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République du Bénin

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Houdegbe North América University


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Faculté de droit et de science politique

Cours de droit pénal spécial

Intervenant :
Moktar ADAMOU,
Docteur en droit privé et sciences criminelles,
Universitaire

Année universitaire 2012-2013

1
Objectifs
A la fin du cours, les étudiants doivent maîtriser les règles de droit pénal spécial, les principes
de raisonnement et les qualifications juridiques qui président à la qualification des infractions,
à l’établissement de la responsabilité pénale d’une personne physique à l’égard de toutes les
catégories d’infractions que présente le droit béninois. Cela implique la compréhension des
principes et des mécanismes du droit pénal spécial applicables dans des situations concrètes,
la capacité d’analyser ces situations et de concevoir des stratégies de défense pertinentes. Les
étudiants doivent être en mesure d’analyser et de qualifier juridiquement une infraction afin
d’y apporter des solutions juridiques appropriées.

Masse horaire : 40 heures

Evaluation : examen à évaluer au quatrième semestre avec possibilité de rattrapage

2
Sommaire
Titre I : Les infractions contre les personnes..........................................................................8
Chapitre I : Meurtres et autres crimes capitaux..................................................................9
Chapitre II : Coups et blessures volontaires non qualifiés de meurtre.............................20
Chapitre III : Homicide et blessure involontaires.............................................................26
Chapitre IV : Attentats aux mœurs....................................................................................30
Chapitre IV : Injures et diffamations................................................................................37
Titre II : Les infractions contre les biens..............................................................................47
Chapitre 1 : Le vol............................................................................................................48
Chapitre 2 : L’escroquerie.................................................................................................61
Chapitre 3 : L’abus de confiance.......................................................................................70

3
Introduction générale

Le phénomène criminel est une donnée sempiternelle de l’histoire de l’humanité.


Depuis le siècle des lumières, le droit pénal est considéré comme un des moyens les plus sûrs
au monde afin de mesurer le degré de civilisation d’une société. Il constitue une discipline
juridique délicate à manier car il est empreint d’un besoin intrinsèque d’équilibre. D’une part,
il représente un droit régalien soucieux d’exemplarité et d’efficacité et, d’autre part, il est, par
son essence même, un droit s’appliquant à la personne et soumis aux victimes qu’aux auteurs
d’infractions.
Il ne faut pas, cependant, assimiler morale et droit pénal. Le droit pénal sanctionne un
certain nombre de comportements réprimés par la morale, mais ne se confond pas avec cette
dernière. Il convient de distinguer les infractions naturelles, dont la détermination transcende
les sociétés et les époques et qui déclenchent une réaction sociale forte lors de leur
commission, et les infractions artificielles, les infractions par détermination de la loi,
constituant des comportements répréhensibles parce que le législateur les a assortis d’une
sanction pénale (infractions fiscales, économiques, des sociétés). Ces incriminations sont
spécifiques à un certain type de société à une époque donnée. Si au début de l’histoire de
l’humanité, le droit se composait presque exclusivement d’infractions par nature, le
développement de la vie en société et des régulations systématiques dans tous les domaines a
inversé la tendance. La société contemporaine produit, notamment, des infractions par
détermination de la loi, tendant à une sécurisation maximale des mécanismes sociaux à travers
les principes de précaution, de risque zéro ou de sécurité juridique.

I - Evolution générale
Le premier souci des Etats est de déterminer et de définir les infractions, constituant un
acte de respect du contrat social fondateur et assurant la garantie de la sauvegarde
concomitante de l’ordre public et des droits individuels. Le législateur dresse une liste des
infractions en définissant leurs éléments constitutifs et le régime juridique propre à chaque
infraction. Ce catalogue d’incriminations constitue le droit pénal spécial et il occupe la
majeure partie de la législation pénale. La structure du code pénal l’illustre, car il comporte,
avec plus ou moins de netteté, deux ensembles ou parties : une partie générale qui intéresse
les questions touchant à toutes les infractions ou du moins un certain nombre d’entre elles

4
(comme la tentative, la complicité, la responsabilité ou la théorie générale des peines) et une
partie spéciale qui traite de chacune des infractions, avec ses conditions d’existence propres,
ses peines propres (et son régime procédural propre, le cas échéant).
Chronologiquement, le droit pénal spécial est la première branche du droit criminel
puisque son existence précède celle du droit pénal général 1. Cette succession historique
s’explique par la logique car il étudie des cas concrets. Or, les abstractions juridiques, formant
le cœur du droit pénal général, n’ont pu être systématisées qu’à partir de la répétition de cas
de figure concrets. Le droit pénal général étudie les conditions générales d’incrimination et les
règles générales de répression. Droit pénal spécial et droit pénal général ne peuvent exister
l’un sans l’autre, car le droit pénal spécial applique, donne un cadre d’existence aux règles du
droit pénal général. Inversement, le droit pénal général garanti le bon fonctionnement du droit
pénal spécial, qui, sans son existence, se trouverait réduit à un recueil de cas sans structure, ni
classification possible. La traduction en pratique du droit pénal général et du droit pénal
spécial suppose le déroulement d’un procès devant une juridiction répressive. La procédure
pénale régit l’organisation des juridictions criminelles, leur compétence et leurs règles de
fonctionnement, le déroulement des actes de procédure de l’enquête jusqu’aux voies de
recours dont les décisions peuvent faire l’objet.
Le droit pénal spécial étudie les diverses incriminations du droit positif, leur régime
juridique et leur répression, c'est-à-dire les peines encourues. Deux précautions de
vocabulaires sont nécessaires. D’une part, les termes d’infraction et d’incrimination sont
synonymes dans le langage courant, mais ils recouvrent des dimensions juridiques différentes.
L’incrimination désigne la définition légale proposée par le texte, faisant référence à son
élément légal, alors que l’infraction renvoie au comportement reproché à l’auteur et se réfère
à son élément matériel. D’autre part, le critère de référence de la répression repose sur les
peines encourues, appelées aussi les peines légales, prévues par le code pénal, ans tenir
compte des peines prononcées différentes, car le juge use de son pouvoir de personnalisation
de la peine, ni des peines exécutées, calculées selon les modalités d’exécution des peines.

II - Définition
Le droit pénal général étudie les règles déterminant les comportements réprimés par
un texte à valeur répressive et a comme objet la détermination des infractions, définies comme

1
Jean PRADEL, Michel DANTI-JUAN, Droit pénal spécial, Paris : Cujas, 4ème édition, 2008, n° 2 ; Michel
VERON, Droit pénal spécial, Paris : Armand colin, 8ème édition, 2000, p. 1 ; Michèle-Laure RASSAT, Droit
pénal spécial, Paris : Dalloz, 5ème édition, 2006, p. 3.

5
des comportements déviants sanctionnés par une peine. Le droit pénal spécial constitue
l’application pratique de toutes les théories développées par le droit pénal général.
Formellement, il représente le catalogue de conduites individuelles qui, à un moment donné,
dans un groupe social, sont considérées comme troublant gravement l’ordre public et qui
constituent des actes interdits par la loi et réprimés par le droit pénal. Il représente le pivot
central de l’application du droit pénal, en général, car les autres branches du droit pénal sont
conçues pour permettre sa mise en œuvre. Le droit pénal spécial étudie chaque infraction en
détaillant les termes de chaque incrimination.
La qualification est le procédé essentiel au sein du droit pénal spécial. Selon une
expression célèbre de LEVASSEUR, elle constitue « l’habillage des faits » et elle porte sur
les faits au moment de l’action. L’identification des éléments constitutifs décrits par une
incrimination spécifique permet de qualifier un comportement et de déterminer la répression
applicable. Chaque incrimination se compose de trois éléments constitutifs obligatoires.

A : Structure classique des infractions


L’élément légal, expression du principe de la légalité pénale, est reflété par le texte
d’incrimination lui-même. Un comportement ne saurait être appréhendé par le droit pénal s’il
n’a été préalablement défini et réprimé par un texte. Ce principe constitutionnel (art. 16-1
constitution béninoise ; arts. 6 et 7-2 CADHP) s’impose au législateur, au juge et au citoyen.
L’élément matériel constitue le comportement de commission ou d’omission visé par
la répression. Si les attitudes positives ou négatives dans la perpétration de l’infraction sont
punies, leur régime juridique n’est pas identique. Les infractions de commission ne
contiennent pas de définition obligatoire de l’élément matériel qui peut être déduit des termes
de l’incrimination. Les infractions de pure omission, constituées par une simple attitude
passive, sont réprimées exclusivement lorsqu’elles sont prévues par un texte spécifique. Entre
ces deux catégories, il existe la catégorie intermédiaire des infractions de commission par
omission, dont l’élément matériel peut être constitué par une action ou par une omission.
L’omission est assimilée à une action positive génératrice d’un certain résultat. Seul le
législateur peut procéder à cette assimilation.
L’élément moral (psychologique ou intellectuel) connaît des degrés multiples, allant de
la recherche du résultat, de la conscience de transgresser la norme pénale à la faute non
intentionnelle simple ou caractérisée. Par principe, les crimes et les délits sont toujours
intentionnels. Cette formulation claire est destinée à mettre fin à certaines incertitudes

6
antérieures et à éviter d’obliger le législateur à préciser ce point dans la définition de chaque
infraction.
Si le principe est certain et de portée générale, sa mise en œuvre par les juridictions
révèle de sensibles différences selon la qualité des personnes poursuivies. En principe, il
appartient au ministère public d’apporter la preuve que tous les éléments constitutifs de
l’infraction imputée au prévenu sont réunis, y compris l’élément intentionnel.

B : Intérêt de la qualification
La démarche de la qualification est la mission essentielle du juge pénal. Concrètement,
le juge décompose les différents éléments constitutifs d’une incrimination et vérifie leur
existence dans le comportement qui est soumis à son analyse. La vérification de l’élément
légal le conduit à s’assurer de l’existence d’un texte et de sa validité, alors que les éléments
matériel et moral reposent sur la prise en compte du comportement et de l’état d’esprit de
l’auteur des agissements. Ces éléments sont cumulatifs. Lorsque l’un d’entre eux fait défaut,
la qualification pénale n’est pas possible et la répression s’en trouve paralysée.

III – Les caractéristiques du droit pénal spécial


Le droit pénal spécial est le droit qui complète les autres droits, puisqu’il intervient
dans toutes les disciplines juridiques pour sanctionner l’inexécution des règles juridiques
(civil, commercial, travail). Cette omniprésence dans les autres branches du droit lui accorde
un statut particulier reposant sur son autonomie, mais elle peut conduire aussi à un danger
latent. Le recours de plus en plus fréquent à la législation pénale en France pour sanctionner le
non-respect des règles formelles est dangereux sur le plan de la politique criminelle. Les lois
trop nombreuses, méconnues, mal perçues retirent du crédit à l’intervention du législateur et
de la justice pénale qui ne joue plus son rôle d’intimidation.
Si les atteintes aux biens représentent, du point de vue quantitatif, la plus grande
catégorie des affaires jugées, les infractions contre les personnes représentent la plus
importante du point de vue de la valeur protégée.
Le plan du cours sera donc le suivant

Titre I : Les infractions contre les personnes


Titre II : Les infractions contre les biens.

7
Titre I : Les infractions contre les personnes
Le législateur, en abordant la partie spéciale du code pénal, a traité en priorité les
atteintes à l’Etat, les crimes et délits « contre la chose publique ». Par des incriminations
dirigées contre les atteintes à la vie, à l’intégrité corporelle, à l’honneur et à la dignité
humaine, ainsi que celles qui mettent en cause les bonnes mœurs, les lois pénales protègent la
personne humaine. La personne visée ici, est la personne physique, c'est-à-dire l’être humain.
Nous n’étudierons ici que les dispositions répressives ayant pour objet de protéger la
vie, la liberté, l’honneur, l’intégrité physique des êtres humains contre les attaques de leurs
semblables, et même contre leurs maladresses ou imprudences.

8
Chapitre I : Meurtres et autres crimes capitaux
Le code pénal comprend, sous cette rubrique : le meurtre proprement dit, le meurtre
accompagné de circonstances aggravantes, l’infanticide, l’empoisonnement.

Section I : Meurtre
L’homicide ou meurtre est le fait par une personne de donner volontairement la mort à
autrui (art. 295 CP). De cette disposition légale, le meurtre comprend deux éléments, un
élément matériel, un élément moral.

§ 1 : ELÉMENT MATÉRIEL
Il est caractérisé par l’accomplissement d’un acte ou d’un geste ayant entraîné la mort,
ou susceptible d’entraîner la mort2. L’élément matériel consiste dans un acte positif de nature
à donner la mort. La seule volonté, certaine et avouée, de donner la mort ne constituerait ni le
crime, ni la tentative. Peu importe le moyen employé (usage d’armes ou d’instruments, coups
portés avec la main ou les pieds, etc.). La loi fait seulement exception pour l’homicide
commis par le poison ou à l’aide de tortures, qui est incriminé comme empoisonnement ou
assassinat. Il est seulement nécessaire qu’il y ait un lien direct de cause à effet entre l’acte de
commission de l’agent et la mort de la victime. Ainsi il n’y a pas meurtre si, à la vue d’un
malfaiteur armé de revolver et le braquant sur elle, la victime, prise de frayeur, meurt d’une
rupture d’anévrisme. Le point délicat, dans des cas de cette nature, sera de savoir s’il n’y a pas
du moins tentative.
La question de savoir si un meurtre peut être commis par omission a donné lieu à des
controverses. L’intérêt de la question est moindre depuis que la loi incrimine l’omission de
porter secours, ou l’abstention volontaire d’empêcher un crime. Il est certain que l’article 295
du code pénal ne punit pas le meurtre par omission 3. Le meurtre ne peut non plus résulter de
simples tortures morales.
L’homicide est caractérisé dès que la victime est un être humain vivant, même s’il
s’agit d’un vieillard, d’un malade sur le point de mourir ou d’un enfant 4. Toutefois le meurtre
ou l’assassinat d’un enfant nouveau-né est qualifié d’infanticide.
Si par suite de circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur, les coups portés
en vue de donner la mort ne l’ont pas entraînée, il y a tentative de meurtre (art. 2 CP).
La tentative est punie comme le crime lui-même.
2
Michel VERON, Droit pénal spécial, ibid., 2000, p. 21.
3
Certains auteurs considèrent l’homicide par omission comme punissable dans le cas où une personne a été
séquestrée et privée de nourriture jusqu’à la mort. Mais, en ce cas, le crime paraît tomber sous le coup de l’article
344 du code pénal. Il y a, en effet, séquestration accompagnée de tortures. En ce qui concerne les enfants,
l’articla 312 du code pénal incrimine l’homicide par privation de soins ou d’aliments.
4
Les victimes peuvent d’ailleurs n’être pas identifiées ; en ce sens Cass. 15 mai 1946, Gaz. Pal. 1946.I.237.

9
§ 2 : ELÉMENT MORAL
L’agent doit avoir eu l’intention de donner la mort, « l’animus necandi »5. Le mobile
qui a inspiré le meurtrier est en principe indifférent. Par suite peu importe que la mort ait été
donnée dans le prétendu intérêt de la victime, pour la soustraire du déshonneur, ou mettre fin à
une agonie accompagnée d’intolérables souffrances, fût-ce à la demande de la victime elle-
même6. L’intention de donner la mort est appréciée souverainement par les juges. Elle peut se
déduire notamment de l’emploi d’une arme dangereuse.
La question de l’homicide commis par erreur a donné lieu sous ce rapport à des
difficultés. Il est certain qu’en cas d’erreur sur l’identité de la victime (le meurtrier a tué X
croyant qu’il était Y), l’homicide est constitué. L’acte a été volontaire et c’est bien contre la
victime, corporellement et physiquement, que l’agent a dirigé ses coups dans l’intention de la
tuer. Le problème est plus délicat au cas d’ « iberratio ictus » : le meurtrier a visé une
personne déterminée, mais le coup a pris une fausse direction et c’est une autre personne qui a
été tuée. La jurisprudence n’a cependant jamais hésité à considérer que dans ce cas aussi
l’homicide volontaire est constitué. Le coup en effet, a été porté volontairement, et l’agent a
voulu tuer. Ce serait donc une erreur de poursuivre le fait pour homicide involontaire. Il
semble d’ailleurs qu’on puisse en outre relever une tentative d’homicide volontaire sur la
personne que l’agent se proposait de tuer 7. De même, si l’on veut tuer une personne déjà
morte sans qu’on le sache, il y a tentative de meurtre 8 (c’est la question de l’infraction
impossible). Il peut avoir condamnation des deux coupables, en cas de tirs simultanés sur la
même victime (Crim. 1972)9. Ch. acc., Paris 9 avr. 1946, obs. Gulphe, cette Revue, 1948, p. 147;
Crim., 5 oct. 1972, Gaz. Pal., 1973.1.25 et la note, obs. Larguier dans cette Revue 1973, p. 880.
En l’absence de l’ « animus necandi », on se trouverait en présence d’un homicide par
imprudence, encore appelé homicide involontaire (art. 319 CP) ou de l’infraction de coups
mortels (art. 309 al. 4 CP).

5
Selon le Vocabulaire Juridique du doyen Cornu, l'expression latine « animus necandi » se compose de deux
éléments. Le terme « animus » signifie « âme », « esprit », il est utilisé pour désigner un élément intentionnel
permettant de déterminer certaines situations juridiques. Généralement, il est associé à un autre mot qui va
qualifier cette intention. Ainsi, par exemple, « l'animus testandi » signifie intention de faire un testament.
Associé ici à l'expression « necandi » (du latin : tuer), il désigne l'intention de tuer ou encore l'intention
homicide.
6
Cass. 23 juin 1838, S. 1938.I.626.
7
Cass. 31 janvier 1835. B. 44, S. 1835. I. 564.
8
Voir en annexe les divers commentaires sur la question : Cour de cassation (Chambre criminelle) 16 janvier
1986 (Gaz. Pal. 1986 I 377 note J.P. Doucet) ; Observations Georges LEVASSEUR (Revue de science criminelle
1986 839) ; Observations André VITU (Revue de science criminelle 1986. 849).
9
Jean et Anne-Marie LARGUIER, Philippe CONTE, Droit pénal spécial, Paris : Dalloz, 14ème édition, 2008, p.
10.

10
L’intention coupable constitutive du meurtre ne doit pas être confondue avec la
préméditation. Celle-ci se définit comme une intention mûrement réfléchie, un dessein mûri et
réfléchi d’accomplir l’infraction. Dans la préméditation, l’intention est non seulement
antérieure à l’acte délictueux, mais elle est aussi caractérisée par sa persistance jusqu’à la
consommation de l’infraction. Lorsque l’homicide a été prémédité, il y a assassinat, c'est-à-
dire un meurtre aggravé, et non un meurtre simple auquel suffit une concomitance entre le
geste brutal et l’intention.
De plus, la jurisprudence et le droit positif se montrent très libéraux dans
l’appréciation de l’élément moral du meurtre. Plutôt que d’exiger de l’auteur de l’infraction
d’avoir consciemment voulu la mort de la victime, ils posent que celui-ci aurait dû envisager
cette issue fatale. La jurisprudence retient le meurtre même dans des cas où l’auteur n’avait
pas prévu les conséquences de son acte. Pour les juges, le meurtrier aurait pu et aurait donc dû
prévoir ces conséquences. Ainsi, le fait de donner des coups pouvant entraîner la mort et qui
l’ont effectivement occasionnée, expose l’auteur de ces coups aux rigueurs des dispositions du
code pénal qui répriment le meurtre. Il en est de même s’il n’était pas véritablement entré
dans l’esprit de celui-ci l’intention de donner la mort. Toutefois, cette interprétation libérale
du droit et de la jurisprudence pose parfois des problèmes quant à l’établissement de
l’intention coupable du meurtrier : le problème de la démarcation de l’infraction de meurtre et
celle des coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner (art. 309, al. 4
CP). En général, le Ministère public requiert habituellement le meurtre plutôt que les coups
mortels toutes les fois qu’il lui est possible de démontrer que l’auteur avait conscience que la
mort pouvait résulter de son acte.
Pour prévenir les conséquences de cette fâcheuse difficulté, certaines législations
pénales (différentes de la nôtre) ont prévu certaines présomptions dans ce domaine. Il est ainsi
présumé que celui qui utilise des armes meurtrières, telles que les armes à feu, pour frapper
son adversaire a voulu, en raison du caractère dangereux de l’instrument utilisé, donner la
mort à celui-ci. De même, le fait de frapper certaines parties vitales et particulièrement
sensibles du corps humain, emporte lorsque mort s’ensuit, intention de donner la mort.
Ces présomptions légales ailleurs sont malgré tout reçues comme de simples
présomptions de fait dans notre droit pénal. Le jury d’assises peut ainsi fonder son intime
conviction sur de telles présomptions.
Exemple, par un arrêt du 20 octobre 1955, la Chambre criminelle de la Cour de
cassation a cassé un arrêt qui avait écarté la qualification d’homicide volontaire et

11
correctionnalisé l’infraction alors que les blessures ont été faites à la victime par une arme à
feu dans une partie essentielle du corps.
Rejet du pourvoi formé contre l’arrêt d’une Chambre d’accusation qui avait renvoyé
en Cour d’assises pour meurtre l’auteur d’un coup porté au moyen d’une arme dangereuse
dans une partie très exposée du corps de la victime.
En tout état de cause, une fois que les éléments matériel et moral de l’infraction établis
conformément aux dispositions légales, il y a meurtre quel que soit le moyen employé par
l’auteur des faits.

§ 3 : PÉNALITÉS
Aux termes de l’article 304 CP : « Le meurtre emportera la peine de mort, lorsqu’il
aura précédé, accompagné ou suivi un autre crime. Le meurtre emportera également la peine
de mort, lorsqu’il aura eu pour objet, soit de préparer, faciliter ou exécuter un délit, soit de
favoriser la fuite ou d’assurer l’impunité des auteurs ou complices de ce délit.
En tout autre cas, le coupable de meurtre sera puni de travaux forcés à perpétuité ».
De ces dispositions légales, il ressort que, hors les cas de cumul d’infractions, la peine
normale du meurtre sont les travaux forcés à perpétuité (art. 304). En outre, la confiscation
des armes, objets et instruments ayant servi à commettre le crime doit être prononcée.
A travers cette rigueur, le législateur a entendu faire preuve d’intimidation. Malgré
tout, la rigueur de la peine est tempérée par l’admission des circonstances atténuantes, les cas
et effets de l’excuse.
Suivant le lexique des termes juridiques, on appelle circonstances atténuantes, des
événements entourant la commission d’une infraction ou des traits de caractères relatifs à la
personne de son auteur, lesquels sont librement appréciés par le juge, et qui entrainent une
modulation de la peine dans le sens de la clémence. En accordant les circonstances
atténuantes à un accusé, la Cour d’assises peut abaisser d’un à deux degrés la peine de travaux
forcés à perpétuité. Par exemple, par l’effet des circonstances atténuantes, les peines seront
modifiées comme suit :
- Si la peine prononcée est la mort, la cour appliquera la peine des travaux forcés à
perpétuité ou celle des travaux forcés à temps.
- Si la peine est celle des travaux forcés à perpétuité, la cour appliquera les travaux
forcés à temps ou celle de la réclusion.
Cependant l’admission des circonstances atténuantes dans une affaire n’est pas exclusive
d’un cas d’excuse légale ; tel est le cas si le fait ont été commis en repoussant pendant le jour

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l’escalade ou l’effraction des clôtures, murs ou entrée d’une maison ou d’un appartement
habité ou de leurs dépendances.
Si le fait est arrivé pendant la nuit, ce cas est réglé par l’art. 329 CP, présomption de
légitime défense dont les effets sont différents de ceux de l’excuse de provocation.
En effet, conformément à l’article 326 CP : « Lorsque le fait d’excuse sera prouvé, s’il
s’agit d’un crime emportant la peine de mort, ou celle des travaux forcés à perpétuité, ou
celle de la déportation, la peine sera réduite à un emprisonnement d’un an à cinq ans (…) ».
L’excuse de provocation permet donc d’abaisser considérablement la peine encourue par
le meurtrier. Cette excuse peut, par ailleurs, se cumuler avec les circonstances atténuantes. En
pareil cas, on peut par exemple passer d’une forte peine, telle que les TFP à une peine
symbolique d’amende.
Aussi, les circonstances atténuantes qui impliquent une disqualification judiciaire,
n’enlèvent pas au meurtre sa nature de crime. Par contre, dans les cas de l’excuse de
provocation, qui donne à une disqualification légale, le meurtre devient un délit10.
Enfin, il convient de dire un mot sur les cas d’excuse. Dans les cas précis du meurtre, la
peine infligée au meurtrier peut être atténuée par l’excuse de provocation. Il s’agit là d’une
excuse spécifique au droit pénal spécial en ce qu’elle ne regarde que certaines infractions
touchant à l’intégrité corporelle, en particulier le meurtre.
L’excuse de provocation est susceptible d’application dans tous les cas de meurtre sauf
pour l’uxoricide, c'est-à-dire le meurtre du conjoint. L’article 324 CP dispose, en effet, en son
alinéa premier : « Le meurtre commis par l’époux sur l’épouse, ou par celle-ci sur son époux,
n’est pas excusable, si la vie de l’époux ou de l’épouse qui a commis le meurtre n’a pas été
mise en péril dans le moment même ou le meurtre a eu lieu ».
Ce texte suggère que la société ne tolère pas que les conjoints s’abreuvent de violences
plutôt que de tendresse et d’amour. Il n’en est autrement que dans l’hypothèse prévue à
l’alinéa 2 : « Néanmoins, dans le cas d’adultère prévu par l’article 336, le meurtre commis
par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en
flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable ».
Mais il s’agit d’une excuse atténuante et non d’une excuse absolutoire.
Par ailleurs, le meurtre est également excusable lorsqu’il a été précédé d’une provocation
caractérisée notamment des coups ou violences graves envers les personnes.
Enfin l’article 322 CP édicte deux cas d’excuse de l’homicide.

10
Crim. 24 mai 1930, S. 1932.I.35.

13
Pour les autres modalités de répression, notamment tentative, complicité et faits
justificatifs, se référer au droit pénal général (deuxième année de droit).

Section II : Meurtre accompagné de circonstances aggravantes


Le crime de meurtre peut avoir été exécuté dans des circonstances qui aggrave la
culpabilité de son auteur et entraînant l’application de peines plus sévères.
Les causes d’aggravation peuvent tenir soit aux conditions dans lesquelles le meurtre a
été commis (§ 1), soit à la qualité de la victime (§ 2).

§ 1 : CAUSES D’AGGRAVATION TENANT AUX CONDITIONS DANS LESQUELLES LE


MEURTRE A ÉTÉ COMMIS
Ces causes sont au nombre de quatre : la préméditation ou guet-apens (I), l’emploi
d’actes de barbarie (II), la concomitance du meurtre avec un autre crime (III), le délit
corrélatif (IV).

I : La préméditation ou guet-apens
Lorsque le meurtre a été commis avec préméditation ou guet-apens, il prend le nom
d’ « assassinat ».
La préméditation est le dessein formé avant l’action, d’attenter soit à la personne d’un
individu déterminé, soit même à la personne de tout individu qui sera trouvé ou rencontré,
quel qu’il soit (art. 297 CP). Sans doute, pour qu’il y ait meurtre, la volonté de tuer est
nécessaire ; mais cette volonté n’est pas préméditée ; elle surgit tout à coup. Au contraire, la
préméditation implique une résolution prise de sang-froid, réfléchie, délibérée d’avance ; c’est
une faute intentionnelle renforcée et une circonstance réelle objective. Il n’est pas
indispensable du reste qu’un long espace de temps se soit écoulé entre la conception du crime
et son accomplissement ; il suffit que l’agent ait pu réfléchir avant d’accomplir son acte.
La préméditation est caractérisée quand même le dessein d’attenter à la vie d’autrui serait
dépendant de quelque circonstance ou de quelque condition (art. 297 CP). Ainsi, prémédite
son crime l’individu qui, se proposant de commettre un vol dans une maison habitée, prévoit
le cas où il serait surpris et prépare l’arme dont il doit se servir, le cas échéant, pour tuer la
personne qui le surprendrait.
Peu importe que l’agent se soit proposé de tuer une personne déterminée ou toute autre
personne qu’il rencontrerait. Peu importe qu’il ait tué une personne autre que celle qu’il
croyait ou voulait atteindre.

14
Le guet-apens consiste à attendre dans un lieu un individu pour lui donner la mort ou
exercer sur lui des actes de violence (art. 298 CP). Le guet-apens suppose donc la
préméditation ; c’est un des actes extérieurs qui peuvent la révéler.
La vérité est que si le guet-apens implique souvent la préméditation, il peut
parfaitement y avoir guet-apens sans préméditation, car il suppose une traîtrise qui peut être
commise sur le champ ou à peu près11.
L’assassinat est puni de la peine de mort (art. 302 CP).

II : L’emploi d’actes de barbarie


Le fait qu’un crime quelconque a été précédé de tortures ou d’actes de barbarie est
considéré, par l’article 303 du code pénal, comme une circonstance aggravante. Quel que soit
le crime commis, et par exemple un vol qualifié, celui qui a commis ce crime à l’aide de
tortures est considéré comme un assassin et punit de mort. Il n’est pas nécessaire que les actes
de barbarie aient eu pour but de donner la mort12.

III : La concomitance du meurtre avec un autre crime


Le meurtre est aggravé et puni de mort, s’il a été précédé, accompagné, ou suivi d’un
autre crime13 (art. 304-1). Cette circonstance aggravante exige la réunion de deux conditions
essentielles. La première est la simultanéité du meurtre avec un autre crime. Il n’y aurait pas
concomitance si les deux crimes avaient été séparés par un laps de temps appréciable 14. La
seconde est que l’acte punissable, concomitant au meurtre, soit un autre crime ; par exemple
un autre meurtre, ou un vol qualifié15.
Mais il faut qu’il s’agisse de deux crimes distincts. Ainsi, on ne pourrait pas retenir
comme une circonstance aggravante le fait que, d’un seul coup de fusil, l’accusé aurait tué
deux personnes16.
Il est nécessaire d’ailleurs que l’auteur du meurtre soit en même temps l’auteur du
crime concomitant ; en cas de pluralité d’agents, il est nécessaire qu’ils aient participé aux
deux crimes comme auteurs, coauteurs ou complices17.

Cass. crim. 22 février 1989 (Gaz.Pal. 1989 II 593 note Doucet, Bull.crim. n°89 p.237, RSC 1989 737,
11

observations Levasseur). Voir arrêt et observations en annexes.


12
Cette disposition a été insérée dans le code pénal en raison des crimes commis à l’époque de la Révolution par
les « chauffeurs ».
13
Chacune des trois circonstances énoncées par le texte suffit, à elle seule, à caractériser la circonstance
aggravante de concomitance : Cass. crim. 5 oct. 1967, B. 241.
14
Cass. 14 janv. 1954, B. 14.
15
Cass. 1er juin 1893, B. 143. Il est évident que si le verdict dépouillait le vol concomitant de ses circonstances
aggravantes, la circonstance aggravante ne serait plus réalisée. De même si le meurtre concomitant était excusé :
Cass. 22 juin 1894, B. 162 ; Cass. 24 mai 1930, S. 1932.I.35.
16
Cass. 6 juin 1878, S. 1980.I.221, D. 1979.I.482.
17
Cass. 7 juin 1877, S. 1878.I.237.

15
Il n’est pas nécessaire, par contre, que les deux crimes soient l’exécution d’un même
projet et la suite d’une même action.
L’aggravation a lieu même s’il n’y a eu que tentative de meurtre et si le crime
concomitant n’est lui-même qu’une tentative.

IV : Le délit corrélatif
Le concours du meurtre avec un délit constitue une cause d’aggravation du meurtre, si
celui-ci a eu pour objet soit de préparer, faciliter ou exécuter le délit, soit de favoriser la fuite
ou d’assurer l’impunité du coupable (art. 304-2). Il ne suffit pas, comme dans le cas
précédent, qu’il y ait eu simultanéité entre les deux infractions ; il faut, de plus, que le meurtre
soit en corrélation avec le délit, et ait eu pour objet d’en favoriser l’exécution ou d’en assurer
l’impunité18.
Mais il importe peu que le meurtre et le délit aient été ou non commis par un même
auteur19. Peu importe également que le délit ait été consommé ou non ; il suffit que le meurtre
ait eu pour but de le préparer ; tel est le cas du malfaiteur qui, surpris au moment où il se
dispose à commettre un vol, tue le témoin. Malgré la rédaction assez défectueuse de l’article
304-2, la circonstance aggravante de corrélation doit être retenue si l’infraction que le meurtre
a eu pour but de préparer est ou non un simple délit mais un crime non concomitant.
L’interprétation littérale de l’article 304-2, qui qualifierait le meurtre en cas de délit corrélatif
et non en cas de crime corrélatif, serait absurde20.
Peu importe la nature du délit corrélatif. Il peut s’agir d’un vol simple, ou même d’un
vol couvert par l’immunité de l’articla 380 du code pénal21. De même un délit qui considéré
isolement serait atteint par la prescription de trois ans22 ou encore un crime excusé23.
La peine encourue est donc la peine de mort.

§ 2 : CAUSES D’AGGRAVATION TENANT À LA QUALITÉ DE LA VICTIME


Le meurtre est aggravé en considération de la victime dans deux cas : lorsque la
victime est un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions (I) et lorsque la victime
est un ascendant du meurtrier (II).

18
La corrélation démontrée, la simultanéité n’est même plus nécessaire : ainsi le meurtre a été commis pour
faciliter un vol exécuté plusieurs jours après (Cass. 16 mai 1863, D. 1866. V. 242). Bien entendu, le meurtre et le
délit doivent avoir une existence juridique distincte.
19
Cass. 26 mai 1948, B. 141.
20
Cass. 10 mars 1881, S. 1882.I.385. Et les circonstances aggravantes de corrélation et de concomitance peuvent
être, le cas échéant, retenues toutes deux (Cass. 13 juill. 1965, B. 175 ; 30 nov. 1965, B. 255).
21
Cass. 21 déc. 1837, S. 1838.I.247 ; 17 fév. 1944, B. 50.
22
Cass. 21 janv. 1887, S. 1888. I.233, D. 1887.I.237.
23
Cass. 10 mars 1881, S. 1882.I.385.

16
I : Le meurtre d’un fonctionnaire public
Aux termes de l’article 233 du code pénal, les coups portés et les blessures faites à l’un
des fonctionnaires ou agents désignés aux articles 228 et 230 du code pénal, dans l’exercice
ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, avec l’intention de donner la mort, sont punis
de peine de mort. Il s’agit d’un crime particulier ayant ses éléments propres.

II : Le parricide
Lorsque la victime est un ascendant du meurtrier, le meurtre prend le nom de parricide
(art. 299 CP).
Le parricide existe seulement si le meurtre est commis sur la personne du père ou de la mère
légitime, adoptif ou naturel, ou de tout autre ascendant légitime. D’après une opinion, il y
aurait parricide, même si le meurtre a été commis par un enfant naturel non reconnu, pourvu
que la filiation naturelle résulte d’éléments certains. Il en serait de même si l’auteur était un
enfant adultérin ou incestueux dont la filiation est légalement établie.
En tout cas la loi pénale devant être interprétée restrictivement, les dispositions de
l’article 299 ne peuvent pas s’appliquer au meurtre d’un des beaux-parents 24, d’un ascendant
du père naturel ou de la mère naturelle, d’un ascendant du père adoptif ou de la mère
adoptive.
Selon certains auteurs, la qualité de la victime serait une circonstance aggravante du
meurtre et non un élément constitutif d’un crime distinct. La jurisprudence, au contraire,
admet que le parricide est un crime particulier25. Les trois éléments sont donc : le fait matériel
de donner la mort, l’intention criminelle, l’existence d’un lien de filiation. L’intérêt de la
distinction réside surtout dans la façon de poser les questions. Le crime de parricide se
suffisant à lui-même, une seule question doit être posée. Toutefois, la Cour de cassation
décide que la réunion de la question de meurtre et de celle relative à la filiation n’est pas
prescrite à peine de nullité26.
Le parricide est puni de mort (art. 302). Lorsque l’auteur principal est l’enfant de la
victime, les complices encourent eux-mêmes les peines aggravées de parricide 27 ; au contraire,
si l’auteur principal est étranger à la victime, et si l’enfant n’est que complice, les peines de
parricide ne sont pas encourues28.

24
Cass. 16 juill. 1835, S. 1835.I.895.
25
Cass. 5 avr. 1838, S. 1838.I.435 ; 16 avr. 1840, S. 1840.I.381.
26
Cass. 24 mars 1953, S. 1953.I.452 ; 9 juin 1943, B. 49.
27
Cass. 24 mars 1853, S. 1853.I.452.
28
Cass. 21 mars 1844, S. 1844.I.437.

17
Section III : Infanticide
L’article 300 du code pénal dispose que l’infanticide est le meurtre ou l’assassinat d’un
nouveau-né. C’est donc un homicide volontaire, comportant les mêmes éléments que crime et
soumis aux mêmes causes d’aggravation. Le seul élément particulier est que la victime est un
enfant nouveau-né, qui a moins de trois jours. Il faut donc un fait matériel, étant précisé
toutefois que l’omission volontaire des soins indispensables à la vie de l’enfant qui vient de
naître doit être considérée comme un fait positif. Ainsi seraient coupables d’infanticide ceux
qui laisseraient volontairement un enfant nouveau-né mourir de faim ou de froid. Il faut aussi
un élément intentionnel, l’animus necandi discuté dans la doctrine. Il faut en tout cas que ce
crime soit commis dans un temps tout proche de la naissance, avant que celle-ci soit devenue
notoire29. Il suffit que l’enfant soit né vivant. Il n’est pas nécessaire en outre, qu’il fût viable30.
La peine capitale aux auteurs ou complices du crime d’infanticide est celle, suivant le
cas, du meurtre ou de l’assassinat. Le seul intérêt de distinguer l’infanticide de l’homicide
volontaire proprement dit consiste dans la circonstance que la mère bénéficie d’une véritable
excuse légale, qui d’ailleurs lui est personnelle. Qu’il s’agisse d’un meurtre ou d’un
assassinat, qu’elle soit auteur ou complice, elle encourt seulement la peine de réclusion
criminelle à temps de 10 à 20 ans (art. 302).
On notera que, devant la cour d’assises, le président, tenu de poser les questions
subsidiaires pouvant restituer les débats, doit poser la question d’homicide par imprudence si
l’intention de donner la mort ne résulte que des débats. Il ne pourrait, par contre poser la
question subsidiaire de suppression d’enfant, ce crime étant essentiellement distinct.

Section IV : Empoisonnement
Aux termes de l’article 301 du code pénal, l’empoisonnement est tout attentat à la vie
d’une personne par l’effet de substances qui peuvent donner la mort plus ou moins
promptement, de quelque manière que ces substances aient été employées ou administrées, et
quelle qu’en aient été les suites. Le texte n’exige ainsi aucunement que la victime ait subi un
préjudice du fait de cette administration pour que l’empoisonnement soit constitué. Il en
découle que le résultat de ce crime n’est pas un résultat juridique31.
La loi punit sévèrement le crime d’empoisonnement, en raison du caractère particulier
de la gravité qu’il présente. Très souvent le coupable est une personne habitant avec la victime

29
Cass. 14 avr. 1837, B. 114, S. 1837.I.358.
30
Même commis pendant l’accouchement et avant que l’enfant ait vécu de la vie extra-utérine, l’infanticide
serait constitué ; Douai, 16 mai 1882, S. 1882.I.153.
31
Valérie MALABART, Droit pénal spécial, Paris Dalloz, 3ème édition, 2007, p. 65.

18
et unie à elle par des liens de proche parenté. De plus, ce crime est généralement d’une
préparation longue et minutieuse.
Le crime se caractérise en premier lieu par un attentat à la vie. Ce n’est pas en effet un
meurtre commis par des moyens particuliers. C’est un délit formel, un attentat. Il est
consommé non par la mort de la victime, mais par l’absorption du poison, quels qu’en soient
les résultats et les effets32. Il est indifférent que la personne à qui le poison est administré ne
succombe pas et même n’éprouve aucun malaise. Il est même indifférent qu’après avoir
administré la substance toxique l’agent, éprouvant un remords, ait fait absorber à la victime
un contre-poison.
Si le poison n’a pas été absorbé, on peut se trouver en présence d’une tentative. Il en
sera ainsi toutes les fois que le poison aura été mis à la disposition de la victime, dès lors que
ce sera par suite de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur que l’absorption
du poison n’aura pas eu lieu.
Il est d’ailleurs difficile de distinguer les actes constituant un commencement
d’exécution des actes simplement préparatoires, qui ne sont pas punissables.
L’attentat à la vie, et c’est le deuxième élément du crime, doit avoir eu lieu par
l’administration d’une substance susceptible de donner la mort33 .
Il ne paraît pas nécessaire d’ailleurs que la substance administrée soit une substance
vénéneuse, c'est-à-dire de nature à causer la mort par des réactions chimiques.
L’administration de virus ou de bacilles mortels constituerait un empoisonnement.
Enfin l’empoisonnement suppose évidemment l’intention criminelle.
Le crime d’empoisonnement est sanctionné comme attentat à la vie 34, c’es-à-dire avant même
qu’il ait entraîné le décès de la victime. C’est pourquoi il est puni de mort (art. 302), comme
l’assassinat et le parricide.

32
Si la substance administrée n’est pas de nature à occasionner la mort, il n’y a pas crime d’empoisonnement,
mais seulement administration de substances nuisibles à la santé (art. 318 CP).
33
D’après l’opinion courante, la tentative est caractérisée si l’agent a, par erreur, administré une substance
toxique à une dose trop faible pour pouvoir entraîner la mort. On doit même admettre que la tentative serait
caractérisée si, l’auteur ayant eu l’intention de donner la mort, la substance administrée était inoffensive.
L’administration d’une même substance peut selon le cas constituer ce crime, ou seulement le délit prévu par
l’article 318 du code pénal.
34
Valérie MALABART, Droit pénal spécial, op. cit., p. 65.

19
Chapitre II : Coups et blessures volontaires non qualifiés de meurtre
Nous étudierons dans cette rubrique, les coups et blessures, les crimes et délits de
coups et blessures aggravés, les menaces.

Section I : Les coups et blessures volontaires


Comme le meurtre, l’infraction de coups et blessures volontaires comporte deux
éléments, un élément matériel (§ 1), un élément intentionnel (§ 2).

§ 1 : L’ÉLÉMENT MATÉRIEL
L’élément matériel consiste soit en des coups et blessures, soit en des violences ou
voie de fait. Ces actes doivent être exercés contre une personne quel que soit son âge ou son
sexe. Il importe peu que la personne atteinte ne soit pas celle qui était visée. Les violences
exercées sur soi-même ne sont pas visées.

I – Coups et blessures
Le coup s’entend de toute impression faite sur le corps d’une personne en la frappant
ou en l’atteignant soit directement avec la main ou le pied 35, soit indirectement avec un objet :
couteau, bâton, pierre, arme, même au moyen d’un animal qu’on excite 36. Le coup ne laisse
aucune lésion organique. La blessure est une lésion produite sur le corps humain par un choc
quelconque : contusion, plate, fracture, brûlure, ecchymose.
Le coup doit toujours présenter un certain degré de gravité ; sinon il ne constituerait
que l’infraction de « violences légères ». La jurisprudence avait toujours admis en effet qu’en
ajoutant au texte de l’article 309 du code pénal les mots « violences » et « voies de fait », la
loi avait entendu élargir la notion juridique des coups et blessures et qu’elle avait laissé
subsister la contravention de violences légères37. Cette jurisprudence est aujourd’hui
consacrée par le code pénal.

II – Violences et voies de fait


En ajoutant ces mots aux textes réprimant les coups et blessures, la loi du 13 mai 1863
a entendu réprimer les agressions qui, sans atteindre directement la personne, sont de nature à
l’impressionner aussi vivement que si elles étaient exercées sur son corps. Ainsi le fait de tirer
un coup de fusil ou un coup de revolver dans la direction d’une personne uniquement pour
l’effrayer, le fait de pratiquer sur une personne des manœuvres tendant à le rendre stérile, le
fait de secouer une échelle sur laquelle travaille un ouvrier, au point que l’ouvrier a dû se
cramponner à une consonne pour ne pas tomber dans le vide, le fait d’épauler son fusil et de
35
Coups de poing au soufflet : Cass. 12 juin 1891, S. 1891.I.483.
36
Cass. 7 avr. 1967, B. 105.
37
Cass. 7 janv. 1881, S. 1882.I.447.

20
mettre quelqu’un en joue, le fait de couper les cheveux d’une femme, le fait de se livrer à des
gestes inconvenants sur une femme qui prise de peur se jette de la voiture où elle était montée
et se blesse dans sa chute, le fait d’exhiber un couteau en proférant d’autres menaces, et même
dans certaines circonstances, le fait d’envahir violemment un immeuble en vue
d’impressionner son occupant, ou d’effectuer, en automobile, une manœuvre pour effrayer des
piétons.

§ 2 : L’INTENTION COUPABLE
L’inculpé a dû avoir l’intention de porter des coups ou d’exercer des violences ; sinon,
il ne se serait rendu coupable, le cas échéant, que de blessures involontaires. Peu importe, du
reste, le mobile qui l’a guidé : il suffit qu’il ait agi sans droit et en connaissance de cause ; tel
est le cas du chirurgien qui, pour expérimenter une méthode nouvelle, a fait une piqûre ayant
occasionné une incapacité à un malade38 ; de l’enfant qui, pour s’amuser, lance « une flèche »
sur un de ses camarades. Peu importe que l’auteur a agi « volontairement ».
Il est à noter que la tentative n’est pas concevable en matière de violences volontaires.
En effet, ou bien il y a eu commencement d’exécution et alors les violences qui le
caractérisent constituent l’infraction consommée ; ou bien il n’y a aucun acte d’exécution et
un des éléments légaux de la tentative fait défaut.
Par rapport à la répression, les coups et blessures, violences ou voies de fait, qui n’ont
pas entraîné une maladie ou incapacité totale de travail personnel excédant huit jours et ne
comporte aucune autre circonstance aggravante, constituent une contravention de la 5 ème
classe, punie d’un emprisonnement de dix jour à un mois et d’une amende ou d’une de ces
deux peines.
Les complices sont punis comme les auteurs principaux.
En cas de récidive, l’infraction devient un délit, puni d’un emprisonnement d’un à six mois et
d’une amende ou de l’une de ces deux peines seulement (art. 475).

Section II : Les coups et blessures accompagnés de circonstances


aggravantes
L’infraction peut être aggravée, soit en raison du préjudice qu’elle a causé (§ 1), soit
en raison des circonstances l’ayant accompagnée (§ 2), soit en raison de la qualité de la
victime (§ 3).

§ 1 : LES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES TENANT AU PRÉJUDICE CAUSÉ

38
Lyon, 15 déc. 1859, D. 1959.II.87.

21
L’infraction ordinaire consiste dans des coups, des blessures ou des violences n’ayant
entraîné aucune maladie ou incapacité ou n’ayant déterminé qu’une incapacité totale de
travail personnel n’excédant pas huit jours. S’il en est résulté une incapacité plus longue la loi
prévoit une aggravation de la peine.
Si la maladie ou l’incapacité totale de travail personnel causé par l’infraction ne dure
plus de huit jours, l’infraction constitue un délit (art. 309). Il n’y a pas à tenir compte du fait
que la victime était dans un état de santé précaire et qu’ainsi les blessures ont eu des
conséquences graves. Il suffit qu’il y ait relation de cause à effet entre les blessures et
l’incapacité39.
Si les violences ont eu pour conséquence une infirmité permanente, c'est-à-dire quand
les violences ont été suivies de « mutilation, amputation ou privation de l’usage d’un membre,
cécité, perte d’un œil, ou autres infirmités permanentes », l’infraction devient un crime (art.
309).
Si la mort est résultée des violences sans que l’inculpé ait voulu la donner, l’infraction
est un crime plus sévèrement puni.
Dans cette hypothèse, comme dans les deux précédentes, il doit y avoir relation de
cause à effet entre la violence et le décès de la victime. La mort, quelle que soit d’ailleurs
l’époque plus ou moins tardive à laquelle elle survient, doit du moins être la conséquence
directe de la blessure. Mais la relation de cause à effet ferait défaut si la blessure n’avait
déterminé le décès que par l’imprudence de la victime ou par l’ignorance des praticiens qui
l’ont soignée40.

§ 2 : LES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES TENANT AUX CONDITIONS DANS


LESQUELLES L’INFRACTION A ÉTÉ COMMISE
Comme en matière de meurtre, la préméditation ou le guet-apens est une circonstance
aggravante de l’infraction de coups volontaires.
S’il s’agit de coups et blessures n’ayant pas entraîné une incapacité supérieure à huit
jours, l’infraction devient un délit.
Si l’infraction comporte une autre circonstance aggravante tenant aux conséquences de
l’acte, elle constitue toujours un crime ; la répression est alors aggravée.
Les pénalités sont les suivantes :
- coups et blessures simples, sans incapacité supérieure à huit jours, mais avec
préméditation, guet-apens ou port d’arme : emprisonnement de deux mois à cinq ans,

39
Cass. 18 mars 1854, S. 1854.I.502.
40
Cass. 18 mars 1954.

22
amende, et en outre, facultativement, interdiction de séjour de deux à cinq ans (art. 44
et 315 CP).
- coups et blessures ayant entraîné une incapacité supérieure à huit jours :
emprisonnement de deux mois à cinq ans, amende, et en outre, facultativement,
interdiction de séjour de deux à cinq ans et privation des droits de cinq à dix ans (art.
309-1 et 2). S’il y a en outre préméditation ou guet-apens, réclusion criminelle à temps
de cinq à dix ans (art. 310 : l’infraction devient un crime).
- coups et blessures ayant entraîné une infirmité permanente, sans autre circonstance
aggravante : réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans (art. 309) ; avec
préméditation ou guet-apens, réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans (art. 310).
- coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, sans autre
circonstance aggravante : réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans (art. 309) ;
avec préméditation ou guet-apens : réclusion criminelle à perpétuité (art. 310).

§ 3 : LES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES TENANT À LA QUALITÉ D’ASCENDANT


DE LA VICTIME
A l’égard du père ou de la mère légitime, naturel ou adoptif, ou de tout autre ascendant
légitime, l’infraction s’aggrave et devient dans tous les cas un crime.
Le motif de cette sévérité se conçoit aisément. Il est odieux de voir un fils porter la
main sur ses parents.
Le tableau des peines devient alors le suivant :
- coups et blessures simples, sans incapacité de travail : réclusion criminelle simple de
cinq à dix ans (art. 312-2) ; avec préméditation ou guet-apens : maximum de la
réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans (art. 312-3).
- coups et blessures ayant entraîné une incapacité totale supérieure à vingt jours :
maximum de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans (art. 312-3) ; avec
préméditation ou guet-apens : réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans (art. 312-
4).
- coups et blessures ayant entraîné une infirmité permanente : réclusion criminelle à
temps de dix à vingt ans (art. 312-4) ; avec préméditation ou guet-apens : réclusion
criminelle à perpétuité (art. 312-5).
- coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner : réclusion
criminelle à perpétuité (art. 312-5). Dans ce cas les circonstances de préméditation et
de guet-apens ne sont pas opérantes.

23
On peut noter dans cette circonstance, même si elles ne méritent pas un développement
approfondi, les violences exercées sur les enfants de moins de quinze ans. Les parents
conservent sans doute le droit d’infliger à leurs enfants des corrections légères, qui se
traduisent d’ailleurs, dans la pratique, plutôt par des coups (gifles ou « fessées »), que par des
violences. Mais les corrections entrent dans les prévisions de la loi dès qu’elles sont
anormales41. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que ces « corrections » soient de nature à
compromettre la santé de l’enfant. Cette condition n’est exigée qu’en ce qui concerne les
privations de soins et d’aliments.

Section III : Les menaces


La loi incrimine les menaces parce qu’elles constituent un acte de violence morale qui
trouble celui qui en est victime et porte atteinte à sa liberté.
Le délit de menace est toujours intentionnel. Il n’existe que si l’agent a écrit ou
prononcé ses menaces, sachant que ses écrits ou paroles étaient de nature à intimider. Mais il
importe peu qu’il y ait eu ou non l’intention de les réaliser, qu’il ait été ou non capable de les
mettre à exécution42.
Les menaces peuvent se rapporter à un attentat contre les personnes, à un incendie (§
1) et (§ 2), à de simples voies de fait (§ 3).

§ 1 : LES MENACES ÉCRITES D’ATTENTAT CONTRE LES PERSONNES OU INCENDIE


En cas de menace, faite par écrit, image, symbole ou emblème, d’un attentat contre la
personne puni de la peine de mort ou d’une peine perpétuelle (meurtre, empoisonnement), la
peine est l’emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende.
Il en est de même en cas de menace faite par écrit, image, symbole ou emblème,
d’incendier ou de détruire par l’effet d’une mine ou d’une substance explosive les immeubles
ou les divers objets mobiliers visés par l’article 435 du code pénal (art. 436 CP).
La menace peut être incluse dans un écrit anonyme ou signé, et il importe peu que
l’écrit, l’image, le symbole ou l’emblème, ait été adressé à la personne visée par la menace ou
à un tiers.

§ 2 : LES MENACES VERBALES D’ATTENTAT CONTRE LES PERSONNES OU


INCENDIE
Si les mêmes menaces sont verbales, elles sont punissables que si elles sont
accompagnées d’un ordre ou d’une condition. L’ordre ou la condition n’est plus, en ce cas,

41
Quelques décisions anciennes, et qui n’ont plus autorité aujourd’hui avaient reconnu un certain droit de
correction aux maîtres d’école et aux ministres de cultes : Cass. 18 janv. 1889, B. 20.
42
Cass. 11 mai 1964, B. 160.

24
une circonstance aggravante, mais un élément constitutif de l’infraction. La peine est alors
l’emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende.

§ 3 : LES MENACES DE VOIES DE FAIT


La menace de voies de fait ou de violences, c'est-à-dire d’un attentat puni de peines
correctionnelles ou de police (coups, blessures ou violences volontaires, administration de
substances nuisibles à la santé) ou de peines criminelles temporaires (amputation d’un
membre), ne constitue un délit que si elle est adressée avec un ordre ou sous condition. Peu
importe qu’elle ait été faite verbalement ou par écrit, image, symbole ou emblème.
La peine est l’emprisonnement de six jours à trois mois et d’une amende ou l’une de
ces peines seulement.
Qu’advient-il, de ce qui précède, s’il existe des faits justificatifs, excuses
légales ?
En ce qui concerne les infractions de coups et blessures, violences et voies de fait, les
faits justificatifs et les causes d’excuses sont les mêmes que pour l’homicide volontaire (arts.
321 et s. ; 327 et s.)
Il n’en existe pas d’autres. Le consentement de la victime, notamment, ne constitue ni
un fait justificatif, ni une excuse légale43.
L’effet de l’excuse de provocation est de ramener la peine à l’emprisonnement d’un à
cinq ans, lorsqu’il s’agit d’un crime emportant la peine de mort, celle de la réclusion à
perpétuité ou de la détention criminelle à perpétuité ; s’il s’agit de tout autre crime, la peine
est réduite à l’emprisonnement de six mois à deux ans.
S’il s’agit d’un délit la peine est réduite à l’emprisonnement de six jours à six mois
(art. 326 CP).
De la rédaction des articles 323 et 324 du code pénal, on peut déduire que les coups à
ascendant ou entre époux peuvent être excusés.

Chapitre III : Homicide et blessure involontaires


Les infractions d’homicide et de blessures par imprudence sont prévues par les articles
319 et 320 du code pénal, ainsi que par diverses lois spéciales.

43
Cass. 1er juill. 1937, S. 1938.I.193.

25
Section I : Eléments constitutifs d’homicide et blessures par imprudence
Les infractions d’homicide et de blessures par imprudence se distinguent seulement
par la gravité du préjudice subi par la victime. Les éléments de ces infractions sont les
suivants : un élément matériel (homicide ou blessure), un élément intellectuel (faute) ; enfin
une relation de cause à effet entre la faute et l’homicide ou les blessures.

§ 1 : ELÉMENTS MATÉRIELS
Le premier élément consiste dans le fait matériel de l’homicide ou des blessures. Peu
importe la nature ou la gravité des blessures : ce sont toutes les atteintes portées à l’intégrité
corporelle de la victime ou à sa santé ; il peut s’agir des lésions externes comme des lésions
internes ou des maladies44.

§ 2 : LA FAUTE
L’infraction d’homicide ou de blessures involontaire est exclusive de toute intention
d’attenter à la vie ou à la santé de la victime. Mais il suppose, chez son auteur, une faute. En
l’absence de faute, les articles 319 et 320 ne sauraient s’appliquer. Si l’homicide ou les
blessures sont la conséquence d’un cas fortuit, il ne peut pas y avoir d’infraction. Ainsi,
malgré toutes les précautions prises, un maçon blesse un passant en laissant tomber une tuile
du toit qu’il répare. De même en cas de force majeure ou au cas où l’auteur de l’homicide ou
des blessures a accompli un acte nécessaire45 ; de même encore, si l’accident est dû à la seule
faute de la victime. Quant à la légitime défense, la Cour de cassation l’estime inconciliable
avec le caractère involontaire de l’infraction46.
L’article 319 énumère les diverses fautes qui peuvent caractériser le délit d’homicide :
la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence, l’inobservation des règlements.
L’article 320, relatif au délit de blessures par imprudence, ne mentionne expressément que le
défaut d’adresse ou de précaution. Mais de toute évidence, l’article 320 n’est que le
complément de l’article 319 et il ne fait que se référer à l’article 319 quant à la nature de la
faute.
Il en résulte que la faute prévue par les articles 319 et 320 est identique à celle que vise
l’article 1382 du code civil et que, par suite, en vertu des règles de la chose jugée, la relaxe du
prévenu par la juridiction répressive, motivée sur l’absence de faute, interdit à la victime de
former un recours civil fondé sur l’article 138247.

44
Ainsi, un commencement d’empoisonnement à la suite de l’indigestion de gâteaux ou de la consommation de
la viande malsaine : Cass. 30 déc. 1905, S. 1906.I.108.
45
Ne commet pas de faute intentionnelle ou le cycliste qui, n’ayant que ce moyen pour éviter un accident grave,
a exécuté une manœuvre contraire aux prescriptions du code de la route : Cass. 27 janv. 1933.
46
Cass. 16 févr. 1967, B. 70, JCP 1967.II.15034.

26
I – La maladresse
La maladresse consiste dans un fait matériel ou moral dérivant de l’ignorance ou de
l’impéritie de son auteur. Fait matériel : voulant tuer un gibier, un chasseur atteint un passant.
Fait moral : par suite des vices d’un plan dressé par un architecte, une maison s’écroule et une
personne est tuée ; par suite d’un vice de construction, un bâtiment qu’édifie un entrepreneur
s’effondre et les matériaux blessent un passant ; un médecin prescrit un remède
manifestement trop énergique et le malade en meurt.

II – L’imprudence
L’imprudence est une faute que ne commet pas un homme prévoyant. Le mot
« imprudence » a un sens très compréhensif. Il est appliqué fréquemment aux conducteurs de
motos ou d’automobiles. Ainsi, allant à une vitesse excessive dans une rue où la circulation
est intense, un automobiliste blesse des passants ; le maître d’un chien laissé sans surveillance
et qui mord ou renverse un passant ; de même un apiculteur enfume imprudemment des
abeilles, pour prendre le miel et celles-ci vont attaquer et piquer cruellement un voisin.

III – L’inattention ou la négligence


Les deux termes sont à peu près synonymes. C’est l’oubli ou l’omission d’une
précaution commandée par la prudence et dont l’observation eût évité l’accident. Ainsi, un
chauffeur abandonne sur la route nationale inter-Etat n° 2 (Bénin-Niger) de grosses pierres qui
avaient servi à caler les roues de sa voiture, ce qui cause la chute d’un cycliste ; un
pharmacien délivre par erreur une substance toxique ; une sage-femme faute de soins laisse
mourir un nouveau-né ; le propriétaire qui maintient en service un car dont il connaît le
mauvais état.

IV- L’inobservation des règlements


Le mot « règlement » s’entend de tous les documents administratif, d’ailleurs de jour
en jour plus nombreux, pris dans l’intérêt de la sécurité publique, qu’il s’agisse des lois, de
décrets, d’arrêtés ministériels, préfectoraux ou municipaux, d’instructions ministérielles, etc.
Peu importe, du reste, que l’inobservation d’une prescription réglementaire tombe sous le
coup ou non de la loi pénale ou même constitue une contravention prescrite ou amnistiée48.
La faute résultant de l’inobservation des règlements est indépendante de tout fait de
maladresse, d’imprudence ou de négligence ; elle suffit à elle seule à engager la responsabilité

47
Cass. 14 nov. 1898, S. 1902.I.27, admet aujourd’hui l’identité de la faute pénale et de la faute civile : Cass. 18
déc. 1912. S.1914.I.249.
48
Cass. 26 juin 1900, S. 1903.I.207.

27
de son auteur. En revanche, l’observation des règlements peut laisser subsister une
maladresse, une négligence ou une imprudence.

§ 3 : LA RELATION DE CAUSE À EFFET ENTRE LA FAUTE ET L’HOMICIDE OU LES


BLESSURES
Le troisième élément de l’infraction est la relation de cause à effet entre la faute et
l’homicide ou les blessures. La faute du prévenu doit être la cause de l’accident. Mais il n’est
pas nécessaire qu’elle en soit la cause immédiate ; il suffit qu’elle en soit la cause médiate
certaine ; l’article 319 suppose, en effet que le prévenu a « commis involontairement un
homicide » ou en a « été la cause ».
Lorsque l’accident est dû au fait d’un tiers, celui-ci peut être poursuivi s’il a commis
une faute personnelle initiale ; peu importe qu’il n’ait pas participé directement à l’acte. Ainsi,
un patron fournit à son ouvrier un instrument en mauvais état, l’ouvrier en s’en servant, blesse
un camarade. La responsabilité pénale est également engagée au cas où l’accident est dû à des
fautes multiples imputables à plusieurs personnes : la faute de l’une peut justifier celle de
l’autre49.

Section II : Pénalités
L’auteur du délit d’homicide involontaire est puni d’un emprisonnement de trois mois
à deux ans et d’une amende de (art. 319 CP).
S’il s’agit de simples blessures ayant entraîné une incapacité totale de travail personnel
pendant plus de trois mois, la peine est un emprisonnement de quinze jours à un an et une
amende ou l’une de ces deux peines seulement (art. 320).50
En matière d’accident de la circulation, les peines correctionnelles de l’article 320 sont
applicables, quelle que soit la durée de l’incapacité de travail, lorsque le prévenu était sous
l’empire d’un état alcoolique.
Lorsque les délits d’homicide et de blessures involontaires sont accompagnés d’un
délit de fuite, les peines des articles 319 et 320 sont portées au double.

Section III : Homicide ou blessures provoquées par un incendie


L’incendie par imprudence n’est qu’une contravention. Mais si un incendie
involontairement provoqué entraîne la mort ou provoque les blessures d’une ou de plusieurs

49
Cass. 7 mai 1868, S. 1969.I.95.
50
Si l’incapacité totale de travail a été de trois mois ou moins, le fait est une contravention de la cinquième classe
punie d’un emprisonnement de dix jours à un mois et d’une amende.

28
personnes, il est fait application à l’auteur de l’incendie des peines prévues pour l’homicide
ou les blessures pour imprudence (art. 320-1).

29
Chapitre IV : Attentats aux mœurs
Par l’expression générique d’ « attentats aux mœurs », le code pénal désigne un certain
nombre d’infractions qui ont pour caractère commun de porter atteinte à la pudeur : l’outrage
public à la pudeur, les attentats à la pudeur, le viol. Il y ajoute le proxénétisme, l’adultère et la
bigamie. Seules les premières catégories (les plus importantes) feront l’objet de
développement.

Section I : Outrage public à la pudeur


La loi punit, sous le nom d’outrage à la pudeur, tout acte matériel contraire aux bonnes
mœurs, lorsqu’étant commis en public il est de nature à léser la pudeur de ceux qui peuvent en
être témoins. A la différence de l’attentat à la pudeur, la prévention d’outrage public à la
pudeur n’a pas essentiellement pour objet la répression d’actes impudiques en tant que
commis à l’égard d’une personne déterminée, mais bien la réparation du scandale causé par de
tels actes à raison du caractère de publicité dont ils sont revêtus.

§ 1 : ELÉMENTS CONSTITUTIFS DE L’INFRACTION


Les caractères constitutifs du délit sont au nombre de trois : un fait matériel contraire
aux bonnes mœurs, une publicité et un élément moral.

I : Fait matériel contraire aux bonnes mœurs


La loi n’a pas défini la nature des faits qu’elle incrimine ainsi. Ce sont tous les actes
susceptibles d’offenser la pudeur. Il peut s’agir peut être de l’exhibition des parties sexuelles
ou un rapprochement sexuel ; d’un attroupement indécent sur une femme, accompagné ou non
de paroles obscènes ; de même le fait de passer la main sous la jupe d’une jeune fille, sans
même qu’elle résiste51 ; un acte contre nature avec un individu de même sexe.
Il doit toujours y avoir un acte matériel. Des paroles ou des écrits obscènes publiés
constitueraient non le délit d’outrage public à la pudeur, mais celui d’outrage aux bonnes
mœurs puni par les articles 283 et 284 du code pénal.

II : Publicité
L’outrage doit être public. Ce n’est pas en effet l’acte lui-même que la loi punit ; c’est
le scandale qui en résulte, l’atteinte portée à la pudeur de ceux qui en sont ou peuvent en être
témoins.
Le mot « public » doit être entendu dans son sens le plus large. Il faut et il suffit que l’acte
obscène ait lieu dans des conditions telles qu’il ait été perçu ou ait pu l’être par des tiers. Peu
importe qu’il ait été commis dans un lieu public ou dans un lieu privé.
51
Cass. 8 fév. 1990, D. 1900.I.279.

30
Il y a publicité si l’outrage a été commis dans un lieu public « par nature » (place, rue,
route), alors même qu’en fait, il n’y a pas eu de témoin. Peu importe que l’acte ait été
accompli pendant la nuit dans un endroit désert52.
Un lieu est considéré comme public dès qu’il est accessible à un nombre même
restreint de personnes : mairie, école, salle d’hôpital, magasin, restaurant, débit de boissons,
wagon de chemin de fer, etc.
Si l’outrage a été commis dans un lieu privé (maison ou propriété d’un particulier), il
suffit que l’auteur ait pu être aperçu de l’extérieur par des tiers, ou même que, sans rencontrer
d’obstacles, ces tiers aient pu pénétrer dans le lieu où l’acte s’est accompli. Les tribunaux
disposent d’un large pouvoir d’appréciation. Même commis dans un lieu privé et clos, l’acte
indécent constitue un outrage public à la pudeur, s’il y a eu des témoins involontaires53.
Si les actes immoraux se sont passés dans un lieu privé, en présence de témoins
volontaires, il n’y a pas délit : la pudeur de personne n’a été offensée.

III : Elément moral


Bien que la doctrine soit partagée, et, que la Cour de cassation ait hésité 54, on admet
aujourd’hui que le délit ne suppose pas l’intention criminelle ; il n’est pas nécessaire que
l’inculpé se soit proposé d’outrager la pudeur publique. Il suffit que, sans nécessité, il se soit
librement exposé à être vu dans une position inconvenante. La négligence dont il s’est rendu
coupable en omettant sciemment de prendre les précautions utiles ou ne prenant pas de
précautions suffisantes pour cacher l’acte obscène justifie l’application de la loi pénale.

§ 2 : PÉNALITÉS
L’outrage public à la pudeur est puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans
d’emprisonnement et d’une amende (art. 330-1).
Lorsque l’outrage public à la pudeur consiste en un acte contre nature avec un individu
de même sexe, la peine est un emprisonnement de six mois à trois ans d’emprisonnement et
une amende (art. 330-2).

Section II : Attentats à la pudeur


L’attentat à la pudeur est un acte exercé directement sur une personne et de nature à
porter atteinte à sa pudeur, sans qu’il y ait à distinguer s’il est commis publiquement ou non.

52
Cass. 1er mars 1863, S. 1863.I.555.
53
Cass. 4 août 1877.
54
Cass. 3 mars 1898.

31
Il y a crime d’attentat à la pudeur, alors même qu’aucune violence n’a été exercée, si la
victime est mineure, dans certains cas, si elle est mineure de moins de 18 ans (autrefois 21
ans). Si la victime est majeure, le crime n’existe que s’il y a violence.
Nous examinerons successivement les éléments constitutifs à tous les crimes d’attentat
à la pudeur, l’attentat à la pudeur sans violence, l’attentat à la pudeur avec violence.

§ 1 : ELÉMENTS COMMUNS À TOUS LES ATTENTATS


Deux éléments constitutifs sont communs à tous les attentats : un fait matériel portant
atteinte à la pudeur et une intention coupable.

I – Fait matériel portant atteinte à la pudeur


L’attentat à la pudeur se caractérise par un acte contraire aux mœurs exercé
directement sur une personne. Ainsi, un individu relève la robe d’une femme jusqu’à la
ceinture ; ou il touche les parties sexuelles d’une personne de l’un ou l’autre sexe. La
personne même de la victime doit être mise en jeu dans l’accomplissement de l’acte ; le mot
« attentat » implique une action immédiate sur la victime ; sinon il pourrait seulement y avoir
outrage à la pudeur.
Il n’est pas nécessaire que l’acte soit pratiqué sur la personne même de la victime ; il
peut être accompli par la victime sur la personne de celui qui la souille ; ainsi un individu se
fait toucher les organes sexuels par un enfant âgé de moins de quinze ans55.
Les articles 331 et 332 visent l’attentat « consommé ou tenté ». La loi considère
comme un crime aussi bien l’attentat « tenté » que l’attentat « consommé ». En effet, en
raison même de la nature de cette infraction, tout acte ayant le caractère d’un commencement
d’exécution est nécessairement lui-même constitutif d’un attentat. Dès qu’un acte impudique
est accompli sur une personne, quelle qu’elle soit la gravité, l’attentat est consommé.
L’attentat tenté est donc puni comme crime et non comme tentative et il n’y a pas lieu, en
conséquence, de poser à la cour d’assises la question de savoir si la tentative a manqué son
effet par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Il est d’usage, dans la
pratique, d’inculper ou d’accuser l’auteur présumé d’avoir « consommé ou tenté » un attentat
à la pudeur.

II – Intention coupable
Le crime suppose chez son auteur l’intention criminelle. Mais cette intention ne peut
guère se séparer du fait lui-même. Le mobile importe peu. Il y a crime non seulement si

55
Cass. 24 juill. 1874, S. 1874.I.408.

32
l’auteur a voulu satisfaire ses passions, mais encore, par exemple, s’il a été guidé par une
curiosité obscène, ou la vengeance.

§ 2 : ATTENTAT À LA PUDEUR SANS VIOLENCE


L’attentat à la pudeur, même exempt de violence est puni dans deux cas : s’il est
accompli par une personne quelconque sur un mineur de moins de quinze ans ; s’il est
commis par un ascendant sur un mineur de quinze à moins de 18 ans.

I – Attentat à la pudeur sur un mineur de moins de quinze ans


La loi présume qu’en raison de son âge, l’enfant ne s’est pas rendu compte de la portée
des actes exercés sur sa personne et n’a donc pas librement consenti. La seule condition
exigée, en dehors de celles qui sont communes à tous les attentats, est que l’enfant de l’un ou
l’autre sexe soit âgé de moins de quinze ans. La minorité de quinze ans est un élément
constitutif du crime.
Le fait matériel peut consister dans un acte immoral quelconque, notamment dans des
relations sexuelles (car le viol ne peut pas être retenu que s’il y a violence).
La peine est la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans (art. 331-1).
Il a été prévu des circonstances aggravantes. L’article 333 en prévoit deux espèces.
En premier lieu, le crime est aggravé et la peine consiste dans la réclusion criminelle à temps
de dix à vingt ans, si l’attentat sans violence a été commis par un ascendant, par une personne
ayant autorité sur le mineur, par son instituteur, par un fonctionnaire ou un ministre de culte.
En deuxième lieu, le crime est aggravé s’il a été exécuté avec le concours de deux ou de
plusieurs personnes : la peine est également celle de la réclusion criminelle à temps de dix à
vingt ans (art. 333).

II – Attentat à la pudeur commis sans violence sur un mineur âgé de 15 à 18 ans


L’auteur n’est punissable que s’il est un ascendant de la victime (art. 331).
L’expression ascendant est limitative, elle n’englobe pas les alliés (mari de la mère, etc.).
Mais elle comprend l’ascendant légitime, naturel ou adoptif, l’ascendant légitime au deuxième
ou troisième degré.
Le caractère délictueux de l’acte disparaît si le mineur a été émancipé par le mariage.
La peine est la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans (art. 331-2).

§ 3 : ATTENTAT À LA PUDEUR AVEC VIOLENCE

33
En dehors des cas où il est commis sur un mineur de quinze ou par un ascendant sur un
mineur de moins de dix-huit ans, l’attentat à la pudeur suppose, outre l’acte matériel contraire
à la morale et l’intention coupable, l’emploi de la violence, qui en est l’un des éléments
constitutifs.
L’attentat à la pudeur commis avec violence est toujours un crime. La jurisprudence
assimile à la violence physique, la violence ou la supercherie et tend à considérer que l’acte
est soumis avec violence dès qu’il est commis sans le consentement de la victime. Ainsi un
individu profite du sommeil de celui qui partage son lit pour se livrer sur lui à des actes
impudiques, ou encore un médecin se livre par surprises à des actes impudiques sur une
cliente.
La violence peut s’exercer sur une personne de l’un ou de l’autre sexe. L’attentat serait
punissable même s’il était exercé par un mari sur sa femme, qu’il voudrait, par la violence
contraindre à des actes contre nature.
La peine est la réclusion criminelle de cinq à dix ans (art. 332-3).
Trois causes d’aggravation de crime sont prévues par les articles 332 et 333 :
- Âge de la victime : si, au moment de l’attentat commis avec violence, la victime était
âgée de moins de 15 ans, l’auteur est puni de la peine de la réclusion criminelle à
temps de dix à vingt ans (art.332-4). Le jeune âge de la victime est donc ici une
circonstance aggravante du crime, alors qu’en cas d’attentat sans violence, il en est un
élément constitutif.
- Qualité du prévenu : si le prévenu est une des personnes mentionnées dans l’article
333 (ascendants, personne ayant autorité sur l’enfant, etc.), la peine est celle de la
réclusion criminelle à perpétuité, quel que soit l’âge de la victime. Cette circonstance
n’existe que si la qualité requise par la loi se rencontre dans la personne de l’auteur du
crime ; il ne suffit pas qu’elle se rencontre chez un complice.
- Pluralité d’agents : si l’auteur du crime a été aidé par une ou plusieurs personnes, ce
fait constitue une circonstance aggravante, rendant applicable la peine de la réclusion
criminelle à perpétuité, quel que soit l’âge de la victime (art. 333). L’aggravation des
pénalités n’a lieu que s’il y a une aide directe et réelle d’un coauteur ou d’un complice
dans la consommation même de l’attentat ; la complicité pour le préparer ou le
faciliter ne suffirait pas.

34
Section III : Viol
Le viol est l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre
le gré de celle-ci, soit que le défaut de consentement résulte de violence physique ou morale,
soit qu’il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise.
Il sera examiné les éléments constitutifs et les pénalités.

§ 1 : LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS


En dehors de l’intention criminelle, d’ailleurs difficilement séparable du fait lui-même,
les éléments constitutifs du crime sont au nombre de deux : rapprochement de l’homme et de
la femme, emploi de la violence.

I – Rapprochement de l’homme et de la femme


Le viol consiste essentiellement dans une conjonction sexuelle. Tout acte autre que le
coït, l’introduction du membre viril dans les organes sexuels de la femme, ne peut constituer
un viol. Ainsi, il n’y a pas viol si un individu parvient par la violence à avoir avec une femme
des relations contre nature, s’il déflore un enfant par un autre moyen que l’introduction du
membre viril, s’il souille un enfant de sexe masculin. Pour la même raison, le viol ne peut être
commis par une femme.
La tentative de viol est punissable (art. 2). Mais, en fait, les premiers actes ne suffisent
généralement pas à caractériser la tentative, l’intention de parvenir à une conjonction sexuelle
étant incertaine, et ils ne peuvent e général, être qualifiés que comme des attentats à la pudeur.
La tentative n’est caractérisée au moment ou le couple accompli des actes démonstratifs de
son intention d’arriver à la conjonction sexuelle.

II – Emploi de la violence
La violence est de l’essence même du viol. Mais il suffit d’une violence morale et, en
fait, il y a viol dès que la femme n’a pas consenti. Se rend coupable de viol l’homme qui
abuse d’une folle ou d’une femme endormie.
La violence doit toutefois être illégitime. Un mari qui userait de violence pour avoir
des relations normales avec sa femme ne commettrait pas un viol : il se rendrait coupable de
violence volontaire.
Il convient d’observer que les violences caractéristiques du crime de viol constituent
en elles-mêmes, le délit prévu par les articles 309 et s. du code pénal. L’auteur peut donc être
poursuivi en vertu de ces articles si les autres éléments constitutifs du crime de viol (ou
d’attentat à la pudeur) ne se rencontrent pas.

35
§ 2 : PÉNALITÉS
Le crime de viol est puni de la réclusion criminelle de dix à vingt ans (art. 332-1).
Comme en matière d’attentat à la pudeur commis avec violence, la loi admet trois causes
d’aggravation du crime :
- Âge de la victime : si la victime est une mineure de 15 ans, la peine encourue est le
maximum de la réclusion criminelle de dix à vingt ans, soit vingt ans (art. 332-2).
- Qualité de l’auteur : si le coupable a autorité sur la victime ou est une des personnes
énumérées dans l’article 333, la peine est celle de la réclusion criminelle à perpétuité,
quel que soit l’âge de ladite victime.
- Pluralité d’auteurs : cette circonstance aggravante entraîne l’application de la réclusion
criminelle à perpétuité comme au cas de l’attentat à la pudeur (art. 333).

Chapitre IV : Injures et diffamations


La loi française du 29 juillet 1881, à diverses reprises modifiées, ne se borne pas,
comme son nom l’indique, à réglementer la liberté de la presse, et à réprimer les abus qui
peuvent être faits de cette liberté. La plupart des infractions qu’elle prévoit, et notamment
l’injure et la diffamation, peuvent avoir été commises par d’autres moyens de diffuser la
pensée que les journaux ou écrits périodiques.
Aux termes de l’article 29 de cette loi, la diffamation est « toute allégation ou
imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du
corps auquel le fait est imputé ».
L’injure est « toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne
renferme l’imputation d’aucun fait ».

36
Le diffamateur se réfère à un fait déterminé, exact ou faux. Ainsi, un individu a dit en
public que telle personne a subi une condamnation pour vol.
L’injure existe par le seul fait qu’on emploie à l’égard d’un tiers une expression en
elle-même outrageante, sans qu’elle se réfère à un fait déterminé ; ainsi les expressions :
« bandit », « canaille ».
Au Bénin, c’est la loi n° 97-010 du 20 août 1997 qui réprime l’injure et la diffamation.
Ainsi, aux termes de l’article 83-1 de la loi, la diffamation est : « toute allégation ou
imputation des faits qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du
corps auquel le fait est imputé. La publication directe par voie de reproduction de cette
allégation ou de cette imputation est punissable même si elle est faite sous forme dubitative
ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé mais dont l’identification
est rendue possible par des termes de discours, cris, menaces, écrits ou imprimé, placards ou
affiches incriminés ». Concernant l’injure, il faut se référer à l’alinéa 2 : « Toute expression
outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une
injure ».
La loi à divers égard, traite différemment l’injure et la diffamation.

Section I : Les éléments constitutifs de l’injure et de la diffamation


Il existe des éléments communs et des éléments spécifiques aux deux infractions.

§ 1 : ELÉMENT COMMUN : LA PUBLICITÉ


La publicité se définit comme le caractère d’un acte public. Elle est un élément
essentiel des deux délits : l’injure et la diffamation ne sont des délits que si elles sont
publiques. A défaut de publicité, elles se confondent dans la contravention d’injure non
publique.
La publicité peut résulter soit de discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou
réunions publics, soit d’écrits, imprimés, vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans
des lieux ou réunions publics, ou de placards ou affiches exposés au regard du public. Elle
peut résulter aussi de dessins, gravures, peintures, emblèmes ou images mis en vente,
distribués ou exposés au public (art. 78).
Les injures et diffamations peuvent donc avoir lieu par paroles, écrits ou dessins. S’il
s’agit de paroles, elles doivent être proférées dans des lieux publics. Les lieux publics, sont,
outre les lieux publics par nature, qui sont affectés à l’usage de tous, et accessibles à chacun à
tous moments, les lieux publics par destination (café, églises, salles d’audience, bureaux), qui
sont ouverts au public à certains moments déterminés, et aussi les lieux privés devenant

37
occasionnellement publics par le fait de la présence d’un certain nombre de personnes. C’est
alors une question de fait. Il faut, en outre, que les propos soient prononcés sur un ton assez
élevé pour être entendus des tiers56.
S’il s’agit d’écrits ou de dessins, l’exposition doit avoir été faite dans un lieu public.
Mais la vente et la distribution constituent par elles-mêmes la publicité exigée par la loi,
même si elles n’ont matériellement lieu dans un public 57. Même l’envoi sous pli fermé et par
la poste peut constituer la publicité s’il est fait à un certain nombre de personnes58.
Le problème de la publicité s’est trouvé en des termes nouveaux à la suite du
développement des moyens modernes de diffusion de la pensée ; il a pu être fait application
sans difficulté des dispositions légales aux projections publiques de films
cinématographiques ; il a même été facilement admis que les propos tenus au cours d’une
émission radiophonique étaient publics au sens de l’article visé59 ; par ailleurs il n’est pas
douteux qu’une émission de télévision est publique au sens de l’article 83 ; il en est de même
de l’internet.

§ 2 : ELÉMENTS CONSTITUTIFS SPÉCIAUX


Il sera question des éléments propres à la diffamation et à l’injure.

I – La diffamation
De l’élément légal de la définition, et outre la publicité, on retient quatre éléments.

A : Allégation ou imputation d’un fait déterminé et précis


L’allégation est une assertion produite sur la foi d’autrui, sur la rumeur publique, sur
les hypothèses. L’imputation, au contraire, est une affirmation, une accusation ferme.
L’allégation ou l’imputation doit porter sur un fait précis, dont la vérité ou la fausseté
pourrait être contrôlée. Ce fait doit pouvoir faire l’objet d’une preuve, d’un débat
contradictoire pour établir la réalité ou la fausseté. C’est la précision du fait allégué qui
permet de distinguer le délit de diffamation de celui de l’injure. Ainsi X a dit que Y avait été
condamné pour vol, ou qu’il croyait qu’elle avait été condamné pour vol. Il a énoncé un fait
précis pouvant être vérifié : il a donc commis une diffamation, même si la condamnation n’a
pas été précisée. Par contre, dire que « X est un voleur » n’est qu’une simple injure.

56
Cass. 5 juill. 1917, S. 1920.I.87.
57
Cass. 16 déc. 1918, S. 1918.I.157.
58
La distribution d’un écrit à diverses personnes pour ne pas constituer une publication doit avoir été faite à titre
confidentiel et l’écrit doit avoir par lui-même le caractère d’une correspondance personnelle et privée : Cass. 18
juill. 1935.
59
TC Bourges, 19 juill. 1934, DP. 1934.II.547.

38
L’allégation ou l’imputation est punissable, même présentée sous forme déguisée ou par voie
d’insinuation60.

B : Fait de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération


Un fait porte atteinte à l’honneur quand il est contraire à la probité ou à la loyauté ;
peu importe qu’il tombe sous le coup de la loi pénale. L’honneur est un sentiment qui nous
donne l’estime ou la fierté de nous-mêmes. L’honneur s’apprécie objectivement par les juges
dans un procès de diffamation.
Un fait porte atteinte à la considération quand il constitue un manquement aux
principes qu’un homme est tenu d’observer en raison de sa situation sociale ou de sa
profession. Telle allégation, soit qu’un homme marié a une maîtresse, soit qu’une personne a
renoncé à la succession de son père ; soit l’affirmation qu’un magistrat statue avec partialité
en raison de ses opinions politiques.
La nécessité de protéger l’honneur et la considération des personnes doit cependant se
concilier avec les droits de libre discussion et de critique, qui appartiennent aux citoyens,
surtout à l’égard de ceux qui, se livrant par exemple à des travaux littéraires ou scientifiques,
ou prenant part aux luttes politiques, s’offrent eux-mêmes à l’appréciation du public. La loi
protège essentiellement les valeurs morales, plutôt que les valeurs intellectuelles et
professionnelles. Il y a un départ à faire entre ce qui n’est que l’usage de la liberté, et ce qui
en est l’abus.
La diffamation est punissable, en période électorale, comme à tous les autres moments
et la loi ne fait pas de distinction.

C : Désignation de la personne ou du corps contre lequel l’allégation ou l’imputation est


dirigée
Aux termes de l’article 83-1 de la loi n°97-010 du 20 août 1997, le législateur a
précisé expressément que l’allégation ou l’imputation doit être directement dirigée contre le
corps ou la personne que la loi protège. Il n’est pas nécessaire, sans doute, que le corps ou la
personne soit nommée expressément et il suffit qu’on puisse le reconnaître 61. Mais ce corps ou
cette personne doit être personnellement atteint.
La diffamation peut être aussi bien dirigée contre une personne morale que contre une
personne physique.

60
Cass. 20 juin 1946, S. 1947.I.19.
61
Cass. 18 juin 1874, D. 1875.I.398.

39
D : Intention coupable (élément moral)
L’intention coupable, toujours exigée, même si, à défaut de publicité, la diffamation
devient une contravention, consiste dans la connaissance chez le diffamateur que le propos, le
dessin ou l’écrit atteindrait autrui dans son honneur et sa considération. Elle est indépendante
du mobile auquel il obéit. Le juge n’a pas à en constater l’existence, et on peut même dire que
cette existence est présumée. Elle résulte en effet de la nature même du propos, de l’écrit ou
du dessin par lequel se réalise le délit. On ne peut concevoir par exemple qu’une personne
publie un article de presse contenant une imputation attentatoire à l’honneur d’un tiers sans
qu’elle ait eu l’intention d’attenter à cet honneur. La Cour de cassation a eu à maintes reprises
l’occasion d’affirmer, notamment à l’égard des journalistes, que ni la volonté de renseigner le
public, ni l’absence d’animosité personnelle, ne suffisent à détruire la présomption de
mauvaise foi62. Il en est de même de la croyance en l’exactitude des faits allégués. La loi punit
la diffamation sans distinguer selon que le fait est vrai ou faux, hors le cas où la preuve de la
vérité du fait diffamatoire est admise comme un fait justificatif. Cependant le journaliste qui
se comporte en informateur objectif et se borne à éclairer le public, selon l’usage, sur les
éléments d’une affaire judiciaire ou autre de nature à préoccuper l’opinion publique peut
utilement exciper de sa bonne foi63.
Selon les tribunaux, la bonne foi, quand elle est reconnue, fait disparaître un des
éléments constitutifs de l’infraction, à savoir l’intention délictueuse elle-même ; il doit être
observé que dans l’hypothèse où la preuve des faits diffamatoires n’est pas autorisée le
prévenu conserve la faculté d’établir sa bonne foi suivant les règles du droit commun.
Ajoutons que, lorsqu’un justiciable dénonce aux autorités des faits qu’il considère
comme délictueux ou de nature à motiver des sanctions disciplinaires, les imputations qu’il
est ainsi amené à porter contre la personne qu’il vise ne sauraient être considérées comme
diffamatoires. Il use, en effet, d’un droit, ou même accomplit un devoir si les imputations sont
exactes. Si elles sont fausses, il commet un délit de dénonciation calomnieuse. Il n’en serait
autrement que si, indépendamment des faits de nature à motiver les sanctions, le dénonciateur
ajoutait d’inutiles expressions outrageantes ou injurieuses.

II – L’injure
Au regard de l’art 82-2 de la loi du 20 août 1997, les éléments constitutifs propres à
l’injure sont au nombre de trois.

62
Cass. 28 janv. 1916, S. 1918.I.25 ; 25 oct. 1938, DP. 1939.I.77.
63
Cass. 27 janv. 1949, B. 27. Mais le devoir d’objectivité du journaliste lui impose de vérifier avant la
publication l’exactitude des faits qu’il publie : Cass. 14 mars 1962, B. 131.

40
A : Expression outrageante, terme de mépris ou invective
La loi n’exige pas, comme au cas de diffamation, l’allusion à un fait précis.
Peu importe que l’expression incriminée porte ou non atteinte à l’honneur ou à la
considération. Son caractère injurieux résulte de sa violence ou de sa grossièreté : ainsi
« assassin », « imbécile », « crapule », etc. Les tribunaux ont un pouvoir d’appréciation. Ils
tiennent compte, par exemple, du milieu social, du sens donné à l’expression dans la localité,
etc.

B : Désignation de la personne visée


Comme la diffamation, l’injure doit avoir été adressée par écrit, dessin ou discours, à
une personne ou à un corps protégé par la loi. Les propos injurieux doivent nécessairement
viser une personne physique ou morale ou l’un des corps visés aux articles 84 et 85 de la loi
du 20 août 1997. Cette personne doit être identifiée ou, à tout le moins, identifiable par son
entourage professionnel ou personnel. Pour l’injure envers les morts les règles sont les mêmes
que pour la diffamation.

C : Intention coupable (élément moral)


Comme la diffamation, l’auteur de l’injure doit avoir agi avec intention coupable.
Cette intention est présumée, sauf pour le prévenu de rapporter la preuve de sa bonne foi.

Section II : Personnes et corps protégés contre l’injure et la diffamation


Les corps et personnes protégées contre les diffamations et injures sont énumérées par
les articles 84 et 85 de la loi du 20 août 1997. De plus, la loi prévoit les offenses au chef
d’Etat et ministres étrangers et aux agents diplomatiques.

§ 1 : PERSONNES PUBLIQUES COLLECTIVES


La loi énumère :
1- Les cours et tribunaux,
2- Les armées de terre, de mer, et de l’air,
3- Les corps constitués (organismes auxquels la constitution ou les lois ont dévolu une
portion de l’autorité ou de l’administration publique et qui peuvent à tout moment se
réunir en assemblée générale, tels l’Assemblée nationale, le conseil municipal, les
facultés ; mais non des ordres d’avocats ou autres, ni les compagnies d’officiers
ministériels)
4- Les administrations publiques

41
Il faut que les diffamations ou les injures atteignent ces diverses personnes collectives
dans la fonction que la loi leur attribue. D’ailleurs, une imputation portée contre la collectivité
pourrait atteindre individuellement chacun de ses membres.

§ 2 : FONCTIONNAIRES PUBLICS ET CITOYENS CHARGÉS D’UN SERVICE PUBLIC


Les articles 84 et 85 de la loi de 1997 protègent non les collectivités, mais les
personnes ayant une certaine qualité, ou disposant de l’autorité publique. Ce sont :
Les ministres, les membres du parlement, les fonctionnaires publics, les dépositaires
ou agents de l’autorité publique (les officiers notamment), les citoyens chargés d’un service 64
ou d’un mandat public, temporaire ou permanent, les jurés, et enfin les témoins à raison de
leur déposition.
La diffamation ou l’injure doit avoir été commise en raison de leur fonction ou de leur
qualité. Sinon, il y aurait diffamation ou injure envers un particulier. Il ne suffit pas pour
qu’une personne visée puisse être considérée comme mise en cause à raison de ses fonctions
ou de sa qualité, que le propos incrimine sa vie publique plutôt que sa personne privée ; il faut
de plus que ce propos, qui doit s’apprécier non d’après le mobile qui l’a inspiré ou le but
recherché par son auteur, mais d’après la nature du fait sur lequel il porte, contienne, la
critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction.
Enfin, le caractère « citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public » est reconnu
à toute personne investie dans une mesure quelconque d’une portion de l’autorité publique.
Tel est le cas de ceux investis d’un mandat électif comme les maires et leurs adjoints ou un
président de chambre de commerce et d’industrie.

§ 3 : DIFFAMATIONS ET INJURES ENVERS PARTICULIERS


La diffamation et l’injure envers les particuliers engobent les personnes privées
qu’elles soient à caractère raciste ou dirigés contre la mémoire des morts.
Les particuliers sont les personnes autres que celles énumérées dans les articles qui
précèdent, et dans ceux qui suivent. Il faut y comprendre d’ailleurs les personnes visées
lorsqu’elles ne sont pas attaquées à l’occasion de leurs fonctions (art. 85 de la loi de 1997).
Les particuliers ne sont pas seulement les personnes physiques, mais aussi les
collectivités, lorsqu’elles ont la personnalité morale (syndicats, associations déclarées,
sociétés commerciales).

64
Les citoyens chargés d’un service public sont ceux qui disposent de l’autorité publique (professeurs,
instituteurs, syndics), mais non les employés des administrations publiques qui n’exercent par eux-mêmes
aucune autorité (secrétaires de mairie, architecte) ni les officiers ministériels.

42
La diffamation envers les particuliers est notamment visée par l’article 86-1 de la loi
n° 97-010 du 20 août 1997 qui dispose : « la diffamation, commise envers les particuliers par
l’un des moyens énoncés à l’article 78 sera punie… ».
L’alinéa 2 du même article réprime plus sévèrement, en aggravant la peine et en
augmentant le montant de l’amende, la diffamation en raison de leur appartenance « à une
race ou à une région par leur origine ou à une religion déterminée ou encore à l’un quelconque
des courants er communautés philosophiques protégées par l’article 23 de la constitution … ».
Concernant la diffamation à la mémoire des morts, c’est l’article 88 de la loi de 1997
qui l’incrimine. Elle est retenue toutes les fois que les propos ou écrits diffamatoires visent :
- une personne ayant eu l’une des qualités visées à l’article 85 mais diffamée après son
décès à raison des fonctions qu’il a exercées ou de la qualité qui lui appartenait (arts.
84, 85) ;
- ou une personne ayant eu l’une des qualités visées à l’article 85 mais diffamée après
son décès à raison de sa vie privée, c'est-à-dire lorsque les propos ou écrits
diffamatoires concernent sa vie privée ;
- ou encore une personne qui, sa vie durant, était classée dans la catégorie de simple
particulier.
La mémoire des morts n’est pas, en principe, protégée pénalement contre la diffamation,
car la protection de la personnalité cesse à la mort.
Il en est autrement lorsque l’auteur des imputations diffamatoires dirigées contre la
mémoire d’une personne morte a eu également « l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à
la considération des héritiers, époux et légataires universels vivant » du défunt. Dans ce cas,
ils sont seulement habilités à agir (art. 88-1). Le délit suppose la réunion de deux éléments :
 L’imputation d’un fait diffamatoire à un défunt qui peut être un simple particulier
qu’une personne protégée par l’article 85 ;
 La volonté de diffamer également les héritiers.

§ 4 : CHEF D’ETAT
L’article 81 de la loi, en réprimant « toute offense par les moyens énoncés à l’article 78
à la personne du Président de la République » incrimine la diffamation dirigée contre ce
dernier. Ces moyens sont : discours, cris, menaces proférées dans les lieux ou réunions,
placards, affiches, dessins, gravures, peintures, emblèmes exposés au regard du public, tous
moyens de communication audiovisuelle.

43
Le délit d’offense est constitué par toutes expressions offensantes ou de mépris, par
toutes imputations diffamatoires, qui, à l’occasion tant de l’exercice de la première
magistrature de l’Etat que de la vie privée du Président de la République sont de nature à
l’atteindre dans son honneur ou dans sa dignité.
Si le droit de libre discussion des citoyens s’étend à la discussion des actes politiques
du chef de l’Etat, son libre exercice s’arrête là où commence l’offense, laquelle, adressée à
l’occasion de ses actes politiques atteint nécessairement la personne du Président.
Les outrages portés dans l’exercice des fonctions, ou à l’occasion de cet exercice, qui
n’entreraient pas dans la classe des offenses, sont visés par les articles 222 et 223 du code
pénal.
La preuve de l’exactitude de l’imputation n’est jamais admise.

§ 5 : CHEFS D’ETAT ET MINISTRES ÉTRANGERS, AGENTS DIPLOMATIQUES


Les articles 91 et 92 de la loi punissent toute offense envers le chef d’Etat, le chef du
gouvernement ou le ministre des affaires étrangères d’un gouvernement étranger. Il suffit
qu’elle soit commise publiquement contre sa personne.
L’auteur du délit est poursuivi devant le tribunal correctionnel, soit à la requête du
personnage offensé, soit d’office par le ministère public sur la plainte du ministre des affaires
étrangères.
L’article 92 applique ces principes aux outrages commis envers des agents
diplomatiques étrangers : ambassadeurs, ministres plénipotentiaires, chargés d’affaires ; mais
les consuls ne sont pas des agents diplomatiques65.
Les mots « outrage » et « offense » doivent être définis.
L’offense est un délit spécial que constituent, lorsqu’ils concernent le Chef de l’Etat,
des manquements d’égards qui resteraient impunis s’ils concernaient une autre personne.
L’outrage est toute expression menaçante, diffamatoire ou injurieuse, propre à diminuer
l’autorité morale de la personne investie d’une des fonctions de caractère public désignée par
la loi.

Section III : Pénalités et réparations


Les peines varient suivant la qualité des personnes ou des corps contre lesquels les
délits ont été commis.

65
Cass. 1er fév. 1884, S. 1885.I.512.

44
L’offense envers le chef d’Etat est punie d’un emprisonnement de trois mois à un an et
d’une amende ou d’une de ces deux peines seulement. L’offense à un chef d’Etat ou à un
ministre étranger est punie d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende ou
d’une de ces deux peines seulement (art. 36).
L’outrage d’un agent diplomatique étranger est puni d’un emprisonnement de huit
jours à un an et d’une amende ou d’une de ces deux peines (art. 37).
Les diffamations soit envers les cours, tribunaux, les armées de terre ou de mer, les corps
constitués ou les administrations publiques, soit, en raison de leurs fonctions ou de leurs
qualités, envers les membres du ministère, les membres de chambres, les fonctionnaires
publics, les jurés ou les témoins, est punie d’un emprisonnement et d’une amende ou d’une de
ces peines (arts. 30 et 31). L’injure envers ces corps ou ces personnes est puni d’un
emprisonnement de six jours à trois mois et d’une amende ou d’une de ces deux peines (art.
33).
La diffamation envers un particulier est punie d’un emprisonnement de cinq jours à six
mois et d’une amende ou d’une de ces deux peines. L’injure est punie d’un emprisonnement
de cinq jours à deux mois et d’une amende ou d’une de ces deux peines (art. 32 et 33).
La diffamation envers un groupe de personnes en raison de leur race ou de leur
religion est punie d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende , et l’injure, dans
le même cas, d’un emprisonnement de cinq jours à six mois et d’une amende (arts. 32 et 33).
La diffamation ou l’injure à la mémoire des morts est punie selon les distinctions qui
précèdent (art. 34).
La diffamation par correspondance circulant à découvert est punie d’un
emprisonnement de cinq jours à six mois et d’une amende. L’injure par les mêmes moyens est
punie d’un emprisonnement de cinq jours à deux mois et d’une amende.
La victime dispose aussi d’une action civile. Aux termes de l’article 4 du code de
procédure pénale, l’action civile peut être exercée isolément devant les juridictions civiles, la
faculté d’option de la partie lésée est restreinte quand il s’agit du délit d’injure ou de
diffamation : seules certaines personnes ont le choix de la juridiction. En outre, les règles de
compétence sont modifiées.
La faculté d’exercer l’action civile devant la juridiction civile est enlevée aux
personnes visées par les articles 30 et 31 : corps constitués et fonctionnaires (art. 46). L’action
civile doit être exercée devant le tribunal correctionnel en même temps que l’action pénale. Il
n’y a d’exception à ce principe qu’en cas de décès de l’auteur ou d’amnistie (art. 46).
La juridiction civile saisie doit d’office se déclarer incompétente.

45
La loi 97-010 n’a pas prévu la répression de la tentative du délit de diffamation.

46
Titre II : Les infractions contre les biens
Même si le code pénal a placé les atteintes aux personnes physiques au centre des
préoccupations, les crimes et délits contre les biens restent socialement très importants en
raison de leur fréquence et de leur impact auprès des victimes directement atteintes dans leur
droit de propriété. Le code pénal connaissait pour l’essentiel la tétralogie traditionnelle du
vol, de l’escroquerie, de l’abus de confiance et du recel. Toute l’évolution législative a
consisté en la création de nouvelles infractions venant s’ajouter aux « quatre vielles », et
venant s’y ajouter en raison des nécessités sociales et du principe de l’interprétation strictes
des lois d’incriminations. Aujourd’hui, il existe un nombre considérable d’infractions contre
les biens. De cet ensemble, trois infractions se détachent car elles sont fondamentales : le vol,
l’escroquerie et l’abus de confiance. Les autres apparaissent comme des infractions
complémentaires ; elles ne nécessitent donc pas un intérêt particulier.

47
Chapitre 1 : Le vol
Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui (art. 379). Il se distingue de
l’escroquerie et de l’abus de confiance en ce que la victime a été, malgré elle, dépossédée de
la chose, alors que, dans les deux autres délits, la victime a remis elle-même la chose à celui
qui se l’est appropriée.
Le vol peut être simple (section I) ou qualifié (section II).

Section I : Le vol simple


Les éléments constitutifs du vol simple sont au nombre de quatre : il doit y avoir
soustraction ; la soustraction doit être frauduleuse ; elle a pour objet une chose mobilière ; la
chose soustraite doit appartenir à autrui. En outre, l’auteur ne doit pas être protégé par
l’immunité provenant des liens de famille qui l’unissent à la victime.

§ 1 : LA SOUSTRACTION
La soustraction peut être définie comme la prise de possession d’une chose contre le
gré de son légitime détenteur.
La détention injuste d’une chose par celui qui en a la possession ne saurait constituer
un vol, car il n’y a pas soustraction. Ainsi, sous le prétexte inexact qu’il n’a pas reçu son prix,
un vendeur refuse de livrer la chose vendue : il ne se rend pas coupable de vol66. De même, un
plaideur retient les choses litigieuses dont son adversaire a été déclarer propriétaire, alors
même qu’un commandement de restituer aurait été signifié 67. De même encore, le vendeur
d’un fonds d’hôtel détourne les meubles dans la vente. Dans ce dernier cas le vendeur pourra
être poursuivi pour abus de confiance, mais non pour vol.
Il en serait autrement et il y aurait « soustraction », si le détenteur d’une chose, après
l’avoir livrée au légitime propriétaire, en reprenait possession presque immédiatement : ainsi,
un créancier ayant reçu payement remet la quittance a son débiteur, puis la reprend
brutalement des mains de ce dernier ; ou un débiteur, après avoir versé des fonds à son
créancier, s’en empare subrepticement68.
La clandestinité de la soustraction n’est nullement nécessaire pour caractériser le vol.
Lorsque la possession de la chose a été remise volontairement, même à la suite d’une erreur, il
ne peut y avoir soustraction. Ainsi, le débiteur d’une somme de 5000 F cfa remet par erreur à
son créancier un billet de 10000 F cfa ; le créancier garde la somme entière : il ne commet

66
Cass. 15 nov. 1850, S. 1851.I.453.
67
Cass. 3 mai 1902, S. 1904.I.297.
68
Cass. 26 juin 1875, D. 1877.I.95.

48
aucun délit. Quant au fait appelé « vol à l’américaine », consistant à se faire remettre une forte
somme en échange d’un objet sans valeur, il constitue une escroquerie et non un vol.
Mais l’erreur doit avoir été le fait d’une personne raisonnable. Commettrait un vol,
celui qui se ferait remettre un objet par un idiot ou par un enfant ; ces derniers seraient des
sujets passifs et non des intermédiaires conscients69.
Le délit existerait également, bien qu’il eût remise volontaire, si cette remise était
exclusive de tout désir d’abandonner la possession de la chose, s’il n’y avait eu qu’un
dessaisissement momentané de la détention de la chose sous condition implicite de sa
restitution, communication nécessaire de la chose en vue d’un examen de l’objet. Ainsi, un
bijoutier remet une bague à un acheteur éventuel pour qu’il l’examine ; le prétendu acheteur
s’en empare. De même un débiteur s’approprie le billet constatant sa dette, alors que le
créancier le lui communiqué pour qu’il en eût connaissance 70. De même, un individu soustrait
d’un dossier qu’on lui a confié momentanément une lettre présentant pour lui un intérêt. De
même celui qui s’empare d’une bague qu’on lui a remise pour la lui faire voir. De même le
créancier auquel son débiteur remet son portefeuille en lui disant de prélever l’argent
nécessaire pour se payer et qui en profite pour s’emparer d’une somme complémentaire, qui
s’y trouve également contenue.
Le délit de vol a également été retenu à la charge d’acheteurs qui, dans des magasins
pratiquant le système du « libre service », emportent des marchandises sas en payer le prix à
la caisse.
Plus généralement, la simple détention, purement matérielle et non accompagnée de la
possession, n’est pas exclusive du vol. C’est ainsi que le domestique qui soustrait des objets
mobiliers dans la maison de son maître, objet dont il a la détention permanente, se rend
coupable de vol. De même le chauffeur d’un camion qui dérobe une partie du chargement
qu’il a mission de transporter. La jurisprudence tend à étendre cette notion à celui qui, d’une
manière générale, s’empare d’objets sur lesquels il n’a qu’une pure détention. Ainsi, la
concubine qui prend les objets appartenant à son concubin, le fermier qui s’approprie le
contenu d’une voiture que, pendant l’exode, des refugiés avaient laissé lui.
Il n’y a pas davantage remise volontaire et le vol doit être retenu, si l’agent a obtenu la
délivrance de la chose en ayant recours à la violence.
Les articles 388 et 401 du code pénal punissent la tentative de vol, même s’il s’agit
d’un vol simple.

69
Cass. 31 août 1899, S. 1901.I.475.
70
Cass. 11 août 1899, S. 1901.I.602.

49
Pour qu’il y ait tentative punissable, il est nécessaire qu’elle se soit manifestée par un
commencement d’exécution. La question est souvent délicate. Ainsi l’effraction d’une serrure
ou l’escalade peut parfois constituer un commencement d’exécution du délit de vol ; dans
d’autres circonstances au contraire, l’auteur aura recherché un but différent (commettre un
viol, attaquer une personne…). Le tribunal doit déterminer quelle a été son intention.
La tentative demeure caractérisée si elle a manqué son effet par suite de l’absence des
objets convoités. Ainsi, doit être puni comme auteur d’une tentative de vol l’individu qui
cherche à s’emparer du contenu d’une caisse d’argent alors que la caisse, à son insu, est vide ;
ou qui met la main dans la poche d’un passant pour y prendre le portemonnaie qui, en fait, ne
s’y trouve pas71.

§ 2 : L’INTENTION FRAUDULEUSE
L’intention coupable consiste dans la connaissance de la part de l’agent qu’il enlève
une chose qui ne lui appartient pas, contre le gré de son propriétaire. A cette connaissance doit
s’ajouter un dolus specialis, la volonté de s’approprier la chose, d’en usurper la possession.
Ne commet donc pas le délit de vol l’individu qui, se croyant le légitime propriétaire d’un
objet, s’en est emparé. Par contre, se rend coupable de soustraction frauduleuse le créancier
qui, pour avoir paiement de sommes à lui dues, ou se procurer un gage enlève une chose
appartenant à son débiteur, ou le créancier qui reprend frauduleusement un objet vendu par lui
et non complètement payé son débiteur.
Peu importe le mobile qui a guidé l’inculpé ; c’est généralement la cupidité ; mais ce
peut être aussi la vengeance, la méchanceté.
L’intention frauduleuse doit être concomitante à la soustraction et s’identifier avec
elle. Si l’intention de s’approprier la chose d’autrui peut se manifester par des actes
postérieurs, elle n’en doit pas moins remonter à l’origine de la possession. Ainsi ne constitue
pas un vol l’appréhension d’une chose trouvée et ramassée sans le désir de se l’approprier,
puis par la suite retenue frauduleusement.
Lorsque la soustraction est effectuée sous l’empire d’une nécessité extrême telle que la
faim ou le froid, est-il possible de retenir l’intention frauduleuse, requise par l’article 379 ?
D’après une opinion difficilement acceptable, les tribunaux pourraient faire application des
dispositions de l’article 64 du code pénal et admettre que l’auteur a été contraint par une force
irrésistible : l’acte perdrait ainsi tout caractère délictueux72.

71
Cass. 4 nov. 1876, S. 1877.I.48.
72
Amiens, 22 avr. 1898, S. 1899.II.1.

50
§ 3 : LA CHOSE MOBILIÈRE
La soustraction ne peut porter que sur des meubles. Si un individu s’empare de
l’immeuble d’autrui, il peut être poursuivi selon le cas pour déplacement de bornes, bris de
clôture, violation de domicile, non pour vol. Mais, dès qu’une chose est détachée d’un
immeuble, elle perd son caractère immobilier et devient meuble. Ainsi, une tuile est enlevée
d’un toit, des fruits sont cueillis de l’arbre, des pierres sont extraites d’un fonds.
Toute chose mobilière peut être l’objet d’un vol, quelle que soit sa valeur, même si elle
n’a aucune valeur d’affection. Le vol peut donc porter sur des effets de commerce, des lettres
missives, etc. sans doute, les biens incorporels, tels que les servitudes, les droits de créances,
les rentes, ne sont pas susceptibles d’appréhension. Mais la soustraction peut porter sur le titre
qui les constate. Commettent également des vols ceux qui s’approprient frauduleusement le
gaz ou l’eau fournis par une compagnie concessionnaire, ceux qui opèrent un branchement sur
un courant électrique ou l’empêchent de passer par le compter : ces choses passent, en effet,
de la possession du producteur dans la possession du consommateur.
D’une manière générale, en ce qui concerne ces substances distribuées à domicile par
le concessionnaire et enregistrées dans un compteur, la jurisprudence tend à considérer qu’il y
a vol si la chose est soustraite, généralement par un branchement clandestin, avant son
passage au compteur, et tromperie sur la quantité s’il y a manipulation ou truquage du
compteur.

§ 4 : LA CHOSE D’AUTRUI
La chose soustraite doit être la propriété d’autrui. Il n’y a pas à rechercher si,
antérieurement, l’auteur de la soustraction en a été ou non propriétaire, s’il possède ou non
des droits indivis sur la chose ; si le prévenu soutient qu’il est propriétaire de la chose, le
tribunal répressif est compétent pour trancher la question : « le juge de l’action est juge de
l’exception ».
Ainsi commet un vol le joueur qui, après avoir perdu la partie, reprend l’enjeu qu’il a
exposé et qui est devenu la propriété du gagnant.
De même, se rend coupable de soustraction frauduleuse le cohéritier qui s’empare d’un
objet de la succession. En effet il dépouille ses cohéritiers des fractions de la chose qui leur
appartiennent. Il en est de même de tous les co-indivisaires.
Il y a également vol, lorsqu’un individu s’approprie un objet trouvé sur la voie
publique sans qu’il y ait eu abandon volontaire du propriétaire, lorsque le gérant d’un café
conserve, avec intention de ne pas les restituer, les valeurs oubliées par un consommateur.
Il y a encore vol dans le fait de s’emparer des deniers déposés dans un tronc d’église.

51
Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que la personne volée soit le propriétaire légitime.
Mais il n’y a pas vol s’il s’agit de « res nullus », c'est-à-dire des biens sans maître qui
appartiennent au premier occupant. Ainsi, il n’y a pas vol dans le fait de tuer ou saisir une
pièce de gibier sur le terrain d’autrui, mais seulement où un individu s’emparerait d’un animal
sauvage dont un chasseur aurait déjà pris possession, soit directement, soit en le blessant à
mort. A plus forte raison, le délit existerait si un tiers s’emparait d’animaux sauvages mis en
cage ou de poisson dans une vase.

§ 5 : LES IMMUNITÉS LÉGALES


Pour un motif de convenances, l’article 380 du code pénal, modifié par la loi du 2 août
1950 enlève à la soustraction de la chose d’autrui le caractère de délit si elle a été commise au
préjudice de certaines personnes unies à l’inculpé par les liens de famille.

I – Personnes bénéficiant de l’immunité


L’article 380 établissant une dérogation au droit commun doit s’interpréter
restrictivement. L’énumération qu’il donne des personnes bénéficiant de l’immunité est
limitative.
En premier lieu, l’immunité s’applique à la soustraction commise au préjudice du
conjoint ; l’article 380 l’étend même au cas où l’époux survivant soustrait un objet dépendant
de la succession du conjoint décédé. L’immunité cesse lorsqu’il est intervenu un jugement de
divorce ; mais elle survit à la séparation de corps. Le vol doit avoir eu lieu pendant le mariage.
Antérieurement au mariage, il resterait punissable.
En second lieu, sont à l’abri de toute sanction pénale, les soustractions commises par
un descendant au préjudice d’un de ses ascendants ou par un ascendant au préjudice d’un de
ses descendants.
Peu importe qu’il s’agisse de parenté légitime, adoptive ou naturelle. Mais l’immunité
ne concerne que les enfants naturels reconnus ou dont la filiation a été légalement établie.
L’immunité est étrangère aux soustractions commises au préjudice des collatéraux.
En troisième lieu, l’immunité s’étend aux alliés au même degré, à condition que le vol
soit commis pendant le mariage, et en dehors d’une période pendant laquelle les époux sont
autorisés à vivre séparément.

II – Délits couverts par l’immunité


L’immunité n’est établie par la loi qu’en ce qui concerne le vol. Encore faut-il que le
vol ait été commis au seul préjudice des personnes visées par la loi. Elle ne saurait couvrir une
soustraction qui porterait préjudice à un tiers. Ainsi, reste punissable le vol commis par un fils

52
d’objets appartenant à son père, si ces objets sont sous le coup d’une saisie effectuée par un
tiers73. A plus forte raison l’immunité ne couvrirait pas le fils qui aurait volé, dans la maison
de son père, une chose appartenant à un tiers, ou même à un domestique du père.
L’immunité ne saurait davantage s’étendre au cas où un individu aurait détourné des
fonds ou des objets que son conjoint ou proche parent détiendrait pour le compte d’un tiers :
ainsi le fils d’un comptable ou d’un huissier commet un vol s’il soustrait l’argent que son père
a reçu pour son patron ou pour ses clients 74. Cependant il a été parfois jugé que n’était pas
punissable la soustraction d’une somme perçue par le père de l’auteur de cette soustraction, en
qualité de mandataire d’un tiers. En effet, en ce cas, le mandataire n’est pas comptable des
espèces qu’il a reçues mais seulement d’une somme déterminée correspondant à la valeur de
ces espèces.75
Les vols qualifiés sont visés par l’article 380. Cependant, prises en elles-mêmes, et
abstraction faite de la soustraction frauduleuse qui n’est pas punissable, les circonstances
aggravantes peuvent constituer des infractions. A ce titre, elles sont punissables. Ainsi,
l’effraction peut être constitutive d’un bris de clôture ou d’une violation de domicile. De
même les violences qui ont accompagnées le vol peuvent être poursuivies comme coups et
blessures, etc.
Bien que la loi ne vise que le vol, il est admis que l’immunité s’étend à toutes les
infractions qui, étant de la même nature que le vol, ont pour objet direct une atteinte à la
propriété : abus de confiance, escroquerie, extorsion de signature76.
Mais elle ne concerne pas les infractions qui, en même temps qu’à ses biens, portent
atteinte à la personne du parent ou à son honneur ou peuvent nuire aux tiers : détournements
d’objets saisis ; faux ; incendie volontaire ; soustraction de correspondances ; bris de clôture.
En certains cas, enfin, même au regard du vol, la loi supprime le bénéfice de
l’immunité. Tel est le cas des vols commis au préjudice d’un conjoint retenu loin du pays par
suite d’un événement de guerre (loi du 23 décembre 1942, art. 3). Mais les poursuites ne
peuvent alors être exercées que sur la plainte du mari.

III – Effet de l’immunité


La soustraction commise par une des personnes mentionnées dans l’article 380 ne peut
donner lieu qu’à des réparations civiles conformément aux dispositions de l’article 1383 du
code civil. La qualité d’époux, d’ascendant ou de descendant de l’auteur n’enlève donc pas à
73
Cass. 5 janv. 1885, S. 1885.I.96.
74
Cass. 31 août 1876, D. 1878.V.484.
75
Cass. 18 janv. 1849, D. 1849.I.112.
76
Cass. 8 fév. 1840, S. 1840.I.651.

53
l’acte tout caractère répréhensible ; elle n’est pas un fait « justificatif ». Elle crée seulement
une immunité empêchant des poursuites pénales contre le coupable. Sous cette réserve,
l’exception est péremptoire et les tribunaux doivent la relever d’office.
Si elle a été opérée par la seule personne jouissant de l’immunité, la soustraction n’est
pas punissable. Par suite, à défaut de délit principal, il ne saurait être question d’atteindre les
complices, qui échappent ainsi à toute répression77.
Le tiers qui a participé à la soustraction comme « co-auteur » doit être poursuivi
comme coupable de vol, l’immunité étant personnelle.
Enfin, si l’époux ascendant, descendant ou allié en ligne directe n’a été que complice,
il bénéficie seul de l’immunité ; l’auteur principal et ses autres complices sont punissables.

§ 6 : PÉNALITÉS
Le délit de vol est puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans. Le coupable peut
aussi être frappé d’une amende, de l’interdiction des droits mentionnés à l’article 42 du code
pénal pendant cinq à dix ans.
La tentative de vol est punie comme le délit consommé.

Section II : Le vol qualifié


Le délit de vol est « qualifié » et devient un crime s’il est accompagné de
circonstances qui en augmentent la gravité.
Les circonstances aggravantes tiennent, soit à la qualité des auteurs, soit au temps où
le vol a été commis, soit au lieu d’exécution, soit aux circonstances de cette exécution.
Tantôt il suffit d’une seule de ces circonstances pour que le vol soit « qualifié » ; tantôt
il faut que deux circonstances soient réunies ; tantôt enfin, la réunion de plusieurs
circonstances entraîne une aggravation plus forte de la peine.

§ 1 : QUALITÉ DE L’AUTEUR
De l’article 380 n° 3 et 4, on peut retenir :

I – Vol commis par un domestique ou par un serviteur à gage


Le vol « domestique » implique, outre un acte d’improbité, la violation du devoir
qu’impose au serviteur la confiance que son maître est obligé d’avoir en lieu.
Sont réputés serviteurs à gages : les percepteurs, les employés d’un fonctionnaire
public payés par celui-ci, mais non les employés de l’administration mis sous les ordres d’un
fonctionnaire.

77
Cass. 6 fév. 1920, D. 1821.I.67.

54
Le vol est un « vol domestique », chaque fois qu’il a été commis au préjudice du
maître, sans qu’il y ait à rechercher le lieu où il s’est produit. Mais si la chose soustraite est la
propriété d’un tiers, le vol n’est qualifié que s’il a été commis dans la maison même du maître
ou dans celle où le serviteur accompagnait ce dernier.

II – Vol commis par un ouvrier ou apprenti, ou une personne travaillant habituellement chez le
volé
Le vol doit avoir été commis, soit dans la maison même du maître, soit dans l’atelier,
soit dans le magasin.

III - Vol commis par des aubergistes, hôteliers, voituriers ou leurs préposés
Toutes ces personnes sont des dépositaires « nécessaires ». Le vol doit porter sur des
objets que le voyageur a confiés soit expressément, soit tacitement.

IV – Vol commis par un militaire ou assimilé au préjudice de l’habitant chez lequel il est logé ou
cantonné
Il s’agit ici de l’application des dispositions du code de justice militaire.
Toutes ces diverses circonstances sont opérantes à elles seules.

§ 2 : TEMPS OÙ LE VOL A ÉTÉ COMMIS


Le fait que le vol a été commis pendant la nuit constitue une circonstance aggravante
du vol, mais seulement si son exécution a été accompagnée d’une autre circonstance
déterminée par la loi (arts. 381, 383, 386). La seule circonstance de nuit ne modifierait pas le
caractère de l’infraction.
La nuit est l’intervalle du temps qui s’écoule entre le coucher et le lever du soleil. Il
n’y a pas lieu d’appliquer ici les dispositions du code de procédure civile ou du code de
procédure pénale concernant la durée légale de la nuit.

§ 3 : LIEU DE L’EXÉCUTION
Une autre circonstance aggravante résulte de ce que le vol a été commis dans une
habitation, dans un parc ou enclos, sur un chemin public ou dans un train.

I - Habitation et dépendances
La circonstance qu’un vol a été commis dans une maison habitée ou dans ses
dépendances (art. 381, 384, 386, 390, 391), constitue une cause d’aggravation, mais
seulement au cas où elle se combine avec une autre circonstance déterminée (nuit, pluralité
d’auteurs).
L’article 386 assimile à une maison habitée les édifices consacrés au culte, mais la loi
de séparation a eu pour conséquence l’abrogation de cette assimilation.

55
Par « maison habitée », l’article 390 entend tout bâtiment, toute cabane, même mobile,
destinée à l’habitation. La destination à l’habitation suffit sans qu’il y ait lieu d’examiner si,
en fait, la maison est habitée. L’habitation peut être temporaire. Ainsi, les bureaux
d’habitation ; de même un bureau de poste ou une usine.
Les dépendances de la maison (écuries, granges, cours) sont assimilées à l’habitation,
ainsi que les parcs et les enclos non séparés de la maison (art. 382).
Peu importe que le voleur habite la maison ou ses dépendances, ou qu’il y soit entré
avec l’autorisation de l’occupant.

II - Parcs et enclos
Le parc ou enclos est tout terrain environné de murs, de fossés ou de clôture
quelconque (art. 391). Il peut s’agir d’un parc mobile destiné à contenir du bétail (art. 392).
La circonstance que le vol a été commis dans un parc ou enclos ne dépendant pas
d’une habitation n’entraîne une aggravation de la peine qu’autant qu’il y a eu escalade,
effraction ou usage de fausse clef (art. 384).

III - Chemin public


Le chemin public est tout chemin ouvert au public ; mais on ne peut lui assimiler ni les
rivières ou canaux, ni les rues ou places de villes ou villages (art. 383).
La loi a voulu protéger les voyageurs circulant sur les routes ; aussi la circonstance
aggravante ne peut-elle pas être retenue si la chose volée a été déposée par son possesseur sur
la voie publique.

IV - Chemins de fer
La loi du 27 octobre 1922, complétant l’article 383, a assimilé les vols dans les trains
aux vols sur les chemins publics. Le wagon où le vol a été commis doit faire partie du convoi.

§ 4 : MODES D’EXÉCUTION
Diverses circonstances aggravantes tiennent au mobile d’exécution du vol.

I - Réunion de plusieurs auteurs


La circonstance que le vol a été commis par deux ou plusieurs personnes n’aggrave
l’infraction que si elle est accompagnée d’une autre circonstance (nuit, maison habitée,
chemin public). Il faut que le vol ait été exécuté par plusieurs individus ; il ne suffirait pas que
l’auteur unique eût des complices.

56
II - Vol avec port d’armes
Le sens du mot « armes » est précisé par l’article 102 du code pénal. Il peut s’agir
d’armes par leur nature ou d’armes par l’usage qui en est fait. Peu importe que l’arme soit
apparente ou cachée.
A lui seul, le fait que des auteurs du vol portent une arme constitue une circonstance
aggravante transformant le délit en crime (art. 381).

III - Vol avec détention d’armes.


La loi du 23 novembre 1950, modifiant l’article 381 CP, assimile au port d’arme la
circonstance que les coupables ou l’un d’eux avaient l’arme dans le « véhicule motorisé » qui
les avait conduits sur le lieu de leur « forfait » ou qu’ils ont utilisé pour assurer leur fuite. La
loi ne précise pas ce qu’il faut entendre par « véhicule motorisé ». Sans doute faut-il y
comprendre les motocyclettes et les bicyclettes à moteur. Il suffit littéralement que l’un des
coupables ait été conduit sur le lieu du vol par un véhicule motorisé contenant une arme, ou
qu’il ait pris la fuite à l’aide d’un véhicule également muni d’une arme. Il apparaît qu’il doit
s’agir d’un véhicule dont les coupables ou l’un d’entre eux aient pu personnellement disposer.
Le texte ne serait pas applicable à des individus qui, pour aller commettre un vol, ou prendre
la fuite, auraient utilisé un véhicule affecté à un transport en commun, même s’ils y avaient
placé ou dissimulé une arme.

IV - Emploi d’un véhicule motorisé


Est encore une circonstance aggravante, aux termes du même article, le fait que le ou
les coupables « se sont assuré la disposition d’un véhicule motorisé en vue de faciliter leur
entreprise ou de favoriser leur fuite ». L’incrimination est peu précise. Il appartiendra à la
jurisprudence de déterminer ce qu’il faut entendre par « faciliter l’entreprise » ou « favoriser
la fuite ».

V - Effraction
L’effraction est le forcement, la rupture, l’enlèvement d’une clôture (art. 393).
L’effraction est dite « extérieure » si elle a pour but de permettre l’introduction dans la
maison, ses dépendances ou dans ses enclos (art. 395) ; « intérieure » si elle est faite, après
l’introduction, aux portes intérieures, meubles et armoires fermés. L’effraction intérieure n’est
donc possible que si elle suit l’entrée du voleur dans l’habitation ou autre lieu clos. Par suite,
ne commet pas une effraction celui qui, trouvant sur la route une malle fermée, force la

57
serrure78. De même le voleur qui, après être entré librement dans une maison, brise une porte
pour en sortir, ne commet pas d’effraction79.
L’effraction est une circonstance aggravante si elle est effectuée dans une maison
habitée ou non, dans ses dépendances, dans un parc ou enclos même ne dépendant pas d’une
habitation. Le fait de fracturer un wagon ou une voiture pour en voler le contenu ne serait
donc pas un vol avec effraction puisque l’effraction n’aurait pas eu lieu dans un édifice.

VI - Escalade
L’escalade est l’entrée dans une maison ou ses dépendances, un édifice quelconque, un
jardin ou un enclos, par une voie autre que l’entrée normale (art. 397). Peu importe que le
voleur passe au-dessus des murs ou palissades au qu’il pénètre par une ouverture souterraine.
Il suffit qu’une « clôture » quelconque ait été franchie. Mais il n’y aurait pas escalade si un
passage était accidentellement ouvert.
Tout comme l’effraction, l’escalade est une circonstance aggravante du vol lorsqu’elle
est accomplie pour pénétrer dans un édifice ou un enclos quelconque.

VII - Usage de fausses clefs


La fausse clef est toute clef imitée, tout crochet ou passe-partout, qui n’a été destiné
par l’occupant de l’habitation ou enclos aux serrures ou fermetures auxquelles le voleur l’a
employé (art. 398). Il n’est donc pas nécessaire, pour qu’il ait usage de fausse clef, que le
voleur se soit servi d’une clef imitée ; il suffit que la clef n’ait pas été destinée à la fermeture à
laquelle il l’a utilisée.
Comme l’escalade et l’effraction, l’usage d’une fausse clef n’est une circonstance
aggravante que si le voleur s’en est servi pour pénétrer dans une habitation ou un lieu (arts.
381 et 384).
Il est à noter que la fabrication de fausses clefs peut, à elle seule, constituer un délit (art. 399).

VIII - Usage d’un faux titre, d’un faux costume ou allégation d’un faux ordre de l’autorité
L’article 381 als. 2 et 3, prévoit le cas où l’inculpé a commis un vol en prenant le titre
d’un fonctionnaire public ou d’un officier civil ou militaire, ou s’est revêtu de l’uniforme ou
du costume de ce fonctionnaire ou de cet officier, ou allégué un faux ordre de l’autorité civile
ou militaire. Cette circonstance est opérante, dans le cas visé à ce 2 ème alinéa de l’article 381,
lorsqu’elle est réunie à trois autres des circonstances visées par cet alinéa et entraîne la peine
de la réclusion criminelle à perpétuité.

78
Cass. 4 oct. 1851, S. 1851.I.795.
79
Cass. 29 mars 1889, S. 1889.I.282.

58
IX - Emploi de violences
L’emploi de violences (art. 381, al. 4) est à lui seul une circonstance aggravante du
vol.
Le terme de violences a le même sens que l’article 309 du code pénal. Il n’est pas nécessaire
qu’il y ait eu blessures et la violence est par exemple suffisamment caractérisée lorsque le
voleur, pour n’être pas reconnu, enveloppe d’une couverture la tête de celui qui vient de le
surprendre.
Si les violences ont laissé des traces de blessures, les pénalités sont argumentées (art.
382) : les blessures constituent une deuxième circonstance aggravante distincte.
La violence doit avoir été exercée pour faciliter ou consommer le vol. Si elle ne s’est
produite qu’après le vol, pour faciliter la fuite du voleur, elle n’est pas une circonstance
aggravante.

§ 5 : PÉNALITÉS
Les pénalités sont les suivantes :
1- vols punis de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans :
- vol commis sur un chemin de public ou dans un wagon de chemin de fer faisant partie
du convoi (art. 383, § 3).
- vols commis avec deux des trois circonstances aggravantes suivantes : la nuit – en
réunion – dans un lieu habité ou servant à l’habitation (art. 386 § 1er).
- vol commis par un serviteur à gage, ou un ouvrier, ou par un voiturier, un aubergiste,
un batelier ou leur préposé.
- vol commis par un militaire ou assimilé au préjudice de l’habitant chez lequel il est
logé ou cantonné).

2- vols punis de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans


- vol commis sur un chemin public ou dans un wagon de chemin de fer faisant partie d’un
convoi, si en outre il s’ajoute une des circonstances prévues au deuxième alinéa de l’article
381, à savoir : nuit – réunion – usage d’un véhicule motorisé – faux titre – faux ordre ou faux
costume (art. 383).
- vol commis à l’aide d’effraction ou avec escalade, ou avec usage de fausses clefs, dans des
édifices, parcs ou enclos, lorsqu’ils ne dépendraient pas d’une maison habitée (art. 384).

3- vols punis de la réclusion criminelle à perpétuité


- vols commis avec violence, si la violence a laissé des traces (art. 382-2).

59
- vols commis sur un chemin public ou dans un wagon formant convoi, s’il s’y ajoute deux
des circonstances prévues à l’alinéa 2 de l’article 381 et indiquées ci-dessous.
Vols commis avec quatre des cinq circonstances énumérées à l’alinéa 2 de l’article 381, à
savoir :
- la nuit – en réunion – à l’aide d’effraction extérieure, d’escalade ou de fausse clef dans une
maison habitée ou servant à l’habitation, ou en prenant le titre d’un fonctionnaire public ou
d’un officier civil ou militaire, ou après s’être revêtu en uniforme ou du costume du
fonctionnaire ou de l’officier, ou en alléguant un faux ordre de l’autorité civile ou militaire –
avec violence – avec l’emploi d’un véhicule motorisé.

4- vols punis de la peine de mort


Vols commis avec port d’arme, soit que le coupable ou l’un d’eux ait été porteur d’une arme,
soit qu’ils aient eu l’arme dans le véhicule motorisé qui les aurait conduits sur les lieux de leur
forfait ou qui aurait servi à leur fuite (art. 381-1).
Le pillage en temps de guerre est également puni de mort.

60
Chapitre 2 : L’escroquerie
Commet le délit d’escroquerie celui qui se fait remettre des fonds, valeurs ou objets
quelconques en usant d’un faux nom ou d’une fausse qualité, ou en employant des manœuvres
frauduleuses dans les conditions prévues par la loi (art. 405).
L’escroquerie diffère du vol en ce que la victime du délit a remis volontairement la
chose que l’inculpé s’est approprié. Elle diffère de l’abus de confiance en ce que la remise a
été déterminée par l’emploi de manœuvres frauduleuses. Néanmoins, les délits d’escroquerie,
de vol et d’abus de confiance sont de la même nature.
Pour qu’il y ait escroquerie, il faut :
- Qu’il y ait eu emploi de moyens frauduleux ;
- Que des remises de fonds ou autres objets aient été obtenues à l’aide de ces moyens
frauduleux ;
- Qu’il y ait eu préjudice ;
- Que le coupable ait agi avec intention coupable.

Section I : Emploi de moyens frauduleux


Les moyens frauduleux de nature à caractériser le délit d’escroquerie sont les suivants :
- L’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité ;
- L’emploi de manœuvres frauduleuses destinées à persuader l’existence de fausses
entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire, ou à faire naître l’espérance ou la
crainte d’un succès, d’un accident, ou de tout autre événement chimérique.

§ 1 : USAGE D’UN FAUX NOM OU D’UNE FAUSSE QUALITÉ


L’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité suffit à caractériser l’escroquerie,
pourvu qu’il y ait, entre cet usage et la remise de la chose escroquée, relation de cause à effet.
Ainsi, commet le délit d’escroquerie, l’individu qui, pour se faire remettre des fonds, prend le
nom d’une personne reconnue pour sa solvabilité et son honorabilité. Mais il n’aurait pas
commis d’escroquerie s’il s’était borné à prendre un nom complètement ignoré de sa victime
et n’ayant pu exercer aucune influence sur la remise des fonds ou objets.
Prendre un faux nom, c’est prendre un nom qui n’est pas le sien, qu’il s’agisse d’un
nom imaginaire ou d’un nom appartenant à un tiers. La prise d’un faux prénom suffirait
même, si elle a amené une confusion sur la personne de l’inculpé.
La « fausse qualité » est plus difficile à définir. La « qualité » est le titre auquel une
personne a droit en raison de sa naissance, de sa fonction, de sa profession. Il y a donc « prise
de fausse qualité » dans le sens où l’entend l’article 405 du code pénal, lorsqu’un individu

61
s’est paré d’un titre auquel il n’a pas droit, pour tromper les tiers et leur inspirer une confiance
qu’ils n’accordent qu’en raison de la qualité prétendue. Il faut ici encore que la prise de fausse
qualité ait été la cause déterminante de la remise des fonds ou objets escroqués.
Ont été considérés comme faisant usage d’une fausse qualité :
Celui qui prend le faux titre de mandataire ou de préposé d’un tiers, pour se faire
remettre une somme due à ce titre ou pour se faire prêter de l’argent en son nom ; celui qui se
pare du titre de fonctionnaire public (magistrat, officier…) ou d’un titre de noblesse pour
inspirer une confiance injustifiée80 ; celui qui prend un titre universitaire auquel il n’a pas
droit : docteur en médecine, pharmacien, agrégé, professeur ; celui qui prétend exercer une
profession imaginaire : avocat, inspecteur d’assurances, et même d’une façon générale, celui
qui se dit faussement commerçant, industriel ; celui qui, en prenant la fausse qualité de
militaire en voie de démobilisation, se fait payer indûment une prime.
Mais la jurisprudence distingue de la fausse qualité, le simple mensonge qui ne peut
pas avoir pour effet de donner au prévenu un véritable attribut, un caractère spécial : ainsi, le
fait de se dire faussement propriétaire ou créancier, ou majeur alors qu’on est mineur. On peut
dire qu’il y a dans de telles affirmations la prise de fausse qualité. Ce sont des mensonges qui
ne pourraient constituer un élément du délit d’escroquerie que s’ils étaient accompagnés de
manœuvres frauduleuses : on tomberait alors dans la deuxième catégorie des moyens prévus
par l’article 405 ; de même, le fait de s’attribuer un faux domicile ou de se recommander
faussement d’un tiers. Le faux nom et/ou la fausse qualité peuvent être pris soit verbalement,
soit par écrit.
Lorsqu’un faux nom a été pris par écrit, le fait peut être constitutif des crimes de faux
et usage de faux, en même temps que du délit d’escroquerie 81. Il y a alors concours idéal
d’infractions et la poursuite doit être exercée sous la plus haute qualification qui est celle du
faux. Le tribunal correctionnel, saisi à tort du délit d’escroquerie, doit, s’il s’agit d’un faux en
écriture publique ou authentique, se déclarer incompétent82.

80
Cass. 31 juill. 1884, B. 252.
81
La prise d’une fausse qualité même par écrit n’est généralement pas constitutive d’un faux. Il n’y a pas en
effet, en ce cas, altération ou contrefaçon d’écriture, et l’écrit fabriqué ne prouve pas cette qualité. Il en serait
autrement que si la fausse qualité était prise dans un acte authentique ayant pour objet de la constater. La prise de
faux nom est constitutive du faux est constitutive du faux toutes les fois qu’il y a apposition d’une fausse
signature, alors même que le document falsifié ne fait pas titre ; ou encore toutes les fois que le faux nom est pris
dans un acte destiné à constater les faits qui y sont énoncés. Cass. 5 nov. 1898, D. 1899.I.517.
82
Cass. 11 fév. 1893, D. 1893.I.505.

62
L’abus d’une qualité vraie ne doit pas être confondu avec la prise d’une fausse qualité.
Il ne constitue pas à lui seul le délit d’escroquerie. Mais il contribue à donner force et crédit
aux mensonges, et leur donne ainsi le caractère de manœuvres frauduleuses83.

§ 2 : EMPLOI DE MANŒUVRES FRAUDULEUSES


L’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité suffit à caractériser l’escroquerie, s’il a
eu pour résultat la remise de la chose convoitée. Au contraire, l’emploi de manœuvres
frauduleuses doit non seulement avoir eu pour résultat la remise de la chose, mais il doit
encore avoir pour but de persuader l’existence d’un crédit imaginaire ou d’autres faits
limitativement spécifiés par la loi.

I – Caractère des manœuvres


La manœuvre doit consister en un acte apparent, en une certaine combinaison de faits
extérieurs, en une machination plus ou moins adroite, donnant à la fraude un caractère
tangible et la révélant d’une façon concrète.
Par suite, le simple mensonge est insuffisant pour constater la manœuvre frauduleuse.
Peu importe qu’il soit produit ou réitéré par écrit. Isolé de tout fait matériel ou de toute
machination, il est inopérant. Ainsi, n’emploie pas des manœuvres frauduleuses celui qui se
fait remettre de l’argent par une jeune fille en se présentant comme célibataire, quoique marié,
et en lui promettant de l’épouser ; celui qui se prétend apparenté à de hauts fonctionnaires ;
celui qui présente une facture exagérée. Dans tous ces cas, il n’y a qu’un dol civil (art. 1116
du code civil).
L’allégation mensongère doit donc être accompagnée d’un acte matériel, d’un fait
extérieur, d’une mise en scène, susceptible de la rendre vraisemblable. Alors seulement, elle
prend le caractère d’une manœuvre et est punissable.
Il y a manœuvre frauduleuse dans le fait de produire des fausses pièces ; ainsi la
présentation de titres de bourses par le dépositaire qui s’en dit propriétaire ; la production à
une compagnie d’assurances, en cas de sinistre, de factures fictives ; l’envoi à un client d’une
facture majorée ; la mise en circulation de traites acceptées par un personnage imaginaire.
Si la pièce dont l’usage constitue la manœuvre frauduleuse présente les caractères du
faux, il y a cumul d’infractions. Le fait délictueux doit alors être jugé dans sa plus haute
expression, qui est celle de faux et usage de faux, et le tribunal correctionnel soit, s’il s’agit
d’un faux en écriture publique ou authentique, se déclarer incompétent.

83
Cass. 25 juin 1931, Gaz. Pal. 1931.II.451.

63
Constitue également l’emploi de manœuvres frauduleuses, l’intervention verbale ou
écrite d’un tiers susceptible de donner crédit aux allégations mensongères, que le tiers ait été
de bonne ou mauvaise foi, qu’il ait agi consciemment ou inconsciemment84. Ainsi, un individu
se disant commerçant, se fait payer par le tiers, en présence de l’escroqué, une somme
importante qui est censée être versée en paiement de fournitures fictives. Cette mise en scène
rend vraisemblable l’allégation.
En dehors de l’intervention d’un tiers et de la production de fausses pièces, les
manœuvres peuvent résulter de tout fait extérieur susceptible de rendre vraisemblables les
allégations mensongères. Notamment ont été considérées comme manœuvres frauduleuses :
L’exhibition d’un portefeuille ou d’un sac bourré de papiers sans valeur pour faire croire à une
solvabilité imaginaire ; tel est le cas du délit improprement appelé « vol à l’américaine » ; la
mise en scène organisée pour exploiter les pratiques superstitieuses ; l’aménagement d’un
bureau fait uniquement pour inspirer confiance ou la simulation d’une maison de commerce
pour obtenir la livraison de marchandise ; la remise en gage d’un objet sans valeur, ou dont le
remettant ne peut valablement disposer ; le fait pour un assuré, de majorer l’importance des
choses incendiées, en fournissant des états fictifs et en dissimulant des objets qui ont été
sauvés ; l’emploi d’un taximètre artificiellement préparé pour majorer le prix d’une course ;
l’exhibition de pièces d’or fausses ; le fait de demander de la monnaie en présentant un billet
de 10000 francs cfa et en lui substituant habilement un billet de 1000 francs cfa ; le fait par un
individu de faire visiter un atelier à une personne en la persuadant qu’il en est le propriétaire
et d’avoir obtenu d’elle le versement d’un acompte ; sous certaines conditions, l’emploi d’une
publicité fallacieuse ; la production de documents faisant ressortir un bénéfice exagéré pour
déterminer une personne à acquérir un fonds de commerce à un prix majoré ; le fait de faire
signer u contrat d’achat par une personne en lui dissimulant avec la main le texte de l’écrit et
en lui faisant croire que la signature correspond à une décharge pour un cadeau.

II – Objet de manœuvres
Il ne suffit pas que les manœuvres aient été employées ; il faut, de plus, qu’elles aient
eu un objet déterminé : ou persuader l’existence d’une fausse entreprise, ou persuader
l’existence d’un crédit ou d’un pouvoir imaginaire, ou faire naître l’espérance ou la crainte
d’un succès, d’un accident ou d’un autre événement chimérique.

84
Cass. 31 janv. 1535, D. 1935.IV.67.

64
A : Persuader l’existence de fausses entreprises
Dans cette expression, le mot « entreprise » est employé dans un sens large. Il vise
toute manifestation de l’activité humaine, destinée à mettre à exécution un dessein
préalablement formé. Il peut s’agir d’une affaire commerciale, industrielle, financière,
agricole, d’une œuvre de bienfaisance ou de charité, etc.
Le délit existe même si l’entreprise n’est pas en tout point chimérique, dès lors qu’elle
présente, à certains égards, des caractères faux. Une entreprise est fausse, aussi bien parce
qu’elle est mensongèrement dénaturée, ou ne poursuit ses opérations que par des moyens
frauduleux, que parce qu’elle est entièrement inexistante.
Entrent dans les manœuvres frauduleuses destinées à persuader l’existence de fausses
entreprises : le fait, pour obtenir des souscriptions, de publier des prospectus annonçant la
formation d’une société d’assurances que l’Etat a refusé d’autorisé ; la simulacre d’une
maison de commerce inexistante afin d’obtenir la livraison de marchandises.

B : Persuader l’existence d’un crédit ou d’un pouvoir imaginaire


Le prévenu fait croire qu’il possède une influence, une situation, une fortune, qu’en
réalité il n’a pas, pour se faire remettre de l’argent ou des objets prévus par l’énumération de
l’article 405.
Ainsi, un individu prétend qu’il a l’autorité nécessaire pour obtenir d’un tribunal un
jugement favorable, pour faire exempter un conscrit du service militaire, pour se faire
remettre de l’argent ; de même, pour se procurer du crédit, une personne, en exhibant des
traites de complaisance, fait croire à une situation pécuniaire inexistante ou attribue à ses
biens une valeur exagérée.
Entre également dans les moyens de persuasion d’un pouvoir imaginaire,
l’exploitation de pratiques superstitieuses : en se servant de cartes, en faisant des signes et des
invocations, l’inculpé se fait attribuer un pouvoir surnaturel.
De même, les simulations de blessures ou les fausses déclarations, en vue d’obtenir de
la compagnie d’assurances des indemnités ne correspondant à aucun préjudice réel ou à un
préjudice bien inférieur à celui dont la réparation est demandée.

C : Faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, d’un accident ou d’un autre événement
chimérique
La formule employée par la loi est générale ; elle comprend toutes les manœuvres
destinées à faire croire à un événement illusoire que, moyennant le versement d’une somme
d’argent ou la remise d’objets, le prévenu prétend pouvoir faire réaliser ou éviter. Par cette

65
disposition, la loi permet d’atteindre un grand nombre d’actes frauduleux. Il faut observer
qu’on peut faire espérer ou craindre un événement imaginaire sans s’attribuer un pouvoir ou
un crédit inexistant. Ainsi les tromperies dans les ventes qui donnent à l’acheteur l’espérance
chimérique d’acquérir la chose à son véritable prix ou de faire sur cette chose des profits
légitimes, notamment les manœuvres pour obtenir une somme d’argent en échange de titres
de bourse dont la valeur est fictive. On admet l’existence d’une tricherie dans le cas où, un
individu fait naître l’espérance d’une guérison par l’emploi de signes ou de paroles
mystérieuses. De même encore, les manœuvres peuvent avoir pour but de faire craindre un
procès chimérique, ou espérer un mariage, ou faire croire à la victime qu’elle est ou sera
choisie comme bénéficiaire, à titre publicitaire, d’un cadeau ou d’un tirage lui assurant un
gain important.

§ 3 : REMISE DE CHOSES DÉTERMINÉES


Les moyens frauduleux employés doivent avoir eu pour but la remise de fonds, meubles,
obligations, dispositions, billets, promesses, quittances ou décharges85.
Il faut qu’il y ait relation de cause à effet entre les manœuvres frauduleuses et la
remise de la chose, qui par conséquent doit être nécessairement postérieure aux manœuvres.
En ce qui concerne les objets obtenus, la formule de l’article 405 est limitative. C’est ainsi
qu’on ne saurait escroquer u immeuble. De même il n’y aurait pas délit si l’agent s’était fait
remettre une chose n’ayant qu’une valeur morale, n’entrant pas dans le patrimoine, ou s’il
s’était borné à se faire accorder un délai ou un terme.
Mais les expressions « obligations, promesses, etc.) ont une portée générale. Elles
s’appliquent à tous les liens de droit obtenus frauduleusement et qui causent préjudice à
autrui : vente, bail, promesse de vente, blanc-seing, décharge, échange, aval. Mais ne saurait
être considéré comme une « décharge » un acte ne comportant aucun lien de droit entre le
prévenu et la victime.
La loi, par les mots « s’être fait remettre » exige qu’il y ait eu remise matérielle de la
chose escroquée : le fait de voyager dans un train sans billet en utilisant la carte de circulation
d’autrui n’est pas une escroquerie.
Peu importe du reste que la chose ait été remise par l’auteur ou à un complice ou même à un
intermédiaire de bonne foi, il suffit qu’il y ait dessaisissement de la victime.
L’article 405 punit la tentative d’escroquerie. Elle est caractérisée dès que l’agent a employé
les moyens frauduleux exigés par la loi. Ces moyens qui se manifestent extérieurement,

85
Peu importe que l’objet mobilier n’ait qu’une valeur pécuniaire infime : ainsi une lettre missive ne contenant ni
obligation, ni décharge : Cass. 2 mars 1894, S. 1895.I.429.

66
constituent le commencement de l’exécution, dès lors que c’est par suite de circonstances
indépendantes de la volonté de l’inculpé que la remise n’a pas eu lieu.

§ 4 : PRÉJUDICE
Le prévenu a dû, en se faisant remettre un objet, « escroquer tout ou partie de la
fortune d’autrui ». On déduit de ce texte que l’existence d’un préjudice est un des éléments
constitutifs de l’escroquerie. Mais cette notion présente un caractère particulier : c’est
l’appropriation ou le détournement de la chose par celui qui se l’est fait remettre qui constitue
la manifestation de ce préjudice. Il y a préjudice dès que la remise d’objets ou la signature de
l’engagement, loin d’avoir être librement consentie, a été extorquée par des moyens
frauduleux.
Il n’y aurait pas escroquerie si l’auteur des manœuvres se fait remettre des objets qui
lui appartiennent et dont il n’arrivait pas à obtenir la restitution. Mais il en est autrement du
créancier qui, pour se payer une dette, se fait, par des moyens frauduleux, remettre un bien
appartenant à son débiteur.
Une fois le délit caractérisé, il importerait peu que le préjudice ait plus tard disparu,
par suite de remboursement, transaction ou tout autre événement juridique ou matériel.
Du reste, pour que l’auteur soit poursuivi, il n’est pas nécessaire que le préjudice ait été
réalisé : la tentative d’escroquerie est punissable.

§ 5 : INTENTION FRAUDULEUSE
L’intention frauduleuse est nécessaire. Cet élément est complexe. Il comporte à la fois,
chez l’auteur du délit, la connaissance que les moyens auxquels il recourt sont répréhensibles,
et la volonté de se procurer à soi-même ou de procurer à autrui un bénéfice illégitime.
Il n’est pas exigé que l’auteur du délit ait eu pour but la réalisation d’un profit
personnel, et peu importe le mobile auquel il a obéi. En particulier, il est indifférent que le
prévenu ait cherché par l’emploi de moyens frauduleux, à l’exclusion de toute idée de lucre, à
permettre le fonctionnement de l’entreprise, même de bienfaisance, qu’il dirigeait, même si,
par la suite, il espérait, par le succès des opérations auxquelles il comptait pouvoir se livrer,
régulariser les choses.
Mais une simple négligence ne suffirait pas.

Section II : Circonstances aggravantes


Constitue une circonstance aggravante le fait que le délit d’escroquerie a été commis
par une personne « ayant fait appel au public en vue de l’émission d’actions, obligations,

67
bons, parts, ou titres quelconques, soit d’une société, soit d’une entreprise commerciale ou
industrielle »86. L’infraction reste un délit mais les peines sont majorées.
L’aggravation des pénalités est attachée non à la qualité de l’agent, mais au fait que le
délit a été commis au moyen d’appels au public ; la circonstance aggravante a un caractère
« réel », non un caractère « personnel ».
Pour que cette aggravation de peine soit encourue, il faut, d’une part, qu’il y ait eu
appel au public, en vue de l’émission de titres et, d’autre part, que le délit ait été commis au
cours de cet appel ou à cette occasion.
Il y a appel au public dès qu’une société ou une firme industrielle ou commerciale, au
lieu de s’adresser par des tractations particulières à des capitalistes de son choix, en vue de se
procurer son capital ou des moyens d’actions supplémentaires, sollicite le public par des
procédés de publicité quelconques, annonces, prospectus, circulaires, articles de journaux,
envoi de démarcheurs. Les titres émis peuvent être des titres de toutes natures, actions,
obligations, bons de caisse, parts de fondateur et même des effets de commerce.
Le délit d’escroquerie doit, d’autre part, être commis au cours de cet appel ou à
l’occasion de cet appel, par un moyen frauduleux quelconque, formation d’une société de
façade, majoration des apports, annonce de fausses garanties, publication de faux bilans,
distributions de dividendes fictifs, prise de faux noms ou de fausses qualités.
Une autre circonstance aggravante a été établie. C’est lorsque l’escroquerie est
commise soit en prenant le titre d’officier de police judiciaire, d’un agent de la force publique,
d’un membre d’un corps civil de l’Etat ou d’une armée béninoise ou étrangère, soit en portant
indûment les uniforme, costume ou insignes d’une de ces personnes, soit enfin en alléguant un
faux ordre d’une autorité civile ou militaire béninoise ou étrangère.

Section III : Poursuites et pénalités


Le délit d’escroquerie intéresse en premier cher, l’ordre public. Le procureur de la
République peut donc poursuivre l’auteur d’office, qu’il y ait eu plainte ou non, que la chose
escroquée ait ou non été restituée.
La jurisprudence admet qu’est compétent tout tribunal dans la circonscription
territoriale duquel a été réalisé un des éléments constitutifs du délit.
Il suffit donc, pour attribuer compétence aux tribunaux béninois, que les manœuvres
aient eu lieu au moins en partie au Bénin, ou bien que, si elles ont lieu à l’étranger, la remise
des fonds ait eu lieu au Bénin.

86
Art. 405 modifié par le décret-loi du 8 août 1935.

68
La preuve peut être faite par tous moyens, quelle que soit la valeur de la chose
escroquée.
Le délit se prescrit par trois ans à partir du jour de la remise ou, au cas de tentative, du
jour des dernières manœuvres.
La peine est d’un an à cinq ans d’emprisonnement et une amende.
En cas de circonstances aggravantes, la peine d’emprisonnement peut être portée à dix
années et la peine d’amende.
L’immunité de l’article 380 s’étend au délit d’escroquerie qui est de la même nature
que le vol.
Lorsque l’escroquerie est commise en prenant le titre d’officier de police judiciaire,
d’un agent de la force publique, d’un membre d’un corps civil de l’Etat ou d’une armée
béninoise ou étrangère, ou encore en portant indûment les uniforme, costume, ou insignes
d’une de ces personnes, ou en alléguant un faux ordre d’une autorité civile ou militaire
béninoise ou étrangère le coupable est puni d’emprisonnement de deux à dix ans et d’une
amende.

69
Chapitre 3 : L’abus de confiance
La loi déclare coupable d’abus de confiance quiconque aurait détourné ou disposé, au
préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs, des effets, deniers, marchandises,
billets, quittances ou tous autres écrits contenant obligation ou décharge, qui ne lui auraient
été remis qu’à titre de louage, dépôt, mandat, nantissement, prêt à usage, ou pour un travail
salarié ou non salarié, à charge de les rendre ou représenter, ou d’en faire un usage ou un
emploi déterminé (art. 408 du code pénal).
Le code pénal a fait de l’abus de confiance un délit spécial. Ce délit se distingue du vol
en ce qu’il implique le détournement d’une chose volontairement remise par la victime. Celle-
ci a suivi la foi de l’inculpé : elle a mal placé sa confiance. Il se distingue, d’autre part, de
l’escroquerie en ce que l’auteur du délit n’a pas usé de moyens frauduleux pour obtenir la
remise de la chose qu’il détourne ou dissipe.
Malgré ces différences essentielles, l’abus de confiance se rapproche beaucoup du vol
et de l’escroquerie. En effet, dans ces trois délits, l’auteur s’approprie injustement de la chose
d’autrui. Aussi les trois infractions sont-elles considérées comme étant de la même nature :
l’immunité de l’article 380 s’étend à l’abus de confiance.

Section I – Les éléments constitutifs du délit


Les éléments constitutifs du délit sont au nombre de six : détournement ou
dissipation ; détournement frauduleux ; détournement au préjudice du propriétaire, possesseur
ou détenteur de l’objet ; caractère mobilier de choses détournées ; remise des objets à titre
précaire ; remise en vertu d’un contrat déterminé

§ 1 : DÉTOURNEMENT OU DISSIPATION
Il faut en premier lieu qu’il y ait dissipation ou détournement. Ces mots désignent tous
actes de disposition ou d’appropriation impliquant la volonté, chez un possesseur à titre
précaire, d’intervertir la cause de sa possession.
La dissipation consiste dans un acte de disposition : l’inculpé a détruit la chose, ou
bien il s’en est dessaisi en la vendant, la donnant, la mettant en gage et l’exposant ainsi à des
risques qu’elle ne devait pas courir. L’interversion de possession se réalise dans ce cas par un
acte apparent, matériel ou juridique, dont la constatation est facile.
Le détournement consiste dans un acte d’appropriation dont la constatation est souvent
plus malaisée. Le possesseur ou détenteur a changé le caractère de sa possession, qui jusque-
là était précaire, et désormais il entend posséder à titre de propriétaire, animo domini, mais
aucun acte matériel ou juridique ne traduit nécessairement cette volonté d’appropriation. Les

70
tribunaux doivent, dans ce cas, apprécier selon les circonstances de la cause et rechercher les
éléments qui témoignent de l’intention de s’approprier la chose et d’échapper à l’obligation de
rendre.
Les faits qui caractérisent le détournement ou la dissipation ne doivent présenter aucun
caractère équivoque. La simple négligence, le seul retard, ne sauraient constituer un abus de
confiance.

§ 2 : DÉTOURNEMENT FRAUDULEUX
Le délit d’abus de confiance suppose chez son auteur l’intention coupable. Le
détournement doit être frauduleux. Il n’est pas nécessaire que l’inculpé se soit approprié la
chose détournée, ni même qu’il ait retiré du détournement ou de la dissipation un profit
personnel. Mais il faut qu’il ait agi en connaissance de cause, ne pouvant ignorer d’une part,
qu’il possédait seulement à titre précaire, et sachant, d’autre part, qu’en disposant de la chose
à lui confiée, il se mettait dans l’impossibilité de restituer ou que, du moins, il mettait la chose
en risque et s’exposait à ne pas pouvoir restituer. Un préjudice éventuel suffit à caractériser
l’infraction87.
Il est évident que, si la chose confiée a été détruite par cas fortuit ou force majeur
(incendie, vol, perte), l’intention frauduleuse fait défaut : il n’y a pas délit.
La preuve de l’intention frauduleuse, lorsqu’elle ne résulte pas implicitement de la
nature même des actes de détournement ou de dissipation commis par l’inculpé, ressort
souvent de la clandestinité des agissements du prévenu ou des artifices employés par lui pour
cacher ses opérations ou en masquer le caractère.
Lorsque le détournement a été frauduleux, il importe peu que l’auteur soit solvable ou
non, qu’il ait été ou non mis en demeure de restituer. La circonstance que la victime retire sa
plainte est également indifférente, et ne met pas obstacle aux poursuites du ministère public.
Dans le jugement de condamnation, le juge doit démontrer l’existence de l’intention
frauduleuse, puisqu’elle est un des éléments constitutifs du délit.

§ 3 : DÉTOURNEMENT AU PRÉJUDICE DU PROPRIÉTAIRE, POSSESSEUR OU


DÉTENTEUR DE L’OBJET
Le détournement ou la dissipation doit avoir porté préjudice aux propriétaires,
possesseurs ou détenteurs des objets confiés. Mais un préjudice éventuel suffit. Le délit existe
dès que le prévenu a dû prévoir que le détournement devrait entraîner un dommage. A partir
de ce moment, en effet, l’infraction est consommée et le restitution ou le paiement d’une

87
« Il y a détournement frauduleux dès que le prévenu a sciemment disposé de la somme à lui confiée s’il a pu
prévoir qu’un préjudice a pu en résulter ; et l’abus de confiance est réalisé lorsque l’impossibilité de restituer fait
apparaître le préjudice » : Cass. 18 fév. 1937, D. H. 1937.189.

71
indemnité ne la fait pas disparaître. Peu importe que, l’auteur du détournement étant solvable,
la victime ait eu la faculté d’exercer un recours contre lui et qu’elle ait été certaine de pouvoir
obtenir réparation du dommage.
Il suffit que la victime ait conservé un droit sur la chose, même si elle n’a jamais eu la
possession matérielle, et qu’il soit établi que la chose détournée reposait sur une tête autre que
celle de l’auteur du détournement. Il n’est pas nécessaire d’ailleurs que le contrat en vertu
duquel l’auteur du délit détenait les objets détournés ait été consenti par le propriétaire ou
possesseur de ces objets.

§ 4 : CARACTÈRE MOBILIER DE CHOSES DÉTOURNÉES


L’abus de confiance ne peut porter que sur les choses mobilières (art. 408) : effets,
deniers, marchandises, billets, écrits contenant obligation ou décharge. Il ne saurait avoir pour
objet un immeuble : le locataire qui reste dans un local après la fin du bail ne commet pas le
délit d’abus de confiance.
Par ces expressions « effets et marchandises », on doit entendre toutes les choses
mobilières pouvant entrer dans le patrimoine.
Les « billets ou écrits » contenant une obligation ou une décharge sont tous ceux qui
représentent pour la victime une valeur appréciable en argent : valeurs mobilières, billets de
banque, effets de commerce.
Mais le détournement d’une lettre missive ne peut causer aucun dommage matériel, si
la lettre ne contient ni obligation, ni décharge ; l’abus de confiance ne saurait donc être retenu.

§ 5 : REMISE DES OBJETS À TITRE PRÉCAIRE


Il faut que les objets aient été remis au prévenu. C’est un élément essentiel du délit,
lequel suppose, nécessairement, un dessaisissement de la possession d’une chose au profit
d’un détenteur.
Il est évident que l’héritier ou le légataire est substitué à son auteur et qu’il est réputé
avoir reçu lui-même la chose.
Peu importe, du reste, que les objets n’aient pas été remis par la victime à l’auteur du
détournement ; il suffit que ce dernier les détermine à titre précaire et pour un usage
déterminé. Tel est le cas du tuteur qui détourne les deniers de son pupille.
La remise doit porter sur la possession précaire et non sur la propriété ; elle doit être
effectuée « à charge de rendre, de représenter ou de faire un usage déterminé ». Peu importe
qu’elle ait été faite par un tiers chargé par le propriétaire de transmettre la chose à l’auteur du
détournement ou qu’elle ait été effectuée directement à ce dernier.

72
§ 6 : REMISE EN VERTU D’UN CONTRAT DÉTERMINÉ
La remise a dû être opérée en vertu d’un des contrats strictement déterminés par
l’article 40888. S’il s’agissait d’un autre contrat, il ne saurait y avoir délit d’abus de confiance.
Il appartient à la juridiction répressive de rechercher quelle est la nature de la convention
alléguée à l’appui de la poursuite. La qualification donnée au contrat par les parties ne peut
lier le tribunal à qui il appartient de lui restituer, s’il y a lieu, son véritable caractère juridique.
Si le contrat, en vertu duquel la remise a été opérée, n’entre pas dans les prévisions de l’article
408, le détournement n’est pas punissable. Tel est le cas du prêt de consommation, de
l’échange89, de la société90.
La vente n’est également pas visée par l’article 408 du code pénal. Toutefois, le
vendeur qui, ayant retenu la chose vendue, la détourne ou la dissipe, au lieu de la livrer,
commet le délit d’abus de confiance, si du moins, comme c’est le cas normal, l’acquéreur était
devenu propriétaire dès le jour du contrat. Dès lors, en effet, le vendeur n’était plus détenteur
de la chose que comme dépositaire ou mandataire. Mais il n’y aurait pas délit dans le cas
exceptionnel où le vendeur serait resté propriétaire jusqu’à livraison : ainsi s’il s’agissait de la
vente de choses de « genre » non individualisées lors du contrat.
Quant à l’acheteur, qui, mis en possession de la chose avant d’en avoir payé le prix, la
détourne ou la dissipe, il ne commet pas, e règle générale, le délit d’abus de confiance. En
effet, dès la vente, il est devenu propriétaire des objets par lui acquis et peut, dès lors, en
disposer à son gré.
Nous examinerons successivement les divers contrats dont la violation est susceptible
de caractériser l’abus de confiance.

I – Louages de chose
Le premier de ces contrats est le contrat de louage, lorsqu’il porte, bien entendu, sur
des meubles.
Il ne saurait y avoir abus de confiance en cas de simple retard ou de maintien en
jouissance après le terme convenu. L’abus de confiance n’existe si le preneur détourne ou
dissipe frauduleusement la chose.

88
L’article 408 dispose que les objets détournés ont dû être remis « à titre de mandat ou de dépôt » ; peu importe
que le mandat ou le dépôt ne résulte pas d’un contrat. Aussi la loi s’applique-t-elle aux détournements commis
par le tuteur : Cass.28 avr. 1866, S. 1867.I.46.
89
Une personne remet à une autre un billet de banque pour l’échanger contre de la monnaie ; celle qui a reçu le
billet le conserve sans livrer la monnaie ; il ne peut pas y avoir d’abus de confiance : Cass. 29 juill. 1905, S.
1905.I.634. Il en serait autrement si le billet avait été remis avec mission d’aller chercher de la monnaie chez un
tiers.
90
Cass. 13 avr. 1929, S. 1931.I.78. Le défaut de restitution de sommes reçues à titre de supplément de salaires, à
charge de les rendre sous une condition résolutoire qui s’est réalisée, ne tombe pas sous le coup de l’article 408.

73
Commet donc un abus de confiance le locataire en garni qui détourne un meuble placé
dans l’appartement. Le bail est en effet mobilier en ce qui concerne les objets garnissant les
lieux.

II – Dépôt
Le dépôt est un contrat réel : la chose est remise avec obligation de la conserver et de la
rendre. Il est essentiellement gratuit (art. 1917 code civil).
Pour que l’abus de confiance soit retenu, la tradition réelle n’est pas toujours
nécessaire : ainsi, après avoir vendu son fonds de commerce, le vendeur a détourné une partie
des marchandises ; il en était bien le dépositaire quoiqu’il n’y eût pas eu remise réelle ; il a
donc commis un abus de confiance.
Il faut qu’il s’agisse d’un dépôt « régulier », comportant pour le dépositaire
l’obligation de conserver et de remettre. Le dépôt irrégulier, qui confère au dépositaire la
faculté de se comporter en propriétaire sur la chose, n’est pas protégé. Echappe donc aux
poursuites, le banquier qui dispose des fonds que ses clients lui ont confiés et pour lesquels il
verse des intérêts.
De même, il n’y a pas dépôt, lorsqu’un bijoutier remet à un client plusieurs bijoux
pour en choisir un ; le client est tenu de restituer, mais non de « conserver » ; s’il détourne les
bijoux, il ne commet pas le délit d’abus de confiance puni par l’article 408. Il peut être
poursuivi pour vol si le bijoutier n’a pas eu l’intention de se dessaisir des bijoux et s’il s’est
borné à les présenter au choix du client.
Commet le délit d’abus de confiance par violation d’un dépôt le séquestre amiable qui
détourne des fonds à lui confiés, l’administrateur de société qui a reçu des fonds e vue
d’assurer le paiement de créanciers.

III – Mandat
Le mandat peut être gratuit ou salarié, conventionnel ou légal, exprès ou tacite.
Les choses considérées comme « remise à titre de mandat » sont non seulement celles que le
mandataire a reçues du mandant lui-même, mais aussi celles qu’il a reçues de tiers pour les
remettre au mandant en conformité des conventions intervenues. Ainsi, l’encaisseur d’une
banque détient à titre de mandat non seulement les fonds que le patron lui a remis pour
effectuer des paiements, mais encore ceux qu’il recueille au cours de sa tournée pour les
remettre au patron ; de même, celui qui a reçu une chose avec mandat de la vendre comme
mandataire détient les fonds que lui remet l’acquéreur.

74
L’article 1993 du code civil oblige le mandataire à faire raison au mandant de tout ce
qu’il a reçu en vertu de sa procuration, même si les choses ou sommes reçues ne sont pas dues
au mandant. Commet donc un abus de confiance, le mandataire qui a détourné des sommes
perçues au nom du mandant et non dues à ce dernier.
Doivent être considérés comme mandataires infidèles, le commissionnaire qui a reçu
des choses pour les vendre et qui les a détournées.

IV – Nantissement
L’article 408 employant l’expression générale « nantissement », ne vise que le gage, et
non l’antichrèse, qui porte sur les immeubles. Le créancier gagiste qui détourne l’objet à lui
donné en gage commet un abus de confiance. De même, le banquier qui détourne les titres
que lui remet son client en couverture d’opérations de bourse, la remise de titres en couverture
s’analysant non en une dation en payement anticipée, mais en une remise à titre de
nantissement, pour la position débitrice éventuelle du spéculateur. Les valeurs remise par
chaque client doivent être individualisées à son nom et ne peuvent être utilisées qu’à la
garantie de ses propres opérations.

V - Prêt à usage
Le prêt à usage ou « commodat » est également un contrat réel : un corps certain est
remis par le prêteur à l’emprunteur, pour un usage déterminé. Si le prêt porte sur une somme
d’argent ou sur des choses consomptibles, l’abus de confiance est impossible ; seul le prêt à
usage permet l’application de l’article 408.

VI – Travail salarié ou non


Commettent des abus de confiance l’ouvrier ou l’entrepreneur qui a détourné la chose
qu’il était chargé de réparer ou de transformer ; le meunier qui, chargé de moudre de façon
une certaine quantité de maïs, a conservé une partie de la farine ; la personne chargée de la
vente de billets de loterie, qui a détourné un billet à elle remis pour qu’elle vérifie s’il est ou
non gagnant ; l’employé qui après la cessation de ses fonctions, s’approprie et utilise pour les
besoins d’une entreprise concurrente une documentation à lui confiée par son ancien
employeur.

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Section II – Circonstances aggravantes
Commis par certaines personnes auxquelles leur profession ou leur caractère officiel
imposait plus impérieusement encore le respect du contrat intervenu, l’abus de confiance est
dit « qualifié ». La qualité de l’inculpé est une circonstance aggravante de l’infraction.

§ 1 : PERSONNES FAISANT APPEL AU PUBLIC


Le délit d’abus de confiance est aggravé bien qu’il ne perde pas son caractère de délit,
s’il a été commis par une personne faisant appel au public afin d’obtenir, soit pour son propre
compte, soit comme directeur, administrateur ou agent d’une société ou société commerciale
ou industrielle, la remise de fonds ou valeurs à titre de dépôt, de mandat ou de nantissement.
Deux conditions sont requises pour que la situation aggravante soit caractérisée :
Il faut, tout d’abord, que l’inculpé ait fait appel au public (par un mode quelconque de
publicité, articles de journaux, prospectus, etc.), en vue d’obtenir la remise de fonds ou
valeurs à l’aide de l’un des contrats suivants : dépôt, mandat ou nantissement (à l’exclusion de
tous autres). Il faut en second lieu, que le détournement ait porté sur les objets ou valeurs ainsi
détenus en vertu desdits contrats.

§ 2 : INTERMÉDIAIRES EN MATIÈRE IMMOBILIÈRE OU DE FONDS DE COMMERCE


La loi du 21 juin 1960, interdisant certaines pratiques en matière de transactions
portant sur des immeubles et des fonds de commerce, a introduit certaines pratiques en
matière de transaction portant sur des immeubles et des fonds de commerce, a introduit dans
l’article 408 une nouvelle circonstance aggravante, qui conserve d’ailleurs à l’infraction son
caractère de délit. Celui-ci est aggravé s’il a été commis par un courtier, un intermédiaire, un
conseil professionnel ou un rédacteur d’actes et a porté sur le prix de souscription, d’achat ou
de vente d’actions ou de parts de sociétés immobilières, ou sur le prix de cession d’un bail
lorsqu’une telle cession est autorisée par la loi.

§ 3 : OFFICIERS PUBLICS OU MINISTÉRIELS


Cette dernière circonstance aggravante a été introduite dans l’article 408 par la loi du
13 mai 1863. Elle concerne tous les officiers ministériels : notaires, huissiers, avoués, agents
de change, commissaires-priseurs, courtiers d’assurances maritimes, curateurs à successions
vacantes. Il faut, pour que la circonstance aggravante soit réalisée, que les fonds ou objets
détournés leur aient été remis volontairement, en leur qualité d’officiers ministériels, soit dans
l’exercice de leurs fonctions, soit à raison de cet exercice, en vertu de leur qualité et de la
confiance générale qu’ils inspirent.

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Section III – Preuves de l’abus de confiance
En principe tous les modes de preuves sont admis : écrits, témoignages, présomptions ;
le juge peut retenir tous les faits susceptibles de forger sa conviction. Il en est ainsi, du moins,
en ce qui concerne la preuve du détournement ou de la dissipation. Mais l’abus de confiance
offre une particularité : il consiste dans la violation d’un contrat ; à sa base même se trouve
une convention librement consentie. Il est donc nécessaire de prouver l’existence du contrat
ayant donné lieu à la remise de l’objet détourné.
L’existence du contrat doit être établie par les modes de preuves du droit civil. Dans un
intérêt général, pour éviter toutes contestations ultérieures, la loi a voulu que les conventions
soient constatées d’une façon durable. Dans la plupart des cas, elle exige un écrit.
Si le contrat est dénié, le tribunal correctionnel a qualité pour en ordonner la preuve
conformément au droit commun. Il ne saurait y avoir une question préjudicielle dont l’examen
serait renvoyé aux juges civils : « le juge de l’action est juge de l’exception ».
Faisant application des règles du droit, le juge exigera, en principe, une preuve écrite
du contrat lorsqu’il s’agira d’un intérêt supérieur à 5000 F. Mais la preuve testimoniale ou la
preuve par présomption doit être admise si l’objet détourné à une valeur inférieure à 5000 F.
De même, s’il existe un commencement de preuve par écrit (la jurisprudence considère
comme telles les réponses faites par le prévenu devant le juge d’instruction). De même, si le
créancier a été dans l’impossibilité de se procurer une preuve écrite ou si la preuve
préconstituée a été détruite par un cas fortuit (art. 1348 du code civil).
De même, en matière commerciale, la preuve est libre.
L’aveu du prévenu dispense d’apporter une preuve écrite, sauf aux juges à examiner la
question de l’indivisibilité de l’aveu, qui se pose comme devant la juridiction civile, et à
déterminer la nature du contrat.

Section IV – Pénalités
En l’absence de toute circonstance, le délit d’abus de confiance est puni
d’emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende, pouvant être portée au quart des
restitutions et des dommages et intérêts, si ce quart est supérieur à 3600000 F (art. 408 et
406).
En cas de circonstance aggravante résultant de ce que l’inculpé a fait appel au public pour
obtenir des fonds ou des valeurs ou, intermédiaire en matière immobilière ou de fonds de
commerce a détourné le prix de vente de l’immeuble ou du fonds, le prix de la souscription,

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d’achat ou de vente d’actions ou de parts de sociétés immobilières ou le prix de cession d’un
bail, la durée de l’emprisonnement peut être portée à dix ans et l’amende à 18000000 F.
En cas de circonstance aggravante résultant de ce que l’inculpé était officier public ou
ministériel, l’abus de confiance devient un crime puni de réclusion criminelle à temps de cinq
à dix ans (art. 408 § 5).

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