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“SE L i y [ ; E b oa 154 Aux limites incertaines de la parancia Robert Gaupp et le cas Wagner Jean-Claude Maleval* Jacques-Alain Miller — En 1913, Vinstituteur Ernst Wagner connatt un épisode para- noiaque qui Vamene & tuer quatorze personnes.! Baignant dans les idéaux dis if Reich, ds les années trente, il sest pleinement reconnu dans le national-socialisme et sest dailleurs affirmé comme l'un des premiers nazis. était pourtant un excellent mattre aécole apprécié de tous les usagers, comme on dit aujourd hui. Son délive semble avoir méri pendant douze ans avant de le conduire & supprimer sa femme et ses quatre enfants, puis le lendemain matin neuf habitants du village qu'il tue & bout portant. Mais sagit-it d'un sujet paranoiaque ou d'un sujet mélancolique ? Dans son owvrage Logique du délite, Cl. Maleval semble poser ce cas comme relevant de la mélancolie de persécution plutbt que de la paranoia proprement dite, alors que Robert Gaupp consi- dévait, {ui, que Wagner était un exemple typique de paranoia kraepelinienne. Gaupp est ailleurs vesté dans les annales pour ses multiples écvits sur Wagner, de 1914 jusqu’a sa mort & peu pres ~ tous deux ont donc acctdé & Virmortalité ensemble, Le diagnostic de Gaupp était ailleurs discuté & lpoque, notamment par Eugen Bleuler qui y voyait plutot une schizophrénie paranoide. Wagner, déclaré irresponsable de sa tue- rie et interné, avait une tres grande réputation dans le milieu psychiatrique. En 1932, le ban et Varridre-ban des psychiatres allemands ont &¢ convogués @ Tibingen pour assister a une conversation entre Wagner et Gaupp. Il faut imaginer un peu le spectacle : Gaupp publiant depuis pros de vingt ans sur Wagner des éorits que celui-ci a lus, et lui demandant : « Dites-moi franchement ce quil en est. » Gaupp lui pose directement la question : « Quest-ce qui était le plus important pour vous, le sentiment de ou la haine que vous portiez.? — C'est le sentiment de ma faute », révond Wagner, chant alors dans un sens qui vejoint Vidée de J.-Cl. Maleval. “Jean-Claude Maleal ex pichanalyte, membre de Ecole dela Cause fendieane 1. Edition : Pesce Fari, avec la contribution d'Alice Delarue et Caroline Pauthe-Leduc, Transcription de ta discus- sion : Michele Simon, ‘Aux limites incertaines de la paranoia, Robert Gaupp et le cas Wagner Un cas aussi paradigmatique que controversé Robert Eugen Gaupp a en effet construit sa théorie de la paranoia & partir de Pob- servation — poursuivie plus d’un quart de sitcle ~ du cas Wagner. Chef de file de Tole de Tiibingen, Gaupp considére que la paranoia résulte du développement compréhensible d'une personnalité dégénérée : selon lui, la genése du délire est cor- rélée aux expériences vécues. II s'oppose & cet égard a l'Ecole de Munich, qui sou- tient Pintervention d’un processus psychique irruptif qui bouleverse et remanie la personnalité. Ainsi, les documents recucillis sur Wagner alimentérent avant tout les débats sur Pétiologie de la paranoia, & propos de laquelle Gaupp, Ernst Kretschmer et Jacques Lacan (1932) soutinrent des theses apparentées. Dans sa thése de 1932, Lacan éctit que ses recherches lui ont été suggérées par Pidée « de démontrer que la psychose représenterait un “processus” étranger & fa personnalité », hypothése conforme notamment aux travaux de Paul Guiraud, de Westerterp, et de Gaétan Gatian de Clérambault. Or, précise-vil, « Pétude des faits (?a] mené, au moins pour une pattie des psychoses paranoiaques, & des conclusions toutes contraires des leurs, 8 savoir que les conceptions délirantes ont toujours une certaine valeur de réalité, qui se comprend en selation avec le développement historique de la personnalité du sujet »?. Pour Gaupp, tel est aussi Pintérét majeur du cas Wagner = il lui parait particuliére- ment démonstratif de la genése réactionnelle du délire paranofaque, permettant dés lors de réfuter les approches fondées sur un mécanisme processuel. DYautre part, nul ne peut mieux que Wagner interroger la pertinence et les limites du concept de patanoiz. Ce psychotique meurtrier étudié minutieusement par Gaupp de 1913 & 1938 Hevine au début du xx* sidcle une référence majeuse pour valider la définition classique de la paranoia, forgée par Emil Kraepelin en 1899. Wagner ~ écrit Gaupp en 1938 ~ est « aujourd'hui encore un paranolaque typique et incurable, avec un délite systématique absolu, sans aucun trait de schizophrénie, avec entire conservation d’une personnaliré intelligente, en pleine fraicheur et aux sentiments trés forts. Bien qu’enfermé depuis vingt-quatre ans dans une cellule d’un asile d’aliénés, il est encore plein de vivacité intellectuelle, d'intérét pour les événe- ments du monde extérieur, sans atrophie affective ni diminution de ses facultés men- tales. De tels cas de paranoia typique sont évidemment rares, mais ils existent »?, ‘Wagner constitue par conséquent une référence en matitre de clinique de la para- noia. Or, paradoxalement, son observation souleve de nombreuses interrogations diagnostiques : Jules Séglas et Gilbert Ballet Pauraient sans doute rangé parmi les persécutés mélancoliques ou auro-accusateuts ; Kretschmer Pinttgre dans son travail sur le délire de relation des sensitifi, tandis que la prévalence de la mélancolie méri- te Cétre envisagée ds lors que l'on constate que le délire s'enracine, non dans Vini-, tiative malveillante des persécuteurs, mais dans Ung Faute commise par Te sujet. Lacan J. De be pycbase pantnotague dans ss napports avec la personnatie, Pats, Seuil, 1975, p. 295-296. Gaupp R., « Las eendances du développement de la psychiatric allemande », Annales médico-prychologiqaes (1938, vol. t, 3), cité par AM, Vindras in Brast Wiegnen, Robert Gapp < un monsie et son prychiatre, Pats, EEL, 1996, 4. pl Ja Cause froudienne 0°73 155 Jean-Claude Mateval Vécole dé Tébingen Concernant la gentse de la paranoia, dans les premidres décennies du xx‘ sitcle, un débat acharné oppose les tenants d’une approche génétique compréhensive (regrou- pés a la dinique de Tubingen autour de Gaupp) & ceux qui iavoquent (avec Karl Wilmanns, de la clinique de Heildeberg) Vintervention d’un processus psychique irruptif, qui bouleverse et remanie la personnalité. Les études de Gaupp concernant Wagner sont principalement orientées vers la démonstration de la compréhensibi- lité du délire dans son rapport aux expériences vécues par le malade. Gaupp est un tenant du pri ionnel sur !endogene. —— Bien qwayant &é le titulaire de la chaire de psychiatrie de Tiibingen de 1906 1936, Gaupp (1870-1953) ne figure pas au rang des théoriciens majeurs de la psy- chiatric. Il Sinscrit dans le courant psychodynamique qui se constitue au début du xx¢ sidcle et dont les quatre principaux protagonistes sont Karl Jaspers, Bleuler, ‘Adolf Meyer et Kretschmer. La théorie de la paranoia & laquelle se réfere Gaupp a ée et développée pat celui qui fur l'un de ses assistants de 1913 & 1926, rer} qui arriva & Tubingen l'année méme des meurtres de Wagner. ‘aux de Gaupp conduisirent moins & la construction d’une théorie originale qu’s démontrer la pertinence de celle de Kretschmet. La premigre édition de Pou- vrage majeur de celui-ci sur Le délire de relation des sensitifi date de 1918. En 1949, dans la troisitme édition, Kretschmer considére & juste titre que deux de ses princi- paux disciples sont Gaupp et Lacan. Non pas, bien entendu, Je Lacan devenu psychanalyste, mais celui-d qui rédige, en 1932, De la psychose paranoiague dans ses rapports avec la personnalieé, Bien que présen- tant quelques divergences, les approches de Gaupp, de Kretschmer et du jeune Lacan sont profondément apparentées sur Pessentiel ~ soit la volonté d’ancrer la gentse de la paranoia dans un développement de Ja personnalité com fen La volonté de démontrer la nature réactioninallé de la paranoia implique de pouvoir opérer des cortélations fines entre Phistoire du sujet et la spécificité de ses troubles. est pourquoi Lacan considére que la méthode la mieux adaptée & léeude des rela- tions de compréhension immédiatement saisissables dans les phénoménes est celle de « monographies psychopathologiques aussi completes que possible »', Le cas ‘Wagner répond fort bien & cette exigence méthodique : Gaupp 2 observé Wagner pendant vingr-quatre ans ct lui a consacté neuf articles, rédigés entre 1914 et 1938. a savoi Le cas Wagner Les passages & Pacte de Wagner, le 4 septembre 1913, sont plus graves, plus com- plexes et plus lourds de conséquences que lattentat d’Aimée. Cette demniere blesse- ra kigerement l'une de ses persécutrices, crime qui ne fera pas obstacle & sa sortie de 4, Lacan J., De la paychase pananoiague...y 0p. cit, ps V54 8 267. ‘Aux limites incertaines de la paranoia. Robert Gaupp et le cas Wager Vasile queques années plus tard. Wagner, lui, exécute d'abord sa femme et ses quatre enfants, non par vengeance, mais par pitié, tandis qu'il tue ensuite neuf habi- tants du village de Midblhausen, et en blesse onze. Il avait espéré trouver la mort dans cette entreprise de destruction, mais les expertises psychiatriques qui — & son grand mécontentement ~concluent i parahois Te vouent 3 finir le sexe de ses jours a Pasile d’aliénés, ot il meurt en 1938. Une faute irréparable Les meurtres commis par Wagner en 1913 trouvent leur source dans des actes de bestialité [die Sodomie] accomplis en 1901 dans le plus grand secret d’une étable du village de Mithlhausen ott il travaillait comme instituteur. Jamais il ne levera le secret sur la nature exacte de ces actes vécus comme une faute irréparable. Dis le lendemain, apparaissent des phénoménes de « signification personnelle », Cest-a-dire un penchant A tout rapporter & soi-méme, par Pintermédiaire d’inter- prétations produisant un phénomene de concernement généralisé : dans la rue et & Pauberge, il entend des « obscénités » et des « salecés » dont il a la certitude qu’elles se rapportent allusivement a Jui, bien que son nom ne soit jamais prononcé. Il se croit au centre des bavardages. I! suppose que tout le monde connait sa faute. Par la suite, pendant pliers années, il vit dans Pangoisse, corturé par le remords de ses actes, et craignant quills ne soient découverts, S’attendant incessamment a ére arréeé, il porte sur hei une arme pout se supprimer dans cette éventualité. Ils éprouve comme « une béte aux abois » et développe une haine des habitants des villages oit il a séourné, les constituant ainsi en persécuteurs. Le dégotic de la vie et les pensées sui- eidaires qui ont toujours accompagné depuis son enfance ¢accentuent et le condui- sent en 1904 2 une tentative de suicide dans le lac de Neuchatel. Ine cesse de accuser et de se maudire & cause de ses déréglements, et se sent de plus en plus traqué et dénigré. Gaupp retracera cela de la maniére suivante : « Au chagrin et 4 la peine sont venues s'ajouter la colére, la rage qu'on utilise une affaire qui avait décruit sa vie, brisé sa dignité et — croyait-il ~ souillé 'humanité, comme argument de comédie, comme prétexte & rites et plaisanteries, Cetse colére montait sans cesse sans pouvoir exploser parce que Wagner ne voyait pas comment se défendre contre les sar- casmes et les persiflages. » Gaupp cherche a le comprendre : « Que pouvait-il faire ? S'il prenait un des railleurs au collet, le rouait de coups et le trainait devant un tribu- ral, il risquerait de révéler ses gestes au monde entier et il perdrait travail ot salaire. I ne pouvait que se taire, serrer le poing dans sa poche. Il était sans défense, comme il me L'a dit plus tard en termes déchirants, liveé pieds et poings liés & ses ennemis. »° Chroniques d’un meurtre annoncé En 1909, Wagner commence une biographie de 296 pages, dans laquelle il rémoigne de son amertume, de sa souffrance et de ses sarcasmes ; elle s'ouvie par 5. Gaupp R. + Paychologie du meurtrier massacreut. Linstieuteur Wagner de Degerloch » (1914, ie Vindras AM. Ennis Wagner, Robert Gaupp..., op. ets p. 292. 187 ! 158 Jean-Claude Maleval un : « Je vettx me tuer ». Son projet est de présenter la confession d'un homme sur le point de perpécrer un crime terrible® : détruire le village de Miihlhausen et tous ses habitants males, tuer sa famille et finalement se suicider. Il avait été instituteur en ce village de 1901 & 1902, il s'y était rendu coupable d’actes horribles, de sorte quill devait disparaitre de la surface de la terre, par le feu et par ’épée ; seuls femmes et enfants devaient étre épargnés. Apres avoir chatié les habitants de Miihlhausen, il projetait de périr dans Pincendie qu'il aurait allumé du chateau de Ludwigsburg, demeure de la famille royale du Wurtemberg : selon lui, le péché avait édifié ce cha- teau, le péché devait le détruire. ‘Wagner écrit beaucoup : outre son autobiographie, il produit des potmes, une « Nouvelle orthographe », mais surtout de nombreuses tragédies théatrales + « Néron », « Saill », « Absalon », « Le Nazaréen »... La plus connue, intitulée « Délire », retrace les derniers jours de Louis l, roi de Bavitre. Son écriture théé- trale débute aprés ses actes de bestialité en 1901, elle s'interrompt de 1914 jusqu’en 1919 pour reprendre jusqu’en 1936. A cette date, deux ans avant sa mort, il arréte définitivement d’écrire. Wagner attache une extréme importance & son activité cxéa- trice, il veut se faire un nom en ce domaine et en attend une reconnaissance qui ne viendra jamais. Le 4 septembre 1913, Wagner ne parvient pas 2 aller au bout de ses projets meur~ triers : if natteint pas le chateau de Ludwigsburg. Aprés avoir vidé ses deux pisto- lets, il n'a pas le temps de les recharges, et est malmené par les habitants de Mihlhausen qui le laissent pour mort. Blessé & la téte, aux bras et aux mains, il doit étre amputé de avant-bras gauche, mais il ne trouve pas la fin qu'il cherchait. Les expertises psychiatriques de Gaupp et de Wollenberg concluent de manitre concordante & la paranoia, Ceci évite 2 Wagner de passer en procts, mais le condamne & Pasile psychiatrique jusqu’au terme de ses jours. Moins d’un an aprés les faits, Gaupp publie un long travail intitulé « Psychologie d’un meurtrier massa- creur », portant comme sous-titre : « Linstituteur Wagner de Degerloch ». Ce der- nier met six ans pour pardonner & son auteus, d'une part d’avoir divulgué ses actes de bestialité, d’autre part de lavoir considéré comme malade mental et de lui avoir ainsi évité la mort. Critiquer n'est pas guévir A partir de 1920, confronté & divers témoignages et 4 Pinsistance de Gaupp, Wagner témoigne d'une modification dans son systéme délirant : il parvient & concevoir que les habitants de Mishlhausen soient innocents. « Je teconnais ~ écrit- il & Gaupp, le 3 mai 1920 — que mes crimes ont été le résultac de graves perturba- tions mentales, au mieux caractérisées par le diagnostic de “délire de persécution”. Aujourd’hui, il est clair que je n'ai été “persécuté” ni 4 Mithlhausen, ni ailleurs. Si jai pu interpréter certains propos, comme je I’ai fait, c'est quil y a des hasards et 6. Gf ibid. p. 63 & 162. ‘Aux limites incertaines de le paranoia, Robert Gaupp et le cas Wagner des événerfents sans relation entre eux qui, venant s’ajouter a des circonstances toutes particuligres, produisent un effet d'intentionnalité et de certitude de la visée. U était ni obligatoire ni inévitable que je les interpréte ainsi. Mais toutes ces choses dont on a ka téte pleine, on les transfére volontiers dans (celle] des autres. Il ne fait plus de doute pour moi maintenant que la tendance au délire de relation a toujours &é présente chez moi. >” Porté par une extréme intégrité intellectuelle, par un amour d’une vérité sans reste, Wagner parvient & une remarquable description cri- tique des phénomtnes de signification personnelle, suggérant méme leur explica- tion par le transitivisme. Or, selon Gaupp, cette prise de distance partielle & Pégard de certaines idées deli- rantes ne doit pas étre confondue avec une guétison de la paranoia. Il n'est pas cer- tain que la critique intellectuelle des phénoménes de signification personnelle dont Wagner fut le jouet suffise ales faire disparattre, D’ailleuts, il se plaindra encore plu- sieurs fois qu'on ait dic de lui, dans presque tout Pasile, quill est un « baiseur d’ani- maux », La chose ne peut néanmoins étre tenue pour totalement impossible de la part d'un entourage mal intentionné & Pégard du patient, compre enu des révéla- tions contenues dans les publications de Gaupp. En revanche, bien que ce detnier admette avoir tué des innocents, il n'exprimera jamais de véritable repentir & leur égard, se plaignant plucde avoir éré le jouer du destin. Lidée nest d'ailleucs pas nouvelle. De longue date, Wagner soutient que « Phomme rest pas plus responsable de son étre quil ne Pest de ses actes, J'ai dgja dit 4 maints endroits de mes lettres et de mes écrits ~ rappelle-t-il peu aprés ses actes ~ que Cest la vie qui fait Phomme, que chacun est mené par les fils de sa destinée, que tout est prédéterminé et que, par conséquent, je nie toute culpabilité. Mais je ne soutiens pas cette philosophic pour échapper a mes responsabilités devant le tri- bunal, [Je} ne dirai rien pour sauver ma téce. Pai certes devant mes yeux ma famil- le massacrée, mais ce nest pas un poids pour ma conscience[,] ce geste ne peut constituer une charge contre moi »*, S'il cesse d'identifier l Autre jouisseur en des persécuteurs incarnés par les habitants de Mahlhausen, une incarnation de fAutre méchant subsiste dans une destinée maligne qui sen prend & lui sans raison, I ne l'invente pas pour la circonstance, puisquelle écair déja décrite dans son autobiographie antérieurement aux actes meurtriers. ¢ Tous ceux qui sone dans le malheur, y écrivait-il, ont le droit de se révolter, Que leur mécontentement tracasse le pouvoir qui nous contraint & vivre. Pourquoi ne serions-nous pas plus fort que la chiennerie de la volonté universelle en faisant de la cruauté meurtrire notre religion ? »? Qui plus est, & partir de 1923, apparait un nouvel avatar du délire de persécution, dont le théme n’a rien en commun avec ce qui avait précédé, Wagner engage alors toute son énergie pour hutter, du fond de sa cellule, contre un écrivain autrichien, 7. Mid, p. 327-328 8. Ibid, p. 240. 9. Bid, p. 245. 159 160 Jean-Claude Moteval Franz Werlel, qu'il accuse de plagier impunément ses ceuvres et d’en tirer gloire et honnears, Pendant treize ans, il essaye de convaincre les autorités médicales, les autorités judiciaires, la maison d’édition & laquelle il avait envoyé ses manuscrits ainsi que Péditeur de Werfel, que ce dernier le plagie. En 1926, puis en 1929, il écrit des textes intitulés « Werfel, le plagiaire ». Laffaire est prise au sériewx, mais ceux qui se penchent sur accusation concluent qui n'y a pas lieu de permettre & Wagner dintenter un proc’s. Celui-ci en sera tres affecté, Que Werfel soit juif suscite chez Wagher un antisémitisme généralisé, cotalement absent de ses écrits précédents. I revendique méme avoir été le premier inscrit au parti national-socialiste de Phépi- tal de Winnenden, En 1933, il se félicite que ce parti partage son opinion sur les Juifs, et, 3 Pappui de ses convictions, il note que personne nloserait accuser les auto- rités gouvernementales de « mensonge, d'ignorance ou méme de délire ». Gaupp lui-méme fait preuve d'une certaine complaisance envers le nazisme, et, de surcroit, comme la plupart des médecins allemands, Cest an partisan de leugénis- me. Cependant, méme Kretschmer Pa été, alors qu’il ne peut, lui, étre soupgonné q@avoir eu des sympathies pour le nazisme, Gaupp cherche la cause ultime de la paranoia dans une personnalité dégénésée, tandis que Kretschmer considére que le ccaractére lui-méme se construit & partir de l'environnement social ~ ce qui est cohé- rent avec lets choix politiques respectifs, On ne saurait pourtant diaboliser Gaupp : il prdne une action psychothérapeutique associée & un indéniable respect du malade. Il peut méme déplorer les conséquences de sa méthode d’intetrogatoire de Wagner, centrée sur une quéte de la vérité, quand il discerne qu'elle est néfaste sur le plan thérapeutique : « Une chose me répugnait — écrit-il ~ + & cause de ma méchode d’examen, le torturer moralement et mettre en péril Péquilibre incérieur quill avait trouvé au début. »!° Dans ces lignes, Gaupp n’est pas loin de faire sien- ne la thése que Freud vient de formuler peu de temps auparavant, celle du délire comme une tentative de guérison. La quéte de Véticlogie de la parancia La rencontre de Wagner fut décisive pour Gaupp. En 1909, ce dernier sétair déja efforoé de décrire une « paranoia abortive »¥, cest-A-dite une forme mineure et dis- créte de paranoia, en telation étroite avec le caractére psychasthénique et névio- tique obsessionnel, chez des sujets qui restent d'une modestie extréme, ne présen- rant pas d'idées de grandeur, mais qui développent des sentiments de persécution ancrés dans des idées de relations. Gaupp parle & cet égard de délire caractérogtne. 10, hid p95. M1 Abort e dit d'une maladie ou d'un symprdme qui cesse sans avoir accompli son évolution norenle. 12.« Lexpresion “abortif” se eapporait, comene il sensuie de Pexposé de Gaupp lui-inéme, en premict lew, non a 'is- Suc Finale, mais plut6r au eableau symptomatique avec ses Muctuations caractristiques et aux ides dalcances fxi- té moindre qu'on ne le voit dans fa parancia, {Kretschimer Ey Paranota et naibilte. Contribution au problime de le paranota eta la shéoie poychiatrigue ds caracttre, Pacis, UP, 1963, p. 241, Gf aussi p. 26.) ‘Aux limites incertaines de fa paranoia. Robert Gaupp et lo cas Wegner Sans prendre clairement position sur son étiologie, il semble déja chercher & déga- get cette forme de paranoia d’une origine processuelle!?. Una travail de compréhension du délire Wagner est d’un autre type de paranoia, non seulement en raison de la gravité de ses actes, mais aussi parce qu'il sagit d'un mégalomane. Aptés la découverte que ses idées de persécutions étaient etronées, son sentiment d’avoir été particulitrement maltraité par le destin a fortifié en lui la conviction d’appartenir aux éures Pexcep- tion ; en outre, il est convaincu que ses écrits le placent au niveau de Schiller et de Goethe. Il se qualifie comme le « plus grand dramaturge contemporain » et, peu avant ses actes, émettait dans son autobiographie Je jugement suivant sur hui- méme ; « si je fais abstraction du domaine sexuel, j'ai été de beaucoup Phomme le meilleur de tous ceux que j’ai conus »!4, Pour Gaupp, pour Kretschmer, et méme pour Lacan, Pintérét du cas Wagner rési- de dans la conjonction de deux éléments. D'une par, il sagit non pas d'une forme de paranoia mineure, mais d’un sujet qui entre pour l'essentiel dans le cadre défini par Kraepelin de Ja paranoia, D'autre part, le délire saveére entitrement compré- hensible par rapport aux événements vécus, démontrant & Pévidence, selon ces auteurs, l’absence de tout processus sous-jacent, La doctrine classique de Kraepelin soutenait au contraire « l'insignifiance des causes extrinseques » et la « futilité des influences objectives » sur le cours de fa paranoia, et en déduisait que la maladie puisait « ses racines les plus solides dans un état de prédisposition motbide »'®. On congoit que observation de Wagner soit encore plus démonstrative que celle @Aimée quant a Pinfluence des événements vécus, Le conflit générateur du délire de cette dernitre n'est pas directement discernable : il faut une construction de Lacan pour qu'll soit rapporté & une haine de la soeur, qui a pris sa place aupreés de son mati. Mais cela, Aimée ne s'avére pas en mesure de le formuler. Lacan bute sur ce quil décrit comme « une résistance psychologique trés profonde »'5, de sorte quill est contraint d’opérer une construction du cas assez complexe. Rien de tel avec Wagner : le travail de compréhension du délire est tout entier effec- tué par le malade lui-méme, Gaupp n'y ajoute rien, il lui suffic de rapporter un matériel « préc & Pemploi », qui semble rendre compte de Porigine des troubles et de leur évolution, Peut-éere approchons-nous ici Pune des raisons de Pétrange trai- tement opéré par Lacan du cas Wagner : il semble en effet témoigner une cervai- ne ambivalence 4 I’égard du travail de Gaupp. Certes, il le cite dans sa thése parmi les urés rares observations publiées de « psychoses paranoiaques [...] unies & la per- 13.4 Remarquor ~ écrit Lacan ~ que Gaupp pasle de dice caracérogine, mais ne prend pas parti dans le probleme de la psychogénie ds delice. Ceci ne nous semble pas suffsant pourtant pour admertee avec Bouman qu'il fille eonce- soir la description de Gaupp comme sappliquane a des process, que les eats du earatdee anérieuts ne feraient que colores » (Lacan J., De la psyebose paranatague.... op. et, p- 8485.) 14. Vindras AoM., Fre Wagnen Robert Ganpp.... op. cit. p. 234 15. Kraepelin E., Ineraduction a le peychianvie clinique, Paris, Navarin, coll, Bibl. des Analytica, 1984, p. 192. 16. Cf Lacan J, De la aychace paranoiagtesns opty Qe 282, 161 162 Jean-Claude Mateval sonnalitéfpar des relations de développement compréhensible »'”, Mais, bien que Pécu- de de Gaupp apporte des éléments si probants en faveur de sa thése, il se réf¥re peu au cas Wagner ; et, surtout, il fait toujours une errear étonnante dans les rates occur- ences ott il le mentionne. Par trois fois, il qualifie Wagner de « pasteur ». Ox, Wagner nest aucunement religieux et sa profession d’instituceur est maintes fois rapportée par Gaupp, elle figure méme dans le titre du principal travail qu’il lui a consacté. Le jeune Lacan se situe plus volontiers dans une filiation & Kretschmer et affirme la totale parenté de leurs deux approches!®, Son projet majeur n'est pas fisoler une nouvelle entité clinique, mais, comme indique le sous-titre de son ouvrage, d’opé- ret une « contribution a la théorie psychiatrique du caractére », visant & proposer un modele de compréhension de tout un champ de la psychopathologie réactionnelle. Le caractére selon Kretschmer n’est pas la constitution, ni un tempétament et il ne trouve pas son fondement dans le corps : il se construit en relation avec Penviron- nement social. A l'un des péles de la clinique des idées de relation, on trouve des névroses bénignes, tres perméables & Paction de psychothérapies suggestives. A Pautre pile, d’authentiques paranoiaques, tel Wagner. Entre les deux, comme l’écrit Kretschmer : « Toutes les transitions sont possibles »!9, Ex ce, y compris le fameux cas de Poul Bjerte, qualifié par Freud de « paranoia hystérique »”, et présenté comme ja premiére cure analytique réussie d'une paranoiaque. Du point de vue de Ia dinique psychanalytique structurale contemporaine, le délire de relation des sen- sitifs constitue un fourte-tout hétérogene. Prychogentse jaspersienne de la paranoia De prime abord, Pinclusion de Wagner dans ce champ clinique peut surprendre : Jes sujets décrits par Kretschmer ne passent guéze 4 Pacte ; ce n'est que tts excep- tionnellement que Pun d’entre eux se suicide ; aucun autre que Wagner mest un meutttier ; de plus, son délire persiste jusqu’a sa mort. Pourtant, Kretschmer, qui La longuement rencontré en 1920, n’hésite pas a Je situer aux « limites du domai- ne du délire de relation sensitif »*!, If considare que l'essentiel des caractéristiques de ce délire est présent chez Wagner, « La base du conflit psychique, écrit-il, est la méme que dans fe délire des masturbateurs qui, ailleurs, se trouve ébauchée chez ‘Wagner au cours de sa jeunesse, Le délit sexuel, survalorisé outre mesure, est élabo- ré dans le sens d'une insuffisance humiliante et transformé en délire de relation. Le fait de rétention absolue de Pexpérience pathogene pendant des années, la tension intérieure grave des affects qui en résulte, P’échec toujours renouvelé subi par le sen- timent éthique construit & la hate pour lucter contre la faiblesse détestable de sa 17. dbid p. 64, 101 & 357. 18. GF Lacan J. Dela prychase paranoiaguesns oP cbs B99: 19. Keeeschmer E., Pano et sensibilte, op. cit, p. L1G, 20. Freud S,, Lettre 4 Jung du 12 fever 1912, in Correspondence Sigmund Freud — C. G. Jung. tt, Pati, Gallimard, 1975, p.139. Cf aussi Bjere P, « Zur Radifalbehandlung der chronischen Paranoia», Jabrbuch fir psychoanalytic und pojchapathalngische Fersbungen, ti, 19 Di. Kteschiner E Panto ese op ct pe 190191 8 266, Aux limites incertaines de la poransia. Robert Gaupp et le eas Wagner volonté etde sentiment de culpabilité qui domine la tonalité fondamentale de son désespoir fe plus profond, Pangoisse et les tortures morales, tout cela correspond rigoureusement au tableau clinique des sensitifS [...]. Pendant des années, la psy- chose de Wagner n’était autre chose qu'un délire de relation sensitif. Seul, le dénouement, le crime libérateur [...] est un fait nouveau et surprenant. Il ne sagit plus alors d’un geste de sensitif, car le sensitif n’est pas un homme d’action. » Dés lors, Kretschmer doit bien admerere que Wagner constitue un cas « atypique », une forme mixte, Chez lui, « la névrose sensitive et la névrose de combat » coexistent, et deux caractéres sont intriqués : le sensitif et Pexpansif. Dans ces conditions, pourquoi sefforce-t-il dintégrer Wagner dans une clinique déja fort hétérogtne ? Sans doute parce que ~ comme nous avons dit — le but de Kretschmer, comme celui de Gaupp ou de Lacan, consiste surtout & démontrer Pexis- tence d'un vaste champ de troubles réactionnels et de paranolas psychogtnes. Kretschmer souligne ainsi : « Pévolution psychique de ce malade ne se déroulait pas selon des schémas paranolaques, rigides et progressifs {;] des réactions psychiques s'adaptaient a Ja disparition des anciens stimuli extérieurs et & apparition de nouvelles situations, telles que, par exemple, la violente décharge affective produite par le meurtre collectif et le changement radical des conditions extérieures de la vie du malade, a la suite de Pinternement, Ces deux événements constituent également dans Pévolution psychique de Wagner un large hiatus dans l'ensemble du tableau dinique ». La pro- gression du délire de Wagner démontre par conséquent une adaptation aux événe- ments vécus qui infirme Phypothése du développement autonome d'un processus. Que lobservation au long cours de Wagner atveste que l'environnement du sujet participe a la construction des idées délirantes, il est difficile de le mettre en doute. ‘Mais est-ce une constatation suffisante pour conclure quant a l'étiologie psychogene de sa maladie ? Lacan considére en 1932 que les travaux de Gaupp, de Kretschmer et les siens établissent la « psychogénie » de la paranoia. Pour quelle « nuance de fa pensée »°? forge-t-il ce concept ? Il distingue la psychogénie de la psychogentse par fa juxtaposition de desex séries causales, et le « rdle prépondérant » dévolu aux facteurs organiques dans le déclenchement de Ia psychose”®, La paranoia d’Aimée lui paratt révéler un déterminisme psychogénique dans lequel les troubles organiques” jouent le rdle de cause occasionnelle, des « conflits vitaux{,] le role de cause efficiente », tan- dis qu'une anomalie d’¢volution de la personnalité, fixe au stade oit se forme le sur- moi, constitue la cause efficiente d’ott s'origine la tendance concréte 3 l'autopuni- tion, La constuction de Lacan est infiniment plus complexe que celle de Gaupp et de Kretschmer, Sous l’influence de Freud, il introduit une pulsion autopunitive qui constitue une notion trop hypothétique pour les deux auteurs allemands. Les relations de comprehension jaspersiennes constituent Poutil méthodologique utilisé par les trois psychiatres psychodynamistes. Elles leur permetcent de dégager 22.Lacan J, Dela pychase pananstaque.... op. cts p. 45. 23, Gf Lacan J. « Exposé général de nos travaux scientifiques », in Dede pychose paranotague.... op. it, p. 02. 24, Lacan J, De la prebose paranoiague.... op. cits p. 209 8347. 163 164 Jean-Claude Maleval une logighie qui rend compte apres coup de la genése de telle ou telle paranoia, mais elles butent toujours en demniéte analyse sur une limite : pourquoi d’autres sujets placés dans des conditions similaires ont-ils pas développé la méme pathologic ? Lacan cherche & contraindre la question de la causalité morbide dans une conjonc- tion de la personnalité et des événements vécus, Kretschmer la situe de maniére semblable dans des « expériences intéricures » dépendantes dune caractérologic acquise®>. Pour en saisir les déterminants ultimes, tous deux semblent placer leurs espoits dans une exhaustion des relations de comprehension. En revanche, Gaupp considére quelles ont une limite : « Un certain reste résiste toujours & la compréhension et a identification, Cependant, ce reste — précise-til — dans le cas de la vraie paranoia, est plus petit que dans n’importe quelle autre forme de maladie psychique. »® Et, pour le cas Wagner, i invoque alors des « tares héréditaires convergentes » et une « personnalicé dégénérée de naissance >. Un mirage inconsistant Lacan considétera par la suite que sa these sur la paranoia @’autopunition était une « erreur », On est en droit d’étendre ce constat aux travaux de Kretschmer et de Gaupp, puisqu’ils reposaient sur des methodologies trés semblables. Quelle est cevte erreur ? Il Pindique, en 1975, quand il affirme que « la psychose paranoiaque et la personnalité n'ont comme telles pas de rapport, pour la simple raison que Cest la méme chose »””, Cette critique de Lacan vise vraisemblablement la compréhension exhaustive qui est au principe de Pune et de Pautre Quelques années apres la rédaction de sa thése, la mise en evidence du stade du miroir lui révéle que les mécanismes de la connaissance paranolaque sont précisé- ment ceux qui se trouvent au fondement de V'instance de leurre et d'idéalisation, forgée par le détour de Pimage spéculaire, nommeée « moi », qui constitue Possatu- re de la personnalité. C'est de la que le sujet se représente & lui-méme en ayant Fillu- sion d’exercer son libre arbitre. Dis ka fin des années trente, il apparait & Lacan que la méthodologie d’investigation des troubles mentaux pronée par Jaspers n'est pas fiable. La psychologie compréhensive du sujet est un « mirage inconsistant »8, Elle repose sur de fausses évidences. Flle « consis- te A penser ~ souligne Lacan — quiil y a des choses qui vont de soi, que, par exemple, quand quelqu’un est triste, cest qu’il n’a pas ce que son coeur désire. Rien rest plus faux — ily a des gens qui ont rout ce que leur coeur désire et qui sont tristes quand méme, La tristesse est une passion d'une tout autre nature », La rupture avec les rela- tions de comprehension conduit & prendre en compre des « ressorts qui sont au-del de Pexpérience immediate, ex ne peuvent nullement étre saisis de fagon sensible >. Nous chercherions plus volonticrs aujourd'hui les déterminants initiaux de la psy- chose de Wagner dans une irruption de jouissance non bordée par la limite phal- 25. Gf Keetschmer E., Paani et semtibilité, op. cit, p. 11 8258. 26-Vindas Ac Mis Eos Magen Robes Geipp. ap iy p 284,313 8 382. 27. Lacan J. Le Séminaire, live sat, Le inthe, Pris, Seil, 2005, p. 53. 28. Lacan Jy Le Séminaire, ie tt, Le psychoses, Pass, Seu, 1981, p. 14-13. Aux limites incertaines de ta paranoia. Robert Gaupp et le cas Wagner lique. Luf-méme situe les débuts de sa maladie avec la pratique de la masturbation, qui le poussa aux actes de bestialieé, constituant dés fors une faute incommensu- rable : au méme moment, il faisait ses preuves pour accéder & une position paternel- le d'instituteur, et il entamait une relation sexuelle avec la fille de Paubergiste de Miblhausen, qui se trouva rapidement enceinte ~ et qu'il épousera parla suite. Reste que le travail de Gaupp établit sans conteste que le délire ne saurait étre réduit & un déréglement de la pensée : il interagit avec l'environnement et sadapte & celui-ci Ernst Wagner, un inclassable ? Bien que Kretschmer considére Wagner comme présentant un délire de relation sensitif atypique, pas plus que Gaupp ou Lacan, il ne remet en question le dia- gnostic de paranoia, Aprés avoir longuement étudié, Gaupp affirme, année de la mort de Wagner, quil représente Pune des rares incarnations d'un « paranoiaque rypique »®. Wagner confirmerait donc la définition de la paranota introduite par Kraepelin en 1899, dans la sixitme edition de son Tiaité, et restée classique depuis lors®, Il la caractérise par « un développement insidicux, sous la dépendance de causes internes, et, selon une évolution continue, d'un systéme délirant, durable et impossible & ébranler, qui siinstalle avec une conservation compléte de la clarté et de ordre dans la pensée, le vouloir et action ». Bien que Gaupp fasse sienne cette définition, et que Wagner en soit exemple méme, il n’échappe pas en 1938 au psy- chiatre allemand « quil y a manifestement quelques petites divergences »?}, Le déve- loppement du délire de Wagner r’apparait pas insidiewx puisqu’il semble s’ constivu¢ en réaction & ses actes de bestialicé, Il n'apparaft pas non plus inébran- fable : le délire a connu des périodes de rémission et de correction partielle, per mettant parfois & Wagner de parler erreur. De surcrott, le contenu du délire a-varié, passant de la persécution par les habitants de Milblhausen & celle opérée par Pécri- vain Werfel et les JuifS. Selon Gaupp, de la definition donnée par Kraepelin de la paranoia, seule la conservation des capacités intellectuelles ne sausrait érre contestée. Dix-sepr ans plus tard, Lacan fait en son Séminaire, des critiques plus radicales encore. « Cette définition, affirme-t-il, due ala plume d'un clinicien éminent a ceci de remarquable, quelle contredit point par point toutes les données de la clinique. Rien la-dedans n’est vrai. »°2 Non seulement le développement n'est pas insidieux, il-y a toujours des poussées, des phases, mais, 3 evidence, ’évolution gattache & des causes externes qui peuvent modifier le délire, quill ait éxé ébranlé ou non, Quant au critére de la conservation « de la clarté et de ordre dans la pensée, le vouloir et action », il 29. Vindras AeM., Emat Wagner, Robert Gop... ap. cits p. V4. 30. Capendant, dans fa psychiatric contemporaine, la paranoia xe perd dans le vaste ensemble du » Trouble délicent », luicméme inclus dans la rubrique « Schizophénie et autres troubles psychotiques » {Gf American Psychiaric Association, psi. Monel diggnotique et statistique des roubles menctize, 4° &d. (Version intemacionale, ‘Washington DC, 1995), wad, fang. J-D. Guell & al, Pats, Masson, 1996]. 31. Vindras A.-M. Eis Wegner, Robert Gapp.. op. cts p. 379. 32. Lacan J. Le Séminaire, livre it, Les pyebases, op. et, p. 26. t\, 165 166 Jean-Claude Mateval ne trouve pas davantage grace & ses yeux, car il fait appel & des notions de psychologic académique se séférant plus & intuition qu’d une appréhension rigoureuse. Comment dés lors affirmer que Wagner est un paranoiaque ? On aura remarqué que la définition de Kraepelin se borne & une appréhension de la forme du délize qui ne fait aucunement référence & son contenu”. Il note cependant que le délire paranoiaque géntre des idées de persécution et de grandeur qui restent toujours vraisemblables. Paranoia atypique ou mélancolie atypique ? Ces dernigres s'avérent certes tids présentes dans le délire de Wagner, mais elles ne sont pas dominantes. La faute au fondement de sa souffrance morale, il la situe bien avant la persécution, « J'aimerais d’emblée me déliveer d’un aveu, écrit-il dans son autobio- graphie : je suis un sodomite. Ca y est, j'ai réussi & le sortir mais je n’en ditai pas plus. Que pésent vos ricanements lubriques face 3 une seule minute de mépris de soi. Mon mépris pour moi-méme, mon chagrin m’ont vieilli avant Page, je n'ai que trente- quatre ans, Cest la durée exacte de mes souffrances. Je vous en prie, détachez le Navaréen de sa ctoix pour m’y clouer & sa place, je suis la souffrance faite chair. »°# Apres les passages & l’acte de 1913, opérés avec Pintention de se suicider, il mépri- sait bien plus le « sodomite » que le meurtrier ; le premier lui paraissait plus abject que le second parce que ses actes souillaicnt Phumanité entire. A Ja question de Gaupp : « Qu’est-ce qui était le plus fort en vous, le sentiment de vorre faure ou la haine ? — Le sentiment de ma faute. C’est pourquoi j’ai jugé Pélimination de ma famille plus importante que la destruction de Miihlhausen », répondit Wagner. Le meurtre de sa famille présente en effet toutes les caractéristiques du suicide aleruiste du mélancolique® : il affirmait les avoir tués par pitié, pour leur épargner la honte, pour les soustraire au mépris, En 1904, Wagner avait déja fait une tenta- tive de suicide. Apres ses meuttres, il refusa d’étre considéré comme malade men- tal, et fit tout pour obtenir Pouverture de son procts afin d’étre condamné 4 mort. Pourquoi une telle incensité de la douleur morale incitant le sujet & mettre en acte gon suicide ne suggéra-t-elle 2 aucun des cliniciens le diagnostic de mélancolie concernant Wagner ? Sans aucun doute parce qu'il ne présentait pas le ralentisse- ment psychomoteur classiquement caractéristique de cette pathologie. Ne pourrait- il pas étre cependant considéré comme un mélancolique atypique tout autant que comme un paranoiaque atypique ? Ou persécuté auto-accusateur atypique ? En fait, Pécude du cas Wagner inciterait fortement & réhabiliter Ja catégorie pré- Kraepelinienne des persécurés mélancoliques ou persécutés auto-accusateurs aux- 33. Kraepelin E., intraducton & le pehiaerieclinigu, ap. cit. p- 180, 34. Vindras AM, Erase Wager, Robert Gaugpp..os oP ct p35. 35. Jbid. p. Al. 36. Gf De Clérambaule G.,« homicide altruiste chet les mélancotiques », vere prychiatriques, Pati, Frente, 1987, p. 668-678. ‘Aux limites incertaines de la paranoia. Robert Gaupp et le cas Wagner quels PEdole francaise de psychiatrie a consacté plusieurs travaux. Hs ont été décrits en particulier par Emmanuel Régis, Jules Christian, Séglas et Ballet, avant que Gaston Lalanne ne leur consacre une thése en 1897. Il y établit que mélancolie et persécution peuvent sassocier ou se succéder chez un méme sujet avec tous les modes de combinaison possibles. Dans sa thése, Lacan souligne ainsi que « la cli- nique montre des cas ott des acts typiques de la psychose maniaco-dépressive se combinent avec Iéclosion de systémes délirants plus ou moins oxganisés, particu- ligrement sous forme de délires de persécution »°”. Selon Lalanne, le persécuré mélancolique présente une prédominance d'idées de per- sécution tout en étant hanté par des idées de suicide, mais on ne remarque guére chez lui le phénoméne'd'arrét psychique’si caractéristique du mélancolique™®, ATinstar de Baller, tous les auteiits insistent sur le fait que de tels sujets sont @abord des persé- curds, parce quills ne présentent pas « l'état de dépression physique et psychique qui constitue la manifestation primordiale de la mélancolie », Avec une grande finesse dinique, Ballet parvient a situer le persécuté mélancolique a partir d’une caractéris- tique majeure du dhtme du déite. Le mélancolique, rappelle-eil, trouve en lui- méme la cause de ses souffrances morales, cest un coupable, Le persécuté cherche e hors de lui, dans le monde extérieur : Cest une victime, Mais le para- nolaqué et tte vietime qui réclame justice, « une victime innocente », tandis que le persécuté mélancolique, est « une victime coupable »°, Ik sagit, précise encore Ballet, « d'une persécution jugée légitime », Tel est bien le cas de Wagner. Pourcant, par ses passages & acte, rares chez les persécutés auto-accusateurs ~ selon Ballet, plutét des « découragés » que des « agresseurs », plus enclins au suicide qu’a frapper leurs per- sécuteurs ~ il apparait la encore comme « une victime coupable » atypique.) Leffiacement des catégories mixtes Pourquoi les persécusés mélancoliques sonvils aujourd hui oubliés ? Sans doute pour la meéme raison que celle qui fait obstacle & la diffusion d’inventions plus tardives : les schi- zophrénies dysthymiques ou psychoses schizo-affectives. Toutes ces catégories mixtes peinent & simposes, Elles portent atteinte & la belle tripartition kraepelinienne des psy- choses, si bien différenciées par leur évolution ; déficitaire pour la démence précoce, pétiodique pour la maniaco-dépressive, chronique sans affaiblissement intellecruel pour la paranoia, Pourtant les cas puts Saverenc les plus rates, tandis que la diffusion des chi- miothérapies accentue le brouillage de Ja nosologie classique, maintenant morcelée dans la multiplicité des troubles déctits par les asi”, En fait, toutes les inttications entre les trois grands syndromes psychotiques dégagés par Kraepelin ont ét¢ abservées. Les Mémoires... de Schreber montrent que la psychose d'un méme sujet peut pré- senter, selon son évolution, des tableaux paranoides, paranoiaques, paraphréniques 37 Lacan J.. De la pychose paranotague.... op. et. p. WNL 38. Of Lalunne G., Les persécurés mélacoligues, Bordeaux, Durand, 1897, p. 197. 39, Ballet G., Les die! de persécution, Pris, Uarmartan, 2004, p. 71. 40. Gf American Poychiatric Association, DSNP. ap. ci 167 Jean-Claude Maleval et hébéphréniques. Dans son Tiaité de psychiatrie, Bleuler lui-méme en vient & considézer qu’s Yexception de « quelques cas rares extrémes, nous avons plus a nous poser la question : est-ce une maniaco-dépressive ou une schizophrénie ? Mais : jusqu’s quel point maniaco-dépressive et jusqu’a quel point schizophrénie 2"! A la fin du xnx siécle, la mode écait en faveur de Pextension de la paranoia ; au début du 20%, elle fue supplantée par la tentaculaire schizophrénie bleulérienne ; aujour- hui, elle penche pour une diffusion de la maniaco-dépressive. Bref, il n'y a pas lieu de revenir sur le constat fait par Lacan en 1932 : les cadres nosologiques de la psy- chiatrie, écrivait-il, se « distinguent trop souvent par Parbitraire de leur délimita- tion, par leurs chevauchements réciproques, sources d’incessantes confusions, sans parler de ceux qui sont de purs mythes »!2, Le socle mélancolique de la psychose Une clinique faisant usage des concepts psychanalytiques permertrait-elle une approche diagnostique plus fine du cas Wagner ? On sait que, selon Freud, la mélancolie se caractérise par la mise au premier plan d'une aversion du sujet & Pégard de son moi, aversion qui trouve sa source dans.une identification du moi a Pobjec perdu. La douleur d’exister du mélancolique tient & son incarnation @un objet pulsionnel abject livré 4 la jouissance de I’Autre. En raison de sa faute, Wagner se décrit maintes fois comme un ére immonde : il se qualifie de masturbateur, sodomite, lavette, grand bouffon, paradigme de la cochonnerie, etc. Pourtant, ce meépris est tempérg, il s'avére méme compatible avec la mégalomanie : « si je fais abstraction du domaine sexuel, j'ai été de beaucoup homme le meilleur de tous ceux que j'ai conus »®. Faudrait-il alors le considérer comme un paranoiaque capable Pidentifier la jouis- sance au lieu de l'Autre ? Wagner désigne netement ses persécuteurs, dans fes habi- tants des villages avertis de ses pratiques, puis dans le plagiaite Werfel, mais le sen- |eimene de sa faute sesuelle ne cesse de le tourmenter douloureusement, Ini faisant 168 espérer une mort scule capable de le délivrer de ses péchés. Vobjet a sincarne & Ja fois en son étre et en ses persécuteurs, Le meurtre de ces derniers ne pouvait suffi- re & purer la réalité de la jouissance débridée™, Il lui fallait de surcrott et avant tout opérer un sacrifice de son étre : cela seul était censé pouvoir lui procurer le soula- gement espéré, « Je comprends de mieux en mieux le mysttre du sacrifice humain, écritil avant ses meurtres, ill est expiatoire et nous lave de tout péché. » 41,.B, Bleuler cité par P. Bercherie in Histoire et structure dus savoir paychiatvigue. Les fondements de la clinigne 1, Pati, Editions universicares, 1991, p. 172 42. Lacan J., De la prychose paranotague..., op. cit, p. 265: 4B. Vindeas AcM., Erm Wagner, Rbre Gaupp... 4p. eit, p. 234 44. Une appiéhension en mioie de ses petséeueurs condulsae Wagner & percevoic ses persgeueurs comme des jue seus immondes :« Les deux sexs, rel en 1913, aujourd'hui son malades da sexe. Rien wfst pi fae que de 1}, me menuer du doigt, mais chacun d'entre nous ferait mieux de peaser & sa propre euipitude [...] Be mon pach vous scandalise ? Quel mensonge ! Il vous a ravis au contraire. C’étaie pain béni pour voree sale museat, » [Vind AcM,, Enuse Wagner; Robert Gaupp.... op. ct, p. 232-233). 45. Vindeas A-M., Ernst Wagner, Robert Gaupp..., op. cit., p. 197. Aux limites incertaines de la paranoia, Robert Gaupp et le cas Wagner Une appfoche psychanalytique de Wagner ne conduit pas & forcer la distinction entre mélancolie et paranoia, Plutdt inciterait-elle 4 renouer avec les intuitions freu- dienes, développées en divers textes®, selon lesquelles le paranoiaque, qui est un accusateur, est en fait aussi un accusé, tandis que le mélancolique, & l’évidence accu- sé, serait en réalité un accusateur. « Freud, note Colette Soler, opére des retourne- ments qui donnent impression que ¢a sinverse, qu’on aurait dans la paranoia un accusateur apparent et un accusé caché et dans la mélancolie un accusé apparent et un accusateur caché, »*7 Qui plus est, mélancolique et paranoiaque partagent une certitude : celle de Pexistence d'un dommage auquel il faut remédier. Detritre Pinterpénétration adventice des syndromes, on discerne que Papproche psychanalytique attiterait plutt Pattention sur les mécanismes communs. Lun dentre eux, le socle mélancolique de route psychose, mérite a Poccasion d’étre souligné. Quand les défenses d'un sujet psychotique s'effondrent, il court réguligre- ment le risque de percevoir son étre comme un objet d'abjection. Vérité derniére, selon Freud, que le mélancolique saisit avec plus d’acuité que @autres. Mais Freud ajoute : « la seule question que nous posions, c'est de savoir pourquoi Yon doit commencer par tomber malade pour avoir accés 4 une telle vérité »®. Le concept de forclusion du Nom-du-Pére apportera un élément de réponse en mettant en Evidence que, chez le sujet psychotique, le déchainement du signifiant ouvre 2 Pémergence d’objets réels. Ainsi, le cas Wagner révéle combien les limites de ces catégories psychiatriques Savérent incertaines : toute paranoia ninclut-elle pas des éléments mélancoliques ? Et la mélancolie mest-elle pas une interprétation paranoiaque de PAutre méchant ? S'il savére aujourd'hui gue les frontidres des trois grands syndromes psychotiques restent indéterminables, cela ne tient sans doute pas 4 l'insuffisance de nos instru- ments d’analyse, mais aux faits cliniques eux-mémes. Des Porigine de l'approche psychodynamique en psychiatric, Bleuler, Kretschmer et Lacan s'accordaient sur une conclusion gui reste toujours valable. La prendre au sérieux ne peut conduire qu’a dépasser la clinique psychiattique par la clinique psychanalytique : « il n'y a que des paranoiaques, il n'y a pas de paranoia »®. Jucques-Alain Miller ~~ Nous avons suivi avec grand intérét cette présentation du cas Wagner ainsi que ces linéaments de la clinique psychiatrique, avec ses écoles et ses conflits dinterprétations, Ex puis, il y a cove thése avancée par J.-Cl, Maleval concernant le fondement mélancolique de coute psychose, & partir de laquelle il propose de reconsidérer les rapports de fa paranoia et de la mélancolie. 46. Dans « Deu et mélancoie», Freud estime que les aucoreproches sont en fie des eproches contre un objec dammous {qa sone renversés de cele su le moi propre. Cf ausi Feud S., « Remarques psychanalysques sur autobiogra phie d'un cas de paranoia «, Ging prchanale, Pais, PUE, 1954, p. 299. 47 Soler C., « Perancia et mélancolie », Le sujee dans la pryehone, Nie, Ziedicions, 990, p- 39- 48. Freud 5. « Deutl et mélancolie », Mésapsebologe, Paris, Gallimard, 1968, p. 151 49, Kretschmer E., Peramoia et sensible, o. cit p. 268 8 Lacan J., Dela prychose paranotague.... ap cit p. 102 169 170 Jean-Claude Maleval Des prémices du délire aux meurtres Rodolphe Gerber — On trouve quelques extraits de Pautobiographie de Wagner dans le livre que Gaupp lui consacre. Le pére de Wagner est mort quand il avait deux ans. Sa mére lui aurait dit que Cétait trés bien ainsi, puisgu’il préférait boire de la biére plutér que de soccuper de ses vaches, précisément. Cing mois apres la mort du pre, elle sest mariée avec un autre cultivateur tout en écant enceinte d'un autre homme, et en ayant en méme temps un autre amant. La culpabilité qu'il exprimait & propos de sa sexualité ne pourrait-elle pas éxre en tien avec la sexualité débridée de sa mére ? Francesca Biagi-Chai — Wagner écrit : « ce qui a donné a ma vie entire son orien- ration profondément malheureuse, ce qui m’a fait perdre ma jeunesse, et ma fina- Jement enfoncé dans un cloaque plus profond encore, est que j'ai succombé & Ponanisme, Pavais exactement dix-huit ans. Je venais d’atteindre Page nubile, sil ese vrai que les premidzes pollutions signifient la maturité sexuelle ». Il semble céder & la masturbation parce que cest Page — peut-étre avec cette idée d’étre comme tout le monde, trés présente dans la psychose. Ne serait-ce pas un élément déclenchant, si Ton considére qu’il a pu faire la une rencontre inattendue, une mauvaise ren- contre avec une jouissance du corps ? Jacques-Alain Miller — Que divil sur la bestialité ? Jean-Claude Maleval — ‘Ties tres peu de chose : il refuse absolument d’en parler. Ce rest ailleurs pas lui qui évoque les vaches : quelqu’un rapporte avoir vu un jour avec des poils de vache sur lui, mais il n’a jamais rien dit B-dessus, & part ce terme de « bestialité ». Jacques-Alain Miller — C'est sodomie ou bestialité ? “Jean-Claude Maleval — Le terme allemand est die Sodomie, mais c'est un faux ami en francais, la traduction par bestialité me semble meilleure. Jacques-Alain Miller — Le mot « sodomite » sonne ici comme un faux ami de la tra- duction, La signification personnelle au sens classique semble émerger apres 'épi sode de la fornication animale. Ce peut étre un moment de déclenchement, mais celui-ci peut tout aussi bien étre antérieus, car on ignore ce qui est en jeu avec cette masturbation passionnée. Jean-Claude Maleval — Sans douce est-ce aussi dit la traduction, mais il y ala une ambiguité ; lui-méme se qualifie de « sodomite » en allemand. Frangois Sauvagnas — Le terme « sodomite » en allemand a un sens large. La légis- lation allemande était extrémement punitive & Pégard de tout ce qui était pas fa sexualité conjugale et hérérosexuelle. Jean-Claude Maleval — Vous parlez de déclenchement paranoiaque parce qu'il était persécuté, mais ce terme me surprend ici. Il y a la, me semble-til, un déclenche- ment de la psychose, avec les phénoménes de signification personnelle que vous évoquez. Mais s'interroger & Pinfini concernant fe diagnostic de paranoia, de schi- zophrénie ou de mélancolie me parait n'avoir que peu d'intérét, car Pimportant ‘Aux limites incertaines de la paranoia. Robert Gaupp et le cas Wagner pour la chnduite de la cure, ce ne sont pas les syndromes psychiatriques, c'est la dis- tinction névrose / psychose. Jacques-Alain Miller — Apres avoir tué ces quatorze personnes, il deviendra une star de la psychiatrie allemande. Mais le fond clinique de la chose, Popérarcur du délire — ou du moins Pélément incitateur au délire ~, Cest bien plutée la problématique onanisme et bestialite. C’est cela qui compte et qui le précipite dans un délire de douze ans. Tels sont les éléments cliniques dont nous disposons. Sa difficulté a Sorienter vers un choix d’objet qui convienne le fait vaguer entre onanisme et bes- tialité avant de rencontrer la fille de aubergiste. C’est cela qui le lance dans un déli- re de douze années, dont il sort au fond en tuant quatorze personnes. Hyak, me semble-til, deux types de meurtres & distinguer : méme si Wagner pense que sa faute a souillé le village et Fhumanité tout entire, le meurtre de sa famille ne pourraic-if pas étre rapproché de celui commis par Althusser ~ tandis que le meurtre des neuf autres personnes du village apparat plutét comme une tentati- ve de suppression des persécuteurs —? Jean-Claude Maleval — Dans le cas Althusser, je situe cela plutdt du céré du meurtre immotivé — il ne sait pas pourquoi il tue sa femme -, alors que Wagner les tue par pitié, pour quills ne souffrent pas, C'est vraiment un suicide altruiste, Jacques-Alain Miller -— Wy a aussi des éléments compassionnels chez Althusser. Jean-Claude Maleval — Peut-étre, En tout cas, pour Wagner, ces deux types de meurtres sont en effec trés différents : le meurcre de sa famille est un meurtre aleruis- te, quill effectue par compassion, par pitié, pour quiils ne souffrent pas. Jacques-Alain Miller — Ex sur lequel il ne revient pas du tout. Il estime que Cest une bonne action. Jean-Claude Maleval Tout & fait, ce nest pas du tout pour les mémes raisons qu'il tue les uns et les autres. Les habitants du village sont des persécuteurs, ot il se repent plus ou moins de ces meurtres, méme s'il ne s'en sent pas coupable. Jacques-Alain Miller — On comprend mal en effet comment ila pu étre considéré comme un paranoiaque typique avec un élément de douleur morale aussi impor- tant, qui envahit les douze années de son délire et qui persiste ensuite. Kretschmériens contre bleulériens Francois Sauvagnat-— Le cas Wagner est effectivement un cas charnidxe, En Europe aujourd'hui, Wagner n’aurait sans doute pas été interé en hépital psychiatrique, mais incarcéré, Il faut aussi considérer dans quel débat tout cela est pris. Grosso modo, Cest sous l'influence frangaise que la notion de paranoia, qui était longtemps restée un fourre-vout, commence & ressembler & quelque chose en Allemagne & par- tir des travaux de Cart Westphal et de August Mercklin, puis de la démonstration faite par Clemens Neisser en 1892 qu’il existe un phénoméne « cardinal » décermi- nant entitrement le délire de persécution, et surtout susceptible de stabilisation, Cette position, restreignant Pappellation de paranoia aux seuls délites de persécu- 171 72 Jean-Claude Maleval tion, est regrise au congrés des psychiatres allemands — c'est le fameux « rapport de Cramer » en 1895. Fidéle & sa position de compilateur, Kraepelin entérine cette position en 1899, et en donne sa version, processuelle. Jaspers publie sa Psychopathologie générale en 1913, et y soutient Pidée que, s'il y a délite, il ne sau- rait étre compréhensible. Gaupp oppose frontalement 2 lui : il tient & déduire le ddlire de Wagner ~ et spécifiquement sa « signification personnelle » —a partir d'un sentiment @humiliation (tel celui du héros de Michael Koblhaas de Heinrich von Kleist) propre & une personnalité particulitrement « sensitive », sur le modéle des réactions « catathymes » de Hans W. Maier. Entre-temps, la notion de paranoia, telle que Kraepelin avait présentée, a perdu du terrain en Allemagne : les psy- chiatres déclarent quiils « nen rencontrent plus », Au méme moment, Bleuler pro- pose de faire des tableaux paranoiaques des subsyndromes de Ja schizophrénie, Il va emporter le morceau en Allemagne. Pour sy opposes, Gaupp et, A sa suite, Kretschmer proposent de refonder la paranoia sur des bases non kraepeliniennes, en Sappuyant sur une série de syndromes présentant 2 la fois le « symptéme cardinal » de signification personnelle et divers types de « personnalité », de « caractére » sus- ceptibles de moduler sclon eux limpact de ce sympeéme cardinal (et donc de favo- riser le déclenchement ou des stabilisations), tout en lui donnant ua contenu « compréhensible » — contre Jaspers, qui s'en est d’ailleurs indigné, Lacan, alors kret- schmeérien, sopposera a Jaspers dans sa these sur ce point. Jean-Claude Maleval —Je ne suis pas du tout daccord. il y a une incompréhension fréquente de la thése de Lacan sur ce point. Francois Sauvagnat — Il faut repérer que, méme si cela peut préter & sourire, la para- noia disparatt en Allemagne & partir de 1913. A partir des travaux de Bleuler, la these classique en Allemagne, c'est quau fond Ja paranoia n'existe pas. Soit on est schizophréne — et, dés lors, il peut y avoir des délires paranoides -, soit on est « dégénéré », par exemple — et alors on n'est pas vraiment fou. Crest d'ailleurs toute Fimportance de Kretschmer, qui essaic de maintenir Pidée qu'il existe des fous qui ne sont pas schizophrénes. Jacques-Alain Miller — Vous dives qu’en Allemagne Ja vague bleulérienne avait emporté et que ce sont les Francais qui ont sauvé Kraepelin. .. Francois Sauvagnat — C'est Kretschmer, ce sont les kretschmériens. .. Jacques-Alain Miller — Les kxetschrnériens, mais aussi les Francais qui ont été kraepeliniens. Francois Sanvagnat — Les kretschmériens ont également eu une influence aux Etats-Unis : la conception de la personnalité paranoiaque qui vest maintenue aux Etats-Unis est purement kretschmérienne. En revanche, le delusional disorder duu DSH IV est proche de la paranoia kraepelinienne. Jacques-Alain Miller — Je ne voyais pas Kraepelin comme un prophéte méconnu dans son pays. Frangois Savagnat — Kraepelin était essentiellement un compilateur. Ses argu- ments étaient proches de ceux des promoteurs du DSM IV : proposer une position moyenne & partir de ensemble de la littérature. Sa construction concernant la para ‘Aux limites incertaines de lo paranoia. Robert Gaupp et le cas Wagner noia n'a ténu, localement, qu'une dizaine d/années. Il faut Cailleuts se rappeler que la Pyrchopathologie génénale de Jaspers érait une attaque frontale contre Kraepelin — qui, a Pépoque, n’était plus consensuel, Jacques-Alain Miller — Alors qu'il a trouvé sa place dans l’école frangaise. Francois Sawoagnat — Pour saver quelque chose de cette entité et de ce type de déli- re, Kretschmet utilise une astuce comparable a celle ¢ Otto Kernberg pour les Gor- derlines, Voulant maintenir extension de la psychanalyse, Kernberg démontre, contte la pessimiste Elizabeth Zevzel, que, malgré leur hétcrogénité, les sujets borderline représentent une entité unifiable, et quils sone traitables. De méme, Kretschmer avait constitué dans sa thése plusieurs séries, selon un schéma quadripartite. Lune de ces séties reptend certains éléments des « autopsychoses » de Carl Wetnicke, de la « milde Paranoia » [paranoia douce] de Friedmann, de la « paranoia abortive » de Gaupp : au liew de considérer & Finstar de Kraepelin que ces éléments sont périphériques 4 la question de la paranoia, Kretschmer pose, avec un certain culot, qu’ls sont centraux. Il faur done, selon lui, lier le délire de relation et les diverses composantes caracté- tielles, qui ont des potentialités de déclenchement et de stabilisation. Pour Kretschmer, tous ces sujets sont authentiquement paranoiaques et ne deviendront jamais schizophrénes. Souvenons-nous qu’a époque, en Allemagne, les vues pessi- mistes concernant le traitement des sujets psychotiques étaient en passe de gagner la partie ; le processus schizophrénique était va comme un « endormissement » par Carl Schneider, l'un des promoteurs de I'4limination des malades mentaux & Heidelberg, Jacques-Alain Miller — Vous voulez faire comprendre que Kretschmer et Gaupp militaient en quelque sorte pour la paranoia : Wagner, tout le monde en parle ; or la majorité de la psychiatrie allemande estime alors que la paranoia n’existe pas 5 mais si, lui justement, la star, cest un paranoiaque ; et il est rypique en plus. En effet, cela se comprend mieux ainsi. Frangois Sauvagnat — Oui. Ul Sagissait de faire exister la paranoia contre les opi- nions dominantes. Jacques-Alain Miller — Cela expliquerait pourquoi les kretschmériens ont dic « paranoia typique », car Cest vraiment tiré par les cheveux, Cest le moins qu'on puisse dire. Mais ils étaient en quelque sorte dans le marketing de fa paranoia et ont done rectuté Wagner dans les rangs de celle-ci, « Engager-vous, engagez-vous ! », quelque chose comme ga. Je ne sais pas si cest vrai, mais Cest tres amusant vu ainsi. Jean-Claude Maleval — En termes psychanalytiques, nous pensons avec le contenu du délire, tandis que Kraepelin pensait avec la forme du délire. Du point de vue de Ja forme, il n'y a pas de ralentissement psychomoteur, ce n’est donc pas une mélan- colie selon eux, Nous avons du mal 2 saisir cela, car nous n'avons pas du tout la méme approche : pour nous, la question de la faute est essentielle dans la mélanco- lie, mais pour eux ce n’était pas le cas. Jesuis accord avec F Sauvagnat concernant la revendication du modéle de la para- noia contre la schizophrénie, En revanche, on croit souvent que Lacan développe la thése de Jaspers par rapport aux relations de comprehension... 173 174 Jean-Claude Mateval Frangois Sénvagnat — Ce rest pas ce que j'ai voulu dire, Jean-Clande Maleval — Uappui que prend Lacan chez Jaspers, il ne le prend pas dans la Pychopathologie générale, mais dans un article sur le délire de jalousie : Jaspers y montre que le délire de jalousie est un développement compréhensible de fa personnalité, qui nest justement pas un processus psychique ni un processus organique. Concernant Aimée, sa thése est la méme que celle de Jaspers : Cest un développement comprehensible de la personnalité, ce n'est pas un processus, méme psychique. C’est pour cette raison qu'il n'y a pas de rupture dans les relations de compréhension pour Aimée et pour les délires de jalousie. Frangois Sauvagnat — Lintellectuel allemand de Pépoque congoit le débat intellec- tuel comme un duel. C'est la tradition de la Mensur, le duel au sabre, qui était de rigueur dans les universités jusqu’en 1945 : il suffit de soutenir une these pour que le voisin défende immédiavement le contraite. Encre 1913 et 1932, iy a toute une efflorescence de pour et de contre. C’est la tradition locale, Les dernitres éditions de Pouvrage de Jaspers font, si je me souviens bien, prés de 600 pages, et sont prati- quement illisibles, car il essaie d’apporter toutes sortes de justifications en donnant des arguments pour, des arguments contre, etc. Gaupp est clairement anti-jasper- sien, son article de 1942, Zur Lehre der Paranoia y insiste encore. Pout lui, Jaspers Seest trompé, Kraepelin aussi ; le délire paranoiaque est un vrai délire, il est com- prchensible ct, dans une certaine mesure, modifiable. Jacques-Alain Miller — Jaspers parle du cas Wagner ? Jean-Claude Maleval — Non. Jacques-Alain Miller — Apres a Seconde Guerre mondiale, on ne parle plus du cas ‘Wagner. Frangois Sauvagnat —~ On en parle jusqu’en 1950 environ, avec notamment un article de Werner Janzarik, Aprés, cela n’intéresse plus grand monde en Allemagne. La seule exception notable est la thse de Peter Berner en 1963. Il existait aupara- vant une tradition de « rapports sur Ia paranoia » : dimportantes compilations sur ce théme paraissaient rous les dix ans depuis 1895 ; & partic de 1950, on appelle cela « rapport sur le délire ». Jucques-Alain Miller — C'est une trouvaille de I’Ecole lacanienne de psychanalyse davoir publié en 1996 le dossier de Paffaire. Carole Dewambrechies-La Sagna — Wagner est tres modeme en ce sens que, comme Pa rappelé j.-Cl. Maleval, il annonce son passage & Pacte un certain temps auparavant dans ses écrits, expliquant qu'il va détruire son village et tuer sa famille. C'est trés contempo- rain : des sujets annoncent sur internet, par exemple, leurs fuurs passages & Pacte. Cest aussi sur ce type de cas quon l’on sinterroge aujourd'hui : aux Etats-Unis, ils vont directement en prison ; en France, ils vont plutéc dans les unités pour malades difficiles, En général, me semble-t-il, on les classe plutdt du cété de la schizophré- nie, quand on veut bien envisager la pathologie. Mais aux Etats-Unis, la question de la pathologie n’est pas posée et ils peuvent étre condamnés & la chaise électrique. Jusqu’a ces deritces années du moins, en France, ces patients sont platét hospita- Aux limites incertaines de la paranoia, Robert Gaupp et le cas Wagner lisés dans{des licux qui dépendent & la fois du ministére de la Santé et du ministére de PIntérieur. Jacques-Alain Miller — Vous évoques le traitement institutionnel, hospitalier du cas. Du point de vue clinique, comment voyez-vous cela? Carole Dewambrechies-La Sagna — Mon sentiment personnel irait plurét du coté de la schizophrénie, Il est soutenu par son passage & Pacte et il écrit une biographie. Tout cela va lui faire une vie, alors que celle-ci était exerémement désertée aupara- vane, Jacques-Alain Miller — C'éait pourcant un instituteur qui recevait les éloges de tout un chacun, On a méme évoqué dans son cas la folie partielle. Le soir, il écrit quill va détruite Phumanité ou que I’humanité est souillée, mais toute la journée, Cest un institureur modeéle. En tout cas, il semble parfaisement tenis, sans se désa- gréger a aucun moment. Jean-Claude Maleval — Absolument. Dire qu'il est schizophréne pose la question de ce qu’est la schizophrénie, Les définitions de la schizophrénie sont aussi trés variées. Bleuler a également soutenu ce point de vue, mais est-ce vraiment un point important ? Jacques-Alain Miller — C'est moi qui posais la question. Jean-Daniel Matet — On nove quand méme un postulat avoir, ses expli- cations sur sa culpabilité sexuelle et sur sa sexualité ~ qui va commander toute sa construction et ses actes. C'est l'un des points qui permet de parler de paranoia, plu- tt que de schizophrénie, puisqu’il ne semble pas y avoir la de phénomenes de corps. Faute, douleur morale et identification & l'objet déchet Jacques-Alain Miller — Si ce west que le cas est marqué par une intense douleur morale, qui n’est pas typique de la paranoia. Francesca Biagi-Chai — Cette douleur morale est peut-étre néosignifiée, Quel est ailleurs laffect attaché au signifiant ? C’est nous qui disons « douleur morale », ce ne sont pas ses termes. Jean-Claude Maleval -— I dit qu’il souffre terriblement. Jacques-Alain Miller —1 dit quiil a commis une faute et qu'il souffre : je nai pas Pimpression qu'on exagére en parlant de douleur morale. Francesca Biagi-Chai — Mais de quoi s Jean-Claude Maleval {De se fauté, qu ied > Jacques-Alain Miller — Cet une faute sexuclic. Apparemment, il vit dans une dou- leur morale constante. Jean-Claude Maleval — se maudit, s'accuse de ses déreglements, il est dégotiré de la vie avec une tendance suicidaire. Jacques-Alain Miller — Lacte et la préparation de Pacte font plutdt penser & la para- | noia, mais l'auto-accusation permanente et ~ semble-v-il la souffrance et le senti- ment de la faute, plutét & la mélancolie. 175 176 ‘Jean-Claude Maleval Francesca Biagi-Chai — Dans son délire, 8 un moment donné, le monde se divise en deux : il est identifié au Christ, qu'il va ensuite opposer au diable. Le monde pour lui se partage en deux & partir du moment oit il déclenche la psychose, quand il plonge, divil, « dans le cloaque » & la suite de la masturbation. Jacques-Alain Miller — Ce sont les themes dun délire qui évolue sur douze ans. Francesca Biagi-Chai — Wagner dit quil met du temps & tuer parce que cela lui patait intellectuellement répréhensible. Mais « intellectuellement répréhensible » ne veut pas dire « douleur morale »... Jacques-Alain Miller — Non, cest 4 un autte niveau. Il y a d'une part, les élabora- tions du délire, ec d’autre part, un sentiment de la faute et des autoreproches constants. La transgression sexuelle constitue quasiment le phénoméne élémentaire de Paffaire. Puis elle est suivie de la construction d’un savoir délirant dont le gexme est ce phénomene élémentaire de jouissance transgressive. Du point de vue du pas- sage & Lacte, on pense plus difficilement 4 la mélancolie. C'est un cas & double entrée en quelque sorte. Mais Pélément de soufftance me parait difficilement niable. Jean-Claude Maleval — On peut méme dire que Pobjet a, cest & la fois lui et ses persécuteurs. Jacques-Alain Miller — objet a... ? Jean-Claude Maleval — tl est déchet, il est identifié & Pobjet déchet, mais ses per- sécureurs incament aussi objet. I] y a, selon moi, un fondement meélancolique & Peeuvre dans toute psychose. La paranoia pure — par exemple, un délire de jalousie qui masque Pidentification au déchet — est bien stir possible. Mais lorsque les défenses du sujet chutent, il y a toujours un risque de mélancolie, bien que cela ne soit pas toujours apparent et que, dans certains cas, cela soit bien compensé par le délire. Jacques-Alain Miller — Merci 2 J.-Cl. Maleval de sétre prété & cette discussion tres animée.

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