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MARDI 17 JUILLET 2018

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ÉDITION
SPÉCIALE

GÉRARD JULIEN/AFP

▶ Des millions de Français

ont fêté, dimanche
▶ Ce deuxième titre, après
celui de 1998, est une vic-
▶ La France rejoint ainsi
les grandes nations
▶ De retour à Paris, les Bleus
devaient être reçus, lundi 1 ÉDITORIAL
15 juillet, le triomphe
des Bleus en finale
toire personnelle majeure
pour Didier Deschamps,
du football, un sport avec
lequel elle a longtemps
16 juillet, par Emmanuel
Macron, après un défilé LE RÊVE
du Mondial de football,
contre la Croatie
déjà sacré comme
joueur il y a vingt ans
entretenu une certaine
distance
sur les Champs-Elysées
PAGE S 2 À 1 6
EN BLEU
PAGE 3 7

International Social Commerce

Helsinki : Emmanuel La Chine et
les ambiguïtés Macron change l’Europe cherchent
du sommet de stratégie à construire
Trump-Poutine avec les syndicats un front commun
PAGE 17 PAGE 20 PAGE 2 2

BUSINESS DEVELOPMENT,
LE REGARD DE PLANTU
1918, HUMAN ADVENTURE
le dernier jour
Le calvaire
de Rethondes
L’état-major allemand
envoie un civil, Matthias Prochain concours pour rejoindre
Erzberger, signer le Programme Grande Ecole,
l’humiliant armistice.
Il le paiera de sa vie
le Bachelor Business Development le 18
ou le Bachelor Event Management juillet 2018
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Irlande 3,10 €, Italie 3,10 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,90 €, Malte 2,70 €, Maroc 19 DH, Pays-Bas 3,20 €, Portugal cont. 3,10 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 200 F CFA, Slovénie 3,20 €, Saint-Martin 3,20 €, Suisse 4,00 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,20 DT, Afrique CFA autres 2 200 F CFA

2|
Sur les Champs-Elysées, à Paris,
dimanche 15 juillet. ROMUALD MEIGNEUX/SIPA
RÉCIT
L
a France qui danse. Il n’est pas
tout à fait 18 h 57, dimanche
15 juillet, et le pays entier ressem-
ble à une immense fan-zone. Le
coup de sifflet de la finale du
Mondial 2018 n’a pas encore re-
tenti, le compte à rebours est à peine entamé,
et déjà le pays entier envahit les avenues, les
places, les ronds-points et les fontaines.
Cinq, quatre, trois, deux, un… A la 90e minute
de jeu, vuvuzelas aidant, les trottoirs de Pa-
ris, de Marseille et de Lyon se transforment
en dance floor. La France a gagné ? Alors on
danse, dirait Stromae.
« C’est comme un bouchon de champagne.
La pression, la libération, le débordement »,
sourit Nicolas, un trentenaire de Gradignan,
en Gironde, venu regarder le match « à Cha-
ban », ce stade du cœur de Bordeaux. Ici, et
dans toutes les rues de France, les drapeaux
tricolores s’exhibent sous toutes les formes :
en cape, en robe, en bandeau ou en chou-
chou dans les cheveux pour les filles, en ban-
dana pour les garçons. Le bleu-blanc-rouge
se décline sur les joues et les lèvres, mais
aussi sur les casquettes, les perruques ou les
hauts-de-forme, sans oublier les colliers en
papier crépon. Au milieu de cette marée tri-
colore, quelques drapeaux tunisiens, maro-
cains ou algériens s’agitent avec la même fo-
lie et la même énergie.
Sous le soleil couchant de la capitale ou en-
tre deux averses dans les villages du sud de la
France, on fait la fête. Quelques packs de
bière, un lecteur MP3 branché sur une en-
ceinte, trois fois rien suffisent quand on a la
joie au cœur. « On avait ce rôle-là, aussi, de
rendre les gens heureux », explique Kylian
Mbappé sur TF1, avant d’oser quelques pas de
gwara gwara en direct depuis Moscou. « La la
la la la, lalalalalala », chante la fan-zone de
Bondy, cette ville de Seine-Saint-Denis où le
jeune surdoué a fait ses débuts. Un peu plus
tôt, sur la pelouse du stade Loujniki, le défen-
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Comme des coqs en pâte
La France a fêté la victoire des Bleus en finale de la
Coupe du monde, dimanche 15 juillet. Pour les moins
de 20 ans, c’était une première. Pour tous, l’occasion
de danser autour d’un drapeau qu’ils n’avaient sorti,
ces dernières années, qu’en de funestes occasions
seur Samuel Umtiti avait lui aussi esquissé
un petit pas de danse.
Ça bouge partout, dans la rue, sur les tables,
dans les appartements. Un bras devant, un
autre derrière : les plus jeunes copient les fa-
meux « floss » de Fortnite, le jeu vidéo du mo-
ment, ou « dabent » en rythme et en cadence.
D’autres se risquent au shaku shaku, cette
danse venue du Nigeria que le milieu de ter-
rain Paul Pogba a mise à la mode. A Roissy-
en-Brie (Seine-et-Marne), les voitures tour-
nent et tournent autour des ronds-points DANS LE MÉTRO,
proches de la cité de la Renardière, où il a
grandi. A Jeumont, dans la Sambre, on saute
LES CONDUCTEURS
en l’air sur la chanson inventée pour le laté- ACTIONNENT LEUR
ral des Bleus après son but fabuleux contre
l’Argentine, en huitièmes de finale : « Benja- SIRÈNE À CHAQUE
min Pavard, Benjamin Pavard, je crois pas que
vous connaissez, il sort de nulle part, une
ENTRÉE EN STATION.
frappe de bâtard, on a Benjamin Pavard. » SUR LE QUAI,
NOTRE-DAME FAIT SONNER SES CLOCHES DES FILLES FONT
« Cimer, les Bleus ! » « On est les champions ! »
« C’est nous, c’est nous ! » Drapeaux et slogans DANSER LEURS
sont de sortie. On les agite par les fenêtres DRAPEAUX
des voitures, debout sur les fenêtres, les
scooters, les quads, les motos débridées. On AU-DESSUS
défile aussi à pied, en saluant ceux qui parta-
gent le même bonheur. Un peu partout en DES RAILS
France, des églises sonnent les cloches et, à
Paris, Notre-Dame a aussi fait donner les
siennes. Dans la soirée, la Grande Mosquée
félicite les Bleus, et la tour Eiffel s’illumine
d’un manteau tricolore. « Qui ne saute pas
n’est pas Français », chantent les foules, sauf à
Marseille, où, quand il s’agit de football, on
garde quelques réflexes purement locaux.
Tandis que des fumigènes commencent à
envelopper les avenues du pays, l’état-major
de l’armée congratule l’équipe de France,
comme le Musée du Louvre, qui poste sur les
réseaux sociaux La Liberté guidant le peuple
et la Joconde. Les politiques, tous assidus, y
vont chacun de leur message, 577 députés et
348 sénateurs se transformant d’un coup en
Footix, ces supporters volatiles et un brin
amateurs qui ne soutiennent les Bleus que
lorsqu’ils remportent des victoires.
Tout semble permis, monter sur les bus,
prendre le TER sans billet – les contrôleurs
regardent ailleurs –, installer des sièges sur le
toit de camionnettes, se promener sur le ca-
pot des copains, rouler sur la roue arrière d’un
scooter, sans oublier les escadrilles de quads
sur l’avenue des Champs-Elysées. Le comique
Bengous, star locale des supporteurs mar-
seillais, se perche sur un escabeau en plein
milieu du rond-point du Prado et harangue la
foule, christique et fumigène en main : « Nous
sommes les Français et nous avons gagné ! »
Des gamins tendent des drapeaux sur les
toits de Paris, tandis que les journalistes s’af-
franchissent eux aussi de tous les usages et
règles de bienséance de leur profession. Pour
cette soirée spéciale, TF1 affiche un logo
« Champions du monde », France 2 a choisi
« Merci les Bleus », et les commentateurs di-
sent « nous » pour parler de « la France ».
Dans le métro, les conducteurs actionnent
leur sirène à chaque entrée en station. Sur le
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
▶▶▶
quai, des filles guettent l’arrivée de la rame
en faisant danser leurs drapeaux au-dessus
des rails, comme des toreros. Quelques mè-
tres au-dessus de leurs têtes, près du canal
Saint-Martin, les plus téméraires (ou les plus
alcoolisés) osent un plongeon depuis les
ponts, pour rafraîchir leurs corps et leurs es-
prits en feu. « Les mecs mettent quatre buts, la
moindre des choses, pour les remercier, c’est
de sauter », explique Kenza, 30 ans, passion-
née de football depuis ses 8 ans.
UN JOUR MAGIQUE
Pendant deux longues heures, en effet, la
France s’est rongé les ongles. Deux heures
pendant lesquelles la France s’est transfor-
mée en ville morte, rideaux de fer baissés
comme pour un couvre-feu, piscines et mu-
sées clos, rues vides. A Mondaye, en Norman-
die, les vêpres avaient été décalées d’une
heure, et ce dimanche avait des airs de jour
férié. Sauf que, ce 15 juillet, la France était très
occupée, tout entière pressée autour d’un
écran ou d’une télé, entonnant des « Mar-
seillaises de ouf », enchaînant les olas, gron-
dant « Aux armes… Aux armes… Aux armes »,
ou encore : « Nous sommes les Français et
nous allons gagner. »
« Buuuuuuut ! » « Mbappééééééééééééééé ! »
« Merciiiiii Grigri ! » De 17 à 19 heures, par les
fenêtres ouvertes, mille cris étranges ont re-
tenti. Depuis les quarts de finale, les matchs
se regardent en groupe, chez le voisin, chez
un frère, dans un stade, et surtout dans tous
les bistrots et bars de France ou presque. RTE,
l’exploitant du réseau de transport de cou-
rant électrique, peut l’attester : lors de la de-
mi-finale contre la Belgique, mardi 10 juillet,
la consommation nationale a baissé de
1 200 mégawatts pendant la durée du match,
entre 17 et 19 heures – l’équivalent de la
consommation de la ville de Lyon.
Le foot n’est plus ce qu’il était il y a trente
ou quarante ans. Vieux, jeunes, riches, pau-
vres, bobos ou paysans, on se réunit désor-
lire la suite page 4
 © L’Emblème Officiel et la Mascotte Officielle de la Coupe du Monde de la FIFA, Russie 2018™ ainsi que le Trophée de la Coupe du
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LA TETE DANS LES ETOILES

LA VICTOIRE VOYAGE EN LOUIS VUITTON

4|
aaa suite de la page 2
mais dans des brasseries chics et
les bistrots des beaux quartiers
autant que dans les PMU. Celui
de Quessoy, village breton de
3 000 habitants, dans les Cô-
tes-d’Armor, accueille une qua-
rantaine de clients. Des enfants
portent le maillot de Varane ou
de Mbappé. A la 90e minute, les
plus vieux se serrent dans les
bras. « J’ai pas de mots », glisse
Pierre Talibart, 62 ans, les yeux
brillants, ému aux larmes. « C’est
magnifique ! », ajoute son ami
Hervé Foucher. Le maquillage
bleu-blanc-rouge a coulé de leurs
joues sous la sueur et les pleurs.
Mais quelle importance ont ce
soir les apparences ?
C’est la trêve, un jour magique.
On demande au patron du Mélé-
cass d’« annuler les ardoises ».
Son épouse, Caroline, saisit une
enceinte d’un autre âge et ose un
slow avec elle sur I Will Survive, le
vieux standard indémodable de
Gloria Gaynor, entonné dans
toutes les villes ou presque, ce
dimanche, comme en 1998. Elle
enchaîne avec Corinne, en jupe
bleu France. « C’est rare, des mo-
ments comme ça ! », rit la femme
du patron entre deux gorgées de
vin pétillant. Aux Champs-Ely-
sées, de Joe Dassin, alterne avec
les « Kylian Mbappé, Kylian
Mbappé » lancés du comptoir.
« On l’a vécu, c’est bon, on peut
mourir tranquille », lâche Nicolas
Saintilan dans le bar. La soirée
s’achève par une ronde de petits-
enfants et de grands-parents,
sous les drapeaux qui volent
dans le bistrot.
« DESCHAMPS-ÉLYSÉES »
Le Quessoy s’est couché tôt. Place
Bellecour, à Lyon, sur le Vieux-
Port, à Marseille, place Royale, à
Nantes, la fête commence à peine,
et il n’y a pas qu’autour de la
Grand-Place de Lille que claquent
les pétards. Carmen Trouillet,
24 ans, grande métisse au rire
contagieux, était la veille au con-
cert de Beyoncé. « Ce soir, on est
champions du monde. Quel week-
end de folie ! C’est beau. » A Stras-
bourg, à Bordeaux, des grappes
sillonnent les rues piétonnes,
grimpent sur les statues et les
fontaines, parfois aussi sur les
bus et s’accrochent même à des
fourgons de police, au son de La
Marseillaise.
Sur les Champs-Elysées (« L’ave-
nue Deschamps-Elysées », s’amu-
sent toute la soirée les réseaux so-
ciaux), on la braille plus qu’on ne
la chante. « Poh po po poooh po
pooh pooh ! » : quand les noms
des vingt-trois joueurs de l’équipe
victorieuse s’affichent sur l’Arc de
triomphe, c’est le Seven Nation
Army des White Stripes, version
stade, dont s’empare la foule. Il
est minuit passé de cinq minutes,
et à l’angle de la rue Marbeuf et de
la rue François Ier, un tennis-bal-
lon s’est improvisé. Un tam-tam
salue chaque point comme s’il
s’agissait d’un but de Kylian
Mbappé. Plus bas, sur le rond-
point des Champs, s’improvise
une samba endiablée.
On croise beaucoup de jeunes,
beaucoup de filles aussi. Ils n’ont
pas connu ou « pas assez profité »
de la précédente victoire de la
France en Coupe du monde, celle
de 1998, mais c’est peu dire qu’ils
en ont entendu parler. Comme
leurs parents les ont « saoulés »,
depuis vingt ans, avec leur
« black-blanc-beur » (un mot
qu’ils n’emploient plus jamais) et
À STRASBOURG, À
BORDEAUX, DES GRAPPES
SILLONNENT LES RUES
PIÉTONNES, GRIMPENT
SUR LES STATUES,
S’ACCROCHENT À DES
FOURGONS DE POLICE
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MARDI 17 JUILLET 2018
A Lyon,
pendant
la finale.
JEAN-PHILIPPE
KSIAZEK/AFP
leurs souvenirs d’anciens com-
battants ! A leur tour, mainte-
nant, de raconter. « C’est quand
même indescriptible ce que cela
procure. Franchement, ça me
donne des frissons », sourit Rayad,
un Nantais de 24 ans. « On va gar-
der ce souvenir toute notre vie »,
dit aussi Mathilde, une Lyonnaise
de 32 ans qui a regardé la finale
devant un bar de la rue Mercière.
Elle porte un maillot floqué « Tre-
zeguet ».
Porte Saint-Martin, à Paris, Mo-
hamed, 27 ans, petit et rond
comme une bille, aborde une jo-
lie brune qui porte le drapeau en
ceinturon : « Est-ce que vous avez
vu la victoire de 1998 ? C’est quoi,
pour vous, la différence avec
aujourd’hui ? Moi j’avais 7 ans,
j’étais en Mauritanie à l’époque, à
Nouakchott, poursuit Mohamed.
Maintenant, je suis ici. J’ai regardé
le match avec des copains, après
ils ont voulu rentrer, mais moi, je
viens de finir mes études de socio-
logie et je veux vivre cette soirée à
fond, c’est-à-dire pas bourré… » La
femme a trouvé sa réponse : « En-
tre 1998 et aujourd’hui, il y a eu les
attentats. J’avais peur que ce for-
midable moment n’ait été en- Au camping du Pont-d’Avignon, pendant le match. ARNOLD JEROCKI/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
glouti, et là je vois qu’il n’en est
rien. » Elle agite son drapeau trico-
lore et rit longuement.
DISCOTHÈQUE DE PLEIN AIR « On est tellement forts ensem- A Bordeaux, certains quittent son ordi la chanson qui résume
« Je croyais que 1998, c’était une lé- ble, dit Laurent Le Foulgoc, un vite la fan-zone. Pas Nicolas, le « C’EST BEAUCOUP le mieux cette victoire. C’est un
gende, confie, ému, Bastien La-
dreyt, étudiant en droit à Aix-en-
autre Nantais de 32 ans. Cette soi-
rée, c’est beaucoup d’émotion. On
trentenaire de Gradignan. Il veut
« jouer les prolong’» et respirer,
D’ÉMOTION. ON EN AVAIT vieux tube bien kitsch de Fran-
çois Valéry, encore joué dans les
Provence, venu à Avignon tra- en avait besoin, je crois. Ce soir, j’ai garder un peu en lui de ce parfum BESOIN, JE CROIS. CE boîtes de nuit d’aujourd’hui. Il
vailler le temps du festival. « De complètement oublié les terroris- de victoire. Applaudir, encore et raconte « une joie simple, cons-
1998, je ne me souviens que de tes. Ils n’existent plus. » A l’angle encore, « à [s]’en casser les mains », SOIR, J’AI COMPLÈTEMENT ciente de sa naïveté », à laquelle il
l’ambiance avec mes parents, à la
maison », note, de son côté, Ibra-
des rues Bichat et Alibert, dans le
10e arrondissement de Paris, le
hurler I Will Survive ou « On est les
champions, on est les champions »,
OUBLIÉ LES TERRORISTES. ne faut pas donner plus de sens
qu’elle n’en a ni chercher à trop
him, 29 ans, réceptionniste d’un Carillon déborde de cris et de faire « la danse de la joie » et obser- ILS N’EXISTENT PLUS » l’interpréter. « N’attendons pas
grand magasin du quartier du clients qui envahissent la ter- ver le stade se transformer en dis- que la mort nous trouve du talent,
Châtelet et venu regarder la finale rasse et le trottoir. C’est dans ce cothèque de plein air, laisser les LAURENT LE FOULGOC disent les paroles d’Aimons-nous
à Nanterre. Avec des milliers de bar que, le 13 novembre 2015, basses de la musique l’envahir. Il supporteur nantais vivants. S’il faut danser, je veux
supporteurs, il a gagné le tout neuf victimes étaient tombées ne suit pas ceux qui descendent danser maintenant. Aimons-nous
nouveau complexe U Arena, où sous les balles du commando ter- fouler la pelouse. Il préfère « gar- vivants. » Le temps d’une Coupe
les stars de l’équipe de 1998 roriste du Bataclan et des terras- der un peu de hauteur ». couvrent les trottoirs ne sont en du monde, d’un été et d’une
s’étaient rassemblées, le 12 juin, le ses. Hassan, l’un des gérants, a Avant minuit commencent, ici réalité que le verre pilé des bou- chanson. p
temps d’un match de gala, pour installé deux écrans et une ti- ou là, les pillages et les violences. teilles de bière. ariane chemin, richard
fêter les 20 ans de leur sacre. reuse à bière, mais il est débordé Sur les Champs-Elysées, à Creil, à Que c’est beau, pourtant, une schittly (lyon, correspon-
« J’avais 9 ans. Si je suis venu ici,
c’est pour enfin vivre cette atmos-
par son succès. Germain, 28 ans,
arrivé de Nice où il a assisté la
Lyon, à Rouen, « c’est le fuego »,
« le feu », dit l’un, « Bagdad », s’af-
ville qui danse ! A Paris, en re-
montant vers la rue de Paradis,
dant), florence moreau (bor-
deaux, correspondance),
phère par moi-même. » « Nous, les veille à la cérémonie d’hommage fole un autre. Des vitrines et des un café parisien dégorge une simon auffret, gilles rof,
trentenaires, la victoire 1998, on aux victimes de l’attentat du 14- Abribus volent, des kiosques sont foule qui tangue : « On va sandrine blanchard, yann
l’avait touchée du bout des doigts, Juillet : « C’est ici que je voulais dévalisés, des mortiers jetés sur s’aimer », chante Gilbert Monta- bouchez, pierre bouvier,
résume joliment Jacques Le Peve-
dic, Nantais lui aussi. Cette Coupe
voir la France heureuse ce soir. »
Pour Hayat, venue en voisine
les policiers. Une odeur entêtante
de pneu brûlé veut faire oublier la
gné. Ailleurs, c’est Happy Nation,
d’Ace of Base, qui fait chavirer la
cécile bouanchaud, laurie mo-
niez (lille, correspondance),
du monde-là, on la prend à deux avec ses deux enfants, la victoire fête. Le drapeau, de cape ou de foule. Lou Méry, une Parisienne laurent carpentier, astrid de
mains. C’est une sorte de paren- des Bleus « marque un jour histo- bandana, se porte désormais en de 25 ans aux grands yeux bleus villaines et anne-hélène
thèse enchantée et ça fait du bien. » rique qui fait revenir le soleil ». masque, et les paillettes qui re- innocents, croit avoir trouvé sur dorison (nantes, intérim)
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Le sacre d’une jeunesse conquérante et disciplinée
Deschamps a transformé un groupe talentueux mais inexpérimenté en véritable machine à gagner
moscou - envoyé spécial
K VINGT-TROIS JOUEURS
ylian Mbappé a-t-il seu-
lement pris la mesure
de son exploit au mo-
ment de soulever la
Coupe du monde, dimanche
15 juillet, dans le ciel pluvieux du
stade Loujniki de Moscou ? Hilare
sous une nuée de confettis dorés,
l’insouciant attaquant des Bleus
semblait avoir oublié jusqu’à son
âge, 19 ans, et sa date de naissance,
le 20 décembre 1998. Le prodige
était encore bien au chaud dans le
ventre de sa mère quand son sé-
lectionneur, Didier Deschamps,
terrassait le Brésil et remportait le
tournoi planétaire, le brassard de
capitaine des Tricolores au bras.
Deux décennies après le sacre de
Zidane et consorts, voilà que
Mbappé a accroché une deuxième
étoile au maillot de l’équipe de
France, en renversant (4-2) la bluf-
fante Croatie de Luka Modric, au
terme d’une finale totalement dé-
bridée. D’une imparable frappe à
ras de terre, l’ailier du PSG s’est
même payé le luxe d’inscrire son
quatrième but de la compétition
et de parachever la victoire des
Bleus contre une sélection à da-
mier usée jusqu’à la corde par ses
trois prolongations avalées sur la
route de Moscou. « Nous serons
dans l’histoire à jamais », a déclaré
le chef de file de la nouvelle vague
– élu meilleur jeune joueur du
tournoi –, qui vient d’installer le
football français sur le toit du
monde pour quatre années.
Deuxième plus jeune buteur en
finale de Coupe du monde der-
rière le Brésilien Pelé, auteur d’un
doublé lors de l’édition suédoise
de 1958, à 17 ans et huit mois,
Mbappé renvoie au pari fou que
s’était lancé Deschamps : faire
d’une sélection « verte » (26 ans de
moyenne d’âge) et assez inexpéri-
mentée une machine à gagner.
« J’avais un groupe très jeune, qua-
torze des vingt-trois joueurs décou-
vraient une Coupe du monde.
C’était un peu l’inconnu, mais ils
l’ont fait », a souligné le Bayonnais.
Ce dernier est devenu le troisième
homme – après le Brésilien Mario
Zagallo et l’Allemand Franz Bec-
kenbauer – à remporter le tournoi
comme joueur puis sélectionneur.
Qui aurait pu pourtant prédire le
sacre de cette jeunesse conqué-
rante, incarnée par les arrières laté-
CHRONIQUE
par ol ivie r gue z, é cr ivain
Magie noire, irrationnel et baraka
E
n guise d’apothéose, je
prévoyais un récit épi-
que, une chanson de ges-
tes exaltant le onze fran-
çais en quête d’un deuxième titre
mondial : Griezmann en Gilga-
mesh ; Varane puisant en lui une
énergie surhumaine pour enrayer
les offensives adverses. Après un
quart d’heure de jeu, j’ai envie
d’écrire sur les Croates et, puis-
qu’ils ont perdu, je rends hom-
mage au valeureux Vida (dans une
vie antérieure, il fut cosaque sur le
Don, il en a le coffre et la queue-de-
cheval), à l’excellent Perisic (quel
but !) et à leurs milieux de terrain,
emmenés par le maestro Modric,
désigné meilleur joueur de la
compétition à juste titre.
Ce petit homme à tête de rapace
est la gloire du football. Il doit pos-
séder un pinceau à l’extrémité de
chaque pied. Vista, feintes ; intelli-
Antoine Griezmann, Paul Pogba et Kylian Mbappé, dimanche 15 juillet, à Moscou. KAI PFAFFENBACH/REUTERS
raux Benjamin Pavard et Lucas
Hernandez (22 ans), après son en-
tame de tournoi laborieuse, le
16 juin, face à l’Australie ? Ce jour-là,
Deschamps n’avait aligné que trois
joueurs de plus de 25 ans. La courte
victoire (2-1) acquise contre les Soc-
ceroos l’avait poussé à revoir son
système de jeu et à sortir ses gro-
gnards Olivier Giroud et Blaise Ma-
tuidi (31 ans) du placard pour mus-
cler sa formation.
Montée en puissance
Les ajustements opérés lors du
succès (1-0) obtenu face au Pérou,
le 21 juin, ont marqué un tournant
décisif. Tel un général à la tête de
dociles soldats, Deschamps a
transformé son équipe en un
commando discipliné, prêt à en-
durer les pires souffrances pour al-
ler jusqu’au bout.
Le 30 juin, en huitièmes de fi-
nale, la victoire échevelée (4-3) des
gence du corps et de l’esprit, Mo-
dric ratisse, oriente, dévie, élasti-
que et gracile, et à le regarder ca-
brioler sur un terrain, d’un camp
l’autre, on se dit que le football est
un art.
Il n’empêche, la Croatie a perdu
et c’est tant mieux. L’après-midi
passant, j’avais des nœuds dans le
ventre, grandissants. Mais pour-
quoi m’inquiéter ? Comment
oublier la chance de Deschamps ?
Sans jamais tirer au but, ni même
esquisser un mouvement, et alors
que la Croatie a développé un jeu
remarquable, la France mène 2-1 à
la mi-temps. Cet avantage relève
de la magie noire, et pendant que
dans le vestiaire français Des-
champs prononce une énième in-
cantation satanique, je pense à la
malédiction des équipes d’Europe
centrale, à la Wunderteam autri-
chienne de l’entre-deux-guerres, à
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
Bleus contre l’Argentine de Lionel
Messi a témoigné de leur montée
en puissance sur le plan athléti-
que. Ce fut le triomphe de l’endu-
rance, de la hargne et de la vitesse.
L’infatigable milieu N’Golo Kanté
a alors incarné les vertus d’une
préparation physique intense,
pensée pour permettre aux Trico-
lores de décoller à partir des
matchs à élimination directe.
Génial stratège, abreuvé de rap-
ports d’observation et de monta-
ges vidéo réalisés par son staff,
Deschamps s’est toujours adapté
au jeu de l’adversaire pour prépa-
rer ses échéances. « Toutes les
chances sont mises de notre coté,
pour qu’on sache exactement ce
qu’on a à faire sur le terrain », a ex-
pliqué l’avant-centre Olivier Gi-
roud, qui n’aura jamais fait trem-
bler les filets en Russie, passant le
plus clair de son temps à s’épou-
moner pour presser l’adversaire.
la Hongrie et à la Tchécoslova-
quie, qui, bien que brillantissi-
mes, n’ont jamais réussi à rem-
porter la Coupe du monde.
La finale bascule dans l’irration-
nel lorsqu’un commando des
Pussy Riot envahit la pelouse et
que deux extraterrestres français
assomment les Croates, pour tou-
jours. L’équipe de France n’est pas
seulement chanceuse, athlétique
et savamment organisée, elle pos-
sède d’immenses talents, Paul
Pogba et Kylian Mbappé. Le gosse
marche vraiment sur les traces de
Pelé, la France mène 4-1 en finale
de Coupe du monde, comme le
Brésil face à l’Italie en 1970, et à ce
train-là, Olivier Giroud risque
d’inscrire son premier but de la
compétition. Peu après, Lloris
nous fait grâce d’une facétie en ra-
tant un dribble devant Mandzu-
kic, qui signe un improbable dou-
Fils spirituel de l’ex-sélection-
neur Aimé Jacquet, sacré sur le
banc vingt ans avant lui, Des-
champs s’est appuyé sur un bloc
ultra-défensif et des joueurs offen-
sifs capables de se projeter vers
l’avant et de tuer la rencontre sur
des contre-attaques assassines.
La victoire acquise tout en maî-
trise contre l’Uruguay (2-0) le
6 juillet, en quarts, a mis en relief
cette impressionnante solidité
doublée d’un réalisme insolent
devant la cage adverse. Sous le rè-
gne de Deschamps, marqué du
sceau du pragmatisme, cette
équipe de France a parfois été par-
ticulièrement caricaturale, don-
nant l’impression de refuser le jeu
et de subir pour mieux surpren-
dre l’adversaire. Ce fut le cas con-
tre la spectaculaire Belgique
d’Eden Hazard, le 10 juin, en demi-
finales. Au point que les Diables
rouges, mauvais perdants (0-1) et
blé (un but pour, un but contre,
du jamais-vu en finale de Coupe
du monde).
Cette finale prolixe ne ressem-
ble en rien aux précédentes, ten-
dues et indécises jusqu’aux der-
nières secondes. Elle est même
unique en son genre : il reste
vingt minutes de jeu, mais la par-
tie se fige, les Croates craignent
d’encaisser de nouveaux buts et
les Français se barricadent, onze
Bleus nuit se battent et dégagent,
parfois en direction du ciel qui
gronde et où une deuxième
étoile apparaît.
Pluie d’or et feux d’artifice
Je flotte. D’ici à quelques minutes,
la France va remporter une
deuxième Coupe du monde, mais
je revois quelques instantanés du
mois sublime qui vient de s’écou-
ler, les supporteurs sud-améri-
écœurés par la stratégie de démo-
lition des Tricolores, les ont verte-
ment dépeints en gagne-petit.
« Vous pouvez poser la question,
sommes-nous de beaux cham-
pions du monde ? On est cham-
pions du monde, c’est ce qu’il faut
retenir, a insisté Deschamps, porté
en triomphe et aspergé de cham-
pagne par ses protégés. On a fait
les choses mieux que les autres,
avec plus de maîtrise. Les joueurs
n’ont jamais rien lâché. »
Deux ans après sa défaite (0-1
après prolongation) en finale de
l’Euro 2016 contre le Portugal, le
technicien a pu s’appuyer sur ses
cadres pour prendre sa revanche.
Personne ne peut reprocher au
gardien Hugo Lloris sa bourde, en
finale, sur le but tardif de Mario
Mandzukic, qui relève de l’anec-
dote. Intraitable sur sa ligne, le ca-
pitaine aux 104 sélections a sauvé
ses troupes contre l’Uruguay en
cains vociférant dans le métro de-
vant les Moscovites et les policiers
ébahis, les couples Tinder roucou-
lant en globish au parc Gorki, la
Volga majestueuse, les milliers de
jeunes volontaires russes dans les
stades, et j’entends des notes de
piano s’échapper d’une fenêtre
d’un conservatoire, au hasard
d’une promenade. C’est fini. Les
Français s’étreignent et jubilent,
Deschamps est porté aux nues,
les Croates et le ciel pleurent.
Devant sa télévision, François
Hollande se dit que la remise du
trophée, sous cette pluie battante,
était pour lui. Maintenant, les
vaincus puis les champions ser-
rent la main des puissants qui ju-
bilent. Gianni Infantino préside la
plus grande « Eglise » du monde,
la FIFA est une machine d’une re-
doutable efficacité. Vladimir Pou-
tine a gagné son pari. En dispa-
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
« QUATORZE DES
DÉCOUVRAIENT UNE
COUPE DU MONDE. C’ÉTAIT
UN PEU L’INCONNU,
MAIS ILS L’ONT FAIT »
DIDIER DESCHAMPS
réalisant la parade du tournoi sur
une tête à bout portant de Martin
Caceres. Sous des trombes d’eau, il
est devenu le deuxième capitaine
français à se voir remettre le tro-
phée de la Coupe du monde, vingt
ans après son sélectionneur.
La charnière centrale composée
de Raphaël Varane et de Samuel
Umtiti a aussi tenu la baraque.
Maîtres des airs, les deux défen-
seurs se sont même mués en bu-
teurs providentiels : le premier a
débloqué la situation contre l’Uru-
guay d’un joli coup de tête, le se-
cond a ouvert (du crâne égale-
ment) à ses partenaires, face à la
Belgique, les portes de la finale.
Quant aux milieux Blaise Ma-
tuidi, N’Golo Kanté et Paul Pogba,
auteur du troisième but – celui de
la délivrance – contre la Croatie, ils
ont été le rouage essentiel de la
machine tricolore. Et que dire
d’Antoine Griezmann, leader tech-
nique tourné vers le collectif ?
Désigné meilleur joueur de la fi-
nale, ce dernier a loué la « cohé-
sion » de l’effectif. Dans le huis clos
du camp de base d’Istra, Des-
champs aura enfilé son costume
de DRH tout en maniant la carotte
et le bâton : « J’ai parfois été dur,
mais c’est pour leur bien. Le mana-
gement, la psychologie, ça fait par-
tie de mon métier. On a passé cin-
quante-cinq jours ensemble et il n’y
a pas eu le moindre problème. »
Avant de regagner l’Hexagone
avec ses joueurs pour parader,
lundi 16 juillet après-midi, sur les
Champs-Elysées, Deschamps a
confirmé qu’il irait au terme de
son mandat, fixé à l’Euro 2020. « Je
suis convaincu que mes joueurs se-
ront plus forts dans deux, quatre
ans », a promis le sélectionneur,
sous les vivats des journalistes.
Des honneurs dus à son rang de
« double » champion du monde. p
rémi dupré
raissant toute la compétition, il a
fait croire aux millions de visi-
teurs étrangers que la Russie était
une terre de libertés. Emmanuel
Macron a la baraka, c’est entendu.
On n’a jamais autant vu le chef de
l’Etat croate, la (très) chaleureuse
Kolinda Grabar-Kitarovic, depuis
l’explosion de la Yougoslavie.
Une pluie d’or s’abat sur les
joueurs et l’encadrement français.
Des feux d’artifice embrasent le
ciel de Moscou. Couverte de con-
fettis dorés et voilée par les bru-
mes des fumigènes qui s’estom-
pent lentement, la pelouse du
stade Loujniki a des tons
d’automne. En Russie, la Coupe
du monde s’achève, en France,
l’été de l’euphorie débute. p
Olivier Guez est l’auteur de « La
Disparition de Josef Mengele »
(Grasset, prix Renaudot 2017).
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS

8|
Griezmann, un héraut plutôt qu’un héros
L’attaquant français, impliqué dans trois des quatre buts des Bleus, a insisté sur le rôle de l’équipe
moscou - envoyé spécial
L DE TOUTES SES QUALITÉS,
e malheureux va devoir
s’y faire. Une fois de plus,
les spectateurs l’ont dési-
gné homme du match.
Une fois de plus, leurs suffrages
rappellent l’attaquant à son im-
portance. Un journaliste insiste. Y
aurait-il, en 2018, une « généra-
tion Griezmann », comme il y eut
celle de Zidane en 1998 ? La rime
est acceptable. La comparaison,
un peu gênante, selon l’intéressé :
« Vous me connaissez, je mets tou-
jours le collectif en premier. »
Antoine Griezmann se voit en
héraut, pas en héros. Un porte-pa-
role de l’équipe, un saute-ruis-
seau, tout ce que l’on voudra, mais
rien d’autre que le membre d’un
collectif. Le message, au soir du
dimanche 15 juillet : si la France a
remporté sa deuxième étoile de
championne du monde, dans le
ciel orageux de Moscou, elle le
doit avant tout à un groupe plutôt
qu’à l’éclat d’un seul footballeur.
Vingt ans après le premier titre
mondial des Bleus, Antoine Griez-
mann n’a pas marqué un doublé
de la tête contre le Brésil. Comme
Zinédine Zidane en son temps, le
voilà pourtant, lui aussi, décisif
en finale du tournoi : l’attaquant a
pris part à trois des quatre buts
français contre la Croatie (4-2).
« Bien vivre ensemble »
Juste avant la mi-temps, un
Croate touche le ballon de la
main. Le Français transforme le
penalty : contre-pied parfait pour
redonner l’avantage aux siens.
Avant cela, sur coup franc, son
ballon malicieux avait entraîné
l’ouverture du score : un avant-
centre adverse, Mario Mandzukic,
le déviait contre son camp. A
l’heure de jeu, dos à la défense,
Griezmann a cette fois le ballon
en mouvement. Un tir en pivot
peut s’envisager. Lui préfère la
passe. En deux tirs, trois mouve-
ments, son coéquipier Paul Pogba
lui donne raison : à l’entrée de la
surface, le milieu de terrain ac-
centue l’avance française.
Il faut voir, à cet instant, tous les
remplaçants courir après Pogba
comme après un rêve en com-
mun. Une constante, depuis le dé-
Arbitrage vidéo : les nouvelles technologies au service de la France
La VAR, qui avait déjà profité aux Bleus lors de leur match d’ouverture face à l’Australie, a fait basculer la rencontre aux dépens des Croates
moscou - envoyés spéciaux
M ains sur les hanches,
un attaquant se pré-
pare au point de pe-
nalty. Une nuée d’adversaires
tournent autour de l’arbitre, qui
pour l’influencer, qui pour le
houspiller. Cet été, ces scènes
avaient quelque chose d’histori-
que. Pour la première fois en
Coupe du monde, les arbitres
pouvaient recourir à des ralentis
vidéo avant de trancher toute dé-
cision litigieuse. Notamment
pour des fautes commises dans la
surface de réparation.
Les Bleus ont sûrement appré-
cié. Dimanche 15 juillet, les nou-
veaux champions du monde ont
fini le tournoi comme ils l’avaient
commencé, en principaux béné-
ficiaires de cette nouvelle règle.
Juste avant la mi-temps de la fi-
nale contre la Croatie, au stade
Loujniki de Moscou, Nestor Pi-
tana entre en action. Sur un cor-
ner d’Antoine Griezmann, l’atta-
Dimanche 15 juillet, au stade Loujniki, à Moscou. FRANCK FIFE/AFP
but du tournoi, selon Griezmann :
« Les remplaçants ne boudaient
pas, ne s’énervaient jamais. Ils tra-
vaillaient pour le collectif, pour
que tout aille bien. C’est ce qui a
fait notre force. » Il faut aussi les
voir après match, tous ces jeunes
hommes, ceints d’un drapeau tri-
colore, courir sur la pelouse
comme dans une cour de récréa-
tion. Les voir, enfin, dans la joie et
les bonnes clameurs, chahuter la
conférence de presse de Didier
Deschamps : « Ils sont jeunes »,
sourit le sélectionneur, qui peut
bien permettre cette fredaine.
Deschamps insiste sur la notion
de « bien vivre ensemble ». Un mot
à la mode pour décrire une logi-
quant croate Ivan Perisic touche
le ballon de la main. L’arbitre ar-
gentin demande la VAR, acro-
nyme anglais pour « assistance
vidéo à l’arbitrage », et accorde un
penalty. Griezmann transforme
la sentence : un but primordial,
sans doute le tournant du match,
qui permet alors aux Français de
mener (2-1) à la pause.
« Une bonne chose »
Précision : l’arbitre avait au dé-
part laissé le jeu se poursuivre,
sans le moindre coup de sifflet.
Jusqu’à ce que son oreillette lui in-
dique le signalement de son assis-
tant chargé de la vidéo, l’Italien
Massimiliano Irrati. « En fait,
quand l’arbitre est allé voir la vi-
déo, je ne savais pas pourquoi, j’ai
demandé à Olive [Giroud], et il m’a
dit qu’il y avait main », relate « Gri-
zou », désigné homme du match.
« J’ai essayé d’être dans mon coin,
un peu seul, et quand il a sifflé pe-
nalty, de faire comme si c’était un
match de championnat, et garder
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
que déjà opérante, en réalité, lors
du titre de 1998 : à l’époque, « DD »
soulevait le Mondial en tant que
capitaine des Bleus. « Antoine, au-
delà de toutes ses qualités, a beau-
coup d’humilité, apprécie-t-il. Il
sait très bien qu’il existe à travers
un collectif. »
S’il les fête bien sûr en équipe, le
n° 7 français a une manière dis-
tinctive de célébrer ses buts. Sur
les terrains de Russie, la même
gestuelle à chaque fois. Ses mon-
tées de genoux pourraient res-
sembler à une danse cosaque. El-
les reprennent en fait la chorégra-
phie inspirée d’un jeu vidéo. De-
puis le début de l’été, promis, le
jeune homme « reste le même ».
« ON N’ACCORDE PAS
CE GENRE DE PENALTY
EN FINALE. (…)
S’IL VOUS PLAÎT,
NE ME FAITES PAS DIRE
DES CHOSES NÉGATIVES
SUR L’ARBITRE »
ZLATKO DALIC
sélectionneur croate
mon calme et mon sang-froid »,
poursuit l’attaquant français.
Subsiste toujours cette ques-
tion, cette part d’incertitude :
sans l’appui de la vidéo, l’arbitre
aurait-il pris la même décision ?
« On n’accorde pas ce genre de pe-
nalty en finale », regrette le sélec-
tionneur croate, Zlatko Dalic. Qui
poursuit avec cette phrase contra-
dictoire : « S’il vous plaît, ne me fai-
Sur le terrain, le footballeur
concède peut-être un léger chan-
gement. En 2016, il terminait
meilleur buteur de l’Euro, mais
perdait en finale : défaite à
domicile contre le Portugal.
Deux ans plus tard, l’avant-cen-
tre marque moins, mais défend
plus : « Je veux l’étoile et, si j’ai
l’étoile, je m’en fous du [style] de
jeu », revendiquait-il dès avant la
finale. Les Bleus de Deschamps
laissent davantage le ballon à
l’adversaire, et l’avant-centre as-
sume. Court dans le vide. Se re-
plie autant que nécessaire. « La
défense, dans notre style de jeu,
avec les joueurs qu’on a, reste le
plus important. »
tes pas dire des choses négatives
sur l’arbitre. » Selon l’entraîneur,
qui refuse d’attribuer à ce penalty
l’entière responsabilité de sa dé-
faite, la vidéo reste « une bonne
chose pour le football » : « La VAR,
c’est bien quand c’est en votre fa-
veur. C’est moins bien quand c’est
en votre défaveur. » Le milieu Ivan
Rakitic, lui, a eu des mots plus
tranchés : le joueur a trouvé « le
penalty très, très douteux… Ça fait
très mal de perdre comme ça ».
Le 16 juin, pour leur entrée en
matière, les Bleus avaient déjà
profité de la vidéo. Griezmann
ouvrait le score contre l’Australie
sur penalty, là encore après une
décision « vidéosurveillée ». Une
grande première dans l’histoire
du tournoi. Un but important :
juste avant l’heure de jeu, à Kazan,
les Bleus se demandaient tou-
jours comment inscrire leur pre-
mier but du Mondial… Ce jour-là,
l’usage de la vidéo a sanctionné
un tacle de Josh Risdon sur An-
toine Griezmann. Un penalty
« Grizou » – qui préfère le sur-
nom de « Grizi » – avait jusque-là
marqué seulement trois fois
dans ce Mondial. En quarts de fi-
nale, d’une frappe hors de la sur-
face, il profitait d’une bévue du
gardien uruguayen. Sur penalty
(déjà), il ouvrait le score contre
l’Argentine en huitièmes, et l’Aus-
tralie en phase de poule. Pour
faire bonne mesure, rappelons
aussi ses deux passes décisives :
sur coup franc pour la tête de Ra-
phaël Varane contre l’Uruguay ;
sur corner pour celle d’un autre
défenseur contre la Belgique,
Samuel Umtiti, en demi-finales.
Sur la pelouse du stade Loujniki,
le jeune père a aussi célébré le titre
« assez controversé », selon le sé-
lectionneur néerlandais de
l’équipe océanienne, Bert van
Marwijk : « Le langage corporel de
l’arbitre montrait qu’il n’était pas
très sûr de lui. »
Dix penaltys validés
A peine instaurée, déjà contes-
tée : innovation majeure, car
substitut à l’arbitrage humain, la
VAR a occupé le terrain pendant
tout ce Mondial russe. Ne se-
rait-ce qu’au premier tour, son
utilisation a conduit à la valida-
tion de dix penaltys – dont sept
transformés – sur quarante-huit
matchs. « La VAR rend le football
plus honnête et plus transpa-
rent », martelait encore Gianni
Infantino, l’avant-veille de la fi-
nale. Le président de la Fédéra-
tion internationale de football
(FIFA) est d’autant plus enclin à
défendre ce nouveau dispositif,
instauré en mars, qu’il en a fait
l’un des actes marquants depuis
son élection, en février 2016.
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
« ANTOINE, AU-DELÀ
A BEAUCOUP D’HUMILITÉ.
IL SAIT TRÈS BIEN
QU’IL EXISTE À TRAVERS
UN COLLECTIF »
DIDIER DESCHAMPS
avec sa fille Mia, 2 ans. Le joueur
pensait encore à elle, devant les
journalistes, à l’instant d’entrer
« dans l’histoire du football fran-
çais » : « Nos enfants vont être fiers
de porter nos noms. » Des noms de
champions du monde. « On essaie
de donner une bonne image de la
France, des joueurs français, on es-
père que beaucoup de jeunes ont
vu ce match et feront pareil. »
« Une France qu’on aime »
Antoine Griezmann avait 7 ans
en 1998, ce qui fait déjà de lui l’un
des plus âgés de ce jeune groupe.
Sans transformer à nouveau cette
équipe en symbole politique
d’une France « black-blanc-beur »,
le joueur voit tout simplement en
cette sélection « une France qu’on
aime » : un groupe avec « beau-
coup de joueurs d’origines différen-
tes », mais avec « un état d’esprit »
positif, cette envie partagée de
« tous jouer pour ce même maillot,
pour ce coq et pour ce pays ».
Il y a un paradoxe dans tout cela.
Antoine Griezmann vient peut-
être de Mâcon, en Saône-et-Loire.
Mais l’adolescent a construit
toute sa carrière en Espagne, loin
de ces centres de formation fran-
çais qui invoquaient son petit ga-
barit comme une grande raison
de refus. Le blondinet a d’abord
rallié la Real Sociedad. Puis l’Atlé-
tico Madrid, vainqueur de la Ligue
Europa au mois de mai contre
Marseille, déjà grâce à un doublé
du Français. Griezmann refuse de
rêver en public à un éventuel « Bal-
lon d’or », le trophée qui récom-
pense en décembre le meilleur
joueur de l’année. L’urgence étant
plutôt, selon ses mots, « à kiffer le
titre avec tous les Français ». p
adrien pécout
A chaque patron du foot mon-
dial son innovation en la matière.
En 2012, l’ex-numéro 1 de la FIFA,
Sepp Blatter, militait pour l’intro-
duction de la goal line technology
(GLT). Depuis, toujours à l’œuvre,
le dispositif sert à vérifier si le bal-
lon a bel et bien franchi la ligne de
but. Pour justifier cet ajout, le diri-
geant suisse invoquait le but in-
justement refusé à l’Anglais Frank
Lampard contre l’Allemagne, en
huitièmes de finale du Mondial
2010, en Afrique du Sud.
La GLT a été utilisée pour la pre-
mière fois par la FIFA lors de la
Coupe du monde 2014, au Brésil.
Pour ses grands débuts dans le
tournoi, l’attaquant français Ka-
rim Benzema avait vu son but
ainsi validé lors de la victoire
(3-0) sur le Honduras, à Porto
Alegre. Déjà, les Bleus s’étaient
distingués comme les premiers
bénéficiaires d’un dispositif
technologique. p
rémi dupré
et a. pt

0123
MARDI 17 JUILLET 2018
Didier Deschamps et Kylian Mbappé, à Moscou, le 15 juillet.
« En route, les gars,
on y va tous ensemble »
Pour l’ex-journaliste du « Monde » Pierre
Georges, qui a couvert plusieurs Coupes
du monde, le succès de l’équipe de France
signe le triomphe d’un pédagogue, Didier
Deschamps, et de sa « classe turbulente
et vivante », cette « génération surdouée »
Par PIERRE GEORGES
D ans le fond, ce fut
comme une révélation.
Hilarante et en même
temps dantesque. Dans ce fa-
meux stade de Moscou, Poutine
avait convié ses hôtes, non pas
pour leur asséner, comme cha-
que soir de match, un admirable
concerto de piano mécanique.
Non, là, c’était autre : la grandiose
remise des prix à la cérémonie
Vladimir. Une vraie de vraie avec
fanfare, collection de médailles,
distribution de diplômes et cou-
pes annexes, buteur espoir du
siècle, Ballon d’or jusqu’à la fin
des abonnements à vie, sauf tré-
pas sportif. Et, bien sûr, la fa-
meuse Coupe en or massif de la
« Maison Jules Rimet, Paris »,
dont tout pratiquant rêve avant
même l’idée de puberté. C’est
dire l’horreur de la dépendance,
et planétaire celle-là.
Notre tsar, incontestablement
ravi de l’issue négative pour les
Croates, ceux-là mêmes qui
avaient éliminé sa Russie, les vit
prendre l’ultime potion. Et ce fut
pour ainsi dire une alliance fran-
co-russe. Un gang de gamins,
Français de partout et fiers de
l’être, avait décidé, comme des
jeunes, comme une équipe, d’ar-
rêter les conneries, les déguise-
ments, les trajectoires égoïstes de
futures idoles des foules, de con-
trats en pétrodollars et de vie de
nabab. Ne serait-ce qu’un mo-
ment, ils avaient juré d’aider leur
pays à être le pays, la France leur
France et réciproquement. En-
semble, faisons un bout de che-
min, un bout de bonheur de vivre.
C’est un pari de jeunes, le pari
d’une génération. C’est un pari de
« ouf », diraient-ils. Essayer,
comme l’avait écrit un jour Jean
Lacouture (1921-2015), de « péter
contre le tonnerre ambiant ». Le
faire taire un peu, ce malheur col-
lectif que les crétins, augures et
prédicateurs, les racistes, les pré-
visionnistes des mille et une
GABRIEL BOUYS/AFP
plaies, de la décadence garantie
sur avenir et de l’endettement sur
commande. Et d’ailleurs, ce pet fit
tellement de bruit qu’il finit par
estourbir l’orage, qu’on n’ose ima-
giner croate. Et qu’à la place, on
vit le plus joyeux monôme de
footballeurs français, déguisés en
sac à Coupe aller chercher pour
leur génération, l’immense majo-
rité des jeunes Français, un mo-
ment d’autre chose que la sinistre
assignation à la morosité con-
templative : le bonheur.
Laissons Poutine et sa garde ré-
cupérer, mais un peu tard, des pa-
rapluies pour sauver ses hôtes.
Laissons Donald Trump, gougna-
fier de première, laisser la reine
d’Angleterre rissoler sept minu-
tes en plein cagnard, passer la
garde en revue avant elle et faire
une sorte de sacrilège photogra-
phique en un musée royal. Ces
gens-là sont hors de notre espé-
rance commune.
Procès permanent
Ici, un aveu hors de toute modes-
tie : savez-vous comment j’ai ima-
giné que la France pouvait gagner
cette Coupe du monde ? En obser-
vant le car, leur car. Ce n’était pas
un car à l’américaine, façon
school, mais plutôt un car de sé-
curité en pur blindage. Et, après
chaque match, en route vers un
hôtel genre forteresse de luxe. Et
immanquablement, au départ
comme à l’arrivée, l’équipe chan-
tait au départ comme elle dansait
à l’arrivée, le personnel au garde à
vous au début, hilare et joyeux.
Des gens en route vers la félicité,
et dans le rire le plus partagé. Si-
gne infaillible de rêve. Pour tout
dire, cela ne ressemblait pas à un
car sud-africain où d’autres
s’étaient constitués prisonniers à
leur propre connerie collective.
Et puis, deuxième signe infailli-
ble : le sort fait aux deux sélec-
tionneurs, Aimé Jacquet et Didier
Deschamps, en ligne de mire, l’un
comme l’autre, limogeage main-
tenant ou demain. Bref, le procès
permanent fait par des millions
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
|9
Bravo
la France !
de sélectionneurs, gens de métier
ou gens de bistrot, agents d’in-
fluence, et tous ceux qui se
croient oints de la sainte huile
footbalistique. C’est la nature
même de la passion dévorante du
football. Seulement, voilà : Aimé
Jacquet a gagné la Coupe du
monde en 1998 et occi les cabalis-
tes. Et Didier Deschamps vient de
suspendre au lustre moscovite la
coalition de ses tourmenteurs. 2 à
0, en bonne arithmétique de nos
enfants de France !
On a tout dit, et tout prédit, sur
Deschamps : que sa sélection était
bancale, que sa visée de jeu n’était
pas optimiste, mais rappetout,
point après point, marche après
marche. On lui a lancé dans les
pattes – et là, c’est de l’infamie –
une hypothèse Zinédine Zidane,
libre de Madrid et supposé libre
pour l’équipe de France. On a or-
ganisé, en plein début du Mon-
dial, des sondages : chers Français
de France, qui préférez-vous
comme sélectionneur national ?
Zizou répondit la foule. Et bien,
patientez un peu, on embaumera
le défunt au premier quart de fi-
nale venu, et vive Zizou !
Voilà ce joli monde tel qu’il va,
avec ses mœurs de satrape et ses
procès de fronde. Et voici en face le
grand mystère qui nous réjouit ce
jour : comment Didier Deschamps
a-t-il réussi à convaincre ses jeunes
Marie-Louise et ses quelques
vieux briscards de se fédérer, d’être
vingt-trois au début et vingt-trois
à la fin, de leur dire, en somme,
« en route, les gars on y va tous en-
semble, je ne peux pas vous pro-
mettre de tous jouer, mais de vivre
un bonheur commun » ?
Il s’agit, sans aucun doute, du
vrai triomphe d’un pédagogue et,
derrière lui, d’une ribambelle
d’enseignants, de parents, d’édu-
cateurs, de formateurs. Et puis
une chose insensée, la découverte
d’une génération formidable et
Année 2018 • LIDL RCS Strasbourg 343 262 622
surdouée. Mais il ne faut pas ex-
clure une extraordinaire évolu-
tion du pédago lui-même, au con-
tact de cette classe turbulente et
vivante. Oui, il n’est pas exclu
d’imaginer que Deschamps ait été
parmi les premiers à avoir vu bou-
ger le bonheur sous leur pied. Et
qu’il en soit devenu, à sa manière
rude et tendre, « tout chose ». p
Pierre Georges est un ancien
journaliste et chroniqueur
du « Monde »
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10 | 0123
MARDI 17 JUILLET 2018

Didier Deschamps, maître ès palmarès

C’
est entendu, Didier Des-
champs est désormais
« le sélectionneur de l’équi-
pe de Fraaaance cham-
pioooonne du moooonde
2018 ». Il est perché sur le
toit du monde, il a tout gagné, etc. On n’a
pas fini d’en souper. Donc, laissons le foot-
ball de côté un instant pour évoquer un futur
défi – notre homme est insatiable –, où il
pourrait bien devenir, une fois encore, le
meilleur : le gainage.
Le gainage est un exercice de renforcement
abdominal exigeant qui consiste à se mainte-
nir le plus longtemps possible en position de
planche appuyé sur les avant-bras. Le record
planétaire est de huit heures et une minute.
Depuis quelques années, et ça se voit car il est
devenu tout mince, Deschamps s’entraîne
d’arrache-pied. Comme il est très scrupu-
leux, il a même trouvé une technique ergo-
nomique qui consiste à placer des petits
coussinets sous ses avant-bras. Désormais, il
tient plus d’une heure, ce qui est très encou-
rageant. Cette passion méconnue a un sens :
le challenge, la victoire, sous toutes ses for-
mes, à n’importe quel prix, est son principal
hobby. Une obsession de collectionneur,
psychotique, même. Et comme la nature l’a
doté d’un esprit footballistique supérieur
dans ce genre d’exercice, son palmarès de
joueur-entraîneur est devenu, depuis diman-
che 15 juillet, presque indécent.
Ce palmarès, déplions-le, mais seulement
l’essentiel, une table standard est bien trop pe-
tite, en mesurant scrupuleusement, pour cha-
que titre, le degré de travail, d’acharnement
dans la routine, de va-et-vient dans un même
rectangle-cage, d’abnégation et de chance, de
force mentale, de renoncements et de téna-
cité de chien errant pour ne jamais abdiquer.
Ce sont à la fois des clichés sportifs et des réali-
tés (sur)humaines : cet homme est un cham- Au stade Loujniki, à Moscou, dimanche le 15 juillet, après la victoire (4-2) des Bleus face à la Croatie, en finale de la Coupe du monde. GABRIEL BOUYS/AFP
pion. Un champion du monde, un champion
de France, un champion d’Italie, un champion
d’Europe, et un champion du monde, encore,
en tant qu’entraîneur, cette fois. Avant lui, ils rain, Deschamps basculait à la fois naturelle- tout le monde n’en pensait pas moins : com-
n’étaient que deux, ce qui souligne la diffi- Le sélectionneur des Bleus, ment et brusquement de son statut de ment se passer de Karim Benzema ? Est-ce
culté du genre, à garnir le gratin légendaire de joueur à celui d’entraîneur. Roger Lemerre, le bien raisonnable de n’avoir pas de schéma
ceux qui sont parvenus à remporter une personnage plus complexe sélectionneur d’alors, le suppliait de rester tactique défini à l’orée du tournoi mondial ?
Coupe du monde comme joueur puis comme encore un peu, mais lui, comme toujours, France-Danemark (0-0), était-ce bien un
entraîneur : le Brésilien Mario Zagallo et l’Alle- qu’il n’y paraît, s’est imposé avait déjà tout prévu. Il avait déjà dessiné les match de football ? Deschamps n’a répondu à
mand Franz Beckenbauer. plans de son nouveau monde de coach. Il se rien. Il n’y avait pas besoin. Il a gagné.
très jeune comme un meneur fera la main à Monaco, avec une finale (per- Depuis dimanche et ce nouveau Graal, il a
due) de Ligue des champions, en 2003 ; re- encore ajusté sa trajectoire. Il est celui qu’on
L’homme de la situation
Deschamps a 49 ans. Il a presque toujours d’hommes. Après Zagallo donnera quelques couleurs à la Juventus redécouvre toujours et qu’on réhabilite
été ce qu’il est aujourd’hui. L’homme de la si- Turin tombée bien bas ; réapprendra à l’OM sans cesse, sans trop culpabiliser. Car on
tuation du football français. Depuis 1989 et et Beckenbauer, il est le troisième à gagner – champion de France 2010 – après peut en penser ceci ou cela, Deschamps es-
sa première sélection en équipe nationale, il dix-huit ans de disette. time, lui, que le parfum enivrant des per-
a toujours été ce passe-partout qui ne paye à soulever le trophée à la fois Deschamps pourrait avoir une statue dans dants magnifiques, les attaquants en gants
pas de mine, qu’on ne voit jamais arriver et tous ses ports. Mais, tout de même, ce n’est blancs et casoars, le romantisme, tout ça,
que seul un futurologue de l’absurde aurait comme joueur et entraîneur pas si simple. Sa trajectoire footballistique, ce n’est pas son genre… Lui préfère les ré-
pu imaginer si haut. Dans son dernier livre, c’est une histoire française. Une nationale ponses adéquates et froides comme une
son ancien coéquipier Bixente Lizarazu (Mes tortueuse et truculente, pas une autoroute al- technologie moderne.
prolongations, Seuil, 256 p., 19 euros) a ré- d’avion. Il n’avait sans doute déjà plus grand- lemande. Parce que le football, c’est un mi- On lui parle souvent de cette troisième
sumé : « Son importance, c’est en son absence chose à a apprendre, mais la cruauté de la vie lieu où il y a de l’herbe verte et aussi des or- étoile, qui, visiblement, n’appartient qu’à
qu’on la mesure le mieux. » Il n’y a pas de sens ou de la mort peut vous faire courir encore ties, un milieu quelquefois tordu comme un lui, celle qu’on appelle la bonne étoile. La
caché ironique. C’est juste que si Deschamps plus vite, encore plus longtemps, si c’est votre bretzel. Quand éclate le scandale de corrup- chance, celle qui décide, par exemple, que
n’irradie pas, il prolifère. destin. C’est un moment fondateur, évidem- tion de l’affaire VA-OM, en 1993, il est le capi- l’attaquant uruguayen Edinson Cavani,
A l’aube de son destin, Deschamps était ment, mais dont il ne parle jamais. C’est ainsi, taine et le joueur de confiance de Tapie. blessé, ne jouera pas le quart de finale. Des-
Blanchard. C’est le surnom que lui avait avec lui : il ne parle jamais de ce qu’il a en de- Quand éclate l’affaire de dopage à la Juven- champs déteste parler de ça, cela voudrait
donné son grand copain de toujours, Marcel dans. Ni de sa mère, vendeuse de laine, et de tus, qui semblait avoir été transformée en hô- dire que son travail n’y est pour rien, alors
Desailly, quand ils se sont rencontrés au cen- son père, peintre en bâtiment au Pays basque. pital, Deschamps était un titulaire indébou- qu’il traque le plus petit des hasards dans
tre de formation du FC Nantes au début des Ni de son âme de chef depuis toujours. De lonnable. Mais il n’a jamais bronché. toutes les encoignures. Parce que la victoire
années 1980. Gérard Blanchard, le chanteur l’art de mener les hommes et de celui de bien Durant le procès, il s’est même mis à discu- collective n’obéit à aucune loi rationnelle,
pour campings qui beuglait que son amour s’entendre avec les entraîneurs et les diri- « SON IMPORTANCE, ter posologie et effets indésirables avec l’ex- l’union est imperceptible, l’osmose insonda-
était « parti avec le loup dans les grottes de geants, dans une forme de fayotage assumée pert médical du tribunal, qui s’est aperçu ble, surtout avec une jeune génération qui
Rock-Amadour ». Car Desailly, qui aimait et rarement remise en cause, même par ses
C’EST EN qu’un joueur de foot pouvait en connaître un cherchera toujours à jouer son petit air solo,
beaucoup son copain, estimait, quand même, camarades de jeu, sauf par ceux qui ne sont SON ABSENCE rayon. Deschamps a un besoin viscéral de qui rigolerait beaucoup si on lui faisait chan-
que s’obliger à porter un débardeur en jean pas sélectionnés ou titulaires à cause de lui. tout savoir, de tout maîtriser. ter « aimons nous les uns les autres, si tous
sous un pull jacquard, plus une coupe mulet, QU’ON LA MESURE De ces deux plus gros scandales du football les gars du monde… » La contribution de
était, certes, un signe des temps, mais pou- La prophétie de Platini européen de la fin du siècle dernier, il est Deschamps ? La pincée de sel qu’on ajoute à
vait, déjà, piquer les yeux. Mais Deschamps et A 24 ans, Bernard Tapie en avait fait un capi- LE MIEUX » sorti immaculé. Il n’y a que les journalistes, un plat déjà très compliqué.
le culte des apparences, on l’a compris… Et taine et son relais privilégié à l’Olympique BIXENTE LIZARAZU sûrement ceux pas très fans de foot, qui lui Dimanche, il a largué les amarres de son
donc, Desailly l’a appelé Blanchard. Blanchard de Marseille, où ne jouaient que des stars. Il champion rappellent, à l’occasion, ces épisodes. Dans dernier rêve. Il peut aller se reposer le sep-
et Desailly ne se quitteront plus beaucoup. deviendra ainsi le premier Français à soule- du monde en 1998 ces moments-là, ses yeux ne cillent pas, il tième puis les jours suivants. En théorie, il
Après, il y aura toute une vie de redondan- ver la Ligue des champions, en 1993. Aimé reste raide comme la justice, si l’on peut dire. est lié à son mandat de sélectionneur pour
ces. Des entraînements, beaucoup d’entraî- Jacquet en avait fait son capitaine en Oui, car se sentir coupable, ce serait le com- encore deux années. Et on va reparler très
nements, des matchs, des contrats avec de équipe de France. Il deviendra ainsi le pre- mencement de la défaite. vite de Zinédine Zidane, en vacances, invisi-
plus en plus de zéros, des victoires, des histoi- mier Français à soulever une Coupe du ble depuis le début de l’épopée russe, pour
res d’argent, le moins de défaites possible, des monde, en 1998. Noël Le Graët, le président Bonne étoile lui succéder. A l’heure de soupeser les deux
transferts, etc. Et puis, aussi, surtout peut- de la Fédération, en a fait son sélectionneur Une fois qu’on a fait le ménage avec toutes plus prestigieux monuments du football
être, la mort de deux frères. Desailly se sou- national préféré. Un jour, Blanchard sera les accusations, on supporte mieux les criti- français, de laisser la foule choisir, sur l’ave-
viendra toute sa vie que c’est Blanchard, et président de la Fédération. ques sportives. Quantité tellement négli- nue, entre « Zidane président » et « Des-
personne d’autre, qui lui a posé la main sur le En 2004, alors que Deschamps était encore geable. Depuis les échecs en quarts de finale champs Elysées », il convient de constater
bras pour lui annoncer la mort, en novem- un entraîneur jeune, Michel Platini avait du Mondial 2014 – contre l’Allemagne – puis qu’on pardonne tout à Zidane et qu’on par-
bre 1984, dans un accident de voiture, de son voulu prédire, avec un soupçon de jalousie en finale de l’Euro 2016 (contre le Portugal), donne presque tout à Deschamps.
demi-frère, Seth Adonkor, un grand espoir du chambreuse qui lui ressemble : « Il marquera ce qui ne lui ressemble pas, il était « sous Pourtant, il n’est plus du tout certain que
football français. A cet instant, Desailly s’est plus l’histoire du football comme entraîneur pression », comme on dit. même Zidane ait envie de succéder à un
dit que Blanchard n’avait que 16 ans et qu’il que comme joueur. » Quelques minutes après Attention, rien de comparable avec ce monument pareil. Faire aussi bien ? Il
était déjà beaucoup plus adulte que les autres. le but en or de David Trezeguet et la victoire à qu’Aimé Jacquet avait pu subir entre 1996 et semble que, cette fois, Deschamps a vrai-
Deschamps a 20 ans quand son propre frère, l’Euro 2000, tandis que quelques Bleus im- 1998 (l’écartèlement du sélectionneur en ment tué le métier. p
Philippe, 22 ans, succombe dans un accident provisaient une discussion sur l’herbe du ter- place publique n’est plus à la mode), mais laurent telo
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12 |
Et la France est devenue une nation de football
Débarrassé de ses complexes d’ancien cancre, le pays entre, avec ce deuxième titre, parmi les grands de ce sport
D AVEC SÉVILLE 82,
ans l’ivresse de la nuit
moscovite, les vingt-
trois champions du
monde ont eu déjà as-
sez à faire avec leur bonheur pour
s’attarder sur la place du football
français dans l’histoire. Encore
moins sur le chemin parcouru ou
sur ces complexes qui n’appar-
tiennent pas à leur jeunesse in-
souciante. Eux sont dans l’his-
toire immédiate, celle qui re-
monte à quelques années, voire à
quelques mois pour Benjamin Pa-
vard et Lucas Hernandez, passa-
gers de la dernière heure de ce
train bleu.
Alors, oui, ça fait drôle de le dire,
de l’écrire ou même le penser : la
France est un géant du football.
Deux étoiles brodées sur le
maillot, trois finales de Coupe du
monde en vingt ans, il y a de quoi
être pris de vertige. Surtout quand
le point de départ est situé si bas.
Si les Britanniques ont eu la
bonne idée d’inventer et de codi-
fier ce drôle de sport à la fin du
XIXe siècle, ce n’était pas pour voir
le pays de Jeanne d’Arc et de Napo-
léon y briller. C’était acquis, la
France pouvait être une contrée
de tout ce que vous voulez – la gas-
tronomie, le luxe, l’existentia-
lisme, les grèves perlées, les ronds-
points –, mais pas de football.
Les Français avaient d’ailleurs
fini par l’intérioriser dans un mé-
lange de résignation et de déta-
chement. Le pays du baron de
Coubertin concevait, organisait
des compétitions auxquelles il
participait parfois, mais l’idée de
victoire lui semblait presque dé-
placée. « La France a d’abord brillé
dans l’organisation, la mise en
œuvre de principes universalistes,
[pas] dans la performance spor-
tive. La Coupe du monde, l’Euro et
la Coupe d’Europe sont des créa-
tions françaises », rappelle Paul
Dietschy, chercheur associé à
Sciences Po Paris et spécialiste de
l’histoire du football en France.
1968, année zéro
Jules Rimet a beau être le père de
la Coupe du monde, il ne verra ja-
mais ses compatriotes y briller.
En 1950, la Fédération française
de football (FFF) décline l’invita-
tion pour le Mondial au Brésil
pour pallier les forfaits de trois
équipes. Trop loin, trop cher, glis-
se-t-elle comme excuses, quand
elle craint surtout le ridicule sur
le terrain pour sa sélection. Rimet
décède en 1956, deux ans avant
les exploits de la génération
Kopa-Fontaine, troisième et tom-
bée avec romantisme et hon-
neurs, en Suède, face au Brésil en
demi-finales (2-5).
Mais ce doux été scandinave
n’est jamais qu’une étoile filante
dans une nuit noire. Ainsi,
en 1968 – année de naissance
d’un certain Didier Deschamps –,
les Bleus touchent le fond le 6 no-
vembre, battus par la très mo-
deste Norvège. « Ce qui me reste,
c’est le sentiment d’avoir souvent
joué dans un anonymat complet »,
racontera dans L’Equipe Mag
Jean-Michel Larqué, internatio-
nal pendant ces années de ja-
chère. « On a un peu oublié,
mais l’équipe de France jouait par-
fois devant 15 000 personnes au
Parc des Princes, c’était d’une tris-
tesse », rappelle Joachim Barbier,
journaliste et auteur de Ce pays
qui n’aime pas le foot (éd. Hugo
Sport, 2012, 219 pages).
La France n’est qu’une voyeuse.
Elle regarde par le judas de la
porte des Coupes du monde
(1970, 1974) et des Championnats
d’Europe (1968, 1972, 1976) dispu-
tés par d’autres. « Avant le début
des années 1980, le football est
déjà le sport populaire en France,
Place de la République, à Paris, dimanche 15 juillet. IVAN GUILBERT/COSMOS POUR « LE MONDE »
Au Carillon, dans le 10e arrondissement de Paris, dimanche 15 juillet. IVAN GUILBERT/COSMOS POUR « LE MONDE »
mais ce n’est pas le sport national,
observe Paul Dietschy. Cela se voit
dans le nom. Nous avons gardé la
dénomination anglaise quand
d’autres pays l’ont adaptée : fuss-
ball en Allemagne, calcio en Italie,
par exemple. »
Platini, un numéro, un style
A mesure que les cheveux des hé-
ros de 1958 blanchissent, les héri-
tiers tardent à se déclarer. La lu-
mière viendra de Jœuf, cité sidé-
rurgique de Meurthe-et-Moselle,
et d’un fils d’immigrés piémon-
tais. Il s’appelle Michel et porte
des bouclettes. C’est l’époque.
Platini est un numéro (le 10), un
style (le maillot toujours sorti du
short, les mains sur les hanches)
et un nom : celui d’une généra-
tion. La sienne. La France est belle,
la France est romantique. « Si on
doit mourir, ce sera d’une belle
mort », enjoint le sélectionneur
Michel Hidalgo à ses joueurs à la
veille d’une demi-finale de Coupe
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du monde. Avec Séville 82, le foot-
ball tricolore tient sa raison
d’être : il sera tragique et romanti-
que. Platini – qui n’a pas fait de ti-
mides études de comptabilité
pour rien – préfère la vérité des
chiffres : ses neuf buts lors de la
victoire à l’Euro 84, qui donnent
un premier titre. Déjà à la maison.
Mais la relation avec le ballon
rond reste fragile, sujette aux va-
riations des résultats de l’équipe
nationale. Surtout quand les clubs
sont, eux, incapables d’inscrire
leur nom à cette Coupe d’Europe,
pourtant belle idée soufflée par
Gabriel Hanot dans les colonnes
de L’Equipe en décembre 1954.
Il faudra attendre la victoire de
Marseille en Ligue des champions
en 1993 pour briser la malédic-
tion. « Même si les années Platini
marquent le début d’une entrée
plus massive du football dans les
foyers, jusqu’au titre de 1998, cela
reste relativement une affaire de
connaisseurs, note le sociologue
spécialiste du sport Ludovic Les-
trelin. Pendant longtemps, il n’y a
pas eu de discours construit d’in-
tellectuels ou de personnalités po-
litiques de premier plan autour du
football. Il y a toujours eu une dis-
tance avec ce sport. » Alors, on
convoque cet esprit cartésien, la
méfiance pour les passions pour
expliquer cette défiance.
Or, le football est surtout une
question d’amour, de haine et
d’exagération. Mais aussi de fidé-
lité. Enfin, c’est la définition que
donne Paul Dietschy aux terres de
football. « L’entité personnelle des
habitants y est souvent définie par
l’appartenance à une équipe. Vous
avez à Buenos Aires des familles qui
se déterminent comme étant pour
Boca Juniors, d’autres pour River
Plate. C’est la même chose en Italie,
en Espagne, en Angleterre. Ça parti-
cipe de la construction d’une iden-
tité, et on en est loin en France en
dehors de quelques villes comme
Marseille, Lens ou Saint-Etienne. »
Alors, à défaut de pétrole et de
passion, la France a une idée. Au
tournant des années 1970, quand
la médiocrité est l’ordinaire des
Bleus, le premier directeur techni-
que national de la fédération,
Georges Boulogne, met en place
les centres de formation.
Parce que, oui, le talent se forme
et se rationalise. « En France, on est
très bon dès qu’il s’agit d’organiser
et de structurer avec notre menta-
lité jacobine, note Joachim Barbier.
Est-ce que cela donne un meilleur
football en qualité ? Je ne sais pas,
c’est une question de ressenti. Mais
les résultats ont été là. »
Le 12 juillet 1998, les Français (es)
descendent dans les rues célébrer
une équipe à laquelle personne ne
croyait vraiment un mois plus tôt.
On vole au secours de la victoire,
mais la fête est belle, colorée,
« black-blanc-beur ».
Le football cesse alors d’être un
simple sport pour devenir un phé-
nomène de société. Les cham-
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MARDI 17 JUILLET 2018
LE FOOTBALL TRICOLORE
TIENT SA RAISON D’ÊTRE :
IL SERA TRAGIQUE ET
ROMANTIQUE. MAIS LA
RELATION AVEC LE BALLON
ROND RESTE FRAGILE
pions du monde sont partout,
aussi bien dans les pages de la
presse people que sur les étiquet-
tes des pots de yaourt. On mange,
on consomme et surtout on dis-
cute ballon.
Eugène Saccomano, avec son
émission « On refait le match »,
d’abord sur Europe 1 puis sur RTL,
ramène d’Italie « Il processo del lu-
nedi », un programme où un carré
de journalistes poursuivent des
discussions byzantines sur la mé-
forme d’un joueur ou les limites
du 4-4-2 en losange. Aujourd’hui,
le concept est décliné à l’infini sur
les chaînes d’information en con-
tinue et explique le succès d’une
radio comme RMC Info, où le foot
est servi comme plat unique de
16 heures à minuit tous les jours.
« Dans les années 2000, le foot-
ball est devenu un objet difficile-
ment contournable, et des respon-
sables politiques se sont autorisés
à en parler, peu importe leur sen-
sibilité au sujet », analyse Ludovic
Lestrelin. On fait tout dire au
football. En 2010, en Afrique du
Sud, les mutins de Knysna de-
viennent les symboles d’une in-
tégration qui aurait échoué. « On
a rêvé avec l’équipe de la généra-
tion Zidane, aujourd’hui on a plu-
tôt envie de vomir avec la généra-
tion caillera », lâche le philosophe
Alain Finkielkraut.
Autrefois méprisé, le football
serait devenu un objet trop sé-
rieux, sursignifié. La France vou-
lait voir dans son équipe l’expres-
sion de ses espoirs ou de ses
échecs. Aurait-elle retenu les le-
çons de ce passé récent avec cette
équipe de gamins sacrée, diman-
che 15 juillet, contre la Croatie ?
Un nouveau monde
Joachim Barbier aimerait le
croire : « C’est intéressant de voir
comment les médias anglophones
ont beaucoup évoqué les origines
des Bleus pendant le Mondial.
Alors que j’ai l’impression qu’on l’a
assez peu fait en France. Comme si
on prenait d’abord cette équipe
comme une bande de vingt-trois
mecs avec leur histoire propre. »
Dans le fond, la France est peut-
être devenue un pays de football
à sa façon, débarrassée de ses
complexes d’ancien cancre, pro-
fitant du moment sans com-
plexe à l’image de son président,
Emmanuel Macron, qui se plie de
bon cœur à l’exercice du « dab »
(mouvement chorégraphique
des bras) avec Benjamin Mendy
et Paul Pogba. Un nouveau
monde.
Et si, selon Paul Dietschy, « cette
joie carnavalesque un peu partout
en France ne traduit pas forcé-
ment un intérêt plus profond pour
le football », les aventures russes
des Griezmann, Mbappé ou Lloris
ont permis à des amis, des fa-
milles, des collègues de se retrou-
ver, de vibrer ensemble autour
d’une bouteille de rosé ou d’un
barbecue. Ce ne sera plus de sai-
son en 2022. La Coupe du monde
au Qatar aura lieu entre novem-
bre et décembre. L’équipe de
France tentera d’y décrocher une
troisième étoile. Vertigineux, on
vous dit. p
alexandre pedro
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MARDI 17 JUILLET 2018 | 13

En Croatie, « le football met tout à l’envers »

De Zagreb à Zadar, le pays entier, encore marqué par la guerre d’indépendance, s’est passionné pour ses joueurs

triote Modric, des autres joueurs
REPORTAGE venus des environs mais surtout
zagreb, zadar (croatie) -
envoyé spécial
d’une équipe qui a dépassé toutes
leurs attentes. « Peu importe la
sera une fête ! », se réjouit le pa-
LA CONVERSATION tron. « Cette Coupe du monde,
SPORTIVE ÉCHOUE c’est la suite de notre qualification
en demies en 1998, de l’indépen-
rasses largement désertes n’ont
pas connue. Le bar Igo a affiché sur
sa vitrine un poster publicitaire
d’une marque de bière. Modric y
port fleure bon l’Italie qui y a
laissé une architecture et un art de
vivre aimables, ainsi que de très
mauvais souvenirs, ceux de l’oc-

U
n grand cri d’encoura-
gement, de reconnais-
sance – d’affection
presque – s’abat sur le
forum romain de Zadar. La foule
rassemblée au milieu des vénéra-
bles vestiges d’édifices antiques
acclame son héros tandis qu’à
l’horizon, les lumières chaudes
du soir descendent sur l’Adriati-
que et ses îles. La finale est termi-
née depuis un moment et la Croa-
tie ne l’a pas gagnée. Mais sur les
écrans, l’enfant du pays, Luka Mo-
dric, milieu de terrain de la sélec-
tion croate, vient d’être désigné
meilleur joueur du tournoi et
tient le trophée entre ses mains.
A Zadar, sur la côte dalmate, on
l’acclame. C’est ici que sa famille,
jetée sur les routes par la guerre
contre les milices serbes, s’est ré-
fugiée alors qu’il n’avait que
6 ans. Chacune de ses appari-
tions suscite l’enthousiasme
d’une foule qui sourit, pleure et
danse. On le voit à l’image, il
pleut dru à Moscou. « Ce sont nos
larmes qui tombent du ciel, dit le
commentateur de la télévision
croate. Mais il faut être fier ! »
Fiers, les supporteurs croates le
sont à Zadar. Fiers de leur compa-
Coupe du monde, ils ont été ma-
gnifiques. Nous, un petit pays de
même pas 4,5 millions d’habi-
tants, nous sommes deuxièmes au
monde », sourit Ivana Becki.
De Zagreb, la capitale au charme
très Mitteleuropa jusqu’à ce bord
de mer aux airs d’Italie, les suppor-
teurs ont suivi les exploits de leurs
joueurs. Une épopée s’achève
dans ce pays où les occasions de se
réjouir ne sont pas si fréquentes :
une économie à la traîne, qui
pousse les jeunes diplômés à s’ex-
patrier, une mémoire encore vive
de la guerre et une vie politique
émaillée de scandales.
« Les usines ont fermé »
Samedi, dans la capitale, les dra-
peaux croates fleurissaient aux
fenêtres des appartements, le
long des augustes avenues héri-
tées de la période austro-hon-
groise et jusqu’à la sortie de la
ville, là où commence l’auto-
route qui mène de la capitale à la
mer. Parmi les véhicules de va-
canciers norvégiens, danois et
néerlandais lancés en direction
du soleil de l’Adriatique, les voi-
tures immatriculées en Croatie,
roulaient drapeaux au vent.
SOUVENT SUR LES RÉCIFS
D’UNE MÉMOIRE
TOUJOURS EN GUERRE
ET LES DIFFICULTÉS
DU QUOTIDIEN
288 kilomètres de route à par-
courir avant Zadar et la côte.
A 75 km de la capitale, le petit vil-
lage de Bosiliejo apparaît dans le
paysage qui défile. La sortie nu-
méro 5 mène à son église, à sa mai-
rie et à la terrasse du bar du coin
où Robert Biturajac boit une pe-
tite bière : « Bosiliejo, c’est une poi-
gnée de hameaux à moitié déserts,
mille habitants et pas de travail. »
L’homme parle haut et sourit vo-
lontiers au milieu d’une belle ta-
blée qu’il partage avec deux vieux
messieurs, sept gaillards d’âge
mûr et une jeune femme.
Derrière l’établissement de son
ami Ivitsa Spelic, on s’apprête à
planter des troncs d’arbres taillés
en pointe pour monter une
tente. « On se prépare pour la fi-
nale ! Quel que soit le résultat,
c’est déjà une victoire d’y être, ce
dance en 1995, de notre victoire
contre les forces serbes », reprend
Robert Biturajac.
Comme souvent, la conversa-
tion sportive échoue sur les récifs
d’une mémoire toujours en guerre
et sur les difficultés du quotidien.
« Après la guerre, les usines de la ré-
gion ont fermé et beaucoup de gens
qui travaillaient en Slovénie se sont
trouvés coincés de ce côté-ci », ra-
conte Robert Biturajac qui officie
comme douanier à la frontière
bosnienne, où, d’après lui, « la ten-
sion monte » en ce moment avec
les migrants afghans et pakista-
nais qui tentent de la traverser.
Bosiliejo et sa scierie, qui n’em-
ploie plus que dix personnes, sont
un point dans le paysage pour les
conducteurs qui passent sur
l’autoroute et bifurquent vers le
sud. Mais samedi, il y régnait mal-
gré tout un petit air de fête.
En comparaison, 82 km plus
loin, la petite ville d’Otocac s’en-
nuie. Les pas des rares passants ré-
sonnent entre les façades de la rue
principale. De loin en loin, certai-
nes portent encore les morsures
cruelles d’une guerre que les quel-
ques jeunes hommes, la ving-
taine, qui se retrouvent sur des ter-
pose, souriant, sous le slogan de la
marque : « Le football met tout à
l’envers ! » Cela arrache un sourire à
Zdravko Bunjevcevic, 58 ans : « Ah
ça oui, tout est à l’envers. »
« Passer à autre chose »
Trois années durant, M. Bunjev-
cevic a combattu les forces serbes
dans les rangs croates. Blessé
deux fois au combat, il se dé-
brouille en enchaînant les petits
boulots malgré une jambe boi-
teuse. « La Croatie d’aujourd’hui,
ce n’est pas vraiment celle dont on
rêvait, dit-il. Mais il fallait la faire,
cette guerre. Et puis on est arrivé en
finale, ça fait connaître le pays et
ça attirera peut-être des touristes
qui voudront voir autre chose que
la côte. » A une dizaine de mètres,
le restaurant le grand hôtel Zvoni-
mir est bien vide. Et bien sombre.
La route qui mène à la mer laisse
à l’est l’ancien territoire de la Kra-
jina, zone dominée par les milices
serbes avant de passer sous le con-
trôle de la Croatie indépendante
en 1995. Le paysage montagneux
s’assèche, pâlit, prend les atours
plus cléments de la Méditerranée
en descendant vers Zadar. An-
cienne possession vénitienne, le
cupation de l’ère mussolinienne.
Sur une place dallée de pierre
patinée, Bruno Skoblar, ancien
joueur de l’équipe d’Aix-en-Pro-
vence 1972, frère du buteur légen-
daire de l’OM Josip Skoblar et an-
cien combattant du siège de Zadar
par les forces serbes, prend le café.
Il travaillait au NK Zadar dans les
années 1990 quand le jeune Luka
Modric y faisait ses premiers en-
traînements. « On n’avait rien à lui
apprendre à ce garçon, il avait le
football dans le sang », se sou-
vient-il, à quelques heures du
coup d’envoi de la finale.
« Luka appartient à une généra-
tion qui a grandi sous les bombes
et maintenant il joue en finale à
Moscou. Les politiques veulent
faire entrer les succès de notre
équipe dans l’histoire de nos guer-
res. Mais pour moi, ce tournoi, c’est
une belle occasion de passer à
autre chose », veut croire Bruno
Skoblar. Après la défaite, le gamin
de Zadar n’apportera pas la Coupe
avec lui quand il sera de retour en
ville mardi après un crochet par la
capitale. Mais dimanche, la cité
où il a fui la guerre, bien que dé-
çue, était tout de même en fête. p
allan kaval

La Russie tire profit du succès

de « sa » Coupe du monde
L’événement, dont la FIFA a salué la « magnifique » organisation,
a été un ballon d’oxygène pour la population

moscou - correspondante les minorités sexuelles. Quoique nées, des milliers de personnes,
régulièrement inspecté par des toutes nationalités confondues, se

L’ intrusion, à la 52e minute

de la rencontre France-
Croatie, n’a duré que quel-
ques secondes lorsque deux fem-
mes et un homme, portant des
uniformes semblables à ceux de
la police, sont parvenus à zigza-
guer sur la pelouse du stade Louj-
niki de Moscou. Affilié aux Pussy
Riot, un groupe punk anti-Pou-
tine formé en 2011, le trio voulait
attirer « l’attention sur les atteintes
aux droits de l’homme en Russie ».
Ce fut le seul couac de ce Mon-
dial 2018, organisé pour la pre-
mière fois en Russie, qui s’est
achevé dimanche 15 juillet avec la
remise de la Coupe du monde à
l’équipe de France de Didier Des-
champs par le président Vladimir
Poutine. Gianni Infantino, prési-
dent de la FIFA, n’avait pas attendu
la finale pour décerner au tournoi
le titre de « meilleure Coupe du
monde de tous les temps ». « La Rus-
sie a changé, a-t-il insisté dès ven-
dredi depuis le stade Loujniki.
Tout a été magnifique. »
De fait, en un mois de compéti-
tion, la Russie est parvenue à gom-
mer l’image déplorable qu’elle
avait dans l’univers du football,
notamment depuis l’Euro 2016,
lorsque ses supporteurs s’étaient
violemment accrochés avec leurs
homologues anglais sur le Vieux-
Port à Marseille. Interdits de sta-
des, les hooligans russes sont res-
tés invisibles, tout comme leurs
bannières provocantes. Pas l’om-
bre d’une bagarre au cours des
64 matchs de la compétition. Pas
de cris racistes non plus, ni d’ono-
matopées du même acabit.
Les autorités ont même toléré
l’ouverture d’une « Maison de la di-
versité » à Moscou, devenue, le
temps du Mondial, un refuge pour
agents du FSB, les services de sécu-
rité russes, le lieu, installé dans un
théâtre à l’initiative du réseau
Football Against Racism in Europe
et de la FIFA sous la pression des
défenseurs des droits humains, a
accueilli des jeunes gays et lesbien-
nes venus regarder sur écran géant
les matchs au milieu de drapeaux
arc-en-ciel. Une première en Rus-
sie, où l’homophobie est ancrée et
où une loi de 2013 punit toute ma-
nifestation homosexuelle pour
« propagande auprès de mineurs ».
Supporteurs chouchoutés
Les craintes formulées dans les
médias étrangers avant le tour-
noi se sont dissipées. La consi-
gne du Kremlin a été suivie à la
lettre : montrer sous son
meilleur jour le pays, plombé sur
le plan international par le con-
flit ukrainien, l’ingérence dans
les élections américaines ou l’af-
faire Skripal. La Russie, il est vrai,
a investi 9,5 milliards d’euros
pour séduire la planète foot.
Partout, les quelque
750 000 supporteurs venus du
monde entier ont été chouchoutés
par un public chaleureux, des poli-
ciers polis et quelque 17 040 volon-
taires enthousiastes déployés
dans les onze villes hôtes. « Je
pense qu’il n’y a jamais eu autant
d’étrangers dans notre pays », s’est
réjoui Alexeï Sorokine, le patron
du comité d’organisation russe.
En se propulsant en quarts de fi-
nale, la Sbornaïa, l’équipe natio-
nale que personne n’attendait à ce
niveau, a elle aussi rempli son con-
trat, entraînant d’inhabituelles
manifestations de liesse chez les
supporteurs russes gagnés par
l’ambiance de carnaval. Dans les
fan-zones officielles et sponta-
sont retrouvées chaque soir. Une
bouffée d’oxygène pour beaucoup
de Russes – dont 68 % n’ont jamais
voyagé à l’extérieur des frontières
–, qui plus est dans un pays où les
rassemblements sont soit inter-
dits soit très encadrés.
« Quand la Coupe du monde se
terminera, on pourra boire de la
bière comme ça [dans la rue] ? »,
s’est enquis un jeune homme
auprès de deux policiers en fac-
tion dans la rue Nikolskaïa, deve-
nue le lieu de rassemblement pré-
féré à Moscou. « Vous êtes russe ?
Alors ce sera interdit », lui ont ré-
pondu les deux fonctionnaires. La
vidéo de l’échange s’est taillé un
vif succès sur les réseaux sociaux.
La Russie peut se targuer d’avoir
testé avec succès la « fan ID », la
carte d’identité des supporteurs
pour la première fois dans un
Mondial, qui a permis d’alléger les
contraintes de visa et de voyager
gratuitement dans les transports.
L’équipe d’Angleterre – seul pays
dont les autorités avaient décidé
de boycotter le Mondial en réac-
tion à l’affaire Skripal – a été « très
bien traitée », soulignait, samedi
14 juillet, le sélectionneur, Gareth
Southgate, sans qu’il ait été be-
soin de lui poser la question. « On
a beaucoup parlé des relations en-
tre nos deux pays mais, d’un point
de vue personnel, nous n’aurions
pas pu recevoir meilleur accueil. »
Absent des stades, hormis lors
des cérémonies d’ouverture et de
clôture, même pour soutenir
l’équipe russe, Vladimir Poutine
s’est offert une tournée mondiale
d’entretiens en recevant plus
d’une vingtaine de chefs d’Etat et
de gouvernement. Presqu’un Bal-
lon d’or diplomatique. p
isabelle mandraud
 РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS

14 | 0123
MARDI 17 JUILLET 2018

Génération 2018
Vingt ans après un premier titre mondial,
les Bleus, emmenés par Didier Deschamps,
ont décroché une deuxième étoile,
dimanche 15 juillet à Moscou. La France exulte

Didier
Deschamps,
porté en
triomphe
par ses joueurs,
dimanche
15 juillet, au
stade Loujniki
de Moscou.
KAI PFAFFENBACH/REUTERS

Kylian Mbappé
embrasse
le trophée
Jules-Rimet.
MATTHIAS SCHRADER/AP
 РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS

0123
MARDI 17 JUILLET 2018 | 15

Le capitaine,
Hugo Lloris, a
été le premier
à soulever
le trophée,
dimanche
15 juillet.
MARTIN MEISSNER/AP

De Saint-Ouen
(en haut à gauche)
à Avignon (ci-contre
la place Pie),
la France a vibré,
stressé, avant
d’exulter,
dimanche 15 juillet.
JEANNE FRANK/ITEM
POUR « LE MONDE » ;
ARNOLD JEROCKI/DIVERGENCE
POUR « LE MONDE »

16 |
Quand Macron exulte avec les joueurs
Sortant de sa sobriété, le président a fêté la victoire dans les vestiaires des Bleus
L’
image a été saisie par le
photographe de Vladi-
mir Poutine, présent
dans la tribune prési-
dentielle du stade Loujniki, à Mos-
cou. On y voit Emmanuel Macron
en bras de chemise, hurler de joie,
les deux poings levés, debout face
à la pelouse, alors que l’équipe de
France vient de marquer son pre-
mier but face à la Croatie. Une
image très peu protocolaire, im-
médiatement reprise sur les
réseaux sociaux, où elle a été dé-
noncée par les adversaires du pré-
sident de la République, qui y ont
vu une tentative de récupération.
Ces derniers jours, l’Elysée avait
pourtant insisté : pas question de
mettre le chef de l’Etat en avant et
de donner l’impression de vouloir
profiter du bon parcours des Bleus
pour redorer une image ternie de-
puis quelques semaines, comme
l’avait fait Jacques Chirac, en 1998.
Pourtant peu adepte du ballon
rond, l’ancien maire de Paris avait
assisté à tous les matchs de
l’équipe de France, participé à la
« ola » dans les stades, embrassé le
crâne de Fabien Barthez. Résultat :
une envolée d’une quinzaine de
points dans les sondages, alors
que sa popularité était au plus bas
après la dissolution ratée de 1997.
« Le président veut être dans le
partage mais pas dans l’appropria-
tion de quelque chose qui appar-
tient à tous les Français », assure-
t-on dans l’entourage de M. Ma-
cron, établissant un parallèle avec
l’hommage rendu lors des funé-
railles de Johnny Hallyday, « où le
chef de l’Etat est un parmi les
Français et partage un moment
avec eux ». « Pas de récupération, le
président nous l’a demandé lors du
dernier conseil des ministres. Bien
sûr, on sera contents comme tous
les Français, mais pas de mélange
des genres », abondait un membre
du gouvernement quelques jours
avant la finale.
Après le match, Emmanuel
Macron s’est ainsi contenté sur
Twitter d’un sobre « merci » écrit
en lettres capitales et adressé à
l’équipe de France. Contrairement
à son habitude, l’Elysée n’a diffusé
aucune vidéo ni aucune image du
président avec les Bleus. Ce sont
les joueurs eux-mêmes qui ont
partagé, sur leurs comptes, cer-
tains de leurs échanges avec le
chef de l’Etat, qui est descendu
Des incidents et deux accidents mortels ternissent la fête
Près de 150 000 policiers, gendarmes et pompiers ont été déployés dans toute la France durant la folle nuit
L a soirée qui a suivi le sacre
de l’équipe de France de
football, dimanche 15 juillet,
s’est globalement déroulée de
manière très festive partout en
France. Lundi matin, les autorités
ne faisaient état d’aucune inter-
pellation liée à la menace terro-
riste alors que celle-ci était particu-
lièrement redoutée, notamment
aux abords des 230 fan-zones. Un
certain nombre d’incidents ont
toutefois perturbé la fête à Paris,
Lyon et Marseille.
Les forces de l’ordre ont été
mobilisées au maximum de leur
capacité. Plus de 63 500 policiers
et 46 500 gendarmes étaient en
service, dont 4 000 dans la capi-
tale, auxquels se sont ajoutés
44 000 pompiers. A Paris, une
trentaine d’individus ont pénétré
par effraction dans le Drugstore
Publicis, avenue des Champs-Ely-
sées où s’étaient massées des cen-
Emmanuel Macron au stade Loujniki, à Moscou, dimanche 15 juillet. ALEXEY NIKOLSKY/AFP
« IL Y A 66 MILLIONS
DE FRANÇAIS QUI
VOUS ONT REGARDÉS.
VOUS NE SEREZ PLUS
JAMAIS LES MÊMES »
EMMANUEL MACRON
dans le vestiaire tricolore après la
rencontre en compagnie notam-
ment d’un adjudant-chef blessé au
Mali et qui lui avait confié son ad-
miration pour Didier Deschamps.
Sur l’une de ces séquences, publiée
par le latéral Benjamin Mendy, on
voit M. Macron effectuer un
« dab » en sa compagnie et celle de
Paul Pogba. « Vous avez mouillé le
maillot, vous étiez fiers du pays,
vous avez porté tout le pays, a
exulté le chef de l’Etat sous les
acclamations des joueurs dans
taines de milliers de personnes.
Ils ont pillé des bouteilles de vin et
de champagne avant d’être dis-
persés par les forces de l’ordre. Des
échauffourées opposant forces de
l’ordre et « casseurs » ont ensuite
émaillé sporadiquement la soirée.
Aux jets de bouteilles et de chaises
ont alors répondu les gaz lacry-
mogènes. Des engins lanceurs
d’eau ont été utilisés pour disper-
ser les fauteurs de troubles après
23 heures. Un peu plus tôt dans la
soirée, dans le même secteur, une
violente rixe a éclaté entre deux
bandes pour un motif inconnu.
Un homme a été gravement
blessé après avoir reçu un coup de
casque.
D’autres incidents ont aussi
éclaté à Lyon, place Bellecour, ou
près de 20 000 personnes étaient
venues regarder la finale sur un
écran géant. A Marseille, plusieurs
incidents ont été relevés autour
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
une vidéo diffusée par le gardien
Alphonse Areola. Il y a 66 millions
de Français qui vous ont regardés.
Maintenant, vous êtes un exemple
pour des tas de jeunes, et c’est pour
toute votre vie. Vous ne serez plus
jamais les mêmes, et cet exemple,
vous allez me le porter longtemps. »
Avant la compétition, le chef de
l’Etat avait déjà rencontré les
Bleus. Il s’était rendu au centre
d’entraînement de Clairefontaine
(Yvelines), le 5 juin, pour y encou-
rager l’équipe. Une visite abon-
damment relayée sur les comptes
de l’Elysée. « Une compétition réus-
sie est une compétition gagnée »,
avait-il déclaré, donnant le senti-
ment de vouloir profiter de l’évé-
nement pour relayer son message
politique sur les « premiers de cor-
dée » et les vertus de la réussite.
M. Macron avait également ac-
cepté d’être longuement inter-
viewé dans l’émission « Téléfoot »,
diffusée le 10 juin sur TF1, pour y
du Vieux-Port et de la fan-zone.
Dix personnes ont été interpellées
et deux membres des forces de
l’ordre blessées. D’autres échauf-
fourées ont été signalées à Ajaccio,
à Strasbourg ou à Rouen. Là, sept
personnes ont été interpellées
après des échanges de projectiles
et de gaz lacrymogènes, selon la
préfecture de Seine-Maritime.
Week-end festif
La victoire des Bleus a également
été endeuillée par plusieurs
morts accidentelles. A Annecy,
un homme de 42 ans s’est tué en
plongeant dans le canal du Thiou
au niveau de l’embarcadère, un
endroit très touristique où l’eau
est peu profonde. L’homme est
tombé sur la nuque. A Saint-Félix
(Oise), un homme s’est tué après
avoir encastré sa voiture dans un
platane alors qu’il fêtait la vic-
toire des Bleus.
évoquer ses « souvenirs de foot-
ball ». « Je suis de la génération
Olympique de Marseille, Jean-
Pierre Papin me faisait rêver »,
avait confié l’ancien latéral gauche
de l’équipe de l’ENA. « Les bons jeu-
nes joueurs de football comme
Kylian Mbappé ont la tête sur les
épaules. Il a une famille qui l’en-
toure. On ne réussit pas sans ca-
dre », avait-il ajouté, donnant là
encore le sentiment de vouloir
faire passer certains messages.
Un lien de cause à effet
Mais la polémique sur le report du
plan pauvreté a eu raison de la
stratégie de l’Elysée. Alors que la
présentation de mesures était at-
tendue « autour du 10 juillet », la
ministre des solidarités, Agnès
Buzyn, a déclaré, le 4 juillet, que
celles-ci attendraient la rentrée
« si l’équipe de France est en demi-
finales », puisque M. Macron
s’était engagé à assister à ce match
Au rang des blessés graves, on
compte à Saint-Jeoire (Haute-Sa-
voie), une jeune femme qui défi-
lait juchée sur un tracteur avec des
amis. Selon Le Dauphiné Libéré,
elle est tombée au sol et a été écra-
sée par le tracteur qui a poursuivi
sa course. Elle a été transportée à
l’hôpital dans un état d’urgence
absolue. Trois enfants, âgés de 3 et
6 ans, ont également été grave-
ment blessés après avoir été per-
cutés par une moto à Frouard
(Meurthe-et-Moselle).
Le ministère de l’intérieur a, par
ailleurs, communiqué, dimanche
soir, un premier bilan du nombre
de voitures brûlées et d’interpella-
tions qui ont eu lieu au début de ce
week-end festif. Quelque 845 voi-
tures ont ainsi été détruites et 508
personnes placées en garde à vue
lors des soirées des 13 et 14 juillet.
Un chiffre en baisse selon la Place
Beauvau : en 2017, 897 véhicules
et à la finale. Un lien de cause à ef-
fet démenti par l’Elysée. Trop tard.
Pour ses opposants, la cause était
entendue : le président préfère les
Bleus aux pauvres.
Depuis, plus question d’en rajou-
ter et de laisser croire que le chef
de l’Etat se laisserait distraire par
les victoires de l’équipe de France.
« Lundi matin, nous serons heu-
reux si les Bleus reviennent avec la
coupe. Nous les accompagnerons,
mais nous n’oublierons pas non
plus les 9 millions de personnes qui
vivent sous le seuil de pauvreté », a
ainsi déclaré Benjamin Griveaux,
le porte-parole du gouvernement,
à la sortie du conseil des minis-
tres, le 11 juillet. Une sobriété qui
devait être aussi de mise lors de la
réception des Bleus à l’Elysée,
lundi, à laquelle le chef de l’Etat a
convié un millier de jeunes venus
de clubs dont sont issus les
joueurs de l’équipe de France. p
cédric pietralunga
étaient partis en fumée. Le nom-
bre de gardés à vue a en revanche
bondi de 368 en 2017 à 508 cette
année, a précisé le ministère, tout
en soulignant qu’« aucun incident
majeur n’[avait] été à déplorer ».
Au vue de l’importance des fou-
les et de la ferveur enregistrées
dans tout le pays, ce bilan reste
mesuré. Au soir de la précédente
victoire de l’équipe de France à la
Coupe du monde en 1998, deux
voitures folles avaient fauché des
supporteurs sur l’avenue des
Champs-Elysées. L’une d’elle était
conduite par un homme en état
d’ébriété, la seconde par une en-
seignante qui avait paniqué. Une
personne avait été tuée et plus de
140 blessées. Des dizaines d’inter-
pellations avaient aussi eu lieu
pour des vols, dégradations diver-
ses de magasins et jets de projecti-
les contre les forces de l’ordre. p
élise vincent
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
CHRONIQUE
par fr ançoise fre s s oz
Des Bleus
de plain-pied
dans le récit
national
I
ls sont décidément formida-
bles, ces Bleus. Non seule-
ment ils gagnent, non
seulement ils assurent à la
France sa deuxième Coupe du
monde en vingt ans, mais ils
rendent le pays heureux et
se chargent, à eux seuls, de tout le
travail des politiques. Emmanuel
Macron n’avait pas besoin d’en
faire beaucoup, dimanche soir
15 juillet au stade Loujniki de
Moscou. Il suffisait d’entendre le
sélectionneur Didier Deschamps
s’exclamer « on est fiers d’être
français, vive la République ! »,
Paul Pogba souhaiter « que tout le
monde s’embrasse », Hugo Lloris
commenter « c’est beau de voir les
Français unis, dans la joie, de les
voir avec le sourire, de les voir avec
les larmes. C’est comme ça qu’on
aime voir notre pays », pour réali-
ser que quelque chose d’impor-
tant était en train de se passer.
En ce 15 juillet, les Bleus ont
apporté au président de la Répu-
blique ce derrière quoi il court de-
puis plus d’un an : un événement
qui fait ciment, une grande fête
populaire rassemblant toutes les
catégories sociales et fédérant
toutes les générations, un mo-
ment de fierté nationale, un ins-
tant de fusion. Ce faisant, ils
se sont inscrits de plain-pied dans
le récit national que l’élu de 2017
tente d’inculquer à son peuple ré-
tif : oui, la France peut faire de
grandes choses. Oui, elle a la capa-
cité de surprendre le monde, n’en
déplaise aux grincheux qui ne la
voyaient pas forcément en finale.
L’alchimie du verbe et de l’action
Mais ce que le pays a démontré,
dimanche, c’est qu’il n’avait pas
nécessairement besoin d’être
coaché par l’Elysée pour y parve-
nir. Le succès des Bleus est
d’abord celui d’un homme tenace
et taiseux, Didier Deschamps, en
tout point différent d’Emmanuel
Macron : le Basque, âgé de 49 ans,
n’est pas un disruptif. En 1998, il
jouait dans l’équipe de France, lors
de la première victoire en Coupe
du monde, puis il est devenu capi-
taine et, enfin, entraîneur.
Le président de la République
peut bien clamer sa rupture avec
« l’ancien monde », Deschamps,
lui, est dans la continuité, si ce
n’est dans la transmission, ce qui
ne l’a pas empêché, à sa façon dis-
crète et sobre, de faire un sacré
ménage. Il a rajeuni l’équipe,
privilégié le travail collectif, disci-
pliné les ego en alternant rudesse
et caresses. Au bout du compte, il
a réussi à forger une équipe à son
image : plus technique que stylée,
mais terriblement efficace et
capable de créer la surprise avec,
en prime, un esprit patriotique
qui n’était plus forcément au ren-
dez-vous ces dernières années.
Dans un entretien au Monde, le
jeune Kylian Mbappé, 19 ans, s’ex-
clamait : « Je veux tout donner à la
France », tandis qu’Antoine Griez-
mann déclarait : « Il faut être fiers
d’être français. » Forcément, on
les aime, et à eux deux, ils en font
plus que n’importe quel discours
présidentiel parce que, à coups
de buts âprement marqués, l’al-
chimie du verbe et de l’action
fonctionne enfin. Les Bleus ont
beau être « des premiers de cor-
dée », ils ne sont pas que cela. Par
la magie du foot, ils sont la
France tout entière, un bloc com-
pact dans lequel le président de la
République va devoir mainte-
nant trouver sa place. p

INTERNATIONAL
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
Les ambiguïtés de Trump face à Poutine
Le président américain devait amorcer, lundi à Helsinki, un dialogue controversé avec son homologue russe
helsinki - envoyé spécial
D
onald Trump l’a as-
suré, les interférences
prêtées à la Russie pen-
dant la présidentielle
de 2016 seront au menu des dis-
cussions qu’il devait avoir, lundi
16 juillet, à Helsinki, avec Vladimir
Poutine. Le procureur spécial qui
enquête à ce sujet aux Etats-Unis,
Robert Mueller, ne lui a guère
laissé le choix en inculpant, ven-
dredi, douze membres des servi-
ces de renseignement russes pour
leur rôle présumé dans le piratage
et la diffusion de données du Parti
démocrate, avant le scrutin.
Cette annonce, quatre jours
avant le premier sommet bilatéral
entre les deux présidents, est un
camouflet pour M. Trump, qui ne
cesse de dénoncer un dossier vide
et une « chasse aux sorcières » –
d’autant que pour la première fois
sont évoqués des liens entre les pi-
rates et des proches de son équipe
de campagne ainsi qu’avec un élu
du Congrès, sans que soient dévoi-
lées leurs identités. « On vient de
trouver des sorcières et elles ont été
inculpées », a commenté John Po-
desta, l’ancien conseiller de la can-
didate démocrate, Hillary Clinton,
qui compte parmi les victimes de
ces piratages.
Réagissant à cette annonce faite
par le numéro deux du ministère
de la justice, Rod Rosenstein, qui
l’en avait informé avant son départ
pour l’Europe, M. Trump a dé-
noncé une nouvelle fois une tenta-
tive de diversion des démocrates
pour remettre en cause la légiti-
mité de sa victoire électorale. Un
an et demi après son arrivée à la
Maison Blanche, ces investiga-
tions constituent en effet le seul
véritable obstacle à son dessein de
« s’entendre » avec M. Poutine.
« Ceinture noire »
Le président des Etats-Unis s’est
fixé ce cap bien avant son entrée
en politique. Intéressé par des pro-
jets immobiliers à Moscou qui ne
se sont jamais concrétisés, il avait
espéré que le président russe as-
siste au concours de Miss Univers,
dont il détenait les droits, orga-
nisé dans la capitale russe en 2013.
« Auquel cas, deviendra-t-il mon
meilleur ami ? », s’était-il alors in-
terrogé sur Twitter. Par la suite, il a
opposé régulièrement sur son
compte Twitter la « force » expri-
mée par un dirigeant russe vanté
pour sa popularité (21 mars 2014) à
Entre les Etats-Unis et la Russie, la tentation des sphères d’influence
Les coups de boutoir infligés par Donald Trump à ses alliés, à l’OTAN et à l’Union européenne font le jeu de Vladimir Poutine
ANALYSE
helsinki - envoyés spéciaux
L a perspective d’un départ
américain de l’OTAN est res-
tée à l’état de menace au
cours du sommet organisé les 11 et
12 juillet à Bruxelles – un levier ma-
nifestement utilisé par le prési-
dent des Etats-Unis pour obtenir
un engagement plus consistant de
ses alliés à augmenter leurs dépen-
ses de défense. Donald Trump l’a
revendiqué comme un succès per-
sonnel, renouvelant son attache-
ment à une organisation qu’il a
souvent critiquée.
Ces relations ambivalentes avec
l’OTAN s’inscrivent dans une re-
mise en cause systématique des
piliers de l’ordre mondial mis en
place par Washington après la se-
conde guerre mondiale. Aucune
instance multilatérale n’échappe à
ses diatribes. Aucun des alliés his-
toriques des Etats-Unis n’est épar-
gné par ses décisions, qu’il s’agisse
de la sortie de l’accord sur le nu-
cléaire iranien ou des taxes sur les
Manifestation
à Helsinki,
le 15 juillet,
avant le
sommet
Trump-
Poutine.
JONATHAN
NACKSTRAND/AFP
la « faiblesse » témoignée selon lui
par son prédécesseur démocrate
Barack Obama. Il décrivait alors ce
dernier comme un « travailleur so-
cial », l’une de ses premières acti-
vités, incapable de tenir tête à
« un ex-KGB » (17 avril 2014), par
ailleurs « ceinture noire » de judo
(31 octobre 2014).
Pendant la campagne présiden-
tielle, il a défendu la même grille
de lecture en doutant qu’Hillary
Clinton soit capable de faire
front. Il a obtenu par ailleurs que
le Parti républicain retire de son
programme la livraison d’armes
létales à l’Ukraine, aux prises
avec des groupes séparatistes
prorusses à l’est du pays, sans
que l’on puisse formellement lui
attribuer la paternité de cette dé-
cision. Son directeur de campa-
gne d’alors, Paul Manafort,
aujourd’hui emprisonné dans le
cadre de l’enquête en cours, avait
en effet travaillé auparavant
importations qui visent à rééquili-
brer une balance commerciale
lourdement déficitaire. Son juge-
ment sur l’Union européenne,
conçue selon lui pour nuire aux
Etats-Unis, s’inscrit dans le même
registre. Favorable au Brexit, le
président américain préférerait
des relations bilatérales avec cha-
cun des pays européens.
M. Trump n’a pas formulé pour
autant d’alternative à cet ordre dé-
crié. Il s’est contenté de revendi-
quer un vague « réalisme basé sur
des principes », rompant avec les
idéaux jugés dévastateurs du néo-
conservatisme, et un recentrage
sur les seuls intérêts américains,
tournant le dos à l’intervention-
nisme des trois dernières décen-
nies. Sa première véritable rencon-
tre avec M. Poutine, le 16 juillet, va
donc mettre à l’épreuve ces ins-
tincts unilatéralistes.
Sur au moins deux dossiers qui
tiennent à cœur à son homologue
– l’annexion de la Crimée et la Sy-
rie –, Donald Trump a alimenté
l’ambiguïté. Il a assuré jeudi « ne
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
pour le président prorusse ukrai-
nien Viktor Ianoukovitch.
Le président élu a ensuite réagi
avec enthousiasme à la décision
de Vladimir Poutine de ne pas ri-
poster aux expulsions de diplo-
mates par Barack Obama en repré-
sailles aux accusations d’interfé-
rence à la veille de son départ de la
Maison Blanche. « J’ai toujours su
qu’il était malin », a écrit M. Trump
le 30 décembre à propos de son
homologue.
Quelques mois plus tard, Donald
Trump a limogé le directeur de la
police fédérale qui enquêtait sur
ces interférences. Il a reçu ensuite
dans le bureau Ovale le ministre
russe des affaires étrangères, Ser-
gueï Lavrov, avant d’assurer au
cours d’un entretien à la chaîne
ABC avoir écarté le responsable du
FBI en lien avec ces investigations.
Lorsque le Congrès a adopté à
une écrasante majorité (419 voix
contre 3 à la Chambre, 98 voix
pas être content » d’une annexion
qui a provoqué l’adoption de sanc-
tions européennes et américaines,
tout en semblant rejeter une part
de la responsabilité sur son prédé-
cesseur, Barack Obama, et en re-
connaissant avec une dose de fata-
lisme que Moscou multipliait sur
le terrain des faits accomplis.
Recentrage
Le lâchage par Washington des re-
belles syriens de Deraa avant la
chute de la ville, jeudi, a souligné la
tentation de M. Trump d’un retrait
qui ferait les affaires de son homo-
logue russe. Il a fallu la pression de
son secrétaire à la défense, James
Mattis, pour qu’il ne retire pas
avant l’été les forces spéciales dé-
ployées dans le nord-est de la Sy-
rie, et le Pentagone avait dû lon-
guement argumenter en août 2017
afin d’obtenir son feu vert pour un
accroissement modeste du con-
tingent déployé en Afghanistan.
Ce souci de recentrage sur les in-
térêts américains est compatible
avec la vision d’un monde divisé
contre 2 au Sénat) des sanctions
contre la Russie en riposte à ces in-
terférences, le président a attendu
plus de six mois avant de les met-
tre en œuvre. Après avoir croisé
Vladimir Poutine en marge d’une
réunion régionale au Vietnam, en
novembre 2017, il a assuré faire
crédit à ses dénégations.
Elaborée par son ancien conseil-
ler à la sécurité nationale, le géné-
ral H. R. McMaster, la vision straté-
gique publiée le mois suivant a
bien souligné une volonté russe
« de [les] couper de [leurs] alliés et
de [leurs] partenaires » et d’« affai-
blir l’unité transatlantique ».
« Du temps ensemble »
Mais ces inquiétudes, qui réson-
nent curieusement au surlende-
main d’un sommet de l’OTAN
tendu et après des attaques sans
précédent du président américain
contre l’Union européenne, ont
sans doute reflété davantage les
en sphères d’influence aux dépens
des Européens. Le 28 avril, rece-
vant le président du Nigeria, Mu-
hammadu Buhari, Donald Trump
avait rappelé que les Etats-Unis
voulaient « de moins en moins être
le gendarme du monde ». Cette li-
gne le rapproche de deux anciens
présidents américains, Thomas
Jefferson (1801-1809) et Andrew
Jackson (1829-1837), hostiles à tout
engagement durable des Etats-
Unis en dehors de leurs frontières.
Vladimir Poutine pourrait en ti-
rer le plus grand bénéfice, lui qui
n’a cessé de réclamer un « monde
multipolaire » en vilipendant celui
« d’un unique maître, d’un unique
souverain », les Etats-Unis. Formé à
l’école du KGB, le chef du Kremlin
rêve d’un nouveau Yalta où les
deux puissances de l’après-guerre
se partageraient le monde. Il a,
pour cela, troqué l’idéologie com-
muniste disparue pour le rouski
mir, le « monde russe ». La propa-
gande, adaptée aux temps moder-
nes, les centres culturels essaimés,
la religion, en mission pour la « dé-
M. Trump assure
que l’enquête sur
les interférences
russes dans
la présidentielle
est un coup
des démocrates
convictions du conseiller que cel-
les du président. Le porte-parole
du Conseil de sécurité nationale,
Michael Anton, a d’ailleurs refusé
à l’époque de dire s’il pensait que
Donald Trump avait lu intégrale-
ment ce rapport.
Une anecdote a illustré cette dis-
tance, le 21 mars, après le départ du
général H. R. McMaster, à l’occa-
sion d’une conversation télépho-
nique entre les deux présidents.
Selon le Washington Post, Donald
Trump avait été invité à ne pas féli-
fense des chrétiens d’Orient », sont
autant d’outils mis à contribution.
Exclu du club des pays les plus in-
fluents, le G8, devenu la réunion
du G7 après l’annexion de la Cri-
mée et le conflit dans l’est de
l’Ukraine, le dirigeant russe est
parvenu à briser son isolement
avec l’intervention militaire en Sy-
rie lancée en septembre 2015, en
soutien à Bachar Al-Assad.
Démonstration de force à l’ap-
pui, le Kremlin s’est s’imposé en
interlocuteur incontournable.
Comme M. Trump, dont il par-
tage le goût prononcé pour les
rencontres bilatérales, Vladimir
Poutine a un objectif : affaiblir
l’UE, perçue comme un obstacle à
ses visées géopolitiques.
« Nouveaux progrès »
L’Eurasie, ce projet d’alliance tour-
née vers l’Est, sur lequel il s’est ap-
puyé avec plus ou moins de succès,
n’est plus la priorité. Le Kremlin
voit aujourd’hui plus grand et se
concentre sur tout le Moyen-
Orient ou le continent africain,
| 17
citer son homologue russe après
sa réélection sous contrôle. Il était
cependant passé outre, au grand
dam d’une partie du Congrès.
Au cours d’une conférence de
presse commune avec la première
ministre britannique, Theresa
May, le 13 juillet, Donald Trump
s’est montré confiant. « Je pense
que j’aurai une très bonne relation
avec le président Poutine si nous
passons du temps ensemble », a-t-il
dit. Dans une allusion à ses prédé-
cesseurs républicain et démocrate,
George W. Bush et Barack Obama,
qui avaient affiché l’un comme
l’autre le même objectif, avant de
se heurter à des interventions rus-
ses en Géorgie puis en Ukraine, le
président a ajouté : « J’ai peut-être
tort. Vous savez, d’autres personnes
l’ont voulu et ça n’a pas marché. » Il
a cependant vite coupé court à
toute analogie, assurant : « Je suis
différent des autres personnes. » p
gilles paris
comme en témoigne la récente
tentative de médiation russe en
Centrafrique entre le gouverne-
ment et les groupes armés, finale-
ment écartée par Bangui.
Le conseiller diplomatique de
M. Poutine, Iouri Ouchakov, a
donné vendredi la liste des der-
niers invités de Moscou : le leader
palestinien Mahmoud Abbas (qui
succède ainsi au premier ministre
israélien, Benyamin Nétanyahou),
le président du Soudan, Omar Al-
Bachir, celui du Gabon, Ali Omar
Bongo, l’émir du Qatar Khalifa Al-
Thani, la Croate Kolinda Grabar-
Kitarovic et Emmanuel Macron.
Ce dernier « partagera ses pen-
sées » et « nous informera des résul-
tats du sommet de l’OTAN », a cru
bon de préciser le diplomate. A
l’Elysée, on souligne que cette ren-
contre avant la finale du Mondial
vise « à impulser de nouveaux pro-
grès » pour rapprocher les posi-
tions sur la Syrie. Et le dossier de
l’Ukraine est aussi sur la table. p
isabelle mandraud
et gilles paris

18 | international
Salisbury,
charmante cité
empoisonnée
par le Novitchok
La ville anglaise vit un cauchemar
depuis la mort d’une habitante,
quatre mois après l’attentat contre
l’ex-agent double Sergueï Skripal
REPORTAGE
salisbury - envoyé spécial
J
ason Regent croise les jam-
bes, assis à son bureau, vêtu
d‘élégants pantalons en tissu
prince-de-galles. « Le plus per-
turbant dans toute cette his-
toire, c’est l’inconnu, n’est-ce pas ? »
Au premier étage de sa boutique
sur High Street, à Salisbury, M. Re-
gent, tailleur, s’interroge. Chaus-
sures de fabrication anglaise ou
vestes de tweed, gins d’exception
ou whiskys fins, foulards pour ex-
centriques ou chaussettes en dou-
ble fil d’Ecosse, il sait d’où provient
et comment a été produit chacun
des articles de sa boutique.
Il reconnaît au toucher les tissus
sélectionnés pour tailler les plus
belles pièces disponibles à la
vente, celles qu’il a dessinées lui-
même. Il sait aussi qui sont ses
voisins et est à peu près sûr de
croiser quelqu’un qu’il connaît
lorsque, à pied, il quitte son domi-
cile pour aller travailler, barbe
longue bien taillée, chemise et
cravate impeccables.
Il y a pourtant quelque chose
que M. Regent ignore, qui l’inter-
pelle et le trouble, une question à
laquelle il ne sait pas répondre et
Océan
Atlantique Mer
du Nord
ROYAUME-UNI
IRLANDE
Londres
Salisbury
Manche
200 km
FRANCE
A peine rentré au Pakistan, Nawaz Sharif est incarcéré
L’ex-premier ministre, condamné pour corruption, cherche à mobiliser ses électeurs avant les législatives du 25 juillet
islamabad - envoyé spécial
D ix ans de prison pour sau-
ver une campagne électo-
rale. Une semaine après
avoir été condamnés, par contu-
mace, dans une affaire de corrup-
tion, l’ex-premier ministre pakis-
tanais Nawaz Sharif et sa fille, Ma-
ryam, ont fait le pari de quitter
Londres pour revenir dans leur
pays et y être incarcérés, vendredi
13 juillet. Par ce sacrifice inédit
dans sa longue carrière, M. Sharif
entendait galvaniser les électeurs
de son parti, la Ligue musulmane
du Pakistan-Nawaz (PML-N), talon-
née dans les sondages, à deux se-
maines des élections générales
prévues mercredi 25 juillet.
M. Sharif a fait ses adieux ven-
dredi à son épouse, malade du can-
cer et hospitalisée dans la capitale
britannique. L’homme d’affaires,
qui doit aussi préserver un empire
industriel familial ayant prospéré
durant ses années au pouvoir, a
qui perturbe l’élégant ordinaire de
ses jours. Pourquoi, quatre mois
après avoir manqué d’ôter la vie à
un ex-agent double soviétique –
oui, Salisbury en abritait un parmi
ses 45 000 habitants, Sergueï Skri-
pal, sous la protection des services
secrets de Sa Majesté –, un com-
posé chimique baptisé du nom
russe de Novitchok a frappé, peu
avant le 30 juin, un couple de mar-
ginaux locaux en prise à des pro-
blèmes de drogue ?
Dawn Sturgess, 44 ans, en a
perdu la vie le 8 juillet, et son
compagnon, Charlie Rowley,
45 ans, est toujours hospitalisé.
Pourquoi eux ? Pourquoi si long-
temps après le premier incident ?
Le mal invisible qui les a frappés
rôde-t-il toujours ?
« L’Angleterre traditionnelle »
Vendredi, la police a annoncé avoir
trouvé une petite bouteille ayant
contenu du Novitchok au domi-
cile de M. Rowley. Les autorités
parlent d’un « développement im-
portant et positif ». L’énigme reste
pourtant entière et le parc de la
Reine Elizabeth, où le couple s’était
rendu le 29 juin, est toujours bou-
clé. Tout comme la rue où se
trouve le foyer où a séjourné
M. Rowley. « Nous pensions que
cette histoire de Novitchok appar-
tenait au passé et que nous pou-
vions passer à autre chose. Mais
aujourd’hui, on ne sait plus rien et
c’est l’inconnu qui nous trouble »,
répète M. Regent, pensif, avant de
montrer à un visiteur les cravates à
motif têtes de mort, disponibles
en quatre coloris. Le 4 mars, date
du premier incident, il y avait une
logique, tout infâme qu’elle soit.
Sergueï Skripal, ancien espion
soviétique, a été frappé au cœur de
l’Angleterre provinciale et tran-
quille. Les responsables désignés
par Londres sont à Moscou. C’était
quitté avec sa fille leur apparte-
ment de la très chic Park Lane, qu’il
est accusé d’avoir acquis grâce à
des fonds illégaux. Ils ont été arrê-
tés quelques minutes après leur
atterrissage à Lahore, leur fief dans
la province du Pendjab, où se joue
en grande partie ce scrutin.
Le père, condamné à une peine
de dix ans de prison, et la fille –
sept ans – ont été renvoyés immé-
diatement par avion à Islamabad
et incarcérés dans la ville de gar-
nison de Rawalpindi, près de la ca-
pitale. Tous deux devaient faire
appel de leur condamnation, mal
étayée, et demander leur libéra-
tion sous caution avant lundi. Ils
comparaîtront dans deux autres
procès pour corruption, qui se
tiendront en prison, pour des rai-
sons de « sécurité ».
M. Sharif avait dû quitter le pou-
voir en juillet 2017, pour la troi-
sième fois depuis 1990. Interdit
de se présenter aux élections, il
garde la main sur son parti, dirigé
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
Une rue bouclée à Amesbury, près de Salisbury. Du Novitchok y a été trouvé chez une victime, encore hospitalisée. CHRIS J. RATCLIFFE/AFP
une action de représailles brutale
contre une trahison ancienne qui
a donné lieu à des déclarations du-
res, une crise diplomatique à
l’échelle mondiale et des renvois
de diplomates. Dans les rues de Sa-
lisbury, des personnages en tenue
militaire de protection chimique
font leur apparition, certains
lieux sont interdits d’accès. Dé-
contamination, rumeurs et am-
biance d’espionnage.
Si l’histoire s’était arrêtée là,
M. Regent aurait pu faire avec.
Après tout, l’art de l’élégance lui a
été enseigné par son grand-père,
qui était le majordome de Ian Fle-
ming, le créateur de James Bond.
L’auteur de romans d’espionnage
n’aurait pas boudé une telle intri-
gue. Mais le deuxième incident
fait planer un doute : le poison
pourrait être toujours là et M. Re-
gent est un homme sensible. Il ne
veut pas que ses enfants ramas-
sent du Novitchok au bac à sable.
Et préfère ne pas penser aux
conséquences que pourrait avoir,
sur les équilibres paisibles de la pe-
tite Salisbury, un nouvel événe-
ment de cette nature.
« Vous savez comment on sur-
nomme Salisbury ? Smallsbury »,
s’amuse l’un des clients fidèles de
M. Regent, Guy Walkers, ancien du
Times de Londres, écrivain et his-
torien féru de pages méconnues
de la seconde guerre mondiale.
Etabli dans un des villages co-
Un attentat
contre un
meeting
politique,
vendredi dans
le Baloutchistan,
a fait 149 morts
par son frère, Shehbaz. Leur re-
tour a lieu alors que le Pakistan re-
nouait avec une violence isla-
miste en partie réduite depuis
trois ans. Peu avant l’atterrissage
des Sharif, un attentat-suicide, re-
vendiqué par l’organisation Etat
islamique, avait fait 149 morts et
300 blessés lors d’un meeting po-
litique à Mastung, dans la pro-
vince rétive du Baloutchistan
(sud-ouest). Trois autres attentats
ont eu lieu depuis une semaine
dans le nord-ouest du pays.
Le poison pourrait
être toujours là
et Jason Regent,
le tailleur de High
Street, ne veut pas
que ses enfants
en ramassent
quets des environs, il brosse à
grands traits un portrait de la pe-
tite ville placée de nouveau et
malgré elle sous les feux de l’ac-
tualité : « C’est un endroit calme qui
ressemble par endroits à l’idée
qu’on peut se faire de l’Angleterre
des années 1950. Un centre-ville
charmant, un certain patriotisme,
beaucoup de militaires en retraite,
des gens qui se connaissent, atta-
chés à une vie tranquille. Rien de
cosmopolite, une sorte de quintes-
sence de l’Angleterre traditionnelle,
loin du mouvement du monde où
se diffuse maintenant une atmos-
phère d’étrangeté. »
Avec ses rues commerçantes
bien achalandées, son pub histori-
que – 698 années d’existence et un
patron… russe – hanté, selon la lé-
gende locale, par un fantôme qui
vient houspiller les clients sous la
forme d’une main coupée –, ses ca-
naux et surtout sa superbe cathé-
drale gothique du XIVe siècle, où se
Vendredi, M. Sharif a de nouveau
mis en cause l’armée, qui a dirigé
le pays durant l’essentiel de son
histoire depuis l’indépendance,
acquise en 1947 sur les ruines de
l’Empire britannique. « Nous ren-
trons parce que le destin de ce pays
doit changer, nous devons le chan-
ger, a déclaré M. Sharif. Ce qui se
passe dans ce pays et à Lahore sou-
lève des questions (…). Des centai-
nes de membres de notre parti ont
été arrêtés ; on force les gens à chan-
ger de camp. Tout cela pose un
point d’interrogation sur la crédibi-
lité de ces élections. »
Ressentiment populaire
M. Sharif s’est aliéné l’armée, no-
tamment en questionnant,
en 2016, son soutien à des « acteurs
non étatiques » islamistes, et en la
liant implicitement aux responsa-
bles des attentats de 2008 à Bom-
bay, en Inde. Son retour relance
une campagne poussive, dans la-
quelle le PML-N se consume en cri-
trouve un exemplaire de la Magna
Carta, Salisbury offre aux visiteurs
un charmant décor à moins de
15 kilomètres du site de Stone-
henge. « Une bonne partie des em-
plois dépendent du tourisme », rap-
pelle Matthew Dean, président du
conseil municipal. « Le retour de
cette affaire nous fait du mal,
quand les gens entendent “Salis-
bury” ils peuvent avoir tendance à
penser “Novitchok” », regrette l’élu
conservateur, qui est aussi pro-
priétaire de pub, en traversant la
place centrale où les promeneurs
viennent à manquer : « La saison
touristique devrait battre son plein,
mais les commerçants souffrent. »
La visite du prince Charles et de
Camilla, le 22 juin, puis une grande
course cycliste avaient redonné un
peu d’élan à la ville. « On commen-
çait tout juste à s’en remettre, mais
voilà que ce nouvel incident nous
replonge dans l’incertitude », souf-
fle M. Dean, qui se félicite cepen-
dant de l’aide supplémentaire de
5 millions de livres (5,6 millions
d’euros) promise mercredi à la
ville et à ses commerçants par la
première ministre, Theresa May.
« Keep calm and carry on »
Ce moment difficile donne aussi
l’occasion à la bourgade de ré-
veiller certaines mythologies na-
tionales. « L’idée qui domine, c’est
“Keep calm and carry on” » – « gar-
dez le calme et continuez », rap-
tiques contre « l’establishment »
militaire et en réponses aux accu-
sations de corruption. Son princi-
pal rival, l’ex-joueur de criquet
Imran Khan, voit en M. Sharif un
« criminel » qui ne mérite aucun
soutien. « S’il était resté à Londres,
Sharif serait apparu comme un
lâche, note l’analyste Murtaza
Solangi. Il aide son parti en géné-
rant une vague de sympathie qu’il
veut faire courir jusqu’au vote. »
Les autorités régionales et les for-
ces de sécurité se sont employées à
empêcher une mobilisation mas-
sive des soutiens de M. Sharif à La-
hore. Dès mercredi soir, de nom-
breux employés du parti avaient
été arrêtés. Les réseaux téléphoni-
ques et Internet ont été perturbés.
Le frère de M. Sharif et son neveu
font l’objet d’enquêtes policières
pour avoir mené, vendredi, des
milliers de militants des districts
voisins vers la capitale provinciale,
aux cris d’« Arrêtez-nous si vous le
pouvez » et « Respectez le vote ».
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
pelle Annie Riddle, éditorialiste
du Salisbury Journal, en référence
au slogan diffusé lors de la se-
conde guerre mondiale pour
maintenir le moral du pays. La
formule est devenue le symbole
d’une forme très britannique de
stoïcisme face à l’adversité. « Sa-
lisbury est une localité anglaise or-
dinaire avec ses problèmes de dro-
gues, de marginalité, derrière la
carte postale, précise Mme Riddle.
Le récent incident fait aussi éclater
les bulles dans lesquelles les diffé-
rentes communautés vivent, il
nous concerne tous et l’identité
des victimes rappelle que l’on est
tous dans le même bateau. »
Pourtant, le mal qui s’est abattu
sur la calme Salisbury n’en finit
pas de distiller son mystère, de-
puis les quartiers résidentiels
périphériques, où la maison de
M. Skripal reste bouclée, jus-
qu’aux abords de la cathédrale, en
passant par les artères plus popu-
laires où, quand vient le soir, les
odeurs de friture se mêlent aux
parfums bon marché que laissent
dans leur sillage des groupes de
jeunes filles en goguette. Et tout
autour des pelouses du parc de la
Reine Elizabeth, un chapelet de
policiers, postés à quelques dizai-
nes de mètres les uns des autres le
long d’un bandeau blanc et bleu,
continuent nuit et jour à surveiller
sa menace invisible. p
allan kaval
Des heurts limités ont eu lieu
avec les forces de l’ordre, mais le
PML-N, parti de notables et de
clientèles, n’a pas cherché la con-
frontation de rue, dont il n’a pas
l’expérience. Il s’agissait d’attirer
la compassion sur un drame fa-
milial, sur la hauteur souriante de
Maryam Sharif face aux officiers
qui l’arrêtaient dans l’avion, sur
l’interdiction faite à sa grand-
mère de venir les embrasser à l’aé-
roport – elle n’a pu le faire que di-
manche, en prison.
Il s’agissait surtout d’attiser le
ressentiment populaire envers
un scrutin qui apparaît de plus en
plus, ces dernières semaines, ma-
nipulé par l’armée, sans qu’elle
intervienne ouvertement. L’ar-
mée déploiera 350 000 hommes
pour assurer la sécurité du vote :
c’est près de cinq fois plus que
lors des élections de 2013, qui
s’étaient déroulées dans un cli-
mat autrement plus violent. p
louis imbert
 РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS

international | 19
0123
MARDI 17 JUILLET 2018

Cessez-le-feu précaire à Gaza

L’armée israélienne a frappé ce week-end des installations militaires du Hamas
bande de gaza - envoyé spécial
rite. Son employeur est l’adminis- provoquent la colère des civils is-
tration de la prison voisine, qui Sderot raéliens et placent le gouverne-
que contre nous et nous répon-
drons de façon appropriée. »
N I C ARAGUA
Carnage dans une
église de Managua
Au moins dix personnes ont
été tuées et une vingtaine
blessées au Nicaragua, le
14 juillet, au cours d’une atta-
que des forces progouverne-
mentales contre l’église de la
Divine-Miséricorde, à Mana-
gua, où 200 étudiants étaient

D
ans une main, il tient
un pantalon en lam-
beaux. Dans l’autre,
son Coran aux pages
noircies et déchirées dans la dé-
flagration de la veille. Fouad Gem-
ziri, 60 ans, marche dans les rui-
nes du bâtiment dont il assurait la
surveillance. Ses sandales soulè-
vent la poussière grise. Cela faisait
six mois qu’il s’occupait du gar-
diennage d’un immeuble vide de
cinq étages. Un chantier arrêté de-
puis des années, sans portes ni fe-
nêtres, qui devait abriter la biblio-
thèque nationale.
Cette carcasse de béton dans le
quartier de Katiba, dans la ville de
Gaza, a été visée samedi 14 juillet
par l’aviation israélienne, au
cours d’une journée intense
d’échanges de tirs avec le Hamas.
Deux adolescents de 15 et 16 ans
qui se trouvaient sur le toit ont été
tués. Une quinzaine d’autres per-
sonnes ont été blessées. Dans la
ville de Sderot, trois Israéliens ont
été blessés par une roquette.
Quelques heures plus tard, sous
la pression de l’Egypte et de son di-
recteur du renseignement Abbas
Kamel, les factions palestiniennes
acceptaient un cessez-le feu, après
vingt-quatre heures de dérapage
contrôlé. « Nous étions hier au
bord de la guerre », a déclaré le
coordinateur spécial de l’ONU,
Nikolaï Mladenov, en visite à Gaza
dimanche pour promouvoir un
plan humanitaire d’urgence.
Fouad Gemziri indique du doigt
le périmètre de son ancienne gué-
comptait s’approprier les lieux.
« On avait l’ordre de ne laisser per-
sonne entrer dans le bâtiment,
dit-il. Vers 18 heures, les Israéliens
ont fait des tirs de semonce. C’est
alors que les deux jeunes qui
étaient sur le toit pour prendre des
photos ont été atteints. Nous, on
s’est sauvés. » La mosquée conti-
guë a été touchée par la déflagra-
tion : toutes les vitres et les huis-
series ont explosé, s’éparpillant
sur le tapis rouge de prière aux
bordures dorées.
Des hauteurs, la vue est parfaite
sur l’esplanade qui s’étend devant
le bâtiment. « C’est un lieu de loisir
où les familles viennent se prélas-
ser, surtout que c’est l’été et qu’il n’y
a pas beaucoup d’alternatives à
Gaza », explique Ziad Medoukh,
directeur du département de
français à l’université d’Al-Aqsa,
venu en voisin constater les dé-
gâts. Autour de cette esplanade se
trouvent plusieurs bâtiments ad-
ministratifs ainsi que les locaux
de trois universités.
Armes du pauvre
Ce n’est pas le lieu le plus discret
de Gaza. Et pourtant, selon l’ar-
mée israélienne, c’est dans cet
immeuble vide de cinq étages
que le Hamas avait installé un
« centre d’entraînement pour
guerre urbaine », avec un tunnel
en dessous. Les autorités ont dif-
fusé un clip promotionnel du
Hamas montrant un commando
lourdement armé en train de si-
muler un assaut dans le bâti-
Beit Lahia
Gaza-Ville
Mer
Méditerranée
BANDE ISRAËL
DE GAZA
Tel-Aviv
ISRAËL
ÉGYPTE
10 km
ment. La vidéo daterait du mois
de mars. Etait-ce pour autant une
base permanente ? La cible im-
portait sans doute moins que
l’avertissement.
Cette frappe s’est inscrite dans
une journée de vive tension entre
l’armée israélienne et les factions
palestiniennes. Du côté gazaoui,
près de 200 tirs de roquettes et de
mortiers ont été effectués en
vingt-quatre heures, mettant en
alerte toutes les communautés
israéliennes frontalières.
La veille, le 13 juillet, un officier
israélien déployé le long de la clô-
ture de Gaza avait été blessé au
torse par un engin explosif. Cet
épisode s’est ajouté à l’envoi quo-
tidien de ballons à l’hélium et de
cerfs-volants aux extrémités en-
flammées, brûlant plusieurs di-
zaines d’hectares de terres israé-
liennes. Des armes du pauvre,
contre l’une des armées les plus
sophistiquées du monde, qui
ment sous pression.
L’armée a donc décidé samedi,
une nouvelle fois, de viser des
installations militaires attri-
buées au Hamas. Le quartier gé-
néral de son bataillon à Beit Lahia
a été entièrement détruit. Selon
Israël, il comportait des entre-
pôts d’armement, des centres de
commandement, des installa-
tions pour l’entraînement. En
outre, deux tunnels – au nord de
la bande et au sud, près de Rafah –
ont été visés. Mais malgré le
nombre de tirs des deux côtés, les
deux parties ont montré une cer-
taine retenue, conscientes du ris-
que d’embrasement. Dans un
mélange de défi et de bluff qui
fait craindre le pire pour la suite,
personne ne veut donner le
moindre signe de faiblesse.
« Interférences »
« L’armée a infligé au Hamas son
coup le plus rude depuis [2014] »,
s’est réjoui Benyamin Nétanya-
hou lors du conseil des ministres
dimanche, alors que certains res-
ponsables, comme le leader de la
droite messianique Naftali Ben-
nett, réclament une nouvelle
opération d’ampleur à Gaza. « J’es-
père qu’ils ont reçu le message, si-
non ils le recevront plus tard, a
poursuivi le premier ministre is-
raélien. J’ai entendu certains dire
qu’Israël avait accepté un cessez-
le-feu qui permettrait la poursuite
du terrorisme par ballons et cerfs-
volants incendiaires. C’est faux.
Nous n’accepterons aucune atta-
Dans l’après-midi, en guise d’il-
lustration, l’armée a annoncé que
des drones avaient visé plusieurs
groupes de Palestiniens équipés
de ces objets volants. Mais il sem-
ble que l’état-major n’a pas accédé
à la demande de M. Bennett : ce-
lui-ci voudrait que les lanceurs
soient visés comme des terroris-
tes, donc mis hors d’état de nuire.
Depuis avril, les factions se sont
concentrées sur la « marche du
grand retour », le long de la fron-
tière, lors de laquelle près de
135 personnes ont été tuées et
plus de 4 000 blessées par les sol-
dats israéliens. Malgré ce bilan, le
Hamas n’a pas répliqué militaire-
ment de façon massive. Mais l’uti-
lisation des ballons incendiaires
et des cerfs-volants – encouragée
voire organisée par le mouve-
ment islamiste – a modifié les li-
gnes rouges de chacun.
Le gouvernement israélien n’en-
visage pas de cessez-le-feu solide
sans un arrêt total des objets vo-
lants incendiaires. Les factions, el-
les, ne considèrent pas que ceux-ci
relèvent d’un arsenal militaire. El-
les prétendent qu’ils relèvent
d’initiatives populaires. « On pour-
rait tout arrêter, affirme Daoud
Shehab, porte-parole du Djihad is-
lamique. Mais on veut pour cela
une levée sans conditions du blo-
cus, la fin des interférences israé-
liennes dans notre vie quotidienne.
Sinon, celui qui arrêterait les cerfs-
volants et les ballons serait consi-
déré comme un traître. » p
piotr smolar
retranchés. Plus de 270 per-
sonnes ont trouvé la mort et
2 000 ont été blessées dans les
violences qui secouent le pays
depuis trois mois, selon la
Commission interaméricaine
des droits de l’homme. – (AFP.)
R OYAU ME- U N I
May repousse
les conseils de Trump
contre l’UE
Theresa May a révélé, diman-
che 15 juillet, sur la BBC, que
Donald Trump lui avait con-
seillé, lors de sa visite à Lon-
dres, vendredi, de « poursui-
vre l’UE en justice » plutôt
que de négocier la sortie du
pays de l’Union. « Mais, en
fait, non, on va négocier », a
ajouté la première ministre
britannique, que le président
américain avait humiliée en
soutenant ses adversaires
partisans d’un Brexit dur.
HAÏ T I
Démission du chef
de gouvernement
Le premier ministre haïtien,
Jack Guy Lafontant, a an-
noncé sa démission, samedi
14 juillet, une semaine après
des violences meurtrières
causées par une tentative du
gouvernement d’augmenter
le prix de l’essence. La veille,
il assurait qu’il ne démission-
nerait pas, avant de changer
d’avis pour éviter un vote
sanction des députés. – (AFP.)

La contestation sociale
s’étend dans le sud de l’Irak HORS-SÉRIE
Des heurts opposent les forces de sécurité aux manifestants, dont la
mobilisation ne faiblit pas, en dépit des promesses du gouvernement

L’ Irak est en proie à un vaste

mouvement de contesta-
Dans la région provinces du Sud souffrent de
coupures d’électricité et d’eau ré-

L’HISTOIRE
tion sociale dans les pro- de Bassora, currentes et de services publics
vinces du Sud, qui a fait au moins défaillants, le tout en grande par-
cinq morts et des dizaines de bles-
seulement 1 % tie imputé à la corruption endé-
sés depuis une semaine. Lancé à des emplois du mique au sein des autorités fédé-
Bassora, la principale province pé- rales comme provinciales.
DES
trolière du pays, le 8 juillet, par des
secteur pétrolier Le chômage – officiellement de
habitants protestant contre la dé- sont occupés par 10,8 %, mais deux fois plus élevé

liquescence des services publics,
le chômage et la corruption endé-
mique, le mouvement s’est durci
et s’étend désormais à toutes les
provinces du Sud chiite.
Dimanche 15 juillet, de nou-
veaux heurts ont opposé les for-
ces de sécurité aux manifestants,
qui ont tenté de bloquer des ins-
tallations pétrolières à Bassora et
se sont attaqués à des bâtiments
gouvernementaux et des sièges
de partis politiques dans plu-
sieurs villes, faisant au moins
deux morts à Samawa et des di-
zaines de blessés à Bassora et Nas-
siriya parmi les manifestants et
les forces de l’ordre.
Le premier ministre, Haïder Al-
Abadi, a durci le ton, dimanche,
dénonçant les actes violents
autour des manifestations. « Pro-
fiter des manifestations pour brû-
ler des bâtiments publics, couper
des routes, enflammer des pneus et
attaquer les forces de sécurité est
une tentative de faire reculer le
pays », a plaidé le chef du gouver-
nement, pour qui « des éléments
du crime organisé » se tenaient
« prêts à susciter le chaos ». Il a or-
donné la réouverture de l’aéro-
port de Nadjaf, envahi vendredi
par des manifestants. Trois com-
pagnies internationales avaient
annoncé plus tôt la suspension de
leurs vols vers la ville sainte chiite.
Les promesses sociales et les
mesures sécuritaires n’ont pas
des travailleurs
locaux
suffi à juguler le mouvement. Sa-
medi soir, le gouvernement avait
annoncé une allocation immé-
diate de 3 milliards de dollars
pour la province de Bassora, outre
des annonces d’investissement
dans l’habitat, les écoles, la santé,
les réseaux d’électricité et d’eau.
Parallèlement, un couvre-feu a
été décrété dans les principales
villes du sud et plusieurs ba-
taillons de l’armée et des forces
antiterroristes ont été déployés
en renfort. Depuis vendredi soir,
l’accès à Internet et aux réseaux
sociaux, utilisés par des activistes
qui ont rejoint la mobilisation, est
coupé presque tout le temps, no-
tamment à Bagdad et dans les
provinces du Sud.
Corruption endémique
Ce black-out imposé par les auto-
rités a jusqu’à présent permis
d’empêcher que le mouvement
ne s’étende à la capitale, où les
manifestations sont restées limi-
tées. Dans le Sud chiite, les mani-
festants se disent déterminés à
persévérer du fait d’une situation
en constante dégradation, deve-
nue particulièrement explosive
durant l’été. Alors que les tempé-
ratures avoisinent les 48 °C, les
RÉVOLUTIONS
chez les jeunes, dans un pays où
60 % de la population a moins de
24 ans – est un problème majeur
dans ces provinces, parmi les plus
pauvres du pays. Alors que la majo-
De l’âge de pierre à l’ère numérique
rité des champs pétrolifères d’Irak,
qui tire près de 90 % de ses ressour-
ces des hydrocarbures, se trouvent
dans la région de Bassora, seule-
ment 1 % des emplois sont occupés
par des travailleurs locaux, les
compagnies pétrolières étrangè-
res employant essentiellement
des étrangers. Dans d’autres ré-
gions du Sud, qui dépendent de
l’agriculture, l’interdiction de
planter des cultures comme le riz
et le maïs, décrétée du fait d’une
sécheresse record cet été, a provo-
qué la colère des agriculteurs. Depuis toujours, l’humanité semble avancer par ruptures successives.
Le soutien exprimé, vendredi, Qu’il s’agisse des révolutions française ou américaine, russe ou chinoise,
aux manifestants par le grand
de contestations étudiantes ou de coups d’État... ce hors-série explore les
ayatollah Sistani, la plus haute
grands mouvements dits « révolutionnaires ». Des révoltes serviles à la fin
autorité chiite d’Irak, a galvanisé
la contestation. Elle cible le gou- de l’apartheid, de l’ère néolithique à l’ère industrielle, de l’abolition de
vernement, mais aussi les partis l’esclavage à la décolonisation, finalement toutes les révolutions sont-elles
chiites sortis vainqueurs des élec- révolutionnaires ?
tions législatives et l’Iran, que les Une invitation à revenir, avec les meilleurs spécialistes et à l’appui de cartes
manifestants accusent d’ingé- et documents inédits, sur les bouleversements fondateurs qui ont donné
rence dans les affaires du pays. naissance à un « avant » et un « après » de notre Histoire.
Après un taux d’abstention re-
cord aux législatives du 12 mai, le
désarroi envers la classe politique,
jugée corrompue, s’est amplifié,
L’HISTOIRE DES RÉVOLUTIONS
alors que la formation d’un gou- Un hors-série - 188 pages - 12 €
vernement est suspendue à un re- Chez votre marchand de journaux
comptage des bulletins, sur fond et sur Lemonde.fr/boutique
d’accusation de fraudes. p
hélène sallon
 РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS

20 |
FRANCE
0123
MARDI 17 JUILLET 2018

Macron et les syndicats, le changement de pied

Le président de la République doit recevoir les principales organisations, mardi, à l’Elysée

L’
invitation est arrivée
juste avant la demi-fi-
nale opposant les foot-
balleurs français à leurs
homologues belges, le 10 juillet.
Un courriel envoyé aux numéros
un des principales organisations
patronales et syndicales. Tous
doivent être reçus, mardi 17 juillet,
à l’Elysée, par Emmanuel Macron.
Une rencontre à la configuration
inédite depuis le début du quin-
quennat. Elle signe un change-
ment de méthode pour le prési-
dent de la République, accusé de
prendre pour quantité négligea-
ble les corps intermédiaires. Elle
répond également à une de-
mande de plusieurs confédéra-
tions qui réclamaient la mise en
place d’un nouvel agenda social.
Le 9 juillet, lors de son discours
devant le Congrès, à Versailles, le
chef de l’Etat a expliqué ce qu’il
attendait de ce rendez-vous : « Je
veux, dans cette deuxième année
qui s’ouvre, redonner corps à une
République contractuelle à la-
quelle je crois, celle qui permettra
de jeter les bases d’un nouveau
contrat social. »
La réaction de ses interlocuteurs
a été plutôt favorable. « La CFDT
dit chiche ! », s’est réjoui Laurent
Berger, le leader de la centrale cé-
détiste, dans un entretien à L’Obs.
Ce face-à-face avec le président de
la République, « c’est exactement
ce que l’on demandait. On s’est
battus pour ça », confie Pascal
Pavageau, le secrétaire général de
FO, qui dit se rendre à la réunion
de mardi dans « un esprit d’ouver- Emmanuel Macron lors de son discours devant le Congrès, à Versailles, le 9 juillet. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »
ture positive ». « Nous pourrons lui
dire que nous avons la volonté de
continuer à négocier sur les sujets pour réaliser son programme, quoi lité ». Plusieurs questions doivent menteur ». « Ils sont emmerdés, nouvelles » à condition d’être « en
qui nous sont propres et lui signi- qu’aient pu en penser les syndicats. être abordées, dont celle de la limi- lance le patron d’une confédéra-
Le dossier responsabilité totale » dans un
fier, au passage, que nous n’avons Une période nouvelle commence tation des CDD courts, qui pour- tion. Ils utilisent le renvoi à la négo- de l’assurance- schéma où l’Etat ne garantirait
pas déserté le terrain », assure Phi- avec la mise en œuvre d’une rait passer par l’instauration d’un ciation pour gagner du temps. » plus la dette de l’Unédic. Le prési-
lippe Louis, le président de la deuxième vague de projets qui bonus-malus (pénalisant les en- M. Berger a d’ores et déjà mis en
chômage a de dent de la CPME souhaite donc
CFTC. « S’il considère que les parte- n’ont pas tous reçu l’onction du suf- treprises où la rotation du person- garde l’exécutif. « Si c’est pour aller fortes chances que le sujet de sa gouvernance
naires sociaux doivent jouer un frage universel. La nécessité de les nel est élevée). Une thématique rogner les droits avec une lettre de soit également au programme.
rôle, tant mieux, complète Alain légitimer par des discussions avec sensible, dont le traitement sera cadrage du gouvernement qui, en
de préempter « Les partenaires sociaux ne peu-
Griset, le patron de l’Union des les partenaires sociaux est donc détaillé dans une lettre de cadrage. fait, est déjà la conclusion de la né- une large partie vent pas à la fois déplorer que le
entreprises de proximité. Ce serait plus grande. » Pourquoi mettre le sujet sur le gociation, cela ne marchera pas », pouvoir en place bouscule le pari-
une erreur politique que de ne pas Plusieurs dossiers sont à l’ordre tapis maintenant ? Telle est la a-t-il affirmé, le 11 juillet. Une posi-
des échanges tarisme et faire la fine bouche
tenir compte de la voix des organi- du jour, mardi. Celui de l’assuran- question que se posent plusieurs tion partagée par François Hom- quand celui-ci souhaite les asso-
sations patronales et syndicales. » ce-chômage a de fortes chances de responsables syndicaux. Le para- meril, le président de la CFE-CGC : cier à l’élaboration de réformes »,
préempter une large partie des métrage du régime, disent-ils, a « Si la lettre de cadrage est complè- mais je ne suis pas sûr qu’un ac- juge Pierre Ferracci, président du
« Partie de poker menteur » échanges. Face au Congrès, M. Ma- été modifié récemment avec la tement fermée et que l’on dit aux cord soit possible. » Une allusion groupe de conseil Alpha. Pour lui,
L’heure de la réconciliation a-t- cron avait créé la surprise en invi- « convention » Unédic de 2017, et partenaires sociaux de faire le sale au fait que le patronat rejette le M. Macron tend une « perche »
elle sonné ? Le « sommet » de tant les organisations d’em- un accord national interprofes- boulot, ça va être compliqué. » bonus-malus. M. Roux de Bézieux aux syndicats et au patronat afin
mardi marque, en tout cas, une ployeurs et de salariés à ouvrir une sionnel (ANI) sur l’assurance-chô- rappelle, par ailleurs, que l’ANI de « d’engager le débat et clarifier ce
« certaine inflexion du comporte- négociation sur l’Unédic, le régime mage a été conclu fin février puis Trouver des solutions février donnait aux branches dix qui relève de la démocratie sociale
ment d’Emmanuel Macron à d’indemnisation des demandeurs repris, en partie, dans le projet de Le président du Medef, Geoffroy mois pour trouver des solutions et de la démocratie politique mais
l’égard des partenaires sociaux », d’emploi piloté par les partenaires loi « avenir professionnel » – en Roux de Bézieux, affiche, lui aussi, en matière de lutte contre la pré- certains peuvent, à bon droit, y voir
observe Raymond Soubie, prési- sociaux. Il s’agit, avait-il précisé, cours d’examen au Parlement. une certaine perplexité, en invo- carité : « On veut continuer ces né- un piège, compte tenu de la
dent de la société de conseil que les règles du système « récom- Certains voient dans cette offre quant d’autres raisons : « On peut gociations en parallèle. » difficulté de trouver un compromis
Alixio. « Durant la première année pensent bien davantage la reprise d’une nouvelle négociation un toujours renégocier, mais quelles François Asselin estime de son sur l’assurance-chômage ». p
de son quinquennat, il a estimé d’activité, mais aussi qu’elles inci- « piège » posé par l’exécutif, marges de manœuvre aurons- côté que les partenaires sociaux raphaëlle besse desmoulières
qu’il avait un mandat de la nation tent à la création d’emplois de qua- d’autres « une partie de poker nous ? Je ne ferme pas la porte, peuvent « assumer les mauvaises et bertrand bissuel

Pour éviter la faillite, le Rassemblement national en appelle à ses militants

Le parti de Marine Le Pen, suspecté d’avoir rémunéré des assistants sur des fonds européens, doit faire face à la saisie de deux millions d’euros

A lex Frederiksen est chô-

meur. A 29 ans, il doit faire
attention à la moindre dé-
pense. Mais, le 9 juillet, il a versé
100 euros au Rassemblement na-
tional (RN, ex-Front national). Une
réponse à l’appel aux dons lancé le
même jour par la présidente du
parti, Marine Le Pen, après l’an-
nonce de la saisie par la justice de
2 millions d’euros d’aides dues au
RN, suspecté d’avoir utilisé des
fonds européens pour payer ses sa-
lariés permanents. Militant depuis
2012, Alex Frederiksen parle d’« un
petit sacrifice pour le bon fonction-
nement de la démocratie ». « Si rien
n’est fait, le RN est mort en août »,
s’inquiète cet adhérent habitant à
Boulogne-Billancourt (Hauts-de-
Seine). Comment des juges peu-
vent bâillonner un parti qui fait
onze millions de voix au second
tour de la présidentielle ? »
Comme Alex Frederiksen, cer-
tains militants se disent prêts à
mettre la main à la poche pour que
le RN évite le couperet de la
« guillotine » qui menace le parti,
selon les mots de sa présidente.
Après une semaine, Jean-Lin
Lacapelle, chargé des ressources
du RN, évoque déjà un « sursaut
populaire qui dépasse nos atten-
tes ». Dimanche, le parti annonçait
avoir récolté 300 000 euros, pro-
venant de plus de 5 000 donateurs.
Unis autour de la critique de
l’institution judiciaire, les adhé-
rents du RN semblent requinqués.
« L’objectif des magistrats est claire-
ment politique et pas judiciaire »,
s’indigne Xavier Grolet, retraité
rhodanien de 55 ans, adhérent au
RN depuis trois ans. Lui a donné
30 euros. Cet ancien militaire s’in-
terroge sur la motivation des deux
juges d’instructions du Parquet
national financier, à l’origine de la
saisie. Il souligne l’appartenance
de la magistrate Claire Thépaut au
Syndicat de la magistrature, classé
à gauche, quand le juge Renaud
Van Ruymbeke est décrit comme
un « sympathisant » du même syn-
dicat. Des accusations déjà lancées
par Mme Le Pen début juillet. « On a
l’impression qu’en France, à moins
d’être zadiste, islamiste ou délin-
quant en col blanc, on est persécu-
tés par la justice », vitupère Gwe-
naël Blancho, 27 ans, qui va donner
une centaine d’euros. Pour ce mili-
tant RN depuis huit ans, habitant
d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-
Seine), « les juges veulent mettre à
genoux le parti à quelques mois des
élections européennes ».
C’est tout le paradoxe après la
saisie des 2 millions d’euros par la
justice : le parti est exsangue sur le
plan financier, mais cette décision
revigore les adhérents du RN, re-
mobilisés autour de la tradition-
nelle posture victimaire de leur
parti. « Cette affaire ne fait que ren-
forcer la détermination des mili-
tants, qui ont le sentiment que le
pouvoir en place emploie des mé-
thodes déloyales », relève Gilles
Ardinat, conseiller RN de la région
Occitanie. La campagne du RN
rappelle le « Sarkothon », lancé par
l’UMP en juillet 2013. Comme le RN
aujourd’hui, l’ancêtre du parti Les
Républicains avait fait appel à la
générosité de ses adhérents après
le non-remboursement d’une par-
tie des frais de la campagne prési-
dentielle de Nicolas Sarkozy,
en 2012. Un modèle de réussite
pour Marine Le Pen. L’UMP avait
réussi à récolter onze millions
d’euros en huit semaines. Quel-
ques mois plus tard, les adhérents
de l’UMP avaient découvert l’af-
faire Bygmalion, un présumé sys-
tème de surfacturation qui avait
grevé les finances de leur parti.
« S’il s’avère que le parti a fauté, je
ne regretterai pas », assure Grégory
Roose, adhérent au RN depuis
2014 dans les Alpes-de-Hautes-
Provence. Ce quadragénaire, qui a
versé 25 euros, relativise la portée
des faits reprochés : Ce n’est quand
même pas l’affaire Kadhafi. »
Le temps presse
Même s’il parvient à collecter les
2 millions d’euros saisis, le RN fera
encore face à un horizon juridico-
financier particulièrement som-
bre. Le 9 juillet, la justice a an-
noncé de nouvelles mises en exa-
men, dont celle de l’eurodéputé
Nicolas Bay, toujours dans le cadre
de l’affaire d’emplois fictifs d’as-
sistants parlementaires. En cas de
condamnation, le RN pourrait
être amené à rembourser les sept
millions d’euros de préjudices es-
timés par le Parlement européen.
Ce qui accroîtrait sa dette, qui
s’élève à douze millions d’euros,
selon le trésorier, Wallerand
de Saint Just, cité par Marianne.
Et le temps presse. La saisie an-
noncée a déjà des conséquences
concrètes sur le fonctionnement
du RN. « On écrit aux adhérents
pour leur demander de l’aide, mais
seulement sur des supports qui ne
coûtent pas d’argent, réseaux
sociaux, SMS ou mail », rapporte
Aurélien Legrand, délégué dépar-
temental du RN à Paris. Ce week-
end, les militants RN étaient appe-
lés à solliciter la population sur les
marchés. Mais seulement avec
des tracts déjà tirés. Jusqu’à nou-
vel ordre, aucun nouveau pros-
pectus ne doit être imprimé. p
hugo wintrebert

0123
MARDI 17 JUILLET 2018
Soldats français
tués à Bouaké :
vers l’ouverture
d’un procès
Quatorze ans après le raid,
trois personnes sont renvoyées
devant la cour d’assises de Paris
P
ilote d’avion de combat
russe devenu merce-
naire biélorusse, Yury
Sushkin loue ses servi-
ces au plus offrant. C’est ainsi que,
en novembre 2004, il débarque en
Côte d’Ivoire plongée dans la
guerre opposant les forces du pré-
sident Laurent Gbagbo à celles de
la rébellion occupant la partie
nord du pays et avec laquelle il est
décidé à en découdre. Les services
de renseignement français sur-
veillent ces « gens de l’Est » sta-
tionnés sur l’aéroport de Yamous-
soukro, la capitale ivoirienne. Ils
prennent en photo ce quinquagé-
naire trapu au visage fermé qui
s’affaire en tenue militaire autour
de deux avions de combat Sukhoï
Su-25 livrés le mois précédent à
l’armée ivoirienne. Il pilote l’un
d’entre eux le 6 novembre 2004.
A 13 h 10, ce jour-là, ces deux ap-
pareils bombardent une base des
troupes françaises de la force « Li-
corne » établies dans l’enceinte du
lycée René-Descartes de Bouaké.
Neuf soldats périssent, ainsi qu’un
civil américain. Quatorze ans plus
tard, Yury Sushkin et deux autres
pilotes ivoiriens sont renvoyés de-
vant la cour d’assises de Paris pour
« avoir, avec préméditation, volon-
tairement donné la mort ».
L’implication de M. Sushkin ne
fait « aucun doute », peut-on lire
dans le réquisitoire daté du 25 juin
dont Le Monde a pris connais-
sance. Mais il n’a pas pu être
entendu et ne se présentera sans
doute jamais devant la justice. Il ne
se cache pas, mais reste introuva-
ble. Les autorités françaises n’ont
Un policier affecté au tribunal de Paris mis en examen pour violences
Le fonctionnaire avait roué de coups un détenu, le 9 juin. La vidéo, diffusée jeudi sur Internet, a déclenché l’ouverture d’une enquête
F ilmé en train de rouer de
coups un détenu dans
l’enceinte du tribunal de
grande instance (TGI) de Paris, un
policier stagiaire a été mis en exa-
men, samedi 15 juillet, pour « vio-
lences » et placé sous contrôle ju-
diciaire. Les faits remontent au
9 juin, mais c’est une vidéo de la
scène filmée par les caméras de
surveillance, diffusée jeudi sur le
site La-bas.org, qui a déclenché
l’ouverture d’une enquête le jour
même. Sur ce film de cinq minu-
tes, sans son, on aperçoit le poli-
cier demander au détenu de
rejoindre sa cellule en sortant des
toilettes. Ce dernier, un Marocain
en attente de comparution pour
des faits de vol, semble refuser
d’obtempérer et désigne sa gorge.
Le fonctionnaire perd son sang-
froid, le projette violemment au
sol et tente de l’immobiliser. Au
terme de quarante-cinq secondes
de corps-à-corps, il parvient à le
menotter. Le détenu reste alors
étendu au sol, sans bouger.
Visiblement exaspéré par son
attitude, le policier le soulève et le
jette sans ménagement dans sa
cellule. Le détenu allonge alors ses
jambes pour l’empêcher de fer-
mer la porte, ce qui déclenche un
nouvel accès de colère du fonc-
tionnaire, qui le roue de coups de
pieds. Deux autres policiers arri-
pas cru bon de l’interroger lors-
qu’elles l’ont pu. C’était au
lendemain de cette opération
meurtrière. Sur ordre du président
Jacques Chirac, la réplique fran-
çaise sera « des tirs de longue dis-
tance » anéantissant les deux avi-
ons de retour sur le tarmac de l’aé-
roport de Yamoussoukro, rap-
porte un haut responsable de
l’armée française. Ce dernier pré-
cise, devant les enquêteurs, ne pas
avoir reçu la consigne de « neutrali-
ser les pilotes (…) et aucune instruc-
tion par rapport aux boîtes noires ».
Ainsi, les huit mercenaires sla-
ves, dont le pilote biélorusse, quit-
tent la Côte d’Ivoire sans être in-
quiétés par les militaires et les es-
pions français. Du Ghana voisin, le
petit groupe, guidé par deux Ivoi-
riens, rejoint le Togo par la route
où les hommes se présentent à la
frontière comme des « mécani-
ciens agricoles ». Ils sont attendus
par la secrétaire de leur contrac-
teur, un vendeur d’armes français
cité dans plusieurs rapports des
Nations unies pour fourniture
de mercenaires et d’équipements
militaires : Robert Montoya.
Le bombardement
de la base
des troupes
françaises
avait tué
neuf soldats et
un civil américain
vent alors sur place, s’interposent
et tentent de calmer leur collègue,
qui essaye à plusieurs reprises de
revenir s’en prendre au détenu.
« Ce jeune stagiaire était tout seul
pour s’occuper de cinq détenus,
explique au Monde une source
policière pour essayer de replacer
cette éruption de violence dans
son contexte. Ce détenu a été péni-
ble toute la journée : il s’est scarifié,
a avalé des boutons de chemise
pour être hospitalisé, une techni-
que classique… Il a même fallu ap-
peler les pompiers. Le jeune policier
a fini par péter les plombs. »
En fonction un mois après les faits
Selon une source proche du dos-
sier, la hiérarchie a eu très vite
connaissance de l’incident et de la
vidéo, et une enquête administra-
tive a été ouverte rapidement.
Mais le policier était toujours en
fonction un mois après les faits, et
il aura fallu attendre la diffusion
de la vidéo, le 12 juillet, pour que la
justice soit saisie. Le ministre de
l’intérieur, Gérard Collomb, avait
condamné le jour même « avec la
plus grande fermeté ce comporte-
ment inadmissible qui vient nuire
à l’image de l’ensemble des forces
de sécurité » et suspendu le poli-
cier à titre conservatoire.
Après quarante-huit heures
d’audition dans les locaux de l’ins-
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
Les Sukhoï
qui avaient
servi à
l’attaque, à
Yamoussoukro,
en 2004.
PASCAL GUYOT/AFP
Cet ancien gendarme, alors éta-
bli au Togo, est aussi le conseiller
spécial du président ivoirien – à
qui il a notamment vendu beau-
coup de matériel de guerre, dont
les deux avions Sukhoï en ques-
tion, par l’intermédiaire de ses so-
ciétés établies à Monaco ou à
Gibraltar. Il doit prendre en charge
les huit hommes finalement in-
terpellés à la frontière le 16 no-
vembre par des soldats intrigués
par ces agriculteurs à l’allure de
militaire, les soupçonnant d’être
liés à l’opération de Bouaké. Les
autorités togolaises alertent la
France dès le 16 novembre et les
placent en détention, le temps
d’attendre la décision de Paris.
Les services français de police et
de renseignement sont immédia-
tement informés, de même que le
général Henri Poncet, qui dirige
l’opération « Licorne ». L’informa-
tion est « relayée au niveau de tous
les cabinets des ministères de l’inté-
rieur et de la défense, (…) et ce à par-
tir du moment où il y avait un télé-
gramme diplomatique », souligne
le contrôleur général de la police
nationale, Jean-Eric Lacour, inter-
rogé dans le cadre de l’enquête.
Aucune instruction n’est donnée
par Paris. Après deux semaines de
pection générale de la police
nationale (IGPN), le fonctionnaire
a été mis en examen pour « vio-
lences par personne dépositaire
de l’autorité publique » et interdit
d’exercer au sein du tribunal et sur
la voie publique. Il a par ailleurs
été placé sous le statut de témoin
assisté pour les faits présumés de
« faux ». Selon une source proche
du dossier, cette dernière infrac-
tion concerne « le contenu d’un
rapport d’incident » rédigé à la
suite de cette scène musclée. « Il a
présenté les faits un peu à sa ma-
nière », résume cette source.
Selon La-bas.org, créé en 2015
après l’arrêt de « Là-bas si j’y suis »,
célèbre émission de Daniel
Mermet diffusée sur France Inter
entre 1989 et 2014, c’est un gar-
dien de la paix affecté au TGI de
Paris qui aurait fait fuiter le film.
Une seconde enquête a été
ouverte pour déterminer l’origine
de l’extraction et de la diffusion
de ces images de vidéosur-
veillance. « Cette vidéo a tourné
parmi les agents, mais ce n’est pas
l’auteur des faits qui l’a fait circu-
ler », précise une source policière.
Selon le dernier rapport annuel
de l’IGPN, publié le 27 juin, les
enquêtes sur des violences volon-
taires imputées à des policiers ont
augmenté de 6 % en 2017 (574 en-
quêtes ouvertes, contre 543 au
détention, les huit « mécaniciens
agricoles » poursuivent leur route
vers le Bénin, d’où ils sont refou-
lés, avant de s’envoler fin novem-
bre vers Moscou depuis Accra, la
capitale ghanéenne, selon une
note déclassifiée de la direction
générale de la sécurité extérieure.
Le chef d’état-major des armées,
le général Henri Bentegeat, a in-
formé l’état-major de l’Elysée dès
le jour du bombardement. Il a
aussi « rendu compte à Mme Alliot-
Marie », dont le cabinet était desti-
nataire des « renseignements ». De-
vant les enquêteurs, la ministre de
l’époque a atermoyé avant d’assu-
rer qu’elle ne recevait les télégram-
mes diplomatiques qu’un ou deux
jours après leur émission. Et de
prétendre qu’aucun cadre juridi-
que ne permettait d’interroger ou
d’arrêter les mercenaires slaves.
Soupçons de manipulation
Son conseiller au moment des
faits, le magistrat David Sénat,
prétend n’avoir jamais eu à étu-
dier ce cas. Très impliqué dans le
dossier ivoirien, Dominique de
Villepin, alors ministre de l’inté-
rieur et artisan des accords de
paix de Linas-Marcoussis (en jan-
vier 2003) visant à mettre fin à la
bilan en 2016). Dans le cadre pro-
fessionnel, ces violences relèvent
pour 19 % de faits commis dans les
locaux de police, notamment lors
du déroulement d’une garde à vue
ou d’une rétention (10 %). L’IGPN
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
SAS IMMO ROCHE
110 Chemin du Pin
83740 LA CADIERE D’AZUR
RCS: 800 639 387
depuis le 25/02/2014 pour ses activités de :
GESTION IMMOBILIERE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication
du présent avis.Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Établissement
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le pré-
sent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause
la solvabilité ou l’honorabilité de la SAS
IMMO ROCHE.
guerre civile ivoirienne, dit
n’avoir « jamais été informé, ni
saisi de cette affaire dans le cadre
de ses fonctions ».
Des versions qui ne manquent
pas d’interroger les magistrats et
alimentent les soupçons de mani-
pulations d’Etat dans un contexte
de tensions entre la France et la
Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo,
tombé en disgrâce et devenu indé-
sirable. « La décision de ne rien
faire concernant les pilotes arrêtés
au Togo a été prise à l’identique par
le ministère de l’intérieur, le minis-
tère de la défense et le ministère des
affaires étrangères, ce qui permet
de penser à l’existence d’une
concertation à un haut niveau de
l’Etat », avait relevé la magistrate-
instructrice Sabine Kheris, qui
avait souhaité le renvoi des trois
ministres devant la Cour de justice
de la République (CJR) en 2016.
Deux ans plus tard, dans son
réquisitoire, le vice-procureur
Michel Guedes précise qu’il « ap-
partiendra à la commission des re-
quêtes de la CJR d’en apprécier les
hypothétiques responsabilités ».
Quatorze ans après les faits, un
procès devrait se tenir à Paris.
Durant tout ce temps, l’avocat des
parties civiles, Jean Balan, a résisté
avait également, pour la première
fois, publié les chiffres provisoires
des personnes tuées ou blessées
lors d’interventions policières au
cours des douze mois écoulés.
Entre juillet 2017 et mai 2018, elle
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
EURL NLR IMMOBILIER
12 Bd de la République
83510 LORGUES
RCS: 453 359 523
depuis le 19/05/2004 pour ses activités de :
TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET
FONDS DE COMMERCE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Établissement
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le pré-
sent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause
la solvabilité ou l’honorabilité de la EURL
NLR IMMOBILIER.
france | 21
aux pressions et lutté contre les
tentatives d’entraver l’enquête.
« Rarement une procédure a été
aussi parasitée, y compris par des
anciens ministres qui ont changé
de versions et se sont efforcés de ca-
cher la vérité, dit l’avocat. Les juges
d’instruction ont été opiniâtres. Les
familles des victimes auraient pu et
auraient dû bénéficier d’un autre
traitement de la part de l’Etat. »
Aucune autopsie des corps des
victimes n’a été diligentée. Tout
comme Yury Sushkin, Robert
Montoya n’a jamais été entendu.
Ce dernier – qui n’est pas renvoyé
devant la Cour – n’a pas disparu et
vit entre le sud de la France et Casa-
blanca, où il a créé, en 2017, une
société de vente de matériel de
géolocalisation. Renversé en 2011
par les ex-rebelles soutenus par la
France, Laurent Gbagbo est en pri-
son à Scheveningen, un quartier
de La Haye, accusé par la Cour pé-
nale internationale de crimes de
guerre et crimes contre l’huma-
nité. Au chef d’état-major des ar-
mées français qui rapporte cette
anecdote, il avait juré, en pleurant,
qu’il n’était pour rien dans le bom-
bardement du camp de Bouaké. p
simon piel
et joan tilouine
recense 14 décès et une centaine
de blessés. Un chiffre à mettre en
rapport avec une très forte hausse
du recours aux armes à feu entre
ces deux années (+ 54 %). p
soren seelow
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
SARL AUCAMVILLE IMMOBILIER
22 Route de Fronton
31140 AUCAMVILLE
RCS: 343 100 889
depuis le 01/01/2004 pour ses activités de :
TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET
FONDS DE COMMERCE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Établissement
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le pré-
sent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause
la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL
AUCAMVILLE IMMOBILIER.

ÉCONOMIE & ENTREPRISE
22 |
Commerce : Chine et UE redoutent le « chaos »
A Pékin, Chinois et Européens ont réitéré leur soutien au multilatéralisme face au protectionnisme de M. Trump
shanghaï - correspondance,
U
n front commun en-
tre la Chine et l’Eu-
rope face à l’Amérique
protectionniste de
Donald Trump ? Inimaginable il y
a quelques mois encore, une telle
alliance, soulevant de nombreu-
ses questions, fut l’un des enjeux
du 20e sommet Union euro-
péenne (UE)-Chine, organisé à Pé-
kin, lundi 16 juillet. Les dirigeants
européens, dont le président du
Conseil, Donald Tusk, ont rencon-
tré le premier ministre chinois, Li
Keqiang, et le président Xi
Jinping. Au menu des discus-
sions : la sécurité, le changement
climatique mais, surtout, les rela-
tions commerciales entre les
deux blocs, et le multilatéralisme,
sur la sellette en raison de l’atti-
tude agressive de Washington.
« Il est encore temps d’éviter le
conflit et le chaos », a déclaré
M. Tusk, s’adressant à la Chine, à la
Russie mais surtout aux Etats-
Unis, lancés dans un bras de fer
avec ses principaux partenaires
commerciaux. « Dans les circons-
tances actuelles, il est important de
défendre le multilatéralisme et le li-
bre-échange », a affirmé Li Ke-
qiang. Les deux parties se sont en-
tendues sur la création d’un
groupe de travail pour moderniser
l’Organisation mondiale du com-
merce (OMC). Pékin a aussi pris
des engagements sur l’ouverture
de son économie, et la facilitation
de l’accès à ses marchés pour les
entreprises étrangères.
Ciblée par des droits de douanes
américains de 25 % sur 34 milliards
de dollars (29 milliards d’euros) de
produits, menacée par des taxes
supplémentaires à hauteur de
200 milliards de dollars dès sep-
tembre, la Chine cherche à s’allier à
l’UE. Ces dernières semaines, les
officiels chinois ont multiplié les
appels à travailler ensemble.
Crispations
Mais cette main tendue place les
Européens dans une situation dé-
licate. Car, sur le fond, ils partagent
nombre des griefs de Washington
vis-à-vis de Pékin. Notamment à
l’égard du dumping des importa-
tions chinoises bon marché. « La
rationalité voudrait que les Améri-
cains et les Européens s’allient pour
pousser la Chine à ouvrir son éco-
nomie et respecter les règles de
l’OMC », analyse Luis Kujis, du cabi-
net Oxford Economics, à Hon-
gkong. Mais dans le monde de Do-
nald Trump, l’UE, prise en étau, de-
vra travailler avec Pékin pour faire
En Grèce, la lutte contre la fraude fiscale récolte ses premiers fruits
Dans certains lieux touristiques, les recettes de TVA ont progressé de 200 %, les commerçants redoutant des sanctions en cas de triche
athènes - correspondance
A lors que la saison touristi-
que bat son plein en
Grèce, il n’est pas rare de
voir un serveur se précipiter avant
la fin du repas afin de donner un
reçu fiscal aux clients. « J’ai déjà été
contrôlé deux fois cette saison, et je
suis désormais prudent, je ne veux
pas fermer ma boutique ! », avoue
Stavros, propriétaire d’un restau-
rant sur l’île de Mykonos. Depuis
2016 et la création du secrétariat
général aux recettes publiques
(AADE en grec), les inspecteurs des
impôts qui dépendent de cet orga-
nisme font des descentes dans les
îles. Non sans succès : les recettes
de TVA dans certains lieux touris-
tiques comme Mykonos ont
bondi de plus de 200 % ! Plus géné-
ralement, sur les cinq premiers
mois de 2018, les recettes fiscales
pression sur Washington… Tout
en tentant de convaincre l’empire
du Milieu d’accélérer les réformes.
Ces trente dernières années,
l’économie chinoise, aujourd’hui
première puissance exportatrice
mondiale de marchandises, s’est
spectaculairement transformée.
« Les exportations chinoises vers
l’UE ont été multipliées par 8,8 de-
puis l’entrée de Pékin dans l’OMC, et
ses importations depuis l’UE ont
été multipliées par 7 », illustre Bei
Xu, à la Société générale. L’empire
du Milieu est le second partenaire
ont augmenté de 393 millions
d’euros. Autre chiffre significatif
pour l’AADE : le recouvrement de
l’impôt sur le revenu est désor-
mais de 91 % en Grèce, contre 88 %
en 2014. Il est, en moyenne, de
95 % dans l’Union européenne.
Depuis 2011, diverses mesures
ont été prises pour lutter contre la
fraude fiscale, qui représente, pour
l’Etat grec, un manque à gagner
annuel de 11 à 16 milliards d’euros.
Les contribuables ont l’obligation
de faire leur déclaration en ligne,
les contrôles fiscaux sont plus
nombreux, les informations sont
recoupées pour estimer le revenu
réel des individus, des sanctions
ont été mises en place en cas de
fraude – par exemple la fermeture
pendant 30 jours des magasins et
des entreprises qui tentent de ne
pas payer la TVA –, le Secrétariat gé-
néral aux recettes publiques, dont
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
de l’UE après les Etats-Unis.
En 2017, il pesait 20,2 % de ses im-
portations de biens, selon Euros-
tat, et 10,5 % de ses exportations.
Seulement voilà : « La montée
en puissance de la Chine a eu un
effet destructeur sur certaines in-
dustries européennes, notam-
ment à basse valeur ajoutée, accé-
lérant la désindustrialisation, rap-
pelle Agatha Kratz, analyste au
Rhodium Group, une entreprise
de recherche sur l’économie chi-
noise. Et le jeu ne s’est pas tou-
jours fait à armes égales. » Cela ne
les inspecteurs sont mieux for-
més, a été créé, tout comme une
unité de règlement des conten-
tieux pour éviter d’aller jusqu’aux
tribunaux qui sont débordés.
Une corruption encore forte
Derrière cette réforme de l’admi-
nistration fiscale, on trouve la
marque de la France qui, dès 2011,
dans le cadre du premier plan
d’aide à la Grèce, avait été chargée
de cette mission difficile. « Du che-
min a été parcouru en ce qui con-
cerne l’aspect du recouvrement des
impôts. Nous avançons également
dans la formation des agents puis-
que plusieurs inspecteurs grecs
sont envoyés en France pour des
stages et qu’une école d’adminis-
tration fiscale devrait voir le jour
en 2019 en Grèce. Mai, nous par-
tons de loin en matière de fraude
fiscale et beaucoup reste à faire »,
tient pas seulement à la concur-
rence de ses travailleurs à bas
coût. Pékin, qui a déstabilisé le
marché mondial de l’acier ces
dernières années en l’inondant
de ses surplus, subventionne
massivement ses industries stra-
tégiques. Les appels d’offres pour
les marchés publics sont ver-
rouillés. Les secteurs des trans-
ports, des médias ou encore de la
finance sont quasiment inacces-
sibles aux investisseurs étran-
gers. A l’inverse, aucune barrière
n’empêche les investisseurs chi-
explique un expert français, sous
couvert d’anonymat.
Selon Anna Damaskou, prési-
dente de Transparency Internatio-
nal en Grèce, la mise en place du
contrôle des capitaux, en 2015, a
aussi permis de limiter la fraude :
« La seule conséquence positive de
cette mesure a été de développer les
paiements par carte bancaire et les
transactions électroniques. » Dans
cette même optique, depuis le
1er janvier 2017, une loi impose
théoriquement aux commerçants
et à plusieurs professions libérales
d’avoir un terminal bancaire. Dans
les faits, elle n’est pas encore tou-
jours appliquée.
Selon le classement de l’ONG, at-
tribuant chaque année un indice
de perception de la corruption, la
Grèce est passée de la 69e place
en 2016 à la 59e place cette année.
« C’est le résultat d’une tentative à
nois de faire leurs courses en Eu-
rope, soulevant des crispations.
Début juillet, l’UE a également
déposé une plainte à l’OMC contre
la Chine en raison des « transferts
injustes de technologie » imposés
aux sociétés européennes implan-
tées dans le pays en coentreprises.
En la matière, l’ambitieux « made
in China 2025 », visant à faire du
pays le champion des industries
de demain, cristallise les inquiétu-
des. Robots, paiements mobiles,
véhicules autonomes : la Chine in-
nove à toute vitesse. « Si nous ne
la fois des instances étatiques du
pays, mais aussi du secteur privé et
de la société grecque, de sortir de
l’obscurité. Mais, selon ce classe-
ment, la Grèce reste à une des pla-
ces les moins favorables parmi les
pays de l’Union européenne », re-
marque Mme Damaskou.
Le problème de la fraude fiscale
est lié, en Grèce, à celui de la cor-
ruption. « Il est indéniable qu’il y a
eu des progrès en matière de per-
ception de l’impôt en Grèce ces der-
nières années. Mais s’il n’y a pas
une réforme générale de l’adminis-
tration publique grecque, les pres-
sions de certains hommes politi-
ques sur les inspecteurs des impôts
continueront, les évadés fiscaux qui
ont des bonnes relations ne seront
pas poursuivis en justice… », note
Panagiotis Karkatsoulis, expert en
administration publique, ex-dé-
puté du parti centriste To Potami.
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
L’UE vient de
déposer une
plainte à l’OMC
contre la Chine
en raison
de « transferts
injustes
de technologies »
réussissons pas à lui imposer des rè-
gles du jeu véritablement équita-
bles et réciproques, l’industrie euro-
péenne sera balayée », prévient Sé-
bastien Jean, directeur du Centre
d’études prospectives et d’infor-
mations internationales.
Mais pour peu que le pays de Xi
Jinping accélère sa libéralisation, il
représente aussi un immense po-
tentiel pour le Vieux Continent,
soulignent nombre d’analystes.
« La classe moyenne chinoise se dé-
veloppe, de plus en plus désireuse
de consommer des produits euro-
péens, rappelle Ana Boata, écono-
miste chez Euler Hermes. En 2040,
la Chine pourrait être un marché
d’exportation du même poids que
les Etats-Unis pour l’UE. »
Face à ces enjeux, la Chine se
montre à l’écoute des plaintes
européennes, remarque Ding
Chun, directeur du centre d’études
européennes de l’université de Fu-
dan, à Shanghaï. « Elle offre peu à
peu un meilleur accès à ses mar-
chés, grâce aux zones de libre-
échange où l’installation d’entre-
prises étrangères est facilitée. » En
juillet, elle a abaissé de 25 % à 15 %
les taxes sur les voitures impor-
tées et a annoncé la fin progressive
de l’obligation des coentreprises
dans l’automobile et la finance.
« Mais chaque fois, les secteurs pro-
gressivement ouverts sont ceux où
les entreprises chinoises sont soli-
des, et en position dominante »,
nuance Agatha Kratz. Parfois,
aussi, les efforts promis tardent à
se concrétiser sur le terrain…
A Bruxelles et Paris, beaucoup
veulent néanmoins croire que la
stratégie de la triangulation est en-
core possible : maintenir le dialo-
gue avec Washington d’une part,
et avec Pékin d’autre part, dans
l’espoir d’avancer sur les deux ter-
rains. « Possible, à condition que les
Européens restent unis dans ce
dangereux maelström, souffle un
diplomate européen. Si nous
échouons, nous serons les grands
perdants. » p
marie charrel
et simon leplâtre
D’après Maria Papaspirou, se-
crétaire générale de l’administra-
tion publique, l’autre obstacle
dans la lutte contre la corruption
est la lenteur du système judi-
ciaire : « Les cas d’évasion fiscale
inondent les tribunaux. Mais le
plus grave reste les dispositions
prévoyant un traitement particu-
lièrement indulgent pour les mi-
nistres impliqués dans des affaires
de corruption. Il faut une réforme
de cet article de la Constitution ! »
Mme Papaspirou veut croire à un
changement du côté de la société
grecque qui poussera le système
politique à évoluer : « Les citoyens
ont changé. Ils n’ont plus peur de
dénoncer, d’utiliser tous les
moyens électroniques pour échan-
ger avec les administrations, de ré-
clamer des reçus, et de demander
au monde politique de se réfor-
mer. » – (Intérim.) p
 РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS

REPRODUCTION INTERDITE MARDI 17 JUILLET 2018/LE MONDE/23

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pour l’emploi et la croissance, parce qu’elle concourt à tous
Niveau d’études minimum requis :
les aspects qui relèvent du développement économique, de
Niveaux II et I : diplômes de second ou troisième cycle Si vous souhaitez nous rejoindre,
l’innovation, de l’internationalisation des entreprises, de la
universitaire (licence, maîtrise, master) il vous suffit de créer votre profil sur
formation et de l’orientation professionnelles.
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Descriptif des missions :
• Analyser des sujets en lien avec les thématiques suivies et Localisation du poste :
apporter des propositions et éléments d’aide à la décision Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée
• Traiter des affaires particulières de la Présidente sous Lieu d’affectation : présence bi-site Toulouse et Montpellier
l’autorité du Directeur de Cabinet avec fréquents déplacements.
• Rédiger des notes de synthèse (dossiers, projets, études, Poste à pourvoir : dans les meilleurs délais
informations diverses)
• Rédiger des éléments de langage ou discours concernant
différentes manifestations Personne à contacter : le directeur de cabinet par mail
• Assurer le lien avec les directions thématiques de la uniquement : laurent.blondiau@laregion.fr
Collectivité RECHERCHE
• Assurer le lien avec les élus
• Assurer le lien avec les partenaires de la Collectivité, les
porteurs de projet DIRECTEUR(TRICE) DE
• Répondre à des courriers en lien avec les thématiques
suivies L’ECOLE SUPÉRIEURE
DE L’INGÉNIERIE DE
Le Conseil départemental des Landes recrute (h/f) L’ENERGIE
Son·Sa Directeur·trice de la Solidarité
Départementale L’Université Internationale de Rabat est devenue dès ses premières
Le Département des Landes se caractérise globalement par un fort dynamisme démographique. Accueillant années d’existence un modèle d’établissement innovant bénéfi-
aujourd’hui 405 000 habitants, il s’accroit tous les ans de 5 000 habitants. Sa population est marquée cependant ciant d’une attractivité grandissante et d’une image de profession-
par un vieillissement important. Les politiques de solidarité menées depuis de nombreuses années accompagnent nalisme et de rigueur reconnue au niveau national et international.
cette évolution quantitative et les évolutions des difficultés dans les différents domaines de compétences : L’Ecole Supérieure de l’Ingénierie de l’Energie « ECINE »
Alzheimer, autisme, différentes intégrations, protection de l’enfance... Les politiques sont déclinées dans plusieurs est l’un des 10 établissements de l’Université Internationale de
schémas départementaux qui sont en cours de réalisation. Les politiques sont également partagées avec les Rabat (UIR).
nombreux partenaires de ces secteurs.

La formation est organisée en 5 ans avec un cycle de Classes Préparatoires

Sous l’autorité du Directeur Général des Services, vous êtes
chargé(e) d’organiser et de mettre en œuvre les politiques
départementales en matière de solidarités : action sociale,
aide sociale à l’enfance, protection maternelle et infantile,
personnes âgées, personnes handicapées, insertion sociale
et professionnelle. Notamment, vous participez, à ce titre,
à la définition des orientations stratégiques avec les élus et
la direction générale, en veillant à leur adaptation aux
spécificités du territoire. Assisté(e) d’un adjoint, vous
encadrez 600 agents, dont 30 cadres ainsi que 380 assis-
tants familiaux. Vous gérez un budget de près de 230 Mil-
lions d’Euros.
Vos activités comportent plusieurs volets : • Définir et
impulser la déclinaison des politiques publiques initiées et
arrêtées par l’exécutif et l’assemblée départementale en
matière de solidarités • Contribuer à l’évaluation des poli-
tiques en matière de solidarités (analyse des besoins du
AUDACIEU
médico-social et santé …). Vous montrez de fortes aptitudes
managériales, des capacités d’arbitrage et de pilotage. Force
de proposition dans un contexte d’accompagnement du
changement, vous êtes apte au pilotage de projets com-
plexes, stratégiques et transversaux.
Diplômé(e) de l’enseignement supérieur, vous possédez une
expérience confirmée à des niveaux de responsabilité de
direction dans les collectivités publiques. Vous connaissez le
travail avec des élus, vous exercez en collectivité territoriale
dont vous connaissez la culture. Votre expérience jusqu’à
aujourd’hui vous a familiarisé avec la connaissance du secteur
social et médico-social. Rigoureux.se vous avez le sens de
l’organisation et de solides compétences de gestion admi-
nistrative et budgétaire. Vous favorisez la transversalité avec
les autres pôles, vous privilégiez le travail en équipe. Vos
qualités personnelles vous permettent de disposer de
grandes capacités d’adaptation, d’un relationnel aisé facili-
intégré de 2 ans suivi d’une formation en Cycle Ingénieur de 3 ans.
Les principales missions :
Rattaché(e) au Vice-président aux Affaires Académiques, vous aurez
pour mission :
• Assurer la bonne organisation des activités d’enseignement,
• Développer de nouveaux programmes,
• Assurer la gestion administrative de l’établissement ainsi que le
recrutement des étudiants,
• Supervision une équipe pluridisciplinaire,
• Travailler en collaboration avec le partenaire de référence de l’école,
• Développer de nouveaux partenariats académiques.
Compétences requises :

territoire, études prospectives, propositions) • Animer et tant le partenariat. • Vous disposez de compétences académiques et managériales,
développer les partenariats locaux afin de favoriser une Recrutement par voie statutaire niveau A+, administrateur • Vous détenez un Doctorat dans le domaine de l’énergie,
meilleure lisibilité de ces politiques • Elaborer les stratégies territorial ou équivalent (tout candidat de la Fonction • Vous justifiez d’une expérience de 5 à 7 ans dans un poste similaire ;
de gestion des ressources budgétaires et financières Publique État, Hospitalière ou du secteur privé, avec une • Vous êtes rigoureux et engagé,
allouées • Elaborer et faire évoluer les outils de pilotage et expérience significative dans le domaine du social et •Vous disposez des capacités à dialoguer et négocier avec toutes les parties
d’évaluation des différentes missions • Animer et piloter le médico-social et de la santé).
collectif de direction. prenantes ainsi que d’un sens du relationnel,
Vous connaissez les enjeux sectoriels et le cadre réglementaire La prise de fonction est prévue pour 1er avril 2019. •Vous avez l’aptitude à gérer des sujets très différents,de grandes capacités
des politiques publiques du champ des solidarités (social, d’organisation, d’adaptation et de réactivité ainsi qu’un esprit d’anticipation
des situations.
www.landes.fr Merci d’adresser votre dossier de candidature avec les éléments suivants le 30/09/2018 (délai de rigueur) : CV
détaillé, lettre de motivation, dernier bulletin de salaire ainsi que la dernière situation administrative pour les
fonctionnaires et le dernier entretien professionnel.
Les CVs et lettres de motivation sont à envoyer sur le site de l’UIR
• Par courrier à M. le Président du Conseil départemental des Landes, DRH et des Moyens,
Hôtel du Département, rue Victor Hugo, 40025 MONT-DE-MARSAN CEDEX www.uir.ma ou à soumettre à la Direction du Capital Humain de l’UIR
• Ou par mail à : drh.recrutement@landes.fr par e-mail à : recrutementecine@uir.ac.ma.

Renseignements : secrétariat du Directeur de la Solidarité départementale - 05 58 05 40 40 En mentionnant l’intitulé de l’offre d’emploi concernée sur l’objet du Mail.
poste 8401

24 | économie & entreprise
Il manque des pilotes dans l’avion
La flotte mondiale devrait doubler d’ici à 2037 et avoisiner les 48 000 appareils. Le risque : une pénurie de navigants
U
ne pluie de comman-
des va-t-elle s’abattre
sur le salon de l’aéro-
nautique de Farnbo-
rough, qui se tient du 16 au
22 juillet dans la banlieue de Lon-
dres ? Les attentes des deux grands
constructeurs mondiaux, Airbus
et Boeing, ne laissent a priori
aucun doute. A l’occasion de la pu-
blication annuelle, début juillet, de
ses prévisions pour les vingt pro-
chaines années, Airbus a fait mon-
tre d’un optimisme sans faille.
L’avionneur de Toulouse prévoit
que, d’ici à 2037, les compagnies
aériennes du monde entier auront
besoin de 37 400 avions neufs.
Les chiffres de Boeing, qui seront
communiqués dans les prochains
jours, ne devraient pas doucher
ces espoirs. Il y a tout juste un an,
le constructeur américain fixait
déjà les besoins en avions neufs
des compagnies aériennes à
34 900 appareils. Au total, la flotte
mondiale devrait doubler en vingt
ans et avoisiner les 48 000 avions,
selon Airbus. Il y a deux ans, le
constructeur tablait seule-
ment sur 42 500 appareils dans le
monde d’ici à 2036.
Pour Airbus et Boeing, l’insatia-
ble appétit des compagnies aé-
riennes laisse espérer un véritable
pactole : pas moins de 5 800 mil-
liards de dollars (près de
5 000 milliards d’euros). Cette fu-
ture manne est un minimum. Air-
bus avoue volontiers qu’il se mon-
tre « plus conservateur que le mar-
ché » dans ses prévisions. En clair,
les commandes des compagnies
aériennes pourraient être encore
supérieures à ses anticipations.
Avec la montée en puissance des
compagnies à bas coûts, ce sont
surtout les appareils moyen-
courriers d’Airbus et de Boeing
qui devraient constituer l’essen-
tiel des ventes. Les achats d’avions
de la famille A320 représentent
80 % du carnet de commandes
d’Airbus. Au total, les monocou-
loirs, la famille des A320 d’Airbus
ou les 737 de Boeing, devraient re-
présenter jusqu’à 28 550 com-
mandes d’ici à 2037. Si l’avionneur
Un ex-ingénieur d’Apple accusé d’espionnage industriel
Xiaolang Zhang aurait téléchargé des documents confidentiels pour les transmettre à une start-up chinoise
san francisco - correspondance
N ouvelle affaire d’espion-
nage industriel sur le
secteur très concurren-
tiel de la voiture autonome. Sa-
medi 7 juillet, un ancien ingé-
nieur d’Apple a été arrêté par le
FBI, la police fédérale américaine,
à l’aéroport de San José (Califor-
nie), alors qu’il s’apprêtait à pren-
dre un avion pour la Chine. Il est
accusé d’avoir téléchargé des do-
cuments confidentiels, potentiel-
lement pour les transmettre à
son nouvel employeur, une
start-up automobile chinoise.
Xiaolang Zhang avait été em-
bauché par la société de Cupertino
en décembre 2015, au sein de son
projet de véhicule sans conduc-
teur. Il travaillait sur les circuits
imprimés chargés d’analyser les
données recueillies par les radars
et les caméras. Selon l’acte d’accu-
sation, il a reconnu les faits qui lui
sont reprochés, d’abord devant
des responsables d’Apple, puis
face aux policiers. Placé en déten-
tion provisoire, il encourt jusqu’à
dix ans de prison et une amende
de 250 000 dollars (215 000 euros).
Les faits remontent au mois
d’avril. En congé de paternité,
M. Zhang se rend en Chine. A son
retour, il informe Apple qu’il sou-
haite démissionner pour retour-
ner vivre dans son pays d’origine,
auprès de sa mère malade. Mais il
Pour séduire
les pilotes exilés
en Chine ou
dans le Golfe,
les compagnies
américaines
ont dû mettre la
main à la poche
européen, évoquant les A320, pré-
vient déjà qu’il « devrait y avoir
des commandes à l’occasion du sa-
lon de Farnborough », il espère
que, cette année, les long-cour-
riers seront aussi à l’honneur. Air-
bus « espère des commandes pour
ses A350 » pendant le salon de la
grande banlieue de Londres.
540 000 à trouver
Pour la première fois de leur his-
toire, les deux grands construc-
teurs pourront offrir à leurs
clients toute la gamme des appa-
reils commerciaux. Avec la reprise
du pôle aviation commerciale du
canadien Bombardier, l’offre d’Air-
bus va des appareils à hélices de
quelques dizaines de places au
gros-porteur A380, qui peut trans-
porter jusqu’à 800 passagers.
Pour ne pas se laisser distancer
par son concurrent européen,
Boeing s’est empressé de racheter
le brésilien Embraer. Les CSeries
de Bombardier ont été rebaptisés
A220 par Airbus. L’américain
pourrait faire de même avec les
jets de son nouveau partenaire
minoritaire brésilien.
Toutefois, si les carnets de com-
mandes des avionneurs sont bien
remplis, les compagnies aérien-
nes se trouvent face à un casse-
tête. Comment trouver les pilotes
pour s’installer aux commandes
des 48 000 appareils de la flotte
mondiale en 2037 ? Selon Airbus,
à cette date, il faudra trouver
540 000 nouveaux pilotes. L’Or-
ganisation de l’aviation civile in-
ternationale (OACI) voit encore
plus grand. Elle estime que, d’ici à
avoue aussi qu’un nouvel emploi
l’y attend déjà, chez Xiaopeng
Motors, un fabricant de voitures
électriques connu sous le nom de
X Motors aux Etats-Unis. Jugeant
ses explications « évasives », son
supérieur hiérarchique alerte
alors les équipes chargées de la sé-
curité informatique.
En analysant l’ordinateur et les
deux smartphones profession-
nels de l’ingénieur, la sécurité
d’Apple découvre une activité
anormalement élevée au cours
des jours précédents : plusieurs
milliers de recherches et de télé-
chargements de fichiers conte-
nant des secrets industriels sur les
prototypes et les technologies
autonomes. Les caméras de vi-
déosurveillance révèlent par
ailleurs que M. Zhang s’est rendu,
quelques jours auparavant, dans
un laboratoire de la société et qu’il
en est ressorti avec une boîte.
Interrogé par Apple, l’ex-em-
ployé reconnaît qu’il a envoyé
des documents confidentiels sur
l’ordinateur de sa femme. Il ad-
met aussi avoir récupéré deux
circuits intégrés et un serveur.
Mais il nie les accusations d’es-
pionnage industriel. Les fichiers
n’ont jamais quitté l’ordinateur
familial, assure-t-il. S’il les a télé-
chargés, c’est par curiosité profes-
sionnelle, afin d’étudier les don-
nées qu’ils contiennent. Quant
aux circuits imprimés, il les a rap-
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
Lors du salon aéronautique de Farnborough, en Angleterre, en 2014. KIERAN DOHERTY/REUTERS
2036, il faudra environ 620 000
navigants pour transporter les
7,8 milliards de passagers annuels
attendus. Une situation qui n’a
pas du tout été anticipée. Au con-
traire : mises à mal par la crise de
2008, les compagnies ont, pour la
plupart, à l’instar d’Air France, ar-
rêté de recruter et de former de
nouveaux pilotes.
« Chez Air France, il manque
300 pilotes pour avoir une activité
normale », soupire Philippe Evain,
président du Syndicat national
des pilotes de ligne (SNPL). Main-
tenant que les indicateurs sont à
nouveaux au vert, les compa-
gnies reprennent leur expansion,
et embauchent à nouveau. Air
Arrêté
en Californie,
M. Zhang encourt
jusqu’à dix ans
de prison
et une amende de
250 000 dollars
portés chez lui avant son congé
de paternité, car il espérait obte-
nir une mutation dans une autre
équipe de recherche.
Indirectement mis en cause,
Xiaopeng Motors assure n’avoir
récupéré aucun des secrets indus-
triels dérobés à Apple. La société
chinoise indique aussi avoir li-
cencié M. Zhang, qu’elle em-
ployait depuis début mai dans ses
locaux de Mountain View, dans la
Silicon Valley. Fondé en 2014, le
constructeur s’inspire grande-
ment de Tesla. Il doit commercia-
liser sa première voiture électri-
que cette année. Selon le site spé-
cialisé The Information, il finalise
une levée de fonds entre 600 mil-
lions et 700 millions de dollars,
auprès notamment d’Alibaba, le
géant Internet chinois.
L’acte d’accusation contre
M. Zhang fournit par ailleurs
quelques détails nouveaux sur les
efforts d’Apple dans le domaine
France veut recruter 250 pilotes
supplémentaires par an pendant
cinq ans. Signe que la compagnie
reste attractive, 4 300 candidats se
sont fait connaître, en dépit d’un
long conflit social et de la démis-
sion d’un PDG.
Mais la concurrence va devenir
très forte. « Le défi est d’attirer un
maximum de candidats », expli-
que M. Evain. Selon son expé-
rience, « une statistique immua-
ble montre que, sur 3 000 postu-
lants, seuls 5 % sont retenus ».
Pour l’heure, les compagnies pio-
chent d’abord parmi les pilotes
laissés sans emploi durant les an-
nées de crise. Un réservoir qui
s’épuise. Les compagnies améri-
des voitures autonomes. On y ap-
prend que 5 000 employés du
groupe à la pomme peuvent con-
sulter l’avancée du projet. Et que
2 700 salariés ont accès aux bases
de données confidentielles. En
outre, la société développe bien
ses propres composants informa-
tiques, un élément qu’elle n’a ja-
mais publiquement indiqué.
De précédentes affaires
Fidèle à sa culture du secret, Apple
se garde bien de dévoiler la moin-
dre information. Selon la presse
américaine, le projet, baptisé « Ti-
tan » en interne, serait désormais
moins ambitieux qu’à son lance-
ment. La société ne voudrait plus
développer sa propre voiture,
mais plutôt se concentrer uni-
quement sur le système de radars
et les logiciels. Un objectif con-
firmé à demi-mot en 2017 par Tim
Cook, son directeur général.
D’après les autorités californien-
nes, 55 véhicules autonomes
d’Apple ont obtenu un permis
pour effectuer des essais sur les
routes de l’Etat.
Cette affaire rappelle les accusa-
tions à l’encontre d’Anthony Le-
vandowski, un ancien responsa-
ble du projet Google Car, qui avait
dérobé environ 14 000 docu-
ments confidentiels au moment
de son départ. Selon le moteur de
recherche, ces fichiers volés
auraient ensuite été utilisés par
caines tentent de faire revenir
leurs navigants un temps tentés
par les rémunérations mirifiques
des compagnies chinoises ou du
Golfe. Dans l’empire du Milieu ou
à Dubaï, un commandant de bord
de moyen-courrier peut gagner
jusqu’à 300 000 dollars par an,
avec des charges sociales rédui-
tes et net d’impôts.
Pour séduire ces exilés, les com-
pagnies ont dû mettre la main à la
poche. Et cela fonctionne. « Les
navigants américains sont partis
du Golfe pour revenir aux Etats-
Unis », constate un pilote d’Air
France. Mais ce retour coûte cher.
Sur cinq ans, Delta Airlines a
prévu d’augmenter les salaires de
Uber, pour tenter de rattraper
son retard. En février, un procès
entre les deux entreprises s’est
soldé par un accord à l’amiable,
d’un montant de 245 millions de
dollars.
D’autres précédents existent.
En 2007, une salariée sino-améri-
caine de Motorola avait été accu-
sée d’espionnage industriel. Elle
avait été condamnée à quatre ans
de prison. Trois ans plus tard, le
fabricant américain de télépho-
nes avait porté plainte contre son
rival chinois Huawei, lui repro-
chant d’avoir rémunéré une di-
zaine de ses employés en échange
d’informations. Cette affaire n’a
pas abouti. Enfin, en 2015, six res-
sortissants chinois avaient été in-
culpés pour vol de technologies
chez les fabricants de semi-con-
ducteurs Avago et Skyworks. Le
principal accusé attend toujours
son procès.
L’arrestation de M. Zhang inter-
vient à un moment où les ten-
sions sont déjà vives entre
Washington et Pékin, notam-
ment sur les questions de pro-
priété intellectuelle. En mars, les
Etats-Unis ont déposé une plainte
auprès de l’Organisation mon-
diale du commerce. Et l’adminis-
tration Trump menace désormais
de limiter les investissements chi-
nois dans les entreprises techno-
logiques américaines. p
jérôme marin
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
ses pilotes de 25 % à 30 %. Reste
que ce reflux pose un réel pro-
blème aux compagnies chinoises
et à celles du Golfe. Celles-ci « ont
été très gourmandes en comman-
dants de bord américains ou euro-
péens, car les compagnies d’assu-
rances les préfèrent », pointe un
pilote. Dans le Golfe, faute de na-
vigants, certains avions doivent
rester au sol. Pour faire face à cette
pénurie annoncée, certains pays
pourraient prendre des mesures
drastiques. Selon un ancien diri-
geant du SNPL, « le lobbying a déjà
commencé aux Etats-Unis pour
décaler l’âge de départ à la retraite
des pilotes de 65 à 67 ans ». p
guy dutheil
AU TOMOBIL E
Dieselgate : Opel visé
par les autorités
allemandes
Le constructeur automobile
Opel, filiale de PSA, est visé
par une enquête des autorités
allemandes dans le cadre du
scandale des moteurs diesel
truqués, a annoncé, samedi
14 juillet, le ministère alle-
mand des transports. « Il y a
une audition officielle contre
Opel en ce qui concerne trois
modèles (de la norme diesel)
Euro 6 », a indiqué à l’AFP un
porte-parole du ministère.
AÉR ON AU T I QU E
Airbus signe
avec l’Ukraine
Airbus a signé, samedi
14 juillet, à Kiev un contrat
avec le ministère de l’intérieur
ukrainien pour 55 hélicoptè-
res, a indiqué le constructeur
européen. Annoncé fin mai
par Bercy, le contrat est évalué
à plus de 500 millions d’euros,
selon une source proche du
dossier. Les 55 appareils civils
sont destinés à des missions
de recherche et de secours, de
sécurité civile et de services
médicaux d’urgence.
ÉN ER GI E
Gaz : l’UE invite Russes
et Ukrainiens à Berlin
L’Union européenne a convié
Russes et Ukrainiens à Berlin,
mardi 17 juillet, dans l’espoir
qu’ils puissent s’entendre
sur l’avenir du transit russe
pour l’Europe par l’Ukraine,
alors que le contrat actuel
expire fin 2019.

0123
MARDI 17 JUILLET 2018
Mardi 17 juillet ÉTAPE DE MONTAGNE
ANNECY
Col
13 h15
de la Croix-
Col de Bluffy Fry
14 heures 14 h 47
Sprint
Thônes
14 h 14
4 1
0 km 19 29 43
Catégorie de l’ascension (XX h XX : passage au plus tôt)
Pas de révolution sur les pavés
Excepté pour Richie Porte, contraint à l’abandon, le Tour de France ne s’est pas joué dimanche
roubaix (nord) - envoyé spécial
L
a phrase au fronton de la
chapelle de la citadelle
d’Arras semblait avoir été
écrite par eux, ces
169 coureurs au masque de peur :
« Mater Dei, Ora Pro Nobis »
(« Mère de Dieu, priez pour
nous »). Le car de la Movistar
s’était garé sous la chapelle Saint-
Louis pour préparer le départ,
comme s’il lui fallait l’appui d’une
force supérieure pour passer cette
journée que l’on disait, pour ses
trois leaders hispanophones, pos-
siblement fatale.
L’horloge indiquait midi et la
place d’Armes de la citadelle, bon-
dée et poussiéreuse, bruissait de
noms, ceux dont on disait qu’ils
perdraient le Tour dans l’après-
midi. Trop maladroits, trop légers,
mal accompagnés, mal équipés…
la réponse était connue dans la
traversée de Rœux, à 8 km d’Ar-
ras : l’Australien Richie Porte, l’un
des plus malchanceux de sa cor-
poration, ou des moins funambu-
les, c’est selon, était à terre et se te-
nait l’épaule. Le Tour de France
s’arrêtait là, loin des pavés, à la
9e étape, où il avait déjà chuté l’an
dernier, lorsqu’on voyait en lui le
rival de Christopher Froome.
La Belgique pas à la fête
Pour le reste, le Tour n’a éconduit
aucun de ses prétendants diman-
che 15 juillet, et la lecture du clas-
sement invite à revoir tous ses
préjugés sur le cyclisme en terre
hostile : dans le peloton de 31 qui
a franchi la ligne à Roubaix, il y a
l’immense Nils Politt, 1,92 m, et le
grimpeur de poche Domenico
Pozzovivo, 1,63 m ; le robuste An-
dre Greipel, 82 kg, et le fragile Ra-
fal Majka, 62 kg.
Les augures ont eu tort, eux qui
prédisaient un tournant du Tour,
les flammes et les piques pour les
leaders jetés sur des routes trop ru-
des pour leurs frêles carcasses. Les
organisateurs avaient placé 21,7 ki-
lomètres de pavés sous leurs
Oliver Naesen, le garde du corps de Romain Bardet
Le Belge, par ses relais puissants, a sauvé le Tour de France du grimpeur français, victime de trois crevaisons dimanche
PROFIL
B ien avant que des mollets
affûtés et précaires ne ris-
quent leur peau dans les
rues des capitales, il y avait déjà
des livreurs cyclistes. Oliver Nae-
sen en était : livreur le jour, cy-
cliste la nuit. A 23 ans, un âge
auquel Peter Sagan épinglait déjà
quatre étapes du Tour à sa bou-
tonnière, Naesen roulait sous
deux couleurs. Celles d’Initial
Textiles, une blanchisserie pour
qui il parcourait la Flandre à partir
de 6 heures du matin, déposant
nappes à carreaux dans les res-
taurants et draps de percale dans
les hôtels. Et celles de Cibel, une
petite équipe de vélo pour qui il
parcourait la Flandre le week-end,
récoltant les bouquets et les bai-
sers des miss dans les kermesses.
10e LE GRAND-BORNAND
Montée
du plateau
des Glières Col
15 h 26 de Romme de la Colombière
17 h 00
HC 1 1
68,5 130
Romain
Bardet (à
gauche) a
crevé trois
fois lors de
la 9e étape
empruntant
les secteurs
pavés
du Paris-
Roubaix,
dimanche
15 juillet.
CHRISTOPHE ENA/AP
roues, un record depuis trente-
cinq ans : « Quand c’est court, on ne
peut avoir que le mauvais côté des
pavés, c’est-à-dire une chute et non
une sélection », avait argué le direc-
teur technique du Tour de France,
Thierry Gouvenou.
Il avait tort : aucune équipe de fa-
voris n’a vraiment tenté de faire la
décision, à l’inverse de l’étape mé-
morable de 2014. Rigoberto Uran,
deuxième l’an dernier, a bien
perdu une minute et vingt-huit se-
condes sur chute, ce qui est dom-
mageable mais pas irrémédiable.
Ce Tour se jouera en montagne,
dès mardi, où le changement de
braquet s’annonce ravageur.
Christopher Froome, qui garde
ses coudes écartés sur le pavé
comme dans le col, Vincenzo Ni-
bali, qui a laissé filer, là, une
On comprend qu’à 27 ans, sur
son troisième Tour de France,
Naesen garde un sourire de bien-
heureux. En avril, sur les classi-
ques, le Belge d’AG2R-La Mondiale
est l’un des meilleurs coureurs du
monde. En juillet, il fait garde du
corps. Romain Bardet est son om-
bre. Naesen le protège de sa sta-
ture, joue des coudes pour re-
monter un peloton encombré.
C’est dimanche 15 juillet, entre
Arras et Roubaix, qu’il a rappelé
toute sa valeur, comme jeudi à
Mûr-de-Bretagne. Sans ses relais
de cheval de trait, combien de
temps Romain Bardet aurait-il
perdu dans ses trois crevaisons ? Il
en fut quitte pour sept secondes
et une gratitude éternelle envers
le solide Flamand.
Les deux garçons ont le même
âge mais incarnent deux mondes,
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
158,5 km Mercredi 18 juillet
ALBERTVILLE
Sprint
17h42 14 h 05
Montée
Col de Bisanne
Sprint 14 h 54
17 h 27 Villard-sur-Doron
14 h 30
3 HC
144 0 km 11,5 26
Le Tour se jouera
en montagne,
dès mardi, où
le changement
de braquet
s’annonce
ravageur
grande occasion, ou Nairo Quin-
tana, toujours aux avant-postes,
sont devenus, à force de recon-
naissances multiples, des habi-
tués des pavés. Ils sont arrivés
dans le même temps à Roubaix,
c’est-à-dire à vingt-sept secondes
d’un trio qui, lui, nous rappelait
les classiques d’avril : deux vain-
deux chemins vers l’élite. Pour
Romain Bardet, c’est un truc qui
n’existe qu’au XXIe siècle : identi-
fié tôt comme un talent majeur,
professionnel avant l’heure dans
la couveuse de l’équipe AG2R. Le
chemin de traverse pris par Oliver
Naesen est hors d’âge, couleur sé-
pia : l’entraînement après le ser-
vice, la débrouille des courses de
village, l’ascension au forceps
avec des équipes sans le sou, où
l’on entre avec l’unique objectif
d’en sortir. Le professionnalisme
n’est venu qu’à 24 ans.
« Oli » n’a commencé le vélo
qu’à 15 ans, inspiré par le titre
mondial de Tom Boonen en 2005.
Entre les débuts, sérieux de suite,
et le passage chez les pros, il y a eu
l’université, en sciences du sport,
à Gand. « Quand je l’ai quittée, je ne
pouvais pas dire à ma mère : “Je ne
ÉTAPE DE MONTAGNE
11e
Col du Pré
15 h 46 Cormet
de Roselend
16 h 05
HC 2 13
57,5 70
queurs de « L’Enfer du Nord », l’Al-
lemand John Degenkolb et le
maillot jaune Greg Van Avermaet,
et le champion de Belgique Yves
Lampaert. Ils ont filé dans l’avant-
dernier secteur, celui de Cam-
phin-en-Pévèle, et se sont disputé
la victoire devant le vélodrome.
La Belgique a peut-être la
meilleure équipe de football et les
plus grands coureurs de pavés du
monde, mais il était écrit qu’elle
resterait en marge de la gloire, di-
manche : Greg Van Avermaet et
Lampaert ont été devancés au
sprint par Degenkolb.
La proximité de la finale de la
Coupe du monde de football, en
Russie, sautait aux yeux sur le
parcours, le blanc et le bleu des
drapeaux s’ajoutant au rouge des
briques. On croisait des maillots
fais plus que du vélo.” Alors j’ai es-
sayé livreur. Je roulais 300 kilomè-
tres par jour dans les Flandres. Je
me levais à 5 heures. A 16 heures, je
rentrais et je repartais tout de suite
à vélo. Je finissais souvent de nuit,
avec les lumières et des réflec-
teurs. » Pour les courses, Naesen
pose des congés. La vie de cycliste
professionnel lui semble plus
simple, « des vacances ». « Je peux
vous dire que j’ai vu l’autre côté de
la vie, et que c’est autre chose. »
« Les pêcheurs de perles »
Son frère cadet, Lawrence, profes-
sionnel chez Lotto-Soudal, parle
d’un besoin irrépressible chez
son frère de montrer qu’il mérite
sa place auprès d’un prétendant
au maillot jaune quand, pourtant,
personne n’en doute : « Il veut
montrer qu’il est fort, à lui-même
108,5 km
LA ROSIÈRE
Sprint
17 h 37 John Degenkolb | Allemagne, Trek - Segafredo
Bourg-Saint-
Maurice-
Les Arcs 1 Greg Van Avermaet
16 h 44 Belgique, BMC Racing Team
2 Geraint Thomas
Royaume-Uni, Team Sky
88,5 3 Philippe Gilbert
Belgique, Quick - Step Floors
SOURCE : ASO
des Bleus de toutes les époques,
surtout celles qui gagnent. Sous le
cagnard, le Nord avait ouvert sa
chaise longue et poussa fort der-
rière Romain Bardet, mais les cali-
cots ne sont d’aucune aide contre
la malchance ou les mauvais
pneumatiques : le Français a crevé
trois fois, sur le premier pavé, le
dernier et au milieu, et en fut
quitte, à chaque fois, pour une
poursuite effrénée.
Bardet n’a pas perdu le Tour, et
à l’arrivée, masque de boue sur le
visage, il ne pouvait que remer-
cier son équipe. « J’ai perdu com-
bien ? », demandait-il à son coé-
quipier Silvan Dillier. « Sept se-
condes, l’informait le Suisse. Avec
tout ce qui s’est passé, c’est pas
mal, non ? » p
clément guillou
et pour le moral de l’équipe. »
Comme si le fait de n’avoir pas
suivi le cursus honorum du cy-
clisme belge l’avait complexé.
Le maillot jaune Greg Van Aver-
maet et lui sont les stars d’un
groupe d’entraînement qui a son
groupe Facebook et un surnom,
« De Parelvissers » (« les pêcheurs
de perles »), sans lien déclaré avec
l’opéra de Bizet : « C’est parce qu’on
est tous à la recherche de quelque
chose d’important, de précieux »,
marmonne Van Avermaet. Tous
habitent à Berlare, sur les bords de
l’Escaut. Dans le coin, on sait qu’à
9 h 30 se réunit là la dizaine de pro-
fessionnels. De bons amateurs s’y
joignent. Quand il pleut fort, dit
Naesen, seul Van Avermaet et lui
sont au rendez-vous. p
cl. gu.
(roubaix, envoyé spécial)
| 25
CLASSEMENT
VAINQUEUR DE LA 9e ÉTAPE
CLASSEMENT GÉNÉRAL
36 h 7’ 17”
à 43”
à 44”
CHRONIQUE |
PAR GUILLAUME MARTIN
Un état
de guerre
de tous
contre tous?
S
oyez forts », « comportez-
vous en guerriers », « faites
preuve de courage pour
cette grande bataille »… :
immanquablement, j’ai entendu
des sentences de ce genre dans le
bus, au matin de l’étape des pavés,
celle reliant Arras à Roubaix, di-
manche 15 juillet. Les directeurs
sportifs aiment user de rhétori-
que guerrière pour motiver leurs
troupes. Est-ce à dire que le cy-
clisme est un combat, un affron-
tement d’ordre militaire où il
s’agit par tous les moyens de ter-
rasser ses adversaires ?
Pour sûr, le cyclisme est un sport
violent. Cette étape de Roubaix en
a fourni la preuve. « L’homme est
un loup pour l’homme », disait
Plaute, repris par Hobbes. Inhabi-
tuellement transféré en juillet,
« L’Enfer du Nord » leur a donné
raison. Le peloton est une meute
au sein de laquelle il n’est permis
aucune faiblesse, sous peine d’être
immédiatement achevé par ses
congénères. Un sport comme le
cyclisme révèle la part d’animalité
présente en chacun de nous.
Je n’étais plus le même au départ
d’Arras, un dossard sur le dos, juste
une bestiole sur une bécane ayant
retrouvé ses instincts primaires. Il
n’y a rien de plus proche de l’état
de nature décrit par Hobbes –
cette « guerre de tous contre tous »
– qu’une course cycliste.
Le Tour, une métaphore géante
Mais dire qu’une course s’appa-
rente à une guerre ne veut pas
dire qu’elle en est une. Le philoso-
phe anglais du XVIIe siècle expli-
que dans le Léviathan que l’état de
guerre originel doit à tout prix
être dépassé. Où situer alors ces
pratiques athlétiques qui ont pris
tant de place dans nos vies ? Ré-
surgence incontrôlée d’une
agressivité enfouie ou, au con-
traire, garde-fou de nos pulsions
les plus animales ?
Il me semble que la fonction du
sport, en tant qu’activité physique
« d’apparence » guerrière, est pré-
cisément de parer à toute tenta-
tion pour la guerre réelle. Plutôt
que de succomber sans réserve à
mes penchants naturels belli-
queux, je les transfère dans le ca-
dre institutionnalisé du sport.
Une course cycliste ou un combat
de boxe ne seront jamais que des
combats symboliques. Si le sport
est violent, il n’est pas la guerre. Si
mon concurrent est un adversaire,
il n’est pas un ennemi.
Si mes directeurs sportifs conti-
nuent d’utiliser un lexique mili-
taire, c’est presque par poésie. Ils
savent bien que tout cela, au fond,
n’est qu’un jeu, certes sérieux et
dangereux. Que le Tour n’est
qu’une métaphore géante. Ayant
compris cela, je peux rêver de cou-
rir en champion, étymologique-
ment : « celui qui se produit sur le
campus, le champ de bataille ». p
Guillaume Martin (Wanty-
Groupe Gobert), coureur cycliste

26 | carnet
Oliver Knussen
Compositeur et chef
d’orchestre britannique
L
e compositeur et chef
d’orchestre britannique
Oliver Knussen est mort,
le 8 juillet, à l’âge de
66 ans, « des suites d’une brève
maladie », a annoncé son éditeur.
Orfèvre dans la gestion des tim-
bres et des formes, il prouvait que,
en Angleterre aussi, l’année 1952
avait été un grand cru pour la mu-
sique de création. Exact contem-
porain du Français Philippe Ma-
noury (son cadet d’une semaine),
de l’Allemand Wolfgang Rihm et
de la Finlandaise Kaija Saariaho,
trois autres références, Oliver
Knussen était toutefois plus mar-
qué qu’eux par le lieu où il résidait
(Snape, dans le Suffolk) et où ré-
sonnait encore la voix de son pre-
mier mentor, Benjamin Britten.
Oliver Knussen naît le
12 juin 1952 à Glasgow (Ecosse),
mais il grandit dans les environs
de Londres. Contrebasse solo du
London Symphony Orchestra,
son père détecte très tôt en lui
des dons pour la musique. L’en-
fant compose dès l’âge de 6 ans et
se voit commander une sympho-
nie à 13 ans par une chaîne de té-
lévision d’abord intéressée par
les performances paternelles.
Oliver Knussen en conduira la
première audition, au Royal Fes-
tival Hall de Londres, peu avant
son 16e anniversaire.
Compositeur d’envergure
Alerté par le succès de cette Sym-
phonie no 1, Daniel Barenboim in-
vitera le jeune prodige à en diriger
une exécution partielle l’année
suivante, à New York. Commence
alors une vie partagée entre les
deux rives de l’Atlantique. Après
avoir étudié la composition, de
1964 à 1967, avec John Lambert,
dans une école de Londres, Knus-
sen en fait de même, de 1970 à
1973, avec Gunther Schuller, à
Tanglewood, aux environs de
Boston. C’est dans ce cadre que sa
Symphonie no 2 (1971) est primée
et qu’il entreprend ses Ophelia
Dances (1975), une page comman-
dée par la Fondation Kousse-
vitzky pour le centenaire de la
naissance de son fondateur, le
chef Serge Koussevitzky.
En 1975, « Ollie » – comme le sur-
nomment affectueusement ses
amis – rentre en Angleterre, où sa
Symphonie no 3 ne tarde pas à l’éta-
blir comme un compositeur d’en-
vergure. Il accepte alors deux
commandes du Festival d’opéra
de Glyndebourne, fondées sur
des livres pour enfants de l’illus-
trateur et écrivain Maurice Sen-
dak. « Ce fut une erreur », déclarera
plus tard le compositeur, vidé par
ce double travail de longue ha-
leine : Where the Wild Things Are
En 2008.
LELLI E MASOTTI/CC BY 2.0
12 JUIN 1952 Naissance
à Glasgow (Ecosse)
1975 « Ophelia Dances »
1983 Devient directeur
artistique du Festival
d’Aldeburgh (Suffolk)
2002 « Concerto pour violon »
8 JUILLET 2018 Mort
à Snape (Suffolk)
(1979-1983), qui fut donné en 1980
au Théâtre de la Monnaie, à
Bruxelles, sous le titre de Max et
les Maximonstres et Higglety Pig-
glety Pop ! (1984-1990), requiem
pour un chien.
Absorbé par diverses fonctions,
telles que la codirection artistique
(1983-1998) du Festival d’Alde-
burgh (fondé en 1948 par Britten),
et par une importante activité de
chef d’orchestre (tant en Angle-
terre que sur la scène internatio-
nale), le compositeur s’exprime
dorénavant en miniaturiste plein
d’esprit qui éprouve le besoin
d’instaurer un dialogue avec
« d’autres musiques ». Celles, par
exemple, de John Lloyd (dont les
canons-énigmes du XVIe siècle
nourrissent la Music for a Muppet
Court de 1983) et de Pérotin (dont
deux « organa » du XIIIe siècle se
résolvent en 1994 dans un dipty-
que éponyme). Il revient toutefois
à la grande forme avec un Con-
certo pour cor (1994) auquel suc-
céderont deux années de silence.
Le compositeur a beau vouloir
être « dur » avec lui-même (c’est-
à-dire refuser de nombreuses in-
vitations à diriger ou à siéger dans
un jury), les partitions naîtront
très lentement et en nombre res-
treint pendant deux décennies
(avec néanmoins un Concerto
pour violon joué plus d’une cen-
taine de fois depuis sa première
audition en 2002).
Enclin à diriger les créations des
autres – comme il le fit encore le
21 juin lors du Festival d’Alde-
burgh –, Oliver Knussen se distin-
guait par une qualité qu’Henri
Dutilleux avait soulignée dans sa
musique dès 1985 : « Un vrai “sens
de l’espace” – cet espace que beau-
coup de gens évoquent à propos
de l’art contemporain, mais qui,
sur leurs lèvres, n’est souvent
qu’une formule dépourvue de
sens, un cliché. »
Tenant la baguette très haut, de-
vant ses yeux, à l’instar de son
modèle Arthur Nikisch (chef hon-
grois qui créa, entre autres, des
œuvres de Gustav Mahler), le
doux géant voulait ainsi que les
membres de l’orchestre suivent
davantage son regard que ses ges-
tes. Pour accéder à un espace inté-
rieur ? p
pierre gervasoni
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
Le père Provincial de la Compagnie
/H &DUQHW
de Jésus,
Sa communauté,
Sa famille
Et ses amis,
Remerciements
Valérie, Nathalie, Michel, Alexandre,
Eric de Garine
9RV JUDQGV pYpQHPHQWV
font part du retour à Dieu du
père
et leurs familles,
très touchés par les innombrables marques
1DLVVDQFHV EDSWrPHV Prix de la découverte poétique
ILDQoDLOOHV PDULDJHV
DQQLYHUVDLUHV GH QDLVVDQFH
Pierre-Jean LABARRIÈRE,
décédé à la Maison Marie-Thérèse,
d’affection, d’amitié et de sympathie qui
leur ont été témoignées lors du décès de
Simone de Carfort 2018
Fondation
Frédéric et Simone de Carfort,
$YLV GH GpFqV UHPHUFLHPHQWV Paris 14e, le jeudi 12 juillet 2018,
dans sa quatre-vingt-huitième année Igor de GARINE, sous l’égide de la Fondation de France.
PHVVHV FRQGROpDQFHV
et la soixante-neuvième de sa vie
KRPPDJHV religieuse. vous prient de trouver ici leurs sincères Ce prix a pour objet la découverte
DQQLYHUVDLUHV GH GpFqV d’un poème d’expression française,
remerciements pour le réconfort procuré
VRXYHQLUV Les funérailles ont été célébrées inconnu ou méconnu.
ce lundi 16 juillet, à 10 h 30, en l’église par tant d’hommages et souvenirs
Adresser
&ROORTXHV FRQIpUHQFHV Saint-Ignace, 33, rue de Sèvres, Paris 6e. dans ces moments douloureux.
soit quatre jeux identiques
VpPLQDLUHV WDEOHVURQGHV de 30 poèmes inédits,
SRUWHVRXYHUWHV IRUXPV Pierre-Jean Labarrière était jésuite, Marcel, Maryse, Marie-Paule, Anne, soit quatre exemplaires
MRXUQpHV G·pWXGHV FRQJUqV professeur de philosophie au Centre Sèvres
Vincent, Jean-François, Mikaël, Michèle d’un ouvrage de poésie édité
QRPLQDWLRQV et écrivain, spécialiste éminent de Hegel
et des auteurs mystiques du Moyen Âge. et leur famille, au cours des cinq dernières années,
DVVHPEOpHV JpQpUDOHV jamais primé,
6RXWHQDQFHV GH PpPRLUH WKqVHV très touchés par les marques d’affection, accompagnés d’une notice biographique
Sa famille
Et ses amis, avant le 5 octobre 2018
+'5 d’amitié et de sympathie de toutes les
en pli non recommandé à :
GLVWLQFWLRQV IpOLFLWDWLRQV personnes qui les ont soutenus et
ont la tristesse d’annoncer le décès de
accompagnés, dans des moments très Fondation de France
([SRVLWLRQV YHUQLVVDJHV
Mme Danielle Chen Shen LI, douloureux, aux funérailles de Prix Simone de Carfort
VLJQDWXUHV OHFWXUHV professeure de chinois
FRPPXQLFDWLRQV GLYHUVHV 40, avenue Hoche, 75008 Paris.
à l’université de Lyon,
secrétaire générale Michel PERRUT,
de l’Institut franco-chinois Le montant du prix est de 2 500 euros.
3RXU WRXWH LQIRUPDWLRQ &DUQHW 
de 1980 à 2008, vous prient de trouver ici leurs plus Aucun retour des manuscrits ne sera fait.
    
     survenu le 12 juillet 2018, sincères remerciements pour leur présence
FDUQHW#PSXEOLFLWHIU à Xiamen (Chine), ou leurs écrits, qui ont rendu hommage Communications diverses
à l’âge de quatre-vingt-onze ans. aux grandes qualités humaines et
Les obsèques ont eu lieu le 14 juillet, professionnelles du défunt.
AU CARNET DU «MONDE» à Xiamen.
Anniversaire de décès
Décès Le docteur Michèle
Maufras du Châtellier, « Avec mes doigts
Bernard Assouline, M. et Mme Laurent les ficelles des souvenirs perdus
son fils, Maufras du Châtellier SOS AMITIE
Je n’attends pas à demain, je t’attends
Laura et Julian, et leurs enfants, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
ses petits-enfants, Je n’attends pas la fin du monde,
M. et Mme Philippe
Maufras du Châtellier je t’attends... »
Les bénévoles de SOS Amitié écoutent
ont la tristesse de faire part du décès de et leurs enfants, Gaston Miron.
par téléphone et par internet
Sa belle-sœur,
Henri ASSOULINE, Ses neveux, petits-neveux et nièce, ceux qui souffrent de solitude, mal-être
Sa famille
Robert RIMBAUD, et pensées suicidaires.
17 juillet 1995 - 17 juillet 2018.
survenu le 11 juillet 2018, Et ses amis,
Nous ne répondons qu’à 1 appel sur 3
à Marly-le-Roi.
ont la douleur de faire part du décès du Anniversaire et recherchons des écoutants bénévoles.
Mme Lovenah Boyce, L’écoute peut sauver des vies
docteur Anne-Marie À notre et enrichir la vôtre.
sa filleule,
MAUFRAS du CHÂTELLIER
M. Gérard Seyer, psychiatre, psychanalyste,
son beau-frère, Nathalie Horaires flexibles, formation assurée.
Mme Hélène Goett, née Heslan, survenu le 6 juillet 2018, à Paris, En IdF RDV sur
sa nièce, dans sa quatre-vingt-septième année. www.sosamitieidf.asso.fr
chérie.
et son époux, En région RDV sur www.sos-amitie.com
M. Alain Goett Une messe sera célébrée en l’église
Et les familles Goett, Heslan et Rapin, Tu adorais les fêtes et les anniversaires.
Saint-Merri, 78, rue Saint-Martin, Paris 4e,
le lundi 16 juillet, à 10 heures, Concerts
ont la tristesse de faire part du décès de En ce jour de tes cinquante ans qui t’a
L’inhumation aura lieu dans le caveau été volé nous pensons très fort à toi…
M. Alexandre François Joseph familial à Poitiers (Vienne), dans
CAMUS, l’intimité. comme chaque jour.
commandant de police (e.r.),
Cet avis tient lieu de faire-part. Papa et maman,
survenu le 26 avril 2018, Patricia et Bruno,
à Walvis Bay (Namibie), Geneviève Michaud, Raphaël et Mica,
à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. son épouse,
Garance, David, Sam, Hannah, Emma Découvrez le meilleur de la nouvelle
L’inhumation des cendres aura lieu et Joshua, scène classique lors de
a l’infinie tristesse d’annoncer le décès de
au cimetière de Baccarat (Meurthe- Tes oncles, tes tantes, la 18e édition du Festival Européen
et-Moselle), le vendredi 10 août, Laurent PANCHARD, Tes ami(e)s si fidèles. Jeunes Talents !
à 11 heures.
survenu le 1er juillet 2018, après un long Du 1er au 21 juillet 2018,
Pour toute information, contacter, Nathalie Bensasson
et courageux combat contre le cancer. 90 jeunes musiciens se produisent
lovenah22@yahoo.com (17 juillet 1968 - 10 octobre 2015). aux Archives nationales, Paris 3e :
ou seyer.gerard@orange.fr Des dons à l’association WWF ou aux Xavier Phillips, le Quatuor Zaïde,
associations de lutte contre le cancer sont Prix Guillaume Bellom, Adélaïde Ferrière,
François et Françoise Charmetant, possibles.
Célia Oneto-Bensaid,
Rémy et Danielle Charmetant, La Fondation Pierre Lafue le Trio Metral, Yan Levionnois,
Il aimait les arbres et les fleurs. Plantez
Odile et Philippe Charmetant Bouvier, a attribué son 42e Prix le Taylor Consort, David Grimal,
et semez en souvenir de lui.
Cécile Charmetant, à La balade nationale, Tome 1 Tanguy de Williencourt, Michel Dalberto,
Denis Charmetant et Elisabeth
Les origines, Alexandre Kantorow, La Pieuvre,
Falissard, Annie Roux et Claire Roux,
ses filles, de Sylvain Venayre et Etienne Davodeau, et tant d’autres…
Claire Charmetant et Michel Fily,
ses enfants, Hugo, Clémence, Lucile, Marie aux éditions La découverte.
Cédric et Cristina, et Laure, Concerts de musique de chambre
Jim, Juliette, Maud et Fabien, ses petits-enfants, du mardi au vendredi à 20 heures,
Jean, Mathis et Léon, Le Prix sera remis le 21 novembre 2018,
Mathias, Perrine et Yanis, le samedi et dimanche
ses arrière-petits-enfants à la mairie du 6e arrondissement de Paris. à partir de 16 heures.
Vincent et Andréa,
Marine, Sarah, Guillaume et Agathe, et tous leurs proches, Les auteurs dédicaceront leurs ouvrages. Tarifs de 10 € à 15 €.
Yoann, Marie, Anne-Lise, Informations et réservations sur
ont la douleur d’annoncer le décès de
ses petits-enfants, www.fondationpierrelafue.org www.jeunes-talents.org / 01 40 20 09 20.
Amandine, Léane, Manon, Camille,
Paul ROUX,
Léon, Pierre, Gaspard, Mahé,
officier dans l’ordre national du Mérite,
ses arrière-petits-enfants,
officier de la Légion d’honneur,
préfet honoraire,
ont la tristesse de faire part du décès de ancien directeur des Services actifs
de la Police nationale,
Marie Elisabeth CHARMETANT,
née GROSS, survenu le 9 juillet 2018,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
La célébration religieuse a lieu ce lundi
16 juillet 2018, à 14 h 30, en l’église La cérémonie aura lieu le mercredi
de Saint-Augustin, 35, rue Jacquard, 18 juillet, au crématorium du cimetière Dimanche Samedi
Lyon 4e. du Père-Lachaise, Paris 20e, à 10 heures.
Nous remercions toute l’équipe de la annie.roux75@yahoo.fr
Colline de la Soie. clrroux@orange.fr
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0123
MARDI 17 JUILLET 2018
Les fantômes de l’Arakan
La majorité bouddhiste
de cet Etat de l’ouest
de la Birmanie, très
hostile aux musulmans,
reste obsédée par son
glorieux passé, du temps
où la région était un
royaume indépendant
mrauk u et sittwe (birmanie) - envoyé spécial
U
n peu avant une courbe de la
rivière, le village de Pam
Mraung s’annonce dans le
lointain par l’une des flèches
de son monastère-pagode.
Rien d’anormal, de prime
abord, dans ce petit bourg de l’Arakan (ouest
de la Birmanie) dont l’unique rue flanquée de
boutiques s’étire en surplomb des berges. A
notre passage fusent les « Hello mister ! » des
enfants. Dans le lointain se découpent les pre-
miers contreforts d’un autre Etat, le Chin, l’un
des plus reculés du pays. Au-delà, c’est l’Inde.
Il faut aller au bout du village, marcher sur
la piste qui longe le monastère pour être sou-
dainement confronté à l’anormalité de l’Ara-
kan, une région empoisonnée depuis des
lustres par la méfiance ou la haine entre ses
deux principales communautés : d’un côté,
la majorité bouddhiste, de l’autre, la forte mi-
norité musulmane (30 % de la population).
Le symbole de cette séparation entre deux
mondes qui ont longtemps cohabité mais ne
communiquent pour ainsi dire plus est une
simple palissade de bambous, large de
3,5 mètres, haute d’un mètre cinquante. Un
fragile obstacle qu’un homme décidé pour-
rait démanteler à coups de pied. Une mo-
deste maison de thé se trouve là, en lisière du
« mur » de bambous. Une sorte de « poste
frontière » tenu par Cho Cho Man, une tren-
tenaire souriante. « Maintenant, explique-t-
elle, on ne va plus chez les musulmans et les
musulmans ne viennent plus chez nous. »
Les musulmans ce sont les Rohingya, nom
de cette minorité ethnique de Birmanie éter-
nellement ostracisée par tous les régimes de-
puis l’indépendance du pays, en 1948. Les Bir-
mans – et les Arakanais – préfèrent d’ailleurs
les traiter de « Bengalis » pour renforcer leur
statut d’« étrangers » dans un pays où certains
vivent depuis des générations : ici, on ne fraie
pas avec cet « autre », d’origine « indienne » et
de religion musulmane. L’islam est perçu
comme une menace. Pour couronner le tout,
le Bangladesh, pays surpeuplé et à majorité
musulmane, est distant d’un peu moins de
100 kilomètres à vol d’oiseau de Pam Mraung.
C’est de là-bas, quand le Bengale était encore
une région de l’Empire des Indes, que sont ve-
nus ces paysans musulmans, encouragés par
les Anglais à s’en aller travailler dans les riziè-
res arakanaises après le début de la colonisa-
tion britannique en Birmanie (1824).
La palissade ne bloque que le chemin mais
le feuillage qui court tout au long de la route
marque les limites entre les deux parties du
village. Deux mondes qui, désormais, sem-
blent de plus en distants l’un de l’autre. « Un
ami me disait l’autre jour : “Tu devrais laisser
les Bengalis venir t’acheter de l’eau et boire du
thé”, raconte Cho Cho Man. Mais je n’ai pas
suivi ses conseils : je tiens quand même à ma
réputation… » Elle rit.
Alentour, tout est calme. Un moine en robe
lie-de-vin a posé son écuelle de cuivre sur
une table ; il attend son obole de riz. Derrière
la palissade, on aperçoit des femmes de re-
tour de la rivière avec des jarres, le visage cou-
vert d’un léger voile. Des hommes barbichus,
vêtus d’un long pagne bleu, vaquent à leurs
occupations. « Parfois, les Bengalis viennent
nous vendre du poisson qu’ils nous tendent
au-dessus de la séparation de bambou »,
continue Cho Cho Man. Une autre maison
est construite tout contre ce « mur ». Une
bande de jeunes y forme, dans la cour, une as-
semblée bruyante et rigolarde, comme si le
monde d’en face n’existait pas.
Entre musulmans et bouddhistes, les épiso-
des de violence sont récurrents. En 1942, du-
rant l’occupation japonaise, une série
d’émeutes ensanglante l’Arakan, faisant un
nombre considérable de morts – le chiffre
exact reste inconnu – et provoquant le dépla-
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
cement de centaines de milliers de person-
nes. En 1978 et 1992, des opérations de « net-
toyage » lancées par les militaires birmans
obligent des centaines de milliers de musul-
mans à fuir au Bangladesh.
Dans les années suivantes, la tension re-
tombe. Mais en 2012, des émeutes inter-
confessionnelles éclatent à deux reprises
dans plusieurs villes et villages de l’Arakan.
Cette fois encore, les affrontements sont terri-
bles. La plupart des 200 morts sont des
Rohingya, victimes d’extrémistes bouddhis-
tes. Même s’il arrive aussi, dans les zones où
les musulmans sont ultramajoritaires, que
ces derniers provoquent les hostilités. A une
dizaine de kilomètres d’ici, dans le village de
Yin Thei, a lieu l’un des pires massacres de la
période, dont les Rohingya font les frais :
70 musulmans, dont 28 enfants, sont tués à
coups de sabre et de bâton, le 23 octobre 2012.
Le carnage aurait duré une journée entière.
RUINE SPLENDIDE
Le destin de ces musulmans de Birmanie est
désormais connu. Surtout depuis l’émer-
gence d’une guérilla qui affirme se battre
pour leur cause, l’Armée du salut des Rohin-
gya de l’Arakan (ARSA) : les attaques de ces
mystérieux combattants contre des postes
de police et de gardes-frontières, en octo-
bre 2016 puis en août 2017, ont déclenché la
plus féroce des répressions jamais menées
contre cette communauté par l’armée et la
police birmanes : exécutions sommaires,
viols de masse, enfants jetés dans des bra-
siers, villages brûlés. A ce jour, près de
700 000 musulmans ont dû se réfugier au
Bangladesh. Tous ces événements ont eu lieu
à des heures de route de Pam Mraung, plus
au nord-ouest, dans des municipalités si-
tuées le long de la frontière bangladaise. « Ici,
c’est tranquille », assure Cho Cho Man, la pa-
tronne de la maison de thé.
Dans ce conflit sans fin, le discours des Ara-
kanais bouddhistes paraît largement ignoré.
Ils accusent ONG, médias et diplomates de
INDE
BANGLADESH
BIRMANIE
Mrauk U
Sittwe Naypyidaw
Golfe
du Bengale
Etat de l’Arakan
(Rakhine)
200 km
partialité ; ils leur reprochent de focaliser leur
attention sur les malheurs des seuls musul-
mans en ignorant le fait que l’arrivée – relati-
vement – récente de ces derniers venus labou-
rer les terres bouddhistes a jadis planté les ger-
mes d’un terrible ressentiment au sein des
Arakanais de « souche ». A cette amertume
s’ajoute l’obsession d’un glorieux passé : entre
1430 et 1784, la cité de Mrauk U, désormais
ruine splendide qui dresse ses pagodes restau-
rées non loin de Pam Mraung, fut la capitale
d’un royaume indépendant. A leur retour en
Europe, missionnaires et commerçants por-
tugais, hollandais et danois, qui avaient visité
ces terres lointaines, en racontèrent, éblouis,
la richesse et la beauté… Le discours très anti-
musulman, parfois délirant, des Arakanais
doit être entendu dans ce contexte d’une nos-
talgie transmise de génération en génération.
« Nous sommes les héritiers d’une antique
civilisation, qui a été envahie par les Birmans il
y a 234 ans », explique Zaw Tun, un professeur
trentenaire que l’on rencontre dans un café de
Sittwe, l’actuelle capitale de l’Arakan, située à
cinq heures de bateau plus à l’ouest de
Mrauk U. « Nous sommes les victimes de deux
forces : l’une est la birmanisation voulue par
l’Etat central, qui nie notre identité arakanaise ;
l’autre est l’islamisation par les Bengalis. »
Vif et s’exprimant avec une volubilité hale-
tante, le jeune homme dit toute la colère de
ces Arakanais nationalistes, fiers de leur his-
toire et frustrés de leur présent. Cette terre est
bien celle d’une amère nostalgie. Il suffit d’ob-
server Sittwe avec ses airs de sous-préfecture
oubliée et ses vieux bâtiments coloniaux : sur
la plage de sable gris, presque vide, des chiens
errants courent le long des vagues du golfe du
Bengale. Une atmosphère de tristesse un peu
lasse se dégage de ce décor suranné.
Pour Zaw Tun, l’avenir passe peut-être par
la révolution : la guérilla de l’Arakan Army
(AA), qui s’entraîne clandestinement dans un
territoire échappant au contrôle du pouvoir
birman, attaque de temps à autre des convois
de soldats. Elle jouit d’un soutien de plus en
plus net au sein de la population bouddhiste,
surtout parmi les jeunes. « L’un de nos slo-
gans, c’est : “On y va !” Rejoignons-les ! C’est
notre dernier espoir ! », s’exclame Zaw Tun.
Dernièrement, le climat s’est à nouveau
tendu autour de Sittwe après la mort de sept
manifestants arakanais tués par la police à
Mrauk U, le 17 janvier : de jeunes nationalis-
tes voulaient organiser une cérémonie pour
commémorer la triste chute du royaume aux
mains des Birmans en 1784… La commémo-
ration avait été interdite, la situation s’est en-
venimée, la police a fait feu.
Plus loin sur la plage, sur la terrasse inté-
rieure de l’hôtel Sittwe, où résident encore les
rares étrangers de la ville, U Hla Saw, la cin-
quantaine, tient un discours moins révolté,
mais tout aussi amer. « L’Arakan, soyons
horizons | 27
Koe Tan Kauk,
un village dans
l’Etat de l’Arakan.
PHYO HEIN KYAW/AFP
francs, c’est mieux sans les musulmans. Si une
partie d’entre eux est rapatriée depuis le Ban-
gladesh, il faudra être vigilants et s’assurer
qu’ils ne sont pas liés aux terroristes de
l’ARSA. » Il ajoute avec un sourire un peu ca-
naille : « La meilleure cohabitation avec les
musulmans, c’est de ne pas cohabiter du tout.
D’ailleurs, le Bangladesh, c’est mieux aussi
pour les Bengalis : ils sont de la même religion
et parlent une langue similaire… » Il décoche
ensuite d’autres flèches, en direction du pou-
voir birman, cette fois : « Nous vivons une si-
tuation quasi coloniale. Le gouvernement de
Birmanie n’a pas développé notre Etat qu’il a
laissé dans la pauvreté. Nos jeunes quittent le
pays pour aller chercher du travail ailleurs en
Birmanie, ou à l’étranger. Nous laissons les
Chinois investir dans notre économie sans que
notre peuple en recueille les bénéfices… »
UNE VILLE « ETHNIQUEMENT PURE »
Cet homme souriant est membre d’une
formation ultranationaliste, l’Arakan National
Party (ANP), qui a gagné la majorité des sièges
au parlement de l’Etat lors des élections de
2015. L’ANP a été accusé d’« incitations à la vio-
lence » par l’ONG Human Rights Watch. Ses
« NOUS VIVONS militants n’avaient-ils pas distribué des tracts
et crié des slogans de haine contre les Rohin-
UNE SITUATION gya, à la veille des émeutes de 2012 ? Depuis
lors, Sittwe est une ville que U Hla Saw juge
QUASI COLONIALE. « ethniquement pure ». Les musulmans ont
LE GOUVERNEMENT fui : ils vivent désormais dans des camps de ré-
fugiés en marge de la cité ou bien sont partis
BIRMAN A LAISSÉ en Malaisie, risquant le dangereux voyage par
mer organisé par des passeurs sans scrupule.
NOTRE ÉTAT DANS Le discours n’est pas moins musclé, même
LA PAUVRETÉ » s’il paraît plus mesuré, chez le vieil intellectuel
Aung Kyaw Zaw. Historien, ancien guide de
U HLA SAW tourisme, ce personnage reçoit dans le salon
militant ultranationaliste de sa maison du centre-ville. Bedaine débor-
dant sur les genoux, vêtu d’un tricot de corps
troué, il explique : « Le problème est de contrô-
ler la démographie des musulmans ; sinon, on
va se retrouver minoritaires dans notre propre
Etat. On ne peut pas leur permettre de conver-
tir nos femmes à l’islam. Mais je suis d’accord
pour accorder à ceux qui restent, ou qui re-
viendront, les mêmes droits qu’à tous les Bir-
mans. » Et de conclure, dans un éclat de rire :
« On n’a pas besoin de les tuer tous ! »
Telle n’est pas forcément la perception des
autres Arakanais. Un soir, sur le port de Sittwe,
nous rencontrons un jeune pêcheur. A l’hori-
zon, les silhouettes de montagnes situées de
l’autre côté de la baie impriment leurs formes
tarabiscotées sur le ciel qui s’assombrit. Nous
lui demandons, avec une fausse candeur, où
sont passés les musulmans qui tenaient bou-
tique au marché. Tout en sautant dans le ca-
not à moteur amarré au bas du quai, il lance,
avec un sourire espiègle : « Les musulmans ?
Oh ! on les a tous massacrés… » p
antoine clapik

28 |
CULTURE
Le décor épuré de « De Dingen
die Voorbijgaan », donné
dans la cour du lycée
Saint-Joseph, à Avignon.
CHRISTOPHE RAYNAUD DELAGE
Ivo van Hove déploie toutes les nuances du noir
Le Belge offre une belle mise en scène du texte de Louis Couperus sur le poison des secrets de famille
THÉÂTRE
avignon - envoyée spéciale
T
rop de tragédie tuerait-
elle la tragédie ? On se le
demande, à la (presque)
mi-temps du Festival
d’Avignon, le 14 juillet au soir, au
sortir de De Dingen die Voorbij-
gaan (« les choses qui passent »),
la nouvelle création, présentée en
première française, du metteur
en scène belge Ivo van Hove. Le di-
recteur du Toneelgroep d’Amster-
dam, un des maîtres incontestés
du théâtre européen actuel, est
désormais un habitué d’Avignon,
où, depuis 2008, ses spectacles
ont marqué les esprits, qu’il
s’agisse des Tragédies romaines
de Shakespeare, de The Fountain-
head, d’après Ayn Rand, ou de ces
fameux Damnés, inspirés de
Visconti, présentés dans la Cour
d’honneur du Palais des papes,
en 2016, avec la troupe de la
Comédie-Française.
Dans une édition 2018 qui sem-
ble décliner toutes les nuances de
noir, Ivo van Hove revient avec un
auteur quasiment inconnu en
France, le poète et romancier
néerlandais Louis Couperus
(1863-1923), qu’il présente comme
un équivalent de Proust ou de
Thomas Mann. De Dingen die
Emmanuelle Laborit « chansigne » de tout son corps
La comédienne présente un récital en langue des signes sur des textes allant d’Anne Sylvestre à Amy Winehouse en passant par Boris Vian
SPECTACLE
avignon
E mmanuelle Laborit est stu-
péfiante. Elle n’a peur de
rien. Dévaste-moi, son nou-
veau spectacle musical mis en
scène par Johanny Bert, le prouve
formidablement. Sentimental,
cru, rock et opéra, Donna Summer
et Alain Bashung, L’amour est un
oiseau rebelle et Tango méno-
pause, la comédienne y va franco.
Ce concert-cabaret ne s’intitule
pas pour rien Dévaste-moi, d’après
une chanson de Brigitte Fontaine
en 1965. Il ravage large, ouvre les
vannes d’une tempête de désir et
de brutalité arrosant le plateau
d’eau de rose, de sueur, de sang, de
champagne, et ça éclabousse !
Voorbijgaan, signé par Couperus
en 1906, a tout de la tragédie, sous
ses dehors naturalistes et psycho-
logiques qui relèvent de la littéra-
ture de la fin du XIXe siècle.
C’est l’histoire d’une famille,
dominée par une matriarche
impressionnante, prénommée
Ottilie. En elle se tapit le secret fa-
milial que tous connaissent, mais
qui ne se dit pas, qui a été tu de-
puis soixante ans et qui ronge et
détruit une génération après
l’autre. Quelque chose s’est com-
mis, il y a plus de soixante ans,
alors qu’Ottilie, son mari et son
amant vivaient aux Indes orien-
tales. Un acte irréparable, qui
comme un poison continue à
produire lentement ses effets,
d’une génération sur l’autre, dans
ce roman dont l’un des aspects les
plus intéressants – et très actuel –
est la cohabitation entre deux gé-
nérations déjà âgées, l’une appro-
chant les 90 ans, l’autre les 70.
Une dévoration vampirique
De Dingen die Voorbijgaan, qui a
fait l’objet, dans les années 1970,
d’une traduction en français (in-
trouvable) sous le titre Vieilles gens
et choses qui passent, a la particu-
larité de mettre en avant des figu-
res féminines d’une force peu
commune, c’est sans doute ce qui
« Sourde comme un pot »,
comme elle le dit elle-même, Em-
manuelle Laborit se risque dans
un show de « chansigne », autre-
ment dit, chanté en langue des si-
gnes. Cette « discipline issue du
champ de l’art sourd », la comé-
dienne, codirectrice avec Jennifer
Lesage-David de l’International Vi-
sual Theatre (IVT), première scène
consacrée à la culture sourde et à
la langue des signes, à Paris, la su-
blime dans ce drôle de récital
qu’est Dévaste-moi. En compagnie
des cinq jeunes musiciens du De-
lano Orchestra, épaulée par le
metteur en scène Johanny Bert et
le chorégraphe Yan Raballand, elle
enchaîne vingt-quatre titres folle-
ment hétéroclites, poussant la
chansonnette, gueulant l’opérette,
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
a particulièrement plu à Ivo van
Hove, qui y a vu l’occasion d’offrir
des partitions d’importance à de
belles actrices. Les deux Ottilie, la
mère et la fille, dominent cette his-
toire de toute la voracité de leurs
désirs impétueux. « Mes trois ma-
ris, je les ai aimés tous les trois. Et je
les hais tous les trois, aujourd’hui »,
dit ainsi la plus jeune des deux.
La famille, le couple, la violence
qui s’y inscrit, il n’y a rien là que
d’éternel, et de classiquement tra-
gique. Mais De Dingen… met aussi
en avant une dimension qui ré-
sonne fortement avec notre épo-
que : celle de la dévoration vampi-
rique des jeunes générations par
les anciennes, et de la dévitalisa-
tion qui s’ensuit pour ces enfants
coincés entre deux mondes, à
l’image de Lot, que le début du
spectacle saisit à l’aube de son
mariage, alors qu’il a déjà 38 ans.
C’est bien la charge tragique du
roman qui a intéressé Ivo van
Hove. Et c’est ainsi qu’il le met en
scène, dans un de ces superbes es-
paces épurés dont il a le secret,
avec son scénographe Jan
Versweyveld. L’espace central du
plateau est conçu comme une
sorte de purgatoire, entre la vie et
la mort, entre le paradis et l’enfer,
où trônent la vieille Ottilie et son
amant. Autour, de vastes pan-
maltraitant la valse musette,
fouettant la varièt’avec un appétit
tout bonnement jubilatoire.
Chansigner donc. De quoi
s’agit-il ? Emmanuelle Laborit tra-
duit non seulement chaque mor-
ceau en langue des signes, mais le
joue, le danse, l’habille au gré de
changements de costumes et d’un
dialogue théâtral ininterrompu
avec les musiciens. La langue des
signes est une merveilleuse choré-
graphie. Elle fait ruisseler The man
I love, de Gershwin, elle bat comme
plâtre Fais-moi mal Johnny, de Bo-
ris Vian, et n’y va pas par quatre
chemins pour Masturbation blues,
de Candye Kane. Les mains, les
bras y discourent en mode majeur
avec une infinité de nuances dans
la gestuelle, contractions des
Le spectacle
se délite
petit à petit.
Sans doute
parce que Louis
Couperus n’est
ni Marcel Proust,
ni Thomas Mann
neaux transparents, sur lesquels
sont dessinés, avec de la boue, des
visages hantés par la terreur. Les
deux hommes se sont inspirés
pour créer cet univers du peintre
Léon Spilliaert et de ses figures
chargées de mélancolie, d’an-
goisse et de fureur. Au fond de la
scène, un vaste miroir qui nous re-
flète, nous, spectateurs, et nous dit
que tout cela parle bien de nous,
que nous sommes dedans, au
même titre que les personnages.
Pas d’illustration, pas de fol-
klore, même si les costumes d’An
D’Huys – tous noirs, sauf un – in-
terprètent subtilement l’époque
et l’austérité de la société de
La Haye au XIXe siècle. Le person-
nage principal, ici, c’est le temps,
ce temps qui passe inexorable-
ment, même si on a l’impression
doigts, tremblements, courbes et
droites, rythmes conflictuels. Art
total, elle n’oublie pas le visage,
très expressif. Bouche de travers,
joues qui gonflent, front qui se
tord, yeux comme des billes de
loto, la figure tout entière met des
accents, souligne, scande, insiste,
au gré de grimaces ciselées de sens.
Cœur et corps en vrac
Ce visage sous pression contre-
carre toute velléité d’être lisse et
belle. D’ailleurs, Emmanuelle La-
borit s’en moque résolument. Elle
arrache l’élastique qui retient sa
queue-de-cheval d’un geste vio-
lent, la remet vite fait, bien fait,
lorsqu’elle change de personnage.
Pas le temps ni l’humeur de faire
semblant. Si elle est en représenta-
de ne pas l’avoir vécu, et qui finit,
parfois, par apporter un remède,
une libération. Il est matérialisé de
manière très concrète, sur le pla-
teau, par la présence d’horloges di-
verses, dont le tic-tac est orchestré
par le musicien Harry de Wit.
« Ce cancer silencieux »
Comme toujours chez Ivo van
Hove, les acteurs sont remarqua-
bles d’intensité et d’intériorité. Le
directeur du Toneelgroep échange
régulièrement des comédiens
avec le Toneelhuis d’Anvers, dirigé
par Guy Cassiers, et, ici, ce sont
deux Anversoises qui brillent par-
ticulièrement : Katelijne Damen,
grande dame du théâtre flamand,
fabuleuse dans le rôle de la
deuxième Ottilie, et Abke Haring,
lumineuse dans celui d’Elly, la
jeune fiancée qui ne sauvera pas
Lot de ce « cancer silencieux »
qu’est son existence, hantée par le
fantôme de l’histoire familiale.
C’est donc indéniablement une
belle mise en scène que signe, une
fois de plus, Ivo van Hove, qui
s’inspire de la tragédie antique,
notamment en chorégraphiant les
scènes de groupe à la manière
d’un chœur. Et pourtant, après un
démarrage assez fort, le spectacle
se délite petit à petit. Sans doute
parce que Louis Couperus n’est ni
tion, Emmanuelle Laborit est
d’abord une femme, cœur et corps
en vrac. Elle tente par tous les
moyens de piger comment ça
marche et dans quel sens, l’amour,
la mort, le sexe, le temps, en comp-
tant sur la virulence de textes
d’Anne Sylvestre, de Léo Ferré ou
d’Amy Winehouse.
Avec Dévaste-moi, la comé-
dienne, qui a fait ses débuts à l’âge
de 9 ans, prend pour la première
fois le risque d’un concert chansi-
gné aux accents de one-woman-
show. Pour la première fois aussi,
vingt-quatre ans après la sortie de
son livre Le Cri de la mouette, elle
ose des confidences – en voix off –
sur son enfance dans une famille
d’entendants. « Je poussais des cris,
j’avais envie de communiquer, mais
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
Marcel Proust, ni Thomas Mann,
et que le texte tourne un peu en
rond autour de son thème princi-
pal du secret familial, avec une
lourdeur certaine. De Dingen… n’a
pas l’économie poétique, la pureté,
la densité des tragédies originelles.
Surtout, et l’on en revient à la
question de la gestion du tragi-
que, la représentation en elle-
même est peu à peu contaminée
par la morbidité même de son
sujet, par cet univers vieillissant,
pourrissant. A un moment, Ivo
van Hove fait tomber sur les per-
sonnages du roman de Couperus
une neige noire : c’est une image
superbe en soi, qui restera en mé-
moire. Mais cette neige noire finit
par apparaître comme du plomb
fondu, qui n’écrase pas seulement
les personnages, mais aussi les
spectateurs. Peut-être y a-t-il sur-
dose de tragique, à Avignon, cette
année. Peut-être qu’à rajouter du
noir sur du noir on finit par ne
plus rien y voir. p
fabienne darge
De Dingen die Voorbijgaan
(« les choses qui passent »),
d’après Louis Couperus. Mise
en scène : Ivo van Hove. Festival
d’Avignon, cour du lycée Saint-
Joseph, à 22 heures, jusqu’au
21 juillet. Tél. : 04-90-14-14-14.
les sons ne me revenaient pas, mes
cris ne voulaient rien dire et mes pa-
rents m’ont surnommée “la
Mouette”. Jusqu’à ce que je décou-
vre la langue des signes… » Et se
lance aujourd’hui dans cette aven-
ture joyeusement dévastée où l’on
entend évidemment chant et cy-
gne. A la fin du spectacle, c’est la
salle entière qui aura droit à son
tube et à sa choré, chansignée en
chœur avec elle, et c’est la fête ! p
rosita boisseau
Dévaste-moi, de Johanny Bert et
Yan Raballand. Avec Emmanuelle
Laborit. 17 juillet, festival Contre
Courant, île de la Barthelasse,
Avignon. 24 juillet, festival
Mimos, Périgueux. En tournée
en France à partir de la rentrée

0123
MARDI 17 JUILLET 2018
A Avignon, Ahmed en habit de Galas
Collèges, hôpitaux, prisons, salles des fêtes : le comédien Didier Galas joue « Ahmed revient », d’Alain Badiou
RENCONTRE
avignon
S’
il y a une leçon à rete-
nir du spectacle itiné-
rant que le Festival
d’Avignon propose de-
puis quelques années, c’est qu’un
spectacle n’est jamais le même
selon qu’on le joue au milieu des
cigales à la maison des associa-
tions de Mérindol, dans le com-
plexe sportif de Rochefort-du-
Gard, ou ici, dans le gymnase de la
prison du Pontet.
On le sent aux aguets, Didier Ga-
las, qui, devant un parterre de dé-
tenus, se maquille sur scène au
début d’Ahmed revient, le mono-
logue d’une heure et demie écrit
pour lui par Alain Badiou. Ahmed,
c’est lui, Didier Galas. C’était déjà
lui, il y a un quart de siècle, pour
les premiers épisodes de cette sé-
rie où le philosophe marxiste-lé-
niniste avait transformé Scapin et
ses fourberies en un Ahmed ma-
lin dans une cité de banlieue.
Ahmed, c’est eux. Ces soixante
détenus – sur les 800 que compte
le centre pénitentiaire –, courtes
et longues peines, jeunes, petites
barbes, accent du Midi, tatouages,
quelques gueules. Et puis un in-
vité de marque, le philosophe lui-
même, qui rit, bon public, aux ti-
rades de son héros, lequel convo-
que Socrate, Descartes ou Lacan
dans une démonstration de l’in-
démontrable, oscillant entre jeux
sur les mots, glissements séman-
tiques et envolées politiques pour
dénoncer tout à la fois le racisme
et le machisme, le voile et la
chasse au burkini, le sens et son
contraire, finissant sur une para-
phrase malicieuse de L’Internatio-
nale à laquelle Alain Badiou a été
biberonné : « Si nous ne sommes
rien… nous serons tout. »
Pas sûr que le public ait tout
suivi de cette errance philosophi-
que (pas nous, en tout cas). Et on a
senti Didier Galas, derrière son
masque de Scapin-Ahmed, passer
vite sur la scène où il crie « Allah
akhbar ! » Mais le public est ac-
quis. Les détenus le diront plus
tard quand l’acteur leur deman-
dera si cela les a gênés que ce ne
soit pas un Arabe qui joue un
Arabe. « Au contraire, c’est encore
plus fort ! », ont-ils répondu.
Une balade entre le « in » et le « off », du meilleur au Py
Deux pépites, « Je m’en vais mais l’Etat demeure », d’Hugues Duchêne, et « Ce qui demeure », d’Elise Chatauret, et une
déception, « Pur présent », nouvelle création du directeur du Festival
THÉÂTRE
avignon - envoyée spéciale
C’ est plus fort que lui :
Olivier Py ne peut pas
s’empêcher d’écrire.
Les mots sortent de lui comme
des dés, il enchaîne romans, es-
sais et pièces depuis trente ans.
Le temps fera le tri dans cette pro-
duction frénétique qui recèle des
réussites, mais nous, ses contem-
porains, nous découvrons et sou-
vent nous nous « fadons » tout en
direct, comme on le disait quand
Olivier Py n’écrivait pas encore.
Cette année, l’exercice critique
porte sur Pur présent. Il sera ra-
pide. Tragédie en trois parties, la
nouvelle pièce de l’auteur, met-
teur en scène et directeur du Fes-
tival d’Avignon semble sortie
d’un cerveau adolescent qui
aurait découvert la dureté de la
prison et la saleté de l’argent.
Olivier Py enchaîne des phrases
définitives s’adressant au ciel,
aux étoiles et à Dieu pour que
soit répondu à une question :
comment vivre plus dignement ?
Le texte ronfle de platitude, il
bourdonne d’injonctions, et cela
dure tant et plus – 3 h 15 – qu’à la
L’itinérance, Didier Galas con-
naît. La nécessité de rattraper le
spectateur par un geste, de capter
l’attention d’un rire, de traduire
un mot d’une grimace. Ses yeux
qui roulent sous le masque, sa
bouche qui se tord… Il a fait ça par-
tout en France, au Japon, où il s’est
formé au théâtre nô, au Ve-
nezuela, pour un Cervantès en es-
pagnol, en Italie (Il Trickster dell’Ar-
lecchino), et récemment en Inde…
Attraper un public rebelle
Il y a quinze ans, alors qu’il tourne
en France Le Petit (H) arlequin,
avec la complicité à la mise en
scène de son ancien camarade de
chez Schiaretti, Laurent Poitre-
naux, il obtient une bourse pour
la Chine. Or ce « moment du pré-
sent partagé, qui est unique au
spectacle vivant », il sent que, pour
que ça marche, il doit le jouer en
chinois. Il fait traduire le texte en
mandarin. Six mois de travail
pour l’apprendre, mot à mot, de la
même manière qu’autrefois, à
18 ans, venu à Paris faire le Conser-
vatoire, ce Marseillais, fils, petit-
fils, arrière-petit-fils de coiffeur, a
réappris le français « comme une
langue étrangère », pour se débar-
rasser sur scène de cet accent qui
lui « bloquait les voyelles nasales ».
2004 : le voici donc à Baoji, au
cœur de la Chine, à 200 kilomètres
à l’ouest de l’antique capitale,
Xi’an. Par – 4 °C, Didier Galas est en
justaucorps sur la scène en plein
air d’un bourg de banlieue. Au mi-
lieu du terrain, le public joue au
billard en gueulant. Il découvre
qu’il n’y a guère que les écoliers le
long de l’estrade qui parlent le
mandarin. Au bout d’une demi-
heure, le comédien désemparé fait
mourir Arlequin au milieu d’une
scène, histoire d’abréger ses pro-
pres souffrances. Effondré ? Oui.
Résolu ? Egalement. Le lendemain,
il repart au combat. Désormais, il
sait à quoi il s’expose, et attraper
un public rebelle va devenir son
art. Plaisir de voir comme ici, dans
l’enceinte de cette prison, les visa-
ges des détenus les plus herméti-
ques à la pièce s’illuminer lorsqu’il
mime une porte. Parce que ça, les
portes, les détenus connaissent :
ils dialoguent tous les jours avec.
L’année d’après l’épisode de
Baoji, Didier Galas repart en tour-
fin on n’en peut plus. Inutile de
dire qu’après ce spectacle cons-
ternant on est content d’aller se
rafraîchir dans le « off », où une
nouvelle salle au joli nom, Le
Train bleu, parie sur « la malice de
la jeunesse ». Pari réussi, en tout
cas avec un spectacle qui fait le
plein à 11 h 45 : Je m’en vais mais
l’Etat demeure, écrit et mis en
scène par Hugues Duchêne.
Comme ses camarades avec qui
il joue, Hugues Duchêne (27 ans)
a été élève comédien à la Comé-
die-Française, c’est-à-dire qu’il a
partagé le plateau avec la troupe
des sociétaires et pensionnaires
pendant la saison 2015-2016,
pour finir de se roder au métier.
En 2017, il a joué au Studio de
la Comédie-Française avec la
joyeuse bande de Comme une
pierre qui… Plus jeune, il est passé
par Sciences Po Lille, s’est engagé
dans les jeunesses socialistes.
C’est un observateur ironique de
la France, qui a écrit une trilogie
sur le quinquennat de Nicolas
Sarkozy avant de lancer le projet
très particulier de Je m’en vais… :
chroniquer en direct le quin-
quennat d’Emmanuel Macron.
Nous avons donc une pièce qui
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
Didier Galas dans « Ahmed
revient », un monologue
écrit par Alain Badiou.
CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/HANS LUCAS
née dans toute la Chine pour pré-
senter Arlequin rencontre Zhong
Kui, puis transpose la pièce au
Japon avec Arlequin rencontre
Tengu. Texte en japonais, itiné-
rance… Quand on sait à quel point
l’Archipel est peu enclin aux im-
portations, la chose fait figure
d’événement. Déjà trois tournées
au compteur. Alors, du Badiou
dans ce département du Vaucluse
où le Front national cartonne,
c’est presque trop facile !
« Jacques Brel, qu’on interrogeait
sur ses talents d’aviateur aux Mar-
quises, disait : “Il y a deux sortes
Le texte ronfle
de platitude,
il bourdonne
d’injonctions,
et cela dure tant
et plus – 3 h 15 –
qu’à la fin
on n’en peut plus
n’est pas « en marche », mais « en
mouvement ». Elle commence à
l’automne 2016 avec la sortie
d’Un président ne devrait pas
dire ça (Stock, 2016), le livre de
nos confrères Gérard Davet et
Fabrice Lhomme, qui a mis le
feu aux poudres et lancé la cam-
pagne électorale dont Emma-
nuel Macron est sorti l’inat-
tendu vainqueur, en mai 2017.
Hugues Duchêne et ses amis
avaient tous voté Mélenchon, et
leurs parents Macron.
La suite est observée à travers
les procès qui ont marqué la pre-
mière année d’Emmanuel Ma-
cron : Hugues Duchêne les a sui-
Devant
un parterre
de détenus,
le comédien
se maquille sur
scène au début
du monologue
d’une heure
et demie
vis avec la même attention que
celle qui l’avait fait s’immiscer
dans tous les meetings, souvent
au culot, pendant la campagne.
Enlevé, drôle et malin
Le résultat est réjouissant : une
bande de sept bons acteurs passe
en revue une année judiciaire, so-
ciale et politique. Les procès
d’Antonin Bernanos, d’Abdelka-
der Merah, de Georges Tron, de
Jawad Bendaoud et de Carlos
sont émaillés de choses vues,
de portraits souvent corrosifs et
de notations sur la vie privée
d’Hugues Duchêne.
C’est enlevé, drôle, malin, et
court : un peu plus d’une heure,
comme le veut la règle dans le
« off », où les spectacles s’enchaî-
nent toutes les deux heures, au
nom d’une rentabilité financière
qui condamne certaines pièces
classiques, comme Bérénice, de
Racine, à être amputées. « Saleté
d’argent », dirait Olivier Py, fort
bien subventionné.
Mais il arrive aussi que des
compagnies échappent à la rè-
gle : Ce qui demeure, programmé
par La Manufacture, une des
bonnes salles du « off », se joue à
d’hommes, ceux qui pensent que
la météo n’est pas bonne et qu’il
vaut mieux rester au sol, et ceux
qui disent : il faut aller voir”. »
Eloge du risque de celui qui, jus-
qu’à présent, a préféré le voyage à
la direction d’une maison de
théâtre à laquelle il pourrait pour-
tant prétendre. Il va voir. Ques-
tion de désir, dit-il, qui est aussi
un désir d’« action sur le présent ».
En cela, si le metteur en scène
Claude Régy est son maître de jeu
revendiqué, Alain Badiou reste
son compagnon de route
– comme on disait au Parti com-
la piscine, hors des remparts, où
les spectateurs sont emmenés
gratuitement en car. Là, le spec-
tacle peut se déployer sans
contrainte en une heure et qua-
rante minutes. Ecrit et mis en
scène par Elise Chatauret, il re-
pose sur le dialogue entre deux
femmes, l’une jeune, l’autre de
92 ans, qui raconte son histoire.
C’est fin, délicat, fort bien mis
en scène et joué. Une pépite ré-
confortante, comme on en
trouve dans le « off ». p
brigitte salino
Pur présent, de et mis en scène
par Olivier Py. La Scierie
à 18 heures, jusqu’au 22 (relâche
le 18). Tél. : 04-90-14-14-14.
De 10 € à 30 €.
Je m’en vais mais l’Etat demeure,
de et mis en scène par Hugues
Duchêne. Théâtre du Train bleu,
à 11 h 45 les jours pairs, jusqu’au
28. Tél. : 04-90-82-39-06.
13 € et 19 €.
Ce qui demeure, de et mis
en scène par Elise Chatauret.
La Manufacture, à 10 heures,
jusqu’au 26 (relâche le 19).
Tél. : 04-90-85-12-71.
De 8 € à 19,50 €.
culture | 29
muniste : celui du non-renonce-
ment à la lutte, aux paroles lan-
cées derrière les murs des prisons
ou dans les champs de cigales. Et
peu importent alors leurs incer-
taines certitudes. p
laurent carpentier
Ahmed revient. Le 16 juillet
à Caumont-sur-Durance, le 19
au château de Vacqueyras, le 20
à la salle des fêtes de Malemort-
du-Comtat, le 21 au garage
BMW d’Avignon, le 22 à l’hôpital
de Montfavet, le 23 à l’espace
culturel de Morières-lès-Avignon.
T H ÉÂT R E
Des Autochtones
dénoncent l’absence
d’Amérindiens
dans un projet
du Théâtre du Soleil
Des Autochtones ont dé-
noncé l’absence de comé-
diens amérindiens dans le
spectacle Kanata, mis en
scène par le Canadien Robert
Lepage. « Encore une fois,
l’aventure se passera sans
nous, les Autochtones ? », dé-
plorent-ils dans une lettre
ouverte parue dans Le Devoir,
le 14 juillet. Le Théâtre du So-
leil doit présenter en décem-
bre cette pièce qui se veut
une « relecture de l’histoire du
Canada à travers le prisme des
rapports entre Blancs et
Autochtones ». Les auteurs de
la lettre ouverte – autochto-
nes et non-autochtones – en-
tendent répondre à des décla-
rations de Mme Mnouchkine
indiquant qu’il n’y aurait pas
de comédiens d’Amérique du
Nord dans la distribution,
soulignant qu’il n’y a pas be-
soin d’être danois pour jouer
Hamlet. Un spectacle mis en
scène par Robert Lepage,
SLAV, une évocation de l’es-
clavage à travers les chants
d’esclaves afro-américains,
avait fait l’objet de critiques et
d’accusations d’« appropria-
tion culturelle » car sa distri-
bution était majoritairement
blanche. – (AFP.)

30 | culture
Sophie Calle
ouvre une
tombe à secrets
provençale
Au Château La Coste, l’artiste
présente une sépulture-
confessionnal et deux expositions
ARTS
le puy-sainte-réparade
(bouches-du-rhône) -
envoyée spéciale
E
lle y a pris ses quartiers
d’été, et une concession à
perpétuité. Sophie Calle
vient d’ajouter une
œuvre pérenne au Château
La Coste, sur la commune du Puy-
Sainte-Réparade, près d’Aix-en-
Provence. Un lieu qui donne
d’année en année davantage de
raisons d’arpenter son domaine
viticole sur les traces des com-
mandes que son propriétaire,
l’Irlandais Paddy McKillen, passe
auprès d’artistes et d’architectes
et dissémine sur ses terres. Pour
Sophie Calle, la commande était
une de ces sépultures dont elle a
le secret : une tombe-confession-
nal. « Ici reposent les secrets des
promeneurs », dit l’épitaphe gra-
vée dans le marbre blanc, tandis
qu’une fente façon boîte aux let-
tres permet à chacun de glisser
feuilles et enveloppes mises à dis-
position dans un coffre.
Ce dispositif, l’artiste l’avait ex-
périmenté une première fois en
Bretagne, en 2014. Sans fente : la
tombe, ouverte une journée pour
accueillir tous les secrets d’un
village des Côtes-d’Armor, avait
été scellée le soir. Les versions
suivantes, dans des cimetières de
Genève, en 2016, et à Brooklyn,
en 2017, et désormais dans ce sous-
bois provençal, ont toutes été
pourvues de cet accès à confiden-
ces. Comme pour chacun de ses
tombeaux-installations, l’artiste le
complétera par un happening :
sa présence, le samedi 21 juillet.
« Je vais m’asseoir, ceux qui vou-
dront me raconter leur secret avant
de l’écrire pourront le faire s’ils en
ont envie », explique-t-elle.
Un rôle de confidente qui relève
du secret professionnel : « Je ne dis
Beyoncé et Jay-Z, un couple réconcilié au Stade de France
Crinière blonde pour elle, costume sobre pour lui, le duo a égrené une trentaine de titres et mis en scène sa vie familiale, samedi 14 juillet
MUSIQUE
P rogrammé le même jour
que la finale de la Coupe
du monde de football, le
15 juillet, le deuxième concert au
Stade de France de Beyoncé et de
Shawn Carter, alias Jay-Z, a eu du
mal à se remplir. Si l’annonce par
les organisateurs que le match
France-Croatie serait diffusé sur
grand écran avant le show a re-
lancé les ventes, 10 000 places res-
taient encore disponibles la veille.
Plus qu’un simple couple de
vedettes des musiques urbaines,
la chanteuse et son rappeur en-
trepreneur de mari sont devenus
une entité artistique et commer-
ciale mettant en scène vie senti-
mentale et familiale dans leurs
disques respectifs ou communs,
tel le dernier album, Everything
is Love, paru le 16 juin, sous le
nom de The Carters.
jamais les secrets… Je suis une
tombe ! C’est très étrange car je ne
suis ni psy, ni prêtre, ni coach, ma
position est un petit peu ambiguë.
Ne rien dire, consoler, conseiller
comme une amie, être chaleu-
reuse, rester neutre, je fais au cas
par cas, comme dans la vie », dé-
taille-t-elle. Si elle ne laisse rien fil-
trer de ces « moments poétiques »,
elle accepte d’en donner la teneur
générale : « Les gens parlent sur-
tout de sexualité… De culpabilité
aussi. Mais un secret peut être quel-
que chose de très, très léger, ce n’est
pas toujours une histoire triste. En
Bretagne, un pêcheur m’avait par
exemple indiqué l’endroit où il
trouvait ses homards. »
« Dead End », une impasse
Pour se rendre à la nouvelle tombe
dans le parc du Château La Coste, il
faut gravir divers sentiers entre les
vignes. Soudain, une route pavée
apparaît, qui permet de grimper
dans les hauteurs du domaine. Il
s’agit d’une œuvre récente d’Ai
Weiwei, dont la forme reprend
celle d’un sceptre traditionnel chi-
nois qui servait de cadeau porte-
bonheur. Ces pavés citadins, in-
congrus en pleine nature, pro-
viennent des anciens quais mar-
seillais où le MuCEM a été
construit (et où l’artiste expose
justement tout l’été). Comme un
écho aux migrations d’hier et
d’aujourd’hui. Ensuite, il faut sui-
vre les petits panneaux « Dead
End » cloués aux arbres, jusqu’à un
cul-de-sac bucolique. « Le chemin
qui mène à la tombe est une an-
cienne voie romaine coupée. Elle
s’arrête là, par un arbre. C’est ce qui
m’a plu dans cet emplacement :
c’est une impasse. » Soit un dead
end en anglais, langue qui permet
le jeu de mots avec la mort.
L’installation pérenne s’accom-
pagne de deux expositions tem-
poraires, qui s’articulent autour de
Dans la foulée, leur deuxième
tournée en duo, OTR II, après le
On the Run Tour de 2014, se nour-
rit aussi de cette vie privée affi-
chée en public. Au Stade de
France, l’écran géant de fond de
scène rythme ainsi le concert
d’une suite d’épisodes vidéo —
constituée d’un montage de clips
et de films familiaux — contant
plus ou moins métaphorique-
ment la passion originelle, les dis-
putes et les tensions, la repen-
tance et la réconciliation, le bon-
heur retrouvé avec leurs trois en-
fants. Sur fond de références
religieuses, ces moments pour-
raient se réduire à l’esthétique
neuneu de la télé-réalité. La
connexion artistique de Jay-Z et
Beyoncé est heureusement plus
riche que celle de Kanye West et
Kim Kardashian.
Depuis leur première collabora-
tion, en 2002, pour le single’03
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
la notion de deuil. La première ras-
semble, dans l’ancien chai,
Les Tombes, photographies gran-
deur nature et posées à terre prises
dans le cimetière de Bolinas, près
de San Francisco, où les morts
sont figés dans une identité in-
temporelle : « Frère », « Sœur »,
« Père », « Mère »… « C’est celui qui
paie la sépulture qui détermine
cette répartition familiale », dé-
crypte l’artiste. Sur les murs : la sé-
rie Ma mère, mon chat, mon père,
dans cet ordre (2012-2018), sur ses
« morts les plus proches ». Soit des
photos-objets accompagnées,
comme toujours, d’un texte tiré
au cordeau : « J’écris, puis je coupe,
On sait
à quel point
leurs différences
et leur
complémentarité
peuvent faire
des étincelles
Bonnie & Clyde, on sait à quel
point leurs différences et leur
complémentarité peuvent faire
des étincelles. Elle, vocaliste sur-
douée de la bourgeoisie texane,
dont les talents de danseuse ont
amplifié la popularité. Lui, le
gamin de Bedford-Stuyvesant,
quartier dur de Brooklyn, à New
York, dont la culture de rue a
façonné la verve de rappeur et
l’efficacité de self-made-man.
« Ceux qui
voudront me
raconter leur
secret avant de
l’écrire pourront
le faire s’ils en
ont envie »
SOPHIE CALLE
artiste
Pendant deux heures et demie
et une trentaine de titres (souvent
joués en version raccourcie) pio-
chés dans le répertoire de chacun,
leurs profils respectifs permet-
tent d’alterner sans temps morts
des tableaux où s’affirment
l’énergie revancharde de Jay-Z
(Dirt Off Your Shoulder), son assu-
rance bravache de milliardaire
autodidacte (Fuckwithmeyouk-
nowigotit, Clique), sa capacité à
transformer les épreuves en po-
tion euphorisante (99 Problems,
Public Service Announcement),
mais aussi sa vulnérabilité (Song
Cry) et une conscience politique
afro-américaine (The Story of O.J.).
Les performances de Beyoncé
s’enchaînent à celles de son
époux et s’y fondent brillamment
grâce à des trouvailles musicales
et vidéo, à la richesse d’une scéno-
graphie multipliant passerelles
surélevées, trappes escamotables,
Exposition « Dead
End », de Sophie
Calle, dans
le parc du Château
La Coste. STÉPHANE
ABOUDARAM/WE ARE CO
coupe, coupe. Tant que je peux cou-
per, je coupe. Ce sont des textes qui
se lisent dans des expositions, de-
bout, il faut qu’ils soient le plus con-
densé possible. »
Compte à rebours
L’ensemble s’enrichit d’un nou-
veau projet, Série noire, où les
couvertures des livres de cette
fameuse collection de romans
noirs semblent répondre à la ques-
tion qu’elle s’est posée après la dis-
parition de ses parents, à propos
du fait de supprimer ou non leur
contact dans son téléphone : ce
Que faites-vous de vos morts ? qui
donne son nom à l’accrochage.
promenades dans le public et
chorégraphies où continue
d’exceller Queen Be, accompa-
gnée d’une douzaine de danseu-
ses aussi spectaculaires que la
douzaine de danseurs de Jay-Z.
Icône du « Girl power »
Si son mari change encore plus
souvent de tenue qu’elle, guêpiè-
res en strass ou en pied-de-poule,
cuissardes en vinyle, short en
jean ou corset d’argent ampli-
fient un sex-appeal assumé avec
une autorité de maîtresse
femme. La désormais blonde
peut piquer une colère soul (Ring
the Alarm), incarner l’épouse
blessée par les infidélités (Resent-
ment), en jouant en virtuose du
velouté de ses quatre octaves et
demie. Aussi à l’aise dans les
rythmes sudatoires que dans la
volupté, elle peut aussi twerker
sur ses hymnes féministes
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
On efface tout, On picole sec,
Les morts s’en foutent… Et ta sœur ?
L’autre espace d’exposition, in-
séré dans le paysage par Renzo
Piano, rassemble une sélection de
sa fameuse Douleur exquise, en-
semble présenté au Centre Pom-
pidou en 2003. Soit le compte à re-
bours d’avant et après l’annonce
d’une rupture amoureuse. Pour
faire le deuil de cette histoire, elle
a documenté ses échanges, cha-
que jour, avec des connaissances
à qui elle a demandé de raconter
le moment le plus douloureux de
leur vie, histoire de relativiser. Un
long processus de ressassement
de son côté, où l’on voit les mots
s’épuiser jusqu’à la guérison, et
les mille et un accidents de vie
d’anonymes (parfois célèbres).
« Tout ce processus s’est déroulé
en 1984, et pourtant, je n’en ai fait
une exposition que seize ans plus
tard. Ce projet m’a en réalité pro-
tégée pendant toutes ces années
contre le manque d’idées : c’était
une réserve, à un moment où je
pouvais être inquiète ! », confie
Sophie Calle. Des idées, la volu-
bile artiste de 64 ans ne semble
plus en manquer. Son prochain
projet, qui sera dévoilé en octo-
bre, parlera encore de mort, mais
en chansons : elle sortira un trio
de vinyles rassemblant les créa-
tions de quarante musiciens à
qui elle a demandé une chanson
sur… Souris, son défunt chat. De
Camille à Pharrell Williams, Ju-
liette Armanet, Jarvis Cocker,
Miossec, Christophe, The Stro-
kes, ou encore Benjamin Biolay.
En attendant, l’artiste arbore une
bague dorée en forme de souris
grandeur nature. p
emmanuelle jardonnet
« Dead End », jusqu’au 15 août
au Château La Coste, 2750, route
de la Cride, Le Puy-Sainte-
Réparade (Bouches-du-Rhône).
(Flawless, Run the World [Girls])
en icône du girl power.
Convaincants chacun de son
côté, Beyoncé et Jay-Z font fructi-
fier leurs différences plus encore
quand ils se retrouvent en duo.
Plusieurs des morceaux de
bravoure du concert consistent
ainsi en un jeu de contrastes entre
cet aristo du ghetto et sa reine pop.
Si le couple n’a pas joué Apeshit, le
titre illustré par le désormais célè-
bre clip tourné au Musée du Lou-
vre, il a célébré royalement son
« real love » et sa domination sur le
R’n’B contemporain dans les écla-
tants Upgrade U, Déjà vu, Crazy in
Love, avant de conclure avec
Young Forever, rêvant d’une jeu-
nesse – et d’un règne – éternel. p
stéphane davet
On the Run II. Le 17 juillet,
au stade Allianz Riviera,
à Nice (complet).

0123
MARDI 17 JUILLET 2018
« Audition secrète » : M6 persiste dans le télé-crochet
La chaîne, qui vise à renouveler le genre, lance un concours décalé impliquant de nouveaux talents musicaux
M6
17 JUILLET - 21 H 00
DIVERTISSEMENT
E
lle pensait participer
avec ses copines à un
cours de yoga expéri-
mental que son père lui
a gentiment offert. Or, Maud,
19 ans, ne sait pas que ses pro-
ches lui ont tendu un guet-apens.
Dans une petite pièce, où elle est
censée se relaxer et découvrir les
sens cachés de son corps, la jeune
fille ne se doute pas qu’elle est fil-
mée pendant ses étirements.
Une voix lui demande de se dé-
tendre. Elle ferme les yeux, tout
en adoptant, sur son tapis, une
posture de relaxation. Soudain,
les quatre murs de la pièce tom-
bent. L’étudiante en commerce
ne réalise pas tout de suite qu’elle
est au beau milieu d’un plateau
de télévision entouré par le pu-
blic. « C’est quoi, ce bordel ?
Qu’est-ce qui se passe ? », lâche-
elle, tout étonnée.
« Un cadeau de ta famille »
Enfin apparaît le magicien Eric
Antoine, qui lui explique qu’elle se
trouve sur M6 « dans une émission
qui chante ». Son père a toujours
su qu’elle avait un don pour la mu-
sique depuis qu’elle s’était mise à
fredonner, à l’âge de 3 ans et demi,
Une souris verte, « avec une note
juste et parfaite », assure-t-il, en-
Nans et Mouts sur un air de « Ma cabane au Canada »
Toujours dans le plus simple appareil, les deux baroudeurs terminent en beauté leur périple au Québec
FRANCE 5
MARDI 17 – 20 H 55
SÉRIE DOCUMENTAIRE
R ien ne sert de courir, il faut
partir à poil. Nans et Mouts
– alias Nans Thomassey et
Guillaume Mouton – sont de re-
tour pour le troisième et dernier
volet de leurs tribulations nord-
américaines. Six ans déjà que ces
vagabonds en herbe arpentent le
monde, uniquement vêtus de
leurs caméras (du moins au dé-
part). Après avoir débarqué nus
comme des vers au Québec, goûté
GRILLE N° 18 - 164
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I abojournalpapier@lemonde.fr.
II
III
IV
V action. IX. Conjonction. Etoile en mer.
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 18 - 163
HORIZONTALEMENT I. Réconfortant. II. Exutoire. Sée. III. Durait. Vison.
IV. Ebats. Soient. V. Mer. Etau. VI. Près. Alliées. VII. Ta. Omnium. Cs.
VIII. Ensuite. Paré. IX. Utile. Rhénan. X. Récalcitrant.
VERTICALEMENT 1. Rédempteur. 2. Exubérante. 3. Curare. Sic. 4. Otât.
Soûla. 5. Noise. Miel. 6. Fit. Tant. 7. Or. Salieri. 8. Revoulu. Ht. 9. Ii. Im-
per. 10. Assené. Ana. 11. Néon. Ecran. 12. Tentassent.
Eric Antoine et David Ginola, animateurs du télé-crochet « Audition secrète ». THOMAS PADILLA/M6
core émerveillé. « C’est un cadeau
de ta famille qui croit en toi, lance
l’animateur à Maud. Ça fait des se-
maines qu’ils travaillent sur ce
piège. Est-ce que tu aurais envie de
chanter devant des millions de té-
léspectateurs ? Peut-être qu’il y a
des producteurs qui vont se dire : il
les spécialités culinaires et autres
joies locales, les deux hommes
s’approchent enfin de leur but :
construire une cabane. Pas au
fond du jardin, mais dans la forêt,
au bord du lac Saint-Jean.
Voilà donc les comparses arrivés
au septième jour de leur aventure.
Vêtements, bois, outils, matériel
de menuiserie : en une semaine,
ils sont parvenus à récupérer un
barda composite. Leur route les a
menés jusqu’à Jean, qui, après
avoir sillonné la planète (à pied,
s’il vous plaît) pendant onze ans,
vit désormais dans les bois.
7 8 9 10 11 12
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
faut qu’elle fasse ce métier ? », lan-
ce-t-il encore. Maud accepte.
Une fois revêtue d’une robe de
gala et maquillée, la jeune femme
entre de nouveau sur scène pour
livrer une performance vocale.
Mais le traquenard est loin d’être
fini. A quelques mètres d’elle se
Passé l’élaboration du plan de
construction, direction le lac Saint-
Jean, en auto-stop. Au gré de leurs
errances, les deux « pouceurs »,
comme on dit au Québec, vont
faire des rencontres bienheureu-
ses, dans tous les sens du terme.
Car leur voyage se révèle être une
quête spirituelle et philosophique.
« Y a comme une grâce qui nous ac-
compagne », concluront-ils.
« Veinards inconscients »
Des familles qui les accueillent au
conducteur sceptique qui les
alerte avec bienveillance des dan-
HORIZONTALEMENT
I. Grand nettoyage avant culture.
II. Fournisseur d’huiles de palme et
de palmiste. Très souvent rencontrée.
III. Si elle est restée discrète, elle n’est
plus clandestine. Dans la crèche de
Provence. IV. Sur place. Vieux mon-
sieur. Drôle par tous les bouts.
V. Prêtes à être croquées. Dressé pour
chasser en vol. VI. En liberté. Piège ses
proies au jardin. Au bout de l’avenue.
VII. Combinée dans l’ombre. Grande
dame de la paix. VIII. Première vic-
time des gaz asphyxiants. Mettent en
X. Leurs risques sont grands, mais ils
peuvent rapporter gros.
VERTICALEMENT
1. Comme toutes les autres, elle aide
à trouver. 2. Produira laborieusement
et sans le moindre bon sens.
3. Comme un bon jour de mai. En ap-
parence. 4. Part en éclats. Canton des
Hautes-Pyrénées. 5. A redonné vie à
son frère. Manifestation d’égoïsme
raccourcie. 6. Objectif. Encadrent
tout. 7. Accueillerai avec hostilité. Al-
longé et mou. 8. Introduit la qualité.
S’exprimera avec force. 9. Station so-
viétique. Dieu rayonnant. Campagne
du Maghreb. 10. Entre deux plan-
chers. Suivi sans discuter. 11. Se jette
dans le golfe de Finlande. Vitrine de la
presse. 12. Sont tenaces, mais
peuvent toujours se gratter.
dissimulent derrière une vitre
sans tain deux producteurs, dont
Pascal Nègre, l’ex-patron d’Uni-
versal Music. Si la vitre se lève à la
fin du récital, cela signifie qu’ils
souhaitent signer un contrat avec
elle. A condition toutefois qu’elle
remporte une série d’épreuves.
gers et de l’insouciance de leur
projet, tous les personnages s’avè-
rent attachants. Nos deux as de la
récup se définissent d’ailleurs
comme des « veinards incons-
cients ». Pourtant, si tout semble
réussir à nos baroudeurs, leurs pé-
régrinations restent peuplées
d’imprévus. Elément non négli-
geable pour assurer une forme de
dramatisation du récit.
Au-delà de l’aspect « système D »,
cet épisode rend compte de
l’ouverture et de la générosité des
Québécois et de leurs communau-
tés autochtones, marquées par
SUDOKU
N°18-164
HANNAH ARENDT
HORS-SÉRIE
LA PENSÉE POLITIQUE
HANNAH ARENDT
LA PENSÉE POLITIQUE EN ACTE
Tirage du Monde daté samedi 14-dimanche 15-lundi 16 juillet : 268 643 exemplaires
télévision | 31
Ainsi débute « Audition se-
crète », le nouveau concours mu-
sical qui cherche à dénicher de
jeunes talents qui n’auraient pas
le courage de passer l’épreuve des
castings. « On ne naît pas star, on
devient une star », précise Pascal
Nègre. Ce télé-crochet a trouvé un
moyen de se distinguer de ses ri-
vaux comme « The Voice », en pié-
geant façon « Surprise sur prise »
– l’émission mythique de caméra
cachée de Marcel Béliveau – les
candidats. Cette astuce télévi-
suelle apporte fraîcheur et hu-
mour à ce divertissement déve-
loppé par Studio 89, la société de
production de M6. On peut, toute-
fois, regretter que le montage et la
musique viennent alourdir ce
programme en lui donnant un as-
pect trop télé-réalité.
Ainsi, en plein été, M6 ne se con-
tente pas de jouer la carte de la re-
diffusion et mise sur un nouveau
programme, dont le but est de dé-
celer la ou les prochaines vedettes
de la chanson française. Après
l’échec de son télé-crochet « Rising
star » en 2014 et de la « Nouvelle
star » en décembre 2017, la chaîne
croit toujours au potentiel d’un
format musical. « On continue à
prendre des risques », explique-
t-on du côté du groupe. p
mustapha kessous
« Audition secrète », chaque
mardi à 21 heures sur M6.
l’Histoire. En se filmant eux-mê-
mes, Nans et Mouts captent de
magnifiques morceaux de vie,
authentiques, avec une bonne hu-
meur terriblement communica-
tive. Au fil de ce roman d’appren-
tissage animé, on pleure, on rit, on
se réjouit. Et surtout, on (re)trouve
foi en l’humanité. p
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0123 est édité par la Société éditrice
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32 | 0123
MARDI 17 JUILLET 2018

Le calvaire
de Rethondes
« Qu’est-ce qui amène
191 8, L E DERN I ER J OUR 1 | 6
ces messieurs ? » Le 8 novembre, à 10 heures,
le maréchal Foch accueille par ces mots
les représentants de Berlin à bord de son
wagon stationné dans la forêt de Compiègne.
Commencent alors trois jours d’âpres
négociations entre les Alliés et Matthias
Erzberger, le plénipotentiaire allemand

L
undi 11 novembre 1918, au cœur
de la nuit. La pluie a cessé depuis
la veille. En forêt de Compiègne,
dans l’Oise, à trois kilomètres de
Rethondes, deux trains station-
nent à l’abri des regards sur deux
voies parallèles. Cent mètres les séparent, un
caillebotis les relie, posé sur le sol bourbeux
du sous-bois. Une vingtaine de gendarmes
montent la garde alentour. La lumière filtre à
travers les rideaux tirés sur les fenêtres. Dans
la clairière silencieuse, l’armistice est signé à
5 h 20, après une ultime séance de négocia-
tions. Il met un terme à l’immense affronte-
ment qui oppose, depuis août 1914, l’Allema-
gne aux Français et à leurs alliés – Anglais et
Belges d’abord, puis Italiens, Américains,
Australiens, Canadiens, Serbes, Portugais,
Tchèques, Néo-Zélandais… Sur le front occi-
dental, la première guerre mondiale, la
Grande Guerre, touche à sa fin.
Le premier train est constitué de trois four-
gons, deux voitures équipées de couchettes,
deux wagons-lits à cabines individuelles, un
wagon-restaurant, le wagon 2443 compre-
nant chambre et salon, enfin le wagon-res-
taurant 2419-D, réaménagé pour l’occasion
en une grande salle de réunion et une petite
pour les dactylographes. Un groupe électro-
gène installé à bord assure l’éclairage et le
fonctionnement d’un central téléphonique
et d’appareils de télégraphie.
En gare de Senlis, le 7 novembre en fin
d’après-midi, ce convoi a embarqué ses passa-
gers en toute discrétion. Montent, en effet, le
maréchal Ferdinand Foch, généralissime des
armées alliées à qui est réservée la voiture
2443, son fidèle second, le général Maxime
Weygand, le premier Lord de la marine bri-
tannique, l’amiral Rosslyn Wemyss, assisté du
contre-amiral George Hope. Ils sont accom-
pagnés de quatre officiers de l’état-major
français, de deux officiers anglais et de quel-
ques soldats chargés de l’intendance. Dans la
soirée, ils dînent puis, selon les bonnes habi-
tudes de Foch, vont se coucher tôt.
Leurs « invités » ne vont arriver qu’à 5 h 30
du matin, le 8 novembre, par le second train.
Partis l’avant-veille de Berlin, ils sont passés
par le quartier général allemand à Spa, en Bel-
gique, où le maréchal von Hindenburg, grand
chef de l’armée impériale, les a gratifiés de
quelques mots fatalistes : « Allez avec Dieu et
essayez d’obtenir le plus que vous pourrez »…
Le 7 au soir, dans un épais brouillard et sur des
routes défoncées, munis de drapeaux blancs
confectionnés à la hâte, ils ont franchi en voi-
ture la ligne de front à Buironfosse (Aisne),
sur la route de La Capelle ; le secteur avait été
Matthias Erzberger, aux alentours de 1920.
En première ligne lors des négociations,
il sera assassiné en 1921 par deux anciens
officiers de marine.
AKG-IMAGES/ULLSTEIN BILD
prévenu et neutralisé. Après une pause à
Homblières, près de Saint-Quentin, le temps
d’un dîner rapide, ils ont été convoyés jusqu’à
la gare de Tergnier d’où ils ont enfin rejoint la
forêt de Compiègne. Ce sont les plénipotenti-
aires allemands, chargés de prendre connais-
sance et, espèrent-ils, de négocier les condi-
tions de l’armistice préparé par le comman-
dement allié.
« LE SOUVENIR LE PLUS DOULOUREUX »
En tête, Matthias Erzberger, ministre sans
portefeuille du gouvernement berlinois, col
cassé, chapeau melon et manteau fripé par le
voyage. A Spa, l’état-major, décidé à ne pas
porter la responsabilité directe de cet humi-
liant épilogue, lui a subrepticement confié la
présidence de la délégation, en lieu et place
du général von Gündell initialement dési-
gné pour ce rôle. Il est accompagné par son
ami, le comte von Oberndorff, diplomate im-
passible dans sa pelisse à col de loutre, par le
général von Winterfeldt, attaché militaire à
Paris avant-guerre, parlant un français aussi
impeccable que ses jambières de cuir jaunes,
et par le capitaine Vanselow, sanglé dans son
uniforme noir de la marine. Ils ont emmené
avec eux le capitaine von Helldorf, pour ser-
vir d’interprète, le capitaine d’état-major
Geyer et un sténographe. Ils s’installent dans
leur train, jumeau du premier, à cette diffé-
rence près – les Français ont la mémoire lon-
gue – que l’un des wagons est l’ancienne voi-
ture-salon de Napoléon III, capitonnée de sa-
tin vert frappé de « N » impériaux tissés d’or.
Ils vont y passer trois jours. Les soldats
français mis à leur disposition sont aux pe-
tits soins, les repas fort convenables, les tar-
tines beurrées des petits-déjeuners délicieu-
ses, les vins de Bordeaux et le cognac de
bonne facture. Ce huis clos n’en restera pas
moins « le souvenir le plus douloureux et le
plus amer de ma vie politique. Un véritable
calvaire », écrira Erzberger dans ses Mémoi-
res (Souvenirs de guerre, Payot, 1921).
Le calvaire commence le vendredi 8 no-
vembre à 10 heures. Foch a convié, plus exac-
tement convoqué, les Allemands dans son
train. Dans le wagon central, autour de la
grande table de travail rectangulaire, les huit
hommes s’installent. D’un côté les deux
Français et les deux Anglais. Face à eux, les
quatre envoyés de Berlin. Cette première en-
trevue est glaciale. « Qu’est-ce qui amène ces
messieurs ? Que désirez-vous de moi ? », atta-
que Foch sans préambule ni poignées de
main protocolaires.
Erzberger raconte : « Je répondis que j’atten-
dais les propositions relatives à la conclusion
d’un armistice sur mer, sur terre, dans les airs
et sur tous les fronts. » Réplique de Foch, caté-
gorique : « Je n’ai pas de propositions à faire ! »
« Je fis remarquer que nous étions venus con-
formément à la dernière note de Woodrow
Wilson [le président des Etats-Unis] » qui, le
Bibliographie 5 novembre, a invité le gouvernement alle-
mand à envoyer des représentants accrédi-
Souvenirs de guerre, tés au maréchal Foch. Ce dernier insiste :
de Matthias Erzberger « Demandez-vous l’armistice ? » « Nous le de-
(Payot, 1921) mandons », acquiescent Erzberger et Obern-
dorff. « Foch ordonna alors à son chef d’état-
L’Année du 11 novem- major de lire, en français, les conditions de
bre, de René-Gustave l’armistice. »
Nobécourt (Robert Le plénipotentiaire allemand scrute ses in-
Laffont, 1968) terlocuteurs : « Pendant la lecture, l’amiral an-
glais Sir Wemyss, affectait une grande indiffé-
L’Armistice de Rethon- rence. Il jouait avec son monocle, mais il n’arri-
des, de Pierre Renou- vait pas à dissimuler son émotion intérieure.
vin (Gallimard, 1968). Le maréchal Foch était assis dans un calme de
statue ; parfois, il tirait sur sa moustache d’un
geste énergique. » Face à lui, le général
Weygand n’est pas moins attentif : « Les têtes
sont droites, les visages impassibles, celui du
général allemand [von Winterfeldt] très pâle
et empreint d’une douloureuse expression. A la
lecture de l’article prescrivant l’occupation des
pays rhénans, des larmes coulent des yeux du
jeune capitaine [Vanselow]. »
Fruit d’un mois d’âpres négociations entre
Alliés, sous la houlette du président améri-
cain et de son conseiller spécial, le colonel
House, le document de treize pages comporte
trente-quatre articles. Cessation des hostilités
sur le front occidental, évacuation dans les
quinze jours des pays envahis et de l’Alsace-
Lorraine, occupation par les Alliés de la rive
gauche du Rhin et installation de trois têtes
de pont sur la rive droite, rapatriement im-
médiat et sans réciprocité de tous les prison-
niers des puissances alliées, clauses financiè-
res annonçant la réparation des dommages
de guerre, livraisons massives de matériels
militaires et civils, désarmement de la ma-
rine allemande, évacuation de l’Afrique orien-
tale, durée de l’armistice fixée à trente jours :
c’est une capitulation qui ne dit pas son nom.
MARGES DE MANŒUVRE INFIMES
D’autant que c’est à prendre ou à laisser : les
Allemands ont soixante-douze heures pour
signer, l’ultimatum est fixé au 11 novembre,
à 11 heures. Erzberger tente bien d’obtenir
une prolongation du délai. C’est refusé. Il de-
mande également la suspension des hostili-
tés pendant ces trois jours. Nouveau refus.
« Foch me déclara nettement qu’il ne serait
aucunement permis de négocier au sujet de
ces conditions. L’Allemagne avait à accepter
ou refuser, il n’y avait pas de milieu. » Négo-
cier, c’est pourtant ce que le chef de la déléga-
tion allemande sait faire de mieux.
A 43 ans, l’homme est rompu aux mis-
sions délicates. Originaire du Wurtemberg,
au sud du pays et aux antipodes de la rai-
deur prussienne, modeste professeur très
tôt passionné de politique, il est élu député
au Reichstag en 1903 pour le Zentrum, le
parti catholique, où il se montre aussi ha-
bile qu’entreprenant. Dès le début de la
guerre, il est chargé de développer la propa-
gande allemande à l’étranger, multiplie à ce
titre les ambassades dans toute l’Europe
centrale et jusqu’en Suède et en Turquie,
sans oublier le Vatican. Ces contacts tous
azimuts le rendent lucide : avant bien
d’autres, il comprend que la guerre est une
impasse. En juillet 1917, il est au cœur de
l’initiative sans lendemain du Reichstag ap-
pelant à « une paix d’entente et de réconcilia-
tion durable des peuples ». Le 4 octobre 1918,
il entre dans le gouvernement formé par le
prince Max de Bade dont l’objectif priori-
taire est de mettre fin à la guerre – comme le
lui ont demandé, au bord de la panique, les
deux grands chefs militaires, le maréchal
von Hindenburg et le général Ludendorff, à
la fin du mois de septembre.
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0123
MARDI 17 JUILLET 2018 | 33

Tableau représentant la signature

de l’armistice dans le train stationné
en forêt de Compiègne (Oise),
le 11 novembre 1918. Debout, le maréchal
Foch, face à lui, le ministre Matthias
Erzberger et, à gauche, le général von
Winterfeldt, que le peintre a coiffé d’un
casque à pointe, qui n’était pourtant plus
utilisé à l’époque, mais restait le symbole
du militarisme allemand.
G. DAGLI ORTI/DEAGOSTINI/LEEMAGE

Les signatures des chefs

d’état-major français
et britanniques et des
négociateurs allemands,
au bas du texte de
l’armistice.
JM STEINLEIN/KEYSTONE-FRANCE

Car la guerre a changé d’âme. En juillet, l’ul-
time grande offensive allemande a, comme
en septembre 1914, été bloquée sur la Marne.
Depuis, sur l’immense front déployé des
Flandres aux Vosges, cette armée qui se
croyait invincible a reflué sous les coups de
boutoir répétés des Anglais et des Belges
dans le Nord, des Français en Picardie et en
Champagne, des Américains dans les Arden-
nes. Elle a connu des jours terribles, frôlé la
débâcle, perdu en quatre mois près de
800 000 hommes, tués ou faits prisonniers,
a vu ses alliés bulgares, puis ottomans, enfin
autrichiens rendre les armes en catastrophe
sur le front du sud-est. Epuisés par cette
guerre désormais sans espoir, affaiblis par le
blocus qui affame le Reich, ses soldats, pour
la plupart, ne rêvent que de rentrer au pays,
quand ils ne désertent pas.
Erzberger n’a donc pas le choix : l’armistice
est impératif pour éviter l’effondrement fi-
nal de l’armée et l’invasion de l’Allemagne. Le
capitaine de Gaulle fera de lui un portrait pé-
nétrant lorsqu’il analysera, en 1924, La Dis-
corde chez l’ennemi (Berger-Levrault, 1924) :
« Intelligent et actif, Erzberger était un ambi-
tieux, mais non de bas étage. » Il va donc se
battre pied à pied pour tenter d’adoucir les
conditions de l’armistice. Foch a exclu des
négociations ? Erzberger obtient au moins
de pouvoir faire connaître ses « observa-
tions » au général Weygand. Et il se met au
travail immédiatement avec les autres mem-
bres de la délégation.
Ses marges de manœuvre sont infimes.
Mais quand il se présente à la porte du train
de Foch pour leur seconde rencontre, dans la
nuit du 10 au 11 novembre, elles se sont en-
core dramatiquement réduites. Entre-temps,
l’Histoire a basculé. L’empire des Hohenzol-
lern s’est effondré. Le capitaine de Gaulle, déjà
lapidaire : « Toute l’Allemagne se brisait d’un
seul coup, comme un ressort trop tendu. »
Dix jours plus tôt, dans le port de Kiel, les
marins de la flotte impériale se sont muti-
nés, refusant de participer à un baroud
d’honneur suicidaire contre les Anglais. Le
4 novembre, la révolte devient révolution, le
drapeau rouge est hissé sur les navires, les
soldats fraternisent avec les insurgés. A Ber-
lin, ce jour-là, Erzberger voit juste : la conclu-
sion de l’armistice est vitale, « sinon le peuple
nous brisera », tranche-t-il lors de la réunion
du cabinet de guerre. De fait, la grève géné-
rale gagne les ports de la Baltique puis les
grandes villes de l’intérieur où sont consti-
tués des conseils d’ouvriers et de soldats, sur
le modèle des soviets russes. Le 8, au mo-
ment où les plénipotentiaires allemands ar-
rivent à Rethondes, un mouvement insur-
rectionnel éclate à Munich, proclame la ré-
publique de Bavière et chasse le roi.
Le 9 novembre, tout se précipite. A l’initia-
tive des révolutionnaires spartakistes em-
menés par Karl Liebknecht et Rosa Luxem-
burg, l’émeute éclate à Berlin. Les usines
sont bloquées, le drapeau rouge flotte sur les
bâtiments publics, les manifestants submer-
gent la capitale et prennent d’assaut le châ-
teau impérial. A Spa, où il s’est replié depuis
quinze jours, l’empereur Guillaume II conti-
nue pourtant à refuser l’inéluctable, perdu
dans le souvenir de sa puissance passée.
L’état-major d’un côté, le chancelier de
l’autre vont lui porter le coup de grâce. Dans
la matinée, ses principaux généraux lui font
savoir qu’ils ne sont plus prêts à le suivre pour
rétablir l’ordre dans le pays. Rompant leur ser-
ment de fidélité, ils le lâchent. Max de Bade
fait de même à Berlin : il annonce carrément
que l’empereur a décidé d’abdiquer, que lui-
même démissionne et passe la main au socia-
liste Friedrich Ebert. Dépassé par les événe-
ments, le Kaiser finit par renoncer en début
d’après-midi. Le 10 au matin, il se résigne à
l’exil et gagne dans son train la frontière néer-
landaise pour demander l’asile.
DISCUTER, PROTESTER, MARCHANDER
A Rethondes, les nouvelles arrivent par bri-
bes. Dans la soirée du 9, les Français infor-
ment Erzberger des événements de Berlin et
veulent s’assurer que la délégation conserve
ses pleins pouvoirs. Il faudra, dans la soirée
du 10 novembre, deux télégrammes pour les
rassurer. Le premier, signé du maréchal von
Hindenburg, demande des aménagements
sur plusieurs dispositions, mais ajoute : « Si
l’on ne parvenait pas à des conditions moins ri-
goureuses, il faudrait tout de même conclure. »
Confirmant ce feu vert, le second est signé
d’un laconique et anonyme « Le chancelier du
Reich » ; en réalité, il provient également de
l’état-major, qui préfère court-circuiter un
pouvoir berlinois en pleine ébullition.
A 2 h 15, le 11 novembre, la dernière scène
peut donc commencer dans la voiture
2419-D. Elle va se terminer à 5 h 30. Trois heu-
res durant, stoïque et acharné, Erzberger va
discuter, protester, marchander, plaider li-
gne à ligne la cause de son pays. « A propos de
presque chaque article de l’armistice, j’es-
sayais d’obtenir de nouvelles atténuations. »
Même si c’est à la marge, sa ténacité est
payante. Les Allemands devront livrer
25 000 mitrailleuses au lieu de 30 000 ; 1 700
avions au lieu de 2 000, 5 000 camions au
lieu de 10 000 ; en revanche, les Alliés restent
QUAND ERZBERGER
S’APPRÊTE À LUI
SERRER LA MAIN,
LE MARÉCHAL FOCH
LUI OPPOSE
UN SIMPLE SIGNE
DE TÊTE. L’ALLEMAND,
POUR L’HEURE,
RESTE L’ENNEMI
inflexibles sur le nombre de locomotives et
de wagons. La zone neutre sur la rive droite
du Rhin est ramenée de 30 à 10 kilomètres.
Le délai d’évacuation de la rive gauche est
porté de vingt-cinq à trente et un jours et la
durée de l’armistice de trente à trente-six
jours, sa prolongation relevant d’une com-
mission internationale présidée par Foch.
Le négociateur allemand ne lâche rien. Il ob-
tient qu’aucune poursuite judiciaire ne soit
engagée contre les Allemands qui ont parti-
cipé à des « mesures de guerre » (bel euphé-
misme pour évoquer destructions massives,
vols ou prises de civils en otage…) dans les ter-
ritoires occupés. « Ce fut l’article 26, sur la con-
tinuation du blocus, qui provoqua les plus vifs
débats. La lutte dura plus d’une heure. J’expli-
quai comment cet article équivalait à conti-
nuer à affamer l’Allemagne. Je montrai que
c’étaient des femmes et des enfants qui avaient
le plus à souffrir de ce blocus. Je déclarai, avec le
comte Oberndorff, que le procédé n’était point
“fair”. L’amiral anglais s’emporta et répliqua :
“Pas fair ! Souvenez-vous que vous avez coulé
nos bateaux sans faire aucune distinction !” »
Mais Erzberger finit par arracher l’engage-
ment de principe que les Alliés ravitailleront
l’Allemagne pendant la durée de l’armistice.
A 5 h 12, l’on a épuisé l’examen des trente-
quatre articles. Par souci de simplicité, Foch
décide de noter 5 heures, pour que l’arrêt des
combats intervienne à 11 heures du matin
(heure française). Et pour ne pas perdre une
minute, il propose que ne soit dactylogra-
phié dans l’immédiat que le dernier feuillet
du document. Erzberger opine. « La signa-
ture commença à 5 h 20. Deux exemplaires fu-
rent établis. Le maréchal Foch et l’amiral We-
myss signèrent les premiers, puis les plénipo-
tentiaires allemands. Nos deux braves offi-
ciers, le général von Winterfeldt et le capitaine
Vanselow avaient les larmes aux yeux en pre-
nant la plume. »
Le moment est venu de conclure. Impertur-
bable, le chef de la délégation allemande se
lève et commence à lire un texte dont il de-
mande l’annexion à la convention : « Le gou-
vernement allemand s’efforcera naturelle-
ment de veiller de toutes ses forces à l’exécu-
tion des conditions imposées. Mais les plénipo-
tentiaires allemands ne peuvent laisser
subsister aucun doute sur le fait que la brièveté
des délais d’évacuation ainsi que la livraison
des moyens de transport indispensables me-
nacent de provoquer une situation qui peut les
mettre dans l’impossibilité de poursuivre l’exé-
cution des conditions. » Dans un silence de
plomb, il poursuit : « Les plénipotentiaires
considèrent comme leur devoir d’insister vive-
ment sur ce point que l’exécution de cette con-
vention peut précipiter le peuple allemand
dans l’anarchie et la famine. » Il termine, solen-
nel : « Un peuple de 70 millions d’hommes souf-
fre mais il ne meurt pas. » « Très bien », répond
Foch, pressé d’en finir. Et comme Erzberger
s’apprête à lui serrer la main, le maréchal lui
oppose un simple signe de tête. Après cin-
quante et un mois de lutte sans merci, l’Alle-
mand, pour l’heure, reste l’ennemi.
Le retour est cruel. Après avoir récupéré la
version complète, dactylographiée, de la con-
vention, la délégation allemande quitte
Rethondes à 11 heures, au moment même où
l’armistice prend effet. Son train met cinq heu-
res à regagner la gare de Tergnier, rideaux tirés
sur les fenêtres. Erzberger se souvient : « Toutes
les gares étaient pleines de monde, parce qu’on
avait su que nous retournions en Allemagne.
L’animation et la joie régnaient partout. Quel-
ques menaces furent prononcées. »
« COUP DE POIGNARD DANS LE DOS »
A Spa, le lendemain, il a la satisfaction de re-
cevoir les félicitations de l’état-major : « Nos
négociations dépassaient tout ce qu’il avait pu
espérer. » Le maréchal von Hindenburg
adresse alors à ses armées ce dernier et stupé-
fiant message : « Notre gouvernement a dû ac-
cepter les dures conditions d’un armistice.
Nous sortons de cette guerre droits et fiers,
après quatre ans de lutte contre un monde
d’ennemis. » Déjà, il esquisse à mi-mots la
thèse du « coup de poignard » qui aurait été
planté « dans le dos » de l’armée allemande
par des civils défaitistes.
Bientôt, le nazisme naissant, puis triom-
phant, n’aura de cesse de dénoncer « les cri-
minels de novembre ». Au premier rang des-
quels Matthias Erzberger, forcément coupa-
ble : signataire de l’armistice, négociateur
avec Foch de ses trois prolongations au début
de 1919 puis étroitement associé à la prépara-
tion de la Conférence de la paix et qui, enfin,
le 23 juin 1919, lors d’une réunion dramati-
que, pesa de tout son poids pour que le gou-
vernement allemand ne rejette pas le traité
de Versailles, signé le 28 juin. Le 26 août 1921,
il est assassiné de six coups de pistolet par
deux anciens officiers de marine, membres
de l’organisation pangermaniste Consul.
Quant au wagon 2419-D, Hitler l’emportera
jusqu’à Berlin à l’été 1940 : trophée éclatant
de sa victoire sur la France, revanche accom-
plie sur l’humiliation de Rethondes. p
gérard courtois
Prochain épisode Les soldats méconnus
de Vrigne-Meuse

34 |
Hôtel Meurice, suite 506,
avec Ornette Coleman
O
rnette Coleman au Meurice.
Free Jazz sous les lambris !
L’ange du bizarre à « l’Hôtel
des rois »… Pourquoi pas Bou-
lez au Moulin-Rouge ? Les yeux à l’envers,
je repose le combiné dans l’évier. Repre-
nons. Ce vendredi de vendanges, en tout
début du siècle, il est 10 heures, 10 h 05. Je
prépare mon séminaire sur Le Bleu du ciel.
De jolis cumulus fessus traversent celui
de Paris. Coup de téléphone bizarre. La
sonnerie, déjà… Voix de dame de la haute.
Castafiore surjouée par Cécile Sorel : « Al-
lôôôô ? Monsieur Francis de Mioman-
dre ? » Cette imbécile et fréquente confu-
sion avec Miomandre, prénom Francis,
Prix Goncourt mort et oublié depuis
1959, me gonfle.
Peu contrariant : « J’écoute… »
– « Voilâââââ… Je suis chargée de vous
annoncer que M. Bill Coleman vient rece-
voir bientôt le Grand Prix de l’empereur du
Japon. » Nooooon ! « Lequel lui sera remis
par M. Raymond Barre, en la galerie des
Glaces du château de Versailles. » Pas be-
soin de sous-titres. Après Miomandre,
prénom Francis, la duchesse recyclée
dans l’événementiel confond Bill Cole-
man (1904-1981), excellent trompettiste
quasi contemporain de Louis Armstrong
(1901-1971), avec Ornette Coleman (1930-
2015). Noms d’esclaves…
Richement doté, le Praemium Impe-
riale ne découvre personne, il consacre.
Les plus grands artistes l’obtiennent, en
toutes disciplines. Musique ? Boulez, Ros-
tropovitch, Fischer-Dieskau, Oscar Peter-
son… Le nom si féminin d’Ornette, dans la
liste, semble aussi incongru que, com-
ment dire, bienvenu.
Ornette Coleman, l’avant-garde des six-
ties, « père du funk free rock » dans les ei-
ghties (ciel !), ne vient pas d’une famille
pauvre du ghetto de Fort Worth (Texas).
Non. Il vient d’une « pô family ». Le lum-
pen. « Pô family » soudée par la musique,
l’église et la mère, assez aimante pour le
prénommer Ornette. Unique au monde.
La mère de Monk l’avait bien prénommé
Thelonious Sphere…
Ornette ! Le Marcel Duchamp de l’im-
provisation collective. L’album Free Jazz :
a Collective Improvisation, en double
quartet, est publié, sous couverture de
Jackson Pollock, en 1961 : Ornette a 30 ans
et vient d’aligner cinq albums aux titres
cinglants : Something Else !!!!, The Shape of
Jazz to Come, Change of the Century, This
Is Our Music et Tomorrow Is the Question !
Cinq albums aussi clivants que le be-bop
et Charlie « Bird » Parker, vingt ans plus
tôt. Bird, dont Ornette Coleman sait jouer
tous les chorus par cœur. Le « jazz », la
« grande musique noire » (« Great Black
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
Music »), et toutes celles qu’elle a irriguées
partout : la révolution du siècle en accé-
léré. C’est si rare, une révolution réussie.
Ornette, Raymond, Versailles, la galerie
des Glaces, l’empereur… Ça sent la contre-
pèterie et l’oxymore, mais c’est sensation-
nel. « Vous serez notre invité, M. Bill Cole-
man y tient. » Je me confonds. Ronds de
jambes, menuets, gavottes et rigodons :
« Chère petite madame, j’aurai grand plai-
sir, comme toujours, à rencontrer M. Or-
nette Coleman… Oui, en son hôtel. L’Hôtel
Meurice ? Parfait. Suite 506 à 15 heures,
mardi prochain ? J’y serai. » Rencontrer le
compagnon de Jayne Cortez, poète, est
toujours ce bonheur de cristal.
« Harmolodie » free, amour et luttes
Arrive le mardi du taxi, une Peugeot 506.
A bord, je sifflote Lonely Woman, Angel
Voice… Des airs gorgés de blues, dansants,
chaque note tendue comme un slogan. La
Peugeot vire devant Arts et Métiers : « Je
fais peur, m’avait dit Ornette, ici, un soir
de 1995, devant l’avion léger Blériot XI,
alors que nous visitions le musée. On m’a
pris pour un fantôme. J’avais un son auquel
les gens n’étaient pas habitués. Leur peur
m’a rendu triste. Les gens n’aiment que ce
qu’ils connaissent déjà. Or, moi, je voudrais
tomber amoureux de plusieurs choses à la
fois. C’est ce que la vie peut offrir de plus
précieux. » « Harmolodie » sentimentale.
Soit la fusion simultanée des rythmes et
tonalités. Une polyphonie spontanée.
Ornette a toujours fait scandale. Au
point de se faire casser la gueule à plu-
sieurs reprises. Pas pour la couleur de sa
peau, si j’ose dire, mais pour ce qu’il fait
du jazz. Pour ce qu’il fait au jazz : « Pour-
tant, je ne faisais de mal à personne et je
pensais qu’avec ma barbe et mes cheveux
longs, je passerais incognito… » Incognito.
Cher Ornette… « A Fort Worth, vous n’aviez
pas à penser à qui vous étiez ni à ce que
vous vouliez. Vous aviez juste à vous préoc-
cuper de survivre. »
De là à se retrouver au Meurice à 71 ans…
J’ai assez adulé Armstrong, Bechet, Lester
Young, Charlie Parker, Lennie Tristano,
Dolphy, Mingus, Coltrane, toutes sortes
QUAND JE SONGE
À SON PREMIER CONCERT EN
EUROPE… 4 NOVEMBRE 1965
À « LA MUTU », SONNY ROLLINS
EN PREMIÈRE PARTIE ! ILS ONT
35 ANS ET MOI, 20. ELLE, 18
Francis Marmande a partagé
PASSI O N JA Z Z 1 | 6
l’intimité des plus grands musiciens d’un genre
en perpétuelle révolution. Aujourd’hui, étrange
rencontre, à Paris, avec le précurseur du « free »
d’inconnus, pour adhérer de suite à Or-
nette. Toujours aimé le jazz, avant que de
le connaître. Au mur de ma chambre de
lycéen, là-bas, à Bayonne, j’avais punaisé
sa photo au violon.
Quand je songe à son premier concert
en Europe… 4 novembre 1965 à « la
Mutu », Sonny Rollins en première par-
tie ! Ils ont 35 ans et moi, 20. Elle, 18. Nous
venons de voir coup sur coup, trois fois,
Pierrot le fou. La Mutualité, temple grisâ-
tre des violents meetings politiques, est
loin de faire le plein. Public de connais-
seurs en grand deuil. Plus onze jeunes
fous. La veille encore, le 3 novembre, nous
étions ici – Sartre et Beauvoir à la tribune
– pour dénoncer les barbouzes gaullistes
(affaire Ben Barka). Un prolo en cana-
dienne avait pris mon pote dans ses bras :
« Enfin ! La jeunesse nous rejoint. »
Le jazz, c’est ce grand chambardement.
« Harmolodie » free, amour, luttes, lar-
mes et rires. Extrême contemporain hors
piste. Vian, Godard, Ornette. L’autre vie.
Ou alors, tzim-boum-boum, chabada,
bruit de fond, passez, muscade ! Le free-
jazz (« Libérez le jazz ! ») ne court pas le ris-
que de finir en musique d’ascenseur.
Tiens, je passe devant celui du Meurice.
Dans une de ses galères, Ornette a fait lif-
tier. Bloquant la cabine entre le 46e et
47e étage pour terminer la lecture d’un
traité d’harmonie. Viré sur-le-champ.
Au cinquième étage, Denardo, le fils
d’Ornette, m’accueille. Souplesse d’ath-
lète, bon sourire, prévenant. Denardo est
la bête noire des vérificateurs du jazz. Cal-
culette en main, les vérificateurs le trou-
vent trop ceci, pas assez cela. Depuis l’âge
de 12 ans, Denardo est le batteur de son
père. Il assure, il rassure, s’occupe de tout.
Il sait bloquer les billets d’avion, ménager
des jours off en tournée et dénicher un ra-
soir à minuit. En scène, derrière le quartet
du père qui ne dirige rien, il bombarde à
propos.
Suite 506, Ornette. Nous nous prenons
dans les bras sans excès d’effusion. De-
nardo s’éclipse. Ornette, corps dansant,
empoté, gauche, un peu égaré, apprivoise
les salons de la suite. Moi itou. Tous deux,
en somme, surclassés. Classique, je
prends des nouvelles de son grand traité
d’« harmolodie ». Sa théorie annoncée,
que raillent en cadence les vérificateurs.
Voix douce, léger chuintement : « Le mot
m’est venu très tôt, dans les années 1950, à
Fort Worth. La ségrégation qui y régnait
alors m’a permis de comprendre. C’étaient
comme des territoires où les gens de la
communauté avaient peur de faire preuve
d’intelligence. Ils étaient épouvantés. La sé-
grégation, c’est cette peur de se montrer in-
telligent. Pour les Noirs en Amérique, dans
les dix dernières années, les choses ont
beaucoup évolué, et, malgré tout, le résul-
tat n’est pas… comment dire ? n’est pas si
humain. » Les lustres hollandais hochent
de la pampille. Des valets très stylés nous
gavent de jus d’orange.
« Ce qu’on a fait de plus fou dans le jazz »
Quelques projets ? « Oui, je prépare un bal-
let de huit danseurs qui représentent huit
cultures, vous voyez, comme un arc-en-
ciel. L’œuvre est inspirée d’un texte de Ste-
phen Hawking. » Je vois. Votre prochain al-
bum ? : « Une fête, une explosion, un feu
d’artifice ! Ce qu’on a fait de plus fou dans le
jazz, le pop, le folk, le classique, le funk, le
be-bop et tout ce que vous voudrez… Un
bonheur analogue à l’allégresse de Free
Jazz, quarante ans après… »
Improvisateur ? Rebelle ? Subversif ?
« Rappelez-vous ce scientifique, C.P. Snow.
Il avait travaillé sur la bombe atomique et
il est mort vierge ! Vous vous rendez
compte ? La bombe, toc, il meurt vierge. Ce
qui signifie que personne ne peut dire sé-
rieusement qui il est. » Soufflé, je tente un
dégagement : « Vous avez remarqué l’as-
censeur ? C’est la réplique exacte de la
chaise à porteurs de Marie-Antoinette. »
Bingo ! « Racontez-moi… Ce roi ? Ces rei-
nes ? Ce château ? Versailles ? Cette galerie
des Glaces ? » Pile-poil. J’y ai vécu. Pas au
château, mais dans les quartiers ouvriers
de la ville. J’improvise une vie de
Louis XIV. Et dans l’élan, celle de Louis XIII.
L’air de rien, je désigne le saxophone
alto en plastique blanc. Lequel nous fixe
en silence dans son couffin doublé de sa-
tin rouge : « On ne vous l’a pas vu depuis
longtemps… C’est celui dont vous jouiez le
4 novembre 1965, à la Mutualité, en
deuxième partie de M. Rollins ?
– Merci de me rappeler la date. Oui,
c’était mon premier concert en Europe. Je
0123
MARDI 17 JUILLET 2018
ne suis jamais revenu chez vous avec cet
instrument.
– Vous allez jouer ? »
En effet, on lui a demandé une petite im-
provisation dans la galerie des Glaces. Le
titre ? « Je ne l’ai pas : vous ne voudriez pas
m’aider ? » Trop beau ! J’« harmolodise » à
l’amiable. Je narre Lully, Molière, je me
fais horloger de cour, porte-coton, et tout-
à-trac, songeant à Raymond Barre et à la
Castafiore : « Dites donc, pourquoi ne pas
reprendre un titre de Molière : L’Im-
promptu de Versailles ? Il s’agit d’un petit
acte musical qui feint l’improvisation. Ça
devrait beaucoup plaire à M. Raymond.
– Formidable. Great ! Permettez-moi de
noter. L’impromptiou. L’impromptiou de
Versailles ? C’était improvisé, musique
comprise ?
– Je ne saurais vous dire…
– Vous pourriez me communiquer le
texte ? »
La lumière de septembre blanchit sur les
Tuileries. Soudain apparaît Denardo,
blême. Il empoigne la télécommande :
« Père, ils sont en train d’attaquer New
York ! » Un instant, bien couillon, je me dis
que le plus innocent n’est peut-être pas le
père. Ecran blanc. Dans un silence vide de
toute musique, sous les bégaiements d’un
commentateur pas beaucoup plus hébété
que nous, éclats de voix au loin, image
bougée, foule qui court, corps qui chutent,
Ornette Coleman, Denardo et moi voyons
à l’œil nu se produire le grand imprévu.
Des titres d’Ornette me scient la tête :
New York is Now !, Skies of America, Twins…
La deuxième tour est encore debout. Avec
ce 747 qui fonce droit sur elle. J’ai tant aimé
les avions… Pétrifiés. Une heure sans bou-
ger, sans un mot. Ornette me laisse enten-
dre qu’il faut partir. Je me demande à quoi
ils pensent, eux, père et fils. Il se lève. Je me
lève aussi. Brefs embrassements de palier.
Couloir, moquette où je m’enlise, je tan-
gue dans le feutre. Et lui ? Tiens, il apparaît
plus loin, à l’autre porte, tel un clown mé-
taphysique. Nous nous lançons des signes
un peu idiots avec un sourire difficile.
Nous venions d’être le mardi 11 septem-
bre 2001. p
francis marmande
Prochain épisode John Lee Hooker
 РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS

0123
MARDI 17 JUILLET 2018 | 35

Susan Wojcicki, du garage Google

aux manettes de YouTube
A la tête de sites, d’applications, de forums ou de réseaux
TAL ENTS DU NET 1| 6
MA CHANSON sociaux florissants, ils développent la Toile avec efficacité et discrétion.
D ’A M O U R Dans l’aventure Google depuis ses débuts, la Californienne Susan Wojcicki
est devenue la patronne de la plate-forme vidéo en 2014
CATHERINE DENEUVE
« LES PARAPLUIES
A
utomne 1998, Menlo Park,

DE CHERBOURG » dans la Silicon Valley, en Ca-

DE MICHEL LEGRAND
Avec plus de 120 films en
soixante ans, l’actrice Catherine
Deneuve est une ambassadrice du
cinéma français. C’est à Jacques
Demy qu’elle doit le vrai démar-
rage de sa carrière. En décembre,
elle sera à l’affiche, au côté de sa
fille, Chiara Mastroianni, du film
Le Dernier Vide-Grenier de Claire
Darling, de Julie Bertuccelli.
« Je pense tout de suite à l’air des
Parapluies de Cherbourg de Jac-
ques Demy, sur une musique de
Michel Legrand. C’est la chanson
de la scène où j’accompagne mon
amoureux à la gare. “Non, je ne
pourrai jamais vivre sans toi…”
Quand on a connu un grand
amour, c’est quelque chose qu’on
se dit – sans forcément le dire à
l’autre. Cette chanson raconte
l’impossibilité de redevenir un
être unique, la perte de l’indépen-
dance, l’état d’émotion tellement
fébrile, tellement violent…
Je vois l’amour comme quelque
chose de dramatique. Le happy
end à l’américaine, ça ne me
convainc pas tout à fait. Le côté
tragique me semble plus vrai,
avec l’exacerbation des senti-
ments, des sensations. L’amour
passionné se termine rarement
bien. Cette chanson m’évoque des
choses personnelles. Il m’arrive
de la chanter, pas forcément lors
de moments tristes, plutôt dans
des moments lyriques.
Expérience inoubliable
“Avec ce qui se passe en Algérie en
ce moment…” De manière furtive,
la chanson évoque la guerre d’Al-
gérie – le film est un des premiers
à en parler. En 1963, lors du tour-
nage, c’était une période qu’on ve-
nait de vivre. J’avais été très tou-
chée : j’avais à l’époque un amou-
reux qui avait dû partir faire la
guerre en Algérie, et la séparation
avait été difficile. Quand je chante
cet air, je pense à lui.
Et si cette musique me vient
souvent en tête, c’est parce qu’elle
évoque un film qui fait partie de
ma vie, une expérience qui m’a
transportée. Les Parapluies de
Cherbourg a été important pour
moi, le film est très présent dans
ma mémoire. Au-delà de son suc-
cès, la rencontre avec Jacques
Demy a été déterminante. On
est restés très liés. Je ne sais pas
si j’aurais continué à faire du
cinéma si nos chemins ne
s’étaient pas croisés.
Tourner un film en musique,
avec cette mise en scène telle-
ment lyrique, ces grands travel-
lings, a constitué une expérience
inoubliable. Déjà, lors de l’enregis-
trement de la musique auquel
j’avais assisté – j’avais appris mon
rôle en play-back –, je me sou-
viens à quel point tout le monde
était bouleversé avant même que
ne commence le tournage. Le film
est une tragédie musicale, un
opéra tragique, et Michel Legrand
est l’auteur de la moitié des Para-
pluies. Jacques Demy et lui étaient
en osmose, il écrivait les paroles,
Michel la musique… Leur collabo-
ration était incroyable. » p
propos recueillis par
alexis duval
Prochain épisode Daniel Pennac :
« Ça va, ça vient », de Boby Lapointe.
lifornie. Deux étudiants de
l’université Stanford vien-
nent de mettre au point un moteur de
recherche en ligne. Ils ont tout juste
25 ans et ils ont un problème : ils ne sa-
vent pas où installer leur entreprise
balbutiante. Ils trouvent la solution
auprès d’un couple de copains : louer
leur garage, à deux pas du campus.
Tout cela paraît banal. Mais se pencher
sur l’identité des protagonistes revient
à plonger dans l’une des légendes d’In-
ternet. Les étudiants en quête de mè-
tres carrés sont Larry Page et Sergey
Brin. Leur petite invention, c’est Goo-
gle. La propriétaire du garage, c’est Su-
san Wojcicki. Elle ne sait pas qu’elle
contribue à poser la première pierre du
moteur de recherche. Ni qu’elle sera de
l’aventure Google. Vingt ans plus tard,
Susan Wojcicki, 50 ans, est une figure-
clé du groupe, qui emploie 85 000 per-
sonnes et dépasse les 100 milliards de
dollars de chiffre d’affaires.
Si Susan Wojcicki est une star des
nouvelles technologies, elle est peu
connue du grand public. Un autre épi-
sode, cette fois au milieu des années
2000, résume son rôle-clé au sein du
groupe. L’entreprise s’est imposée
dans le monde entier ou presque.
Pour les images animées, en revanche,
ça patine. La jeune femme dirige Goo-
gle Vidéos, mais les jeunes sont plus
attirés par une nouvelle plate-forme
de vidéos amateurs qui lui fait de l’om-
bre, YouTube. Les contenus viraux pi-
quent la curiosité de Susan Wojcicki,
convaincue que Google doit acheter
YouTube. « Il ne m’a fallu qu’une heure
pour rassembler mes arguments en fa-
veur de cette acquisition, explique-t-
elle aux Echos, en mars 2017. J’ai été
surprise de constater que des gens trou-
vaient un intérêt à poster leurs vidéos,
et encore plus que d’autres prenaient
plaisir à les regarder. »
« REINE DU TOUT PETIT ÉCRAN »
Et c’est ainsi que Google achète You-
Tube, en 2006, devenu la plate-forme
de vidéos en ligne la plus importante
au monde vingt mois après sa créa-
tion, pour 1,65 milliard de dollars. Lo-
giquement, Susan Wojcicki en de-
vient la PDG en 2014. Plus d’un mil-
liard d’heures de vidéos sont vision-
nées chaque jour sur le site, qui réussit
l’exploit de détrôner la télévision et
les réseaux sociaux dans le cœur des
jeunes internautes. Ce qui vaut à Su-
san Wojcicki le surnom de « reine du
tout petit écran », que lui a attribué la
presse américaine. Joli parcours pour
celle qui a commencé sa carrière
comme subalterne chez Intel et qui
fait partie, depuis 2011, des vice-prési-
dents seniors de Google – l’Olympe de
la firme –, avec en prime une fortune
personnelle estimée par le magazine
Forbes à 300 millions de dollars.
La formation de Susan Wojcicki est
atypique. Elle est née dans la Silicon
Valley, mais son intérêt pour les affai-
res et l’informatique s’épanouit sur le
tard. Elle commence par étudier l’his-
toire et la littérature à l’université Har-
vard. Comme les cofondateurs de Goo-
gle, elle grandit dans un milieu univer-
SON INTÉRÊT
POUR LES AFFAIRES
ET L’INFORMATIQUE
S’ÉPANOUIT SUR LE
TARD. ELLE COMMENCE
PAR ÉTUDIER L’HISTOIRE
ET LA LITTÉRATURE
Susan Wojcicki et le logo de YouTube. MISE EN SCÈNE MARTYNA PAWLAK POUR « LE MONDE » - PORTRAIT ÉRIC GAILLARD/REUTERS
sitaire. Son père, immigré polonais, est
professeur de physique à Stanford ; sa
mère enseigne le journalisme. « Nous
avions tous ces gens extraordinaires
autour de nous qui tenaient vraiment à
faire quelque chose de significatif pour
le monde. Ils ne se souciaient pas vrai-
ment de devenir célèbres ou de gagner
de l’argent », confie-t-elle au magazine
d’affaires américain Fast Company
en 2014. Et de compléter auprès du
Wall Street Journal deux ans plus tard :
« Mon père est très bon pour aborder les
problèmes de façon analytique, et ma
mère est toujours là pour faire quelque
chose d’amusant et d’inhabituel, je
pense avoir ces deux côtés. »
C’est en côtoyant ses locataires du
« Google garage » qu’elle mesure l’im-
pact que peut avoir leur outil. « Un
jour, je n’ai pas pu accéder à leur mo-
teur et je me suis rendu compte que je
ne pourrais pas faire mon travail. J’ai
réalisé que Google pourrait aider les
gens partout dans le monde pour trou-
ver de l’information », explique-t-elle
dans un entretien à Forbes, en 2016.
Elle n’hésite pas longtemps à s’enga-
ger, devenant la seizième salariée du
groupe, en 1999, la première au profil
marketing dans une équipe dominée
par les sciences informatiques.
« Avant qu’il y ait un service de ressour-
ces humaines, elle s’est beaucoup occu-
pée des recrutements. Elle a aidé à met-
tre la dernière touche au logo origi-
nal », rappelle Mark Malseed, coau-
teur du livre Google Story (Dunod,
2006).
Elle aime les projets concrets qui
aboutissent vite et sont accessibles à
un large public. Plusieurs fonctionnali-
tés de Google, parfois révolutionnai-
res, sont d’ailleurs à mettre à son cré-
dit : les Doodles, ces illustrations tem-
poraires sur la page d’accueil, ou Goo-
gle Images, qui permet de faire des
recherches de photos. Des réussites
dont la chef « très talentueuse et très
respectée », selon Mark Malseed, pré-
fère partager le mérite avec ses équi-
pes. Il est vrai qu’afficher ses succès ne
fait pas partie de la culture maison.
S’il ne faut retenir qu’un secteur où
Susan Wojcicki a laissé son empreinte
chez Google, c’est la publicité. Avant
de diriger YouTube, elle a supervisé
ELLE ESSUIE
DES CRITIQUES À CAUSE
DE SON FAIBLE
INTERVENTIONNISME
SUR LES CONTENUS
PROBLÉMATIQUES
ET VIOLENTS
l’ensemble du secteur publicitaire de
l’entreprise. Et c’est là aussi qu’elle est
controversée. La publicité est la pre-
mière source de revenus de Google,
grâce à AdSense, lancé en 2003 et dont
elle est à l’origine. Ce système vision-
naire et lucratif permet à des centai-
nes de milliers de petits sites et blogs
de se faire un peu d’argent en affi-
chant des publicités diffusées par la
régie Google. Elle se fera également la
grande avocate de la publicité ciblée
en ligne – qui analyse les goûts de l’in-
ternaute –, pratique des plus criti-
quées par les défenseurs de la protec-
tion des données privées.
ÂPRE NÉGOCIATRICE
En tant que meilleure money maker
de Google, elle a été nommée à la tête
de YouTube il y a quatre ans. Bien que
le site soit très populaire, il peine à être
rentable. Apre négociatrice sous ses
airs avenants, Susan Wojcicki doit atti-
rer les annonceurs de la télévision
mais aussi s’aventurer sur le terrain de
Netflix et d’Amazon en construisant
une offre payante. Une gageure pour
une plate-forme qui s’est bâtie autour
des contenus gratuits et de la viralité
et dont les youtubeurs vilipendent les
nouvelles règles de monétisation.
Depuis qu’elle dirige YouTube, et en-
core plus depuis quelques mois, elle
essuie d’autres critiques à cause de
son faible interventionnisme sur les
contenus problématiques et violents.
En réponse, la nouvelle PDG ne perd
ni son calme ni son sourire. Elle prend
même plaisir à représenter la plate-
forme publiquement, à rencontrer ses
célèbres vidéastes, à ouvrir sa chaîne
YouTube, qu’elle alimente très peu,
faute de temps, et se risque parfois à
faire un trait d’esprit. Facebook ferait
mieux de « revenir aux photos de bé-
bés », lançait-elle lors d’une confé-
rence, en février, à propos de son prin-
cipal concurrent. Susan Wojcicki reste
calme, car elle a toute la confiance de
Sergey Brin et de Larry Page. Logique.
Elle est de la famille. « Ils ont travaillé
ensemble, pendant de longues heures,
à façonner la célèbre culture Google.
Tous les employés du début ne sont pas
restés, mais Susan Wojcicki oui », ré-
sume Mark Malseed. Et puis son
époux, Dennis Troper, est aussi cadre
de l’entreprise, et sa sœur Anne a été
mariée à Sergey Brin.
Susan Wojcicki est de la famille, et,
du reste, sans s’étendre sur sa vie pri-
vée, elle aborde fréquemment le fait
qu’elle a cinq enfants. Enceinte du pre-
mier lorsqu’elle a intégré Google, elle
a accouché de son benjamin après son
arrivée à YouTube. « Beaucoup de fem-
mes sont embarrassées et ne veulent
pas en parler, pensant que ça va nuire à
leur carrière, et c’est vraiment très in-
juste », confie-t-elle au Financial Ti-
mes, en avril 2016. Bien au contraire,
elle affirme qu’être mère la rend
meilleure femme d’affaires. « Comme
j’essaie d’être auprès de mes enfants
tous les soirs de 18 heures à 21 heures,
cela m’oblige à prioriser et à me con-
centrer sur les choses qui auront un
plus grand impact », détaille-t-elle à
l’émission « NBC Today », en 2014.
Dans le cercle proche des fondateurs,
Susan Wojcicki est l’une des rares fem-
mes, alors même que Google et sa mai-
son mère, Alphabet, forment l’un des
groupes les plus volontaristes en ma-
tière de parité et de diversité ethnique.
L’Américaine se fait l’ardente défen-
seuse du congé maternité rémunéré,
que Google a instauré pour lutter con-
tre les nombreux départs des femmes
de l’entreprise. Dans une Silicon Valley
dominée par les hommes blancs, Su-
san Wojcicki est donc bien un exem-
ple. Et même une exception. p
pauline croquet
Prochain épisode Pavel Durov,
fondateur russe de Telegram
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36 | 0123
MARDI 17 JUILLET 2018

S ur la Corniche de Beyrouth, une

étrange installation de robes de
mariée flottant dans la brise marine
comme des fantômes a frappé l’imagi-
naire des Libanais. Il s’agit de l’une des
nombreuses interventions menées
en 2017 par l’ONG Abaad, qui parvint à con-
vaincre les parlementaires libanais d’abro-
ger l’article 522 autorisant un violeur à
échapper à la prison s’il épouse sa victime.
Il se pourrait bien que les féministes, les
politologues et les historiens se penchent
à l’avenir sur cette année 2017 pour
identifier les facteurs qui auront enclen-
ché la fin du patriarcat arabe.
L’installation de Beyrouth n’est pas la
seule avancée réalisée récemment dans la
région : pour la première fois en Arabie
saoudite, le 24 juin, les femmes étaient of-
ficiellement autorisées à conduire ; au Li-
ban, en Palestine et en Jordanie, la loi per-
mettant aux violeurs d’épouser leurs vic-
times a été abolie, et en Tunisie, premier
pays arabe autorisant les femmes musul-
manes à épouser des hommes d’une
autre religion, une loi d’ampleur contre
les violences domestiques, le harcèle-
ment dans les lieux publics et la discrimi-
nation salariale a été votée. Pendant ce
temps, en Syrie, sept années de guerre et
de déplacements forcés ont renversé les
rôles traditionnels entre les femmes et les
hommes ; les femmes et les jeunes filles
ayant dû quitter le foyer familial pour de-
venir les nouveaux chefs de famille,
même sans grandes ressources.
Dans nombre de ces pays, la reconfigura-
tion de problèmes culturellement sensi-
bles par des militants locaux et des fémi-
nistes n’a pas simplement ouvert de nou-
veaux horizons au débat public sur la ques-
tion des femmes. Les femmes
commencent à l’emporter sur des hommes
qui jusque-là étaient encore indifférents.
Depuis Schéhérazade déjouant son
assassinat programmé dans les Mille et
Une Nuits, on a admis que la violence con-
tre les femmes et la misère sexuelle des
Arabes faisaient partie de la vie du Moyen-
Orient. Durant toutes ces années où j’écri-
vais sur le Moyen-Orient, de 1979 jusqu’à
aujourd’hui, la répression des femmes
dans ma famille chrétienne de Jordanie a
été tour à tour superficielle et profonde.
En 1970, ma jeune tante Basemah arborait
sur une photo de famille une minijupe
qu’on ne tolérerait plus aujourd’hui dans
les rues de Jordanie. Basemah, mon père et
la plupart de leurs frères et sœurs émigrè-
rent aux Etats-Unis entre les années 1950
et 1960. Mais bien qu’elle ait grandi dans le
Midwest, ma cousine germaine n’a pas été
épargnée. Son séjour au pays se conclut par
un mariage arrangé dont elle ne voulait
pas mais qu’elle accepta quand même.
Quand ma cousine, ancienne banquière,
expliqua qu’elle avait dû « apprendre à par-
donner sa mère », ce fut comme si l’on avait
sorti du placard un cadavre familial vieux
de trente ans. Ma tante, conservatrice, était
de celles qui faisaient l’éloge de leurs fils,
rarement de leurs filles.
Avec ou sans les protections que procu-
rent l’appartenance à une certaine classe
sociale, une éducation ou la famille, la vie
de la plupart des femmes d’Afrique du
Nord et du Moyen-Orient ne leur appar-
tient jamais tout à fait. Même les princes-
ses ont disparu. La fille de l’émir de Dubaï,
Sheikha Latifa Al-Maktoum, 32 ans, a été
vue pour la dernière fois sur YouTube dans
une vidéo où elle suppliait qu’on la libère,
avant d’être enlevée et forcée de rentrer
dans son pays. Les dangereux contours des
notions de haram – « l’interdit » en terre
DEPUIS SCHÉHÉRAZADE
DÉJOUANT SON ASSASSINAT
PROGRAMMÉ DANS « LES
MILLE ET UNE NUITS », ON
A ADMIS QUE LA VIOLENCE
CONTRE LES FEMMES ET
LA MISÈRE SEXUELLE DES
ARABES FAISAIENT PARTIE DE
LA VIE DU MOYEN-ORIENT
nuancés qui travaillent aussi à réhabiliter
leur religion. En Malaisie, l’ONG Musawah,
fondée par des militantes, des historien-
nes, des juristes et des théologiennes du
Moyen-Orient, promeut l’égalité et la
justice au sein des familles musulmanes.
Dans les dernières vidéos qu’elle a mises
en ligne, elle offre des outils pratiques et
des analyses pour réformer la loi islamique
de la famille.
Dans le climat actuel, pour pouvoir
contrer les interprétations traditionnelles
portant sur le corps des femmes et leur
sexualité, il faut faire preuve de sensibilité
mais aussi savoir ruser. Comme Shereen
El Feki, auteur de La Révolution du plaisir
(Autrement, 2014), l’expliquait au Guar-
dian : « La virginité, définie par un hymen
intact, ne relève pas d’un contrôle indivi-
duel du corps. Elle est en réalité sous la sur-
veillance de la famille. Pour que celles qui
désirent rester dans un cadre islamique
puissent avoir une flexibilité dans leurs
choix – et exploiter cette flexibilité –, il est
donc crucial qu’elles puissent être libres de
penser et d’agir pour elles-mêmes, mais
cela n’est pas encore possible dans les pays
arabes. »
En 2017, El Feki, immunologiste devenue
spécialiste des mœurs sexuelles des fem-
mes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord,
a interrogé 10 000 hommes et femmes en
Egypte, au Liban, au Maroc et en Palestine
pour l’ONG brésilienne Promundo, qui tra-
vaille essentiellement avec des hommes et
des jeunes garçons. Il en est ressorti que les
facteurs économiques ont un rôle à la fois
négatif et positif pour les femmes du
Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.
DES FEMMES POUR PRENDRE SOIN D’EUX
Etant donné les taux élevés de chômage
des hommes dans les pays étudiés, les jeu-
nes hommes échouent à assurer leur rôle
de soutien de famille. « Quand on passe du
temps avec ces jeunes gens, m’expliquait El
Feki, on est frappé de voir comme ils sont
tous bien habillés alors qu’ils n’ont nulle
part où aller… l’incroyable ennui des jeunes
Egyptiens. »
Mais ce qui est plus décourageant, c’est
F I N DU PAT RI ARCAT 1 | 5 que ces jeunes hommes se comportent
En quelques années, les féministes ont remporté d’une manière bien plus traditionnelle que
leurs pères ou leurs grands-pères en leur
différentes victoires dans les pays du Proche-Orient. temps. Les femmes du même âge, en re-
vanche, sont plus progressistes que leurs
Beaucoup reste à faire, mais, pour Malu Halasa, mères ou leurs grands-mères, qui, pour la
plupart, défendaient les valeurs patriarca-
le mouvement engagé ne sera pas facilement arrêté les, comme ma chère tante conservatrice.
Un compromis existait alors entre les
sexes. En privé, ces hommes aimaient
leurs femmes et leurs enfants. Ils lavaient
Une nouvelle masculinité le linge, même s’ils refusaient de l’étendre
au cas où un de leurs voisins les verrait.
Mais tout le monde ne se ressemble pas.
prend forme dans le monde Parfois, la maturité, le passage du temps et
les drames transforment les perspectives
traditionnelles.

d’Islam et son équivalent culturel dans des
familles arabes chrétiennes comme la
mienne – et de ayb, la « honte » – ce qui sert
à définir l’attitude respectable que les fem-
mes doivent adopter en public –, montrent
que la violence menace toujours les fem-
mes. C’est ce qui, entre autres, a empêché
de vraies avancées dans la région.
Depuis 2006, les pays arabophones
d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient
n’ont fait que régresser selon le rapport an-
nuel sur les différences entre les sexes, éta-
bli par le Forum économique mondial.
D’après les données de 2017, à ce rythme, il
faudrait cent cinquante-sept ans aux pays
de la région pour que l’écart entre les hom-
mes et les femmes se réduise.
Malgré ces sombres pronostics, l’auteure
et militante Nadje Al-Ali, chercheuse spé-
cialisée dans les études de genre, relève un
« changement qualitatif ». Lorsqu’elle inter-
viewait les femmes égyptiennes dans les
années 1990, la violence sexuelle était en-
core un sujet tabou. Au cours du « prin-
temps égyptien », en 2011, les femmes oc-
cupaient la place Tahrir. Des manifestan-
tes, cibles de l’armée déterminée à écraser
la rébellion, furent violées et soumises à
des « tests de virginité ». Mais pour Al-Ali,
une nouvelle génération d’hommes égyp-
tiens s’affirme, qui, « à l’inverse de leurs pè-
arabo-musulman
res, reconnaissent que la lutte contre les vio-
lences sexuelles et le combat pour l’égalité
entre les hommes et les femmes ne sont pas
des questions secondaires, mais des ques-
tions centrales pour mettre à bas les régi-
mes autoritaires ».
RÉFORMER LA LOI ISLAMIQUE
Et ils ne sont pas les seuls. En Turquie,
en 2015, à la suite du viol et du meurtre
d’une étudiante de 20 ans, des hommes
ont manifesté dans les rues en minijupes –
la presse locale avait accusé la jeune
femme de porter une tenue « inappro-
priée ». En 2016, des hommes iraniens ont
porté le hidjab dans une campagne Inter-
net dénonçant la loi contraignant les fem-
mes à se voiler.
En Arabie saoudite, en revanche, il sem-
ble que tous les princes ne soient pas acquis
à la cause des femmes. En 2017, le prince
héritier Mohammed Ben Salman promet-
tait, sous les applaudissements de la
communauté internationale, de lever
¶ conduire dans son pays. Mais quelques
Malu Halasa est une
auteure d’origine
jordanienne, philippine
et américaine. Elle s’inté-
resse tout particulièrement
à la vie culturelle ainsi
qu’aux questions de genre
dans les pays arabo-musul-
mans. Malu Halasa a fondé
la revue « Tank »
l’interdiction faite aux femmes de
semaines avant que ne soient délivrés les
premiers permis de conduire, une vague
d’arrestations de militantes des droits des
femmes nous rappelait ceci : les gens ordi-
naires ne peuvent pas réclamer de réfor-
mes sociales ; seuls les régimes peuvent les
garantir. D’autant que les gouvernements
séculiers comme les gouvernements reli-
gieux fondamentalistes n’ont cessé de dire
que le féminisme était une idéologie
importée par l’Occident, ce qui a contribué
à étouffer les débats sur le terrain.
L’opposition entre les droits des indivi-
dus et les prérogatives de l’Etat était au
cœur des révolutions de 2011. Dans le
sillage de ces mouvements, une nouvelle
génération de militantes a su perfection-
ner leurs techniques, comme on l’a vu avec
la campagne mémorable d’Abaad, « Une
robe blanche ne couvre pas le viol ». Le fé-
minisme arabe est aujourd’hui à la fois lo-
cal et global, avec des groupes féministes
Dans la plaine de la Bekaa, grenier du
Liban, El Feki interrogea un réfugié syrien,
père d’adolescents. Le camp où il vivait
n’acceptait que les familles comptant des
filles, compte tenu de la nature du travail
agricole aux champs. Le père expliqua qu’il
ne forcerait pas ses filles à se marier tôt
parce qu’elles gagnaient leur vie. Il devait
arranger des mariages pour ses fils sans
emploi, restés à la maison. Il leur fallait des
femmes pour prendre soin d’eux.
Quand les femmes d’Afrique du Nord et
du Moyen-Orient quittent le foyer familial
et que ce sont les hommes qui élèvent les
enfants, le changement est inévitable. Le
combat pour l’égalité des femmes ne se
gagnera pas sans les hommes. Et quand
bien même, ce sera une lutte longue et
pénible dans chacun de ces pays, qui a ses
obstacles et ses freins propres. La fin du
patriarcat arabe n’est pas pour demain,
mais les piliers sur lesquels il repose com-
mencent à vaciller. p
malu halasa
Traduit de l’anglais
par Pauline Colonna d’Istria
Prochain épisode Lauren Elkin : « Il est
temps que les femmes réclament leur juste
représentation dans l’espace public »
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0123
MARDI 17 JUILLET 2018
LE RÊVE
EN BLEU
par la succession d’attentats commis sur
son sol depuis janvier 2015 et l’attaque
contre Charlie Hebdo.
La France a ainsi exprimé sa fierté et sa
reconnaissance à des Bleus venus de
loin, qui, en retour, lui ont dédié leur vic-
toire et ont même salué « la République ».
Au début de ce Mondial en Russie, les
Bleus de Didier Deschamps, jeunes
(26 ans de moyenne d’âge) et relative-
ment inexpérimentés, étaient loin d’être
favoris. A ces joueurs, issus pour la plu-
débats & analyses | 37
L’avertissement
parcours et aux origines multiples, qui
se sont drapés dans des drapeaux trico-
lores, l’appartenance à la communauté
nationale va de soi. En même temps, le
d’Hubert Védrine
pays ne va pas être transfiguré par cette COMPTES À REBOURS
deuxième étoile. L’histoire a montré la d’Hubert Védrine
fugacité de ces instants d’union natio- Fayard,
nale. L’euphorie provoquée par la vic- 352 p., 20 €
toire de 1998 n’a pas empêché, en 2002,
Jean- Marie Le Pen de se qualifier au se-
cond tour de l’élection présidentielle.
En 2005, l’explosion dans les banlieues a

T
part des banlieues populaires de la ré- montré la persistance des fractures ur- oujours, il a récusé les illusions nées de la

D ès le coup de sifflet final, une

fantastique liesse s’est emparée
de la France entière. Une ribam-
belle de supporteurs, fraternels et
joyeux, ont célébré la victoire des Bleus,
qui ont remporté, dimanche 15 juillet au
stade Loujniki de Moscou, une deuxième
Coupe du monde en battant (4-2) l’équipe
de Croatie. D’un bout à l’autre du pays, la
fête a été totale. De Paris – avec des
Champs-Elysées en folie – à Marseille, en
passant par Lille, Nantes, Rennes, Stras-
bourg, Montpellier ou La Réunion, tout
un peuple, laissant pour un temps de
côté ses querelles et ses divisions, a fait
un rêve en bleu. Ce moment est d’autant
plus précieux qu’il rassemble, dans toute
sa diversité, à coups de drapeaux tricolo-
res et de Marseillaise, un pays traumatisé
CARTE BLANCHE – CONC | BR-R-R-EXIT
gion parisienne, il a fallu beaucoup de
sueur, de larmes et même de souffrance
pour faire triompher leur sens du collec-
tif et de la solidarité. La réussite de Didier
Deschamps, le capitaine victorieux de
1998, s’est aussi appuyé sur un « ascen-
seur social » qui a bien fonctionné : le re-
pérage, la formation et la promotion des
jeunes talents du football français, grâce
à un tissu de clubs et d’éducateurs que
les masses d’argent qui pèsent sur ce
sport n’a jamais fait craquer. La précoce
éclosion de Kylian Mbappé, 19 ans, en est
un brillant exemple.
Ce moment de bonheur collectif ap-
porte aussi un cinglant démenti aux
théoriciens rances d’une obsession na-
tionale fondée sur le nom de famille ou
la couleur de peau. Pour ces Bleus, aux
baines et sociales. Et l’esprit du 11 jan-
vier 2015 s’est vite évanoui.
La France ne va pas se métamorphoser
comme par enchantement. Les inégali-
tés sociales ne vont pas s’effacer, le chô-
mage de masse et la précarité ne vont
pas disparaître. Les querelles et les polé-
miques qui sont notre lot quotidien
vont vite réapparaître. La magie d’une
gloire sportive est fugitive et ne suffit
pas, à elle seule, à rétablir la cohésion so-
ciale. Mais, pour autant, la France aurait
tort de bouder son plaisir. Dans un cli-
mat politiquement et socialement mo-
rose, la victoire de l’équipe de France est
susceptible de regonfler le moral des
Français. Elle est un signe de confiance
en sa jeunesse et offre une salutaire
bouffée d’optimisme. p
chute du mur de Berlin et l’hubris d’un Occi-
dent dominé par l’hyperpuissance améri-
caine imaginant la fin de l’Histoire sur fond
de triomphe du marché et de la démocratie libérale.
Hubert Védrine se revendique volontiers comme un
tenant de l’école réaliste en politique étrangère. « Pour
comprendre notre monde, il faut se défaire de nos chi-
mères, rejeter nos œillères et l’analyser avec un œil réa-
liste, non idéologique, ni occidentalo-centré, ni occi-
dentalo-expiateur, saisir des tendances de fond et les
déplacements des plaques tectoniques », écrit l’ancien
ministre des affaires étrangères du gouvernement de
Lionel Jospin et ex-secrétaire général de l’Elysée de
François Mitterrand. S’il n’a jamais été un grand opti-
miste, Hubert Védrine s’est rarement montré aussi
inquiet quant à l’état du monde et l’avenir de l’Europe
que dans ce dernier livre dont le titre, Comptes à re-
bours, sonne comme un avertissement.
Trois grands chocs vont totalement bouleverser la
donne. Il y a l’urgence écologique « qui commande
tout le reste même si ce sujet ennuie au plus haut point
ceux qui vivent de et pour la politique », note-t-il avec
la ferveur du converti. Il y a l’explosion démographi-
que, notamment celle de l’Afrique, qui en 2050
comptera plus de 2,4 milliards d’individus – un quart
de l’humanité – et l’Europe à peine 500 millions.
« D’où le spectre d’un suicide démographique euro-
péen et celui d’un débordement brutal des zones de
haute pression démographique des pays en expan-
sion voire en explosion démographique de l’ancien
Sud sur les zones de basse pression, d’une sorte d’inva-
sion moderne, lente mais inéluctable, impossible à en-
diguer comme une montée des eaux », note Védrine.
Et, enfin, le choc de la révolution numérique.

LES OCCIDENTAUX TOUJOURS PLUS DÉSORIENTÉS

Face à ces défis existentiels, les pays occidentaux – à
commencer par les Etats-Unis – semblent toujours
plus désorientés. « Comment se résigner à un lea-
dership seulement relatif ? En se repliant sur une base
nationale solidement défendue ? En essayant de gar-
der ou de retrouver le contrôle de “the rest”, comme
l’appellent les Américains, c’est-à-dire de tout ce qui
n’est pas nord-américain, européen ou australien »,
s’interroge l’auteur. Donald Trump est l’expression
de ce mouvement de révolte antiélites, de ces pres-
sions populistes qui ébranlent aussi l’Europe et son
projet communautaire. « C’est dans les plus vieilles
démocraties représentatives que l’usure est la plus
sensible », souligne l’ancien patron de la diplomatie
tricolore, relevant que, « si divisés qu’ils soient entre
Nord et Sud, Est et Ouest, entre élites et populations »,
les Européens vont devoir trancher leur différend et
retrouver un projet commun s’ils veulent survivre.
Mais cette « pensée stratégique commune » de l’Eu-
rope qu’il appelle de ses vœux n’est pas dans son
ADN. Une « crise clarificatrice et salvatrice » pourrait
enfin la mettre en mouvement. p
marc semo

Le débat escamoté sur l’indépendance de la justice

Analyse « On progresse doucement, mais on progresse », analyse Fabrice
Hourquebie, professeur de droit public à l’université de Bor-
jean-baptiste jacquin deaux, qui voit dans cette réforme « un vrai gain d’indépendance
Service Société du parquet ». M. Macron a en revanche fermé la porte à toute ten-
tative pour aller au-delà, au nom du maintien de la « chaîne hié-
devraient continuer à être choisis par le ministre de la justice ?
Reconnaissons-le toutefois, l’avis conforme requis du CSM est
un vrai garde-fou. Il a formulé 17 avis non conformes en 2017, soit
pour 1,1 % des demandes qui lui ont été adressées pour le siège.
Si le CSM devait nommer 100 % des magistrats du siège (au lieu

I l est une disposition du projet de réforme constitutionnelle

voulue par Emmanuel Macron qui fait consensus : l’arti-
cle 12 renforçant l’indépendance de la justice. Il devrait être
examiné et adopté à l’Assemblée nationale dans la semaine du
16 au 21 juillet, sans bataille enflammée, contrairement à ce que
l’on a pu voir depuis le 10 juillet sur les autres articles du projet
de loi réformant, notamment, le fonctionnement du Parlement.
Pourtant, le véritable débat sur l’indépendance de la justice a
été escamoté. Le projet de loi propose de modifier les conditions
de nomination des magistrats du parquet. Le gouvernement ne
pourra désormais nommer ces magistrats chargés des enquêtes,
poursuites et réquisitions aux procès qu’avec un feu vert du Con-
seil supérieur de la magistrature (CSM). « Enfin ! », s’est félicitée la
LE PROJET présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, lors de
l’examen du texte. De fait, c’est un vieux projet, alors que la no-
DE LOI PROPOSE mination des procureurs de la République par le gouvernement
a toujours alimenté les soupçons de connivence. En parallèle, la
DE MODIFIER réforme confie au CSM un pouvoir disciplinaire sur les magis-
LES CONDITIONS trats du parquet équivalent à celui qu’il détient sur les juges.
Le gouvernement Jospin (1997-2002) s’était le premier imposé
DE NOMINATION de ne procéder à ces nominations qu’après « avis conforme » du
CSM. Une pratique qui n’a pas résisté aux quinquennats de Jac-
DES ques Chirac et de Nicolas Sarkozy. Elle est redevenue la règle avec
MAGISTRATS François Hollande, qui ne l’a pourtant pas constitutionnalisée,
malgré sa promesse de 2012 et un accord, en 2016, entre les deux
DU PARQUET assemblées parlementaires sur un même texte.
rarchique » entre les parquets et le garde des sceaux, et donc le
gouvernement, responsable de la politique pénale. Aligner ou
non le statut du parquet sur celui du siège a ainsi cristallisé l’at-
tention. L’Union syndicale des magistrats, ultramajoritaire, a dé-
noncé « une occasion manquée » avec cette réforme, puisque les
magistrats du parquet restent soumis au pouvoir exécutif, con-
trairement à « ceux du siège, indépendants ».
N’y aurait-il donc aucune raison de questionner l’indépen-
dance des juges du siège ? Certes, contrairement à leurs homolo-
gues du parquet, la Constitution leur garantit l’inamovibilité.
Mais on oublie que les conditions de leur nomination ne réunis-
sent pas toutes les garanties à l’égard de l’exécutif.
GARDE-FOU
Il suffit de lire le rapport d’activité du CSM, institution faîtière de
l’autorité judiciaire garantissant l’indépendance des magistrats.
En 2017, il a choisi 66 juges, les plus haut gradés. Les autres sont
choisis par le ministère de la justice et nommés sur avis con-
forme du CSM. En 2017, la chancellerie a ainsi choisi 1 487 juges,
soit 95,8 % des magistrats du siège nommés dans l’année, et
638 magistrats du parquet (100 %).
Certes, il n’y a pas d’enjeu politique derrière le choix d’un juge
aux affaires familiales ou d’un juge des enfants. Mais, au nom de
quoi un président de chambre correctionnelle, un juge d’ins-
truction ou un juge des libertés et de la détention, censés être
des garants des libertés face aux pouvoirs croissants du parquet,
de 4,2 % en 2017), ce serait un changement de dimension, et il de-
vrait sans doute intégrer une partie des équipes de la chancelle-
rie. Cela ne pourrait pas se faire dans l’immédiat, mais pourquoi
renoncer à y réfléchir ? Bertrand Louvel, premier président de la
Cour de cassation et président du CSM, a suggéré une telle piste
devant les députés, le 14 juin, mais personne n’a tenté de l’explo-
rer. Elle n’a même pas été évoquée lors de l’examen par la com-
mission des lois de l’article 12 de la réforme constitutionnelle.
Alors que M. Sarkozy avait bousculé les choses lors de la ré-
forme constitutionnelle de 2008 en retirant au président de la
République la présidence du CSM et au garde des sceaux sa vice-
présidence, et en confiant la majorité des sièges aux non-magis-
trats, M. Macron se contente, sur ce terrain, de « cranter » une
pratique dans la Constitution.
D’autres questions sur l’indépendance de l’autorité judiciaire
auraient pu faire partie de la discussion, alors que certaines dis-
positions existantes ne laissent pas d’interroger. Comme le fait
que le CSM n’a pas le droit de se saisir de questions touchant l’in-
dépendance de la justice ou la déontologie des magistrats sans
une demande formelle d’avis de la part du garde des sceaux. Il
faut croire que les responsables politiques ont encore peur d’une
justice qui s’émanciperait trop. Richard Ferrand, corapporteur
du texte gouvernemental et président du groupe majoritaire à
l’Assemblée nationale, a ainsi lancé une mise en garde le 29 juin :
« Aussi vrai que nous sommes attachés à l’indépendance de l’auto-
rité judiciaire, veillons à ne jamais en faire un pouvoir. » p
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