mon parmi eux.
maître, ma sœur, ma mère . » Célibataire, refu sant de prendre époux ,
Di sc iple de Pl aton, il est vraisemblable se mêlant sans gêne aux hommes et se
qu 'elle défendait les idées phil oso- comportant vis-à-vis des autorités avec
phiques de son maître : la recherche de ass ura nce (les mag istrats la consul -
la vérité derrière les apparences , taient souvent pour tra iter les affaires
apprend re à domine r les choses et à de la cité) , son attitude, fé mini te avant
penser librement. De même, elle défen- l' heure, devait apparaître comme une
dait ses idées politiques : chacun devait provocation.
avoir, da ns un État stricteme nt hiérar- E ll e mourut assass inée pendant le
chisé , une fo ncti on préc ise, cet État carême de mars 4 15 , au cours d ' un
ayant à sa tête un chef éc lairé par la attentat perpétré par un groupe de chré-
connaissance ph ilosophique et une tiens fa natiques, avec à sa tête , le lec-
armée chargée de contrôler le peuple . te ur Petru s . L' historie n chrétien du y e
sièc le Socrate Sco lasticus, cité dans
Libre et rebelle Hypatia d ' Arnulf Zitelman (Médium ,
2000), raconte ain si le me urtre :
Restée fidè le aux dieux anciens de la « Hypatia fur arrachée de son char et
Grèce, Hypatie était dans une situation traînée dans l'église de Césarion. On

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente


PORTRAIT Hypatie d'Alexandrie

lui arracha ses vêtements, puis les par ve nue . H y patie, qui ava it po urta nt
meurtriers la rasèrent et lui déchirèrent jo ué un rô le de pre mie r pla n dans le
la peau avec des coquillages aiguisés. do maine des sciences et des techniques,
Lorsque la vie quitta son corps pante- to mba lo ngte mps dans l'oubli ava nt
lant , ils le brisèrent en morceaux qui qu 'érudits et arti stes ne s'y intéressent
furent enterrés au lieu appelé Cinéron de no uveau à partir du siècle des
et le brûlèrent sur un bûcher.» Lumières. E lle est évoquée princ ipa le-
S ' il est impossible de prou ve r que m e nt pa r Gibbo n a u xv111• s ièc le. Un
l'évêque d ' Ale xandrie, C yrille, a parti - artic le de l' Encyclopédie de Diderot la
c ipé pe rsonne lle me nt à ce complot , il célè bre comme un précurseur du sièc le
est certa in qu ' il contribua large me nt à des Lumiè res. Sc hille r, e n A lle magne,
susciter le climat dan s leque l la conspi- projeta it d 'écrire un dra me ur les ci r-
ration se développa. Le préfet Oreste, consta nces de sa mo rt. E nfi n , e n
ami d ' Hypatie, dénonça le crime et ex i- Ang le te rre, un roman de C harles
gea une enquê te qui , faute de té moins, Kingsley, Hypatia, la fit connaître à un
n ' aboutit pas . Il dé mi ss ionna et quitta large public.
Alexandrie sur cet échec . Ces o urce sont c itée dans l'ouvrage
Ave c Hypatie, de rniè re hé ritiè re des Hypatia d ' Arnulf Zite lm an , une vie
Lumiè res d ' Ale xandrie, le savoir g rec romancée de celle qui , au moment de sa
di sparut de cette ville, qui éta it re tée mort , éta it le plus g rand mathé matic ie n
près de sept ce nts a ns la capita le de du monde gréco- roma in (voire du
l' intelli ge nce. mo nde e ntie r d 'après M . Deakin da ns
American Math ema tical Mon thly,
Ce qui nous reste d'Hypatie 1994). Il fa udra atte ndre Maria Agnes i
( 171 8 - 1799), phil osophe, mathé ma-
Se ules subsiste nt que lques lettres adres- ti c ie nne e t po lyg lotte é rudite, po ur
sées par Synés ius à Hypatie lui deman- retrouver une fe mme comparable.
dant con seil pour la constructi o n d ' un
astro labe. Auc une autre de ses publica- M . Z.
tion s ne nou s est m a lhe ure useme nt

l'hommage de Leconte de Lisle


Dans un extrait de son poème Hypatie (Poèmes antiques) ,
Leconte de Lisle évoque ainsi la mathématicienne :

Debout, dans ta pâleur, sous les sacrés portiques Comme un jeune lotos croissant sous l'œil des sages,
Que des peuples ingrats abandonnait l'essaim, .F1eur de leur éloquence et de leur équité,
Pythonisse enchaînée aux trépieds prophétiques, Tu faisais, sur la nuit moins sombre des vieux âges,
Les Immortels trahis palpitaient dans ton sein. Resplendir ton génie à travers ta beauté !

Tu les voyais passer dans la nue eriflammée ! Le grave enseignement des vertus éternelles
De science et d'amour ils t'abreuvaient encor; S'épanchait de ta lèvre au fond des cœurs charmés;
Et la terre écoutait, de ton rêve charmée, Et les Galiléens qui te rêvaient des ailes
Chanter l'abeille attique entre tes lèvres d'or. Oubliaient leur Dieu mort pour tes Dieux bien-aimés.

Tc:a.ngente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


Brahmagupta
Né en 598 et mort en 668 de notre ère, Brahmagupta
poursuivit l'œuvre d'Aryabhata. Astronome, il dirigea
l'observatoire astronomique d'Ujjain. On lui connaît
essentiellement deux ouvrages :
le Brahmasphutasiddhanta et le Khandakhadyaka.
Brahmagupta reconnaît le statut de nombres au zéro et
aux entiers négatifs. Il donne une signification concrè-
te à ces derniers en terme de dettes (les entiers posi-
tifs étant de bénéfices) et établit la règle correcte des
signes pour la multiplication (une dette fois une dette
est donc un bénéfice !). Quant au zéro il le définit tout
simplement comme le résultat de la oustraction d'un
nombre par lui-même. Ses quaUtés d'élément neutre
de l'addition et d'élément absorbant de la multiplica-
tion ont précisées. En revanche, il fixe à zéro le résul-
tat de la division de zéro par lui-même.
Il donne un algorithme d'extraction de racine carrée,
trouve que la somme des carrés des n premiers entiers
vaut 11 (11 + 1)(211 + 1)/6, et celle des n premier
cubes : (11 (11 + 1)/2)2. Il ré out des équations de type
J
ax + c = by, ax?- + c = ou ax?- - c = y , a, b etc étant
des entiers.
En géométrie, il donne la formule de l'aire d'un qua-
drilatère convexe dont les sommets se situent sur un
même cercle à partir des longueurs a, b, c et d de ses
côtés :
A = Y(p-a) (p - b) (p - c) (p -cl) , pétant le demi-
périmètre (p = 1/2 (a + b + c + d)).
Dans ses calculs il approche la valeur des sinus grâce
à une formule d'interpolation qui rappelle celle de
Newton-Stirling.

Comme Aryabhata, Brahmagupta fournit ses résultats


sans preuve, aussi est-il difficile de retrouver comment
il le a découverts.
PORTRAIT par Gaël Octavia


-
Al-Kindi, surnommé« le philosophe des Arabes», est un des
grands savants del'Antiquité. Voici un portrait de celui qui fut
aussi géomètre, arithméticien, physicien, logicien, médecin,
astronome et même musicien.
bû YoussoufYa ' qûb ibn lshâq

A al-Kindi, également connu en


Europe sous son nom latinisé
de Alchindius ou Alkindus, est consi-
déré comme l'un des plus grands phi-
losophes arabes. li est né vers l'an 80 1
de notre ère à Kûfah (aujourd ' hui en
Irak), vi lle dont on père, tout comme
son grand-père avant lui, était gouver-
neur. Tout porte à croi re qu ' il descen-
dait de la tribu royale des Kindah, ori-
gi naire du ud de l' Arabie.

Un philosophe
et quelques califes
Kûfah était un des grands centres intel-
lectue ls et culturels arabes du 1x•
siècle. al-Kindi y a sans doute reçu une
éducation exemplaire, qu ' il alla com-
pléter par la suite à Bagdad. C'est là Maison de la ages e (Baït al-hikma),
qu ' il fut remarqué par le cali fe al- un lieu où les avants de différentes
Ma ' mun, qui avait fondé à Bagdad la disciplines pouvaient travailler, dispo-
sant notamment d'une bibliothèque
(cell e constituée par al-Ma'mun était la
Pour Cardan,Al-Kindi était l'un des plus importante bibliothèque antique
douze plus grands esprits de l'humanité. après celle d'Alexandrie) et d'observa-
toires.

Tcingente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES PERSONNAGES

al-Kindi in tégra la Maison de la sages-


La pre mi è re page du manu scrit d ' al-Kindi
se, où il fut notamment le co ll ègue l'al- sur le d échiffre m e nt d es m es ages cry pto graphiqu es .
Kh wari zmi .
Al- Ma' mun mourut en 833 , laissa la
place à al-Mu'tas im qui appréc ia éga-
lement al-Kindi et en fit le précepteur
de son fil s Ahmad. En revanche, le
savant eut nettement moins d 'a ffinités
avec les deux ca li fes sui vants, a l-
Wathiq et surtout al-Mutawakk il. Etait-
ce à cause de ses positions religieuses?
On sa it qu ' al-M utawak.kil persécuta les

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente


PORTRAIT AI-Kindi

non-musulmans et les tenants d' un


Islam non-orthodoxe. Arabe et musu l-
La musique arabe man, Al-Kindi ne fu t pas pour autant
Par Norbert verdier réfractaire à des idées, des philoso-
phies issues d'autres peuples ou com-
Pythagore avait découvert l'échelle harmo- munautés, ce qu ' il jugeait compatibl e
nique : en plaçant un chevalet au milieu avec sa fo i. Il emble qu ' il chercha tou-
d'une corde et en pinçant une des portions jours à rallier ses contemporai ns à cette
de corde ainsi délimitées, on entend un son vision ouverte de la pen ée humaine,
à l'octave supérieure de celui obtenu sans d'abolir les barrières entre les cultures.
chevalet. De manière générale, la longueur C'était, d' une certaine faço n, un laïc
de la corde est inversement proportionnel- avant l' heure. Sensible à la philosophie
le à la fréquence du son. Il semble que les aristotélicienne, ses opinions lui va lu-
pythagoriciens s'en soient tenus aux sons rent parfoi les fo udre de théolo-
de fréquences f, 2f, 3f et 4f, les intervalles giens. Il se peut également que es rap-
entre ces sons étant respectivement l'octa- ports tendus avec al-Mutawakk.il soient
ve, la quinte, et la quarte. le frui t de rivalités de savants de la
Al-Farabi, collègue d'al-Kindi à la Maison Maison de la sagesse, comme les frè res
de la sagesse, fut un théoricien de la mathématiciens Banu Mu a ou l 'astro-
musique. Il eut l'idée de diviser l'octave en logue Abu Ma'shar. Quoi qu ' il en oit,
vingt-cinq intervalles inégaux (dont cer- le calife fini t par lui confisquer tou se
tains sont issus des quintes pythagori- libres (qui lui furent rendus plus tard).
ciennes, d'autres non) en posant al-K.indi mourut à Bagdad en 873, ou
vingt-quatre frettes (barrettes le règne d'a l-Mu 'tamid.
métalliques) sur le manche du «
oud » (sorte de luth arabe, Passeur de la science grecque
ancêtre des luths occidentaux).
Il construit ainsi une gamme à sept La tâche principale des savants de la
tons. Al-Farabi est aussi considéré Maison de la sagesse était de traduire
comme l'inventeur du Qanoun, une en arabe les ouvrages scientifi ques et
cithare à soixante dix-huit cordes, philosophiques grecs. On suppose
avec un chevalet posé sur cinq peaux cependant que al-Kindi , qui ne parlait
de poissons, et de nombreuses pas couramment le grec, s'attela
frettes permettant d'obtenir jusqu'à plutôt à révi er et commenter
onze micro-intervalles dans un les traductions effectuées
ton. par d'autres. Ses propres
Al-Kindi, pour sa part, développa travaux montrent l' in-
l'idée que le son est un phénomè- flu ence non seul e-
ne vibratoire et montra le rôle ment d 'A ri s-tote
du tympan dans le mécanisme mais au si de
de l'audition. Il s'intéressa aussi Platon ou de
aux fréquences des sons qui for- Proclus, bien que
ment les accords musicaux. les idées qu' il
N. V. développe soient
tout à fa it origi-
na les . Ses pro pres

Tcingente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES PERSONNAGES

ception de l' héritage du avoir et de


Al-Kindia rédigé plus de deux cents
son déve loppement : « li est bon [. . .}
que nous essay ions dans ce livre, et ouvrages d'arithmétique, de géométrie,
toujours à l 'avenir, d 'avoir en mémoi- d'astronomie, de physique, de médecine,
re les sujets sur lesquels les Anciens de logique, de philosophie, de psycholo-
ont tout dit[. ..} mais aussi d 'aller plus
loin dans les domaines où ils n 'ont pas
gie, de musique ...
tout dit. » Son esprit critique est tou-
jours alerte, aussi , concernant une des- En médecine, il fut le
cription de l' utilisation d ' un miroir premier à déterminer
faite par le Grec Anthemius, il n ' hésite de manière systéma-
pas à dire : « Anthemius ne devrait pa tique la dose de médi-
admettre une information ans preu- cament à administrer
ve ... » au malade, détail pour
le moins essentiel.
{rudlt et prolifique Malheureusement, la
quasi-totalité de ses
Al-Kindi a rédigé plus de deux cents écrits a disparu. Parmi ceux qui ont été
ouvrages d 'arithmétique, de géométrie, traduits en latin par Gérard de
d ' astronomie, de phy ique, de médeci- Crémone ( 1114 - 1187), on peut citer
ne, de logique, de philosophie, de p y- Risâlat Dâr At-Tanjîm (lettre de
chologie, de musique . . . Il a écrit sur l 'Observatoire), lkhtiyarât al-Ayyam
les marées, les roches, les pierres pré- (les Choix des jours), flâhiyyât Aristou
cieuses. En arithmétique, il a notam- (Théodicée d'Aristote), al-Mûsîqâ (la
ment écrit sur le système de numéra- Musique), Madd wa Jazr (Marée haute
tion indien et a contribué à poser les et Marée basse), Adwiyah
bases du système moderne dont nous Murakkabah (Remèdes préparés).
avons hérité. Il s'est intéressé à l ' har-
monie des nombres, à leur multiplica- Sous l' influence d 'al-Kindi , le déve-
tion, a étudié des algorithmes numé- loppement scientifique et philoso-
rique . En géométrie, il s'est attaqué à phique connut un nouvel é lan. Ses
la théorie de parallèle et conjectura contributions en mathématiques, en
l'ex istence de lignes ni parallèles ni physique, en médecine et en musique
sécantes. Ses contributions en géomé- ont traversé les frontières et les iècles.
trie sphérique et en optique géomé- Jérôme Cardan ( 1501 - 1576) voyait en
trique profitèrent à l'a tronomie, dont lui l'un des douze plus grands esprits
il décrivit également les instruments à de l' humanité .
trave r de monographies.
li s'e t intéressé au temps et à l'espace, G.O.
qu ' il croyait fini car elon lui , le postu-
lat de l' infini conduisait à un paradoxe
philosophique et mathématique.
En chimie, il s'est opposé aux alchi-
mistes qui voulaient changer les métaux
vils en métaux nobles, et, de manière
générale, réfuta la possibilité de trans-
former un élément en un autre.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente 103


PORTRAIT par É. Busser et G. Octavia

Hl-Khwarizmi,
manre de l'algèbre
Al-Khwarizmi, qui faisait partie d'un groupe de savants qui ont
œuvré au sein de la Maison de la sagesse, peut être considéré
comme le père de l'algèbre.

D
e Muhammad ibn Mussa al- jabr » dés ig ne la tra nspos 1t1o n des
Khwari zmi (env. 780 -850 , pro- termes d ' un membre dans l'autre d ' une
bable me nt o rig ina ire du équation . De ce mot sera issue notre
Kh arez m , actue lle me nt en « algèbre » . « Al muqabala » est la
Ouzbéki stan), nou s savons pe u de réduction des termes semblables dans
choses avec certitude, sinon qu ' iI fit chaque membre et « al hatt » , la di vi-
partie du groupe de savants arabes tra- s io n chaque me mbre par un même
va ill ant à la M aison de la sagesse, fon - no mbre.
Dans les dée par le calife al-Ma mun . Il y fut En homme de sc ience souc ie ux de péda-
écrits d' al- notamment le collègue de fameux gogie, al-Khwarizmi a rédigé son trai -
frè res Banu Musa. De es o uvrages, té d 'arithmétique e n l'ouvrant essentiel-
Khwarizmi, c inq nous sont parvenus, qui traitent le me nt sur la pratique de la vie
pas de symbo- d ' arithmétique, d 'astrono mie, de géo- quotidienne: problè mes d ' héritage et de
lisme, pas de graphie, du calendrier et d ' algèbre, et partage , considératio ns commerciales ,
qui e ure nt une influence majeure sur le mesures de terrains et autres ...
lettres à la développe ment des mathématiques. To ut cela sonne aujourd ' hui curieuse-
place des ment à nos ore illes habituées à I' al-
inconnues, Leuer le uoile... gèbre abstraite.
seulement des Dans les écrits d 'al-Khwarizmi , pas de
nombres Kitab aljabr w'al muqabala, autre me nt symbolisme, pas de lettres à la place des
dit lever le voile sur la science de la inconnues, seul e me nt des no mbres
écrits en transposition et de la réduction , est écrits e n toutes lettres o u e n chi ffres
toutes lettres l'ouvrage le plus important et le plus romains, mais surto ut la description très
ou en chiffres célèbre d 'al-Kharizmi. Il est considéré précise d' une technique particulière.
romains. comme le premie r traité d 'algèbre pro- Sa théorie concerne des équations du pre-
pre me nt dit. Pour al-Khwari zmi , « al mier ou du second degré, à une incon-

Tangente Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques .. .


1

LES PERSONNAGES

nue. N' utilisant pas les nombres néga-


tifs , il avait partagé les équations de
degré 2 au six classes (voir à ce sujet
l'encadré Les six types d 'équations d 'a/-
Khwarivni dans l'article Une histoire
d 'inconnues page 11 6) et toute équation
de degré 2 au plus se ramenai t à l' une de
ces six-là par manipulations algébriques.
Ainsi, l'équation que nous écririons de
nos jours de la manière sui vante :
4x 2 + 1Ox + 2 = 2x 2 - 1Ox + 80
peut se ramener, par al-jabr, pour « éli-
miner » le - IOx , à
4.l + 20x + 2 = 2.l + 80, avec des symbo les .
puis par al muqabala à On lui doit également des mesures de
2r 2 + 20x = 78 , surfaces (disque) ou de volumes (sphè-
puis par al hatt à re , cône, pyramide).
x 2 + 10x=39 .
C'est précisément l' une des équations Découurir la science indienne
que cite notre mathématicien comme
exemple et sa résolution (on la trouvera Al-Kh wari zmi est auss i l' auteur d ' un
en page 11 7 de l' article Une histoire d 'in- traité (aujourd ' hui perdu) sur la numé-
connues) ra ppelle fo rtement nos rati on indie nne , do nt le titre latin
méthodes actuelles de calcul du discri- Algoritmi de numero lndoru m donna
minant t,. ou d ' application des fameuses naissance au mot « algorithme ». Il y
fo rmules de résolution . décrit le système pos itio nne ( muni du
Les solutions d ' al-Kh warizmi sont à la zéro, ma is auss i des algorithmes de cal-
fois générales (c'est donc une démarche cul et en particulier d 'extraction de
très algébrique) et calculables géométri- racines carrées.
quement. L' utilisation d ' interprétations Enfin , il est auss i l' auteur d ' un impor-
géométriques encouragea certains hi sto- tant traité d ' astro nomie : Sindhind zij ,
riens à vo ir une influence des Éléments inspiré des découvertes indiennes ainsi
d'Eucl ide. Ceux qui contestent cette que de l'Almageste de Ptolémée , réfé-
hypothèse soulignent au contraire que rence habituelle des astronomes arabes .
la démarche d ' al-Khwarizmi est résolu- On y trouve des ca lculs de positions (du
ment di ffé rente de celle d ' Euclide : pas So le il , de la Lune et des pl anètes) , de
de véritables défi niti ons , pas parallaxe, des prév isions d ' éclipses , des
d' ax iomes, pas de « démonstration » au tables des sinus et des tangentes.
sens eucl idien.
Dans Hisab al-jabr w'al-muqaba/a , le Père de ('algèbre , passeur de la sc ience
savant cherche également à étendre des indienne , l' influence fo ndamentale d ' al-
règles arithmétiques à des objets algé- Kh wari zmi s ur les mathé matiques
briques . Il montre par exemple que l' on mondi ales est aujourd ' hui unanime-
peut multiplier des express ions algé- ment reconnue.
briques : (a + bx ) (c + dr). Là encore, É.B.&G.O.
il exprime tout cec i e n mots et non

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... TC1.n9ente


HISTOIRES par Gaël Octavia

Thabit ibn
urra
Thabit ibn Qurra fait partie des grands mathématiciens
arabes qui œuvrèrent à Bagdad au IXe siècle. Il s'illustra dans
le domaine des nombres, en géométrie et en astronomie.
Polyglotte, il contribua à traduire les grandes œuvres
scientifiques grecques.
habit ibn Qurra ibn Marwan al- Entre Harran et Bagdad

T Sabi al-H arra ni , éga lement


connu sous son nom latinisé de
Thebit, est né en l' an 836 de notre ère
Le destin du jeune Thabit prit un
séri eux tournant le jour où sa route
à Harran, en Mésopotami e (auj our- croi sa cell e du grand mathématicien
d' hui en Turquie). Probablement issu Muhammad Ibn Musulman Musa Ibn
d' une fa mil le opulente, il était membre Shakir (un des famaux frè res Banu
de la secte reli gieuse Sabian, adoratri- Musa), alors de passage à Harran.
ce des étoiles, ce qui condui sa it, par Impress ionn é par l' intelli gence du
voi e de conséquence, bon nombre de jeune homme et ses dons pour les
ses membres à étudier ! 'astronomie. langues, il l' invita à venir à Bagdad, où
Cette secte ayant, dès ses débuts, tissé un groupe de savants de toutes les di s-
des li ens étroits avec la culture ciplines étudiaient ou la protection
grecque, ses membre parlaient cou- de ca li fe Abba side .
ramment le grec, même après qu ' ils À Bagdad, Thabit ibn Qurra reçut l'en-
furent devenus arabophone suite à la eignement des frères Banu Musa. li
conquête islamique. Outre le grec et étudi a le mathématiques et la médec i-
! 'arabe, Thabit ibn Qurra parlait aussi ne. De retour à Harran, ses idées philo-
le syriaque, langue du sud-est turc. sophique lui va lurent d'essuyer une
accusation d' hérésie. Il repartit donc
Les travaux de Thabit ibn Qurra ouvrent pour Bagdad où il devint astronome de
la cour du ca li fe al-Mu 'tadid.
la voie à de grandes découvertes ulté-
Grâce à ses connaissances aussi bien
rieures comme les nombres réels positifs mathématiques que linguistiques, Thabit
ou le calcul intégral. ibn QuJTa s'attela à la traduction d'ou-

i106 Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES PERSONNAGES

vrages grecs en arabe. C'était en effet lbrahlm Ibn Sinan


une activité importante des savants
arabes de Bagdad de cette époque, et Petit-fils de Thabit ibn Qurra, Ibrahim ibn Sinan
c' e t grâce à ces traductions que la (908 - 946) fut lui aussi un mathématicien arabe
science grecque, alor oubliée en important de l'époque médiévale.
Europe, nou est parvenue. En particu- En géométrie, il étudia les aires et les volumes,
Iier, Thabit tradui it ou révi a d ' an- poursuivant les travaux d'Archimède. Il com-
ciennes traduction des Eléments menta l'Almageste de Ptolémée. Il s'intéressa
d'Euclide. aux sections coniques, aux ombres portées et aux
on rôle scientifique ne se limite pas, mouvements du soleil. Encore adolescent, il se
bien ûr, à celui de impie traducteur. pencha sur les différentes manières d'exprimer
Son œuvre prépara le terrain de nom- l'heure grâce au soleil.
breuses découvertes comme le ca lcul Il s'intéressa également à la quadrature du cercle,
intégral , la trigonométrie sphérique, la qui fut son thème majeur de recherche, et publia
géométrie analytique et même les géo- les résultats de ses travaux dans ce domaine dans
métries non-euclidi en ne . un traité intitulé Sur la mesure du cercle. Sa
renommé n'a pas atteint celle de son grand-père,
Hrlthmétlclen mais nul doute que son œuvre eût été colossale
s'il n'était pas mort âgé de seulement 38 ans.
Dans le domaine de nombres, il étudia
les nombres parfaits ( qui sont la
omme de leurs propres diviseurs) et xions sur les nombre et les quantités
le nombres amis (deux nombres sont préfigurent la généra li sation de la
ami i l' une t la somme des diviseurs notion de nombres en ouvrant la voie
de l'autre, on dit aussi « amicaux » ou aux réels positifs.
« amiables »). Voici une de ses décou-
verte dan ce domaine : Géomètre, physicien, astronome,
Soient p 11 et q11 des nombres définis de philosophe ...
la manière suivante :
21 1
Pou r n > 1' p,, = 3 .2" - 1 et q,, = 9 .2 •· - 1. En géométrie, Thabit ibn Qurra géné-
Thabit Ibn Qurra a démontré que i p11 _p ralisa le théorème de Pythagore à un
p11 et q11 sont des nombres premier , triangle quelconque, 'i ntére a aux Références
alors a = 211p 11 _ 1p 11 et b = 211 q11 ont de paraboles et aux paraboloïde ( es tra- • Ahmed Djebbar,
nombres amis, )'un étant alor un vaux en la matière annoncent le calcul L 'âge d'or des
nombre abondant (c 'e t-à-dire tricte- intégral), à la tri ection de ('angle, aux sciences arabes,
ment inférieur à la omme de es divi- carrés magiques .. . éd. Le Pommier,
eur ) et (' autre un nombre déficient En astronomie, il réfléchit aux mouve- coll. Le collège
( trictement upérieur à la somme de ments des planètes, développe une théo- de la Cité
ses diviseur ). rie qui affirme non pas la préce sion des •Ahmed Djebbar,
On pense que Thabit Ibn Qurra fut le équinoxes, mais leur oscillation. Une histoire de la
premier découvreur de la paire de En mécanique, on lui doit des contri- science arabe,
nombres amis 17 296 et 18 416. butions en statique, notamment sur éd. du Seuil, coll.
li s ' intéres a également aux quotients, l' équilibre des leviers. Points Sciences.
et plu particulièrement aux quotients Il fut éga lement un philosophe inspiré
de quantités géométriques (que les de platonicisme.
savants arabes d'alors ne considéraient li mourut en 901 à Bagdad.
pa comme des nombres). Ses réfle- G. O.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente


EN BREF par Norbert Verdier

Le pape
qui aimait
les chiffres
Les chiffres arabes sont un peu
auvergnats ! Galéjade? Pas tant
que cela puisque leur introduction
en Europe est due à un jeune
Auvergnat: Gerbert d'Aurillac,
alias Sylvestre II, premier pape
français.
HISTOIRES par Élisabeth Busser

.,
Ecrire les
mathématiques
Les mathématiques d'aujourd'hui ne sont souvent lisibles que
par les seuls initiés : signes et symboles se succèdent et rares
sont les non-mathématiciens qui les comprennent sponta-
nément. Il n 'en a pas toujours été de même : avant l'an mil, les
mathématiques s'écrivaient comme elle se parlaient.

n ui vant Ne selmann qui , dans Rhétorique de l'algèbre

E un texte de 1842 , « Die Algebra


der Griechen », défini ssa it une
classification en trois catégories des
Avant 250 , tout tex te mathématique est
« rhétorique », c'est-à-dire ne contient
textes algébriques des Anciens, nous aucun symbole d' aucune sorte. C 'est
sui vrons l' évolution de l'écriture de avec des mots que sont décrits les pro-
leurs textes mathématiques. Nous ver- blème , en phra es que sont données
rons comment on est passé de l'algèbre les équations qu ' il sous-tend , en langa-
« comme on le parle » à des textes ge habitue l que sont exprimées leurs
« mixtes », noyant quelques symboles o lutio n .
dans du texte écrit , préfi gurant l' écritu-
re sy mbo lique te lle que no us la
connaissons, qui verra le jour bien
J/IPP, . ·
' f F~~~ /flfJ~1:
après l' An mi l.

,~f .r:.rt.i~ rw:f


,~,rRr T,..·-::rrr:.l -.g(;f?.,':"
·•r't ·1· , ., · •
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Avant 250, tout texte mathématique est .::..,.,
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«rhétorique», c'est-à-dire ne contient
aucun symbole d'aucune sorte.
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.
:
,

!1
Une tablette babylonienne.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES GRANDS THÈMES

ABabvlone, l'arithmétique géométrisée


Tel est l' énoncé : J 'ai joint la surface et le côté de mon carré : c'est 45 '.
Nou mettons volontairement le signe ymboli ant le minutes pour mettre l' accent ur le fait
que nous sommes dans un système à base 60 , où 45 ' signifient en réalité 45 .
60
2
Il 'agit, vou l' avez reconnu , de résoudre l'équation x + x = 45 , traduit en terme d 'aujourd ' hui.
60
La rhétorique de utilisateur babyloniens de mathématiques, très subtile, nous donne, comme
toujour après l'énoncé, la procédure conduisant à la solution :
La moitié de 1 tu couperas (phase (1 ))
tu croiseras 30 ' et 30 ', (phase (2))
15' et 45' tu accoleras: 1 (phase (3))
1 a pour côté 1,
le 30 ' que tu a croisé, du cœur de 1 tu arracheras,
30' est Le côté du carré.
Le rai onnement se fait en réalité ur le mode géométrique , en imaginant en quelque sorte le côté
x d ' un rectangle fictif introduit artificiellement, elon les étape :

Phase ( 1) : X

X
Pha e (2):
30' 30' X

X
Sur le plan de la ymbolique , notons
X que la même opération peut 'expri-
Pha e (3): mer de deux façon différente . La
multiplication , par exemple , désigne
1 au i bien l'opération arithmétique
que l' association (les tablettes disent
le « croisement ») d' une longueur et
d'une largeur pour former un rec-
tangle.
HISTOIRES Écrire les mathématiques
On a retrouvé sur des tablettes babylo- ment , même s' il parle d 'algèbre , est
niennes (environ 2 000 avant J .-C.) des fi gurati f : on découpe et on colle rec-
séries de problèmes avec leurs solu- tangles et carré . L' habillage, tout en
ti ons, tous décrits avec la même procé- étant réa liste et lié aux con idérations
dure : l'énoncé, avec des données quan- ociales de l'époque (problèmes d' ar-
tifiées, la procédure de résolution sous pentage, construction de chemins et
forme d' une suite d' opérations et de canaux, répartition des horaires et des
leur traduction géométrique, la réponse sa laires du travail , taux d' intérêts, pro-
e nfin et, pour clore le tout , souvent la blème d ' héritage par exemple), ouvre
fo rmule « telle est la f açon d 'opérer ». souvent sur une réfl ex ion plus vaste
Chez les Babyloniens, le raisonne- débordant largement le cadre pratique.

Chez les Égyptiens, les pro-


blèmes sont auss i pratiques,
comme en témoi gnent tous
les papyrus retrouvés. Les
techniques de la multiplica-
tion , le trava il sur les seul es
fractions de numérateur égal
à 1 (fractions égyptiennes)
étaient autant de méthodes de

Ta.ngent:e Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


calcul qui alourdissaient considéra-
blement la recherche des solutions.
ou somme toujours dans la rhé-
torique algébrique, et le symboli sme
Diophante
est toujours absent. Toutefoi , les ou l'algèbre naissante
méthodes ne sont plus seulement
géométriques ; on rencontre par on seul ement Di ophante d 'A lexandri e parl ait d ' « arith-
exempl e dans le papyru s Rhind mc » pour l' inconnue, 'a utori sa it des oluti ons rati on-
(datant environ de 1650 avant J .-C., nel les, mai il utili ait coura mment de méthodes de
découvert à Thèbes, pui s acheté par changemen t d' inconnue pour la ré olution de e équa-
)' Écossais Henri Rhind à Louxor en tion . En vo ici la pre uve, dans un ex trait de se
1858) des résolutions d'équations par « Arithmétique » :
des méthode de fausses positions, à
défaut d' utiliser une démarche algé- « Étant c/01111és deux nombres dont la somme fo rme un
brique caractérisée. carré. 011 trouvera une il1/i11ité de carrés qui, multip liés
par l 'un des 110111bres c/01111és. et accrus de l 'autre
Le sc ribe Ahmès, plu s écriva in nombre. forment un carré. »
qu 'auteur des quatre-v ingt sept pro-
blèmes du papyrus, dont certains Diophante va fa ire le ca lcul en prenant 3 et 6 pour les
sont repris de l'arithmétique babylo- deux nombre donnés. ela rev ient donc à résoudre, avec
nienne, transcrivait souvent ses pro- les notation d 'aujourd ' hui , l'équation 3:1 + 6 =.? . C'est
blèmes en commençant par donner là qu ' intervient Je changement d ' inconnue. Reprenon le
une solution approchée (faus e posi- texte de Diophante :
tion). S'appuyant sur l'écart entre
cette « fausse » va leur et la vraie, il « Que le carré cherché soit I carré d 'arith111e p lus 2
bâti ssa it un algorithme pour aboutir arit/1111 es plus une unité. Dés lors. J carrés d 'a rithme
à la bonne so lution. La méthode ne p lus 6 arithmes p lus 9 unités deviennent égaw: à Lill
néce sitait aucun symbole autre que carré. »
de nombres.
Partant du principe que l'équati on ainsi obtenue a une
Le cas de la géométrie est un peu à in fi nité de oluti on , Diophante choisit d' en chercher une
part , pui sque, auss i bien dans les parti culiére :
textes grecs que dans les textes arabes
qui s'en sont inspiré , on trou ve év i- « Que ce carré soit c/011c celui qui a comme racine J uni-
demment des fi gures dess inées ex pli - tés moins J arithmes. et I 'a rithme devient 4 unités. »
citement , dont les éléments sont
dés ignés par de lettres , et ces lettres On comprend la stratégie et la réso lution c termine aisé-
sont utili ées dans les démonstra- ment, ce qu 'en notre langage nous diri ons :
tions qui le accompagnent. Cette Pour résoudre 3z2 + 6 = x2, on pose z = y + 1 avec y
présentation va désormais devenir la comme« arithme ». L'équation se transforme en 3/ + 6y
norme de la présentation de textes + 9 = .? . En choisissant le cas particuli er x = 3 - 3y, 3/
géométriques telle que nou la + 6y + 9 = (3 - 3y)2 a pour l' une de ses olutions y= 4.
connaissons depuis Euclide Ainsi,.: = 5 et x = 9 nou donnent des so lutions de l'équa-
esselmann parle de métorique géo- tion initi ale. li en ex iste une infinité d 'a utres, nou dit
métrique. Diophante.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente


HISTOIRES Écrire les mathématiques

C'est Diophante qui, vers 250, va le l' initiale de "dynamos"), K1 pour le


premier introduire des abréviations pour c ube, 11111 po ur le« carré-carré», c'est-
à-dire la puissance quatrième, !1 K1
remplacer certains mots. pour le « carré-cube », la puissance
c inqui ème, K1 K pour le « cube-cube »,
Des signes dans les mots la pui ssance s ixième. Même s'i l est
difficil e de dater l' a ppa riti on d'un
C 'est Diophante qui , vers 250, va le symbole, o n peut dire que Dio phan te,
premier introduire des abrév iation s dans ses Arithmétiques, utili e explici-
pour remplacer certains mots. C'est le te ment la lettre a (o u I), dernière lettre
début de l'algèbre dite « syncopée ». Le du mot « arithmos », qui désignait le
texte mathé matique est toujours rhéto- nombre à déterminer, pour s ign ifi er
rique, mai s il inclut maintenant des l'i nconnue .
sortes d' idéogrammes arithmétiques :
cela peut être des chiffres, des représen- L'algèbre « syncopée » de Diophante
tations graphiques des composant d ' un est donc intermédiaire entre une algèbre
calcul, d 'expressions arithmétiques ou rhéto rique et une a lgèbre symbo lique et
de symboles opératoires. Ces s ig nes l'œuvre du mathé matic ie n grec a été
sont parfois doublés de leur équiva le nt largement re prise par les mathémati -
verbal, parfoi s il s se substituent s im- c ie ns arabes qui l'ont trad uite puis étu-
ple ment à lui . Une chose est sûre , c'est diée. Ainsi, a l-Khw ariz mi (780-850),
que l'arithmétique de Diophante est net- dans son traité Calcul par restauration
te ment dissociée de la géomé trie : o n et réduction (Hisab al-jabr w'al-muqa-
raisonne sur des nombres, par sur des bala), dont l'opération « aJ-jabr » donna
long ueurs de segments comme Euclide, préc iséme nt na issance au mot
et on a évacué le souci de ne pas dépas- « algèbre » fa it-il abondamment usage
ser la dime ns ion 3 . On trouvera donc de notation s sy mboliques. Il les
chez Diophante des références à de e mploie pour les inconnues, pour les
puissances d 'exposant supé rieur à 3 et nombres , qu ' il écrit désorma is e n
mê me de s ignes spéc iaux pour les chiffres indie ns, pour les raci nes car-
symboliser, bie n souvent la pre miè re rées, pour les fractions au lieu de don-
ou la de rnière des lettres dés ignant le ur ne r le urs équi vale nts e n mots. Les
nom g rec : f1Y pour le carré (où 11 est textes mathématiques de cette époque
sont ainsi envahi s de symbo les aux
fonctions di verses . Tantôt ils accompa-
gne nt le texte et sont seule me nt c har-
gés de l'illustrer, ma is o n pourrai t com-
pre ndre le texte sans eux, tantôt ils
re mplacent une périphrase et sont alors
indispensables à la compréhensio n du
texte, tantô t enfin ils constitue nt un
e ncart dans le texte, un peu comme un
encadré chargé, dan un texte d'aujour-
d ' hui , d 'en éclairer le e ns .
Il est certain que la technique d'exposi-
tion d 'al-Khwarizmi va faire évoluer
l'écriture des textes mathématiques : il

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


classe les équations, do nne pour chaque La technique d'exposition
type des so lutions algébriques, pui s les d'al-Khwarizmi va faire évoluer
fa it sui vre d' une démonstration géomé-
triq ue qu i, e lle, reste encore rhétorique.
l'écriture des textes mathématiques.
Il n'élabore pas de langage symbolique usage devienne opératoire avec l' option
complet mais passe allègrement de l'al- - qui perdure jusqu 'à nos jours - des
gèbre à la géométrie da ns un style qui lettres du début de ! 'alphabet pour les
ro mpt rad icalement avec ce lui des paramètres et de celles de la fin pour les
mathématiciens grecs. L' un des derniers inconnues. Il fa udra attendre Le ibni z
mathématic iens arabes ava nt l' an mil , ( 1646 - 1716) pour in venter et voir se
al-Karaj i (953- 1029), qui a fo ndé, à générali ser bon nombre de symboles
Bagdad , une école d'algèbre très mathématiques comme dx
infl uente, va contribuer encore plus lar-
pour la di fférenti ation , la notation q'
gement à débarrasser l'algèbre de son X
emprise géométrique. Il va lui adjoindre pour la déri vatio n, le symbole J pour
des types d 'opérations qui vont préfi gu- ! ' intégration, !' utilisation systé matique
rer les opérations algébriques d 'aujour- du signe« : » pour la di vis ion , le « . »
d' hu i en « opérant sur les inconnues à pour la multiplication par exemple . La
l'aide d 'outils arithmétiques comme symbolique mathématique évolue enco-
l'arithmétique opère sur les quantités re aujourd ' hui (la « flèche » qui sur-
connues » selon le mot d ' un de ses suc- monte les vecteurs n'a même pas un
cesseurs, al-Samawa l ( 11 30- 11 80), siècle ! ) mais tous ces progrès, qui ont
défi ni sant par exemple les opérations rationalisé l'écriture des textes mathé-
sur les monômes x, x 2 , x3, ... et leurs matiques, l'ont simplifiée aussi, n'au-
inver es sans aucune référence à la géo- raient pu se fa ire sans les bases qu 'ont
métrie. lancées les calculateurs de l' Antiquité.
Ecrire les textes mathématiques, algé-
Uers l'algèbre symbolique briques surtout , de manière symbo-
lique, a permis de passer du particulier
Vo ici venu le temps de l'écriture sy m- au général, c'est-à-dire passer d ' un cas
bolique de l'algèbre, et le Anc iens ont indi vidue l, portant sur un nombre très
largement préparé le terrai n, fo urni s- spécial, au ca général, globali sant le
sant à leurs successeurs le sub trat sur raisonnement et )'étendant à toute une
lequel il s vont édi fie r l'algèbre d 'au- cl asse de nombres. Un ystème d 'écri -
jourd ' hu i. La transformation de l'arith- ture symbo lique e t en fa it bien plus
métique calculatoire en algèbre symbo- qu ' un simple système de notations car
lique ne s'est toutefoi pas fa ite en un il implique des opérations, des règles de
jour, même après les prémi sses laissées transformation des symbo les et une
par les Anciens. Il fa udra en effet grammaire particulière : il devient alors
attendre Viète ( 1540 - 1603) pour vo ir un véritable langage et c'est dans ce
l'i ntroduction systématique des nota- langage, do nt le form ali sme a pri s nais-
tions littérales avec les voyelles pour sance il y a qu atre mille ans,
les inconnues, les consonnes pour les que s'écri vent les mathé matiques
quantités connues (paramètres) et une d 'aujourd 'hui .
simpli fica tion signi fica ti ve des signes
d'opérations. Il fa ud ra attendre É.B.
Descartes ( 1596- 1650) pour que cet

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tcingente


HISTOIRES par Élisabeth Busser

Une histoire
'inconnues
Si vous avez tout oublié des mathématiques, il vous reste au
moins en tête « les x et les y », ces fameuses inconnues avec
lesquelles vous étiez parfois si fâché. Ces lettres-symboles des
équations nous viennent de la nuit des temps. Petit tour
d'horizon de l'histoire des inconnues et des équations.

n 2000 ava nt J.-C. , le soixante) le texte sybillin d ' une tablet-

E Babyloniens résolvaient déjà des


prob lè mes, moti vés qu ' il s
étaient par des considérations essentiel-
te babylonienne d 'environ 2000 ava nt
J .-C . La so lution vient , brutalement :
« Prenez I , le coefficient . Divisez I en
lement géométriques, mais, bizarre- 2 parties : 0 ,5. Multip liez 0 ,5 par lui -
ment , les traces écrite de leur « com- mêm e : 0 , 25. Ajourez à 870: 870, 25,
put » étaient des calculs sans figures. qui a la racine 29, 5. Ajourez à 29, 5 le
Les premières équations étaient nées et 0, 5 que vous avez multiplié par lui-
elles ne cesseront ni de faire avancer le même : 30, c'est le côté du carré. »
mathématique ju qu 'à aujourd ' hui ni Pour un tel problème d ' arithmétique de
d 'empêcher bien des mathématiciens de fi ction, pui sque soustraire une lon-
dormir demain . gueur d ' une aire n'a pas de sens phy-
sique , aucune indication de méthode
Babylone et l'tgypte : mais une résolution visiblement fo n-
pas d'inconnue désignée dée sur l' identité, écrite en langage
? ?
d 'aujourd ' hui : x 2 - x = (x - l)-- ( lf
« J'ai soustrait le côté de mon carré de 2 2
son aire : 870 . » Tel est , traduit en
numération décimale (alors que les Tous les problèmes posés dans les
Babylonie ns compta ie nt en base tablettes babyloniennes ont une base
concrète, souvent géométrique mais
En 2000 avant J.-C., les Babyloniens aucun n'a d ' inconnue dés ignée ni par
résolvaient déjà des équations une lettre ni par un sy mbo le et ni leur
algébriques. énoncé , ni leur so lution ne comportent

TQ:n9ente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES GRANDS THÈMES

la moindre fi gure ex plicative . li


ad mette nt souvent des so lution s
entières ou , si ce n'est pas le cas , béné-
ficient d' un calcul approximatif de la les six tvnes d'équations
solution . Certains peuvent parfoi être
plus compliqué . li s sont alors destinés d'al-Khwarizmi
à la formation des futurs calculateurs.
Les carrés sont égaux aux racines
Vers 1300 avant J .-C. , les Égyptiens (comme x2 = sx)
avaient , comme les Grecs vont l'avoir Les carrés sont égaux au nombre
plus tard , une pratique de la résolution (comme x2 = 5)
des équations très liée à la géométrie , Les racines sont égales au nombre
même s' ils ne représentaient ur leurs (comme sx = 10)
documents aucune figure. On a pu trou- Les carrés plus les racines sont égaux au
ver par exemple dan le papyrus dit « de nombre (comme x2 + sx = 50.x)
Berlin », datant de la XIXe dynastie, un Les carrés plus un nombre sont égaux aux
système que nous énoncerions aujour- racines ( comme x2 + 5 = 30)
d' hui sous la forme : Les racines plus un nombre sont égales

l X + y = 100 aux carrés (comme sx + 15 = r)


2 2

y=lx
4 Le savant arabe donne à ses résolutions
d'équations une double méthode : d'abord
L'énoncé initial éta it - le rapproche- la « recette » de la résolution, puis une
ment avec le théorème de Pythagore visualisation géométrique, qui tiendra
n'est pas interdit ic i - : « L 'aire d 'un lieu de démonstration, que nous appelons
a:uTé, de 100, est égale à celle de deux « complétion du carré». On« complète»
<XUTés plus petits, le côté de l 'un d'eux en effet une identité pour y faire interve-
étant la moitié plus le quart de celui de nir un carré, comme x2 + 10.x = 39 devient
l'autre. Quels sont les côtés des deux (x + 5) 2 = 64.
œrrés inconnus ? »
Sur les bords du Tigre et de l'Euphrate
comme sur les rives du Nil , entre 1 000 positifs, il s ramenaient les problèmes
et 2 000 an ava nt notre ère , on résol- du premier degré à des constructions à
vait donc déjà de équations du premier, la règ le et au compa , ceux du second
du second ou même du troisième degré. degré à celui de l' intersection d' une
Sans théori sation excessive , en mettant courbe et d' une droite , ceux du troi siè-
parfois en avant une interprétation géo- me degré à celui de l' intersection de
métrique, on le faisait en tout cas très deux courbes (ellipses, paraboles et
efficacement. hyperboles).
S 'agissant par exemple de résoudre des
La Grèce antique : équations du premier degré , les incon-
équations ulsuelles nues étaient figurées par des segments,
les produits par des aires. L'équation
Le Grecs, pas trè algébristes comme que nous écririons aujourd'hui
on peut le voir par ailleurs, rendaient ax =b va se représenter, comme dans la
les équations li sibles en les géométri - proposition 24 du livre I des Éléments
ant. Ne considérant que des nombres

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente


HISTOIRES Une histoire d'inconnues
d ' Euclide, par la figure: Les Indiens et les Hrabes :
1 G le parler des équations

Les mathématiciens indiens comme


Brahmagupta (598-670) vont prendre le
relais avec, en plus, quelques nouveau-
tés comme le zéro , les
nombres négatifs , énon-
cés en termes de dettes,
o u la règle de signes.

D E F
À le ur suite, même ' il s
L'équation a est la longue ur du segment AB et b
ne fo nt pas to ujours
ax = b l'aire du rectangle ACDE . On construit
usage des acqui s des
chez les Grecs. avec ces données la fi gure complète
Indiens , les mathémati -
dans laquelle le rectangles ACDE et
c iens arabes , dont le
ABGT ont même aire . C'est dire que la
plus célèbre est al-Kh warizmi , défi ni s-
longueur inconnue x est celle du seg-
sent clairement une class ification des
ment BG. Le rai sonnement se fa it ,
équation du second degré et les opéra-
chez Euclide par « anal yse et synthè-
tion à mener pour les résoudre . Ici , on
se » : on commence par supposer le
« parle » le équations, qui s 'écri vent
problème résolu (figure faite en entier)
en langage ordinaire, l' inconnue étant
et on termine en exhibant une méthode
« la chose » , son carré « le carré » . Les
de construction effective de x . Pour les
problèmes étaient parfois compliqués ,
équations de degré 2, Euclide se servira
les équations pour les résoudre auss i et
de la décomposition de plaques en
quelques plaques simples selon deux
méthodes différentes pour obtenir fin a-
le ment la vi suali sation d 'éga lités
comme par exemple px + (p + x)2 =
x(2p + x) + p 2 + p x , qui servira à
résoudre l'équation x 2 + 2p x = q en
montrant que son unique racine positi -
ve est :
X = {i7"+q- p .
p p +x
X X

px+(p+x)~
=x(2p+x)+p 2 +p x
p p

Tcin9ente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES GRANDS THÈMES

,.

L'équation : r + lOX = 39

La recette:
Prends la moitié des racines
(ici 5, moiti' de 10)
Multiplie ce nombre par lui-
même (ce qui donne 25)
Ajoute le résultat à 39 (ce qui
donne64)
Prends la racine de ce nombre
(ce qui donne 8)
Soustrais-en la moitié
racines (ce qui donne 3)

La visualisation :
5 X

25 5x

5x

les Anciens jusqu 'à l' an mil étaient


bien courageux de s'en sortir quand

--
même. Si les méthodes de calcul
étaient très sophistiquées, ! 'absence de ...
notation sy mbolique ne fac ilitait pas la ,.. ,,... ,..
tâche des calculateurs de ! 'époque. li a
fa llu patienter jusqu 'à François Viète
- - -- -
,.....
pour arri ver à utiliser des lettres pour dient les mathématiques , de près ou de
représenter des quantités : voyelles pour lo in . Elles sont devenues un langage,
les quantités connues , consonnes pour qui permet aussi au x hommes et aux
les inconnues. Pui s Descartes est venu , ordinateurs de si bien se comprendre.
et son usage s'est générali sé : les pre-
mières lettres de l' alphabet pour les É.B.
quantités connues , les dernières pour
les quantités inconnues . Aujourd ' hui ,
outil indispensable, les équations fo nt
partie du quotidien de tous ceux qui étu-

Hors-série n° 30 . Histoire des mathématiques Ta.ngente 119


HISTOIRES par Jean-Pierre Friedelmeyer

la découuerte des grandeurs


incommensurables
Nos ancêtres de l'Antiquité connaissaient-ils les nombres
irrationnels ? Comment les ont-ils découverts ? Comment les
manipulaient-ils ? On peut essayer de se rendre compte des
connaissances des Anciens dans ce domaine à l'aide
d'ouvrages ou vestiges archéologiques parvenus jusqu'à nous.

1 1 1 il 1
~--·
1 1 Des irrationnels chez les Babyloniens
,....- ~
- --,J
-- ~·- La tablette babylonienne YBC (comme

. ---
""~- ~h .. :---::~
,--·. .;.l• . --· •' '!' _.. __ Yale Babylonian Co llecti on) 7289

- ... '...~........
-~-
•• . . , ,__ -
"":
• -~
'
, ___ ,
-
,,y
~-~i -., . ~
(figure 1, page 109) nous apprend plu-
sieurs choses sur le ni veau des connais-
~-'!

.. ...
\.
:.t.. Ill' "," sance mathématiques de la civi lisation
-.1. .....
-"'.....
'·,
~

;' ~ ).:., babylonienne. Datée entre 1800 et 1600


av. J .-C. , e lle représente un carré avec
1
-·---
!:! 1 1 1 1
ses diagonales et di verses inscriptions de
\oie procession· no mbres en écriture cuné ifo rme,
ncllc de es tablettes d 'argile babylo-

D
nombres écrits dans un système sexagé-
Bah)'lone.
niennes aux Livres d ' Euclide, les imal. Le lo ng du côté , e n obliq ue ,
Anciens nous ont la issé , sinon nous lisons, traduit en chi ffres arabes :
des ouvrages mathématiques, tout au 30 , et sur la diagonale, superposés :
mo ins de vestiges nous permettan t de
nous faire une idée de l'état de leurs 1 24 5 1 10 et 42 25 35 . (fi gure2)
connais ances mathématique . Voyons ce
que ces documents nous di ent des gran- Leurs transcriptio ns en nomb res déc i-
deurs incommensurables . maux (à 10 - 5 près) correspondent res-
pecti vement à :
) ,4 142 13 et 30 X ) ,4 )42 )3 =
La tablette babylonienne YBC étonne 42,42639

par la précision des nombres inscrits La première réflex ion que cette tablette
et des relations entre eux. nous suggère, c'est que les

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques .. .


LES GRANDS THÈMES

Fi~ure 1 : Tahleltl'
bah) Ionienne.

d ' une véritable géométrie théorique,


dépassa nt ! 'empiri sme des mesures
d'arpentage et capable de développer des
méthodes a lgorithmiques basées sur
une connaissance abstraite des relations
entre deux grandeurs et qui les rende
access ibles au calcul.
Figure 2 : Signification
de la tablette. ftnthyphérèse chez Pythagore
Baby loniens avaient pris conscience du
caractère uni versel de la re lation entre Une te lle méthode est prése nte auss i
le côté et la diagonale d ' un carré : pour chez Pythagore et ses di sciples sou la
obtenir la lo ngueur de l' une il fa ut dénomination de avi:rp.1Jrc11mpEOLO
multiplie r la lo ngue ur du côté par (anth yphai res is) ou « soustraction réc i- L'existence
1 4 142 13, quelle que soit la dimension proque » e t qu 'on pe ut sché mati ser des irration-
du carré, autrement dit que l' une est ainsi :
proportionnelle à l'autre . Nou ne nous - Soit à comparer la longueur de deux nels était en
attarderons pas sur ce progrès, te lle- segments te ls que AB = a et CD = b et contradiction
ment acqui s à la pensée mathématique suppo sons a plu s grand que b. avec le fonde-
qu ' il paraît (à tort) banal et év ident. Retranchons b autant de fois que pos- ment même
L'étonnement vient surtout de la préc i- sible de a jusqu'à ce qu ' il ne reste plus
sion de nombres in scrits e t des re la- qu ' un seg me nt c plu s pe tit que b.
de la science
tions e ntre eux. La valeur approchée Reco mmençons la mê me opération des pytha-
1,4 142 13 suppose à la fo is la connais- avec b et c et continuons ainsi jusq u'à goriciens:
sance du théorème de Pythago re (au arriver à un épui sement exact de l'avant « Tout est
moins dans sa fo rme appliquée au demi derni er segment par le dernie r (vo ir
carré) et la disposition d' un algorithme figure 3 page 110 , o ù no us avons
nombre ou
de calcul approché d' une racine carrée. figuré a et b comme les côtés d ' un rec- rapport de
Ainsi , cette tablette illustre l' ex istence tang le, la « soustraction réc iproque» nombres.»

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Ta.ngente 12


Grandeurs incommensurables
a
A B aussi ne pas fa ire référence à d et dire
c b D que les lo ngueurs a et b sont dans le
mê me rapport que 16 et 7 , ce que nous
a•2b+c c
.
tra d U1rons par -
a
= -16 .
b 7
b Vous aurez peut-être reconnu dan la
« soustrac ti on réc iproque » ce que l'on
appe lle a lgorithme d 'Euc lide. Il y a
Figure 3. d
c=2d cependant une di fférence : l' algorithme
d 'Euclide concerne uniquement des
condui sant alors à épui ser chaque rec- no mbres entiers , alors que la « sous-
tangle par des carrés). traction réc iproque » peut s'appliquer à
des grandeurs quelconques, ce qui pose
Sur ) 'exemple présenté, nou s avo ns le diffic ile problè me sui va nt : le pro-
a in i : cessus de la « soustraction réciproque »
s'arrête-t-il nécessaireme nt au bout
a= 2b + c ; b =3c + d ; c =2d. d ' un no mb re fini d 'étapes comme c i-
dessus et comme c'est le cas pour l'al-
D 'où l'on déduit : b =7det a= 16d. Si gorithme d 'Euclide appl iqué à un
donc nous pre nons d co mme unité de couple d 'entiers?
lo ngue ur nou s po uvo ns dire que a
mesure 16 e t b mesure 7. Les Grecs Un problème d'Euclide
di sent que d représente une mesure
commune à a et b. Ma is nous po uvo ns

Figure -' :
Soit E le milieu de [AD] et F sur la droite (AD ) tel
queAF= EC. Posons OF= c.
Un rai sonnement géométrique simple permet de
démontrer
2 a b
que a x c = b ou que - = - .
b c
Cela s ignifie que le rectangle CDFG est semblable
au rectangle ABGF et donc qu ' il es t constitué lui
aussi d'un carré
de côté c et a
d 'un rectangle
CGHK , à nou- Euc lide présente au Li vre Il , pro p. 11
veau semblable des Éléments le cas d ' un rectangle ab
aux rectangles construit à parti r d' un carré ABCD de
ABGF ou côté b (c f fi gure 4).
CDFG , et cela à b li pose un rée l pro blè me : contraire-
l ' infini. H
me nt au cas précédent : je ne pourra i
Ce rectangle
pas trouver de mesure commune pour a
es t devenu
c et b, et do nc, quelle que so it )' unité de
B
mesure que je c ho isira i, je ne pourra i

Tc:1.ngente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES GRANDS THÈMES

jamais mesure r s imultané me nt , par un


no mbre e ntie r, les de ux côtés du rec- .. .. .. .. ..
.'g ~o
tangle d 'or. On dit que ces de ux côtés '2 1
6 :, '8 :11 ~2

sont incomme n urable . Les pythago- .: b .: .


ricien ont gardé la mé moire traumati-
sante de cette imposs ibilité, e n
contrad iction avec le fondement mê me
:a r: 2
' ''
.
;3

'
Figure 5.
4 6 ~ B
. 9

r 11: 12
. ..:13 11 15 ; 16
.' 17 11 19

de le ur sc ie nce (« Tout est nombre ou


' '
'' '' '' '' ''' ''' ' ' '' '' '' '' '' '' ''
rapport de nombre ») et e n utili sant :2 '
,3 ~ '5 '6 :,' ''' 8 ''9 ~o '
'11 ~2 '
'13 '~4 ~5
l'ex press ion de rapport irrationnel. I d, 1

1 ':

Bien d ' autres rapports devaient s ' avérer :3 4; :& B: 9 :J


:c :1: 2 '' ''
5
'' '' '
0 1, 12
''
1
''
15 : 16
''
1 1e: 19 ~o
'
2
''
22
irrationnels , comme celui de la diago- ' '' '' ''
nale d ' un carré à son côté. La géomé-
trie semblait dans l'incapacité de décrire Figure 6.
e n te rmes numé riques les re lation s
entre les élé ments (lo ng ue urs, aires) de
figures aussi élé mentaires que le carré, multiplication , c hac un à c hac un , [e t]
le triangle équilatéra l. pris de manière correspondante. »

Comment sortir de cette impasse? Cette défi nition est diffic ile à com-
Comment pa rle r rationne lle me nt de prendre pour des esprits mode rnes habi -
s itu ati o ns perçues comme irration - tués à ! ' usage du formalisme
nelles? Le Livre V des Éléments algé brique. Le mathé matic ie n e t log i-
d ' Euclide (très probable me nt inspiré c ie n ang la is De Morgan e n donne
par Eudoxe de Cnide (environ l' illu stration plu s access ibl e s uiva nte,
406 - 355 av. J .-C.)) résout la question e n dés ignant pa r a, b, c, d les quatre
e n construi sant une remarquable théo- grandeurs . On a ura , e n notation
rie des proportions. Celle-ci arrive à la
fois à traiter e n toute rig ue ur la compa- moderne : !!.... = .!:..__ s i e t seule me nt s i
raison des grandeurs incomme nsurables
b d
et à les re ndre access ibles au calc ul la suite des multiples de a e t b est ran-
ap proché. Le fondement e n est la défi - gée exactement dans le même ordre que
nition 5 (ex traite des Éléments celle des multiples de cet d, comme , par
d ' Euclide, Li vre V, traduction exemple pour le rapport du côté a d' un
B. Vitrac, PUF, vol.2, p.41 ), dont la carré à sa diagonale b (cf. fi gure 5) :
com pli cation appa re nte ne fait que
refléter la complex ité de la s ituation : Pour ces lon g ue urs a e t b on a les
« Des grande urs sont dites être dans le inéga lités suivantes :
même rapport , une prem iè re re la tive-
me nt à une de uxiè me e t une troi s iè me a < b < 2a < 2b < 3a < 4a < 3b < Sa
relati veme nt à une quatriè me quand des < 4b < 6a < 7a < Sb < ... < l 4a <
éq uimultipl es de la pre miè re e t de la I Ob < 1Sa < 11b < l 6a < 12b < 17a
troi siè me o u s imultané me nt dé passent , < 18a.
o u sont s imulta né me nt éga ux ou
s imulta né me nt infé rie urs à des équi - ma is a uss i pour le lon g ue urs c e t d,
multipl es de la deuxième e t de la qua- côté et di ago nal e d ' un autre carré (cf.
tri ème, se lon n ' importe que ll e figure 6):

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente 123


Grandeurs incommensurables

tt•ofr d' \lhhH• ., . par Raphaël :


cn has, à droitc, as"i" : Euclidc.
Ccntrau, : Platon t'I \ristotc.
En ha.,, à gauchc. hai,,c: : l~udidc.
\ gauchc d'Euclide, Ptoléméc tdc do,) et autoportrait de Raphaël.

7 b 17
c < d <2c < 2d < 3c < 4c < 3d < Sc - < - < - .
S a 12
< 4d < 6c < 7c < Sd < .. . < l 4c <
IOd< IS c < I Id< 16c < 12d< 17c. Toutes les inéga lités sont strictes sauf
Ces suites d ' inégalités ont caractéri s- si à un mo me nt do nné les multipl es
coïnc ide nt , ce qui vo udra di re que les
tiques du rapport des grandeurs !!.... ou deux grandeurs ont une mesure com-
b
mune et donc que le rapport est ration-
nel. Nous avons illustré graphiquement
.!:..__ et o n pe ut démo ntrer que si l' une ces suites d ' inéga lités, ma is il ne fa ut
d
pas cro ire qu 'elle découlent de la
des grandeurs a o u b varie d ' une quan- simple observation, laque lle sera it rapi-
tité auss i petite so it e ll e, la suite des dement incapable de les mettre en év i-
inéga lités sera modifiée. dence de faço n certaine. Dans les livres
Dans la suite d ' inégalités concernant a V à X, Euc lide met e n pl ace tous les
e t b, no us en avo ns e ncadré deux : ressort s dé mo nstrati fs et a lgorith -
?a < Sb et l 2b < l 7a, qui no us do n- miques nécessa ires à l'exerc ice rigou-
nent un encadre ment du ra ppo rt des reux du raisonne ment géométrique
deux grandeur , sous la fo rme : autant qu 'à la compara ison des gran-
de urs. Ses conte mporain s o u ses suc-
cesseurs pourront démontrer ou calculer

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


aire (carré MEFB)
aire (carré MOBP)

= aire (disque MEFB ) =2


aire (disque MOBP)
• aire (lunule MPBNM)
=aire (carré COAB)
Il s po urront démontrer que la c irconfé rence d ' un
cercle est proportionnelle à son rayon ou calculer
des encadrements, aussi préc is que l'on voudra de
rapports comme BM\80 ou ce lui de la circonfé-
l.iHe \1 de, Êlémt•11t\ d'Euclide mon- rence d'un cercle à son diamètre : le fameux
trant de., cakul<, d'aire et de ,olume. no mbre Jt , dont Archimède calculera l' encadre-
ment :

1 70
3 + - <n:<3+
7 71
En conclusion, la déco uve rte de l' ex iste nce de
grande urs inco mmen surabl es a mi s en év ide nce
l ' impo ss ibilité d e mes ure r n ' importe qu e ll e
gra nd e ur au moye n d ' un nombre (enti e r ou
fra ctionn a ire). Les géo mè tre g recs re levè re nt
ce défi à la raison e n co nstrui sant une théori e
capabl e de traiter par le raisonnement et par le
calc ul les rapports qu a lifiés d ' irrationne ls, sans
pou r au ta nt le ur donn e r le statut de nombre .
Ceux-ci devront attendre le xv,c ièc le, e n par-
en toute rigueur des rapports te ls que sur la figure ti c uli e r avec Stev in affirmant avec force dans
7: so n Traité des incommensurables grandeurs (in
Arithmétique, 15 85) « qu ' une racine quelconque
e t no mbre » e t « qu ' il n ' y a aucun nombre
absurde, irrationne l , irréguli e r, in ex pli ca bl e o u
sourd » . Cette évo lution es t corrélative du
déve loppement des éc ritures sy mboliques et du
ca lcul a lgé brique, qui pe rme tte nt de ca lcul e r
E avec des sy mbol es comme avec des no mbres .

J.-P.F.

F
Figure 7.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tcingente 125


ACTIONS par Élisabeth Busser

Pourquoi les Grecs n'ont-ils pas


inuent, l'algebre?
Pourquoi les Grecs, législateurs de la géométrie, cham-
pions de la logique, ont-ils laissé si peu de traces dans le
domaine de l'algèbre ? Sous l'influence de philosophes
comme Platon ou Aristote, la Grèce Antique a fait de ses
mathématiques une branche de la philosophie.
n peut s 'étonner que les recherche du problème un caractère plus

O mathématiques grecques se
soient , depui s Alexandre le
Grand , répandues dans tout le monde
général.
L'acte de naissance de l'a lgèbre est le
traité du mathé matic ien ara be al-
méditerranéen sans que la science de l' al - Khwari zmi , ma is ses sources ne sont
gèbre , dont se sont plu s tard e mparées pas grecques .
les mathématiques indie nnes pui s En e ffe t , on trou ve bi e n - e t no us y
arabes, ne se soit plus déve loppée chez rev iendrons - des « traces » d'algébri-
les Grecs . sation dans les Arithmétiques de
L'Académie d e Diophante , ma is l'ouvrage n'a été tra-
Platon , mosaïque Prédestinés tl la géométrie duit e n ara be qu 'à la fi n du IXe sièc le ,
romaine (Pompéï, après la di sparition d'al Khwarizmi. De
1er siècle avant J.-C.). L'algèbre est avant tout une form ali sa- plu s, le mathématic ien ara be , qui n' hé-
tion de l 'écriture des calculs et des équa- site pas à c ite r ses sources, ne c ite
tions où l' on remplace des nombres par guère les Grecs en ce qui concerne l' al-
de lettres, ce qui permet de donner à la gèbre. Le mot lui -mê me d 'a lgèbre ne
vient-il pas d 'ailleurs de l'arabe « al
/)ans les l~léments d'Euclide, au /\'' siècle djabr » , qui s ig nifi e « réduction » (des
fractu res) ?
avant notre ère, les calculs de grandeurs Les mathématiques grecques , e ll es ,
sont tous liés à des images géométriques, so nt essentie lle ment log iques et géo-
les nombres à calculer sont des longueurs métriques, avec peu d 'arithmétique et
de segments ou des aires, et le texte ne d'algorithmes de calcul. Le problèmes
géométriques qu 'on a, par la uite, fac i-
prend tout son sens que s'il est accompagné le ment résolu s par le calcul algébrique
de son diagramme. le sont de faço n purement géométrique.

Tangente Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ...


LES GRANDS THÈMES

Si vnc ligncdroiélcdlcouppcccommconvoudr:111e<Ju.uré· Les mathématiques vont, pour


de li toutcc!l:cgalauxdc.u quanudcs~cs,&adeux Pl aton , devenir une étape dans
fuis lcrc&nglcd'icdlcs~es.
l'acquisition de la dialectique et
Soitla lig,,e dG811a. AB, oouppcc t-m< oo ,oodruo polo& F. lt di,
q1e ln dmqpfua dc~·u (ur ln pffli<• AF & fi, permettre « [d'J arriver à voir
••te d..,. (ojô le rcllao cl'l«U.1 Af « F B foaun- c ~
l\mblc •1••• au qurri c latoralt ia. . , ces objets supérieurs qu 'on
Qi•i•6 •• i..: Sur l• lii\•• 1owe /..8 lolo defor:lt '
le <JUOrri l\.01 lk ap<u auok IIMD4 la dlagonallc Il C 1 0 n'aperçoit que par la pensée » .
do poioll F,fok Dl!JIN llff.coadroife fB pmll<ldAC;

I""~ "°" --
<°';PP''"~ di.,goullc 8 Ccn l,& dcmbcfpar1«i.r ,//,.
G H parallck • A Il , le 1our par la I' . pcop. ,. te cü,
prcm1erc111<~1 q1t ln '1,'!ldrilartffl HF 1k IIG (1>11t quurn.
Le mathématiciens grecs vont
donc , sur les traces de Platon,
C.,dcJia il •ppcn 'l•ill foa1 panllclog,ammci; clam defait, eutte
l' ami d ' Archytas de Tarente,
Identiti- rcmartiuahlc à la manière d'Euclide. d'Eudoxe de Cnide et de
Théétète, mathématicien à
On trouve déjà chez Apo ll onius ( Ill e l'origine des livres x et xm des Éléments
siècle ava nt J .-C.) la réso lutio n géomé- d' Euclide, délaisser le contexte de l'arith-
trique du problème « des trois cercles » métique géométrique de leurs ancêtres .
(trois cercles étant donnés, décrire un Ils vont oublier le monde de Pythagore ,
quatrième cercle que ceux-ci touchent) habité d'entiers, oublier la crise des irra-
dont Descartes va donner en 1643 , dans tionne ls , pour « penser - comme le dit
une de ses lettres à la princesse Michel Serres - dans l'univers de la géo-
Eli sabeth de Bohè me, une so luti on métrie, e~pace pur, métrique rigoureuse ,
algébrique. Les résolutions d 'équations irrationalité maîtrisée » .
- et il y en a da ns les mathé matiques Mê me s' il s'est un pe u par la suite
grecq ues - se font sans symboli sme, détaché de Platon , Ari stote lui auss i,
avec de fréquentes références à l'arith- faisant de la log ique une science en soi,
métique et surtout un recours constant a , par sa théorie de la dé monstration ,
à leur interprétation géo métrique . contribué à renforcer la nécess ité d'en-
Pourquoi cette absence de vision algé- chaîner le é noncés en une véritab le
brique chez les mathématiciens grecs ? construction déductive , de bâtir une
Log ique et géométrie sont les de ux arg ume ntation ri goureuse , ce qui
piliers des mathématiques grecques tout consacrait de fait la prédomjnance de la
comme Pl aton et Aristote sont les deux géométrie . En « nouve ll es mathé ma-
pilier du système philosophique grec , tiques », on va désormais travailler sur
et cela e t lié à l'absence de référe nce des concepts plutôt que sur des objets,
algébrique dans les mathématiques sur l' idée d ' une droite plutôt que sur le
grecques . dess in d ' un trait. Les mathé matiques
Po ur Pl aton , e n effet , les mathé ma- grecques vont donc, sous l' influence de
tiques doi vent joue r d 'abord un rô le ces philosophes, quitter la réalité quo-
pédagog ique pour former des philo- tidienne pour passer dans le champ de
sophes qui géreront les affa ires de la la pensée et de venir une branche de la
Cité. li leur fixe, dan un texte d 'orien- philosophi e. Leurs concepteurs vo nt
tation po litique, sa République, le rô le inve nter un autre univers que celui des
« non point de [les} faire servir, tables numériques , un monde purement
comme les négociants et les mar- abstrait où le calcul algébrique n'aura
chands, aux ventes et aux achats, mais que très peu de place , la issa nt les
[ ...] pour fac iliter à l 'âme elle-même le Arabes du Moyen Âge gagner la
passage du monde sensible à la vérité bataille de l'algèbre.
et à l 'essence» .

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... TAngente


ACTIONS Pourquoi les Grecs ...

Pas algébristes, mais... no mbres par les no ms d 'é lé me nts géo-


mé triques , décri va nt les équ atio ns par
Si les Grecs n 'éta ie nt pas a lgé bri stes, des phrases, le texte algébrique va pas-
o n trou ve cepe ndant c hez le urs mathé- ser au ty pe « sy ncopé », où vont appa-
ma ti c ie ns « ta rdi fs » , ceux de l' è re raître des sy mbo les. Da ns les
c hré ti e nne, des ré fé re nces Arithmétiques de Di o pha nte, par
a u calcul a lgébrique. Dan exe mpl e , le tex te , to uj o urs descripti f,

_
t}IOPH.ANTI les Éléments d 'Euclide , au contient toutefoi s des « caractère arith-
&LIJl&NORINl
iv e s ièc le ava nt no tre è re, mé tiques » : c hi ffres o u sy mbo les ,
. . ..
a.- Andiaicoan.m
.....,_
_. ........
...............
....- i:-.. ~ · ,
............
;-:;:~
,.___ les ca lcul s de g ra nde urs
sont to us I iés à des
im age géomé trique , les
indi spe nsable po ur la compréhe ns io n
du texte .
Ici , le mo t « a rithmos » , dés ig nant le
nombres à ca lcule r so nt no mbre indé te rminé ( le « requi s
des lo ngue urs de segments inconnu »), est re mpl acé par une lettre
ou des a ires, e t le tex te ne s
voi s ine du e t le mo t « d y na mo s »,
pre nd tout son se ns qu e le carré du no mbre indé te rminé , est
s ' il est accompag né de son fi g uré pa r le s ig ne !::i,Y co nte na nt so n
di ag ramme. Les tex tes ne initi a le. Le c ube est re présenté par KY,
............. . . . . sont cepe ndant pas vie rges les autres pui ssances par juxtapos itio n
······· ·- de tout ca lc ul a lgé brique de ces s ig nes . Diophante utili se do nc,
pui squ 'on dé mo ntre pa r presque ex plic ite me nt , du ca lc ul a lgé-
exempl e des ide ntités brique, ma is ne va pas très lo in da ns
re ma rqu a bl es . . . m a is s ur la résoluti o n gé né ra le d ' équ ati o ns .
Diophanli Alt•xandrini.
des fi gures géomé triques. Lo rsqu ' il c he rc he , par exempl e, que l
Rerum , \rit h 1111'1 Î<'c11·11111,
Chez Euclide, la « dro ite no mbre « ajouter à deux nombres don-
( 11,dt•. l'.)-,)
AB » désig ne e n réalité le nés pour que chacun d 'eux fo rme 1111
segment [AB], le « carré de carré », il pa rt a us itô t s ur un
AB » à la fo is le carré de exempl e numé rique. Les de ux
AD ILLVSTRIS f. côté AB et l' aire de ce no mbre se ront fi xés à 2 e t 3 e t , la
.. YN 40 IYNIIA& IJl'. I P &O T A•
, _ . , , ......... 1 ......................... ..
,....._..,....... O!'-""-•rJ.
•·"*'--lrt. mê me carré , le « rectang le di ffé re nce des de ux carrés à obte ni r
.........
-
• o,. ,. •. ,,......,__J,--, ~
d ' icelle AF et FB » le rec- é ta nt 1, o n pre ndra le produit de 4 e t
... ... , • . 1, • • • • • .

t . .. . . . . .. tangle AFTG aussi bie n que 1/4. On ne tro uve év ide mme nt a u pro-
son a ire . On reconnaît , bien blè me qu ' une se ul e so luti o n , sa ns
sûr, l' identité : avo ir décrit de méthode généra le .
(a + b) 2 = a 2 + b 2
+ 2ab
ma is o n ne pe ut pas parle r Les m a thé m ati c ie ns g recs n ' a uro nt
d 'algèbre puisqu ' il n'ex iste do nc pas in ve nté l'a lgèbre et il fa udra
aucun traite ment géné ral et atte ndre les mathé matic iens arabes du
que les calculs se bornent à x 0 s iècl e po ur a ll e r plu s lo in da ns l' a l-
fa ire inte rve nir des gra n- gè bre des sy mbo les , Vi è te a u XV Ie
de urs très particulières. s ièc le po ur gé né ra li ser ! ' usage de
À partir de Diopha nte le ttres, pui s Descartes au XV II e pour le
d ' Alexandrie (2 14 - 298) , rendre o pérato ire .
l' un des de rnie rs mathé matic ie n du
mo nde g rec, les c hoses c ha nge nt. De É.B.
type « réthorique géométrique », n ' uti -
li sa nt a uc un c hi ffre, ex prim a nt les

Ta:ngente Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ...


par Gianni Sarcone EN BREF

Étymilthologie : les nombres pris au mot


Les nombres ont une grande place dans la langue parlée et
dans les expressions toutes faites : 22, v'là les flics ; une
babiole de quat'sous, etc. Un ouvrage ne suffirait pas à toutes
les énumérer. Nous vous invitons ici à une visite éclair
étymologique qui vous permettra de (re)découvrir quelques
curiosités.
ommençons par un rien. Saviez-vous que nul
Cdérive de «un»? En effet, le mot latin unus, Les joueurs de poker ne
savent pas que l'as qu ' ils
« un » transformé en ullus, « un quelconque» a convoitent, pourrait être
abouti à nullus (ne-ullus), « aucun, nul». On une déformation du grec heis,
retrouve la racine unus également dans le mot « un » qui passé au latin
«once» (une douzième partie d'un tout, uncia, en (as , assis, m.) désignait
latin) et évidemment dans son composé « quin- « une livre».

• Le mot rebelle est étrangement rallaché au chiffre


L'o ignon, plante pota- deux. La guerre en latin se disait bellum , dom /a forme
ère sans histoire, eh ancienne duel/wu révèle sa pare/lié avec duo , « deux »;
ien , a lui aussi droit à la guerre étant l'lle comme quelque chose qui sépare
deux partis. Rebelle est donc « celui qui relance les
s, car il prend paraît-il
hostilités » car il n'accepte pas l'orcJ-e établi.
de unio, -onis, signifiant
tin « unité » ou
----------------------------------~
Douterldu lat. dullltareJ. llalanceldu lat.
erle » . 11//anld et /Jlscu/tsont tous les bâtards
du chiffre deux !

Les mots témoin et témoignage possèdent, eux, un lien avec


le radical tri , «trois», et sont issus du latin testimonium
(contraction de ter-sti-monium , « qui se tient en tiers ») ; de
même que tra vail (du lat. tripalium), qui désignait autrefoi s
un instrument de torture à trois pieux.

Essa yez maintenant vous-même de trou- Pentecôte ;


ve r le li en étymolo giqu e (ce rtifi é !) qu ' il - entre 6 et : setier, sénaire, sex tant , sieste;
ex ist e : - entre 7 et : semaine, hebdo , septentri on ;
- et enfin , entre JO et : déc imer, denrée, dîme ,
- entre 4 et : trapèze , tesselle, carré , carillon, doyen.
carême, carrefour, caserne , quattrini (mot Le Petit Robert ne sera peut-être pas suffi sant
italien) ; pour tous les trouver ! Dur, dur. . .
- entre 5 et : quinconce, quintain (mot anglais),

Hors-série n° 30 . Histoire des mathématiques ... Tcin9ente 129


HISTOIRES par Michel Rousselet

l'inuention de la
trigonométrie
Durant l'âge d'or d'Alexandrie, aux 1er et n e siècles après J.-C.,
de nombreux savants, les plus illustres étant Ménélaüs,
Hipparque et Ptolémée, reprennent et développent les
travaux de leurs prédécesseurs en géométrie, en astronomie,
en mécanique, en optique, etc. C'est à cette époque que naît ce
que nous appelons aujourd'hui la trigonométrie.
ux 1°' et 11° sièc le de notre ère, nomi e , méca nique, géographi e,

A sous l'Empire romain , la cité


grecque d 'A lexand rie connut
un véritabl e âge d 'or et vit naître de
optique, aco ustique, musique, astrolo-
g ie aussi. La plupart des traités qu ' il a
écrits ont été détrnits et seuls quelque
nombreux savants, parmi lesque ls uns nous ont parvenu par I' intermé-
C laude Pto lémée, né aux environ de diaire des savants arabes. Son œ uvre la
l'an 90 et mort vers 168. plu cé lèbre est la Composition mathé-
Pto lémée s'est intéressé à de nom- matique ou Almageste (on peut consul-
breuses disciplines : géométrie, astro- ter cet ouvrage, dans la traduction
qu 'en a fa ite en 18 16 l'abbé Halma, ur
le site Gallica de la B.N.F. http ://gall i-
ca. bn f. fr/). Almageste est un mot arabe
qui signifi e le plus grand. Publié en
l'an 140, l'A lmageste de Pto lémée a
effecti vement constitué pendant plus
de mille ans la référence essentielle en
matière d 'astronomie.

De la trigonométrie
Claude Ptolémée, dans l'Rlmilgeste
~ra\ure du
\. \'I'' siècle. L'ouvrage comprend tre ize livres, et
rassemble les connaissa nces mathéma-
tiques et astronomiques de l'époque.

Tan9ent:e Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES GRANDS THÈMES
On y tro uve, par exempl e, une descrip- appel au théorème de Pythagore et à
tion du ystème so laire, un catalogue ! 'extraction des racines carrées.
d ' éto il es, le ca lcul des éclipses, celui Les nombres sont écrits d ' une
de la précession des équinoxes, etc. faço n un peu particulière. La
partie entière est exprimée B
Dans le chapitre IX, qui s' intitule Éva- à l' ai de du système alpha-
luation des droites inscrites dans le bétique déc imal grec : a = 0
cercle, Pto lémée explique comment 1, L = 10, µ = 40, etc. Par
construire des tables de cordes en fonc- contre, les parties fracti on-
tion des angles au centre correspon- naires sont exprimées à 1' ai-
dants. Ces tables sont les plu anciennes de du système sexagés imal.
tab les tri gonométriques que nous A insi, notre nombre 1t est éga l à
connaissions, bien qu ' il soit probable
L'angle au centre
que d 'autre astronomes, Ménélaüs et 3 + 8 + 30 (ce qui représente 3, 14 166).
60 60 2 a intercepte la
Hipparque par exemple, aient pu élabo-
corde IABI.
rer et utiliser des tables sembl ables. Dans tout ce qui suit, nous dés ignerons
par la notation corde ( a) la corde inter-
« Pour la fa cilité de la pratique. nous ceptée par un ang le au centre de
allo11 maintenan t construire une table a degrés. Pour l' écriture des nombre ,
des valeurs des cordes e11 partageant nous utili serons notre notati on décima-
la circonf érence en 360°. To us les arcs le en nous limitant à six décimales
de notre table iront en crois ant cl 'un significati ves.
demi-degré, constamment, et nous
donn erons pour chacun de ces arcs la Des cordes
valeur de la soustendante, en suppo- et des angles particuliers
sant le diam ètre partagé en 120 par-
ties ..... Nous montrerons d'abord com- Pto lémée commence par ra ppeler le
me11t, au moyen cl 'un 11ombre le plus ca lcul de que lques cordes remar-
petit possible de théorèmes, qui sont quabl es, ce lles qui correspondent aux
toujours les mêmes. on se fa it une côtés des polygones réguliers de 3, 4,
méthode générale et prompte pour 5, 6, 8 et 10 côtés inscrits dans un
obtenir ces valeurs ..... cercle de rayo n R. Le tableau qui suit
Nous emploierons en général la numé- montre ces va leurs, pour R = 1.
ration sexagésimale pour éviter les
embarras des fractio11s et, dans les mul- Corde sous-tendue
tiplications et les divisions, nous pren- par l'angle supplémentaire
drons toujours les résultats les plus
approchés, de manière que ce que nous Soit [AD] un diamètre d ' un cercle de
négligerons ne les empêche pas d 'être centre O et de rayon R. Si B est un point
sensiblement justes. » (A lmageste, ~ onq~ de ce cercle, les angle -
Chapitre IX. Traduction Halma) . AOB et BOO sont supplémentaires.
Ptolémée construit ses tables à l' aide de En po ant ÂOB = a et AB = corde (a),
quatre règles et d ' un théorème auquel on a BD = corde ( 180° - a). Comme le
nous avo ns donné son nom. Les triangle ABD est rectangle en 8 , le
connaissances géométriques utili ées théorème de Pythago re permet de ca l-
sont celles qui fi gurent dans les li vres culer corde ( 180° - a) connaissant
d ' Eucl ide. Les ca lcul s numériques fo nt corde (a) :

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente 131


HISTOIRES L'invention de la trigonométrie

d'où DH = AD - AE
Nombre Valeur de Longueur 2
des l'angle du côté en
côtés au centre fonction de R=1 Le tri angle AC D étant rectangle en C,
un théo rème c lassique relati f aux
Triangle équilatéral 3 120° 1,73205 1 triangles rectangles permet d'écrire
CD2 = AD x DH d'où :
Carré 4 90° 1,4 142 14

Pentagone régulier 5 720 1,17557 1 CD2 = 2R x AD - AE = R x (A D - AB)


2
Hexagone régulier 6 60° 1 = R x (2 R - AB).
Comme BD = corde (a),
Octogone régulier 8 45° 0,765367 BC = CD = corde (a / 2 ) et
AB = corde ( 180° - a),
Décagone régulier 10 36° 0,6 18034
on obti ent fin alement :

!corde (180° - a)J2 = 4R 2 - !corde (a)l 2•


!corde (a/2)1 '
= Rl2R - cordc(180° - a)I.
Prenons R = 1 et calculons
corde ( 108°) par exempl e.
À titre d 'exempl e ca lcul ons corde
Puisque :
(36°) pour R = 1. On a :
corde (72°) :::: 0,587785, la
corde (36°) = 2 - corde ( 180° - 72°)
fo rmul e précédente
= 2 - corde ( 108°). Comme :
donne:
0 D corde ( 108°) :::: 1,6 18034, on obtient
corde ( 108°) :::: 1,6 18034.
corde (36°) :::: 0,6 18034.

Corde sous-tendue Le théorème de Ptolémée


par l'angle moitié
Cordes Le théorème de Ptolémée peut s'énon-
Considérons un cercle de diamètre
de deux angles cer ams1 :
[AD], de centre O et de rayon R. oit B
supplémentaires. un point quelconque de ce cercle et soit
C le milieu de l'arc BD. La perpendi -
cul aire à (A D) qui passe par C coupe
--- c [AD] en H. Soit E le point de
[AD] tel que AE = AB.
C étant le mili eu de
l' arc BD, on a BC = CD.
Les triangles A BC et
AEC sont égaux car il
E O H D ont un angle éga l compri s
entre deux côtés égaux
chac un à chacun. On a
donc BC = CE.
Comme BC = CD, on a
Corde de
CE = CD et le triangle EC O est iso-
l'angle moitié.
cèle en C. Par suite, H est le milieu de
Gravure du XVI e siècle
[ED] et EH = HD.
montrant Ptolémée.
Par ailleurs DE = AD - AE = 2 DH

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES GRANDS THÈMES
Si le quadril atère ABCD est inscrit d) Dan s le triangle ABE,
dans un cercle alors : AEB = 180° - (AEB + BAE)
et, dans le triangle BCD,
AC X BD = AB X DC + AD X BC. BC D = 180° - (CBD + BDC) .
On en tire AEB = BCD.
Ptolémée démontre ce résultat en cinq Les angles des triang les ABE et BC D
points. sont respectivement égaux. Ces deux
tri angles sont semblables et :

AB BE AE
BD BC CD
d ' oùAE x BD = AB x CD.

C) Comme AC = AE + EC, on peut écri-


re AC x BD = AE x BD + CE x BD.
A En tenant compte des deux égalités précé- Corde de la
demment démontrées, on obtient finale- différence de
ment AC x BD = AB x CD + BC x AD. deu, angles.

Le théorème de Ptolémée.
Corde sous-tendue par la
différence de deux angles
a) Les ang les inscrits BAC et BDC Soit [ADJ un di amètre d ' un
sont égaux car ils interceptent le même cercle de centre O et de B
arc. JI en va de même des angles ACB rayon R. Considérons
etA DB. un quadrilatère ABC D
in sc rit dans
~ Soit E le point de [AC] tel que ce cerc le. Posons
ABE = éBb .
Il en résulte : AC = corde (a) et A D
éBÈ = ÂBb. 0
AB = corde (f3).
Ex primons
C) Dan le triang le ABD ,,........_.._ BC = corde (a - 13) en
BAb = 180° - (Mm + ADB) fonction de a et de f3.
et, dans le triang le EBC~
BÊè = 180° - (CIIB
+ BCE). On a BC = corde (a - f3). En exami-
On en tire BAD= BÊè. nant la figure , on obtient facilement
Les ang les des triangles ABD et C D = corde (180° - a) et
EBC sont respectivement égaux. Ces BD = corde ( 180° - f3).
deux triangles sont semblabl es et : D 'après le théorème de Ptol é mée,
AC x BD = AB x CD + AD x BC
AB BD AD
d ' où BC = AC x BD - AB x CD.
BE BC CE
AD
On en tire :
d ' où CE X BD = BC X AD
corde (a - 13) =
corde (a) x corde ( 180° - B) -corde (B) x corde ( 180° - a)
2R

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente


HISTOIRES L'invention de la trigonométrie

Connaissant un angle, Ptolémée peut Pre nons R = 1 et ca lcul o ns pa r


exemple corde (72° + 60°). La formule
calculer la longueur d'une corde précédente permet d 'éc rire :
et connaissant une corde, il peut [corde ( 132°)] 2 =
déterminer un angle. 4 _ [ corde ( 108°) ; corde ( 120°)

En guise d'exemple, Ptolémée calcule _ COrde (72 '.') ; COrde (60°) r


corde ( 12°). Écrivant :
On en tire corde ( 132°) ::::: 1,82709 1.
corde ( 12°) = corde (72° - 60°) il écrit
corde ( 12°) =
Calcul de corde (1 °)
corde (72°) x corde ( 120°) - corde (60°) x corde ( 108°) et construction de la table
2R des cordes
Pour R = 1,
on obtient corde ( 12°) ::::: 0,209057.
Aya nt ca lculé corde( 12°), Pto lémée
ca lc ule ensuite corde(6°), corde (3 °),
Corde sous-tendue par la 30 30
corde ( ) et enfi n corde ( ) en util i-
somme de deux angles 2 4
sant la fo nnul e donnant la corde de
Soit [A D] un di amètre d ' un cercle de l' angle moitié.
30
centre O et de rayon R. Con idérons Il obti ent corde ( ) ::::: 0,026 179 et
Corde de la 2
un quadrilatère ABC D inscrit dan ce 30
somme de cerc le . Poson s A B = corde (a) corde( ) ::::: 0,01 3090 et observe que
4
deu:x angles. et BC = corde (13). 30
Exprimons AC = corde (a + 13) corde ( ) va ut sensiblement 2 foi s
2
en fo nction de a et de 13.
30
corde ( ). L' aute ur de l'A lmageste
D 'après la fi g ure, 4
BD = corde ( 180° - a) et
ca lcul e alors corde ( 1°) par interpola-
A tc------"oifc.-------4--~ D CE = corde ( 180° - 13).
Appliqué au quadrilatère
tion linéaire: corde ( 1°)::::: corde (3 ° )
in sc riptibl e BC D E, le 4
théorème de Pto lémée per- 30
+ .!. [corde{3 °) - corde( )J : : : 0,0 17453
met d ' écrire : 3 2 4
BD x CE = BC xDE + BE x CD. 10
Il en déduit corde ( ) ::::: 0,008727.
Comme ABD E est un rec tang le, 2
DE = AB . On a alors
À partir de là, et grâce à ses quatre fo r-
C D = BD x CE - BC x A B mules fond amentales, Ptolémée peut
BE construire ses tables de cordes, au prix
il est vra i de nombreuses élévations au
Le triangle AC D étant rectang le en C,
carré et d 'extrac tions de rac ines car-
on a AD 2 = AC 2 + CD 2
rées ! Connaissant un angle, il peut cal-
soit 4R 2 = corde (a + 13) 2 + C D2.
cul er la longue ur d ' un e corde et
On en obtient fin alement :
conna issant une corde, il peut détermi-
[corde (a+ 13)] 2 =
ner un ang le.
4R2 _ [ corde ( 180° - a x corde 1~~ - - corde a x cord~ ]2

Tangente Hors-série n°30 . Histoire des mathématiques


LES GRANDS THÈMES
Interprétation moderne des reusement di paru, Ménélaüs énonça it
formules de Ptolémée et démontrait deux célèbres théorèmes.
Le premier porte aujourd ' hui son nom :
Soit [AB] w1e corde d'un cercle de centre si un triangle pl an ABC est coupé
O et de rayon R. Posons AOB = 2a. par une droite en L, M et
Si H est le mili eu de [AB] on a : alors:
AB = 2A H = corde (2a) = 2 sin a. Pour LA NA x MC -
=
R = 1 et a = 2a, la première formule de LB NC MB "
Ptolémée: En notation moderne, le
[corde ( 180° - a)] 2 = 4R2 - [ corde (a)] 2 second peut s'énoncer
se transforme en : ainsi : si un triangle
[corde ( 180° - 2a)]2 = 4 - [corde (2a)]2. sphérique ABC est coupé par un grand
Mais corde ( 180° - 2a) = cercle en L, M et N alors

2 sin { l 80° - 20 ) = 2 sin (90°- a) = cos a sin LA in NA sin


2 sin LB = sin NC x MC
et corde (2a) = 2 sin a.
Ces résultats ont été repris et démon-
trés par Ptolémée dans le livre XI de
l'A lmageste. Il les a souvent utili sés
pour des calculs relatifs à la sphère
céleste.
M.R.

0 CO.-...OUTto• ••ntlUTIQO• t.rn1 f.

......... ,._ ••• ,. . . . ,,-c, • .,..


.. Un fragment des
B
tables de
l'Almageste et sa
traduction.

L'expression précédente dev ient :


cos 2 a + si n2 a = 1. On peut démontrer
de la même façon que les autres for-
mules de Ptolémée sont respecti ve-
ment équivalentes à nos formules :
sin 2a = 2sin a cos a,
sin (a - b) = si n a cos b - sin b cos a et
sin (a + b) = sin a cos b + sin b cos a.

la trigonométrie
sphérique aussi

La trigonométrie sphérique, indispen-


sable en astronomi e, est née à la même
époque, inventée probablement par
Ménélaüs au 1er siècle de notre ère.
Dan les Sph ériques, ouvrage malheu-

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente


HISTOIRES par Gianni Sarcone


Des chiffres« romains>>
au,c chiffres« arabes»
Les chiffres, tels qu'ils se présentent graphiquement de nos
jours, furent introduits en Europe par les Arabes.
Auparavant, nous utilisions les chiffres dits romains, legs des
Étrusques, aujourd'hui confinés aux plaques commémo-
ratives et aux cadrans d'horloges. Les avantages de la
numération dite arabe sur le système romain, repose sur le
« critère positionne!».

a numération romaine ne brille 1111~ ~ / ~ V


L pas par sa simplicité, ni par on
originalité, mai cela n'a pas
empêché les fil s d 'Enée d 'être d 'excel-
lents architectes ! La barn• oblique représentant le chiff°n'
5 est dédoublée pour é, iter des confu-
Les chiffres romains ont été« emprun- sions. Deu, barres obliques entrecroi-
tés » aux Étrusques avec que lques sées (2 x 5) représentent le chiffre 10.
légères modifications : sens de lecture
La barre oblique et orientation des signes, simplifica- ga uche d ' un chi ffre plus grand se
représente le tions graphiques. Les Romains y ont retranche, par exemp le : IX signifie
pouce, opposé aux même apporté une difficulté en déc i- 10 - 1, c'est-à-dire 9 ; XC signi fie
autres doigts, puis dant que tout signe numérique placé à I OO - 10, c 'e t-à-dire 90. Toutefois,
le chiffre S. cette faço n de fa ire, tardi ve, resta mal-
gré tout limitée (l e chi ffre 4 de
anc iennes horloge est I Ill et non pa
IV). À l'origine, le chi ffre 5, so it V,
n ' éta it qu ' une barre ou une coche en
diagona le, évoquant le pouce . Pour
qu 'elle ne so it pas confondue avec les
1 Il Ill 1111 1111" autres chiffres représentés par des
barres verticales, la barre oblique du
chi ffre 5 a été dédoubl ée.

13 Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


LES GRANDS THÈMES

Il ne faut pa oublier que les collines Écrivons quelques


du Latium étaient, à l' orig ine, de buco- XIV = 14 XXIX = 29 XL= 40 nombres à la
MCMXCVII = 1997
liques pâturages. Le rustique Romain, mode des Latins.
à ! ' esprit pratique et plein de bon sens, Pour former un
188 ou V= 5000 CCl88 ou X= 10000
n ' ava it besoin que d ' un systè m e nombre, il suffit
simple po ur compter son bétail. Une lffil= 300000 IXI= 1000000 d'additionner (ou
coche droite sur un bout de bois = 1 de retrancher, si
bête ; une coche en di agonale = 5 elles sont placées à
bêtes ; une coche en X (deux diago- tir du Moyen-Âge, les savants inventè- gauche) les diffé-
nales entrecroisées) = 2 x 5 bêtes, etc. re nt une notation spéci a le : par rentes valeurs de
C'est ce que nous appelons un système exemple, « l /2 » s ' écrivait avec la base. Au-delà de
analogique (le nombre de traits, de lettre S (abréviation de sesqui, « (et) 1 000, il existe dif-
boule ou encore de perles correspond demi »). Fermon ce c hapitre avec un férentes méthodes
à un nombre qui « quantifie » et « qua- j eu : prenant en cons idération tout ce de transcription.
lifie » do nc l' obj et compté). All ez trou- qui a été dit sur les chiffres romains,
ve r plus impie ! que sig nifie le sigle SIX ? Non pas 6,
vous le subodorâtes, mais 8,5 (9 - 0,5) !
Les chiffres romains
de so a 1ooo

Les chi ffres ro mains de I à 10 n'ayant


plus de secrets pour nous, passons à
l'étude des autres unités ( du 2°, 3° et 4°
ordre). Nous savons maintenant que la
numération romaine est une macédoine
des ys tèmes décimal et quinaire. Les
chi ffre 50, 1OO, 500 et 1 000 sont
donc notés par des signes spéci aux : L,
C, D et M. Ces s ignes, ou plutôt ces
lettres, seraient-elles des abrév iations
(C étant la premi ère lettre de cent et M,
de mille)? Que nenni ! Essayez de
tro uver une relation entre L et 50 !
Puis, entre D et 500 ... Ne cherchez
pas, ces lettre -chiffres ont des simpli-
fi cations de symbol es trè ancie ns (cf
fi gure ci-dessous).

Enfin pouvait-on transcrire les frac-


tions avec les chiffres romains ? À par-

L= 50
Métamorphose dans le temps des signes-
..__~ -.i..__ _, C = 1OO chiffres en lettres-chiffres : les chiffres
D = 500 romains L, C, D et 1 sont les descendants
des signes V et X modifiés (barrés, inscrits
M = 1000 dans des cercles ... ).

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente


HISTOIRES Des chiffres romains ...

écrire quatorze, ils accolaient le signe


conventionnel IV (soit 4) au signe X
(soi t 10), ce la donnait X IV. Pour écrire
trente, ils alignaient trois X à la suite
(3 x 10) a insi : XXX, etc.

Calculer auec les chiffres


romains : mission Impossible
Les Romains n'ont jamais pensé se
servir des chi ffre pour le ca lcul , on les
comprend ! li s ava ient pour cela des
abaques spéc iaux. Ce n'est qu'avec
l' introduction du zéro que le ca lcul
avec le chi ffres a pu être envisagé. En
effet, le zéro n'est pa constitué que de
vide, mais joue le rôle de « réserve ur
de pl ace » dans les systèmes de numé-
ra ti on positionnels.
Système additif romain uersus Alors que l'église diabolisait le zéro
système de position Indien jusqu 'à la fin du XIVe sièc le, ce
« chi ffre» était connu des Orientaux
Ce système hérité des romains fut depuis belle lurette. C'est qu' ils ont
abandonné au profit de la numération (' habitude du vide et du néant protéi-
« arabe », dont les avantages repo- fo rme ; ce chi ffre bien spéc ial est bap-
saient sur le « critère positionne( ». ti sé Sifr chez les Arabes (ce qui a
Les premi ers à tirer profit des chiffres donné le mot « chi ffre »), Wu chez les
arabes furent les comptables dont les Taoïstes, Ma chez les Japonais ou
livres de comptes seront par la suite encore Shunya chez les Indi ens. Là où
passa blement allégés. Ce sont eux nous ne voyons que du vide, pour ne
d 'ailleurs, les braves, qui diffuseront pas dire rien, eux, ils y voient un espa-
ce nouveau système de numération . Eh ce « en négati f». Force est de consta-
oui, nos chiffres actuels ont le produit ter que l ' Occidental n'est pas porté par
de tout un peuple de marchands. nature sur le Yoga, le Yin-Yang ou le
Non-Agir ! Mais la communion de la
Grâce au zéro, les systèmes de numé- pensée mystique orientale et de la pen-
ration utilisant le critère positionne( sée cartésienne de (' Occ ident a permi
purent voir le jour. Nous avons vu que la naissance de notre système déc imal
les Romains utilisa ient un système actuel. Ce qui est déjà pas mal, après la
numéral additif, c'est-à-dire que pour roue et le fe u . ..

fig. 1 152
11007,04

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques


Chaque chiffre avec quatre chi ffres plus le zéro, etc. En
possède son •grade• ba e supérieure à 10, on « invente » de
no uveaux chiffres . A ins i, en hexadéci-
Dans un système de positio n, chaque mal, système fréquemment utilisé en
chi ffre occupe une place précise dan info rmatique, les chiffres sont 0, 1... 9,
un nombre. Pour un nombre entie r, en A (qui «vaut » di x), 8 , C, D, E et F
parta nt ve rs la ga uc he, le pre m ier (qui nze).
chi ffre est affec té de sa propre vale ur,
le deuxième d ' une va leur 11 fo is upé- Mai ce qui est extraordinaire, c' est que,
rie ure (11 étant la ba e de numération quelle que soit la base choisie, on peut
da ns laq uell e on trava ille : 10 o u 2, o u calculer de la même faço n. Addition en
autre), le tro i ième d ' une valeur 11 2 fo is colonnes, retenue lorsque le résulta t
plus grande, etc. Plus o n s'élo igne atteint ou dépasse la base, etc.
vers la gauche du nombre, plus le
chiffre « prend du ga lon ». G.S.

Pre no ns 1'exemple représenté en fi g ure


1-a (page 126). J 52 en base di x n ' est
qu ' un racco urci de :
( X ( 02 + 5 X ( 0 I + 2 X ( OO.
De même, le no mbre déci m a l
11 007,04 (figure 1-b), est l' acronym e
de ( X ( 0 4 + 1 X ( 0 3 + 7 X ( OO +
4 x 10-2. ous voyon avec ce qui pré-
cède que, comme au jeu des chaises
mus icale , le zéro, bien qu 'ayant une
valeur null e, peut prendre la place d ' un
chiffre . Ainsi, le chi ffre pl acé à gauc he

fig. 2

c)

d'un zéro est pro mu à un ordre supé-


rieur.
Le système est identique avec une autre
base. Dans un système binaire, 10 11 0
do it se comprendre I x2 4 + 1x2 2 + 1x2 1
et vaut 22 en base déc imale. Noto n au
passage que le nombre de chi ffres (en
comptant zéro) utilisés dan s une base
est to ujours égal à la va leur de la base
en question. Pour écrire un nombre en
base 10, il fa ut di x chiffres en incluant
le zéro. Les calculs en base 5 se fo nt

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques Tangente 139


HISTOIRES par Robin Jamet

Les naissances multiples


du zéro
La naissance du zéro ne s 'est pas faite en une fois , loin
de là. Le zéro est une création collective mondiale, fruit
de nombreux inventeurs éparpillés sur tous les conti-
nents, et pour la plupart anonymes.
( il s so nt apparu s au ,er sièc le avant

D
epuis le simple marquage d' un
emplacement an chiffre chez Jés us-Chri st) : V, X , L , C ... remp la-
les Babyloniens jusqu 'au zéro cent des ribambelles de traits qui
que nous connaissons, il s'est écoul é seraient devenus très rapidement illi -
presque mille ans ! Tout ava it com- sibles. Ce type de numération , le plu s
mencé par l' invention du chiffre. Les courant pendant longtemps, a le grave
premiers chiffres furent des symboles défaut de prendre de la place et de néces-
utili sés pour regrouper les bâton s qui ite r toujours de nouveaux sy mbo les.
servaient à compter. Très naturelle- Ainsi , les Égyptiens, qui ava ient auss i
ment , ces regroupements se firent par adopté le système décimal, disposaient
paquets de 5 ou de 10, pui squ ' une main de sept sy mboles, pour représenter 1,
compte cinq doigts et les de ux main s 10 , ... , ju squ 'à un million , mais au
dix . Le système décimal était né. Nous del à, il s ne pouv aient plu s éc rire de
connaissons tous les chiffres romains, nombre. Et pour écrire le plu s grand .
mai ces derniers furent parmi les plus 9999999, il s ava ient beso in de
tardifs à fonctionner selon ce modèle oixante-trois caractères !
Une idée géniale avait pourtant été trou-
Une idée géniale, trouvée indépendam- vée, indépendamment , par les
Babyloniens ( 1 800 ans ava nt Jésus-
ment par les Babyloniens, les Mayas Christ), les Mayas (entre le ve et le ,xc
et peut-être les Chinois et les Indiens, sièc le), et peut-être les Chinois et les
permettait de se contenter d'un petit Indiens (environ deux siècles avant
Jé us-Chri st) . Elle permettait de se
nombre de symboles en attribuant au contenter d' un petit nombre de symboles
même symbole différentes valeurs en attribuant au même sy mbole di ffé-
suivant son emplacement. rente valeurs suivant son emplacement.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


1
LES GRANDS THÈMES

Les ambassa-
deurs (détail),
Holbein, 1533,
National Gallery,
Londres.
Le livre d'arithmé-
tique représenté
est l'ouvrage de
Peter Apian publié
en 1527 et intitulé
Eyn Newe unnd
wohlgegründte
underweysung
aller
Kauffmanss
Rechnung
(Nouvelles et com-
plètes instructions
pour tous les cal-
culs mercantiles).
C'est la numération de position , que premier groupement de symboles à droite
nous employons encore aujourd ' hui : le représente un nombre entre 1 et 59, que le
chiffre I vaut IOO dans 143 et 1 dans 2 1. deuxième est entre 60 et 3 599, et ainsi de
suite.
Des clous ... et des cheurons Mais cette numération , si elle marque à
coup sûr un progrès déc isif sur le
Les Babylonie ns , pre mie rs « in ve n- nombre de symboles à employer pour
teurs » , n' utili sa ie nt qu e de ux sy m- écrire des grands nombre , entraîne
boles, le c lo u e t le c hevro n . On encore des ambiguïtés. Par exemple , si
commence par co mpter avec des clous on écrit un chevron tout seul , que signi-
de 1 à 9. Pui s o n utili se un c hev ron fie-t-il? 10 ou 600? Et trois clous repré-
pour le dix, de ux po ur le vin g t , etc. sentent-il 3 (trois clous côte à côte), 62
On po urra it ai nsi continue r jusqu'à (un clou tout seul pui s deux groupés),
cent , mais pour év ite r les confu ions 12 1 (deu x clous pui s un tout seul ),
(ou en rajouter?) , la numération baby- 366 1 (troi s clous séparés)? Tout dépend
lon ienne reprend le clou pour marquer de l'espacement entre chaque symbole,
60 . Ain i, chaq ue no mbre de 1 à 59 et du contexte. Une erreur peut donc vite
est représe nté par une confi gurati on aniver, ce qui aurait des conséquences
unique de clous précédé de chevrons. particulièrement cocasses si elle concer-
Pui s on repart avec un clou , des che- nait , par exemple , le montant d ' un
vrons et des c lo us jusqu'à 120 (deux compte en banque !
clo us) e t a in si de suite jusq u 'à 600 ,
qui au lieu de di x clous , est à nouveau Qui a inuenté le premier zéro ?
représenté par un chevron .. .
Formidable ! On peut dès lors compter Jusqu 'au af iècle avant J.-C. , les
aussi loi n que l'on veut, avec seulement Babyloniens se contentèrent pourtant de
deux symboles! Il suffit de savoir que le cette écriture , e n laissant des espaces

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangent:e


HISTOIRES Naissances multiples ...
suffi samme nt larges e t est , au graphi sme prêt , celle dont
e n se re posant sur le l'Occident va hériter quelque sept siècles
bon e ns du lecte ur. E t plus tard grâce à l'entremise de la civili-
puis il e ure nt l' idée sation arabo-musulmane. Les savants
toute s imple de note r, indie ns sont les pre miers à adopte r le
avec de ux c lou s e n bon nombre de symboles de base : s i le
bi a is, les e mplace me nts I décalé d ' un cran vaut 10 , alors il faut
vides. Plus de confusion neuf sy mbo les di stincts po ur le
po ss ibl e, mê me s i la nombres intermédiaires , neuf dess ins
notation restait fra nc he- bien diffé re nts les uns des autres, pour
ment lourde. Le pre mier supprime r les ré pétitio ns qui alourdi s-
zéro de ) ' hi stoire de sent la nota tion . Et e n plu , év ide m-
l'humanité était né. me nt , un dernie r c hiffre pour marquer
Au me s ièc le, les l'absence de quantité d ' un certain rang,
Chinoi s, qui ava ie nt le zéro .
égale me nt adopté une Le voic i enfin , ce O magique qui , lié à
Les nombres de t à 59 numé ration de pos itio n , la numératio n de pos itio n , pe rmet de se
dans la numération marquère nt les e mplace- libé re r des c hiffres romain s (avec les-
babylonienne. me nts v ides pa r un quels mê me l'addition est compliq uée,
point , pui s pa r un pe tit essayez donc!). L'écriture des nombres
rond , m a is o n ne sa it pas s i le ur sys- dev ie nt pe u e ncomb ra nte, an équi -
tè me est une véritable« in ventio n », o u voque, e t la vo ie est o uve rte aux
s i )' idée le ur est venue de la c ivili satio n no mbres négati fs.
ba by lo nie nne. La c ivili sati o n m aya, A u Vil e s ièc le, l' hi sto ire du zéro est
confrontée a u mê me problè me tro uva presque finie. Les travaux d ' un mathé-
la mê me so luti o n to ute e ul e mati c ie n , Bra hmag upta, atteste nt la
(Chri sto phe Colo mb n 'était mê me pas présence d ' un véritable zéro, qui est
né) : un sy mbo le spéc ial, une sorte de no n seule me nt le chi ffre marquant l'ab-
coquillage, s ig nale l'absence de c hiffre sence, ma is un véritable nombre , résul-
à un certain ra ng. tat de l'opératio n 5 -5, et accompagné
M a is le zéro , no tre zé ro , n 'éta it pas des règ les de ca lcul to ujo urs e n cours
e ncore véritable me nt né . Pour no us, il dans l' algèbre. Le zéro est , dès cette
est bea ucoup plu s qu ' une s imple é poque, sans que la te rmino log ie ne
m arque, il est un c hiffre pa rmi les so it introduite, bi e n sû r, l'é lé me nt
a utres et il a égale me nt une fonctio n de neutre de l'addition et l'é lément absor-
no mbre, pui squ ' il inte rvie nt dans des ba nt de la multiplicati o n do nt il
opératio ns au mê me titre qu ' un autre. dev ie nt le seul élé ment no n inver ible.
Patie nce ... à fo rce d ' utiliser leur petite
ma rque, nos a ncêtres vont bie n finir Quel qu e soit le n ombre a,
par compre ndre to ute sa pui ssance! li O+a = a+ O= a ;
fa ud ra to ut de mê me atte ndre le ve Oxa =axO =O
s ièc le po ur que le pas soit franchi . a / 0 es t imposs ibl e ...
Au carrefour de diffé re ntes civ ili satio ns
avancées, l' Inde bé néfic ie de to utes les M ais ce sauveur n'est pas encore arrivé
connaissances élaborées autour d'elle . Sa dan nos contrées reculées et arriérées.
numé ration , mi se au point e ntre le ae En Europe, o n écrit e ncore avec des
siècle avant Jé us-Christ et le ,ve siècle chi ffres romains, e t o n calcul e sur des

Ta.ngente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


LES GRANDS THÈMES

Au carrefour de différentes civilisations


avancées, l'Inde a, dès le Ir siècle, une
numération comparable à celle dont
l'Occident va hériter quelque sept siècles
plus tard.

si ce n'est des siècles d ' avance sur eux.


Le zéro débarque enfin vraiment en
Europe , avec l'ensembl e des chi ffres
« arabes». Le mathé matic ien et com-
merçant italien Fibonacc i (dit Léonard
de Pi se) voyage auto ur de la
Méditerranée et ramène avec lui le nou-
vea u systè me. En 120 2, dans le Liber
Abacci, il 'adresse aux pe rso nnes les
plus directement intéressées : les com-
merçants. Pour eux, la nouvelle numé-
ration est un fo rmidable gain de temps
et d 'énergie : les calcul s se implifient ,
! 'écriture est plus ramassée. Cependant
son adoption n'est pas instantanée : o n
est trop habitué aux bouli e rs , e t cer-
ta ins se mé fi ent de ces in ventio ns
venues de mécréants. Même longtemps
Les nombres de après, le zéro mettra du temps à acqué-
1 à 20 dans la numération maya. rir un statut de no mbre à part e ntiè re ,
même pour les mathé matic ie ns :
abaq ues. Heureusement les Arabes comme les négati fs, ou plus encore les
entrent dans une période parti culière-
nomb res complexes, il n 'est pas pré-
ment fas te de cultu re , d 'ouvertu re et de
sent dans toutes les généra li ations , il
con naissa nce . Il s ado ptent bi en vite
est ignoré par exemple comme solution
cette numération si pratique , et la di ffu-
d 'équations . li est si d ifficile de l' appré-
sent pendant leur période d 'expansion .
hender ! Qu i aurait imag iné ce la de ce
Juste avant l'an mil , Gerbert d ' Au rill ac,
petit nombre qui nous semble mainte-
futur pape , tente sans grand succès de nant si nature l !
l' im porter e n Euro pe . Aux x11°, XIII e
R.J.
sièc les enfin , des savants tradui sent les
textes arabes qui s'avèrent à des an née ,

Évolution
de la graphie
des chlffres indiens.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente


HISTOIRES par Hervé Lehning

l'infini,
potentiel ou actuel 7
Les anciens Grecs ont montré une grande prudence en ce qui
concerne la manipulation de l'infini. Pourquoi ? Retour sur
une notion délicate et riche en paradoxes.

Zénon! Cruel Zénon ! Zénon d 'Élée! ette strophe du Cimetière marin

M 'as-tu percé de ce fle jlèche ailée ? C de Paul Valéry fait écho aux para-
doxes que Zénon d'Élée fabriqua
pour réfuter les modèles continus et dis-
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas! crets du temps, et finalement de toute
mesure. L' infini est au cœur de chacun .
Le son m 'enfante et la flèche me tue !
le lièure souleué par la tortue
Ah! Le soleil ...
Quelle ombre de tortue ! La to rtue a un stade d 'avance sur
Ac hill e ma is court di x fo is mo in s
Pour l'âme, Achille immobile vite. Il s'élance à sa pours uite et par-
à grands pas! court le stade, croyant l' avoir rattrapée
à cet in stant. Le pre mi e r de notre
lon gue suite. Appe lons- le l' instant 1 !
Hé las, la tortu e est to ujo urs deva nt
lui , à un di x iè me de stade . Achille
re part et se trou ve très vite o ù la
tortu e éta it à l' in sta nt 1. In stant
2 ! Il ne l'a toujours pas atte inte!
La malédiction se poursuit. Qu and
il e trou ve o ù était la tortue à I' ins-
tant 2 , e ll e e n es t parti e. In stant 3 !
L' hi stoire se poursuit a in s i. Achill e
doit vivre une infinité d ' instants sans
même rejo indre la tortue!

1e n°30. Histoire des mathématiques ...


LES GRANDS THÈMES

la vision d'Euler
Euler évite la méthode d'exhaustion en considérant que le nombre :
1 1 1
x= 1 +- + - - + - - - + etc.
10 100 1000

a un sens et peut être manipulé comme les autres. En le multipliant


par 10, nous obtenons : 1ox = 10 + x. Le nombre x est donc solution
d'une équation du premier degré, qu 'il est facile de

'
resou . : x = -10 .
d re. On en d e' d mt
9
Cet argument demande certaines précautions pour être utilisé, ce qui
justifie les prudences des anciens Grecs. Par exemple, si :
x = 1 + 2 + 4 + 8 + 16 + etc.
alors : 2X = x - 1. En résolvant cette équation, nous obtenons : x < o
ce qui est absurde. La notion de somme infinie (actuelle) doit donc
être précisée, ce qui sera l'œuvre du XIXe siècle.

Cette hi sto ire d 'Achille courant après les deux infinis : actuel et potentiel
la tortue , Zénon la renouvelle avec une
flèc he qui ne peut atte indre sa c ibl e. Les mathé matic ie ns de I' Antiquité
Bien entendu , Zéno n n 'a jama is pré- résolurent ce paradoxe en refu sant toute
tendu que le mouvement n'ex istait pas. ex iste nce à la notion d ' infini actue lle ,
Il vo ul a it soulever la cont radi ctio n celle qui consiste à penser les nombres
contenue dans le mo t : un in stant. e ntiers dans le ur ensemble par
Cette idée est une fi cti o n . L' in stant exempl e. Il s pré fère nt parle r d ' infini
n'ex iste pas. Il ex iste seul e me nt des pote nti e l : to ut no mbre pe ut être
interva ll es de te mps très courts. li est dé passé, en lui ajoutant une unité , par
imposs ibl e que no us vivio ns une in fi- exempl e. L' uni vers est illimité, pas
nité d ' instants dans notre vie , ma is ce infini . Ainsi, Euclide n'affirme j amai s
n'est pas le cas. Avec la notion d' inter- que )'ensembl e des nombres pre miers
valle de temps, il est fac ile de résoudre est infini . Il é nonce :
ce paradoxe. En termes modernes, nous
écri vons impl ement : Les nombres premiers sont plus nom-
breux que toute multitude de nombres
1 1 1 10
1 +JO+ 100 + 1000 +etc.=9 premiers proposés .

No us n ' in s isto ns pas ma is Archimède Sa démonstration suit d'ailleurs exacte-


sava it déj à ca lculer des sommes de ce ment cette idée. Con sidéron s un
type (vo ir l'arti c le Archimède, le qua- nombre premier, 13 par exemple et fo r-
draJeur). Il év ita it to utefo is so igneuse- mons le produit des nombres premiers
ment la noti on d ' infini sou s-j acente in fé rie urs . En lui ajoutant une unité,
dans les paradoxes de Zénon. nous o bteno ns :

Hors-série n° 30. Hstoire des mathématiques ... Tangente


1
HISTOIRES L'infini, potentiel ou actuel?

N ( 13) = 2 x 3 x 5 x 7 x 11 x 13 + 1. méthode d 'ex haustio n (dans le sens


Di visé par 2, ce no mbre a po ur reste 1. d 'épui sement des cas). Pour ex pliquer
Il n 'est donc pas di visible par 2. Il e n cette méthode , preno ns un exemple
est de mê me par 3, 5 , 7 , 9, 1 1 e t 13 . moderne , celui de la somme rencontrée
N ( 13) n 'est donc di v isible par auc un précedemment. Admettons qu 'e lle
des nombres pre miers inférieurs à 13. ex iste e t noto ns la x. Nous co njec tu -
Pourtant , comme tout nombre, N ( 13)
est soit premi er, soit admet un fac te ur rons qu 'elle vaut __l_Q_ pour des raisons
premier. Dans les de ux cas, no us trou-
9
vo ns un no mbre pre mie r plus grand liée à une visio n ac tue lle de l' infini ,
que 13 . Ce ra isonne me nt pe ut être par exemple celle d 'Euler de ux millé-
re produit avec to ut autre no mbre pre- naires plus tard (vo ir l' encadré La
mie r. Nous e n dédui sons le théorè me vision d 'Euler). Nous mo ntrons en uti -
d 'Euclide. lisant des sommes finies que le hypo-
thèses :
10 10
la méthode d'exhaustion x > - et x < -
9 9
C e re fu s de l' infini ac tue l a contraint et sont to utes les de ux a bsurdes (vo ir
les Grecs anc iens à une certaine gym- ! 'arti c le Archimède, le quadrateur)
nastique qu and il s j o ng le nt avec l' in -
fini . En termes modernes, cec i rev ient . que : x
pour en de'dUire = -10 .
à admettre l'ex iste nce d ' un no mbre S
9
pui s de montrer, par l'absurde, qu ' il ne Ainsi, les anc iens Grecs réuss issa ient à
pe ut qu 'être éga l à un nombre donné x utiliser l' infini en n 'ex primant que des
e n supposant success ive ment x > S e t sommes fini es.
x < S . Cette méthode porte le nom de H.L.

Tangente Hors-série n°30. Histoire des mathématiques ...


parG. Samte et M. lbl99PW EN BREF :

XVII, un nombre pas


LES CODES CHIFFRÉS
DE L'ANTIQUITÉ trop fréquentable
En Europe, dans !'Antiqu ité, parallèlement
aux chiffres romains, il était relativement fré-
Certains consûUrent le nombre 13
quent de rencontrer d'autres systèmes origi-
comme néfaste. Toutefois, chez les
naux pour noter les chiffres. Nous vous en
Romains, c'est le nombre 17 qui détenait
proposons un , que nous trouvons esthétique cette triste réputation. Pourquoi? Parce
et simple. Les chiffres de ce système, appe- que XVII avait comme anagramme V1Xl
lés notae elegantissimae, permettent d'écrire qui signifie «j'ai vécu»! Pour ma part,
des nombres jusqu 'à 9 999 . les nombres porte-malheur sont le 30 et
le 31, dates des échéances mensuelles ...
Ces chiffres sont très visuels et constituent
un excellent support mnémotechnique ou de
De gustibus coloribusque
triche ... avis aux profs!
non disputandum.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 50 60 70 80 90

r~
IOO 200
~
300
r 1·
400 500
11
600
r Pr 1 i 1 ~ ·1
700 800 900
1
1~ ~ 9
1000 2000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000

L ~ ~ k 1, L h 6 J ~ ~ Â .1 J rl d
21 mars 1997
s'écrira ainsi : 1
11
-f (\ L.tJen r 11
=K = 1414 soit les quatre premiers
chi ffres de raci ne de 2.

Le système géocentrique
de Ptolémée
Arist_ote avait imaginé que tous les astres visibles - cinq planètes, la Lune et le
Soleil - se meuvent sur des cercles fixes centrés sur la Terre. Cette
hypothèse dut être abandonnée car certaines observa-
tions ne cadraient pas avec elle : l'éclat de la planète
~ars par e~emple ~'~st pas constant et cette pla-
nete connait des periodes de mouvement rétro-
grade (on la voit aller en «arrière »). Hipparque
et Ptolémée ont donc conservé l'idée des
orbites _ci~culaires mais les ont placées de
façon d1fferente. La Lune et le Soleil tournent
autour de la Terre qui occupe le centre de
l'Univers mais les planètes se meuvent sur un
premier cercle dont le centre décrit un second
cercle ayant la Terre pour centre .
. ~e systè~e géocentrique de Ptolémée :
Cett~ v1s10~ ~e I U~1vers ne fut remplacée par le
systeme hel1ocentrique de Copernic qu'en 1543,
après la mort de celui-ci .

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente


HISTOIRES par Alain Scharlig

l'abaque grec et la calculette



romaine
Abaques et calculettes : tels étaient les dispositifs inven-
tés par les Grecs et les Romains anciens pour représenter
les nombres afin de les additionner ou les soustraire.

n entend souvent évoquer Grecs, presque rien de ceux des

O « l' invention du zéro » comme


un événement majeur de l'hi s-
toire du calcul. Mais ce n'est pas tant le
Étru sques, et un peu plu s de ceux des
Romains qui ont duré jusque loin au-delà
de l'an mil.
zéro que l' en emble de la numératio n
dite arabe qui a marqué un tournant : Tablettes mésopotamiennes
grâce à elle on pouvait enfin calculer en
écrivant les nombres, alors que le On a retrou vé e n Mésopotamie d ' in-
Tablette babylo- numérations précédentes ne le permet- nombra bl es tabl ettes portant des
nienne représentant taient pas, et nécess itaient divers dispo- comptes en chiffres et en lettres cuné i-
le calcul de la racine sitifs sur lesque ls on représentait les fo rmes, qui ne comportent que des
carrée de deux. nombres pour les additionner ou les rés ultats . Co mme les chiffres cuné i-
1 70 0 ans av. J.-C. soustraire . formes ne se prêtent pas au ca lcul écrit ,
Yale Babylonian C' est de ces di positifs que nous allons o n pe ut supposer que les ca lcul s à la
parler, en nous limitant à la Méditerranée base de ces comptes ont été réalisés au
Collection (YB7289).
et au Proche-Orient. On ne sait presque moye n de ca ill o ux, sur des surfaces
Photo © Bill
rien de ceux qui étaient en usage en pl anes que no us appe lons mainte nant
Cassel man.
Mé opotamie, et rien du tout en ce qui des abaques . Ma is on n'en a aucune
concerne les Égyptiens ; on sa it en preuve . Un seul indice est parfo is men-
revanche beaucoup de ceux des anc iens tionné : il est contenu dans une sorte de
catalogue sumérien des profess ions, les
L' œil humain ne peut dénombrer instanta- listes Lu , datant du début du deuxième
millénaire avant notre ère et rédigé en
nément que quatre objets au maximum. Au- sumérien et en babylonien anc ien.
delà de quatre, il doit les compter d' une Certains pen ent y déceler la description
manière ou d' une autre. d ' un calculateur dont l' instrument pour-

Tangente Hors-série n°30 Histoires des mathématiques ...


LES GRANDS THÈMES

rait être un abaque. Enfin , nombreux sont une colonne (que ce oit celle des unités
ceux qui voient dans les mots grecs abax ou celle des di zaines, des centaines, et
et abakion la racine sémitique alxq, qui ainsi de suite), pui s la quantité 5 par un
désigne la poussière, ce qui les incite à cailloux dans une colonne ou un empla-
penser qu 'avant les Grecs certains peuples cement adjacents que nous appelons qui-
du Moyen-Orient connaissaient le calcul naires , et les quantités uivante par un
au moyen de cai lloux sur un abaque tracé caillou 5 en position quinaire et la quan-
dans la poussière. Un support fugace par tité voulue d 'autres cailloux dans la
excellence, dont il ne reste év idemment colonne de base correspondante. Les
nen. abaques à colonnes quinaires sont dits à
colonnes alternées, et ceux qui ont un
Pas plus de quatre emplacement quinaire en tête de chaque
colonne sont dits à colonnes décimales.
Les anciens Grecs nous ont en revanche Le phénomène exploité ici par les Grecs
laissé une trentaine d 'abaques en marbre - et déjà connu des Égy ptiens, qui ne
- c'est dans le ur littérature que le mot l' ont to utefo is mi s e n valeur que dans
abaque apparaît - très lourds et encom- le ur numération - est le fa it que l'œ il
brants , qui nous amènent à supposer humain ne pe ut dénombrer instantané-
qu ' il s en ava ient surtout en boi s pe int , ment que quatre objets au max imum ;
et qui nous permettent de déterminer de et qu 'au-delà de quatre, il doit le comp-
surcroît comment ils exécuta ie nt leurs ter d ' une manière ou d ' une autre. C 'est
opérations au moyen de cailloux. ce qu 'on appelle le pas plus de quatre.
Ces opérations re posaient sur l' utili sa- Les fi gures I et 2 permettent de com-
tion de la quantité 5 comme une sorte prendre l'astuce : avec la position qui -
d'auxiliaire : on représenta it les quanti - naire du jeton 5, on peut déchiffrer d'un
tés de I à 4 par autant de caill oux dans coup d 'œil la quantité représentée, de I à

Histoires des mathématiques ... Hors-série n°30 Ta.ngente


HISTOIRES L'abaque grec ...

• • 9. Fig. 1 Les quantités 1 à 9, tra-


duites par des cailloux dans une
colonne de base (celle de droite)
2 3
et dans sa voisine quinaire (à

• gauche) sur un abaque à colonnes


alternées. On les lit facilement
d 'un coup d 'œil après un mini-
mum de pratique.
4 5 6

7 8 9 •
• • • • •

••• •• ••• ••

1 2 3
•4 5 6 7 8 •9
Fig. 2 Les mêmes quantités qu'à la figure précédente, traduites cette
fois dans une colonne quelconque d'un abaque à colonnes décimales.
Les carrés gris sont les emplacements des chiffres définissant la
colonne, comme on les voit à la figure 3.

50050 5

500100 50 5
10 1
r1Hr'16f' 1
••••

100 10 1

Fig. 3 Les colonnes 1 à 500 d ' un abaque grec à colonnes alternées (à


gauche), et les colonnes des unités, des dizaines et des centaines d 'un
abaque grec à colonnes décimales (à droite) ; les deux fois c'est le
nombre 87 qui est représenté. Les chiffres arabes, en haut et en bas des
illustrations, sont un sous-titrage de notre cru et donnent en même
temps la clef pour comprendre les chiffres grecs : un trait vertical pour
l'unité ; pi, initiale de pente, pour 5 ; delta, initiale de déka, pour 10 ;
un delta dans un pi, représentant 5 x 10, pour 50 ; èta, initiale
archaïque de hekaton, pour 100 ; et enfin, pour nous arrêter là, un èta
dans un pi, représentant 5 x 100, pour 500.

Tc:in9ente Hors-série n°30 Histoires des mathématiques ...


LES GRANDS THÈMES

C'est l' occas ion d ' illustrer ce que nous L' hi stori en du calcul imag ine fac ile-
avons dit du calcul écrit impossible dans ment co mme nt o n y faisait une addi -
les numérati ons anc iennes. Vo ici deux ti o n o u un e soustrac ti o n : e ll e
nombres (376 et 438) écrits en numéra- resse mble en effet très fo rte me nt au
tions grecque et romaine, la seconde boulier j aponais, et les chiffres gravés
ayant été calquée sur la première en ne sur chaque co lonne dés ignent c laire-
modifiant que les signes (les deux struc- ment les unités, les di za ines, les ce n-
tures sont donc identiques). Regardez taines et ai nsi de suite. Ma is e lle est un
alors la version romaine - la plus acces- pe u plu s dé li cate à utili ser que
sible à tout un chac un - et de mandez- l'abaque , car le surnombre possible sur
vous comment vo us additionneriez ces celui -ci - la présence provi soire de plus
deux nombres par écrit. .. dans le sable, de quatre ca illoux dans une colonne - y
car le papier n'ex istait pas et le papyrus est matérie lle ment interdit comme on
était hors de pri x pour servir de pourra le voir e n compara nt les deux
brouillon . La cause est entendue ! encadrés.
Au Moye n Âge, le ca lcul par les jetons
HHH~.6..6.r11 HHf-t1.6..6..6.r1111 s'est pe rpétué. Et on retro uve un
CCCLXXV l + CCCCXXXVllJ.

Le peu qu 'on a retrouvé des Étrusques


ne nou permet pas de savoir comment
il s calcul a ie nt. Mais cela n'est pas
gênant , puisqu 'on considère que ce ont
eux qui ont transmis le ca lcul grec aux
Ro mai n . On se dit alors qu ' il s
employa ient vra ise mbl able ment les
méthodes des uns ou des autre ...

les Romains et leurs cailloux


Les Roma in s ca lcula ient certainement
au moyen de ca illou x, ce que de nom-
breux indices permettent d 'affirmer (ne
serait-ce que notre mot calcul , qui vient
à l'év idence du latin calculi qui signifie Reconstitution de la calculette romaine conservée au
ca illoux). M a is il s ne no us o nt pas Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale à
laissé d 'abaques ; o n fait alors l' hypo- Paris. Les boutons du haut sont les quinaires, ils
thèse que ceux-c i étaient to us en boi s « comptent » lorsqu' ils sont abaissés. Ceux du bas
ou tracés à la craie. Et ce qu ' on trou ve sont les unitaires, ils « comptent » lorsqu'ils sont
dans les fouilles, de même que quelques levés. L'unité de compte est l'as, et les deux colonnes
rares bas-reliefs, donne à pe nser que de droite sont consacrées à ses subdivisions (comme
peu à peu les ca ill oux o nt été re mpl a- il vaut douze onces, la colonne de ces dernières com-
cés par des jetons. porte exceptionnellement cinq boutons). On lit
Ce que les Ro ma in s nou s o nt e n ensuite de droite à gauche la valeur en as de chaque
revanche laissé de plu s que les Grecs, colonne : 1 , 10, 100, et ainsi de suite jusqu'au mil-
c'est une curieuse calculette en bronze lion. Réalisation Max Rüfenacht, collection Rudolf
dont on a retrouvé quatre exempl aires. Fellmann, photo de l'auteur.

Histoires des mathématiques ... Hors-série n°30 Tangente 151


L'abaque grec ...

Une addition sur l'abaque grec


Le calculateur grec a représenté Les cailloux du bas ont été glis- En vertu de ce principe, cinq
268 en haut de son abaque, pui s sés vers ceux du haut. ca illou x de la colonne un o nt
en-dessous 193 qu ' il désire leur L'addition est réalisée, e lle été re mplacé par un ca illou
additionner, so it pour lui apparaît ic i à l'état brut . Il ne dans la colonne cinq.
reste plus qu 'à procéder aux
HHF16f'III réductions, po ur soumettre le
et HF16666111 résultat au pas plus de quatre.

500 50 5 500 50 5 500 50 5


100 10 1 100 10 1 100 10 1
FHF16f'I FHF16f'I FHF16f'I
••••• ••••• •••••
• ••• • • ••
••• • •

De ux ca illoux de la colonne Cinq cailloux de la colonne dix De ux ca illou x de la co lonne
cinq (dont le contenu dépassait ont été re mpl acés par un quinaire cinquante ont été rem-
le nombre max ima l d ' un ca illou cinquante. placés par un ca illou cent.
ca illou po ur une colonne qui - On lit le résultat : 46 1.
naire) ont été remplacés par un
caillou dans la colonne dix.

500 50 5 500 50 5
100 10 1 100 10 1
FHF16f'I FHF16f'I
•••• • •••
• •• ••
••
abaque très proche de celui des Grecs l'abaque présente en plus l'avantage
dans son princ ipe - autre raison de pen- d ' une grande fac ilité d ' utili sation.
ser que les Ro ma ins ava ie nt des L'auteur prend pl aisir, lorsqu ' il donne
abaques sembl ables à ceux des Grecs - une confére nce sur ces sujets, à fa ire
dans les premiers li vres d 'arithmétique réa li ser ses dé mo nstrations par des
paru s à la fin du xve s ièc le. On pe ut enfa nts ; et l'ex périence montre qu 'à
donc imaginer que jusqu 'à l'an mil , qui parti r de huit ans ils y arri vent parfaite-
sert de limite à ce numé ro spéc ial de me nt. Mie ux e ncore : e n répétiti o n à
Tangente, le ca lc ul « à la Ro ma ine» ou do mic il e, il s e n rede mandent tant il s
« à la Grecque» était encore en usage . trouvent ces additions ludiques !
Un dernie r point pour terminer : A.S.

Tangente Hors-série n°30 Histoires des mathématiques .. .


Compter avec des cailloux, le calcul
élémentaire sur l'abaque chez les
anciens Grecs,
Alain Scharlig, Presses polytechniques et
universitaires romandes, Lausanne, 2001,
339 p. Prix Zappas 2003.

Compter du bout des doigts. Cailloux,


jetons et bouliers, de Périclès à nos
jours,
Alain Scharlig, Presses polytechniques et
universitaires romandes, Lausanne, 2006,
294p.

Une addition sur la calculette romaine


5000 500 50 5
as as as as Étape l : Utili ant a calculette pour effectuer la même addition que on collègue
grec, 268 + 193 , le Romain 'e t concentré ur les quatre première colonnes des
a , et il y a po é 268.

Étape 4 : Même jeu pour les unités :


5000 500 50 5 notre Romain n'a pas pu y ajouter 3
as as as as parce que les boutons y marquaient
déjà 8 ; il a donc levé un bouton uni-
taire des dizaines, et déduit l'excédent
1000 100 10 1
as as as as (7) dan les unité , en levant le bou-
ton quinaire et en de cendant deux
Étape 2 Po ant son second boutons unitaires . 5000500 50 5
nombre dan l'ordre où il l'énon- On lit le résultat as as as as
çait, il ad abord additionné 100 en 461.
levant un bouton unitaire de la rai- 1000 100 10 1
nure de centaine . as as as as

5000 500 50 5
as as as as Étape 3 : li aurait ensuite voulu ajouter 90, en
activant 9 dans la rainure des dizaines, mais il
n' y avait pas a ez de place ; il a donc anticipé: 1000 100 10 1
il a levé un bouton unitaire dans la rainure de as as as as
centaine , ce qui revenait à additionner l OO et il
a déduit l'excédent (10) dans la rainure de
dizaine , en de cendant un bouton unitaire.

1000 100 10 1
as as as as

Histoires des mathématiques ... Hors-série n°30 Tc:1.n9ente 1 3


HISTOIRES par Jean-Jacques Dupas

Les polyèdres dans


l'Hntiquité
On trouve dans les manuscrits de l'Antiquité grecque, ou
dans les textes y faisant référence, de nombreuses traces
montrant que l'étude des polyèdres passionne les mathé-
maticiens depuis bien longtemps ...
Circogonia icosahedra.

E
n dimension 2, celle du pl an ,
il ex iste une infinité de poly- Dess in extrait du livre d'Ernsl
gones réguliers. On peut ainsi Haeckel , Kunstforme der Natztr·,
approcher autant que l'on veut le cercle : 1890.
c 'est d' ailleurs en encadrant le cercle par © The virtual library of Kurt Stueb.
excès et par défaut qu ' Archimède calcula
plu ieurs décimales de Jt .
En dimension 3, celle de l'espace , la
sphère, équivalente tridimensionnelle du
cercle, ne se laisse in crire ou circons-
crire que par cinq polyèdres réguliers.
« Les nombres impairs plaisent aux
Dieux » se plaisa it à dire Virgile (les
Bucoliques, VIII , 75) . En tout cas , ce
petit nombre impair 5 a marqué les
esprits des Grecs. Les polyèdres réguliers
feront l'objet d'études approfondies , dont
voici un résumé.

« Quant aux polyèdres, il est un point


important que nous n'accorderons à per- Espérer trouver qui a découvert tel ou tel
sonne : c'est qu'on puisse voir quelque part polyèdre régulier e t aussi vain que d'es-
pérer trou ver l'inventeur de la roue ou
des corps plus beaux que ceux-ci.» du feu. D'autant que, comme le feu, cer-
Platon tains polyèdres réguliers ex istent dans la

T4n9ente Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ...


LES GRANDS THÈMES

nature. Des cri staux nature ls ont la ses informations ? D 'après les auteurs
fo rme du tétraèdre, du cube ou de l' oc- de I'A ntiquité tardive, Pl aton éta it un
taèd re . Pour trou ver les deux autres , il fidèle pythagoricien . li aurait acheté un
fa ut se déplacer dans le vivant où la li vre du pyth ago ricien Philol aos do nt
structure du dodécaèdre ou celle de I' ico- il se serai t in spiré pour écrire le Timée.
saèdre apparaissent dans le squelette des Cette rumeur s ' appuie sur l'éni g ma-
radiolaires microscopiques ou dans cer- tique protagoni ste éponyme de l' ou-
tains virus. vrage de Platon : Timée de Locres . En
fa it , nou s savon s te ll ement pe u de
Platon choses de ce personnage supposé
pythagoricien qu 'aujourd ' hui , certa ins
La première mention écrite des ci nq pe n e nt qu ' il est une invention litté- Les cinq
polyèdres réguliers se trou ve dans le raire de Platon . Le trouble a été intro- polyèdres
Timée de Platon, aussi les nomme-t-on duit par un faussaire de l'époque réguliers
solides de Platon. D ' où Pl aton tenait-il hellénistique qui rédigea un traité signé inscrits dans
leur sphère.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques .. . T«ngent:e ~ 55


HISTOIRES Les polyèdres ...

attribuer la correspondance mystique :


(Tétraèdre, feu), (Octaèdre, air), (Cube,
terre) , (Icosaèdre, eau), (Dodécaèdre,
uni vers) .
Selon van der Waerden, les pythagori -
c ie ns ne conn aissa ie nt que troi s des
pol yèdres pl atoniciens: le tétraèdre, le
cube et le dodécaèdre . Pl aton a donc
une autre source que les pyth agori-
ciens, laquelle?

Théétète

Ce pourrait être son ami Théétète.


Celui-ci nous est essentiellement connu
grâce aux dialogues le Th éétète et le
Sophiste, où nous apprenons qu ' il était
jeune, laid , courageux, modeste, urdoué
et le meilleur mathé maticien du
moment. Pourquoi un tel génie n'a-t-il
La Stella Octangula de Johannes Kepler. pas laissé une plus grande trace dans
l' hi stoire ? Théétète est mort de la dys-
Timée de Locres résumant le Timée . enterie et des blessures subies lor d' une
De nombreux auteurs, dont Jamblique, guerre de Corinthe. Problème, il y a eu
tomberont dans le panneau. deux guerres de Corinthe : une en 395,
Rée l ou pas, Timée de Loc res se vo it l'autre en 369 avant J.-C . Tous les éru -

Construction du dodécaèdre Qu a tr e
parEucllde des cinq
polyè dres
peuvent se
construire
avec des
p y r a -
mides, des prismes et des anti-
prismes. Il n'existe pas de
construction simple du dodé-
caèdre. Comment Euclide a-t-il
contourné le problème ?
Il est parti d'un cube (aux arêtes
vertes sur la figure ci-contre, à
gauche), puis a construit un « toit »,
au sens de toit de maison, sur
chaque face du cube (arêtes
rouges)!

Tcin9ent:e Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ...


LES GRANDS THÈMES

dits pensaient qu ' il éta it décédé pendant ta nt a in s i la thèse de P roc lu s, m a is


la seconde, alor âgé de 46 ans . Jean- cette hy po thèse fut infirmée par
Pierre Kahane nous a montré que l'o n se T ho mas Heath .
trompait et que fin a le ment Théétète est, Sur les quinze livres de Éléments (en fait
très pro bable me nt , mort à 20 a ns. eu! tre ize e n fo nt vraime nt partie), les
T héétète était le Galois grec (voir l'ar- tro i derniers (XIII , XIV et XV) sont
ticle Deux mille ans avant Galois, exclusivement consacrés aux polyèdres
L'octaèdre inscrit
Théétète dans Tangente 111 ) ! D 'après réguliers. Seulement, on s'accorde aujour-
dans le cube.
Suidas, il aura it écrit les Cinq Solides, d ' hui à dire que seul le livre XIII est
livre aujourd ' hui perdu , pre miè re étude l'œuvre d'Euclide (même s' il est vraisem-
profo nde sur le sujet. Proclus, lui , fa it blable qu ' il soit inspiré de Théétète ou
de Théétète un des plu s grands mathé- d ' Ari stée). Ce livre explique comment
matic ie ns de l' Antiquité, véritable construire les c inq polyèdres réguliers,
auteur de la substance des li vres X et puis comment les inscrire dans une
XIII des Éléments d'Euclide. sphère. Dans la dernière proposition du
Le cube inscrit dans
Hypsiclès d 'A lexandrie (IIe siècle avant Li vre XIII , Euclide compare et ordonne la
l'octaèdre.
J .-C.) nous informe qu 'Aristée avait com- longueur des arêtes des cinq polyèdres
posé Sur la comparaison des cinq figures. réguliers.
Aristée se situe sûre me nt entre Théétète Hypsiclès, dans son traité, observa que
et Euclide. Ce livre, lui aussi perdu , recèle si un dodécaèdre et un icosaèdre o nt la
un résultat intéressant : le mê me cercle mê me sphè re c irconscrite a lo rs e lles
circonscrit le pentagone du dodécaèdre et o nt la mê me sphè re in scrite. E t le urs
le triangle de l' icosaèdre de la même vo lumes sont da ns le mê me rappo rt
sphère (propriété observable sur la figure que le urs surfa ces (ce rappo rt est e n Le dodécaèdre ins-
vue de dessus du dodécaèdre et de l'ico- notatio n moderne crit dans lïcosaèdre.
saèdre inscrits dans la même phère) . On
~~
en déduit que le rapport des surfaces de ces
deux polyèdres est le même que celui de
V3
leurs volumes. o ù <I> est le no mbre d 'or, do nt E udoxe
do nnera une constructio n explic ite). Ce
Euclide tra ité é ta it recopié à la suite des Élé-
ments et devint le li vre XIV. L'icosaèdre inscrit
La princ ipa le source de I 'A ntiquité L'aute ur inconnu de Éléments XV in s- dans le dodécaèdre.
reste les Éléments d 'Euclide . c ri vit un octaèdre da ns un cube, un
Eucl ide est , lui auss i, un pe rsonnage cube dans un octaèdre, un dodécaèdre
bie n mysté rieux. No us n'avons auc une dans un icosaèdre, un icosaèdre dans un
pre uve de son ex istence, ma is o n pense dodécaèdre, antic ipant ai nsi la notion de
q u ' il est le compil ate ur de l' éco le dua lité (vo ir les fi g ures c i-contre). Il a
d'A lexandrie . L'ex iste nce d ' un ho mo- a uss i inscrit un octaèdre da ns un
nyme Eucl ide de Mégare, di sc iple de tétraèdre, a ntic ipa nt a in si la « Ste ll a
l'Académie pl atonic ienne, n'aide pas à Octa ng ula », bapti sée pa r Ke pl e r, fo r- L'octaèdre inscrit
c la ri fier la si tu ati o n . Que ! ' ho mme mée de deux tétraèdres réguliers do nt le dans le tétraèdre.
existe ou pas, son œ uvre ex iste et c'est noyau est un octaèdre régulier.
un des tex tes fo ndate urs des mathé ma-
tiq ues. Si r D ' Arcy T ho mpson pe nsa it
q ue l'objecti f des Éléments é ta it de
décrire les po lyèdres régulie r , acc rédi-
HISTOIRES Les polyèdres ...

Pappus

Archimède aura it , lui , décrit tre ize


polyèdres semi -réguliers dans un livre
di sparu (encore un !), d'où l' appe ll a-
tion de polyèdres archimédiens. Nou s
devon cette information à Pappu s.
Celui-ci observa qu ' un icosaèdre (arête
bleues) et un dodécaèdre (arêtes vertes)
peuvent être inscrit dans la mê me
sphère de telle façon que les douze som-
mets Uaunes) se réparti sse nt troi s par
trois sur quatre cercles parallèles (noirs)
Un dodécaèdre tandi que les vingt sommets (rouges)
aux arêtes vertes, de l'autre e réparti ssent cinq par cinq
aux sommets rouges sur les mê mes quatre cerc les (no irs).
et un isocaèdre bleu Cette pro pri été, qui sembl a it être le para llè les au pl an de pose, un nombre
aux sommets jaunes fruit du hasard , est générali sable: si o n pro porti onne l de so mmets (vo ir le
dans la configuration po e un po lyèdre régulier et son dua l tableaux ci-dessu ).
de Pappus vu du sur un pl an , on trou ve, dans les pl an
dessus, les cercles
noirs montrent les
sommets dans le Ce que Platon dit des cinq polvèdres réguliers dans le T/mée
même plan. Le 1ïmée n'est pas un ouvrage de mathématiques, aussi la description des
polyèdres réguliers y est-elle assez succincte. Pour Platon, la brique de base
est le triangle rectangle (préfigurant l'orth oscheme de Coxeter), mais pas
n'importe quel triangle rectangle : un triangle dont la longueur de l'hypoté-


nuse vaut deux fo is la longueur du plus petit côté. Grouper deux ou six de
ces triangles donne un triangle équilatéral. Grouper :
• trois triangles autour de chaque sommet donne un tétraèdre régulier ;
• quatre triangles autour de chaque sommet donne un octaèdre régulier ;
Un dodécaèdre • cinq triangles autour de chaque sommet donne un icosaèdre régulier.
aux arêtes vertes, Pour construire le carré, Platon assemble deux triangles rectangles isocèles .
aux sommets rouges Avec ces carrés il forme le cube.
et un icosaèdre bleu Par contre, il ne dit rien du dernier solide, sinon qu 'il existe !
aux sommets jaunes Le fait que trois des polyèdres soient constitués de triangles permet à
dans la configuration Platon d 'expliquer les transformations entre l'air, l'eau et le fe u en recom-
de Pappus vu de posant les triangles :
côté, les cercles noirs
montrent les
sommets dans le
même plan.

Tangente Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ...


LES GRANDS THÈMES

La signification profonde de cette propriété et


son exp li cation sero nt données par H .S .M .
Coxeter en utili ant la con truction de Willem
Wythoff. Pappu décrira aussi les polyèdres
archimédiens, dont certai ns semblent avo ir été
connus depui a ez longtemps puisque Héron
attribuait la découverte du cuboctaèdre à
Platon .
Le Tim ée, avec e polyèdre et sa cosmo lo-
g ie , deviendra un texte fondame ntal. Il
ex plique que la structure de l' univers est
d'ordre mathématique. Grâce à ce texte fonda-
teur, l' intérêt pour les polyèdres ne tarira
jamais et débordera largement du cénac le des
mathématiciens .
J.-J. D.

Les polyèdres archimédiens et les


solides de Platon au premier rang.

R6f6nnces dan s Quadrature 59 . EDP Sciences. Janvier-Mars


• H.S.M. Coxeter. Regular Polytopes , 2006.
Dover, .Y. • Gaël Octavia, Deux mille ans avant
• H.S.M. Coxeter. Regular Complex Galois , Théétète. Tangente 111 , juillet-aôut
Polytopes , Cambridge Uni ver ity Pre . 2006.
• Les Génies de la science : Les géomètres de • Peter R. Cromwell. Polyhedra , Canbridge
la Grèce Antique, n"2 I , no ve mbre 2004-février Un iverity Press.
2005. • Platon, le Timée , Garnier-Flamarion .
• Diogène Laërce , Vie , doctrines et sen- • Thomas Heath, A History of Greek
tences des philosophes illustres. Mathmatics, Oxford 1921.
• Dominique Roux, Pourquoi le livre X • B. L. van der Waerden, Science Awaking,
d'E uclide? Ou Théétète , le Galois Grec , Oxford Univer ity Pre , Londres 1961.

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente 159


PROBLÈMES par Michel Criton

Un recueil de jeux mathématiques uieux

de douze siècles
Alcuin d'York (Ealhwine ou Alchvine, nom latinisé en
Albinus, auquel on ajoutera plus tard le surnom de Flaccus)
est un des intellectuels les plus importants de la seconde moi-
tié du premier millénaire. Il nous a laissé un des premiers
recueils de jeux mathématiques destinés à « aiguiser l'esprit
de lajeunesse ».
lcuin nait prè d ' York re naissance carolingie nne. A lcuin

A (Ang le te rre) ver 730. Élève


d ' Aelbe rt , il étudie , pui s
e nseigne à l'école cathédrale d ' Yo rk ,
demeure à Ai x-la-Chapelle j u qu 'en 796.
11 est très impliqué dans la vie po litiq ue
et re ligie use de l' époque, et jo uera un
avan t de se retrouver à la tête de cette rô le de première importance dans la res-
école, qui était à l'époque la plus réputée ta uratio n de l' Empire en 800. En 796 , il
d ' Angleterre et peut-être d 'Europe . fi est devie nt abbé de l' Abbaye de Sa int-
alors considé ré comme l'un des maîtres Martin de Tours o ù il se fi xera défini ve-
de la culture chrétienne anglaise . me nt e n 80 1. li rénovera l' école de ce
En 78 1, Charle magne propose à Alcuin monastère, faisant d 'elle la me illeure de
de venir diriger l'école du palais dans la France. Il meurt à To urs le 19 ma i 804 .
capitale de son royaume : Ai x- la- So n œ uvre littéraire est importante. Elle
Chape lle. Alcuin accepte et dev ie nt le to uc he à la théo log ie , la litu rg ie et la
conseiller de Charle mag ne po ur tout ce c ulture en généra l. Parmi les textes que
qui to uc he à l' éducatio n . Il est respo n- la issa A lcuin , o u qui lui sont attri bués ,
sable de la réforme du systè me scolaire car seules des copies parfo is a ltérées
dans le royaume, et du renouveau éduca- no us sont parve nues, l' un d ' e ux , q ui
tif qui s'ensui vra et qu 'on appe llera la s ' intitul e : Problèmes pour aiguiser
l'esprit de la jeunesse , est un recue il de
Alcuin est responsable de la réforme cinquante-six problè mes amusants. Un
du système scolaire dans le royaume de certa in no mbre de ces problè mes , qui
dev ie ndront des classiques des jeux
Charlemagne, et du renouveau éducatif mathé matiques, apparaissent dans ce
qui s'ensuivra et qu'on appellera recuei l pour la pre mière fo is e n
la renaissance carolingienne. Occide nt , et pour que lques-uns , pour la

iW Ta.ngent:e HS 30 Histoires des mathématiques ...


JEUX ET PROBLÈMES

première fois tout court , dans un texte 3. Un père et son fils et une ueuue La chute
qui nous soit parvenu . et sa fille d'Icare,
Beaucoup de ces problèmes ne dépare- Pieter Bruegel
raient pas dans un ouvrage contemporain Si un pè re et so n fil s é po use nt un e l'Ancien,
de jeux mathématiques ! Nous vous ve uve et sa fill e , de te ll e sorte que le
1558.
in vitons à découvrir et à résoudre ces père é pou se la fill e , et le fil s la mè re, Musées Royaux
éni gmes qu 'A lcuin proposa it à la je u- quel sera le lien familial des des Beaux-Arts,
nesse il y a douze siècles. fils issus de ces deux mariages? Bruxelles.

Commençons par une série de pro- Alcuin ne dédaignait pas les pro-
blèmes pour le moins originaux blèmes impossibles, comme en
les problèmes familiaux. témoigne l'exemple suivant.

1. les deux hommes épousant chacun 4. les trente porcs


la sœur de l'autre
Un ho mme possède tre nte porcs, et
Si deux hommes é pousent chacun la ordonne qu ' il s so ient tous abattus e n
sœur de l' autre, quel sera le lien trois jours, le nombre de bêtes abattues
familial entre leurs fils ? chaque jour étant un nombre impair.
Quel nombre de porcs doit être
2. les deux hommes épousant chacun abattu chaque jour ?
la mère de l'autre
Voici deux problèmes devenus des
Si deux hommes é po usent chac un la classiques.
mère de l'autre, quel sera le lien
familial entre leurs fil s ?

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente iW


PROBLÈMES
5. Un père et ses trois fils 8. l'homme qui achetait cent bêtes
Un père, lorsqu ' il mourut , lai ssa Un homme voul ait acheter cent bêtes
à ses troi s fi ls trente jarres , dont pour cent shillings . Il deva it payer
dix étaient ple ines d ' huile, dix à troi s shillings pour un cheval, un shil-
moiti é pl e in es , et les dix autres ling pour un bœuf et un hilling pour
vides. ving-quatre mouton s.
Partagez l'huile et les Combien de chevaux, de bœufs
jarres de telle sorte que et de moutons a-t-il pu acheter?
chacun des trois fils
reçoive le même nombre de 9. le uieil homme et l'enfant
A lcuin d 'York jarres et la même quantité
(730-80 4). d ' huile. Un vieil homme sa lue un enfa nt de la
faço n suivante : « Pui s es-tu vivre
6. Deux hommes conduisant longtemps, auss i longtemps que tu as
leurs bœufs déjà vécu, et ensuite auss i longtemps
que l' âge que tu auras alors, et puisses-
Deux hommes conduisaient leurs bœufs tu atteindre trois foi l'âge que tu auras
le long d ' une route. Le premier dit au atteint à ce moment. Que Dieu t'accorde
second : « Donne-moi deux bœufs, et encore une année , et tu auras atteint 100
j 'en aurai alors le même nombre que ans. » Quel âge a l'enfant lorsque
toi! » L'autre lui dit alors: « Mais si tu le vieil homme lui dit cela ?
m'en redonne deux, alors j 'en aurai le
double de toi ! » 1O. le promeneur
Combien de bœufs y avait-il au
total, et combien en pos sé dait Un homme qui marchait le long d' une
chacun des deux hommes ? route vit d ' autres marcheurs venant à
sa rencontre , et il leur dit : « J' aimerais
Co n t inu o n s avec un e va r ia n te qu ' il y ait aut ant d ' autres marcheurs
d' un prob lème d éjà con nu en avec vous que le nombre que vo us
C hi ne a u d é bu t d e notre ère êtes, plu s un quart du nombre que vous
so u s l e n o m d e « prob lè m e de s seriez alors, plus la moitié de ce quart .
ce nt vo la ill es » . Alors , en me comptant , nous eri ons
exactement cent ».
7. le marchand et les cent pence Combien le promeneur rencon-
tra-t-il de marcheur s sur la
Un marchand vou lait acheter une cen- rout e ?
ta ine de porcs pour ce nt pence. Pour
un verrat , il pa ie di x pe nce , et pour 11. le laboureur
une trui e cinq pence, tandi s qu ' il paie
un penn y pour deux porcelets. Combien de s illon s a tracé un
Combien a-t-il pu acheter de laboureur dans son champ, si, au
verrats, de truies et de porcelets tota l, il a fa it demi -tour troi s fo is à
s' il a payé exactement 100 chaque extrémité du champ ?
pence pour cent animaux ? Ve n on s -e n au prob lè me le plus
connu po sé par Alcuin : le pre-
mier prob lème de traver sée.

~ Tangente HS 30 Histoires des mathématiques ...


JEUX ET PROBLÈMES

12. Le loup, la chèure et la botte de


choux
Un hom me deva it fa ire trave r e r une
ri vi è re à un lo up , un e c hè vre e t une
bo tte de c ho ux . La e ule ba rque qu ' il
put trouver ne po uva it tra n po rte r que
de ux d ' e ntre e ux à la fo is , do nt lui -
mê me, ma is il deva it tra ns fé re r les
tro is e n bo n é tat sur l'autre ri ve .
Co mm e nt s 'y pri t -il ?

Vo ic i d eu x vari a nt es s ur ce m êm e
th è m e.

13. Trois amis et leurs sœurs Scène de la vie rustique,


Muhammadi (fin XVIe siècle)
Trois a mis, chacun accompagné d ' une d ' un c ham ea u la isse p e n se r que
sœur, do ive nt traverse r une ri viè re . c e pro bl è m e a un e ori g ine
C hac un d ' eux convo ite la sœ ur d ' un ex tra- e urop ée n n e .
autre . Arri vés à la ri viè re , il s trouvent
seule ment une petite barque qui ne peut 15. Le gentilhomme
transporter que deux personnes au plu à
chaque voyage . Un ge ntilho mme o rd o nn a que
Co mm e nt pe u ve nt -il s tr ave r se r 90 mesures de gra in soient transportées
la ri viè re sa ns qu ' a uc un e d es de l'une de se rés ide nces da ns une
fe mm es ne so ie n t d és hon o r ées ? autre , di sta nte de 30 lie ues de la pre-
miè re . Un c ha meau doit tran po rter ce
14. l'homme et la femme très lourds gra in , à ra i o n de 30 mesure à c haque
voyage. Lo rsqu ' il est c ha rgé , le c ha-
Un ho mme e t une fe mme, qui pesa ient meau mange une me ure de g ra in pa r
chacun le poids d ' une charrette chargée , lie ue parcourue .
e t le urs de ux e nfa nts, qui pesa ie nt C ombi e n d e m es ures d e g r a in
autant à e ux deux, devaie nt traver e r rest er a -t-il ?
une ri vière. Il tro uvent un bateau po u-
vant seule me nt po rte r le po ids d ' un des Te rmin o ns ce bouqu et d e pro-
de ux ad ultes. bl è m es an cie ns par un e not e d ' hu-
Tro u vez co mm ent fa ire la tra ver- mour, qui n 'é tait pa s ab se nt du
sé e , s i vo u s p o u vez , sa n s fa ire re cu e il d ' Alcuin.
co ul er le ba t ea u .
16. Le bœuf
Le p r obl è m e s ui v ant fait a u ss i
p a rti e d e l a tradition d es pro- Un bœ u f la bo ure un c ha mp dura nt
bl è m es d e tra ve r sée, m a is d e to ute une journée .
tr ave r sée d ' un d ése rt , où l ' on C ombi e n la isse -t-il d 'e m-
doit c on s omm e r un e parti e d e c e pre intes d e pa s d a n s le d e rni e r
qu e l 'o n tr a n s port e .L'év ocation s illon ?

Hors-série n° 30. Histoire des mathématiques ... Tangente ~


par Michel Criton

SolutionsDes pages 160 à 163

1 - Les deux homm es é pou sant chacun la 12 - Le loup , la ch èvre et la bott e d e chou x
sœur d e l'autre L' ho mm e tra nspo rte la c hèv re e t la isse le loup e t le
Les fil s des deux ho mmes so nt double ment cousins . chou . li rev ient et prend le loup qu ' il fa it trave rser et
dé pose e n re pre na nt la c hèv re. li dé pose a lors la
2 - Les d e u x homm es é pou s ant c ha c un la chèv re et reprend le chou qu ' il dépose avec le loup . li
mère de l' autre rev ient en uite cherc he r la chèv re.
Chaque fi ls es t à la fo is l' onc le et le neveu de l'autre
qui est le fi ls de son demi -frère. 13 - Troi s ami s et leur s sœur s
Le pre mier homme trave rse avec sa sœur et la dépose
3 - Un pè re e t son fil s e t une ve u ve e t s a sur l'a utre ri ve. li rev ie nt , descend , et les deux sœ urs
fi li e res ta ntes trave rse nt a lors e t desce nde nt sur l'autre
Chaqu e fi ls est à la fo is l'o ncle et le neveu de l' autre ri ve , la sœur du pre mie r revenant avec le batea u. Elle
qui est le fi ls de son demi-frère ou de sa de mi -sœur. desce nd a lor et les deux autres ami s trave rsent. L' un
des deux reste sur l' autre ri ve avec sa sœ ur, tandi s que
4 - Les trent e po rc s l' autre rev ie nt acco mp ag né de sa sœ ur. Le pre mi e r
Le tripl e d ' un no mbre impa ir es t un no mbre impa ir. ho mm e retraverse a lors avec ce lui qui é ta it reve nu .
Le probl è me es t do nc imposs ible. La sœ ur qui éta it sur l' autre ri ve revient alors e n cher-
che r une autre. Elles descende nt toutes les de ux, et il
5 - Un père et ses tro i s fil s reste un a lle r-retour à effec tue r par l' ho mme dont la
On do nne di x jarres à mo itié ple ines au pre mi e r fi ls , sœ ur éta it res tée sur la ri ve de départ.
et cinq jarres pleines et c inq jarres vides à chacun des
deux autres. 14 - L' homm e et la femm e très lourd s
Les deux enfa nts traversent la ri vière, et l'un des de ux
6 - Deu x homm es condui sa nt leurs bœufs rev ie nt. La mè re trave rse a lo rs, e t so n a utre fil s
Le premier ho mme ava it qu atre bœ ufs et le second en rev ie nt. Les de ux e nfa nts trave rse nt à no uvea u , e t
ava it huit. l' un des deux rev ie nt. Le père traverse, et le fil re té
de l'autre côté rev ient. Enfin les deux enfa nts traver-
7 - Le ma rch a nd et les ce nt pe nce se nt.
Le marchand a ac heté un verrat, neuf truies et qu atre-
vin gt-di x porce lets. 15 - Le ge ntilhomm e
Au pre mi e r voyage, le c ha mea u tra ns po rt e tre nte
8 - L' homm e qui a ch etait ce nt bêtes mes ures à v in gt lie ues . li e n co nso mm e ving t e t e n
L' homme a ac he té v ing t-tro is c heva u x, v in g t-ne uf dé pose di x. Il reco mm e nce les de ux j ours sui va nts.
bœufs et qu ara nte-huit moutons. Le qu atriè me jour, il tra ns po rte a lo rs les tre nte
mes ures dépo ées au but de so n voyage, e n co nsom-
9 - Le vie il ho mm e et l 'e nfant mant di x de ces mesure . li e n reste do nc v in gt.
L'e nfa nt a huit ans e t tro is mo is.
16 - Le bœuf
10 - Le promeneur Un bœ uf ne la isse aucune trace dans le derni er sillon,
Les marc he urs so nt trente-s ix . car il précède la charrue.

11 - Le laboureur
li a tracé se pt sill ons.

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pratiques, il lui faut compter,
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