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1
A
part
dans
une
note
de
référence
à
la
gloire
du
maître
K.
Popper.
2
Sauf
par
quelques
références
à
des
textes
des
années
1970
3
Against
Method,
New
Left
Books,
Londres,
1975.
Traduction
française
de
Baudouin
Jurdant
et
Agnès
Sclumberger,
Seuil
1979,
réed.
Point
Seuil
1988.
4
Les
sous-‐titres
numérotés
de
1
à
19
citent
les
thèses
de
Feyerabend.
Ceci
consiste
à
se
forger
une
caricature
d’ennemi
pour
le
combattre
plus
facilement.
Face
à
l’anarchisme
épistémologique
se
dresserait
une
MSC
(Méthode
Scientifique
Classique),
une
John
Waynes’s
epistemology,
soit
celle
de
La
loi
et
l’ordre.
En
réalité,
l’histoire
des
Sciences
montre
plutôt
que
les
principes
ne
furent
pas
si
rigides
;
ils
se
sont
souvent
montrés
souples
et
susceptibles
d’adaptation
:
le
mouvement
circulaire
en
astronomie,
les
principes
de
conservation,
les
principes
de
minimum
ou
d’économie,
l’atomisme,
le
principe
d’induction...
Toutefois,
comme
en
bien
d’autres
passages
et
développements,
la
critique
de
Feyerabend
systématique
frappe
à
bon
escient.
Il
mentionne,
à
juste
titre,
le
fait
que
l’induction
n’est
pas
la
voie
générale
et
systématique
des
découvertes
(Galilée
par
exemple,
cf.
p.
24)
;
il
y
reviendra
souvent
mais
en
déduit
que
«
Si
nous
pouvons
dire
aujourd’hui
que
Galilée
était
sur
la
bonne
voie,
c’est
que
sa
poursuite
obstinée
de
ce
qui
avait
jadis
paru
être
une
cosmologie
stupide
a,
depuis
lors,
crée
le
matériel
nécessaire
pour
sa
défense
»
(p.24)
On
a
ici
un
concentré
de
Feyerabend,
il
y
aurait
eu
Une
conception
(théorie
ou
cosmologie…)
qui
passait
généralement
pour
stupide,
le
géocentrisme,
Un
acharné
talentueux,
capable
d’inventer
de
quoi
transformer
l’eau
en
vin,
ici,
la
stupidité
en
pertinence.
Les
thèses
non
reconnues
(l’héliocentrisme)
sont
dites
«
avoir
le
statut
de
stupidité
»
;
or
c’est
très
faux
;
ex.
Archimède
commentant
Aristarque
L’arme
principale
de
la
bataille
est
celle
de
la
conviction
emportée
par
la
rhétorique
ou
la
mode,
mais
pas
par
la
raison.
Ce
qui
était
stupidité
devient
dominant
grâce
à
une
victoire
rhétorique.
Feyerabend
le
répète,
il
lutte
contre
«
une
méthode
fixe,
une
théorie
fixe
»
(p.
25).
Certes,
mais
ceci
n’invalide
pas
toute
méthode
et
toute
théorie
qui
peuvent
être
variables
et
souples.
2. Par exemple, nous pouvons nous servir d’hypothèses qui contredisent des théories bien
confirmées et/ou des résultats expérimentaux bien établis. Nous pouvons faire avancer la
science par contre-induction.
Feyerabend
tient
pour
acquise
la
critique
de
la
méthode
inductive.
Ce
ne
sont
pas
des
faits
et
des
données
adéquates
qui
font
émerger
des
théories
fertiles,
mais
il
va
plus
loin,
ce
sont
des
faits
et
données
inadéquates
qui
s’avèrent
les
plus
fertiles.
Il
y
a
du
vrai
en
cela
:
des
hypothèses
en
contradiction
avec
des
faits
établis
ou
avec
des
théories
acceptées
peuvent
bien
être
des
moteurs
efficaces
pour
développer
une
théorie
déjà
à
l’œuvre
ou
en
élaborer
une
nouvelle.
Il
s’agit
d’une
critique
de
l’induction,
qu’il
nomme
«
contre-‐induction
»
en
faveur
d’une
«
méthodologie
pluraliste
».
(26
et
27)
Si
cette
thèse
là
est
juste,
en
revanche,
les
sources
possibles
et
souhaitables
de
ses
«
contre
inductions
»
sont
peu
convaincantes
:
il
en
suggère
quelques
unes
comme
la
Genèse,
la
Pimander
(d’Hermès
Trismégiste
ou
du
courant
néo-‐platonicien
plus
tardif).
«
Chaque
conte,
chaque
mythe…contribue
au
développement
de
notre
conscience
»
(p.27),
«
Experts,
profanes,
professionnels
ou
dilettantes,
fanatiques
de
la
vérité
et
menteurs,
tous
sont
invités
à
participer
au
débat
et
à
apporter
leur
contribution
à
l’enrichissement
de
notre
culture
»
(p.28)
Voilà
une
conception
de
la
science
que
je
ne
comprends
pas
;
elle
ne
fait
pas
de
distinction
entre
toute
forme
de
conscience
ou
de
culture
(qui
peut
bien
se
nourrir
de
toutes
les
idées
et
les
rêveries)
et
la
conscience
et
la
culture
scientifique
(qui
elle,
doit
faire
des
tris
sévères
dans
le
corpus
qu’elle
mobilise).
Prenons
un
exemple
:
le
vieillissement.
L’idée
d’une
éternelle
jeunesse
traitée
par
le
mythe
ou
le
conte,
n’a
pas
de
place
dans
la
biologie.
En
revanche,
elle
semble
bien
apparaître
dans
des
théories
modernes
de
biologie
cellulaire.
Cette
introduction
rationnelle
que
l’on
observe
aujourd’hui,
résulte
d’un
tri
sévère
de
faits
et
d’hypothèses
récemment
mis
au
jour
et
plutôt
adéquats.5
Feyerabend
est
contraint
de
se
faire
plus
raisonnable
en
écrivant
que
son
but
est
de
convaincre
que
«
toutes
les
méthodologies,
même
les
plus
évidentes,
ont
leurs
limites
»,
ce
sur
quoi
nous
tomberons
sans
doute
tous
d’accord.
3- La condition de compatibilité qui exige que les nouvelles hypothèses s’accordent avec
les théories admises est déraisonnable en ce qu’elle protège la théorie ancienne et non la
meilleure. Des hypothèses qui contredisent des théories bien confirmées nous fournissent
des indications qu’on ne peut obtenir d’aucune autre façon. La prolifération des théories
est bénéfique à la science, tandis que l’uniformité affaiblit son pouvoir critique.
L’uniformité met également en danger le libre développement de l’individu
Là
encore,
ce
qui
est
valable
dans
l’argumentation
de
Feyerabend
est
assez
connu
et
mieux
développé
par
d’autres
auteurs
(Duhem
ou
Kuhn
par
exemple).
Ce
dernier
montre
bien
(dans
des
pages
polémiques
contre
les
positivistes6)
que,
si
on
ne
sélectionnait
que
des
éléments
compatibles,
on
n’avancerait
jamais
et
la
théorie
serait
au
fond
une
tautologie.
D’ailleurs
Feyerabend
donne
de
bons
exemples,
comme
celui
de
l’impossible
modification
du
génome
et
de
son
activité
par
des
conditions
extérieures
(p.40
et
aussi
p.42
et
43).
Le
reste
est
exagération
et
extension
à
des
considérations
qui
n’ont
que
peu
à
voir
avec
les
sciences
:
«
à
bas
l’uniformité
!
».
Il
y
a,
dans
les
sciences,
des
moments
de
synthèse
et
d’unification
des
activités,
des
moments
d’une
certaine
uniformité,
qui
me
semblent
même
fournir
une
des
caractéristiques
de
ce
qu’est
un
champ
scientifique.
4- Il n’y a pas d’idée si ancienne et absurde soit-elle, qui ne soit capable de faire progresser
notre connaissance. Toute l’histoire de la pensée s’intègre dans la science et sert à
améliorer chaque théorie particulière. Les interventions politiques ne sont pas à rejeter
non plus. On peut en avoir besoin pour vaincre le chauvinisme de la science qui résiste à
tout changement de statu quo.
Une
thèse
externaliste
forte
:
l’histoire
des
sciences
peut
et
doit
intégrer
l’histoire
générale
des
idées,
politiques,
théologiques,
mythiques
etc.
D’une
certaine
manière
c’est
juste.
Un
exemple
est
fourni
par
l’énoncé
du
principe
d’inertie
chez
Descartes.
Si
l’on
fait
l’histoire
de
mécanique,
on
devra
considérer
cette
dérivation
cartésienne
comme
un
épisode
de
l’histoire
des
sciences.
Doit-‐on
en
inférer
que
l’immutabilité
divine
soit,
pour
autant
intégrée
à
la
physique
nouvelle,
celle
qui
se
met
en
place
au
XVIIe
siècle
?
Je
ne
crois
pas.
Celle-‐ci
s’impose
en
raison
de
nombreuses
activités
rationnelles,
hypothèse,
expériences,
mode
d’expression
du
mouvement
des
corps
etc.
et
le
fondement
cartésien
se
dissout
quasiment
immédiatement
pour
ne
jouer
qu’un
rôle
imperceptible.
La
fin
est
très
fausse,
sur
le
chauvinisme
statique
qui
serait
une
caractéristique
de
la
communauté
scientifique.
Encore
des
abus
difficiles
à
assimiler
:
«
le
mythe
le
plus
risible
peut
éventuellement
devenir
un
élément
très
solide
de
la
science
»
(p.53)
:
peut-‐on
vraiment
soutenir
ceci
à
propos
des
mythes
de
la
création
de
la
terre
et
des
espèces
fixes
par
exemple
?
5
Voir
par
exemple,
dans
la
littérature
francophone,
les
travaux
de
Chaline
ou
Ameisen.
6
Les
positivistes
soutiennent
que
la
théorie
ne
doit
pas
sortir
du
cadre
qui
l’a
vu
naître
;
ne
doit
pas
avoir
de
prétention
à
des
phénomènes
«
hors
cadre
»,
ou
à
des
mesures
non
observées
précédemment.
Autrement
dit,
une
certaine
théorie
«
est
valable
là
où
elle
est
valable
».(voir
p.
144
ed.
française)
5- Jamais aucune théorie n’est en accord avec tous les faits auxquels elle s’applique, et
pourtant, ce n’est pas toujours la théorie qui est en défaut. Les faits eux-mêmes sont
constitués par des idéologies plus anciennes, et une rupture entre les faits et la théorie
peut être la marque d’un progrès. C’est aussi un premier pas dans notre tentative pour
découvrir les principes qui guident implicitement les observations familières.
Ce
chapitre
est
constitué
par
des
exposés
qui
me
semblent
valables
sur
les
anomalies
et
leur
caractère
inévitable
et
persistant,
même
dans
les
théories
les
plus
rigoureusement
exprimées
(relativité
générale
et
physique
quantique).
Feyerabend
en
déduit
que
des
anomalies,
mêmes
nombreuses
et
persistantes,
ne
doivent
pas
invalider
une
théorie
(pas
nécessairement
ben
effet
:
ex.
Einstein
et
Kaufmann,
Galilée
et
les
trajectoires
verticales,
Morgan
et
certains
caractères
irrespectueux
des
proportions
simples
de
Mendel
etc.)
Ceci
fait
écrire
à
Feyerabend
que
«
dans
la
plupart
des
cas,
la
science
moderne
est
plus
opaque,
et
bien
plus
trompeuse,
que
ne
l’ont
jamais
été
ses
ancêtres
des
XVIe
et
XVIIe
siècles
».
(p.65)
Cette
remarque
est
en
bonne
partie
juste,
sauf
précisément
lorsqu’il
met
sur
le
même
plan
«
opaque
»
et
«
trompeuses
».
Que
la
science
moderne
gagne
en
opacité,
c’est
souvent
vrai,
qu’elle
nous
trompe
davantage
ne
l’est
pas.
La
suite,
depuis
la
thèse
6
jusqu’à
la
11ème
est
consacrée
à
la
mise
en
place
de
la
mécanique
galiléenne.
Je
les
cite
ensemble.
6- Pour illustrer cette tentative, j’examine l’argument de la tour, utilisé par les disciples
d’Aristote pour réfuter le mouvement de la terre.
7- Ces nouvelles interprétations naturelles fournissent un langage d’observation nouveau
et hautement abstrait… Elles contiennent (en l’occurrence) l’idée de la relativité de tout
mouvement de la loi de l’inertie circulaire.
8- Les premières difficultés causées par le changement sont désamorcées par des
hypothèses ad hoc.
9- Galilée transforme, en plus des interprétations naturelles, les sensations qui paraissent
mettre Copernic en danger. Il admet que ces sensations existent; il loue Copernic de les
avoir négligées; il prétend les avoir supprimées grâce au télescope. Et cependant, il
n’avance aucune raison théorique expliquant pourquoi le télescope devrait offrir une
image vraie de ciel.
10- L’expérience initiale du télescope ne fournit pas non plus ces raisons. Les premières
observations du ciel au télescope sont indistinctes, vagues, contradictoires, et en désaccord
avec ce que chacun peut voir à l’œil nu.
11- D’autre part, certains phénomènes observés au télescope sont manifestement
coperniciens. Galilée présente ces phénomènes comme des preuves indépendantes en
faveur de Copernic…Galilée l’emporte grâce à sont style, à la subtilité de son art de
persuasion, il l’emporte parce qu’il écrit en italien et non en latin, enfin parce qu’il attire
ceux qui, par tempérament, sont opposés aux idées anciennes et aux principes
d’enseignement qui y sont attachés.
Les
exposés
sont
informés.
Feyerabend,
dès
le
début,
considère
les
faits
invoqués
par
les
uns
ou
les
autres
comme
des
«
[faits
grossiers]
contenant
des
composantes
idéologiques,
des
conceptions
plus
anciennes
qu’on
a
perdues
de
vue
…
»
(p.81).
C’est
un
point
de
vue
très
spécifique
qui
s’oppose
à
l’idée
que
dans
la
controverse,
les
faits
mobilisés
sont
plutôt
des
«
[faits
grossiers]
accompagnés
d’interprétation
théorique
»,
ce
qui
n’est
pas
du
tout
la
même
chose.
Je
précise.
Pour
Simplicio,
lors
de
la
controverse
du
Dialogo
de
Galilée,
le
caillou
qui
tombe
est
un
grave
soumis
à
la
théorie
du
lieu
naturel,
pour
Salviati,
le
(même)
caillou
qui
tombe
est
un
caillou
en
mouvement
inertiel.
En
tant
qu’ils
sont
des
arguments
dans
la
grande
controverse
(argument
dit
de
la
tour),
ce
ne
sont
pas
les
mêmes
cailloux
qui
tombent.
Pour
Feyerabend,
les
deux
contradicteurs,
lorsqu’ils
mobilisent
le
caillou
qui
tombe,
n’ont
pas
la
même
idéologie,
la
même
psychologie,
la
même
politique.
Ils
n’ont
même
pas
en
commun
un
fait
grossier
certain
quoique
très
vague.
Bref,
pour
Feyerabend,
c’est
une
sorte
de
controverse
idéologique
qui
va
se
dérouler
et
non
une
controverse
rationnelle.
L’auteur
construit
une
notion
qui
lui
servira
beaucoup,
celle
d’interprétation
naturelle
(p.76)
:
Ce
sont
des
opérations
mentales
qui
«
suivent
les
sensations
de
si
près
qu’une
séparation
entre
elles,
est
difficile
à
concevoir
».
Au
lieu
du
«
fait
grossier
interprété
par
la
raison
»
qui
est
matériau
de
base
de
la
pensée
scientifique,
on
aurait
un
«
fait
naturellement
interprété
»,
immédiatement
donné
avec
des
lignes
interprétatives.
Celles-‐ci
viendraient
de
l’enfance,
de
l’inconscient,
du
langage
etc.
Feyerabend
fait
comme
si
c’était
une
manière
galiléenne
que
de
traiter
de
ces
interprétations
naturelles.
«
Les
interprétations
naturelles
sont
nécessaires…
»
(p.76)
et
selon
Galilée,
ce
qu’il
faut
pour
établir
un
bon
compte
rendu,
ce
sont
«
les
sens
accompagnés
par
le
raisonnement
»
(p.76).
Il
apparaît
bien
que
Feyerabend
veut
reconnaître
là
ses
interprétations
naturelles.
Il
écrit
ceci
:
«
dans
les
arguments
(de
Galilée)
sur
le
mouvement
de
la
terre,
c’est
le
raisonnement,
ce
sont
les
connotations
des
termes
d’observation
…qui
provoquent
des
difficultés
(des
controverses)
»
(p.76).
Feyerabend
assimile
le
raisonnement
à
des
connotations
;
c’est
je
crois
toute
la
différence
entre
des
«
faits
naturellement
interprétés
»
de
Feyerabend
et
les
«
faits
grossiers
accompagnés
d’une
interprétation
théorique
».
Mais
ce
n’est
pas
ce
que
dit
Galilée
:
«
Il
vaut
mieux
mettre
l’apparence
de
côté,
sur
laquelle
nous
sommes
tous
d’accord,
et
nous
unir
à
la
force
de
la
raison
soit
pour
en
confirmer
la
réalité
etc.
»
(cité
p.
77).
Au
fond,
pour
Feyerabend,
personne
ne
dispose
ne
serait-‐ce
que
d’une
«
apparence
»
brute
»,
d’un
seul
«fait
grossier
»
;
nous
n’avons
que
des
«
interprétations
naturelles,
demeurées
implicites
»
(p.77).
«
Les
faits
contiennent
des
composantes
idéologiques,
des
conceptions
plus
anciennes
qu’on
a
perdues
de
vue
ou
qui
n’ont
peut-‐être
même
jamais
été
formulées
de
façon
explicité
»
(81)
C’est
sans
doute
ceci
qui
ancre
chez
Feyerabend
l’idée
que
la
controverse
scientifique
ne
saurait
être
rationnelle,
ne
doit
pas
chercher
à
l’être.
Si
nous
ne
disposons
même
pas
de
«
faits
grossiers
»,
alors
il
est
vrai
que
la
raison
n’a
que
peu
de
place
dans
notre
compréhension
de
la
nature,
et
nulle
fonction
ne
peut
non
plus
la
remplacer.
Feyerabend
ne
prend
pas
en
compte
que
la
théorie
Galiléenne
est
faiblement
explicative
;
il
n’y
a
pas
de
théorie
de
la
gravitation
:
«
Galilée
fait
de
la
propagande,
il
se
sert
de
trucs
psychologiques
etc.
»
(p.85),
ce
que
l’auteur
ne
lui
reproche
aucunement.
Simplement,
il
nous
met
hors
d’état
de
comprendre
ce
que
fait
Galilée
qui,
pourtant,
dispose
bien
d’une
méthode
rationnelle,
complexe,
diversifiée,
avec
des
allers-‐retours
entre
hypothèse
et
expérimentation.
Cette
méthode
existe
et
a
pour
but
de
produire
un
ensemble
de
concepts
qui
rendent
plus
puissante
sa
propre
théorie
du
mouvement
des
corps
matériels,
que
les
précédentes.
Cette
notion
d’interprétation
naturelle
est
décidément
trop
commode.
A
la
fin
du
chap.
7,
on
en
rencontre
deux
exemples
:
«
L’interprétation
naturelle
peut
être
l’affirmation
épistémologique
que
le
mouvement
absolu
est
toujours
remarqué
et
le
principe
dynamique
selon
lequel
des
objets
(telle
la
pierre
en
chute
libre)
avec
lequel
on
n’interfère
pas
réalisent
leur
mouvement
naturel
»
(p.96)
Ces
deux
exemples
me
paraissent
trop
sophistiqués,
trop
rationnels
pour
correspondre
à
la
notion
en
question
dont
une
des
fonctions
–ne
l’oublions
pas-‐
consistait
à
chasser
la
raison
de
l’élaboration
des
théories
scientifiques.
Avec
cette
notion,
Feyerabend
se
permet
de
jouer
sur
tous
les
tableaux.
Quand
il
le
faut,
c’est
le
second
terme,
naturelle,
qui
domine
;
elle
recouvre
une
procédure
inconsciente,
implicite,
spontanée,
psychologique
etc.
Ceci
permet
de
proclamer
l’irrationalisme
et
l’anarchie
de
la
science,
et
quand
il
le
faut,
c’est
le
premier,
interprétation
qui
tient
le
premier
rôle;
celle-‐ci
ressemble
bien
au
processus
rationnel
et
imaginatif
qui
permet
d’élaborer
des
éléments
théoriques.
Ceci
permet
de
rester
connecté
avec
l’histoire
des
sciences.
Tel
est
le
cas
au
début
du
chapitre
9
:
L’argument
[anti
copernicien]
est
renversé
[par
Galilée]
pour
permettre
de
découvrir
les
interprétations
naturelles
responsables
de
cette
contradiction.
Les
interprétations
choquantes
sont
remplacées
par
d’autres.
(Ceci
inclut
des
renseignements
sur
les
démarches
intellectuelles,
les
choix
etc.
pour
les
établir)
(107)
Par
la
suite,
il
détaille
les
méandres
complexes
de
l’œuvre
galiléenne
:
le
mouvement
plus
ou
moins
perpétuel
du
traité
de
jeunesse
de
motu,
le
recours
à
l’impetus,
l’inertie
localement
rectiligne
et
globalement
circulaire,
l’absence
de
théorie
optique
satisfaisante,
les
difficultés
rencontrées
en
étendant
au
ciel
le
pouvoir
du
télescope,
etc.
Mais
tout
ceci
fait-‐il
de
cette
élaboration
un
processus
irrationnel
?
Cela
fait-‐il
de
Galilée
un
anarchiste
de
la
science
?
Feyerabend
se
plaît
à
en
faire
le
portrait
:
C’est
un
saltimbanque,
un
auteur
de
machinations
propagandistes,
un
menteur,
un
matérialiste
soucieux
de
ses
propres
intérêts,
Galilée
l’emporte
grâce
à
son
style,
parce
qu’il
écrit
en
italien
plutôt
qu’en
latin…
(pp.115-‐116).
Traits
que
Feyerabend
ne
critique
pas
du
tout,
au
contraire.
Un
bilan
provisoire
selon
lui
est
celui-‐ci
:
«
L’astronomie
précopernicienne
était
en
difficulté,
la
théorie
copernicienne
se
trouvait
dans
une
situation
plus
difficile
encore
;
mais
elle
se
trouva
renforcée
et
l’emporta
finalement
parce
qu’elle
était
en
harmonie
avec
d’autres
théories
encore
plus
inadéquates,
les
réfutations
étant
déjouées
par
des
hypothèses
ad
hoc
et
par
d’habiles
techniques
de
persuasion
»
(p.155)
L’accumulation
de
difficultés
et
d’incohérences
a
donc
construit
l’harmonie
de
la
science
moderne
galiléenne.
Feyerabend
se
moque
de
la
critique
de
Machamer
(Feyerabend
and
Galileo,
1973)
dans
une
annexe
(pp.
122-‐129)
:
celui-‐ci
reproche
à
Feyerabend
de
ne
pas
considérer
l’ensemble
des
tests
et
arguments
adéquats
en
faveur
du
mouvement
de
la
terre,
de
ne
pas
considérer
ainsi
l’ensemble
de
la
controverse.
Il
répond
qu’il
lui
suffit
d’exhiber
toutes
les
raisons
inadéquates
et
fausses
pour
ne
pas
avoir
à
s’occuper
des
raisons
justes
et
adéquates.
L’abus
me
semble
patent.
13-‐
La
méthode
de
Galilée
fonctionne
également
dans
d’autres
domaines.
Par
exemple,
on
peut
s’en
servir
pour
éliminer
les
arguments
actuels
contre
le
matérialisme
et
pour
mettre
fin
au
problème
philosophique
du
dualisme
corps/esprit
(sans
cependant
toucher
aux
problèmes
scientifiques
correspondants)
Dans
ce
bref
chapitre,
Feyerabend
résume
une
sorte
de
méga-‐programme.
Si
Galilée
a
été
sage
et
raisonnable
c’est
parce
qu’il
aurait
changé
les
liaisons
entre
les
mots,
entre
les
mots
et
les
sensations,
il
aurait
recouru
à
des
principes
nouveaux
inconnus
(celui
de
relativité
notemment),
altéré
le
contenu
sensoriel
des
énoncés
d’observation.
Il
l’aurait
fait
contre
des
faits
évidents,
les
principes
plausibles,
contre
la
grammaire
du
langage
parlé
ordinaire.
Bref
il
aurait
été
une
sorte
d’extraterrestre
puisque
ce
qu’il
avance
«
n’est
pas
adapté
aux
formes
de
vie
»
de
son
temps.
Il
ne
s’agit
pas
de
confronter
des
observations,
des
hypothèses
etc.
avec
une
théorie
scientifique
quelconque
que
l’on
veut
critiquer
pour
la
remplacer
ou
la
modifier,
mais
avec
la
totalité
des
formes
de
vie
communément
admises.
Qu’est-‐ce
donc
que
ces
formes
de
vie
?
C’est
tout
ce
qui
nous
met
en
lien
avec
la
nature
et
avec
les
autres.
Voici
pourquoi
aussi
bien
l’art,
le
langage,
les
mythes,
les
croyances,
les
idéologies,
les
coutumes
…
constituent,
ensemble,
ce
qui
peut
et
devrait
déterminer
la
recherche
scientifique.
Feyerabend
suggère
ici
que
nous
nous
entrainions
à
abandonner
les
formes
de
vie
dualistes.
14-‐
les
résultats
obtenus
jusqu’à
présent
conduisent
à
penser
qu’on
pourrait
abolir
la
distinction
entre
contexte
de
découverte
et
contexte
de
justification,
et
la
distinction
connexe
entre
termes
d’observation
et
termes
théoriques.
Ni
l’une
ni
l’autre
de
ces
distinctions
ne
joue
de
rôle
dans
la
pratique
scientifique.
Toute
tentative
pour
les
renforcer
aurait
des
conséquences
désastreuses
La
thèse
14
consiste
à
ruiner
la
distinction
réelle
entre
le
contexte
de
découverte
et
le
contexte
de
justification.
Si
je
comprends
bien,
Feyerabend
admet
que
les
auteurs
accordent
le
droit
à
la
fantaisie
et
à
l’anarchie
dans
le
premier
et
le
refusent
dans
le
second,
où
la
raison
reprend
ses
droits.
Son
entreprise,
ici,
consiste
à
montrer
que
le
droit
à
l’anarchie
et
à
l’irrationalité
s’étend
aussi
bien
au
contexte,
dit
de
justification.
Il
y
a
des
aspects
assez
convaincants
pour
indiquer
qu’un
certain
désordre
demeure
y
compris
lorsqu’une
théorie
a
acquis
son
rythme
de
croisière
et
que
les
trépidations
de
sa
période
de
création
ne
disparaissent
pas.
Cependant,
Feyerabend
néglige,
je
crois,
le
caractère
fortement
centripète
des
théories
couronnées
de
succès.
Elles
connaissent
une
étape
d’attraction,
de
synthèse,
d’unification,
d’hégémonie
qu’il
est
difficile
de
contester.
Une
chose
est
de
tirer
sans
cesse
l’alarme
«
contre
»
cette
situation
hégémonique
qui
demeure
essentiellement
transitoire
et
fragile,
autre
chose
est
de
la
nier.
16-‐
Même
ingénieuse
la
tentative
de
Lakatos
pour
construire
une
méthodologie
qui
a)
ne
donne
pas
de
directive,
et
b)
impose
cependant
des
restrictions
aux
activités
visant
l’extension
du
savoir
n’échappe
pas
à
la
conclusion
précédente.
Car
la
philosophie
de
Lakatos
ne
semble
libérale
que
parce
que
c’est
un
anarchisme
déguisé.
Et
les
critères
qu’il
dégage
de
la
science
moderne
ne
peuvent
pas
être
considérés
comme
des
arbitres
neutres
entre
celles-‐ci
et
la
science
d’Aristote,
le
mythe,
la
magie,
la
religion,
etc
Chapitre
riche
en
exagérations
(j’y
reviendrai),
en
formulations
obscure
(idem)
mais
aussi
en
explications
justes
et
très
pertinentes.
La
principale,
à
mes
yeux,
est
la
critique
des
logiciens
de
l’histoire
des
sciences.
Feyerabend
s’associe,
sur
ce
point
à
Lakatos
(voir
p.
200).
L’histoire
est
plus
éclairante
que
le
formalisme
logique
pour
comprendre
la
succession
et/ou
la
cohabitation
des
théories,
des
paradigmes,
des
programmes
de
travail
etc.
Beaucoup
de
logiciens
ne
voient
même
pas
le
problème
;
ils
tiennent
pour
acquis
que
construire
des
systèmes
formels
et
les
faire
jouer
est
la
seule
façon
légitime
de
comprendre
le
changement
scientifique7.
L’anarchisme
épistémologique,
non
seulement
n’a
pas
de
programme,
mais
il
est
contre
tous
les
programmes
(il
est
dadaïste)
»
(p.208).
L’anarchiste
épistémologique
peut
dire
et
soutenir
n’importe
quoi
:
Imaginons
qu’il
vive
au
XVIIe
siècle
et
qu’il
vienne
juste
de
faire
connaissance
avec
l’œuvre
principale
de
Copernic.
Quelle
sera
son
attitude
?
Quelles
démarches
recommandera-‐t-‐il
?
A
quelles
démarches
s’opposera-‐t-‐il
?
Que
dira-‐t-‐il
?
Ce
qu’il
dira
dépendra
de
ses
intérêts,
des
«
lois
sociales
»,
de
la
philosophie
sociale,
des
opinions
qu’il
aura
décidé
d’adopter
provisoirement
sur
la
situation
de
l’époque.
Il
y
a
d’innombrables
manières
pour
lui,
de
justifier
ces
lois,
ces
opinions,
cette
philosophie,
vis-‐à-‐vis
de
ceux
qui
exigent
une
justification,
ou,
tout
au
moins,
une
discussion.
Une
telle
justification
et
de
telles
discussions
ne
nous
intéressent
pas
».
(p.210)
E LÉMENTS
D E
CONCLUSIONS
1. Des suggestions riches :
-‐
Les
critiques
sur
les
«
mauvaises
raisons
de
rejeter
–par
exemple-‐
l’astrologie
et/ou
les
médecines
traditionnelles
?8
-‐
L’attention
portée
aux
mélanges
de
méthodes
employés
réellement
au
cours
des
développements
de
la
science:
anciennes
hypothèses
mêlées
à
de
nouvelles
;
respect
et
libertés
prises
avec
des
expériences.
-‐
La
défense
de
l’utilité
des
anomalies
et
des
hypothèses
peu
crédibles.
Ainsi
les
comportements
insatisfaisants
de
Mercure
et
Venus
(p.
112,
n.0)
-‐
Relever
les
changements
d’avis
subreptices
des
auteurs.
-‐
L’alerte
concernant
la
coupure
entre
les
sciences
des
corps
solides
et
le
reste
(le
vivant),
surtout
la
psychopathologie
(cf.
p.
108,
n.2)
2. Des déraillements :
-‐Création
de
cibles
caricaturales
et
trop
commodes
à
combattre.
La
Méthode
scientifique
Classique
(MSC)
supposée
fixe,
immuable,
dogmatique.
-‐
Création
d’outils
peu
efficaces
:
l’interprétation
naturelle.
-‐Un
externalisme
radical,
justifié
par
le
fait
que
tous
les
savoirs
faire
sont
connectés
et
du
même
ordre
que
la
science
:
les
techniques,
les
coutumes,
les
rites
etc.
Il
n’y
a
pas
de
spécificité
de
l’activité
scientifique
par
rapport
à
la
politique,
l’art,
le
vivre
ensemble
etc.
-‐
[la
science]
est
une
aventure
intellectuelle
qui
ne
connait
pas
de
limite,
et
ne
reconnaît
pas
de
règles,
pas
même
celles
de
la
logique
(p.
199)
3. Des formes d’expression obscures : un exemple.
«
La
philosophie
de
Lakatos
(PL)
ne
semble
libérale
que
parce
que
c’est
un
anarchisme
déguisé
»
(thèse
16)
Comment
comprendre
cette
proposition?
7
P.
201
avec
la
longue
note
1,
critique
de
Carnap.
8
cf.
A.
Comte,
n.2,
p.
108,
et
les
passages
sur
la
médecine
chinoise.
PL
est
libéral
parce
que
c’est
un
anarchisme.
Ce
serait
conforme
à
Feyerabend
qui
n’aurait
alors
pas
de
raison
de
le
critiquer.
Le
libéralisme
de
PL
n’a
aucune
autre
source
que
l’anarchisme.
Ceci
rendrait
caduque
une
entreprise
de
contestation
de
la
PL.
La
PL
n’est
pas
réellement
libérale,
et
c’est
parce
que
son
anarchisme
est
déguisé.
Ce
serait
le
fait
d’être
déguisé
qui
ferait
perdre
à
l’anarchisme
le
pouvoir
d’inspirer
une
philosophie
libérale.
Des
deux
côtés,
il
y
a
un
caractère
et
une
apparence
Le
libéralisme
et
son
apparence,
l’anarchisme
et
son
déguisement.
Mais
«
le
libéralisme
apparent
»
semble
désigner
une
philosophie
qui
n’est
libérale
qu’en
apparence,
qui
ne
l’est
donc
pas
vraiment,
alors
que
«
l’Anarchisme
déguisé
»
semble
n’être
pas
anarchiste
(déguisé
en
rationalisme
par
exemple)
alors
qu’il
l’est
vraiment.
Alors,
l’anarchisme
accouche
d’une
philosophie
non
libérale.
4. Une tentative très datée d’affronter une réelle difficulté associée au progrès des
sciences : l’accroissement de l’ignorance.
Au
point
où
nous
en
sommes,
quelques
doutes
ont
pu
naître
quant
à
la
validité
du
concept
de
progrès
dans
les
sciences,
puisqu’elles
ne
cessent
de
se
contredire.
Ne
serait-‐on
pas
en
marche
vers
des
«
contre-‐vérités
»
de
plus
en
plus
amples
?
La
génétique
du
développement
n’est-‐elle
pas
une
imagination
formidablement
sophistiquée
qui
n’est
pas,
en
soi,
plus
vraie
que
le
transformisme
de
Buffon,
de
Maupertuis
ou
Lamarck
?
C’est
possible,
mais
à
mes
yeux,
cela
ne
peut
effacer
la
vérité
incontestable
que
les
connaissances
s’accroissent
au
cours
du
temps.
Aussi
doit-‐on
accepter
l’idée
d’un
progrès
des
sciences.
Cependant,
cette
affirmation
doit
être
accompagnée
d’une
autre
qui
est
comme
son
versant
négatif
:
les
sciences
proposent
autant
d’ignorance
que
de
connaissances.
Comme
on
a
pu
parler
de
«
quantité
de
repos
»,
à
côté
de
la
«
quantité
de
mouvement
»,
on
peut
parler
de
quantité
d’ignorance
au
côté
de
celle
du
savoir.
D’une
certaine
façon,
Feyerabend
enregistre
avec
force
cet
accroissement
d’ignorance,
mais,
jetant
à
la
rivière
le
bébé
avec
l’eau
du
bain,
il
entend
se
débarrasser
aussi
de
l’accroissement
des
connaissances,
geste
où
nous
ne
pouvons
pas
le
suivre.
Toutefois,
pour
terminer,
je
suggère
quelques
exemples
qui
devraient
nous
convaincre
de
la
réalité
de
la
première
partie
de
son
diagnostic
:
l’ignorance
augmente
bel
et
bien.
La
réfutation
de
la
voûte
cosmique
est
un
accroissement
de
connaissance
de
l’Univers.
Les
étoiles
sont
bel
et
bien
dispersées
etc.
Mais,
en
même
temps,
l’au-‐delà
des
étoiles
visibles
devient
un
ignoramus
et
même
un
ignorabimus.
C’est
le
point
de
vue
de
Copernic
par
exemple.
L’établissement
de
la
loi
de
la
réfraction
ouvre
des
questions
redoutables
et
nouvelles
quant
à
ce
que
sont
les
indices
de
réfractions
des
milieux
(tentation
d’abandon
des
explications
efficientes)
et
sur
la
nature
de
la
lumière.
L’attraction
newtonienne
délivre
du
savoir
en
grande
quantité,
mais
«
dès
qu’elle
fut
formulée,
elle
fut
considérée
par
les
astronomes
et
les
physiciens
comme
une
énigme
»9.
On
peut
ajouter
qu’elle
le
fut
aussi
par
Newton
lui-‐même.
Ce
que
c’est
que
l’attraction
en
k/d²
constitue
une
ignorance
nouvelle
qui
ne
pouvait
être
pensée
avant
la
découverte
de
cette
loi.
9
Meyerson,
De
l’explication
dans
les
sciences,
p.
58
La
controverse
sur
le
vide
établit
solidement
la
théorie
barométrique
(de
la
pesanteur
de
la
masse
d’air).
Elle
ouvre
une
immense
ignorance
de
ce
qu’est
le
«
vide
de
Torricelli
».
Les
théories
atomiques,
à
partir
de
la
fin
du
XIXe
siècle
apportent
beaucoup
de
connaissances
;
elles
apportent
avec
elles
beaucoup
et
peut-‐être
davantage
d’ignorance,
ce
que
détaille
Meyerson,
dans
Identité
et
réalité
:
Nous
connaissons
fort
bien
les
lois
qui
régissent
cette
action
et
qui
sont
des
lois
expérimentales
;
mais
qui
peut
dire
qu’il
comprend
comment
cette
action
s’exerce,
qu’il
en
saisit
le
mécanisme…Ainsi,
même
l’illusion
du
compréhensible
que
faisait
y
naître
en
nous
l’hypothèse
corpusculaire,
et,
à
un
moindre
degré
l’hypothèse
dynamique,
s’est
évanouie
;
ce
qu’on
pose
comme
phénomène
fondamental
dans
l’hypothèse
électrique
est
un
X,
un
phénomène
nettement
inexpliqué
et
qu’on
déclare
même
inexplicable…10
Les
lois
de
Mendel
sur
les
probabilités
héréditaires
ouvrent
une
méconnaissance
générale
sur
ce
qu’il
en
est
de
ces
«
atomes
d’hérédité
»
que
sont
les
gènes.
Le
livre
de
R.
Dawkins11
est
une
impressionnante
manifestation
des
hésitations
possibles
quant
à
la
possibilité
de
«
définir
un
gène
»
;
il
ne
cesse
de
suggérer
que
sa
propre
définition
est
à
peu
près,
une
«
sorte
de
définition
floue
»
(p.
56),
tant
la
notion
est
sujette
à
interprétations
diverses.
Une
de
ses
formulations
est
la
suivante
:
«
l’entité
la
plus
grande
qui,
au
moins
potentiellement,
vérifie
les
propriétés
de
longévité,
de
fécondité
et
de
fidélité
de
la
copie
»
(p.
59)
Le
concept
d’espèce
est
indéniablement
fécond
et
producteur
de
connaissances.
Le
concept
de
génome
en
dépend
par
exemple.
Les
concepts
liés
à
l’hérédité
aussi.
Les
progrès
de
connaissances
sont
immenses.
Cependant
!
Ce
qu’est
une
espèce
est
de
moins
en
moins
clair,
il
en
existe
plus
de
vingt
définitions.
Certaines
espèces
sont
distinguées
alors
qu’elles
sont
interfécondes
:
c’est
le
cas
du
bouleau,
du
chêne,
du
saule).
Hybridation
fréquente.
L’interfécondité
peut
devenir
floue
:
on
peut
avoir
une
série
A,B,C,D…M
d’espèces
globalement
interfécondes
(comme
des
espèces
de
goélands
répartis
dans
le
monde)
alors
que
A
et
M
ne
le
sont
pas.
L’interfécondité,
et
donc
l’espèce
est
floue.
Aujourd’hui,
personne
ne
peut
définir
avec
précision
le
nombre
d’espèces
existantes
sur
la
planète.
Entre
3
et
100
millions,
dont
seulement
de
1,5
à
1,8
million
ont
été
décrites
pour
les
Eucaryotes
(cellules
avec
noyau
isolé
du
cytoplasme).
Les
procaryotes,
(pas
de
noyau
isolé,
comme
les
bactéries)
c’est
bien
pire
:
entre
600
000
et
6
milliards
d’espèces
avec
seulement
7300
espèces
de
bactéries
connues
aujourd’hui.
Le
nombre
estimé
est
le
résultat
de
modèles
mathématiques
élaborés
et
branchés
sur
les
classifications.
On
imagine
les
hypothèses
multiples
et
spéculatives
qui
fondent
ces
modèles.
Imaginons
un
modèle
météo
de
cette
fiabilité.
Les
chercheurs
les
ont
appliqués
sur
des
parties
bien
connues
de
la
classification
puis
les
ont
extrapolés
à
l'ensemble
de
l'arbre
du
vivant.
La
théorie
chromosomique
de
l’hérédité
et
l’organisation
de
l’ADN
(au
cours
des
50
dernières
années)
constitue
certainement
un
accroissement
de
connaissances
remarquable
et
peu
contestables.
Toutefois,
comme
le
notait
Ernst
Mayr,
En
dépit
des
faits
accumulés
ces
dernières
années,
il
me
semble
que
nous
sommes
encore
loin
de
posséder
une
théorie
explicative
cohérente
de
la
structure
et
de
la
fonction
du
chromosome
eucaryote.
La
victoire
de
cette
thèse
n’a,
en
aucune
façon,
mis
fin
aux
10
P.
110-‐111
11
Le
gène
égoïste.
recherches
chromosomiques
;
elle
a,
au
contraire,
inauguré
une
nouvelle
ère
dans
ce
domaine
»
(Mayr,
1020).
La
révolution
chimique
de
Lavoisier
permet
de
connaître
et
décrire
des
associations
entre
éléments
simples.
Mais
qu’est-‐ce
qui
permet
ces
associations
?
«
Sa
théorie
[de
Lavoisier]
était
absolument
incapable
de
faire
face
à
tous
les
problèmes
posés
par
la
prolifération
des
nouveaux
gaz,
point
que
Priestley
souligna
avec
un
grand
succès
dans
sa
contre
attaque
».
(Meyerson,
De
l’explication
dans
les
sciences,
p.
214)
La
physique
quantique,
par
ses
succès
mêmes
a
plongé
la
physique
dans
une
période
de
grande
incertitude
et
l’apparition
de
théories
audacieuses
et
très
spéculatives
sur
le
vide,
la
matière
et
l’espace
en
témoigne
depuis
lors.
L’Univers
immense
d’un
côté,
les
particules
infimes
de
l’autre
ont
conduit
les
physiciens
à
modifier
leurs
théories
de
la
relativité
générale
et
de
la
physique
quantique
en
espérant
pouvoir
les
associer
;
force
est
de
constater
qu’ils
ne
sont
pas
au
bout
de
leurs
peines
et
que
la
recherche
d’une
théorie
unifiée
satisfaisante
est
toujours
d’actualité.
Dès
ses
débuts,
la
physique
quantique
a
fortement
augmenté
notre
ignorance.
«
Les
difficultés
rencontrées
dès
le
début
en
cherchant
à
introduire
le
quantum
d’action
dans
la
théorie
classique
bien
établie
ont
déjà
été
indiquées.
Elles
n’ont
fait
que
croître
[…]
Que
la
fréquence
nettement
définie
d’un
quantum
de
lumière
émise
soit
différente
de
celle
de
l’électron
qui
l’émet,
voilà
quelque
chose
de
monstrueux,
de
presque
inconcevable
pour
un
théoricien
élevé
dans
l’école
classique
».12
«
La
loi
des
radiations
de
Planck
et
de
l’atome
de
Bohr
persuadèrent
rapidement
de
nombreux
physiciens
de
les
adopter,
même
si,
en
considérant
la
physique
dans
son
entier,
ces
deux
lois
créaient
plus
de
problèmes
qu’elles
n’en
résolvaient
»13.
Remarque
sur
le
boson
de
Higgs.
Sa
manifestation
expérimentale
constitue
un
grand
succès
mais
elle
est
aussi
une
sorte
d’énorme
déception
car
elle
renforce
une
théorie
qui
assume
une
ignorance
générale.
Vincent
Jullien
12
Max
Born,
Obituary
Notices
of
Fellows
of
the
Royal
Society,
6,
1948,
p.
180.
13
Kuhn,
La
structure…,
p.
211-‐212
avec
références
pour
montrer
les
problèmes
créés.