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L'INTELLIGENCE TERRITORIALE

Entre structuration de réseau et dynamique de communication


Maud Pelissier, Isabelle Pybourdin

Lavoisier | « Les Cahiers du numérique »

2009/4 Vol. 5 | pages 93 à 109


ISSN 1622-1494

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ISBN 9782746229167
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Pour citer cet article :


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Maud Pelissier, Isabelle Pybourdin« L'intelligence territoriale. Entre structuration de
réseau et dynamique de communication », Les Cahiers du numérique 2009/4 (Vol. 5),
p. 93-109.
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L’INTELLIGENCE TERRITORIALE

Entre structuration de réseau

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et dynamique de communication
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MAUD PELISSIER
ISABELLE PYBOURDIN

DOI:10.3166/LCN.5.4.93-109  2009 Lavoisier, Paris


94 LCN n° 4/2009. Intelligence économique

Introduction

La diffusion spectaculaire des technologies de l’information et de la


communication (TIC) a eu pour conséquence d’accroître de façon exponentielle
l’information à la disposition des acteurs socio-économiques : on a déjà produit
plus d’informations au cours des trente dernières années que pendant les dix mille ans
précédents, l’on s’attend à un doublement tous les cinq ans (Pateyron, 1998, 18).
Désormais, il est devenu vital de maîtriser les contenus issus des flux
d’information. Le nouvel enjeu n’est pas tant de savoir comment accéder à
l’information – les TIC ont permis en ce sens une véritable démocratisation de
l’information – mais comment sélectionner et combiner les informations
permettant de prendre de bonnes décisions stratégiques dans un
environnement concurrentiel évoluant rapidement. Dans cette perspective, un
flux d’information maîtrisé et optimisé devient un vecteur essentiel créateur de
richesse. C’est dans un tel contexte que l’intelligence économique, définie à
l’origine comme « l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de
traitement et de distribution en vue de son exploitation de l’information utile

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aux acteurs économiques » (Rapport Martre, 1994, 16) est apparue comme une
approche répondant à ces nouveaux défis informationnels. Dans cette
perspective, l’application au territoire des principes de l’intelligence économique
(IE) s’est avérée indispensable et complémentaire d’une telle démarche au plan
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national (Carayon, 2003). La notion de territoire est ici appréhendée comme un


espace à redéfinir dans le contexte de mondialisation actuelle. Le territoire se
définit par ce dont il est capable : un lieu social de proximité se construisant pour concevoir
horizons et projets (…) Et le territoire, loin d’être un domaine de repli, est appelé à être un
espace de relations et d’ouverture instituant sa cohérence propre et son lien avec le monde.
L’effet de proximité (cognitive, institutionnelle, organisationnelle) qui caractérise le
territoire aide à créer la confiance et concourt à la visibilité des enjeux, des initiatives et des
porteurs (…) Lieu de ressources humaines, il devient donc un site privilégié de constitution du
capital social. Par là, il sera la base de la gouvernance de demain (Courlet, 2003). Ainsi,
le territoire est appréhendé dans sa dimension symbolique aux frontières
poreuses où se croisent des foyers culturels et des identités mouvantes et
vivantes communiquant avec les TIC par le biais de la « traduction »
linguistique et culturelle, soit l’acceptation d’une perte dans la relation à l’autre
pour le comprendre et accepter son regard (Dumas, 2006).
Il convient de remarquer que l’approche appréhendant l’intelligence
territoriale (IT) comme une déclinaison des principes de l’intelligence
économique au niveau du territoire n’est pas unanimement partagée dans la
communauté des chercheurs. Le contenu et les contours de l’intelligence
territoriale sont encore en gestation. Il faut souligner que l’IT se situe à la
frontière de nombreuses disciplines et, à ce titre, est au cœur de problématiques
L’intelligence territoriale 95

diverses. L’éclectisme des contributeurs dans l’ouvrage de Ludovic François sur


l’IT (2009) ou bien encore du réseau de chercheurs qui ont investi le champ de
l’intelligence territoriale au travers d’un programme-cadre de recherche et de
développement technologique de l’Union européenne (réseau CaENTI) en
constituent un exemple parlant. L’intelligence territoriale est un concept
nomade et polysémique. Il se situe à la croisée de regards pluridisciplinaires.
Mais au-delà de la richesse apportée par ces contributions fort disparates, il
convient de savoir si une unité peut être trouvée.
Notre propos est double. Tout d’abord, nous voudrions montrer que cette
absence de regards convergents sur le concept d’IT ne s’explique pas par sa
jeunesse mais bien par une réelle divergence au niveau des fondements. Une
véritable opposition nous semble se dessiner entre deux approches de l’IT
(Pélissier, 2008), chacune retenant une vision du territoire et des enjeux du
développement territorial radicalement différents. La maîtrise et la protection
de l’information stratégique à l’échelle du territoire s’opèrent selon des
modalités fort disparates. Elles peuvent être mises en œuvre au travers d’une

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mise en concurrence forte des acteurs du territoire. A l’inverse, l’intelligence
territoriale peut aussi se penser au travers de la mise en synergie d’acteurs
multicompétences et multiréférences, partageant des valeurs communes et
agissant en totale liberté.
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Dans un second temps, il s’agira de prolonger la réflexion sur une des


revendications clés d’une approche d’intelligence territoriale : la mise en réseau
d’acteurs. Dans ce contexte, l’élaboration de systèmes d’information
d’intelligence territoriale (SIT), fondés sur des approches en terme de réseaux
sociaux, peut s’avérer instructive comme outil de traitement et d’exploitation
des flux de connaissance. Toutefois, les propriétés structurales du réseau ne
renseignent que peu sur « ce qui fait le lien » entre les acteurs. Nous voudrions
alors montrer comment l’approche dite « ascendante » de l’IT se marie
parfaitement avec les fondements d’une économie du lien dont la visée est de
remettre l’humain au centre de l’économie, dans une démarche d’adoption des
logiques du développement durable et par la mise en place d’initiatives locales
concrètes visant le lien plutôt que le bien (Dacheux, 2007). Cette articulation est
innovante au niveau du processus décisionnel notamment dans le champ de
l’action collective et concertée en réseau et le travail collaboratif.
Sur un plan méthodologique, notre propos s’appuie sur une argumentation
croisée mêlant les développements de deux disciplines : les sciences
économiques et les sciences de l’information communication.
96 LCN n° 4/2009. Intelligence économique

Regards croisés sur un concept nomade : vers la définition


de l’intelligence territoriale

La mise en place d’une démarche d’intelligence économique est apparue


urgente dans un contexte où les acteurs économiques français accusent un
retard certain face aux grandes nations industrialisées qui possèdent des
dispositifs très performants (Carayon, 2003 ; Mongereau, 2006). L’IE est
présentée comme l’outil indispensable qui, dans un contexte de mondialisation
et de « guerre d’information », permet d’adopter une attitude offensive et
défensive en terme informationnel. Dans l’environnement économique actuel,
la concurrence exacerbée donne à la maîtrise de l’information pertinente, à la rapidité de
réaction et au décryptage des menaces adverses une importance redoutable (Mongereau,
2006, 6). Elle prend la forme d’une politique publique (d’État), pilotée par
l’intermédiaire du haut responsable à l’IE, en lien direct avec le gouvernement.
En 2003, ce haut responsable français fait adopter une définition plus
synthétique qui confère un triple objectif à la politique d’IE : l’intelligence
économique est définie comme une démarche visant la maîtrise et la protection

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de l’information stratégique pour tous les acteurs économiques. Sa triple finalité
repose sur la compétitivité du tissu industriel, la sécurité de l’économie et des
entreprises et le renforcement de l’influence de notre pays. Dans le rapport
Carayon apparaît la notion d’IE appliquée au territoire. Les territoires définis
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comme le creuset d’activités économiques combinant savoir-faire traditionnels


et technologies avancées sont dans une plus grande proximité vis-à-vis des
acteurs économiques et ont ainsi un rôle à jouer dans le domaine de
l’intelligence économique. C’est à ce niveau qu’apparaissent les clivages.
Il s’agit ici de mettre en perspective deux approches de l’intelligence
territoriale, la première qualifiée de « descendante », la seconde « d’ascendante »
(Pélissier, 2008). La première est la déclinaison directe, au plan local, du
concept d’IE tel qu’il a été défini précédemment. La seconde pense la
recomposition locale par la mise en synergie d’acteurs partageant des valeurs et
une finalité communes. Entre les deux, une divergence profonde porte sur la
vision du développement territorial. Dans sa première acception, l’IT a pour
objectif la compétitivité-attractivité du territoire. Dans la seconde, elle s’accorde
avec une vision plus large et complexe du développement incluant non
seulement les principes du développement durable mais s’inscrivant aussi et
surtout dans une perspective de réalisation du « bien être humain » (Stiglitz,
Sen, Fitoussi, 2009).
L’intelligence territoriale 97

L’intelligence territoriale comme prolongement de la politique nationale


d’intelligence économique

Dans une première acception, l’intelligence territoriale n’est qu’une


déclinaison, à l’échelle locale, de la politique d’IE consistant à restaurer la
compétitivité de la nation. La cible première d’une telle politique sont les
PME/PMI présentes sur les territoires. Il s’agit d’une part, de sensibiliser les
PME/PMI aux risques et menaces portées par leur environnement et les inciter
à se protéger en menant une politique systématique de gestion de brevets, de
protection à l’égard de la cybercriminalité, l’espionnage industriel, le pillage
technologique ou la désinformation. Il s’agit aussi d’améliorer les performances
commerciales et les stratégies d’exportation des PME. En termes concrets, cela
peut se traduire de diverses façons. Tout d’abord, cela peut se traduire par un
accompagnement des entreprises dans leur stratégie de conquête de marchés
internationaux (en aidant à la prospection de marchés nouveaux avec l’aide de
l’institution Ubifrance par exemple). En aidant à la visibilité à l’international,
l’IT espère ainsi contribuer à l’espoir de limiter les désindustrialisations et

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délocalisations. L’application territoriale de l’IE est étroitement associée à ce
que l’on appelle aujourd’hui le « marketing territorial ».
La mise en œuvre d’une démarche d’IT peut enfin consister à favoriser la
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mise en place de réseaux de partenariats entre le public et le privé dans l’optique


d’améliorer la circulation de l’information stratégique du premier vers le second.
Telle est en particulier la vision défendue par Raymond Pautrat qui contribua
activement en tant que préfet de région à la valorisation de l’IT : l’IT consiste à
organiser la synergie des pouvoirs publics à l’échelon local et la coopération public/privé au
profit de la puissance nationale, laquelle passe aujourd’hui par la prospérité économique. Cette
démarche participe de la réforme publique destinée à faire émerger un état stratège et
partenaire (Pautrat, Delbecque, 2008, 16).
Cette vision institutionnelle de l’intelligence territoriale conçoit le territoire
comme un échelon méso-économique et un espace d’application d’une
politique déconcentrée d’intelligence économique. Les territoires sont ici
appréhendés comme espace de continuité de la politique d’intelligence
économique menée au plan national : volet défensif pour contrer les menaces
traditionnelles et les nouveaux risques ou bien protéger le patrimoine matériel
et immatériel ; volet offensif pour donner à l’entreprise les moyens de se
développer et de rester compétitive.
Cette démarche globale est référée à l’intelligence économique avec, pour
échelle pertinente, la seule prise en compte de la nation. Dans un contexte de
guerre économique, le rôle de « l’État stratège » est ainsi revendiqué pour
protéger l’industrie nationale. Les partisans de cette approche vont même
98 LCN n° 4/2009. Intelligence économique

jusqu’à prôner un patriotisme économique. Notons qu’en défendant un tel


principe, ils renouent avec une conception interventionniste de l’État dans les
relations économiques internationales – là où précisément la mondialisation a
progressivement évincé sa légitimité.
Sur un plan administratif, l’application territoriale de la politique
d’intelligence économique est coordonnée par chaque préfecture de région et
doit se traduire par un « schéma régional d’intelligence économique », reposant
sur la création d’instances nouvelles chargées de mettre en œuvre, à l’échelle
locale, le dispositif national d’IE. Le chef d’orchestre de cette politique est donc
clairement l’État déconcentré. Ce dernier est accompagné par tous les services
de l’État qui, au niveau régional, sont en liaison directe avec les entreprises. Il
est aussi souligné le rôle crucial d’autres institutions locales au premier rang
desquelles on trouve les chambres consulaires, les fédérations professionnelles,
des agences comme l’ADIT (Agence pour la diffusion de l’information
stratégique) ou bien encore la gendarmerie nationale.

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L’intelligence territoriale comme co-construction de ressources
selon une logique coopérative

La première approche de l’intelligence territoriale est née du champ


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institutionnel et des enjeux économiques des nations. La seconde approche est


issue de la transdisciplinarité (économie, géographie, information et
communication) et des travaux de l’action de coordination du réseau européen
d’intelligence territoriale (CaENTI). Elle considère le territoire non pas comme
un espace d’application de politique déconcentrée d’intelligence économique,
mais comme un lieu d’émergence d’une nouvelle conception de la gouvernance
locale dans le cadre du développement durable (Dumas, 2007). L’intelligence
territoriale prend ainsi pour principal objet le développement durable et
équitable de la collectivité territoriale. Elle participe d’une vision du territoire
comme espace de valorisation de ressources construites selon une logique
endogène et favorise le partage de l’information selon une logique coopérative.
Yann Bertacchini (2006) assimile cette acception de l’intelligence territoriale à
un phénomène d’appropriation de ressources du territoire puis de transfert de
compétences entre des catégories d’acteurs locaux de cultures différentes.
Les territoires ne sont plus considérés comme des « réceptacles passifs »
(Greffe, 2000) mais comme des ressorts locaux de dynamisme dans une
nouvelle approche du développement local ou territorial. A un rôle passif de
pourvoyeur de ressources, les territoires deviennent actifs et acteurs de leur
propre développement. Dans le contexte actuel d’une concurrence mondialisée,
L’efficacité est avant tout relationnelle : l’écosystème relationnel est devenu le facteur clé
L’intelligence territoriale 99

de performance (Veltz, 2002, 45). Le territoire devient ainsi le fournisseur privilégié


de ces ressources relationnelles. En effet, dans une économie changeante,
l’apprentissage rapide est la seule garantie de survie. Celui-ci repose sur la
capacité des acteurs à partager des ressources informationnelles. Or, la
proximité permet le partage de connaissances tacites, peu formalisées, non
officielles comme l’ont montré de nombreux travaux sur les clusters (Bresh,
Malerba, 2005). Notons, comme nous le soulignerons ultérieurement que l’un
des aspects essentiels de ces apprentissages est la confiance entre les acteurs qui
permet en particulier de valider des informations sans avoir à valider au
préalable les informateurs. Cette mise en confiance dépend d’un sentiment
d’appartenance ou d’appropriation territoriale qui participe d’un phénomène de
représentation symbolique. Pour que les acteurs locaux pensent leur rapport au
territoire par l’intégration progressive d’un sentiment local, il est nécessaire
qu’émerge un espace public local dont ils se sentent responsables et pour lequel
ils s’engagent dans un projet partagé (Bertacchini, 2006).
Le patrimoine du territoire est ici apprécié comme une identité propre qui se

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construit avec le temps. Les spécificités des territoires sont autant d’avantages
comparatifs qui participent à la création de nouvelles formes de concurrence.
Aux ressources matérielles issues de l’espace physique (terre, main d’œuvre et
capital) se combinent des ressources construites liées à l’espace construit
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(savoir, compétence, organisation). La valorisation de ces dernières participe de


la valorisation d’un territoire différencié. Les ressources construites sont des
avantages clés indépendants des ressources matérielles. Elles autorisent un refus
du déterminisme par la capacité du territoire à réagir et inventer des solutions
nouvelles aux défis rencontrés. Le territoire émerge ainsi en qualité d’acteur du
développement (Menville, 1999) par la mise en valeur de ses facteurs de
dynamisme. Le territoire devient une organisation au sens d’une entité socio-
économique construite. Il est le résultat émergent de multiples interactions
entre les acteurs hétérogènes composant ce territoire, donnant naissance à tout
un ensemble de ressources construites ». Le renforcement de ces ressources
crée l’identité du territoire qui, de fait, devient de moins en moins substituable.
Dans cette approche du territoire, l’intelligence territoriale consiste à
considérer les individus insérés dans un territoire comme les acteurs clé d’un
dynamisme local réussi. Pour être endogène, le développement territorial doit
s’appuyer sur des initiatives ou projets locaux reposant sur des logiques de
coordination hors marché vers l’élaboration de ressources construites. La
coopération entre acteurs hétérogènes devient une modalité d’interaction
privilégiée dans une dynamique d’apprentissage collectif et permet une
mutualisation voire une valorisation de connaissances auparavant diffuses. L’IT
définit ainsi un mode de gouvernance participatif selon une logique ascendante.
100 LCN n° 4/2009. Intelligence économique

Il se traduit par une démarche d’information et de communication territoriale,


de création de contenus territoriaux innovants susceptible de favoriser la
collaboration et l’adhésion aux projets innovants vers l’émergence et la
valorisation d’un capital formel territorial. Yann Bertacchini (2004, 3) définit
cette conception de l’IT comme un processus informationnel et
anthropologique initié par les acteurs locaux, présents physiquement ou au
moyen des TIC, qui s’approprient les ressources locales et en créent de
nouvelles afin de développer des projets endogènes. Les systèmes
d’information territoriaux (SIT) jouent alors un rôle crucial en offrant la
possibilité de création d’un environnement d’apprentissage propice au
développement territorial endogène ainsi que la possibilité de mutualisation et
de diffusion de connaissances multiples et transdisciplinaires. Dans cette
perspective, l’IT et les SIT servent la cause du développement durable.
L’intelligence territoriale s’inspire de l’éthique du développement durable qui met en avant
trois principes : la participation, l’approche globale et équilibrée des territoires et le partenariat
(Girardot, 2004, 2).

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Ces deux approches de l’intelligence territoriale sont fondamentalement
opposées. La première, qualifiée d’intelligence territoriale descendante,
n’accorde que peu de pertinence au territoire, elle en privilégie une approche
stratégique destinée à restaurer la compétitivité d’une nation par l’attractivité de
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ses territoires. La seconde, qualifiée d’intelligence territoriale ascendante, pose


comme préalable la question de la diversité des territoires et notamment celle
d’un développement local porté par les acteurs locaux selon une logique
endogène. Cette vision rejoint celle d’un développement local équilibré et
durable, de la capacité à développer des projets diversifiés, à constituer un
capital formel en associant les acteurs du territoire selon une logique de
partenariat.

Intelligence territoriale réseaux et coopération

Les SIT représentent des outils favorables au travail en réseau, au partage de


l’information et à la coopération entre acteurs hétérogènes.
Les deux approches de l’IT présentées préalablement ont un point de
convergence, à savoir le regroupement d’acteurs considéré comme la phase
première de constitution d’un réseau au sein de la « société pollen » (Boutang,
2008). En effet, même si les finalités diffèrent, il est question, dans les deux cas,
de favoriser une approche réticulaire, soit un modèle de coopération sociale
fondé sur la société de réseaux (Castells, 1999), l’informatique et l’internet.
L’enjeu des réseaux (sous la forme de clusters) consiste alors à favoriser des
synergies de coopération entre des acteurs hétérogènes appartenant à des
L’intelligence territoriale 101

filières et des cultures distinctes et plus ou moins ancrées sur le territoire. Ces
communautés de pratiques (Wenger, 1998) représentent des groupes
d’individus partageant un même centre d’intérêt et/ou les mêmes problèmes.
Elles approfondissent et enrichissent leurs connaissances et leur expertise en
interagissant régulièrement. L’enjeu consiste à faire émerger des « ponts » entre
différentes « cliques » d’acteurs regroupés autour de ces communautés.
L’approche de Dibiaggo et Ferrary (2003) privilégie ainsi une démarche en
termes de réseaux sociaux, notamment autour des concepts de liens forts et
liens faibles développés par Granovetter (1973). Les communautés de pratique
constitutives d’un réseau se caractérisent par l’existence de liens forts entre leurs
membres. Ces liens forts sont indispensables à la diffusion de connaissances
complexes et non codifiables. Dans ce cas, de nombreuses interactions directes
et récurrentes structurent des relations de confiance. Cependant, l’activation de
« ponts » entre communauté de pratiques est tout aussi importante car elle
autorise la diffusion d’informations et de connaissances nouvelles au sein des
différentes communautés. Ces « ponts » représentent des liens faibles.
Générateurs de variété informationnelle, ils dépendent en grande partie des

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opportunités de rencontre de deux groupes indépendants et des bénéfices
potentiels de leur relation. Ils dépendent également, dans le cadre de l’IT
ascendante, d’une nouvelle manière d’habiter et d’être citoyen sur un territoire
en apprenant d’autres formes d’agir ensemble au service d’une gouvernance
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locale, dans une démarche d’organisation tissée au sein du territoire. Soit


l’émergence d’un territoire apprenant qui accorde une place au citoyen lambda
dans « l’orchestre local » (Herbaux, 2007). Les principaux outils de l’analyse
structurale des réseaux sont donc déployés pour étudier les dynamiques de
collaboration d’acteurs. La théorie des graphes et l’analyse des réseaux sociaux
fournissent un nombre conséquent d’indicateurs standard relatifs aux structures
en réseau et au positionnement des agents. Or les propriétés structurales d’un
réseau renseignent peu sur ce qui fait lien entre les acteurs. Elles permettent
tout au plus de saisir les flux d’échanges entre les acteurs d’un même territoire,
de décrire la nature ainsi que l’intensité des liens qui se tissent entre eux. Pour
comprendre ce qui fait lien, il faut s’intéresser à la communication entre les
hommes, leur manière d’entrer en relation avec autrui et de se construire un
monde commun. Soit distinguer, à la suite de Pierre Musso (2003) le concept de
réseau du dispositif technique réseau, le lien du graphe.

Qualifier les collectifs par le recours à la sociologie

Pour comprendre ce qui fait lien entre les acteurs, nous proposons
d’interroger les formes organisées de l’action collective et concertée. Ces
dernières sont concrétisées dans la création de réseau d’acteurs hétérogènes aux
102 LCN n° 4/2009. Intelligence économique

pratiques professionnelles complémentaires orientées vers une finalité


commune. Cette approche collaborative suppose un décloisonnement de
l’activité, chaque intervenant du réseau devenant le relais pour les autres
intervenants, chacun coopérant en fonction de cas différents, de problèmes
concrets à résoudre. La coordination entre les activités de chacun est essentielle :
se transmettre les informations, partager une même information, coordonner des
actions vers un but commun. Le lien entre les acteurs est ainsi fondé sur une
nouvelle intentionnalité de chacun pour comprendre autrui et se coordonner à
son action. La communication entre les acteurs est alors primordiale et dépasse le
simple flux entre deux entités, qualifié dans des graphes.
Nous sommes là au cœur d’une forme organisationnelle qui privilégie la
coordination des professionnels et exige l’apprentissage de cette coordination
pour faire travailler ensemble des acteurs issus de mondes professionnels et de
cultures différents, au-delà des clivages habituels qui les séparent ou les
opposent. Les problématiques de la communication des organisations sont au
cœur de la constitution et de la vie du réseau par la prise en compte d’une

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« communication circulaire » (Pybourdin, 2009) orientée vers
l’intercompréhension et le sens selon le paradigme de la signification (Boutaud,
1998). Cette forme de la communication en organisation s’oppose à la
« communication linéaire », normée et stabilisée, issue du paradigme du signal
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(Shannon et Weaver, 1948). Elle s’inscrit dans une problématique du lien, du


sens, de l’action et de l’interaction qui valorise l’intentionnalité des acteurs
locaux, contribue au développement de leur coopération et de leur mise en
confiance réciproque au plan local.
Les réseaux peuvent donc représenter des « manières de faire » (De Certeau,
1980) du lien au sein d’un territoire. Les travaux de Metzger (2007) nous
permettent d’interroger la typologie des manières dont le « nous » se constitue.
Le « nous » formel est celui des liens visibles et décelés dans les systèmes
d’information. Les traces numériques structurées en base de données
permettent la qualification des flux et l’élaboration de statistiques. Ces données
explicatives sont normatives. Ainsi, l’approche formelle de l’intelligence
économique appliquée au territoire se traduit par la mise en place de systèmes
d’information favorisant l’échange et le partage d’informations stratégiques et
de connaissances entre acteurs issus d’un même territoire (espace, cluster, clique
etc.). Le « nous » informel est non prescrit et invisible, il peut déborder le cadre
de l’organisation ou bien être transversal à une organisation donnée. En
abordant la question de la constitution de réseaux d’acteurs sous l’angle la
constitution de collectifs, il est possible d’interroger les modes d’organisation de
collectifs d’innovation favorisant la coopération, la collaboration, l’échange
d’informations et le partage des connaissances. Ces communautés de pratiques
L’intelligence territoriale 103

ont pour problématique principale la « création du lien », soit la capacité de


comprendre la dynamique de constitution, de transformation, de préservation
ou de délitement des collectifs. Ainsi, le collectif ne se réduit pas à la seule
dimension des échanges d’informations, il se caractérise aussi par la confiance,
la solidarité, la réciprocité, l’échange de biens, des dons, de la gratuité…
Il s’agit donc d’adopter une posture épistémologique entre « l’expliquer » et
« le comprendre » (Morin, 1986, 150) dans une logique de pensée de reliance.
A l’heure de l’individualisation croissante, de la responsabilisation des
acteurs et de leur autonomie, Jean Luc Metzger (2007, 26) souligne l’intérêt
simultané porté à la création du lien avec des dispositifs technico-
réglementaires : Si l’on admet que ce n’est pas le dispositif technique qui fait le lien social,
que ce n’est pas le partage de caractéristiques socioprofessionnelles ou la place dans la division
du travail qui engendrent à eux seuls l’appartenance à un collectif, pas plus que l’injonction de
travail collaboratif n’induit des échanges pérennes, il semble légitime de chercher à comprendre
les dynamiques de constitution, de transformation, de préservation, mais aussi de délitement
des collectifs, tout en précisant leurs caractéristiques. Le collectif peut se caractériser également

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par la solidarité, la réciprocité, l’échange de biens, des dons, de la gratuité, etc. Ces
questionnements trouvent un début de réponse dans la mobilisation d’une grille
d’analyse basée sur la caractérisation de quatre types idéaux de collectifs. En
effet, le sociologue interroge le travail dans les organisations au regard des
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quatre fonctions majeures de l’institution assignées par les travaux fondateurs


d’Émile Durkeim : l’intégration comme articulation entre l’individu et la
société ; la régulation comme production de règles régissant la vie sociale ;
l’émancipation comme affirmation de la personnalité individuelle et la
codification comme construction des catégories de l’entendement. Il considère
alors que la question de l’inscription des individus dans un collectif se situe
essentiellement à l’articulation entre les processus d’intégration et de régulation.
Cette dynamique engendre un espace au sein duquel se distinguent quatre types
empiriques de collectif :
– Le collectif anomique, soit une collection d’individus caractérisée par
l’absence de relations et l’absence de contrainte sociale.
– Le collectif réticulaire, soit une forme de collectif en réseau où les
interactions se répètent, possèdent une certaine durée, une souplesse de
constitution (entrée et sortie du réseau), une faible hiérarchie voire une absence
et un faible engagement affectif. Il est à la fois facile de sortir du réseau, de
tomber dans l’anomie, ou de renforcer les attentes mutuelles vers la
normalisation communautaire.
– Le collectif sociétaire, soit une forme de solidarité organique résultant de
la division sociale du travail qui rend chacun dépendant de l’Autre tout en lui
104 LCN n° 4/2009. Intelligence économique

permettant de développer une existence personnelle. Le lien sociétaire possède


une dimension contractuelle et se prête à un projet de rationalisation inscrit
dans les termes du contrat : recherche d’efficacité, optimisation des
performances, etc. Il se caractérise également par un engagement de ses
membres et un sentiment d’appartenance.
– Le collectif communautaire se caractérise par des appartenances
prédéterminées et un sentiment identitaire fort. Il se dote de normes imposées à
tous, de règles contraignantes d’inclusion et d’exclusion et exige une forte
implication pour le fonctionnement du collectif. La communauté s’appuie donc
sur un lien riche et des acquis élaborés.
Au vu des éléments précédents, il est possible de qualifier plus précisément
les collectifs engendrés dans les démarches d’intelligence territoriale. Ainsi,
l’intelligence territoriale descendante s’intéressera à la création d’un collectif
réticulaire alors que l’intelligence territoriale ascendante aura pour
problématique majeure l’élaboration contractuelle d’un collectif sociétaire à fort
degré d’engagement et d’appartenance de ses membres.

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La dynamique d’appropriation de tels collectifs dépendra de l’articulation
entre deux définitions contemporaines de la coopération :
– le partage de l’information et des connaissances : l’intelligence territoriale
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descendante ;
– le développement des interactions et de la confiance entre les membres
vers la poursuite d’une finalité commune : l’intelligence territoriale ascendante.
Et ce n’est pas en exigeant des individus qu’ils coopèrent et en les dotant de
dispositifs spécialisés que l’on peut produire du lien social à la demande
(Pybourdin, 2008). Ce serait ne pas admettre que les techniques ne changent
pas si aisément les constantes anthropologiques majeures dont l’attachement à
la communication directe (Breton, 2006).

Approche des réseaux sous le regard de l’anthropologie


de la communication

Le recours à la dimension anthropologique de la communication (Rasse,


2006) permet d’appréhender la manière dont chacun des acteurs communique
et prend en compte le « grand Autre » (Dufour, 2001) au-delà du simple
échange d’informations stratégiques, articule son intérêt propre à celui du
collectif dans des rapports de réciprocité, de confiance et de coopération. Faire
travailler des acteurs ensemble c’est développer une logique de réseau mais c’est
surtout mettre en place une logique communicationnelle afin que chaque
L’intelligence territoriale 105

« personne » puisse s’engager autour de valeurs communes en partageant une


« utopie » dans l’économie du lien (Dacheux, 2007), participer à une dynamique
collective d’action et d’interaction, de mise en sens et de lien. C’est aussi
prendre en compte les questions d’images, d’identité, de relations pour
comprendre le processus complexe de la communication, interpréter le théâtre
de signes qui se joue dans les situations d’interactions. Pour traiter l’information
comme un phénomène de sens, Jean-Jacques Boutaud (1998, 62) propose
d’entrer dans le paradigme de la signification pour analyser la production de la
signification dans la forme signifiante que les sujets de la communication construisent et
s’échangent, dans et par-delà la structure du message (…) Tout a le pouvoir de faire signe
dans la situation de communication. Le sens n’est pas donné une fois pour toutes, il
est construit et socialement situé dans l’inter énonciation, les jeux illocutoires et
l’inter discursivité. Ce paradigme permet de construire le « sens en acte », c’est-
à-dire de saisir le cadre social de l’interaction, la mise en scène du sujet
communicant et de porter l’attention sur la construction sociale d’un objet
signifiant, soit la mise en scène du discours. Les objectifs de la « communication
circulaire » dans le projet d’intelligence territoriale ascendante pourraient être

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d’instaurer un climat de confiance favorable au dialogue, à l’échange,
d’entretenir les liens relationnels forts et de maintenir une représentation
positive du projet auprès de ses acteurs. Soit une grammaire de communication
qui fonde l’identité du groupe local et l’altérité du projet partagé (Bertacchini,
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2006). Néanmoins, l’entrée en relation entre un ou plusieurs acteurs n’est pas si


simple, si directe et si spontanée et le système d’interaction est complexe. La
communication installe des cadres dans la relation humaine : une mise en scène
de soi, un rituel dans lequel chacun des interactants joue sa place, assume un
rôle, essaie de garder la face en situation de figuration sur la scène
dramaturgique de la communication (Goffman, 1973, 1974). Cet implicite
discursif relève d’une construction permanente avec des règles d’interaction,
d’entrée en matière, d’ajustement, de négociations implicites sur le sens. Ainsi,
la communication sert à communiquer des messages, mais aussi à
communiquer sur la communication, ce que Paul Watzlawick nomme la
métacommunication. Toute interaction peut être définie par analogie avec un jeu, c’est-à-
dire comme une succession de coups régis par des règles rigoureuses ; il est indifférent de savoir
si ceux qui communiquent ont ou non conscience de ces règles, mais à propos de ces règles, on
peut formuler des énoncés qui ont un sens du point de vue de la métacommunication.
(Watzlawick et al., 1972, 38). Communiquer consiste alors à se montrer à autrui
sous un jour particulier, défendre une identité particulière dans une relation
marquée par les rôles sociaux joués par chacun des acteurs. Certaines des
relations peuvent être égalitaires, asymétriques ou hiérarchisées selon un jeu de
position, un marquage de territoire, une relation qui délimite la façon de
s’exprimer dans les formes interpersonnelles ou organisationnelles de la
106 LCN n° 4/2009. Intelligence économique

communication. La parole est ainsi une activité sociale, une construction


collective qui implique l’existence d’un destinataire « autre », comme le qualifie
Catherine Kerbrat-Orecchioni (1990, 14) : Tout acte de parole implique, normalement,
une allocution, mais aussi une interlocution (échange de propos). Dans cette interaction,
les participants exercent les uns sur les autres des influences mutuelles qui leur
permettent de coordonner et d’harmoniser leurs comportements respectifs. Ils
parlent, donc échangent, mais changent en échangeant. Communiquer consiste
alors, selon Yves Winkin (1981), à interpréter une partition musicale, faire partie
de la communication comme le musicien fait partie de l’orchestre. Mais, dans ce
vaste orchestre culturel, il n’y a ni chef, ni partition. Chacun joue en s’accordant sur l’autre.
(Winkin, 1981, 7-8). « L’orchestre local » joue sur la scène d’un théâtre de signes
et le sens s’élabore à l’intérieur d’un processus continu de communication où se
jouent des positions, des rôles, des inférences (Boutaud, 1998). Ce sens est
construit dans un cadre d’action que constitue la mise en réseau des acteurs de
l’intelligence territoriale. Il nécessite une ouverture à l’autre pour accomplir « le
saut culturel de la thésaurisation individuelle initiale vers la capitalisation
collective autour du projet territorial » (Herbaux, 2007). Ce sens ne préexiste

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pas au réseau !

Conclusion
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Dans cette contribution, deux approches de l’intelligence territoriale sont


mises en perspective en questionnant leurs finalités, les collectifs qu’elles
engendrent et la manière dont elles se saisissent de la question du lien social.
L’intelligence territoriale ascendante participe d’une vision alternative du
développement économique local dans laquelle la synergie des acteurs devient
la clé d’un dynamisme réussi, favorise les coopérations hors marché et
l’élaboration de ressources construites selon une logique endogène. Elle
participe d’une forme de l’engagement des acteurs dans l’espace public.
L’engagement possède ici une double acception : la participation d’un sujet à
une action collective, soit l’inscription de la singularité du sujet dans
l’indistinction d’une appartenance collective et d’une mise en scène de la
sociabilité ; l’attribution d’une dimension symbolique interprétable à la pratique
effective mise en œuvre. « Tandis que l’identité est une articulation proprement
symbolique, entre dimension singulière du sujet et sa dimension collective,
l’engagement va se situer dans la mise en œuvre des stratégies, des actions et
des pratiques sociales qui vont définir l’ancrage du sujet, constitué comme
acteur, dans l’espace public de la sociabilité » (Lamizet, 2006, 60). Engagement
et appartenance semblent constituer les invariants des initiatives locales portées
par des acteurs qui décident d’accumuler du capital social, tisser des liens
sociaux, d’améliorer leur environnement. Face à la mondialisation et à la
L’intelligence territoriale 107

déterritorialisation de certains pans d’une économie qui n’est que rarement à


échelle humaine, l’économie alternative place ainsi l’homme au centre du
système pour un développement local plus humain. L’alternative proposée, la
solidarité et la participation qu’elle engendre, participent de la définition d’une
économie du lien reposant sur une démarche de co-construction des
propositions et des décisions qui engagent l’avenir. Il s’agit donc de travailler à
la définition de projets locaux démocratiques, hors influence des marchés et des
pouvoirs publics, en communiquant cette vitalité utopique incarnée dans la
société civile. Telle fut la démarche de préservation du savoir faire de tradition
« Au cœur des Vosges » dans le secteur de la filature. Le réseau des
ambassadeurs des Vosges® s’est activé pour conserver le tissu économique
Vosgien lors de la délocalisation de l’activité de la marque DIM. Son action a
favorisé la mise en synergie d’acteurs aux multi-compétences autour de la
création de « Bleu Forêt », une fabrique de chaussettes, collants, leggings 100 %
français permettant la préservation d’une économie locale (Curé, 2009).

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