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ÉVANGILE
Contribution à la question du lien entre Matthieu et le judaïsme du premier siècle
Elian Cuvillier
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2010/3 Tome 85 | pages 387 à 403
ISSN 0014-2239
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OBÉISSANCE À LA LOI
ET RADICALISATION
DANS LE PREMIER ÉVANGILE
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CONTRIBUTION À LA QUESTION DU LIEN
ENTRE MATTHIEU ET LE JUDAÏSME DU PREMIER SIÈCLE
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*
Élian CUVILLIER est professeur de Nouveau Testament à L’Institut Protestant de Théologie,
Faculté de Montpellier.
1
Ce texte est la version rédigée d’une conférence (main paper) donnée en français à Lund,
en juillet 2008, lors du congrès de la SNTS (Studiorum Novi Testamenti Societas). Il a été publié
dans la revue New Testament Studies sous le titre « Torah Observance and Radicalization in the
First Gospel. Matthew and First-Century Judaism: A Contribution to the Debate », trad. Mireille
HÉBERT, NTS 55/2, 2009, p. 144-159.
2
Béda RIGAUX, Témoignage de l’Évangile de Matthieu, Bruges, Desclée de Brouwer, 1967, p. 40.
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époque. La question qui se pose est alors la suivante : la critique de l’auteur du
premier Évangile est-elle intra muros ou extra muros ? En d’autres termes, se
comprend-il, et avec lui son auditoire, comme appartenant encore au judaïsme,
ou a-t-il conscience d’avoir rompu avec lui7 ?
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Sur ce thème, la littérature est abondante ; cf. par exemple Ulrich LUZ, « Le problème
historique et théologique de l’anti-judaïsme dans l’Évangile de Matthieu » in Daniel MARGUERAT,
éd., Le déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle, Genève, Labor et Fides, 1996, p. 127-150 ;
également Élian CUVILLIER, « Matthieu et le judaïsme : chronique d’une rupture annoncée », Foi et
Vie 92, 1993, p. 41-54.
4
Mt 9, 9-17 ; 12, 1-14 ; 12, 22-32 ; 12, 38-42 ; 15, 1-20 ; 16, 1-4 ; 19, 1-9 ; 21, 23-27 ; 22, 15-
22 ; 22, 23-33 ; 22, 41-45.
5
Par exemple, Mt 13, 14-15 ; 15, 8-9 ; 23, 38 ; 27, 9-10.
6
Par exemple, 27, 24-25 ou 28, 11-15.
7
Voir un bon état de la question chez Warren CARTER, « Matthew’s Gospel: Jewish Christianity,
Christian Judaism, or Neither? » in Matt JACKSON-MCCABE, Jewish Christianity Reconsidered.
Rethinking Ancient Groups and Texts, Minneapolis, Fortress Press, 2007, p. 155-179. L’auteur
défend l’appartenance de Matthieu au judaïsme, à la suite d’Anthony J. SALDARINI, Matthew’s
Christian-Jewish Community, Chicago, University of Chicago, 1994 et J. Andrew OVERMAN,
Church and Community in Crisis. The Gospel According to Matthew, Valley Forge, Trinity Press
International, 1996. Position plus classique chez Ulrich LUZ, « L’évangéliste Matthieu : un judéo-
chrétien à la croisée des chemins », in Daniel MARGUERAT, Jean ZUMSTEIN, éd., La mémoire et le
temps. Mélanges offerts à Pierre Bonnard, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 77-92 ; Graham
N. STANTON, A Gospel for a New People. Studies in Matthew, Édimbourg, T & T Clark, 1992 ;
Donald A. HAGNER, « Matthew: Apostate, Reformer, Revolutionary? », NTS 49, 2003, p. 193-
209. La tension repérable chez Matthieu entre particularisme et universalisme est étroitement liée
à cette question ; sur ce thème voir Élian CUVILLIER, « Particularisme et universalisme chez
Matthieu : quelques hypothèses à l’épreuve du texte », Biblica 78, 1997, p. 481-502 ; également
« Mission vers Israël ou mission vers les païens ? À propos d’une tension féconde dans le premier
Évangile », in André WÉNIN, Camille FOCANT, éd., Analyse narrative et Bible. Deuxième colloque
international du RRENAB, Louvain-La-Neuve, avril 2004, Louvain, University Press, 2005,
p. 251-258 (deux contributions reprises in Élian CUVILLIER, Naissance et enfance d’un Dieu.
Jésus-Christ dans l’Évangile de Matthieu, Paris, Bayard, 2005, p. 165-178).
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8
Parmi l’abondante littérature publiée sur le sujet, outre évidemment les commentaires du
premier Évangile, voir Gerhard BARTH, « Das Gesetzesverständnis des Evangelisten Matthaüs »
in Günther BORNKAMM, Gerhard BARTH, Heinz Joachim HELD, éd, Überlieferung und Auslegung
im Matthäusevangelium, Neukirchen, Neukirchener Verlag, 1960, p. 54-154 (traduction anglaise :
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« Matthew’s Understanding of the Law » in Tradition and Interpretation in Matthew, Londres,
SCM Press, 19832, p. 58-164) ; Eduard SCHWEIZER, « Mt 5, 17-20. Anmerkungen zum Gesetz-
verständnis des Matthaüs », in Neotestamentica, Zurich, Zwingli, 1963, p. 399-406 ; du même,
« Noch einmal Mt 5, 17-20 », in Matthaüs und seine Gemeinde, Stuttgart, KBW, 1974, p. 75-85 ;
Georg STRECKER, Der Weg der Gerechtigkeit. Untersuchun zur Theologie des Matthäus, Göttin-
gen, Vandenhoeck & Ruprecht, 19662, p. 143-154 ; Bruno CORSANI, « La posizione di Gesù di
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sur la question de l’interprétation matthéenne de la Loi. Dans un second temps,
j’analyserai trois épisodes où est repérable la tension entre obéissance et
radicalisation : en tout premier lieu, évidemment, les antithèses du Sermon sur
la montagne (5, 17-48) ; en deuxième lieu la controverse sur le divorce (19, 1-9) ;
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thäischen Theologie, Tübingen, Mohr, 2004 ; Camille FOCANT, « “D’une montagne à l’autre”
L’accomplissement de la loi et des prophètes dans le Sermon sur la montagne » in L’unité de l’un
et l’autre Testament dans l’œuvre de Paul Beauchamp, Paris, Éditions des Facultés jésuites de
Paris, 2005, p. 119-140 ; Wolfgang REINBOLD, « Das Matthäusevangelium, die Pharisäer und die
Tora », BZ 50, 2006, p. 51-73 ; Matthias KONRADT, « Die vollkommene Erfüllung der Tora und
der Konflikt mit den Pharisäern im Matthäusevangelium », in Dieter SÄNGER, Matthias KONRADT,
éd., Das Gesetz im frühen Judentum und im Neuen Testament. Festschrift für Christoph Burchard
zum 75. Geburtstag, Göttingen/Fribourg, Vandenhoeck & Ruprecht/Academic Press, 2006, p. 129-
152. Bonne synthèse de la question chez Graham N. STANTON, « The Origin and Purpose of
Matthew’s Gospel: Matthean Scholarship from 1945-1980 », in ANRW II. 25.4, 1985, p. 1889-
1951 ; Donald SENIOR, What Are They Saying about Matthew ? A Revised and Expanded Edition,
Mahwah, Paulist Press, 1996, p. 62-73 ; bibliographie plus complète (jusqu’à 1992) chez Marcel
DUMAIS, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 171-173.
9
On rappellera ici l’ouvrage désormais classique d’Ed Parish SANDERS, Paul and Palestinian
Judaism, Philadelphie, Fortress Press, 1977 (traduction allemande : Paulus und das palästinische
Judentum. Ein Vergleich zweier Religionsstrukturen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1985).
Les thèses de Sanders sont aujourd’hui largement discutées et on souligne en particulier que le
covenantal nomism ne peut rendre compte de la diversité des courants du judaïsme du premier
siècle ; cf. Charles L. QUARLES, « The Soteriology of R. Akiba and E. P. Sanders’ Paul and Pales-
tinian Judaism », NTS 42, 1996, p. 185-195 ; Donald A. CARSON, Peter Thomas O’BRIEN, Mark
A. SEIFRID, éd., Justification and Variegated Nomism. Volume I: The Complexities of Second Tem-
ple Judaism, Tübingen, Mohr, 2001 ; également Devora STEINMETZ, « Justification by Deed. The
Conclusion of the Sanhedrin-Makkot and Paul’s Rejection of Law », Hebrew Union College Annual
76, 2005, p. 133-187 (sur Sanders, cf. p. 173-175). De manière plus large, sur la Loi dans le
judaïsme du second Temple, cf. Albert-Marie DENIS, « La place de la loi de Moïse à Qumrân et dans
le judaïsme du deuxième Temple », in Jan Zdzislaw KAPERA, éd., Papers on the Dead Sea Scrolls
offered in Memory of Jean Carmignac. Part II: The Teacher of Righteousness. Literary Studies,
Cracovie, Enigma Press, 1991, p. 149-175 ; Hermann LICHTENBERGER, « Das Tora-Verständnis im
Judentum zur Zeit des Paulus. Eine Skizze », in James D. G. DUNN, éd., Paul and the Mosaic Law,
Tübingen, Mohr, 1996, p. 7-23 ; Heinrich HOFFMANN, Das Gesetz in der frühjüdischen Apokalyp-
tik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999 ; Shannon BURKES, « “Life” Redefined: Wisdom
and Law in Fourth Ezra and Second Baruch », CBQ 63, 2001, p. 55-71.
10
Je ne m’interroge donc pas ici sur la pertinence historique de la présentation, par Matthieu,
de la compréhension pharisienne de la Loi : un débat controversé qui dépasse le cadre de cet exposé.
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enfin l’épisode du jeune homme riche (19, 16-22). Dans une troisième partie,
je m’interrogerai sur la cohérence des passages analysés avec la déclaration de
Jésus en Mt 23, 2-3. En conclusion, je me risquerai à quelques réflexions sur
la question du rapport de Matthieu avec le judaïsme de son temps.
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Il constitue en effet la toute première affirmation de Jésus sur le sens de sa
venue (cf. v. 17 : êlthon12). Il est significatif qu’elle concerne son rapport à la
Loi et aux prophètes. Il faut donc analyser au plus près l’argumentation
déployée.
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Verset 17
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Je choisis d’interpréter le texte tel qu’il se présente dans sa rédaction finale. Du point de vue
des traditions utilisées par Matthieu et de son activité rédactionnelle, je renvoie à la thèse de John
P. MEIER, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit. De façon générale, on considère que
Matthieu aurait retouché les versets 18-19 traditionnels, rédigé le v. 17 et composé entièrement
le v. 20. Ce consensus est évidemment l’objet de multiples discussions dans le détail.
12
Dans la suite de la narration, trois autres déclarations de Jésus introduites par êlthon souli-
gnent chaque fois un aspect important de la réflexion matthéenne sur l’œuvre du Messie. Outre
5, 17, où Jésus accomplit la Loi, cf. 9, 13 : Jésus appelle les pécheurs ; 10, 34 : Jésus est source
de division entre les hommes ; 20, 18 : Jésus est serviteur. Selon Jean ZUMSTEIN, La condition du
croyant, op. cit., p. 117, « les paroles en êlthon décrivent […] de manière rétrospective et
synthétique le sens de la mission du Christ ».
13
Selon l’expression de Daniel MARGUERAT, « “Pas un iota” », p. 146, Jésus est le « didascale
eschatologique ».
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plêrôsai n’est jamais utilisé pour les disciples14, mais il est exclusivement réservé
à interpréter la venue du Messie en lien avec les traditions du judaïsme. Ce verbe
doit-il être interprété dans le sens de « mettre en pratique » ce que commande la
Loi et les prophètes ou « réaliser les promesses » contenues dans la Loi et les pro-
phètes15 ? Pour tenter de répondre il faut prendre en compte, d’une part les autres
utilisations du verbe chez Matthieu, d’autre part le contexte immédiat (5, 21-48).
Notons d’abord que le v. 17 n’oppose pas « abolir » à « obéir », mais « abolir » à
« accomplir ». Or, dans le premier Évangile le verbe plêroô est utilisé dans les ci-
tations d’accomplissement (cf. l’expression hina plêrôthê ou une forme proche)
pour exprimer la conviction que Jésus est celui en qui les Écritures, autrement dit,
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la Loi et les prophètes, trouvent leur aboutissement (cf. 1, 22-23 ; 2, 15.17-18.23 ;
4, 14-16 ; 8, 17 ; 12, 17-21 ; 13, 14-15 ; 13, 35 ; 21, 4-5 ; 27, 9-10 ; cf. aussi
26, 54.56)16. Ce n’est donc pas d’abord la Loi en tant qu’ensemble de comman-
dements qui est en question ici – ce sera le cas au verset suivant –, mais la « Loi
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Versets 18-19
14
Camille FOCANT, « Eschatologie et questionnement éthique dans l’Évangile de Matthieu »
in Olivier ARTUS, éd., Eschatologie et morale, Paris, Desclée, 2009, p. 99-138, fait remarquer
avec pertinence que les disciples, eux, sont « invités à produire (poiein) du fruit (3, 8.10 ; 21, 43),
à pratiquer (poiein) les commandements (5, 19), leur justice (6, 1) ou la volonté de Dieu (7, 21 ;
12, 50 ; voir aussi 7, 12.24.26 ; 23, 3 ; 24, 40.45), à chercher (zètein) la justice du Royaume (6, 33)
et enfin à garder (tèrein) les commandements (19, 17 ; 23, 3) ou tout ce que Jésus a prescrit
(28,20) » (cf. p. 115-116).
15
Je synthétise ainsi un débat plus complexe. Sur les différentes façon d’interpréter le verbe
(9 au total !), voir William D. DAVIES, Dale C. ALLISON, The Gospel according to Saint Matthew,
I-VII, Édimbourg, T&T Clark, 1988, p. 485-486.
16
Sur ce thème, cf. Jean MILER, Les citations d’accomplissement dans l’Évangile de Matthieu.
Quand Dieu se rend présent en toute humanité, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, 1999.
17
On retrouve l’expression « la Loi et les prophètes » en Mt 7, 12 faisant ainsi une grande
inclusion avec 5, 17. L’ensemble du Sermon sur la montagne est donc bien une illustration de la façon
dont le Jésus matthéenn les accomplit. Et cet accomplissement, on va le voir, dépasse la
simple obéissance légale.
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amên gar legô humin :
En vérité, en effet, je vous dis :
heôs an parelthê ho ouranos kai hê gê
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Concernant le sens des deux propositions introduites par heôs an, le débat
est très ouvert. S’agissant de la première, l’alternative est la suivante : pour les
18
Dans le même sens, voir Marcel DUMAIS, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 175 :
« Jésus est venu accomplir l’Écriture, cela veut dire qu’il la porte à son achèvement, à sa perfection,
à la signification complète ; il la réalise, non pas en “exécutant” ses demandes telles quelles, mais
en la dépassant, en lui faisant porter un sens nouveau » ; Camille FOCANT, « “D’une montagne à
l’autre” », p. 139 : « Jésus ne se présente ni comme un transgresseur de la loi dans son action
concrète, ni comme un strict observant toujours prêt à étendre le champ de la loi. Son interpréta-
tion de la Torah d’Israël ne vise certes pas à l’annuler. Il veut plutôt la conduire à sa plénitude » ;
également Jean ZUMSTEIN, La condition du croyant, p. 119-120 ; John P. MEIER, « Law and
History in Matthew’s Gospel », op. cit., p. 224-226 ; William D. DAVIES, Dale C. ALLISON,
Matthew, I-VII, op. cit., p. 486-487. Position inverse, Jésus « accomplit » la Loi en obéissant à ses
commandements, voir Hans Dieter BETZ, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 179 : le verbe
plêroô « describe[s] a process of legal interprétation ».
19
Cf. Baruch 4, 1 : « La sagesse c’est le livre des commandements de Dieu, c’est la loi qui
existe pour toujours (ho nomos ho huparchôn ein ton aiôna) ; tous ceux qui s’attachent à elle iront
à la vie, mais ceux qui l’abandonnent mourront » ; Sagesse 18, 4 : « La lumière incorruptible de
la loi, aftharton nomou » ; 2 Baruch 77, 15 : « Même si nous passons la loi demeure » ; LAB
11, 2 : « La loi éternelle » ; Contre Apion 2, 277 : « Même si on nous prend notre richesse, notre
pays et tout ce que nous avons de bon, la Loi reste immortelle (ho nomos hêmin athanatos
diamenei) » ; IV Esd 9, 36-37 : « Nous qui avons reçu la Loi, nous devons périr à cause de nos
péchés ainsi que notre cœur où elle avait été déposée. La Loi, elle, ne périt pas mais demeure
dans sa gloire. »
20
Marcel DUMAIS, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 177. Dans le même sens, voir Hans
Dieter BETZ, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 183 : « The authority of scripture is temporally
limited. »
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particulière du verset : les deux affirmations en heôs an se répondent en écho
et constituent un contrepoids à l’affirmation de la validité de la Loi. D’autre
part, elles sont à entendre en contraste avec cette autre déclaration du Jésus
matthéen en Mt 24, 35 :
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21
Ulrich LUZ, Matthew 1-7, Minneapolis, Fortress Press, 2007, p. 218.
22
John P. MEIER, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit., p. 164 ; Jean ZUMSTEIN,
La condition du croyant, op. cit., p. 121.
23
Jean ZUMSTEIN, La condition du croyant, op. cit., p. 122 ; Daniel MARGUERAT, Le jugement
dans l’Évangile de Matthieu, op. cit., p. 130.
24
John P. MEIER, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit., p. 61-65 ; Robert BANKS,
Jesus and the Law in the Synoptic Tradition, op. cit., p. 213-218.
25
William D. DAVIES, Dale C. ALLISON, Matthew, I-VII, op. cit., p. 495.
26
L’ensemble constitué par Mt 24, 34-35 est d’ailleurs proche, tant au niveau du vocabulaire
que de la structure de la phrase, de Mt 5, 18. Un tableau synoptique permet de le visualiser très
clairement.
Mt 5, 18 Mt 24, 34-35
amên gar legô hûmin heôs an parelthê o amên legô hûmin hoti ou mê parelthê hê
ouranos kai hê gê, iôta en ê mia keraia ou genea autê heôs an pavta tauta genetai.
mê parelthê apo tou nomou heôs an pavta ho ouranos kai ê gê pareleusetai, oi de
genêtai. logoi mou ou mê parelthôsin.
Peut-être est-ce l’indice d’une réécriture matthéenne de 5, 18 (//Lc 16, 17) sur le modèle de
Mt 24, 34-35 (//Mc 13, 30-31). Notons par ailleurs qu’en 24, 34, Matthieu remplace le mechris
de Mc 13, 30 par heôs an.
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Si l’idée que la Loi subsistera tant que dureront ciel et terre est attestée dans
le judaïsme (en particulier chez Philon sous une forme qui n’est pas sans
rappeler notre passage, cf. De Vita Mosis, II, 14 avec une clause en heôs an27),
l’affirmation selon laquelle les paroles du Messie survivront au ciel et à la terre
semble une originalité de Matthieu par rapport à la littérature juive de l’époque.
Pour lui, les paroles du Messie Jésus ont une pérennité absolue alors que la
Loi, elle, n’a qu’une pérennité relative28. De façon indirecte, Mt 24, 35 confirme
les remarques formulées plus haut sur le sens de êlthon : Jésus a bien autorité
sur la Loi.
Le verset 1929 souligne pourtant que, même relative, la pérennité de la Loi
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implique qu’aucun homme n’est dispensé de s’y soumettre. De la qualité de
l’obéissance dépend même une qualification (klêthêsetai) à l’intérieur du Royaume
établissant une hiérarchie (elachistos « plus petit » ou megas « grand »)30.
Notons que cette hiérarchie sera relativisée dans la suite de la narration
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27
« Il n’y a que Moïse dont la constitution ferme, inébranlable, immuable, scellée comme par
le sceau de la nature elle-même, reste solidement plantée, depuis le jour de sa rédaction jusqu’à
maintenant, et nous espérons qu’elle subsistera dans tout l’avenir comme si elle était immortelle,
tant que le soleil, la lune, l’ensemble du ciel et l’univers existeront hôsper athanata heôs an
hêlios kai selênê kai ho sumpas ouranos te kai kosmos hê » (De Vita Mosis, II, 14).
28
Surprenante ici la position d’Ulrich LUZ, Matthew 21-28, Minneapolis, Fortress Press, 2005,
p. 208 : « Many readers probably will also have seen here a (perhaps intentional) reference back
to 5:18. As in the case with the words of the Torah, Jesus’ words […] are eternally valid. » Et, note
15 : « Since “until heaven and earth pass away” most likely means “never” […], we hardly have
here the case that the words of Jesus surpass the Torah. » Par contraste, cf. le commentaire sur
Mt 24, 35 de William D. DAVIES, Dale C. ALLISON, Matthew, XIX-XXVIII, Édimbourg, T & T
Clark, 1997, p. 368 : « That the world will pass away – already stated in 5:18 […] – was common
conviction […] and ours is not the only text to contrast the passing of heaven and earth with
something of greater endurance (cf. Isa. 51:6). But here that something is Jesus’ speech, which
therefore sets him above Torah […] and makes his words like God’s words (cf. Ps. 119:89 ;
Isa. 40:8) : they possess eternal authority. » Dans le même sens, cf. David C. SIM, « The Mean-
ing of palingenesia in Matthew 19:28 », JSNT 50, 1993, p. 3-12 : « If we take together Matt.
24:35 and 5:18, and the similarity in wording suggests that we should, then the Evangelist makes
the overall point while the Law is not eternal, the words of Jesus are. One set of teachings will
survive the eschatological destruction of the cosmos and the other will not » (p. 9) ; p. 8-9, note
12, Sim signale que Luz a d’abord défendu l’opinion selon laquelle Mt 5, 18 signifie que la Loi
demeure valide jusqu’à la fin du monde (cf. « Die Erfüllung der Gesetzes bei Matthäus », op. cit.,
p. 417-418). Il ajoute : « Luz has since rejected this exegesis and now holds the alternative view
that the passing of heaven and earth is a roundabout way of saying “never” ; the law thus remains
valid forever […]. This understanding of the expression runs against its normal apocalyptic mean-
ing in Matthew’s day […] and makes nonsense of the contrast in 24:35. »
29
Au plan formel, le verset est une formule de droit sacré de type casuistique (Hans Dieter
BETZ, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 184).
30
Cette idée se retrouve dans la littérature rabbinique où on distingue entre commandements
« légers » (gallîn) et commandements « lourds » (hamarîn) et où on identifie des rangs dans le
Royaume correspondant au degré d’obéissance (cf. Hermann L. STRACK, Paul BILLERBECK,
Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, 2 unveränderte Auflage, Munich,
Beck, 1954-1956 [6 vol.], vol. 1, p. 249-250).
395
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(cf. Mt 11, 1131 et 20, 1632). La difficulté du verset réside dans l’interprétation
de l’expression « l’un de ces commandements » (mian tôn entolôn toutôn).
S’agit-il des commandements de la Loi ou des commandements nouveaux que
Jésus formule dans ses discours, en particulier dans les antithèses (cf.
Mt 7, 24.26 : « ces paroles qui sont miennes » mou tous logous toutous et
28, 20 : « leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé »)33 ? Rien
n’accrédite, de mon point de vue, cette dernière hypothèse. Au contraire,
comme le soulignent Davies et Allison, « the oun and the flow of thought are
decisive. Beyond this, where is the Matthean parallel to applying “lesser” and
“greater” to the sayings of Jesus? Or to calling Jesus’ words entolai […]? And
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does not the luô in 5.19 take the reader’s mind back to the kataluô in 5.17,
where the Torah is indisputably the subject?34 »
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Verset 20
31
« En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé
de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus
grand que lui. »
32
« Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »
33
Hans Dieter BETZ, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 186-187 ; Marcel DUMAIS, Le
Sermon sur la montagne, op. cit., p. 178-180.
34
William D. DAVIES, Dale C. ALLISON, Matthew, I-VII, op. cit., p. 496.
35
Que cette justice soit désignée comme étant celle des disciples (« votre justice », cf. égale-
ment 6, 1) n’est pas contradictoire avec le fait que la dikaiosunê désigne ce que le Jésus matthéen
est venu accomplir. À cause de Mt 3, 15 il apparaît en effet que, pour Matthieu, la « justice
supérieure » trouve son origine dans la pratique de Jésus. Un débat tout différent est celui qui
consiste à se demander si cette justice exigée des disciples est un don que Dieu leur octroie, ce
que contestent la plupart des exégètes.
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aux pharisiens qui seule en permet l’accès (v. 20). Pour Matthieu, ce n’est donc pas
l’obéissance à la lettre du commandement qui est première mais l’accomplissement
d’une justice que l’évangéliste affirme supérieure à celle des scribes et des pharisiens.
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Synthèse
36
Une tension que, de l’avis d’Ulrich LUZ (Matthew 1-7, p. 270), Matthieu « does not sense »
et que sa communauté « were not able to see ».
397
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inclut l’obéissance au commandement de ne pas le tuer (5, 21). Ne pas convoiter
une femme (5, 28) implique le commandement de ne pas commettre l’adultère
(5, 27). La non-résistance au méchant suppose que soit préalablement acquis le
principe de la loi du talion (5, 38). La double exigence d’aimer son prochain et de
haïr son ennemi (5, 43) est le prérequis nécessaire pour entendre l’appel à aimer
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également ce dernier (5, 44). Jésus se présente comme le porteur d’une parole qui
va plus loin que l’interprétation traditionnelle de la Loi, pour autant que celle-ci
soit reconnue dans sa validité. L’obéissance aux commandements qui demeure
implicitement supposée est bien ainsi seconde – mais non secondaire – par rapport
à l’exigence d’une justice qui va au-delà de la compréhension traditionnelle de la
Loi, et qui peut même entrer en tension avec elle.
En invitant son auditoire à envisager un rapport entre les hommes et avec
Dieu en excès38 par rapport aux règles habituellement admises, Jésus apparaît
37
Que l’obéissance à la Loi soit, pour Matthieu, la garantie du vivre ensemble des hommes entre
eux est attesté, en creux, lorsque Jésus affirme plus loin dans la narration : « Et à cause de l’aug-
mentation de l’impiété (tên anomian) l’amour du plus grand nombre se refroidira » (Mt 24, 12).
38
On est proche de ce que Paul RICŒUR (Lectures III. Aux frontières de la philosophie, Paris, Seuil,
1994, voir en particulier p. 277 sqq.) appelle l’éthique de la « surabondance » et qui est pour lui « supra-
éthique » ou encore « méta-éthique », c’est-à-dire au-delà de l’éthique. D’un côté, en effet, il y a une
éthique qui est proche de ce qu’on pourrait appeler la morale commune, celle de la Loi. Cette morale
est régulée par la Règle d’or (Mt 7, 12), c’est-à-dire par la considération de l’autre comme un autre
soi-même. D’un autre côté, il y a une éthique qui est toujours singulière, qu’on pourrait appeler une
éthique du sujet, et qui suspend la logique de la réciprocité pour faire place à un autre principe que
Ricœur appelle la logique de surabondance, qui est le don pour le don dans une sorte de traversée de
l’éthique. Pour Ricœur, c’est le cas par exemple de l’amour des ennemis (Mt 5, 44) qui jamais ne peut
être normé par l’éthique, mais qui peut seulement être une suspension de l’éthique en vertu d’un excès
ou d’une surabondance. Autrement dit, l’amour des ennemis ne peut jamais devenir la loi commune,
mais seulement une possibilité pour le sujet de rompre avec la logique de réciprocité pour faire place
à une autre logique. Pour Ricœur, il n’est donc pas question de choisir, ni de confondre les deux registres
– éthique et supra-éthique –, mais de les articuler, de les maintenir en tension dialectique sans jamais
laisser cette tension se résoudre. Dans un sens similaire, cf. Jean-Daniel CAUSSE, « Le Sermon sur la
montagne : critique freudienne et redéploiement éthique », Revue d’éthique et de théologie morale, 250,
2008, p. 9-21, cf. p. 21 : « On se tromperait à […] lire [le Sermon sur la montagne] comme un
nouveau code moral, même une morale plus haute ou supérieure, faisant appel au surpassement de
soi-même. La performativité du récit, pour parler le langage de la pragmatique de la communication,
réside dans la naissance d’une subjectivité qui donne forme à un être et à un agir. »
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bien comme celui qui accomplit la Loi et les prophètes et non comme celui qui
les abolit (5, 17). Ce qui caractérise cet accomplissement n’est pas de l’ordre
du quantitatif mais du qualitatif 39. C’est une nouvelle compréhension de Dieu,
de soi-même et des autres que la radicalisation proposée par Jésus cherche à
susciter chez son auditeur. Dans la suite de la narration, la controverse sur le
divorce (Mt 19, 1-12) et l’épisode du jeune homme riche (Mt 19, 16-30) confirment
cette herméneutique matthéenne du rapport de Jésus à la Loi.
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Comme dans les antithèses (cf. 5, 31-32), la parole que Jésus adresse aux
pharisiens au sujet du divorce va plus loin que le commandement. À la littéralité
de la règle promulguée par Moïse (cf. v. 7 : Môusês eneteilato) Jésus oppose la
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39
L’utilisation du langage hyperbolique indique que la parole du Jésus matthéen ne vise pas
la description précise d’une pratique, sauf à rendre l’excès raisonnable et ainsi ramener la justice
supérieure (5, 20) à l’obéissance à la lettre d’un commandement qui serait désormais celui du
Messie. Comme le note Camille FOCANT, « Eschatologie et questionnement éthique dans l’Évan-
gile de Matthieu », op. cit., p. 117, la tendance à la radicalisation « est certes à l’œuvre dans les
divers courants du bas-judaïsme. Toutefois, la radicalisation juive de la Loi à cette époque est
plutôt quantitative et elle se développe de manière extensive dans la halakah, tandis que celle du
Jésus de Matthieu s’éloigne de la casuistique et est plutôt qualitative ». Sur le sujet, cf. Herbert
BRAUN, Spätjüdisch-häretischer une frühchristlicher Radikalismus. Jesus von Nazareth und die
essenische Qumransekte, Tübingen, Mohr, 19692 ; également Gerd THEISSEN, Le mouvement de
Jésus. Histoire sociale d’une révolution des valeurs, Paris, Cerf, 2006.
40
Certes, il est à noter que Matthieu, en conformité avec 5, 31-32, met une limite à sa radi-
calisation : c’est le cas de porneia (19, 9). Cependant, le Jésus matthéen n’en rompt pas moins avec
la règle plus libérale de Moïse. Dale C. ALLISON, « Divorce, Celibacy and Joseph », JSNT 49,
1993, p. 3-10, a d’ailleurs interprété cette double restriction en lien avec la figure de Joseph le
« juste » choisissant de répudier Marie qu’il soupçonne d’adultère (Mt 1, 18-25).
41
Dans le même sens, voir Warren CARTER, Households and Discipleship. A Study of Matthew
19-20, Sheffield, Academic Press, 1994, p. 63 : « Against a patriarchal understanding of marriage
concerned with what a man may do to end the marriage, Jesus asserts the original divine purpose
for marriage of unity and permanence. » Plus loin, p. 71, il ajoute que Jésus restreint « the use of
male power ».
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donnait accès au Royaume et dépassait l’obéissance au commandement qui,
elle, assurait le vivre ensemble des hommes dans le monde.
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42
Toute différente, l’opinion de William D. DAVIES, Dale C. ALLISON, Matthew, XIX-XXVIII,
op. cit., p. 62-63. Après avoir souligné les nombreux parallèles entre la péricope du jeune homme
riche et le Sermon sur la montagne, ils concluent, p. 63 : « In sum, both the SM and Matt. 19:16-
30, affirm the Torah. » Il me semble au contraire que Mt 19, 16-30, comme les antithèses, va plus
loin que la Torah, du moins dans sa compréhension traditionnelle. Dans les deux cas, la parole de
Jésus opère comme une radicalisation.
400
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dans l’épisode précédant, la réaction des disciples – cette fois reprise de Marc
pour l’essentiel – confirme le cadre herméneutique dans lequel se situe Jésus.
Les disciples affirment avoir tout quitté pour suivre Jésus. Ils seront donc
récompensés lors de la manifestation du Fils de l’homme : leur attitude les situe
bien dans la logique non plus du monde et de la Loi, mais du Royaume et de la
radicalisation que la parole de Jésus déploie. Les paroles de Jésus ont, une fois
encore, priorité sur celles de la Loi.
Il faut ici noter un dernier point. Si la dimension polémique de la controverse
sur le divorce ne fait pas de doute, l’épisode de l’homme riche ne construit pas
ce dernier comme un adversaire de Jésus. La radicalisation proposée par le Jésus
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matthéen n’est ainsi pas uniquement réactive par rapport à la tradition phari-
sienne. Elle est, plus fondamentalement, constitutive de son rapport à la Loi.
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43
Je pense ici à l’ensemble des controverses qui doivent être prises en compte pour affiner
ou nuancer le propos. Mais également à un passage comme 11, 18-20 qui semble proposer une
direction opposée à celle de la radicalisation.
44
Marc Allan POWELL, « Do and Keep What Moses Says (Matthew 23:2-7) », JBL 114, 1995,
p. 419-435.
401
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lecture et faire ce que la lettre du texte exige (ce que font les Mages en 2, 1-12).
Mais il ne faut pas se calquer sur leur « faire », c’est-à-dire sur l’interprétation
qu’ils en proposent (par exemple en Mt 2, 1-12 sur leur immobilisme).
Écouter la lecture que font les scribes et les pharisiens de la Loi ne signifie
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CONCLUSION
45
La petite différence quant à l’identité des adversaires (« scribes et pharisiens » en Mt 23,
« pharisiens et sadducéens » en 16, 5-12) n’est pas décisive sur le point qui nous occupe.
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théologie de Matthieu – et donc son identité religieuse – n’est plus prioritairement
la Loi et l’obéissance aux commandements, mais le Messie et son enseignement.
Un enseignement dont la radicalité deviendra l’objet d’un débat herméneutique
qui n’est pas moins complexe que celui relatif à la Loi. La question que pose
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En ce sens, on peut affirmer avec Daniel MARGUERAT que chez Matthieu, « de bout en bout,
la Loi est pensée à partir de la christologie », « “Pas un iota” », op. cit., p. 166.
47
Graham N. STANTON, A Gospel for a New People. Studies in Matthew, p. 122. L’expression
est habituellement attribuée à Krister STENDAHL, The School of Matthew and its Use of the Old
Testament, Gleerup, Lund, 1954 (Philadelphie, Fortress Press, 19682).
48
Ainsi Martin Luther. Dans une prédication où il commente le cinquième commandement
dans l’interprétation qu’en donne Jésus dans les antithèses, il s’interroge sur ce qu’a voulu dire
Jésus par cette radicalisation du propos. Et il répond : « Il [Jésus] place le but si haut que personne
ne l’atteint. » Il en déduit alors : « Où y a-t-il quelqu’un qui ne se met jamais en colère ? Le
cinquième commandement est interprété là de façon à mener à la mort et dans le feu infernal, et
à ne laisser monter personne au ciel. » Ce commandement ne peut en effet être accompli que
« sous l’ombre de la grâce » (cité d’après François VOUGA, Martin STIEWE, Le Sermon sur la montagne,
op. cit., p. 151).
403