Vous êtes sur la page 1sur 39

ISTORIA LITERATURII FRANCEZE

LITERATURA FRANCEZĂ A SECOLULUI al XIX-lea

Tip de curs – obligatoriu.

Durata cursului: semestrul 3 (anul II, semestrul I).

Perioada de accesare: 14 prelegeri.

Manualul recomandat: Liana Rodica Repeţeanu, La littérature française du XIXe siècle par
les textes, Editura Fundaţiei „România de Mâine”, Bucureşti, 2004.

Obiectivul principal al cursului:


La présentation de la dynamique des doctrines littéraires du XIXe siècle et du rôle des
personnalités artistiques dans l’évolution de la littérature (moderne) du XIXe siècle.

Modul de stabilire a notei finale: examen semestrial

Titularii cursului: Andreea LUPU, Cătălin SIMION


Str. I. Ghica 13, Bucureşti. Telefon: 314.00.76.

Consultaţii pentru studenţi:

Conţinutul tematic al cursului:

I. Romantisme, première révolution littéraire moderne. Les grandes voix de la poésie romantique:
Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Vigny, Alfred de Musset. La prose romantique: le
roman personnel (François René de Chateaubriand, Benjamin Constant, Alfred de Musset) ; le roman
historique (A. de Vigny, H. de Balzac, Prosper Mérimée, V. Hugo).

II. Le Réalisme et la création du roman moderne. La poétique du roman moderne, basée sur le
concept de la mimésis. Honoré de Balzac et "le roman absolu". La poétique balzacienne. Unité et
structure de La Comédie humaine. Eléments spécifiques du discours narratif balzacien. Le narrateur
omniscient. L'historicité et la socialité de l'individu. Personnages reparaissant. Stendhal et le réalisme
psychologique. L'égotisme, forme particulière de la recherche de soi. La quête du bonheur dans les
romans de Stendhal. La perspective du personnage ("le point de vue") et "les intrusions d'auteur".
Gustave Flaubert, une nouvelle forme romanesque (l'inauthentique et les vies manquées) et une
nouvelle structure narrative. La poétique flaubertienne. Le culte du Beau et "la quête héroïque de la
Forme". Les "affres du style". Prosper Mérimée, principal représentant de la nouvelle dans la première
moitié du XIXe siècle.

III. Le Naturalisme, doctrine littéraire et pratique romanesque.


Précurseurs: les frères Goncourt. Emile Zola, théoricien du naturalisme et auteur du cycle romanesque
Les Rougon-Macquart. Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire. Le talent
épique et la haute poésie des descriptions. Guy de Maupassant, aux confins du réalisme et du
naturalisme. Romancier et le plus grand nouvelliste de la seconde moitié du XIXe siècle.

IV. Le poète Charles Baudelaire et le concept de la modernité.


La poétique mystique et symbolique de Baudelaire. L'ambivalence de la Beauté (divine et satanique)
et la double postulation de son être. Thèmes majeurs et architecture du cycle poétique Les Fleurs du
mal. La magie suggestive de son langage poétique.

Bibliografie obligatorie

1
Repeţeanu, Liana-Rodica, La Littérature française du XIXe siècle par les textes,
Bucureşti; Editura Fundaţiei România de Mâine, 2004.
x x x - Histoire de la littérature française (coord. A.Ion), T.U.B.,1981, vol.III sau
E.D.P., vol.II.
François René de Chateaubriand: René.
Benjamin Constant: Adolphe.
A. de Lamartine: Méditations poétiques (Le Lac, L’Isolement,
L’Automne). Réponse à Némésis.
Victor Hugo: Les Chants du crépuscule (Dicté après 1830); Les
Rayons et les Ombres (Fonction du poète; Tristesse d’Olympio); Châtiments
(Souvenirs de la nuit du 4; L’Expiation); Les Contemplations (Demain, dès
l’aube, écrit en 1846); La Légende des siècles (Le Mariage de Roland);
Notre-Dame de Paris; Les Misérables.
Alfred de Vigny: Poèmes antiques et modernes (Moïse); Les
Destinées (La Mort du loup, La Bouteille à la mer).
Alfred de Musset: Les Nuits. Souvenir. La Confession d’un enfant du
siècle (fragm.).
Honoré de Balzac: (3 romans au choix) Le Père Goriot; Eugénie
Grandet, Illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes; La Peau
du chagrin; La Recherche de l’Absolu.
Stendhal: Le Rouge et le Noir; La Chartreuse de Parme.
Gustave Flaubert: Madame Bovary; L’Education sentimentale.
Prosper Mérimée: Chronique du règne de Charles IX; (2 nouvelles au
choix) Tamango, Colomba, Carmen; La Vénus d’Ille.
Charles Baudelaire: Les Fleurs du mal (Correspondances; Hymne à
la Beauté; Parfum exotique: Harmonie du soir; Invitation au voyage;
Recueillement; Spleen (Quand le ciel bas et lourd…); Journaux intimes:
Fusées X.
Emile Zola: (2 romans au choix) L’Assommoir; La Curée; Germinal;
Au Bonheur des Dames; L’oeuvre.
Guy de Maupassant: Une Vie ou Bel-Ami; (3 nouvelles au choix)
Boule de suif; Le Père Milon; La Ficelle; Toine; En Famille; Le Horla.

Bibliografie facultativă

x x x - Dicţionar de scriitori francezi (coord. A.Ion), Editura Ştiinţifică şi


Enciclopedică, 1978.
Castex, P.-G., Surer, P., Manuel des études littéraires françaises. XIXe siècle,
Paris, Hachette.

Biblioteci care pot conţine volumele cerute în bibliografie: Biblioteca Universităţii „Spiru
Haret” (sediul central), Biblioteca Centrală Universitară, Biblioteca Centrală de Stat, Institutul
Francez Bucureşti.

Adrese de internet utile: www.spiruharet.ro, www.culture-france.ro, www.bcu.ro,


www.bibnat.ro, www.bib.umontreal.ca, www.paris-bibliotheques.org, www.bibliotheques.uqam.ca.

I. LE ROMANTISME, PREMIERE RÉVOLUTION LITTÉRAIRE


MODERNE

2
Le Romantisme, premier grand chapitre de l'histoire littéraire du XIXe siècle, est à la
fois une remise en question de la doctrine classique et l'affirmation de nouvelles valeurs
spirituelles. L'esprit romantique naît sous le signe d'un changement profond dans la
représentation que l'homme se fait de lui-même et de ses rapports avec le monde, ce qui
engendre une nouvelle conception sur l'individu, la société et l'histoire, mais aussi une
manière originale de sentir, de vivre et de s'exprimer.
Le Romantisme apparaît à la fois comme rupture et continuité dans le domaine de la
pensée, de la littérature et des beaux-arts. En ce sens, on doit placer le romantisme français
dans le contexte d'un romantisme européen (en particulier anglais et allemand), sans oublier
les éléments préromantiques de la littérature française du XVIIIe siècle. En France, les
bouleversements socio - politiques de l'époque (la Révolution de 1789, l'Empire napoléonien,
la Révolution de 1830) ont aussi agi sur la pensée philosophique, artistique et littéraire. Le
Romantisme a représenté un renouvellement des principes, du contenu et des formes
littéraires, ainsi qu'une nouvelle conception sur l'homme, la société et l'histoire, une attitude
morale et philosophique, basée sur la liberté sur tous les plans. L'idée du devenir et du progrès
constitue une dominante de la pensée des romantiques, qui veulent prendre part à l'évolution
de la société. Mais ils sont en désaccord avec la société et ce malaise spirituel est connu sous
le nom de "mal du siècle". Ils préfèrent s'isoler et chercher un refuge dans leurs sentiments les
plus intimes, dans la nature consolatrice, dans l'aspiration vers la mort et le néant. D'autres
éprouvent le désir d'intervenir, par la littérature, dans l'évolution de la société contemporaine,
transformant leur mécontentement en une révolte, en une attitude active, sous l'influence de la
révolution de 1830. Cette responsabilité humanitaire constitue l'un des héritages les plus
chers laissés à la postérité.
La complexité des phénomènes littéraires au XIXe siècle rend difficile toute
classification. On parle de 2 périodes dans l'histoire du Romantisme français, ayant des
caractères distincts:
La Ière période (1800 - 1830) est dominée surtout par des preoccupations théoriques et
les débats dans les groupes et les cénacles romantiques, où se préparait l'élaboration d'une
doctrine. Mme de Staël a le mérite d'avoir élaboré les principes de la littérature romantique,
dans les ouvrages De la littérature (1800) et De l'Allemagne (1810), où elle souligne la
perfectibilité de l'esprit humain; la relativité du goût; la différence entre la littérature du Nord
et la littérature du Midi. Le "romantisme" désigne une littérature moderne, issue de l'âme
moderne. D'autres écrits théoriques sur le Romantisme sont Racine et Shakespeare, par
Stendhal et la Préface du drame Cromwell (1827), par V. Hugo. La seconde période du
Romantisme (1830 - 1850) est dominée par les grands chefs-d'oeuvre de la literature
romantique: après 1830, il n'y a plus d'école, il y a de grands créateurs.
LA POÉSIE ROMANTIQUE
On connaît l'intérêt des romantiques pour l'introspection, l'étalage des sentiments
intimes, la méditation, etc., c'est pourquoi la poésie lyrique est le genre essentiel à cette
époque-là. La poésie romantique est placée sous le signe de la modernité, c'est la première
tentative de transformer dans un discours moderne le problème des rapports entre l'homme et
l'univers, celui des profondeurs du Moi.
Les grandes voix de la poésie romantiques ont été Lamartine, Hugo, Vigny, Musset et
Nerval. La publication des Méditations poétiques (1820) de Lamartine est l'une des grandes
dates de la littérature française du XIXe siècle. Ce recueil a eu un succès éclatant, car les
lecteurs attendaient la transposition en vers des tendances profondes du romantisme:
subjectivité, étalage du Moi, sensibilité extrême, sentimentalité, communion avec la nature
aspiration vers l'infini. Lamartine a su insuffler à la poésie lyrique l'émotion sincère d'une âme
qui dévoilait ses sentiments les plus délicats, l'expression d'un état d'âme. Sa poésie cessait

3
d'être seulement un jeu de l'intelligence et de l'imagination, elle devenait sentiment et
émotion. Ses élégies - L'Isolement, Le Lac, Le Vallon, Le Soir, L'Automne - reflètent la
confession d'un Moi, qui raconte ses sentiments et ses tristesses, une mélodie intérieure,
rêveuse et mélancolique, un "cri de l'âme", un chant intime, qui résonnait dans le coeur de ses
contemporains. La nature devient un état d'âme, un élément consolateur, lié à la sensibilité,
aux joies et au souffrances du poète. L'évocation d'un site, conçu comme un "paysage
intérieur", amène une méditation sur les problèmes humains, d'ordre général - l'amour, la
solitude, la fuite implacable du temps, la mort. Chez lui, l'amour est un sentiment purifié, qui
ennoblit les êtres et les fait s'élever vers l'idéal, dans une communion avec l'univers. La
femme, plutôt adorée qu'aimée, est le symbole de l'éternel féminin. Le Lac, la plus célèbre
élégie inspirée par l'amour, est marquée par l'absence de la femme aimée et par le
pressentiment de sa mort prochaine. C'est une méditation sur la fuite inexorable du temps, sur
la brièveté de la vie, par rapport à l'éternité de la nature, seule capable de garder le souvenir de
notre félicité passée. Le poème dévoile l'échange mystique entre l'homme et la nature qui,
seule, peut immortaliser le souvenir d'un grand amour. La cadence des vers naît l'impression
d'une mélodie suave et enchanteresse. Le poète écrivait en 1823: "Classique pour l'expression,
romantique dans la pensée, à mon avis, c'est ce qu'il faut être". Ses Recueillements poétiques
(1839) marquent la nouvelle orientation de sa pensée et de sa poésie, sa foi au progrès, sa
confiance dans un avenir meilleur, sa pitié pour les souffrances humaines (A M.Félix
Guillemardet; La Marseillaise de la paix). Le poème La Vigne et la Maison, chef-d'œuvre
lyrique, est un émouvant témoignage de sa vie et de sa création. Lamartine a le mérite d'avoir
représenté la première manifestation poétique d'une nouvelle subjectivité: la poésie lyrique
devient une confession personnelle, l'épanchement d'une affectivité et la recherche des
profondeurs du Moi.
En baptisant leur lieutenant "le Père de la Pensée", les soldats du jeune comte Alfred
de Vigny inventaient un surnom, qui allait illustrer sa vie tout entière. Il rêvait d'une œuvre
idéale, qui unirait les aspirations du poète à celles du philosophe, traduisant son expérience
intérieure sous une forme symbolique. "J'ai dit ce que je sais et ce que j'ai souffert", notait-il
dans le Journal d'un poète, peu avant sa mort. En effet, Vigny a subi, tour à tour, les
humiliations du gentilhomme déclassée, celles d'une carrière militaire ratée il a connu la
tristesse du poète incompris et de l'amant trompé, ainsi que le tourment spirituel. Rudement
meurtri, Vigny va surmonter ces épreuves, en mettant son Art au service de l'Idée et de
l'Esprit pur, seule voie de salut de l'être humain. Son nom est lié à un genre de poésie
réfléchie, grave et profonde, qui le distingue des autres poètes romantiques. Dans le recueil
Poèmes antiques et modernes (1826), il se fait l'écho de certains thèmes romantiques; entre
autres, celui de l'homme de génie incompris et mal aimé (Moïse). Un long silence succède à
l'effervescence créatrice de cette période: durement éprouvé sur le plan familial et
sentimental, il multiplia les séjours dans son domaine de Charentes. Il va léguer à la postérité
ses profondes méditations, par l'intermédiaire du Journal d'un poète et de ses poèmes
philosophiques, réunis dans le recueil posthume Les Destinées (11 poèmes, conçus entre
1837-1857). Ce recueil marque l'approfondissement de sa pensée, l'analyse lucide d'une
expérience humaine et littéraire, la recherche d'un équilibre et d'une sagesse. Vigny y conçoit
un système philosophique, dont l'évolution a connu certaines étapes de grand intérêt. Dans
tous ses poèmes Vigny se réclame du même credo humaniste qu'il va exprimer plus tard, dans
La Maison du Berger: "J'aime la majesté des souffrances humaines". Le poète s'interroge sur
les problèmes de la condition humaine, sur la vie et sur la mort, sur la nature, sur l'amour, sur
le rôle du poète, etc. On peut y déceler la philosophie du poète, qui évolue sans cesse,
représentant une méditation sur les graves problèmes de l'humanité. La première étape de sa
pensée philosophique est le pessimisme, illustré par les poèmes Le Mont des Oliviers, La
Colère de Samson et par La Mort du loup, qui, pour sauver sa famille, se fait tuer en silence.

4
C'est une leçon de stoïcisme et de dignité, devant les malheurs de la vie, et surtout devant la
mort. Fidèle à son aveu: "J'aime l'humanité, j'ai pitié d'elle", le poète ne cesse de travailler
pour son avenir. C'est pourquoi il va dépasser l'étape pessimiste, pour aboutir à la sérénité
(1842-1845) illustrée par les poèmes La Flûte et La Sauvage.
Sa démarche philosophique parvient finalement à une étape supérieure, l'optimisme
(1847 - 1863), mettant sa méditation au service de l'humanité. L'humanisme de Vigny édifie
une sagesse individuelle, présente dans l'allégorie La Bouteille à la mer, qui dévoile le virage
optimiste de sa pensée. Vigny est convaincu que "le vrai Dieu, le Dieu fort, est le Dieu des
Idées" et que "la dignité de l'homme moderne est dans la pensée". Le poème L' Esprit pur
apparaît ainsi comme le testament spirituel du poète, selon lequel c'est au savant et au penseur
de préparer l'avenir de l'humanité. Dans La Maison du Berger, il exalte des valeurs positives,
surtout un esprit d'Humanité, fait du culte de la Raison, de la Poésie et de la Femme". Vigny y
précise le rôle du poète dans la société moderne, faisant du vers "J'aime la majesté des
souffrances humaines" sa devise même: "Ce vers est le sens de tous mes poèmes
philosophiques. L'esprit d'humanité. L'amour entier de l'humanité et de l'amélioration de ses
destinées" (Journal, 1844). Vigny exprime sa pensée avec vigueur et précision, Il sait
transformer la souffrance en dignité et le silence en poésie. Il illustre sa pensée par des
symboles éternels, car, selon lui, "tous les grands problèmes de l'humanité peuvent être
discutés dans la forme des vers"(Journal, 1843). Alfred de Vigny demeure avant tout "le
Penseur essentiellement humain". En plaidant pour le culte de l'Esprit, le poète se montre
moralement vainqueur de sa destinée.
Poète, dramaturge, romancier, Victor Hugo représente, au XIXe siècle, l'incarnation la
plus illustre du génie universel. Personnalité puissante, passionnée et active, tempérament
excessif, Hugo a dominé tout le siècle. Tout jeune il s'est imposé comme le chef de l'école
romantique. Le Cénacle (1827, tenu dans sa maison) préparait une révolution artistique (v. "la
bataille d' Hernani" (1830). Hugo est le poète par excellence, qui a médité, dans ses poésies
lyriques, épiques et satyriques, aux problèmes de la destinée humaine, de l'histoire et de
l'univers. Il y a une grande distance entre l'auteur des premiers recueils et celui des poèmes de
maturité, qui révèlent un esprit interrogatif et inquiet, "le génie sans frontières", selon
Baudelaire. Sensibilité, imagination, don d'observation, rêverie, curiosité méditative et génie
visionnaire, excellente maîtrise du langage poétique, vitalité et longévité, - le tout porté à
l'échelle du "prodige" et de la "démesure" -, tout cela a fait de son oeuvre poétique
l'expression parfaite de l'art romantique en France. Son écriture fonctionne comme réceptacle,
miroir réfléchissant et instrument d'une élévation thématique et formelle, concrète et
réflexive, individuelle et collective.
Dans ses recueils de jeunesse Odes et Ballades (1828) et Les Orientales (1829),
l'intérêt réside moins dans leur thématique, que dans leur souffle lyrique authentique.. Il
donne libre cours à sa fantaisie typiquement romantique, éprise de légendes des temps
anciens. Le poète se sent investi d'une haute mission : "Il doit marcher devant les peuples,
comme une lumière et leur montrer le chemin". Dans les années 1830 - 1840, considérées "la
période moyenne" de sa création, Hugo publie "la tétrade lyrique" (les 4 livres - frères) - Les
Feuilles d'automne (1831), Les Chants du crépuscule (1835), Les Voix intérieures (1837), Les
Rayons et les Ombres (1840) -, qui révèlent un renouvellement et un enrichissement constants
de son inspiration et de son lyrisme. Les Feuilles d'automne approfondissent la poésie du Moi,
en la projetant sur une verticale du regard, du souvenir-histoire et des visions cosmiques. Les
poèmes Ce qu'on entend sur la montagne, La Pente de la rêverie et Pan renferment des
interrogations sur les énigmes de la vie et de la conscience humaine. Les Chants du
crépuscule combinent, à partir de l'ambiguïté du titre (crépuscule du matin / crépuscule du
soir), tous les contraires possibles, - "le jour et la nuit", "le Oui ou le Non" (Préface), "l'espoir
et le doute", "le passé et l'avenir", et rend une vision aux connotations politiques et sociales

5
marquées (cf. Dicté après 1830; A la Colonne). Dans Les Voix intérieures, les trois voix qui
se font entendre dans l'âme du poète sont la voix de l'homme, la voix de la nature et la voix
des événements, visant à en dégager un "sage enseignement". Le dernier recueil, Les Rayons
et les Ombres, achève et accomplit "la seconde période de la pensée de l'auteur" (cf. Préface),
sous un horizon "plus élargi", "un ciel plus bleu", "un calme plus profond". La Préface du
recueil condense l'expérience majeure de la tétrade : "Tout se tient, tout est complet". Le
poème Fonction du poète y est un plaidoyer pour le poète, qui participe aux lutes de la cité.
Homme, nature, société; passion, action, rêverie; savoir, penser, rêver, y figurent parmi les
thèmes qui font de la poésie de Hugo une illustration de la totalité universelle. L'horizon
élargi de ce recueil reflète le triple clavier du politique, du métaphysique et de l'esthétique. Le
recueil reprend aussi les thèmes de son lyrisme: l'amour, comme instant privilégié de la vie
humaine (Tristesse d'Olympio), la nature en accord avec les sentiments humains (Océano
Nox). Tristesse d'Olympio contient les thèmes romantiques de la poésie lyrique: la
communion avec la Nature; l'amour; la fuite inexorable du temps; la méditation sur la destinée
humaine. Par la mémoire affective, le poète vise à établir une continuité entre le passé, le
présent et l'avenir, et à confier à la Nature éternelle le souvenir du bonheur de l'amour.
Epoque des chefs-d'oeuvre poétiques. Treize ans vont s'écouler jusqu'à la parution
d'un nouveau volume de vers. Deux expériences majeures, - le deuil (la mort de sa fille
Léopoldine, en 1843) et l'exil (1851-1870) - orientent la meditation du poète sur les grands
problèmes de la destinée humaine, élevant sa création aux plus hauts sommets. Ennemi de
Napoléon III, Hugo est l'Exil, la Patrie, la Liberté, la Justice. C'est le Prophète, le Guide qui
annonce les temps meilleurs. L'itinéraire politique de Hugo connaît, sous le coup de 1848 et
de 1851, une orientation définitive vers la gauche, vers les idées libérales et républicaines.
Après le coup d'Etat du 2 déc. 1851, il part pour l'exil et ne rentrera en France qu'à la chute du
Second Empire (1870). Le témoignage de cette époque ardente, de cette experience de la
colère et de la lutte, c'est d'abord le pamphlet Napoléon le Petit (1852), dont l'énorme succès
élevait Hugo à la hauteur historique de son adversaire et le confirmait dans la mission de
poète-guide, défenseur de la Justice. En 1853 paraît le recueil de vers satiriques Châtiments,
véritable "art poétique de la colère" (cf. Jean Gaudon): par le crime contre Napoléon Ier,
ajouté au crime de la République, Hugo dénonce l'usurpation du faux empereur (Louis
Napoléon). Le poète y a voulu donner une structure interne cohérente, correspondant à une
vision d'ensemble, par les 2 poèmes: Nox (au début), exprimant la nuit du coup d'Etat et Lux
(à la fin), symbole de l'avenir républicain. Les six premiers livres reprennent ironiquement les
formulas officielles, par lesquelles Napoléon III voulait légitimer le coup d'Etat: La Société
est sauvée/ L'Ordre est rétabli / La Famille est restaurée / La Religion est glorifiée/ L'Autorité
est sacrée/ La Stabilité est assumée. Le septième livre contient une conclusion suggérée par le
titre même: Les Sauveurs se sauveront. A souligner l'extrême variété des vers et la richesse du
vocabulaire, de l'invective et de la polémique, aux accents touchants de pitié pour les pauvres
(Souvenir de la nuit du 4). Le recueil est basé sur une immense antithèse historique: d'une
part, la figure légendaire de Napoléon Ier , d'autre part, sa caricature sans gloire, Napoléon III
(cf. L'Expiation). La perspective d'un avenir lumineux en contraste avec le present sombre, le
sentiment d'être responsable pour l'avènement de cet avenir, rehaussent la satire et l'épopée,
au niveau d' un messianisme généreux. Le poète a la certitude d'être du côté de la lumière, de
la justice et de la liberté. A remarquer aussi l'extrême richesse de ses moyens artistiques,
depuis la chanson populaire, l'élégie, la diatribe, jusqu'à la fresque historique. "C'est avec les
Châtiments que naît ce plus grand poète: le Victor Hugo de l'exil"(Albouy).
En 1856 Hugo fait paraître, à Bruxelles et à Paris Les Contemplations, son second
chef-d'oeuvre, où il atteint l'apogée de son lyrisme. La longue méditation du poète sur la
destinée humaine y parvient à l'expression la plus profonde et la plus complète. Recherche du
sens de l'existence, le recueil évoque et opère une double progression: celle qui ouvre le Moi à

6
maintes expériences, de valeur croissante: la jeunesse, l'amour, les luttes, les rêves, le deuil,
l'exil, la contemplation. Véritable "miroir de l'âme" (Préface), cet ample chef-d'oeuvre de la
poésie lyrique (11.000 vers) retrace son itinéraire psychologique et moral, durant 25 ans. Dans
ses "mémoires d'une âme", il a mis " toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les
réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience.. C'est
l'existence humaine sortant de l'énigme du berceau et aboutissant à l'énigme du cercueil.. Une
destinée est écrite là, jour à jour" (Préface). C'est une âme qui se raconte dans ces 2 volumes:
Autrefois (1830-1843) et Aujourd'hui (1843-1855). “Un abîme les sépare: le tombeau"
(Préface). Autrefois contient 3 livres: I. Aurore (évocations de jeunesse); II. L'Ame en fleur
(premiers frissons de l'amour); III. Les luttes et les rêves (la misère, la pitié). Aujourd'hui
contient à son tour 3 livres: IV. Pauca meae (le deuil); V. En marche (la politique, la
solitude); VI. Au bord de l'infini (le message philosophique). Les Contemplations forment un
tout indissociable, mais pouvant se lire sur plusieurs plans: a) sur le plan extérieur, comme un
recueil de souvenirs personnels de l'écrivain discuté (Réponse à un acte d'accusation), de
l'homme raillé (Ecrit en 1846), du proscrit, de l'amant (Lise), du
père cruellement éprouvé (A Villequier; Demain, dès l'aube, Veni, vidi, vixi), du
penseur (Ce que dit la Bouche d'Ombre). La démarche contemplative approfondit
la vision, visant à dépasser le niveau de la sensation, pour aboutir à la méditation
philosophique; b) sur le plan largement humain, comme tentative de suggérer à
travers les événements de l'existence, le sens de la condition humaine; c) sur un
plan plus bouleversant, comme un admirable poème de l'Amour et de la Mort.
Selon Baudelaire la création hugolienne a acquis "un caractère méditatif et
interrogatif". Hugo lui apparaît comme "la Statue de la Méditation qui marche". Il
considère que Hugo est le mieux doué pour exprimer, par la poésie, le mystère de
la vie: "Génie sans frontières", Hugo possède "la curiosité d'un OEdipe obsédé par
d'innombrables Sphinx" (cf. L'Ame romantique, 1865).
Somme de la poésie épique, La Légende des siècles (1859; 1877; 1883)
offre, après Les Contemplations, un éloignement de Moi individuel, en même
temps qu' une vue d 'ensemble de l'histoire humaine.. Pour le poète, raconter l'histoire de
l'humanité devient sa propre manière de l'exprimer, illustrant les légendes de l'Antiquité
(la Grèce, Rome), La mythologie biblique (Le Sacre de la Femme; Dieu; La Fin de
Satan), les civilisations anciennes, le Moyen Age (Le Mariage de Roland) et le XVIe
siècle (Le Satyre), ainsi que le temps présent (Le Cimetière d'Eylau). "Cette épopée a
pour héros L' HOMME et une pensée commune, LE PROGRÈS", affirme-t-il dans la
Préface, en précisant qu'il voulait illustrer "les étapes de la civilisation humaine, depuis
Eve, mère des homes, jusqu'à la Révolution, mère des peuples"..Le poète exprime sa foi
au progrès, à l'avènement de la Justice et de la Lumière. Le recueil possède une grandeur
monumentale, qui assure son unité et qui est celle de l'épopée. Baudelaire soulignait la
portée légendaire et mythique de cette "l'épopée moderne".
La qualité de la poésie hugolienne est due, à la fois, à l'extrême richesse
d'images (à "l'imagination des yeux") et à la grande virtuosité technique de son
créateur. Chaque spectacle, chaque vision semble trouver spontanément, chez lui,
sa forme idéale d'expression, à travers les images, tout d'abord. Il utilise toutes les
ressources de l'imagerie poétique (comparaisons somptueuses, métaphores
saisissantes etc.). Son génie inventif osa tout remodeler dans le domaine des formes
poétiques. Selon Baudelaire, "Hugo possède non seulement la grandeur, mais
l'universalité".
Alfred de Musset, cet enfant terrible du Romantisme, qui, à 18 ans, fait figure de
dandy, au
Cénacle de Hugo, est à la fois marqué par une sensibilité de névrosé et atteint par

7
"le mal du siècle", éprouvant un besoin constant d'amour et de tendresse. Sa dualité
permanente anime en lui un dialogue de ses deux moitiés de lui-même: l'âme
tendre et débauchée, le sage et le fou, le rêveur et le libertin contestataire, le lyrique
romantique et le classique retrouvé. Sa double nature va d'ailleurs se retrouver au
niveau de sa création (poésie, théâtre), illustrant une permanente quête d'identité.
Les contradictions qui coexistent dans son Moi intérieur sont complémentaires à
l'inadaptation à son siècle. Son roman autobiographique La Confession d'un enfant
du siècle est un témoignage intéressant sur cette jeune génération atteinte par "le
mal du siècle", dont il fait lui-même partie.
Soucieux de garder son indépendance, il affirme parfois un romantisme tapageur –
dans les Contes d'Espagne et d'Italie (1830)-, par l'excès de couleur locale et de virtuosité
spirituelle, qui tourne souvent à la parodie (v. le fameux "point sur i" de Balade à la lune).
Le poète oppose à la thématique humanitaire des romantiques le tourment de son
coeur,
déchiré entre la nostalgie de la pureté (La Coupe et les Lèvres, 1830) et la séduction
cynique du mal (Rolla). Mais le grand acquis de cette période consiste dans le sacre du
coeur, en tant qu' instance souveraine de la poésie. La vraie passion va frayer le
chemin de la connaissance intime, en même temps que la voie maîtresse de la poésie
lyrique. En ce sens; le cycle poétique Les Nuits (inspiré par la liaison orageuse avec
George Sand) révèle, au-delà de cet épisode de sa vie sentimentale, une réflexion sur la
poésie et sur son caractère essentiellement intime. En fait, ce cycle ne retrace pas la petite
histoire d'une grande blessure d'amour, mais le chemin initiatique de la décantation de
l'enfer passionnel. Au cycle des quatre Nuits –La Nuit de Mai (1835), La Nuit de
Décembre (1835), La Nuit d'Août (1836) et La Nuit d'Octobre (1837)– s'ajoutent la Lettre
à M. de Lamartine (1836) et Souvenir (1841), qui, par leur caractère, se rattachent au
lyrisme personnel. On retrouve dans Les Nuits une évolution harmonieuse des sentiments
du poète, qui irait du désespoir de la douleur (La Nuit de Mai) , à l'obsession de son
double (La Nuit de Décembre), jusqu'à l'apaisement de La Nuit d'Octobre et à la tendre
évocation du temps définitivement révolu (Souvenir). Le dialogue entre le Poète et la
Muse, qui se poursuit dans trois poèmes, exprime la courbe des sentiments. Dans La Nuit
de Mai, la Muse exhorte le Poète à écrire et lui suggère que seule la douleur peut
engendrer le génie poétique, en affirmant: "Les plus désespérés sont les chants les
plus beaux". Mais cela ne semble pas convaincre le poète meurtri par la douleur
(v. l'allégorie du pélican). Dans La Nuit de Décembre, le poète revoit, auprès de
lui, un spectre vêtu de noir, qui lui ressemble comme un frère: ce double est la
Solitude, qui le suivra jusqu'à la mort. Dans La Nuit d'Août, le Poète se trouve
enfermé entre la vie et la poésie, mais il choisit la vie, car "Il faut aimer sans cesse
après avoir aimé…" Enfin, La Nuit d'Octobre proclame les vertus bienfaisante de la
douleur, qui lui a appris la vraie poésie et le prix du travail, de la création: le Poète
annonce son retour à la poésie. Le poème Souvenir est un épilogue aux Nuits , où il
suggère l'immortalité du bonheur par le souvenir. Tous les thèmes romantiques se
retrouvent dans les poèmes lyriques de Musset: l'amour, la solitude, la souffrance,
la nature (plutôt sentie que décrite), le souvenir, la Muse et le Poète. Selon Philippe
Van Tieghem, "le vrai sujet des Nuits est en effet l'incidence de la souffrance
sentimentale sur la création poétique". Dans ses poèmes, Musset s'interroge sans
cesse sur la poésie, sur les conditions de la création littéraire, sur la nature de
l'inspiration poétique.
La prose narrative romantique renferme une production littéraire d'une grande richesse et
diversité, dont on peut déceler 2 dimensions essentielles: I. Le roman personnel (ou de
confession); II. Le roman romantique historique.

8
I. Le roman personnel. Né avant la poésie romantique, il est issu d'un besoin
de confession, d'étalage du Moi. C'est la première tentative de descendre dans les
profondeurs de la psychologie humaine et R.M.Albérès parle d' "une littérature
d'impudeur psychologique". Ecrit à la première personne, le roman personnel
constitue une forme originale de la littérature subjective, permettant la description d'un
état d'âme, d'un moment de crise, d'un cas de conscience. Vu le mélange de souvenirs
personnels et de fiction, G. Picon considère que "l'oeuvre d'art devient un prolongement
de l'existence" et "le héros une projection de Moi". L'idée selon laquelle le Moi lyrique
vaut par lui-même constitue la résultante d'un effort d'isoler le héros et de supprimer
presque tout événement. Le roman personnel est, par sa nature, un texte de fiction. Le
lecteur peut soupçonner une ressemblance entre l'auteur, le narrateur et le personnage,
mais, cette fois-ci, l'auteur ne s'engage pas à dire toute la vérité sur lui-même. Ce
roman développe le discours du personnage, car le héros a acquis le droit de se juger
seul. Les romans personnels les plus importants sont: Atala (1801) et René (1802),
par François René de Chateaubriand; Oberman (1804), par Senancour; Adolphe
(1816), par Benjamin Constant; La Confession d'un enfant du siècle (1836) , par
Musset; Dominique (1863), par Eugène .. Fromentin.
Le roman personnel, dominé par la subjectivité, est présenté d'habitude sous une
forme de monologue, permettant l'étalage de la personnalité. Les éléments descriptifs y
sont assumés par le narrateur, la nature apparaissant comme un prolongement d'un état
d'âme. Il y a toujours un cas de conscience, fait de contrastes et de conflits, une étude
de la passion dévorante.
Tous ces "enfants du siècle" - René, Oberman, Adolphe, Octave, Dominique -,
incapables d'établir un contact avec leurs semblables, connaissent une psychose de
l'échec. La recherche passionnée du Moi reflète une préoccupation permanente d'établir
sa propre unité; d'où, la tendance d'éliminer la part du romanesque, au profit de la vie
intime, qui laisse entrevoir: lassitude, souffrance définitive, tristesse illimitée, passion
destructrice, aspiration vers l'indéfini et l'infini, rêverie aboutissant à la réflexion et à la
volupté de la mélancolie.
Le premier en date des auteurs de romans personnels est François René de
Chateaubriand, par deux récits - Atala (1801) et René (1802) -, extraits du Génie du
christianisme, ouvrage d'apologie de la religion chrétienne, affirmant la dimension
historique et sociale du christianisme. Le récit Atala y devait illustrer "l'harmonie de la
religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du coeur humain"
(Préface). Atala fonde le mythe romantique de la passion, qui se heurte aux interdits
religieux. D'ailleurs la leçon de religion y est ambiguë, car la jeune fille réprime son
amour pour Chactas et se suicide, pour rester fidèle au voeu de chasteté fait, dès sa
naissance, par sa mère. Cela pourrait être pris pour un subtil réquisitoire contre le
fanatisme religieux.
Dans René (1802) il n'y a aucune action ou aventure psychologique. L'auteur
voulait y peindre "l'homme civilisé qui s'est fait sauvage", une âme inquiète, qui sait
d'avance que la réalité ne répondra pas à ses aspirations. La force de René est due
surtout à l'ancrage évident de la fiction romanesque dans le tissu biographique. Il y a là
une première manifestation de l'homme moderne atteint par "le mal du siècle", qui
refuse la réalité brutale et ne veut s'y intégrer. C'est une maladie intellectuelle, à
caractère conceptuel, qui n'est pas issue de l'expérience. Il a la vocation de la souffrance
et sa mélancolie est réfléchie et cultivée. L'auteur avoue avoir voulu condamner ces
"inutiles rêveries", en leur opposant la vie chrétienne et la pratique des vertus sociales.
Il s'est défendu d'avoir voulu créer un modèle, mais René a créé une mode. Le mal de
René deviendra "le mal du siècle" et cet ennui, cette tendance au rêve et ce mal de

9
l'infini, vont se retrouver dans d'autres oeuvres romantiques.
Sainte-Beuve voyait en René "le beau ténébreux, trop artiste et trop fier de
lui-même, pour être vraiment désespéré"..Sur le plan littéraire, c'est la première
tentative de descendre dans les profondeurs de la psychologie humaine, afin de
déceler la complexité de son Moi et de révéler les secrets de sa personnalité
humaine. Sur le plan artistique, c'est un admirable poème humain.
Avec Adolphe (1816) par Benjamin Constant, on constate des progrès dans
l'analyse des sentiments et dans l'introspection. Le roman est axé sur l'idée du
couple tragique, où les héros, Adolphe et Ellénore, se torturent en permanence et
c'est à partir d'une trame assez banale, que l'auteur réalise une étude de caractère
d'une grande valeur psychologique. Très moderne est la conception de l'écrivain
concernant l'ambiguïté des sentiments humains.
Alfred de Musset donne avec La Confession d'un enfant du siècle (1836)
une oeuvre très romantique, marquée de passions ardentes. On doit y signaler sa
tentative de donner une interprétation sociologique au "mal du siècle", "maladie
abominable dont souffre toute(sa) génération".
Paru beaucoup plus tard, Dominique (1863) par Eugène Fromentin, est le roman
d'un faible, d'un velléitaire et, par là, l'un des derniers fils de René: il lui ressemble,
tout en étant sa copie négative. C'est l'histoire d'une jeunesse romantique convertie
à la vie réelle.
II. Le roman romantique historique. Son apparition doit être d'abord liée
aux grands bouleversements socio-historiques qui ont eu lieu en France et qui ont
accentué le sentiment de l'histoire du devenir et du progrès, ainsi que la prise de
conscience des hommes comme étant "historiquement déterminé". On doit aussi
rappeler l'influence de Walter Scott sur l'apparition de ce type de roman. En
France, le drame historique précède le roman historique: vu l'impact immédiat du
théâtre sur le public, Victor Hugo, le créateur du drame romantique, en fait un
champ de bataille, pour offrir au public un art libre et libérateur sur tous les plans.
Le roman romantique historique est un roman du passé, où il s'agit, à la fois, de
situer et d'éloigner et de souligner une continuité entre le passé et le présent. En
France, ce type de roman a été illustré par: Cinq-Mars ou Une Conjuration sous
Louis XIII (1826), par Alfred de Vigny; Les Chouans (1829), par Honoré de
Balzac; 1572, Chronique du règne de Charles IX (1829), par Prosper Mérimée,
Notre-Dame de Paris (1831), par Victor Hugo. On peut y déceler: une implication
politique et philosophique (chez Vigny), une dimension symbolique et mythique
(chez Hugo), une importance documentaire et anecdotique (chez Mérimée), ainsi
qu' une histoire des moeurs et des rapports complexes de l'histoire passée et
présente, préfigurant l'apparition du roman social (chez Balzac).
Dans Cinq-Mars, Alfred de Vigny présente une conjuration des nobles, sous
Louis XIII, dressée contre le cardinal de Richelieu, leur puissant rival. On y voit
des personnalités historiques, on ressuscite l'atmosphère de la Cour de Louis XIII,
par des tableaux d'époque; l'ambiance, les paysages, les portraits convergent vers le
symbole. L'Histoire y est abordée avec parti pris, à dessein politique et
philosophique: le comte de Vigny poursuit une thèse de classe, selon laquelle
Richelieu serait la cause de la déchéance de la noblesse et le noircit plus qu'il ne
mérite. Le roman représente un "poème épique de la désillusion" car Vigny s'en est
servi comme d'un instrument destiné à illustrer sa pensée.
En créant Notre-Dame de Paris, Victor Hugo réalise une épopée médiévale
de Paris, à la fin du XVe siècle. Hugo y accorde une égale importance aux sources
légendaires et mythologiques, prétexte pour exercer sa prodigieuse imagination.

10
Epopée historique, ce roman est à la fois une épopée symbolique (par les
personnages et par le rôle essentiel de la cathédrale); c'est aussi une épopée
philosophique, par la vision de la fatalité implacable, qui fait éclater la catastrophe
finale. Hugo y crée des visions puissantes, où circule un souffle d'épopée. Notre-
Dame de Paris contient le paysage le plus visionnaire du Moyen Age et la rêverie
historique la plus séduisante.
Dans le roman Chronique du règne de Charles IX, par Prosper Mérimée,
l'Histoire sert de prétexte, pour offrir un tableau d'époque pittoresque et vivant et
reconstituer le massacre de la nuit de la Saint-Barthélémy (23-24 août 1572),
moment crucial dans l'histoire religieuse en France. L' auteur renonce à présenter
les personnalités historiques au premier plan, les montrant en toile de fond. En
échange, il choisit deux personnages fictifs, mais qui auraient pu exister: le
capitaine Georges ( chef de l'armée catholique) et son frère cadet Bernard de
Mergy (chef des protestants). La mort du cpt. Georges, tué par hasard sur le champ
de bataille, par son frère, souligne l'absurdité de cette guerre fratricide. Par
l'authenticité des détails ("les petits faits vrais") et par la rigueur de l'observation,
Mérimée réalise "une vision pointilliste de l'histoire.
Le roman Les Misérables (1862), par Victor Hugo, est un acte d'accusation
contre la justice bourgeoise, ainsi que la condamnation d'un régime social qui
engendre la misère. "Notre-Dame de Paris, c'était la résurrection du Moyen Age;
Les Misérables, c'est la vie du XIXe siècle"(Préface). C'est la fresque réaliste d'un
milieu, d'une ville et d'une aventure individuelle, la saga populaire d'un héros
mythique. Jean Valjean est le symbole du rachat, que l'optimisme de l'auteur a cru
possible. Illuminé par la charité de l'évêque Myriel, il devient à son tour un apôtre:
il secourt Fantine, protège Cosette, sauve Marius, épargne le policier Javert et
défend "les misérables". Dans cette grande figure, Hugo a incarné tous les élans et
tous les espoirs de son coeur généreux.
Il y a là un véritable conglomérat de romans: roman historique, avec
l'évocation de la bataille de Waterloo et la description de l'émeute républicaine de
1832, offrant de vastes fresques historiques; roman policier, avec l'inspecteur
Javert, obsédé de mettre la main sur Jean Valjean et de le jeter en prison; roman
d'amour paternel (de M. Madeleine pour sa fille adoptive, Cosette) et d'amour
(avec la touchante idylle entre Marius et Cosette); roman réaliste, avec la
description des milieux bourgeois et populaires et les portraits des héroïques
combattants de 1832 et surtout de Gavroche, ce "titi de Paris" à l'âme innocente,
qui meurt pour une noble cause. Mais c'est aussi un roman démocratique, dont
l'auteur prend la défense du peuple opprimé, souffrant et misérable, contre les abus
et les injustices des puissants. Les personnages sont plutôt des symboles, alors que
les tableaux d'ensemble (la bataille de Waterloo, l'émeute de 1832) sont de grandes
fresques historiques.

Subiecte pentru pregătirea temei:

1. Mme de Staël - poésie romantique et esthétique du sublime


2. Chateaubriand - le sentiment religieux et la nature romantique
3. Lamartine et le moi poétique romantique
4. Musset, Vigny et la biographie du moi romantique
5. Le second romantisme ou les précurseurs de la modernité poétique: Nerval et la
psychologie romantique; Baudelaire et l’esthétique romantique
6. La prose romantique: le biographisme romantique. Benjamin Constant, Adolphe

11
7. Le poème en prose: Nerval, precurseur du flux de la conscience.
8. Le roman personnel: structure et particularités du héros romantique.
9. Le rapport réalité / fiction dans le roman romantique historique.
10. Les Misérables de V. Hugo, synthèse du roman d'inspiration sociale et
humanitaire.
11. Lamartine, créateur de la méditation poétique.
12. Les chefs-d'œuvre de la poésie de Victor Hugo.
13. Hugo: Les Contemplations, chef-d'œuvre de la poésie lyrique.
14. Les poèmes philosophiques de Vigny.
15. Musset, poète de la fantaisie et de la passion (Les Nuits).

Teste de autoevaluare

1. Les grandes divisions du XIXe siècle du point de vue de l’histoire littéraire sont les
suivantes:
a) 1820-1850 réalisme, 1850-1870 romantisme, 1870-1890 naturalisme
b) 1820-1850 romantisme, 1850-1870 naturalisme, 1870-1890 réalisme
c) 1820-1850 romantisme, 1850-1870 réalisme, 1870-1890 naturalisme
d) 1820-1850 réalisme, 1850-1870 naturalisme, 1870-1890 romantisme

2. Qui a écrit: „Je suis le premier qui ai fait descendre la poesie du Parnasse et qui ai donné a
ce qu’on nommait la Muse (...) les fibres mêmes du cœur de l’homme”?
a) Gerard de Nerval
b) Charles Baudelaire
c) Victor Hugo
d) Alphonse de Lamartine

3. L’histoire romantique est:


a) nationaliste et idyllique
b) internationaliste et objective
c) nationaliste et objective
d) internationaliste et objective

4. Les principales influences extérieures subies par le romatisme français sont:


a) espagnoles
b) italiennes
c) allemandes
d) roumaines

5. Le Romantisme est un courant:


a) scientifique et littéraire
b) de pensée et politique
c) artistique et de pensée
d) economique et artistique

6. Comment s’appelle l’écrivain qui a fait connaître la doctrine romantique en France?


a) Mme de Lafayette
b) Mme de Recamier
c) Mme de Stahl
d) Mme de Staël

12
7. Le Romantisme est endetté à la mythologie
a) nordique
b) méridionale
c) orientale
d) hindoue

8. Le Romantisme apparaît en France:


a) au milieu du XVIIIe siècle
b) au début du XIXe siècle
c) après la révolution de 1848
d) avec Les Fleurs du mal de Baudelaire

9. L’esthétique romantique insiste sur la psychologie


a) des foules
b) du moi
c) de la femme
d) des adolescents (b)

10. Quel est le domaine de pensée qui a le plus marqué l’esthétique romantique?
a) la philosophie
b) la physiognomonie
c) la philologie
d) la biologie

11. Le Romantisme est un courant de pensée


a) positiviste
b) théologique
c) gnostique
d) historiographique

12. La catégorie esthétique la plus prisée par le romantisme est:


a) le beau
b) le laid
c) le bizarre
d) le sublime

13. Le moi poétique du romantisme est:


a) optimiste
b) sceptique
c) mélancolique
d) stoïque

14. Le genre littéraire porté au pinacle par le romantisme est:


a) le théâtre
b) la poésie
c) le roman
d) l’essai

15. Le romantisme met en opposition:


a) la société et la famille

13
b) l’homme et la femme
c) la nature et l’individu
d) l’individu et la société

16. Lequel des noms suivants est celui d’un poète romantique français?
a) Jean-Paul
b) Lamartine
c) Chateaubriand
d) Saint-Martin

17. Quelle est la dimension humaine privilégiée par l’esthétique romantique?


a) l’entendement
b) la raison
c) la sensibilité
d) la sensitivité

18. „Romanticiser” le monde veut dire:


a) faire du monde un sujet de roman
b) faire du monde un objet de contemplation
c) faire du monde une immense scène de dialogue social
d) faire table rase du monde

19. Lequel des auteurs suivants appartient au courant romantique:


a) Honoré de Balzac
b) Charles Nodier
c) George Sand
d) Arthur Rimbaud?

20. Lequel des noms suivants est celui d’un héros littéraire romantique:
a) Adolphe
b) Thierry
c) Candide
d) Julien

21. L’ethos romantique est:


a) chrétien
b) bouddhiste
c) animiste
d) islamiste

22. Quelle période de l’histoire est remise en honneur à l’époque romantique?


a) L’Antiquité
b) La Renaissance
c) La Modernité
d) Le Moyen Age

23. Gérard de Nerval appartient au courant romantique:


a) du premier âge (début du XIXe siècle)
b) en dramaturgie seulement
c) du second âge (après 1848)

14
d) en poésie seulement

24. Benjamin Constant a eu des options politiques:


a) révolutionnaires
b) libérales
c) conservatrices
d) réactionnaires (b)

25. Mme de Staël éprouve envers la littérature allemande:


a) de l’indifférence
b) du respect
c) du mépris
d) de l’écœurement

26. Quel philosophe du XVIIIe siècle français annonce le romantisme?


a) Voltaire
b) Montesquieu
c) Le Marquis de Sade
d) Jean-Jacques Rousseau

27. Quel est l’état psychique le plus propre du romantisme?


a) la tristesse
b) le contentement
c) la mélancolie
d) la colère

28. Comment s’appelle le genre poétique pratiqué par Lamartine?


a) obsession
b) méditation
c) rêverie
d) allegresse

Réponses aux tests d’autoévaluation


● La partie théorique des questions est incluse dans le résumé.
● L’argumentation / l’illustration des questions est basée sur la lecture de la bibliographie.
Réponses aux tests:
1a ; 2d ; 3a ; 4c ; 5c ; 6d ; 7a ; 8b ; 9b ; 10a ; 11c ; 12d ; 13c ; 14b ; 15d ; 16b ; 17c ; 18b ;
19b ; 20a ; 21a ; 22d ; 23c ; 24b ; 25b ; 26d ; 27c ; 28b.

II. LE RÉALISME ET LA CRÉATION DU ROMAN MODERNE

Le Réalisme, en tant que courant littéraire, s'est développé en France à partir de 1830 et
marque la convergence d'un fait de culture hérité de l'Antiquité, - le concept de la mimésis, formulé
par Aristote et Platon, concevant la literature comme représentation du réel -, et d'un contexte socio -
historique, qui a favorisé l'affirmation du réalisme comme système de normes, dominant surtout le
roman. La référence à la réalité se trouve à la base de l'esthétique des écrivains realists qui affirment la
prééminence de la vérité de l'observation sur l'imagination, de l'objectivité sur la subjectivité.
La métaphore du miroir , - "speculum mundi" ou "miroir concentrique", chez
Balzac, "miroir que l'on promène le long du chemin", chez Stendhal -, figuration du
concept de la mimésis, pose l'adéquation à la réalité comme principe esthétique
fondamental. Avec Balzac la littérature référentielle acquiert un statut poétique.

15
"Nous n'inventons jamais que le vrai", affirme-t-il. L'écrivain veut "inventer le vrai
par analogie", à l'aide de l'observation et d'une "seconde vue", qui lui permet de
"deviner la vérité dans toutes les situations possibles". Il précise que "l'art ne doit
pas copier la nature, mais l'exprimer". Baudelaire, fidèle admirateur de Balzac,
mettait pour la première fois en évidence "la promotion du quotidien au registre
sublime".
Le roman moderne est illustré par Balzac, Stendhal et Flaubert, qui ont
inauguré une forme romanesque, qui tenait compte de l'individu, déterminé par
l'histoire et le milieu social.

Objectifs du chapitre
- La présentation du réalisme en tant qu’option esthétique de continuité et de renouvellement.
- L’illustration de la doctrine par les oeuvres des grands maîtres.
- Saisir les écarts esthétiques par rapport à la doctrine, en tant que marques de l’individualité
créatrice / de la modernité.

Par son oeuvre gigantesque, par son ambition démesurée, Balzac est devenu l'un des écrivains
les plus représentatifs de la littérature française, dans ce qu'elle a de plus saisissant et de plus
universel. Le roman balzacien marque le grand carrefour de l'histoire du roman français et son auteur
est considéré le créateur du roman réaliste moderne. Balzac envisage la création d'une oeuvre de
"haute philosophie", oeuvre scientifique d'analyse et de synthèse, ce qui impose la transformation
fondamentale du roman de sa nature et de sa structure. Il avait l'ambition de créer "le roman absolu",
en lui donnant une ampleur et une profondeur nouvelles. La curiosité et la réceptivité aux découvertes
scientifiques du siècle constituent une constante de sa personnalité intellectuelle. Ses lectures
englobaient, entre autres, les oeuvres des philosophes illuministes (Swedenborg), la philosophie
positiviste d'Auguste Comte, les ouvrages de Descartes, Leibniz et Spinoza, et surtout les ouvrages des
savants en sciences naturelles, Cuvier et Geoffroy de Saint-Hilaire, sur la théorie évolutionniste, etc.
D'ailleurs la théorie du roman, chez lui, a toujours un référent scientifique, étant d'une complexité et
d'une grande modernité.
La poétique balzacienne, basée sur une profonde réflexion sur la nature et la finalité de l'art
sur les rapports de la littérature avec la réalité, est assumée par un ample discours préfaciel. A part son
Avant-Propos (1842), dont on reconnaît unanimement l'importance exceptionnelle, on doit aussi
signaler deux amples préfaces signées par le soi-disant Félix Davin: Introduction aux Etudes
philosophiques (1834) et Introduction aux Etudes des moeurs au XIXe siècle (1835), ainsi que les
préfaces de maints romans. Ces textes à multiples fonctions, – programmatique, explicative,
justificative, persuasive – ont pour but de preparer l'horizon d'attente du public, en vue de la réception
d'une nouvelle formule romanesque. Balzac y explique les raisons du recours au modèle scientifique,
analogique et causal, qui structure le système romanesque balzacien. Il expose aussi les motivations
philosophiques, scientifiques et esthétiques de l'ample cycle romanesque La Comédie humaine. Au
fur et à mesure qu'il écrit ses romans, Balzac élabore le projet de les grouper dans une construction
d'ensemble, où toutes les parties soient subordonnées à une conception unitaire. Sa réflexion
philosophique est basée sur l'unité des phénomènes dans le roman, de la "concatenatio rerum", du
dynamisme universel: "Tout se tient" (Le Médecin de campagne). "La cause fait deviner un effet,
comme chaque effet permet de remonter à la cause (v. La Recherche de l'Absolu). Mais c'est surtout
dans l'Avant-propos (1842) , qu'il expose clairement sa poétique
romanesque. En empruntant aux sciences naturelles les procédés de classification
par espèces, Balzac suggère une analogie entre l'Animalité (formée d' "espèces
naturelles") et l'Humanité (la société étant divisée en "espèces sociales"). Mais
"l'Etat social a des hasards que le Nature ne se permet pas, il est la Nature plus la
Société". La vie sociale est marquée par l'intervention des conditions matérielles,
ce qui implique un rapport de conditionnement réciproque, l'individu étant
déterminé par le milieu social, qu'il détermine à son tour. Pour la première fois, le
concept de milieu y apparaît avec son sens sociologique (Auerbach). Balzac
comprend l'histoire comme un processus déterminé par des causes et des lois

16
précises, qu'on peut connaître et étudier. C'est pourquoi Balzac conçoit son oeuvre
comme un système rigoureusement structuré, présentant "les espèces sociales" en
"séries organisées", ce qui reflète la tentation de totalité, de l'auteur, soumise au
principe "l'unité dans la diversité".
Il affirme que "La Société française allait être l'historien, je ne devais être que
le secrétaire", affirme-t-il, en exprimant son désir d'écrire l'histoire des moeurs de la
France du XIXe siècle. Cette vision historiste de la vie sociale pousse Balzac à
"étudier les raisons de ces effets sociaux, surprendre le sens caché de cet immense
assemblage de figures, de passions et d'événements. L'idée du devenir social le
mène à écrire l'histoire de la société en mouvement.
Balzac transforme le statut du roman, en faisant y entrer la totalité de la
personne, la détermination socio-historique de l'individu et les aspects prosaïques
de l'existence. La Société constitue un mécanisme intégrateur, où les héros
balzaciens tentent à s'intégrer; ceux qui réussissent à le faire, ce sera toujours au
détriment de leur idéal de vie et de leurs illusions. En affirmant que "le but de l'art
n'est pas de copier la nature, mais de l'exprimer", Balzac met les bases de la
mimésis moderne, se donnant pour but d' "inventer le vrai par analogie La
Comédie humaine, dont le titre est inspiré par La Divine comédie de Dante,
représente un énorme croisement de destinées, sous l'impact du conditionnement
socio-historique et des forces qui régissent la société de son temps: Argent,
Pouvoir, Ambition, Passion, etc.
Figuré par Balzac, sous une forme métaphorique, comme un monument
grandiose, pareil à la cathédrale de Bourges, l'ensemble de son oeuvre romanesque
est commenté dans une lettre adressée à Mme Hanska (1834), commentaire repris
et approfondi dans l' AVANT-PROPOS:
- La Ière assise est formée par Les Etudes des moeurs, qui devaient
représenter les effets sociaux . Divisées en 6 séries ou Scènes de vie: - privée
(Gobseck, Le Père Goriot); parisienne ( Splendeurs et Misères des courtisanes, Le
Cousin Pons, La Cousine Bette); de province (Eugénie Grandet, Illusions perdues);
de campagne ( Le Curé de village, Le Lys dans la vallée); politique (v. Z. Marcas,
Une ténébreuse affaire) et militaire (Les Chouans).
La IIe assise, supérieure, comprend Les Etudes philosophiques, ayant pour
but de dévoiler les causes, qui déterminent les effets sociaux et de trouver ainsi
une explication de la réalité. (La Peau de chagrin, La Recherche de l'Absolu, Le
Chef-d'oeuvre inconnu).
La IIIe assise aurait dû comprendre Les Etudes analogiques, où Balzac
devait exprimer les principes et réaliser ainsi le retour au réel. De toutes les
institutions qu'il voulait analyser, il n'a pu le faire que pour l'institution du mariage
(v.Physiologie du mariage). Sa mort prématurée a interrompu la mise en oeuvre de
son projet.
La Comédie humaine est une ample fresque historique et sociale, où l'on
découvre une société qui vit son histoire. Balzac y réalise "l'intégralité de la
personne humaine" (cf. Lukacs), le personnage étant vu à la fois comme
individualité dans la socialité (la grande trouvaille de Balzac) et dans son
historicité (la vue du monde dans son devenir). En célébrant "l'héroïsme de la vie
moderne" (fécond en sujets poétiques), Baudelaire reconnaissait, dans l'oeuvre de
Balzac, "les éléments de l'épopée contemporaine" ( Salon de 1846). Selon
Auerbach, l'oeuvre de Balzac aspire à une macroscopie de la société où l'individu
est intégré dans un flux historique mobile, l'écrivain réalisant ainsi la fusion entre le
tragique existentiel et le détail quotidien.
Les catégories narratives du roman balzacien
La temporalité narrative. Pour encadrer la fiction dans le contexte sociohistorique,
Balzac commence son récit "in medias res" : "Vers la fin du mois
d'octobre de l'année passée…"(La Peau de chagrin) ou "Lors de l'expédition
française faite en Espagne…"(La Duchesse de Langeais), etc. Ces indications

17
visent à suggérer une certaine coïncidence entre le temps des événements et le
temps du récit. Parmi les distorsions temporelles, on rappelle "le retour en arrière"
(flash-back), procédé narratif justifié par le modèle scientifique, analogique et
causal (vu le conditionnement socio-historique de l'individu). L'auteur lui confère
une fonction justificative et vise à récupérer les antécédents du personnage, ce qui
va motiver sa conduite ultérieure. Ces "retours en arrière", assumés par le narrateur
omniscient, permettent d'offrir au lecteur un système informationnel complet et de
faire redémarrer le récit au moment présent (au début du roman, M. Grandet est
déjà riche et maire de Saumur, mais, grâce au "retour en arrière", on apprend le
moment qui avait favorisé son enrichissement).
L'alternance des scènes dramatiques dialoguées et des récits sommaires
(concentrant une riche substance événementielle) est à l'origine de ce rythme de
plus en plus accéléré vers le dénouement.
L'espace descriptif. La découverte de la socialité et de l'historicité de
l'individu, de l'interdépendance entre l'homme et le milieu, ainsi que l'impact de
l'histoire sur l'individu entraînent une véritable révolution de la narration et de la
description. La narration, qui veut rendre comte de la société dans son intégralité,
se dilate par n ample espace descriptif, pris en charge par le narrateur. On recourt
d'abord à la description du cadre, pour suggérer le milieu où vivent ses héros. Les
détails en sont "connotateurs de mimésis" (G.Genette), devenant les signes d'une
réalité profonde (v. la description de la pension Vauquer ou de la maison de
Grandet). D'autres détails synthétisent la série paradigmatique des phénomènes
similaires (la description de la vie de Saumur renvoie à l'aspect de toute ville de
province). On remarque une approche par couches successives: ville - rue - maison
- intérieur de la maison. Il s'agit là de toute une mythologie nouvelle en formation,
à partir du détail, qui acquiert sa profonde signification par le rapport, ce qui a fait
Pierre Barbéris parler d' "un réalisme d'interprétation". Balzac réalise une
exploration du passé, grâce à cette lecture de signes, où les détails, véritables
"effets de réel", sont subordonnés à la narration. Le portrait est aussi réalisé d'après
des règles précises. Balzac imagine une fiche signalétique du héros, contenant nom,
prénom, profession, vêtements, tics et manies, mimétisme du langage et quelques
traits de caractère, car le reste sera dévoilé au cours de l'action et par le dialogue. Dans la
réalisation du portrait, il y a aussi une approche successive, de l'extérieur vers l'intérieur.
Pour Balzac, créer, c'est avant tout imaginer des documents humains. La tentation de
connaître et de révéler les secrets des hommes, de dominer le monde, par la
connaissance, Balzac l'a parfois attribuée à certains personnage, tels l'Antiquaire, l'Artiste,
ou bien Gobseck et Vautrin, maîtres des destinées et philosophes lucides.
Pour les conquérants, il y a une assimilation de l'homme par le milieu, mais cela, au
détriment de leur idéal de vie et de leurs rêves. Vautrin est capable de s'intégrer à tous les
milieux, de "hors-la-loi" jusqu'à "l'homme de la loi". Ayant la vocation démiurgique,
Vautrin est un alter-ego de l'écrivain.
Albert Thibaudet considérait Balzac "le plus grand créateur d'êtres vivants, qui ait
jamais existé". En effet, Balzac fait la typologie d'une société à l'aide de 2-3000
personnages, représentant maintes catégories sociales; ce sont autant de personnages
typiques envisagés dans des conditions typiques. Mais Balzac a eu aussi l'ambition de
présenter l'infinie variété des espèces humaines et sociales, à l'aide de quelques types
fondamentaux (ou archétypes), tels Goriot, "le nouveau roi Lear"; Gobseck, "le Brutus
des usuriers"; Nucingen, "le Napoléon des affaires".
Pour donner du relief à ses personnages et illustrer leur évolution, Balzac a eu l'idée
géniale du retour des personnages (dans plusieurs romans), tels Vautrin, Nucingen,
Rastignac. Une fois mis en place l'ample espace descriptif, à fonction explicative,
justificative et symbolique, le récit va évoluer grâce à l'alternance de scènes dramatiques
et dialoguées et de récits sommaires, l'action s'accélérant de plus en plus, jusqu'au
dénouement. Chez Balzac, la perspective narrative appartient au narrateur omniscient,
qui possède plus d'informations que le personnage et qui veut tout expliquer; à rappeler

18
les célèbres digressions de l'auteur sur la philosophie, la sociologie, l'économie, la science
et les arts.
Stendhal représente un moment important dans l'évolution du roman réaliste français au
XIXe siècle. Son oeuvre, méconnue ou plutôt mal comprise par les lecteurs de son
temps, a acquis au XXe siècle une notoriété incontestable. De son vivant, il a eu la
satisfaction de bénéficier, de la part de Balzac, d'un article élogieux sur La Chartreuse
de Parme (Etudes sur M.Beyle, in Revue parisienne, 1840), où Balzac proclame ce
roman "le chef-d'oeuvre de la littérature d'Idées" et son auteur "un des hommes
supérieurs de (son) temps". Pourtant, ce n'est qu'au XXe siècle, grâce à l'apport des
nouvelles méthodes d'investigation (socio-critique, thématique, narratologique,
psychanalytique), que la critique littéraire a pu faire une lecture plurielle, capable de
jeter une vive lumière sur son oeuvre. Les débats autour du "réalisme psychologique"
de Stendhal lui attribuent la conscience moderne de la réalité, Stendhal étant considéré
"l'un des fondateurs du réalisme moderne" (Auerbach).
On a affaire à un écrivain qui a découvert très tard sa vocation romanesque,
mais qui a su employer cette longue période de gestation artistique, afin d'acquérir
des connaissances sur son Moi et sur le monde, sur "l'art de vivre" et sur "l'art
d'écrire". L'ample espace autobiographique, - comprenant ses "écrits intimes"
(Journal; Vie de Henry Brulard; Souvenirs d'égotisme) et sa Correspondance -, met
à la disposition du chercheur un matériel passionnant, plein de digressions et
d'imprévu, sur l'écrivain. Sa démarche a pour point de départ l'analyse de son Moi,
afin d'acquérir une méthode de connaissance de l'être humain: "Je suis de l'avis de
Tracy, - avoue-t-il -, "nosce te ipsum", connais-toi toi-même est une source de
bonheur" (Souvenir d'égotisme). Pour réaliser ce voeu, Stendhal invente le concept
d'égotisme, lui attribuant un sens moderne de méthode de création ("l'émotion, mais
sincère, est une façon de peindre le coeur humain"), qui jouit à la fois de l'expérience
vécue et de la réflexion critique.Son mérite est d'avoir réussi à écrire son Moi sans
user de la recette romantique; Chateaubriand, ce "roi des égotistes", est le symbole
de ce que Stendhal refuse d'être et cela déclenche une prise de position contre la
littérature d'introspection, de facture romantique. Son "égotisme sincère" est conçu, à
la fois, comme " méthode de création, thérapie psychique et système de défense face
aux autres". L'auto-recherche deviendra, petit à petit, sa raison d'être, donnant un
caractère actif à la morale stendhalienne, qui met au premier plan "la chasse au
bonheur". Pour ce faire, il imagine une méthode pratique de bonheur ("le beylisme"),
créée sous l'emprise d'inoubliables approches du bonheur parfait (tel l'enchantement
italien), considérant que le fait de se connaître à fond est une source de bonheur, à
condition de savoir s'en rendre maître.
Stendhal a une façon inimitable de faire interférer le réel et l'imagination,
l'autobiographie et la fiction, de sorte que son oeuvre apparaît comme "un immense
espace autobiographique", qui fait vibrer une double confession: la confession
directe, dans ses écrits intimes et la confession indirecte, subtile et profonde, à
l'abri du masque, dans ses romans. L'expérience lentement accumulée dans la
quête de sa propre vérité va se muer insensiblement en expérience artistique, de
sorte que ses écrits romanesques, véritables cristallisations de son Ego, sont autant
de fictions, ayant pour sujet l'apprentissage de la vie et du bonheur. Ses héros -
Julien, Fabrice, Lucien, Fabrice et partiellement le comte Mosca - sont des
incarnations successives de l'écrivain, où il réalise ses Moi possibles.
Le primat de l'âme, proclamé par Stendhal, va répondre à une exigence du
goût nouveau, qui veut que le roman soit une aventure existentielle et que l'étude
du Moi soit prépondérant, par rapport à l'étude du monde environnant. La vérité
objective, que l'écrivain recherche en toute occasion, est sans cesse modelée par la
conscience subjective de l'individu, générant une vérité relative et plurielle.
La célèbre réplique empruntée à Saint-Réal, - "un roman est un miroir qu'on
promène le long du chemin" (Le Rouge et le Noir, chap.13), - met en évidence le caractère
réaliste de son art et sa manière de concevoir le concept de la mimésis. Il reprendra

19
cette métaphore, au cours du roman, par une intrusion d'auteur, reflétant sa vision
esthétique: "Eh, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande
route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange de la route"
Sa métaphore du miroir implique beaucoup de connotations : l'expression du
devenir de l'existence, par le miroir qui se promène; l'existence dune vérité
intermittente et sélective, car le miroir reflète "tantôt l'azur des cieux, tantôt la
fange des bourbiers…"; l' 'interférence constante des images rendues par un miroir
intérieur (introspectif, au rôle prépondérant) et par un miroir extérieur, reflétant les
réalités socio-historiques de son temps. Cela confère une double forme au roman
stendhalien : la forme biographique (roman de formation, car ses jeunes héros,
Julien, Lucien, Fabrice, s'initient à la vie et à l'amour) et la forme de chronique
(en tant que fresque d'une époque, présentée en toile de fond); la partialité et la
pluralité des points de vue, propre au " droit du regard"(Blin) donne plus de liberté
au lecteur, afin d'interpréter les données à son gré; par l'emploi d'un style simple et
concis (pareil au Code Civil), il réalise "le miroir direct des choses".
Cette métaphore du miroir fait corps avec un autre mot d'ordre stendhalien, -
"La vérité, l'âpre vérité" (empruntée à Danton) -, dont il fait l'épigraphe
programmatique du roman Le Rouge et le Noir et qui met en lumière le caractère
critique et combatif du discours réaliste stendhalien, où la vérité psychologique est
projetée sur la vérité des moeurs contemporaines.
Chez Stendhal, le témoignage historique porte sur la Restauration ( Armance
ou Quelques scènes d'un salon de Paris en 1827 et Le Rouge et le Noir ou
Chronique de 1830); sur la Monarchie de Juillet (Lucien Leuwen), ou sur
l'absolutisme d'un Etat italien (La Chartreuse de Parme), où abondent pourtant des
allusions aux réalités françaises. Cette "chronique" de son temps est toujours placée
en toile de fond, enrichissant le témoignage porté sur le devenir du héros. "Le
conflit entre la poésie du coeur et la prose opposée des relations sociales", que
Hegel (Poétique) mettait à la base du roman moderne, devient implicite dans ses
romans qui reposent sur un seul thème à variations: l'affermissement du Moi, à
mesure que la société le contrarie. Chez Stendhal, les héros préfèrent garder leur
pureté et leur intégrité (-"Et que me fait ma réputation?", dit Julien), étant prêts à
accepter, pour cela, l'échec sur le plan social; ce sont des aliénés d'une société qui
les rejette, mais ils trouvent au plus profond de leu âme les ressources du vrai
bonheur.
Le discours narratif stendhalien
La perspective narrative: En tant que créateur de l'homme psychologique,
Stendhal opère un transfert de perspective à l'intérieur du personnage, rejetant les
attributs du narrateur omniscient de type balzacien. Le lecteur est invité à percevoir
la réalité (sites, situations, caractères) à travers le tempérament et la capacité de
compréhension du héros. En fait, Stendhal mène double jeu dans ses romans, se
trouvant simultanément avec et en dehors de ses héros, par l'habile interférence des
points de vue partiels et subjectifs du protagoniste et des intrusions d'auteur(la
description de la bataille de Waterloo, vue dans la perspective discontinue et
lacunaire de l'inexpérimenté Fabrice, "qui à vrai dire ne comprenait rien à rien", est
enrichie par les propos ironiques et amusés du narrateur, qui avait été, dans sa
jeunesse, participant ou témoin oculaire aux batailles napoléoniennes). Cette
perspective variable exprime une vérité relative et plurielle et établit un flux
permanent entre le narrateur, le héros et le lecteur. Pourtant l'intrusion d'auteur n'a
jamais lieu au niveau des faits, mais au niveau de l'esprit, contribuant à une
meilleure compréhension de l'événement ou du héros en question.
Etant donné la formation égotiste de l'auteur, le protagoniste est une réverbération
de l' Ego stendhalien et son devenir, une modalité de réaliser ses Moi possibles, ses
existences imaginaires.
Le statut du personnage. Le statut du personnage. Le devenir du héros
masculin constitue l'épine dorsale de la structure du roman stendhalien et tous

20
les autres personnages entretiennent des relations plus ou moins étroites avec
celui-ci. On perçoit l'évolution du héros, à la fois de l'intérieur (par le
Monologue intérieur ou par le style indirect libre) et de l'extérieur (par le
dialogue), ce qui lui donne une grande consistance psychologique. Doué d'une
grande disponibilité spirituelle, investi de sensibilité et d'énergie (deux traits
de sa propre nature, que Stendhal a idéalisés), le héros se trouve toujours
impliqué dans des "foyers conflictuels", qui régissent l'intrigue et en assurent le
dynamisme et l'authenticité. Julien, le plébéien supérieur par l'intelligence et
l'éducation, opposé aux vils potentats de son temps, est tiraillé entre l'amour et
l'ambitions; Fabrice, comblé de dons, insouciant et un peu frivole, préoccupé de
la joie de vivre, jouit du moment présent, sans se soucier de l'avenir. Son
devenir n'est pas entravé par des conflits intérieurs (car la Sanseverina et
Mosca veillent sur lui), mais par des conflits extérieurs (liés à ses aventures
amoureuses). Les femmes font partie du triangle amoureux (Julien Sorel, entre
Mme de Rénal et Mathilde de la Mole; Fabrice, entre Clélia et Sanseverina).
Les personnages secondaires existent toujours en fonction du héros: il y a des
personnages au rôle actif, qui influencent le devenir du héros (M.de Rénal;
M.de la Mole, Mosca, M.Leuwen); des personnages au rôle de médiateur
(l'abbé Pirard, Mosca); des personnages épisodiques (Valenod, Norbert, Conti).
La vision introspective du protagoniste engendre la prolifération du monologue
intérieur, modalité mimétique, capable de rendre les pensées et les sentiments
du héros (c'est un moyen d'éducation, un instrument d'auto-connaissance). C'est
en général l'apanage des personnages-clé, pour suggérer leur richesse
spirituelle; il dévoile une multitude de sentiments, par la saisie directe du Moi,
dans un moment de trouble extrême. Deux exceptions: les M.I. de M.de Rénal
et de Mosca, générés par la jalousie (v. la beauté des "métaphores dans le
miroir" de Mosca - Julien). Les autres entrent en contact avec le protagoniste,
par le dialogue. L'alternance des registres narratifs se réalise par une
transgression subtile, variant le ton et assurant la pluralité la relativité des
"points de vue".
L'espace descriptif est présenté du point de vue du protagoniste, étant
marqué par le climat moral de celui-ci. Le changement du cadre sert toujours à
faire démarrer une nouvelle étape de la vie du héros. Le portrait, pris en charge par
le protagoniste cultive la technique du vague et du clair-obscur. Les mini-portraits
successifs se constituent en métaphores de la cristallisation en amour". Le langage
des yeux sont de véritables "miroirs de l'âme ".
La temporalité. Poursuivant la trajectoire d'une existence, Stendhal conçoit
le déroulement chronologique. En fait il y a plusieurs niveaux temporels (le temps
des événements, le temps du héros, le temps réfléchi du narrateur). Il y a une
correspondance entre le rythme intérieur des états d'âme et le rythme intérieur des
événements. Stendhal fait un large usage de l'ellipse narrative : l'ellipse des
sentiments, car peindre le bonheur, c'est l'affaiblir; l'ellipse des intentions (l'achat
des pistolets); l'ellipse à contenu idéologique, à travers la conscience partisane de
Stendhal). Par la collaboration avec le lecteur, l'auteur réalise "le do it your self"
ou "faites-le vous même" (Jean Mouton). Le style de Stendhal est sobre et concis,
obéissant aux lois suprêmes de son art : vérité et sincérité.
Classique par formation, par l'esprit lucide et par la logique du
raisonnement, romantique par son goût pour les êtres d'exception, pour les
scènes violentes et pour le fantastique, réaliste par le goût du vrai et de la
documentation exacte, Prosper Mérimée a su préserver son originalité. Après avoir écrit
des pièces de théâtre et un roman historique (Chronique du règne de Charles
IX), il a le mérite d'avoir découvert assez tôt la voie à suivre, car sa vocation et
son style sobre et concis, visant la simplicité et la clarté, étaient par excellence
ceux d'un nouvelliste. Malgré le nombre restreint de ses nouvelles, on le
considère à juste titre un des maîtres du genre. Mérimée puise les sujets de ses

21
nouvelles dans l'histoire, dans les légendes des peuples, dans la réalité vécue,
sujets enrichis par son originalité et par son expérience de vie. Dans les
premières nouvelles, l'intrigue est réduite à un simple trait: la description d'un
assaut meurtrier, pendant la campagne napoléonienne en Russie (L'Enlèvement
de la redoute), la défense de l'honneur familial corse (Mateo Falcone) ou
l'hallucination prophétique d'un roi suédois (Vision de Charles XI). La matière
en devient de plus en plus épaisse, tels le récit de la révolte des esclaves sur un
bateau négrier (Tamango), ou la transposition d'une légende napolitaine
(Federigo), pour aboutir à des analyses psychologiques ambitieuses, plus ou
moins ratées (Le Vase étrusque, La double méprise, La Partie de trictrac).
Les nombreux voyages à travers la France - en qualité d'inspecteur des
monuments historiques - et à l'étranger (en Corse, en Italie, en Espagne, en Grèce
et en Asie Mineure) vont enrichir son univers et engendrer des nouvelles aux
intrigues plus étoffées, - en particulier La Vénus d'Ille, au sujet fantastique sur le
pouvoir maléfique d'une statue, selon le témoignage de l'archéologue -,ainsi quel
les deux chefs-d'oeuvre, Colomba (narrant une vendetta corse) et Carmen (le drame
passionnel, dont l'héroïne est une gitane), que l'on peut considérer de brefs romans.
Enfin, ses dernières nouvelles dévoilent son engouement pour le fantastique -
Lokis (d'après une légende lituanienne de l'homme - ours) et Djoumane (un
cauchemar lié à un site oriental) -, qu'il avait déjà laissé deviner dans ses récits
antérieurs. Mérimée assiste souvent au drame, ce qui lui permet d'user de ses dons
d'observateur et de fin analyste. vérité, essayant même à effacer la frontière entre le
réel et le fantastique. Son goût pour l'exotisme et la couleur locale implique la
description d'un site pittoresque (corse, espagnol, africain), ainsi que celle des
moeurs et coutumes des leurs habitants (les ballatas corses; la magie noire gitane; la
danse de la roussalka).
Mérimée préfère les êtres primitifs, les caractères simples et rudes, agissant
par instinct (M. Falcone obéit au sentiment d'honneur familial; Colomba, à la
vendetta; Tamango; au désir de vengeance; Carmen, à l'amour de liberté). Mérimée
possède l'art du choix et de la mise en oeuvre, l'art de voir l'essentiel. La mise au
point d'une poétique de la nouvelle fantastique, par l'habile mélange de réel et de
fantastique, qui atteint chez lui une perfection qui ne sera dépassée, en France, que
par Maupassant, ainsi que "l'art de faire penser", ont fait de Mérimée un des
maîtres incontestables du genre.
Peu après la mort de Flaubert, le poète Théodore de Banville saluait en lui "le
père du roman moderne". De nos jours, la formule est encore en vigueur, mais elle
renvoie à une modernité différente.
La publication posthume de sa Correspondance (1900-1912) a permis de
suivre l'itinéraire flaubertien, depuis sa vocation précoce d'écrivain et sa réclusion
dans la propriété de Croisset (1843), jusqu'à l'oeuvre interrompue par la mort;
d'assister à la genèse de ses chefs-d'oeuvre; de mieux comprendre ses conceptions
esthétiques. "L'ère du soupçon", annoncée déjà par Stendhal, s'instaure pleinement
grâce à Flaubert, dont la personnalité et l'oeuvre portent la marque de l'ambiguïté et
du paradoxe. Il se présentait volontiers comme "un homme double", tiraillé entre
un immense besoin de lyrisme et le désir de reproduire "presque matériellement"
ce qu'il voit. Cela a contribué à créer l'image d'un Flaubert, oscillant entre le
romantisme et le réalisme, épris de lyrisme et scrutant le vrai.
Les liens de Flaubert avec le Romantisme sont manifestes pour le lecteur de
Salammbô (1862, roman "archéologique", situé à Carthage, au IIIe siècle av.n.ère)
et de La Tentation de Saint-Antoine (1874, ouvrage à résonnances philosophiques
et mystiques). En échange, le Réalisme prédomine dans les deux romans
d'observation, - Madame Bovary ( 1857, fresque de la vie de province, ayant pour
point de départ un fait réel ) et L'Education sentimentale ( 1869, exprimant la
déception et la faillite de la génération issue du Romantisme et de la révolution de
1848) -, ainsi que dans Trois contes (1877). Enfin, son roman inachevé Bouvard et

22
Pécuchet est l'illustration vivante de son Dictionnaire des idées reçues (1847),
sorte de sottisier qui raillait la bêtise des bourgeois.
Sa Correspondance nous dévoile un être sensible et impulsif, mais
délibérément attaché à une esthétique opposée à son tempérament. C'est grâce à
son étude qu'on peut déceler les principes de sa méthode de création, véritable
synthèse poétique, gouvernée par les lois de la totalité et de l'union des contraires,
ayant pour but l'autonomie de l'art. Ample méditation sur la création romanesque et
sur la condition de l'artiste, sa Correspondance contient tous les éléments de sa
conception esthétique: Le culte de la Beauté ("le but de l'art est le beau avant tout;
cette beauté résulte de l'identité de la forme et de la pensée, car "plus l'expression
se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et plus c'est beau". Il envisage
une méthode scientifique, afin d'"objectiver la création", par la documentation et se
propose d'acquérir "ce coup médical de la vie, cette vue du vrai, qui est le seul
moyen d'arriver à de grands effets d'émotion". Il clame l''impersonnalité dans l'art,
car, selon lui, "le grand art est impersonnel"; le romancier doit observer et se garder
de conclure, d'où la prépondérance du récit et l'absence presque totale du discours
du narrateur. L'universalité: "l'art n'est point fait pour peindre des exceptions"; on
doit donc dégager l'essentiel des apparences immédiates, afin de trouver le typique,
le général. L'originalité: Flaubert affirme qu' "il faut trouver, dans tout,
l'inexpliqué, se transposer dans ses personnages et non les attirer à soi". Cela
expliquerait son étonnante affirmation " Madame Bovary, c'est moi". Il accorde
une grande importance au culte de la beauté formelle (ou 'les affres du style"), car
"le style est à lui seul une manière de voir les choses". Créer la beauté, telle est
pour lui l'unique mission de l'artiste, en dehors de toute considération sociale ou
morale, car "le seul réel dans l'art est l'art". Flaubert invente "le style artiste", par
la recherche constante d'une forme unique et parfaite. Pour lui, le travail scriptural
et stylistique s'identifie à "une quête héroïque de la Forme", car la Forme
représente "la coïncidence du Vrai et du Beau".
Les aventures concrètes du monde réel- le procès Delamarre, qui a inspiré
Madame Bovary; les échos de la révolution de 1848, dans L'Education
sentimentale -, le vécu personnel de l'écrivain; qui se reflète dans son oeuvre, les
images icôniques (v. le tableau de Breugel, à Balbi, représentant Saint-Antoine) ou
les signes livresques (v. les clichés romantiques de Madame Bovary), ou bien la
bêtise bourgeoise, dans Bouvard et Pécuchet (illustrant son Dictionnaire des idées
reçues), tout cela constitue un point de départ d'une aventure artistique, aspirant à
l'objectivité, à l'impersonnalité et à l'universalité du discours scientifique. Le rêve
de Flaubert d' "écrire un livre sur rien" donne un sens à part au concept de la
mimésis, liée à l'énorme travail d'explorateur d'un monde inauthentique, car la
représentation du monde réel n'est que le point de départ pour le travail scriptural.
Cependant les héros flaubertiens appartiennent à un ici-maintenant socialement et
historiquement déterminé. La destinée d'Emma est étroitement liée au milieu
provincial clos (de Bertaux, Yonville et Tostes), figé dans toutes sortes de préjugés
(moraux, culturels, religieux). Son bovarysme, -" sa capacité de se croire autre
qu'elle n'est en réalité" (Jules Gaultier), ses aventures amoureuses, engendrées par
ses rêves romantiques inactuels, réduits à des clichés, son incapacité de choisir et
finalement sa mort, tout cela est la conséquence d' un monde aliénant et
inauthentique, marqué par le conformisme social et par la prolifération fétichiste
des valeurs marchandes. Si Madame Bovary, conçu en contrepoint, entre la vie et
les rêves, est un roman de l'échec, c'est qu'il ne saurait en être autrement: aucun
salut n'est possible, dans un univers où règne la médiocrité. En fait, il y a 2
attitudes possibles devant cette médiocrité: la refuser (v. le suicide d'Emma) ou
l'assumer (v. le triomphe du pharmacien Homais).
En avouant qu'il portait en lui-même le lyrique et l'observateur, Flaubert
affirmait: "L'Education sentimentale a été, à mon insu, un effort entre ces deux
tendances de mon esprit". Il entendait y faire "l'histoire morale des hommes de (sa)

23
génération": donc L'Education sentimentale n'était plus l'aventure d'un seul
homme, mais le constat d'une époque, qui voyait s'écrouler, impuissante, ses
derniers espoirs. A l'échec d'une société correspond l'échec personnel. La
nouveauté de Flaubert y réside dans la négation de l'action: Frédéric Moreau
demeure un "spectateur"; il est incapable d'agir et modèle son attitude sur celle
des autres. Une véritable doctrine esthétique se dégage de ce roman et on a bien
remarqué que l'éducation sentimentale consiste à comprendre que "créer une
oeuvre d'art, c'est le contraire de vivre".
Dans la grande voie ouverte par Balzac, Flaubert introduit un élément
nouveau: de la réalité, il choisit l'élément banale, monotone, l'inauthentique, fidèle
à son projet de poétisation de la prose.
Le discours narratif flaubertien
Vu les efforts incessants de l'écrivain de réaliser une parfaite unité entre
l'idée et la forme, et surtout "le souci de la beauté extérieure", la recherche fébrile
du mot unique et irremplaçable, on peut en déduire l'assouplissement du discours
narratif flaubertien et la spécificité de la technique narrative.
La perspective narrative. Rejetant la perspective omnisciente, Flaubert
choisit la "vision" avec le personnage. Il s'agit d'une focalisation variable: tantôt sur
le(s) personnage(s) (prédominante), tantôt sur le narrateur (perspective discrète, au
niveau métaphorique du texte), qui ennoblit le récit.
L'espace descriptif est subordonné dans une large mesure à l'optique d'un
personnage, s'interposant entre l'objet et nous. Dans Madame Bovary et
L'Education sentimentale, Flaubert opère des variations permanentes de "points de
vue". Par exemple, on voit Emma à travers les regards de Charles, de Rodolphe ou
de Léon; on voit Charles, Rodolphe, Léon, à travers le regard d'Emma. La petite
Berthe, contemplée par Charles, est charmante et gracieuse; vue par Emma, elle est
laide. Les déterminations spatiales y sont non-pertinentes, mais elles servent
parfois à faire redémarrer l'action. Les romans y avancent par cercles interférents
ou tangentiels. Selon M. Zéraffa, on peut parler, surtout dans Madame Bovary,
d'une orchestration polyphonique, par les descriptions successives de Tostes,
Yonville et Rouen; rappelons aussi les dissonances de l'épisode des Comices
agricoles, où l'on distingue 3 niveaux superposés: en bas, les paysans et les
animaux; au IIe niveau, les notables, sur l'estrade, dont les discours prétentieux
sonnent faux; au IIIe niveau, il y a Emma et Rodolphe, qui nouent leur idylle
amoureuse La juxtaposition de paroles étoile le texte, le sens n'est plus que
cohabitation fluctuante des énoncés, sans blocage hiérarchique du discours.
Les détails du cadre sont, chez Flaubert, moins marqués du point de vue
sociologique, mais on remarque plutôt l'exploitation picturale du détail. Selon Proust,
"ce qui jusqu'à Flaubert était action devient impression" (Chronique), ce qui constitue
sa grande révolution. Par ex. au bal de la Vaubyessard Emma regarde par la fenêtres et
aperçoit les figures des paysans qui, de l'extérieur, assistent au spectacle. Des images -
souvenirs de son enfance et de son adolescence lui reviennent en mémoire et, avec
elles, les aspirations et les rêves d'autrefois. Vu que le roman flaubertien est écrit à la
IIIe personne, la perspective du (des) personnage(s) sera généralement rendue par le
récit transposé en style indirect libre, capable de suggérer la représentation mimétique
des paroles et des pensées des personnages, ce qui confère plus d'authenticité au flux
de conscience de personnage ( le rêve de la lune de miel plein de clichés romantiques,
dévoilant manière esthétisante d'envisager le bonheur ou les proménades en bateau de
Frédéric, illustrant l'écoulement paisible d'une vie inutile). Toute métaphore est
ressentie comme une présence étrangère et c'est au niveau métaphorique qu'on constate
"la présence stylistique" du narrateur, rehaussant la valeur du discours des personnages:
"l'odeur des cataplasmes" se mêle à "la verte odeur de la rosée. Charles regarde Emma
d'un air émerveillé, au bal: "ses ongles brillants" sont "plus nettoyés que les ivoires de
Dieppe" (métaphore appartenant au niveau culturel de Flaubert). L'écrivain transmet la
fascination que les objets exercent sur lui et joue parfois le rôle de médiateur entre les

24
êtres et les objets du décor. Baudelaire soulignait l'étonnante profondeur du double
registre de Flaubert, rappelant "les hautes facultés d'ironie et de lyrisme".
La temporalité narrative. Flaubert réalise une coïncidence temporelle
entre l'histoire et le récit.. L'emploi massif du récit itératif (à l'aide de l'imparfait)
suggère la monotonie de l'existence. L'alternance des temps, le récit duratif ou
répétitif (par l''imparfait) et du récit singulatif (par le passé simple) est un trait
caractéristique du discours narratif flaubertien.
Malgré la volonté de s'effacer derrière ses personnages le narrateur remplit
certaines fonctions: narrative (il raconte les événements), idéologique, par des
commentaires implicites à l'égard de l'histoire (" le demi-siècle de servitude" de la vieille
servante). La fonction stylistique, grâce au registre métaphorique, sert à ennoblir le
discours, car ses personnages sont médiocres et dépourvus de culture. Le narrateur
poursuit toujours un accord parfait entre les choses, les idées et les événements et leur
expression concrète par le langage. Flaubert est très attentif au rythme de la prose, à la
parfaite harmonie musicale. Le rythme ternaire est typiquement flaubertien: "Il appelait,
criait , sacrait; "La conversation (de Charles) était plate comme un trottoir de rue, sans
exciter d'émotion, de rire ou de rêverie!", etc. Concision, sobriété, propriété des termes,
richesse de l'image, couleur, mélodie, font du style de Flaubert l'un des plus parfaits de la
prose française ("le style artiste"). Par "la technique du non destin" ( "le roman sur rien"),
Flaubert est le premier écrivain non-figuratif du roman moderne.

Concepts clé:
BALZAC
- „le roman absolu”
- modèle [romanesque] scientifique
- système romanesque
- “concatenatio rerum”
STENDHAL
- réalisme psychologique
- égotisme
- le beylisme
- technique du vague et du clairobscur
FLAUBERT
- l’ère du soupçon
- le „roman archéologique”
- l’impersonnalité
- focalisation variable
- bovarysme

Subiecte pentru pregătirea temei:

1. L'art de la description et du portrait dans les romans de Balzac.


2. La relation histoire - société - individu dans La Comédie humaine.
3. Le statut du personnage dans les romans de Stendhal.
4. Commentez la définition que Stendhal donne au roman : "Le roman est un miroir
que l'on promène le long du chemin" .
5. Esthétique du roman et structure narrative chez Flaubert.
6. "Le bovarysme" des personnages flaubertiens.

Teste de autoevaluare

1. Expliquez le titre La Comédie humaine et argumentez votre point de vue par des exemples.

25
2. Argumentez pourquoi père Goriot est un type. Spécifiez quelle catégorie sociale il
représente et énumérez au moins trois éléments par lesquels il dépasse la grille d’un (seul)
type.
3. Illustrez le principe «concatenatio rerum» sur les données du roman Père Goriot de Honoré
de Balzac.
4. Illustrez le fonctionnement du modèle scientifique, analogique et causal balzacien sur le
portrait du père Goriot.
5. Expliquez le concept d’égotisme et illustrez-le sur le roman Le Rouge et le Noir.
6. Argumentez pourquoi le roman Le Rouge et le Noir se rattache au réalisme psychologique?
7. Identifiez 5 éléments romantiques dans Le Rouge et le Noir de Stendhal.
8. Comparez Julien Sorel et Rastignac.
9. Expliquez le concept de «bovarysme» et argumentez-le par des renvois au texte de Madame
Bovary.
10. Donnez trois exemples de focalisation variable dans Madame Bovary et expliquez le
mécanisme de cette perspective.
11. Expliquez le syntagme flaubertien «le coup médical de la vie» et exemplifiez l’explication
sur Madame Bovary.
12. Expliquez et argumentez les fonctions du narrateur dans Madame Bovary par rapport à
l’idéal flaubertien de l’impersonnalité.
13. Identifiez des éléments romantiques et réalistes dans une nouvelle au choix de P.
Mérimée.
14. Présentez le type humain préféré par Mérimée, avec des exemples des nouvelles choisies.

Tests

1. L’œuvre de prédilection pour les réalistes est:


a. le roman
b. le drame
c. le poème épique

2. Par “inventer le vrai”, Balzac entend:


a. la création d’une autre réalité que le quotidien
b. la création d’une nouvelle perspective sur la réalité
c. la création dans les limites strictes du «vrai»

3. La «réalité exprimée» par les écrivains réalistes a comme référent:


a. un cas représentatif, typ(iqu)e
b. un cas exceptionnel
c. un cas exemplaire (caractère)

4. Le «miroir» balzacien:
a. reflète l’histoire de la société du temps
b. reflète l’impact de l’histoire sur l’individu
c. reflète l’individu sur le fond historique

5. Dans La comédie humaine, l’individu est un:


a. vainqueur – il s’intègre en renonçant à ses idéals
b. vaincu – il s’intègre en perdant ses idéals
c. vainqueur – il s’intègre en se moquant de ses idéals

26
6. Chez Stendhal, les héros reflètent:
a. des types sociaux
b. des symboles moraux
c. des catégories fonctionnelles dans la narration

7. Le temps dans les romans stendhaliens est construit:


a. à plusieurs niveaux (narrateur, héros, événements)
b. à plusieurs niveaux (narrateur, événements)
c. à plusieurs niveaux (du héros: passé et devenir)

8. Chez Stendhal, la condition de la femme est:


a. idéalisée; la femme est l’objet de l’amour
b. celle d’élément fatidique du destin des hommes
c. celle d’un simple élément dans le triangle amoureux révélateur

9. Les nouvelles avec une intrigue concentrée sont chez Mérimée:


a. Vénus d’Ille, Lokis, Carmen
b. La vase étrusque, Colomba, Djoumane
c. L’enlèvement de la redoute, Mateo Falcone, Vision de Charles XI

10. Chez Mérimée on décèle plusieurs espaces narratifs:


a. historique, fantastique, psychologique, exotique
b. exotique, historique, méditerranéen, quotidien
c. fantastique, psychologique, mythologique

11. Le narrateur Mérimée est un narrateur:


a. omniscient et neutre
b. héros de l’action
c. témoin de l’action

12. Chez Flaubert, la dimension dominante romantique est présente dans:


a. Bouvard et Pécuchet et Dictionnaire des idées reçues
b. Madame Bovary et L’éducation sentimentale
c. Salambô et Tentation de St. Antoine

13. Pour Flaubert, le style est:


a. une manière de présenter les choses
b. une manière de voir les choses
c. une manière d’exprimer sa propre personnalité

14. «Madame Bovary c’est moi» signifie que:


a. le personnage emprunte des données biographiques à Flaubert
b. l’auteur se transpose et vit le drame du personnage
c. l’oeuvre est la plus représentative pour sa création

15. Emma Bovary est une femme:


a. supérieure à son milieu
b. médiocre
c. ambitieuse

27
Réponses aux tests d’autoévaluation
● La partie théorique des questions est incluse dans le résumé.
● L’argumentation / l’illustration des questions est basée sur la lecture de la bibliographie.
Réponses aux tests:
1a, 2c, 3a, 4b, 5b, 6c, 7a, 8c, 9c, 10a, 11c, 12c, 13b, 14b, 15a.

III. LE NATURALISME.

La destinée du Naturalisme est inséparable du nom d'Emile Zola. Mouvement


littéraire de la seconde moitié du XIXe siècle, le Naturalisme est élevé au rang d'école, lors
de la parution de son principal manifeste Le Roman expérimental (1880), suivi par Le
Naturalisme au théâtre (1881) et Les Romanciers naturalistes (1881), ainsi que par le
recueil Les Soirées de Médan, contenant 6 nouvelles (dont L'Ataque du moulin de Zola et
Boule-de-suif de Maupassant), qui représentent à la fois un réquisitoire contre la guerre
franco-prussienne et une illustration des théories naturalistes.
En fait, les romans des frères Goncourt, - Soeur Philomène (1861), Germinie
Lacerteux (1865), Madame Gervaisais (1869) -, ainsi que ceux de Zola, Thérèse Raquin
(1867) et L'Assommoir (1877), avaient déjà illustré les principes du Naturalisme.
Zola reconnaissait sa dette envers la philosophie et la science de son temps et surtout
envers la médecine: le Traité philosophique et physiologique de l'hérédité, du dr. Lucas, qui
lui a servi à "établir l'arbre généalogique des Rougon-Macquart, constituant la colonne
vertébrale du cycle romanesque, auquel l' Introduction à l'étude de la médecine
expérimentale (1865) de Claude Bernard allait donner vie et mouvement. On sait que cet
ouvrage a joué un rôle important dans les ouvrages théoriques de Zola, surtout dans Le
Roman expérimental.
Zola sera aussi influencé par le déterminisme de Taine, par le positivisme d'Auguste
Comte, ainsi que par les travaux de Darwin sur l'hérédité. Par la subordination de la
psychologie à la physiologie, les écrivains naturalistes présentent souvent un être humain
instinctif, sensuel, capable d'actes de violence, portant en lui des tares héréditaires. Zola
insistait sur le caractère moderne de Naturalisme, qu'il appelait "littérature de notre âge
scientifique", considérant que "l'art doit adhérer de toutes parts à la vie, au réel". Zola plaide
pour une reproduction objective, photographique, de "la tranche de vie". Heureusement les
grands créateurs (Zola, Daudet, Maupassant) s'écartent des règles strictes du Roman
expérimental et créent une oeuvre réaliste, parsemée d'éléments naturalistes.
Le destin d’Emile Zola a été singulier, contradictoire et prodigieux. Il a prétendu à
l'objectivité, à la rigueur et à l'impassibilité du savant, qui procède à une expérience
de laboratoire, mais il a bâti une oeuvre où triomphent la passion et la révolte. Il a
cherché dans la biologie le secret du comportement des hommes, mais il a aussi
laissé de vastes fresques socio-historiques. Il s'est réclamé de l'individuel, mais il
est devenu le peintre inégalé des foules. Il a commencé par défendre
"l'indépendance de l'art", mais a fini par lier la littérature à la cause de
l'émancipation du prolétariat. Il a décrit la souffrance universelle, la dégradation
fatale, mais a aussi magnifié le progrès, la foi à l'avenir. Emile Zola a la
conscience de vivre dans une époque de transition, où s'accélèrent: les mutations
entraînées par les révolutions de 1789, 1830, 1848; la disparition de certaines
valeurs sociales, morales et religieuses; l'essor des découvertes scientifiques et
leurs applications.
Zola développe sa "théorie des Ecrans", qui nous donne une idée assez claire
de la mimésis zolienne; il y affirme qu' "une oeuvre d'art est un coin de la création
vu à travers un tempérament". Poussé par la volonté de résoudre la double question
des tempéraments et des milieux, Zola va concevoir une ample oeuvre (contenant
20 romans, écrits entre 1871-1893), qu'il réunit sous le titre général: Les Rougon -
Macquart. Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire.
- C'est "l'histoire naturelle d'une famille", car "l'hérédité a ses propres lois".

28
Le modèle héréditaire fournit aux Rougon - Macquart un arbre généalogique à
deux branches: la branche légitime, celle des Rougon, et la branche bâtarde, celle
des Macquart; il s'agit d'une femme, Adélaïde Fouque (tante Dide), qui a eu deux
hommes dans sa vie: le mari, Rougon, sain de corps et d'esprit, dont les
descendants sont plutôt normaux et l'amant, Macquart, névrosé et alcoolique, dont
les tares vont se répercuter sur ses descendants. A cela s'ajoute l'hérédité
d'Adélaïde, névrotique et passionnée. Zola voulait montrer, à travers les 5
générations de cette famille, "la lente succession des accidents nerveux et sanguins,
qui se déclarent dans une race, à la suite d'une première lésion organique".
- C'est aussi la peinture de l'âge social: à l'exemple de Balzac, Zola propose,
dans ses romans, une image des moeurs de son siècle ; le Second Empire en fournit
le cadre. Cette vaste épopée retrace l'histoire d'une société contemporaine,
irrésistiblement entraînée vers l'abîme.
La Fortune des Rougon (le Ier volume du cycle) s'ouvre sur le coup d'Etat du
2 déc. 1852 (l'instauration du Second Empire), tandis que La Débâcle nous montre
le dénouement de ce fragile édifice qu'a été le régime de Napoléon III. Avec Le
Docteur Pascal (le dernier volume), Zola nous mène aux premières années de la
Troisième République. Entre ces extrémités, les romans des Rougon-Macquart
retracent les principaux aspects de la société du Second Empire : l'essor du capital
financier et l'enrichissement par des spéculations et l'enrichissement par des
spéculations immobilières (La Curée, L'Argent ); la corruption et les intrigues des
milieux politiques, ainsi que la Cour impériale (Son Excellence Eugène Rougon );
les moeurs dissolues et l'ignominie de la haute société ( Nana ); l'hypocrisie et le
mensonge de la famille bourgeoise ( Pot-Bouille ); les milieux :ecclésiastiques (
La Conquête de Plassans, La Faute de l'abbé Mouret ); le monde des marchands
et du commerce ( les Halles, dans Le Ventre de Paris ; le grand magasin, dans Au
Bonheur des Dames ); la vie du prolétariat urbain ( L'Assommoir, La Bête
humaine, Germinal ) et la vie des paysans ( La Terre); la guerre franco-prussienne
( La Débâcle ). L'impitoyable satire des institutions et des moeurs de son temps fait
du cycle romanesque Les Rougon-Macquart "une formidable machine de guerre
dressée contre le Second Empire". Cependant, comme le titre intégral l'indique (Les
Rougon-Macquart. Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire ),
Zola s'intéresse de près à l'hérédité, à la pathologie du système nerveux. Il affirmait dès
1865: "Nous sommes malades de progrès (..). L'équilibre est rompu entre la matière et
l'esprit". Ses personnages subissent à la fois les tares de leur ascendance maternelle ou
paternelle, ainsi que l'agression d'une société nouvelle. Les romans de Zola transposent,
au niveau poétique, les grands changements de structure de la deuxième moitié du XIXe
siècle : la naissance de l'âge industriel, la montée des masses, le machinisme, l'essor des
grandes villes.
L'univers des Rougon - Macquart est peuplé de présences fantastiques, hostiles à
l'homme : l'alambic du père Colombe ( L'Assommoir); la mine ( Germinal ); la
locomotive ( La Bête humaine ); le grand magasin ( Au Bonheur des Dames ); La Bourse
( L'Argent ); les Halles ( Le Ventre de Paris ). Zola a créé, à l'intérieur de chaque roman
et d'un roman à l'autre, un système d'images, de symboles et de mythes. Son
tempérament fougueux lui a permis d'échapper à l'étroitesse de sa doctrine: son
imagination visionnaire s'épanouit en fresques d'une grande force évocatrice. Médiocre
dans l'analyse des caractères individuels, Zola crée une atmosphère hallucinante,
lorsqu'il évoque les collectivités; par exemple: une séance à la Chambre des Députés; la
réunion et la révolte des mineurs; le tohu-bohu de la Bourse ou d'un grand magasin.
Son talent épique n'exclut point la veine lyrique, la haute poésie des descriptions.
Cela est dû aussi au fait que Zola a été aussi un critique d'art, à la fois passionné et
batailleur, prenant la défense de Manet et des peintres impressionnistes, qui exposaient
alors au Salon des Refusés. Le roman L' Oeuvre est d'ailleurs un prolongement direct de
la critique d'art et le peintre Claude Lantier incarne le génie incompris et maudit. A force
de côtoyer les impressionnistes, la technique descriptive de Zola se ressent de leur

29
technique picturale, des réverbérations d'ombres et de lumière, de la magie des couleurs
(les étalages de légumes, de fruits et de viandes, dans Le Ventre de Paris; les images
inoubliables à l'intérieur du grand magasin , dans Au Bonheur des Dames; les splendides
descriptions de Paris, dans Une Page d'amour; la symbolique des couleurs ( rouge / blanc
/ noir, dans Germinal).
A remarquer aussi la grande richesse du lexique zolien et la large place qu'il
accorde aux "langues de spécialité". Son style, âpre, compact et sobre, souvent imprégné
de poésie et soulevé par le souffle d'épopée, s'harmonise avec l'atmosphère de sombre
fatalité, qui domine l'oeuvre, mais qui laisse entrevoir un rayon d'espoir. S'il a eu une
attitude courageuse dans l'affaire Dreyfus, - dans son incendiaire manifeste J'Accuse
(1898) -, restant, avec Voltaire, le type accompli d'écrivain militant, dans ses dernières
oeuvres, il se laisse aller à l'utopie et à la rêverie. Le cycle Les Trois villes - Lourdes,
Rome, Paris -, propose un bilan du siècle, alors que Les Quatre Evangiles, Fécondité,
Vérité, Travail, Justice (inachevé) - suggèrent la possible création future d'une société de
justice et de paix.
A la fois "homme d'hier" et "homme de demain", combattant acharné et rêveur utopique,
Zola a vraiment incarné "un moment de la conscience humaine" (A. France), un moment
de référence pour l'évolution du roman français dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Plus que toute autre, la vie de Maupassant semble une "peau de chagrin": en
dix ans seulement s'édifie toute son oeuvre, abondante et variée: environ 300 contes
et nouvelles, 6 romans, 3 volumes d'impressions de voyage, un volume de vers et 3
pièces de théâtre. Puis la folie et la mort emportent celui qu'on avait appelé
"météore", le préservant de la dégradation évoquée, avec angoisse, dans beaucoup
de ses écrits. Sa biographie semble opposer deux aspects authentiques: d'une part,
le Normand beau et fort, épris de canotage, écrivain de succès, l'homme à femmes,
reçu dans le monde; d'autre part, le névrosé, anxieux, fasciné par le morbide,
condamné par son hérédité.
Son apprentissage à l'école d'un écrivain de la taille de Flaubert a eu une
grande influence sur son évolution littéraire. Grâce à Flaubert, Maupassant connaît
de grands écrivains de l'époque: Zola, les frères Goncourt, A. Daudet. A partir de
1875, il publie, sous pseudonyme, vers et nouvelles, mais m sera la nouvelle Boule
de suif , publiée en 1880, dans le recueil collectif Les Soirées de Médan, qui va
marquer le début d'une brillante carrière littéraire. Chef-d'oeuvre de la nouvelle
française, A. Thibaudet affirmait que "si Maupassant ne la dépassera pas, c'est
qu'on ne dépasse pas la perfection". Encouragé par ce succès foudroyant,
Maupassant renonce la carrière d'employé et se consacre aux lettres, en se
soumettant à une labeur immense, car il écrira toute son oeuvre en 10 ans: 16
volumes de contes et nouvelles et 6 romans: Une Vie (1883); Bel-Ami (1885);
Mont-Oriol (1887); Pierre et Jean (1888); Fort comme la mort (1889) et Notre
coeur (1890). En même temps que la célébrité, il acquiert aussi une fortune
considérable. Il loue un hôtel particulier à Paris, fréquente les milieux mondains et
voyage en Corse et en Algérie, qui lui inspirent des nouvelles et son premier
volume de notes de voyage, Au Soleil (1884). Au bord de son yacht Bel-Ami, il
entreprend des croisières en Méditerranée, à la suite desquelles il écrit deux autres
notes de voyage, Sur l'eau (1888 ) et La Vie errante (1890).
Vers 1891, Maupassant commence à donner des signes de folie et le
pessimisme s'empare petit à petit de lui. Certaines nouvelles fantastiques relatent
des cas d'hallucination, de peurs morbides, témoignant de son état de trouble
nerveux. Après une tentative ratée de suicide, il sera interné dans une maison de
santé. Après une longue agonie, il meurt en 1893, âgé à peine de 43 ans.
Bien des critiques littéraires considèrent Maupassant comme un représentant
de l'école naturaliste, aux côtés de Zola, des frères Goncourt et de Daudet -, par sa
vision pessimiste du monde et par son déséquilibre nerveux grandissant, ce qui
expliquerait un certain penchant pour le morbide, ainsi que son intérêt pour la vie
sombre et pour les héros sans éclat. Cependant, ce serait faire une injustice à

30
l'écrivain, si l'on passait sous silence le puissant filon réaliste, qui traverse son
oeuvre, ses dons d'observateur, les accents satiriques de la réalité envisagée.
D'ailleurs il a exprimé son adhésion théorique au réalisme, dans la Préface du
roman Pierre et Jean, intitulée Le Roman (1885), où il affirme que "Le réaliste, s'il
est un artiste, cherchera non pas à nous montrer la photographie banale de la vie,
mais à nous en donner la vision complète, plus saisissante, plus profonde que la
réalité même". C'est dans cette Préface qu'il se fait le théoricien d'un nouveau
réalisme: il s'agit de faire un choix des événements essentiels et de les mettre en
lumière, afin de produire la sensation d'une vérité spéciale: "Faire vrai consiste à
donner l'illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits.." Il en
conclut que "les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes".
L'écrivain doit dévoiler "le sens profond et caché des événements", de sorte que
son originalité résiderait dans "sa manière spéciale de penser, de voir, de comprendre
et de juger" (Préface). On doit rendre une vérité sélective, par le choix rigoureux des
détails les plus expressifs et révélateurs. Ce sera Flaubert à lui inculquer quelques
principes de base, qui vont orienter sa carrière d'écrivain: le besoin d'originalité; la
perfection du style; le fait que "le talent est une longue patience".
C'est sa propre vision du monde qu'il cherche à nous communiquer, en nous
forçant à penser, à comprendre le sens profond et caché des événements.
Maupassant nouvelliste. Pareil à une Comédie humaine, renfermant des
"scènes de vie" en miniature, l'ensemble de ses contes et nouvelles (environ 300,
répartis en 16 volumes) s'ordonne autour de quelques coordonnées thématiques
majeures: La Normandie natale, si chère à Maupassant, constitue un ample thème
à variations, reflétant la symbiose entre la nature d'une beauté étrange, mais pas
toujours accueillante et ses rudes habitants, profondément attachés à leur terre et
aux traditions du pays. Il est un excellent "peintre d'extérieurs" ( "Tout le vert de
la campagne, le vert de l'herbe et des arbres, semblait exaspéré au contact de cette
pourpre ardente et les deux couleurs voisines devenaient aveuglantes sous le feu
du soleil du Midi" (Farce normande), ou bien "la mer brillante et calme, à peine
remuée par la marée et sur la jetée toute la ville du Havre regardait entrer les
navire." (Une passion). Le paysan normand est laborieux et avare (Le Père
Amable), âpre au gain (Toine, Aux champs), mais il est parfois capable d'une
certaine noblesse des sentiments (Le Retour). A côté des "contes paysans", inspirés
du terroir normand, l'auteur écrit "contes de chasse", où il se met lui-même en
scène, désireux de découvrir le mystère caché dans la communion entre la nature et
l'homme.
Les événements tragiques de la guerre franco-prussienne (1870-1871), à
laquelle il avait pris part en tant que soldat, forment le sujet d'un grand nombre de
nouvelles, témoignant d'une position anti-militariste (La Mère Sauvage; Deux
Amis) et anti-chauvine (L'Aventure de Walter Schnaffs).
Dans la société bourgeoise vouée au profit, seuls les gens du peuple sont
capables d'héroïsme (Boule de suif; Rachel de Mlle Fifi; Le Père Milon). Il
reprend le thème romantique de la courtisane, supérieure aux femmes
"honorables". Boule de suif et Rachel incarnent la dignité patriotique.
Les " scènes de vie" de la petite bourgeoisie parisienne et provinciale
dévoilent une réalité morne et la vie monotone, sans horizon, que Maupassant a
bien connue, comme employé. Les récits Sur l'eau; Les Dimanches d'un bourgeois
de Paris; En Famille; Le Parapluie; L'Héritage, dévoilent l'existence pitoyable des
petits employés, qui tentent à cacher leur misère sous une apparente dignité. La
dissolution des moeurs bourgeoises (Les Bijoux; La Maison Tellier; Les Tombales)
complètent le panorama des tares de la société bourgeoise de son temps- Certains
récits dévoilent des accents anti-cléricaux (La Confession de Théodule Sabot).
Plusieurs en ont un cadre exotique (Allouma; Châli).
La nouvelle fantastique de Maupassant s'inscrit dans les coordonnées du récit
fantastique, dont la grande vogue était due à Hoffmann et à Poe, ayant maints

31
adeptes en France (Nodier, Gautier, Mérimée, Nerval), mais la spécificité du
fantastique, chez Maupassant, consiste dans le fait qu'il suit de près son propre mal,
reflétant les drames de ses hallucinations, de ses angoisses, de ses pensées et
conduites délirantes, de sa folie même. Rappelons en ce sens les pages saisissantes
de La Peur; Sur l'eau; Lui? ; Le Horla (l' obsession du double; chef-d'oeuvre du
genre); Apparition, Fou; Qui sait?
"Virtuose de la fabulation fantastique" (A.M. Schmidt), Maupassant connaît
l'art de prolonger son réalisme en un fantastique de l'inattendu et de l'exceptionnel,
- lié au pathologique -, et d'y utiliser, de main de maître, la psychanalyse, avec ses
subsidiaires, - l'hypnose, la suggestion, la télépathie etc.-touchant aux frontières de
l'illogique et de l'inconscient.
Grâce à la grande diversité des petits tableaux et des scènes prises sur le vif,
associée au souci constant d'assouplir les moyens artistiques, on a considéré
Maupassant, à juste titre, comme l'un des grands maîtres de la nouvelle française au
XIXe siècle. Son art se distingue par son sens de mesure et le choix des traits
caractéristiques, par la recherche d'une vérité choisie et expressive. A souligner l'acuité de
la vision, la concentration de l'intrigue et le rythme dynamique de la séquence, où le
VERBE a une importance capitale. Le détail, en tant que composante fondamentale,
impose un choix rigoureux. La description du cadre acquiert une brièveté expressive,
grâce aux termes à grande force évocatrice et à la variété chromatique du paysage. Il lui
confère une valeur psychologique participative. On a révélé son impressionnisme et sa
virtualité picturale. Par exemple: la description d'un bourg normand (La Ficelle), le
pittoresque d'un bal parisien (Le Masque), l'agitation de la foule, le dimanche, aux bords
de la Seine (La Femme de Paul); la fascination du monde aquatique (Un Soir; Sur l'eau),
etc. Les portraits, esquissés par quelques touches rapides, portent sur quelques
particularités physiques, gestes familiers, mimétisme du langage. L'art du dialogue pris
"sur le vif" est remarquable par son naturel et confère à ses récits un caractère d' oralité et
d' authenticité. Le choix judicieux des moyens d'expression contribue à l'impression
d'équilibre et de condensation, qui se dégage de ses nouvelles et font de leur auteur un
maître incontestable du genre.
Les romans de Maupassant reprennent et élargissent l'aire thématique de ses
nouvelles et témoignent d'une préoccupation constante pour l'investigation sociale et
psychologique. La satire des maux de son temps (l'hypocrisie bourgeoise, la femme mal
mariée, l'affairisme, le colonialisme, la guerre) s'allie à la volonté presque obsessive de
l'auteur d'aborder le problème métaphysique du mal et d'effleurer les zones tabou de la
morale bourgeoise (en partie, ce qui touche à la sexualité). Il y brosse un itinéraire
complet: celui d'une existence manquée (Une Vie, 1883), d'une carrière savamment
orchestrée (Bel-Ami, 1885), d'un adultère (Mont-Oriol, 1887) et d'une jalousie (Pierre et
Jean, 1888); la passion non partagée (Fort comme la mort, 1889) et les contradictions de
l'âme humaine (Notre coeur, 1890), dont le héros lui ressemble par plus d'un trait.
Dans Une Vie, l'héroïne, Jeanne, est la fille d'une famille de nobles de province et
tout semble la destiner au bonheur et à l'amour. En fait, c'est le thème des illusions
perdues, qui traverse le roman (rappelant L'Education sentimentale de Flaubert). Elle
subit, tour à tour, l'échec de la vie conjugale, l'échec du couple parental, ainsi que l'échec
sur le plan de l'amour maternel. C'est un univers sans espoir, où chacun répète les échecs
de la génération précédente, aggravant la déchéance morale et sociale d'une famille:
tableau réaliste, mais aussi roman naturaliste, par la destruction des rêves et par la
dégradation physique et morale.
Le roman Bel-Ami retrace un trajet inverse par rapport au trajet évoqué dans Une
Vie: là où l'échec s'approfondissait par paliers, le succès s'achemine de la même façon.
Suivant le fil de la carrière de l'arriviste Georges Duroy, l'auteur nous introduit dans
l'arène politique et sociale de l'époque. Roman d'apprentissage avant tout, puisque
Georges Duroy, appelé bientôt "Bel-Ami", s'adapte au jeu social et utilise son charme
physique pour accéder à la fortune. L'adaptation graduée du héros au mécanisme
intégrateur de la société, - en traversant, tour à tour, les milieux de la presse, des affaires

32
et de la vie politique -, confère au roman des accents balzaciens. La profession de foi du
héros est significative: "Chacun pour soi, la victoire est aux audacieux". Tout concourt à
une vision pessimiste, à peine éclairée par de rares moments de sensibilité et parfois
d'humour.
Dans ses romans on remarque la même préoccupation d'assouplir "le style artiste",
grâce à une gamme très variée de moyens artistiques adaptés au récit de plus grande
ampleur.

Subiecte pentru pregătirea temei:

1. Du realisme vers le naturalisme: le positivisme d’Auguste Comte et le materialisme


scientifique: la médecine, la sociologie
2. Emile Zola et les Rougon-Macquart. Una saga déterministe
3. Le naturalisme et le romantisme: rapport thématique. Le moi et la société. La nature
comme présence divine et la nature comme hérédité
4. Le naturalisme et sa fortune dans le réalisme du début du XXe siècle
5. Expliquez le titre du cycle romanesque de Zola : Les Rougon-Macquart. Histoire
naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire .
6. Les nouvelles de Maupassant : thèmes et structure.
7. L'univers thématique des romans de Maupassant.

Tests
1. Quel courant littéraire appartient au XIXe siècle?
a) la préciosité
b) le futurisme
c) le réalisme
d) le surréalisme

2. Quel écrivain français est considéré naturaliste?


a) Théophile Gautier
b) François Coppée
c) Emile Zola
d) Charles Baudelaire

3. Le naturalisme est une radicalisation du:


a) parnassiannisme
b) symbolisme
c) naturalisme
d) réalisme

4. Comment s’intitule le principal manifeste du naturalisme?


a) Le Roman naturaliste
b) L’experimentalisme
c) Le Naturalisme
d) Le Roman expérimental

5. Contre quel courant littéraire et de pensée se développe le naturalisme?


a) Le panthéisme
b) Le sensualisme
c) Le romantisme
d) Le symbolisme

33
6. A quelle famille appartiennent les protagonistes du cycle romanesque zolien?
a) Raquin-Macquart
b) Rougon-Macquart
c) Rogoun-Macquart
d) Rougonmacquart

7. Quelle est l’épistemologie du roman naturaliste?


a) mystique
b) poétique
c) scientifique
d) théologique

8. Quel est l’idéal de la mimesis naturaliste?


a) l’objectivité
b) la neutralité
c) la subjectivité
d) la mythologisation

9. Quel est le domaine scientifique qui a le plus influencé l’esthétique et la poétique


naturalistes?
a) la physiologie
b) la physique
c) la philologie
d) la médecine

10. Avec quel univers social le naturalisme a-t-il un lien très fort?
a) rural
b) exotique
c) urbain
d) oriental

11. Les drames naturalistes sont issus du conflit entre les personnages et
a) la société oû ils vivent
b) leur hérédité et celle de leurs parents
c) leurs options politiques
d) leurs goûts esthétiques

12. De quelle attitude idéologique et politique relèvent les pensées d’Emile Zola?
a) conservatrice
b) ultraciste
c) progressiste
d) communiste

13. Quel est le lien entre la nature et le naturalisme?


a) l’idée que l’essence humaine est naturelle
b) l’idée que la nature est éternelle
c) l’idée que la nature est le berceau de l’existence
d) l’idée que la nature est l’incarnation terrestre de la transcendance

34
14. Quand se manifeste le courant naturaliste?
a) au début du XIXe siècle
b) aux environs de 1848
c) à la mort de Napoléon
d) sous le Second Empire

Réponses aux tests d’autoévaluation


● La partie théorique des questions est incluse dans le résumé.
● L’argumentation / l’illustration des questions est basée sur la lecture de la bibliographie.
Réponses aux tests:
1c; 2c; 3d; 4d; 5c; 6b; 7c; 8a; 9d; 10c; 11b; 12a; 13a; 14d.

IV. LE POETE CHARLES BAUDELAIRE ET LE CONCEPT DE LA MODERNITE

L’objectif du chapitre
- La présentation de l’oeuvre baudelairienne en tant que carrefour esthétique entre le
romantisme et la poésie du XIXe siècle.

Romantique par le coeur, classique par l'intelligence et par l'esprit critique,


parnassien par le culte de la Beauté et par la recherche de la perfection formelle,
précurseur du symbolisme, par le fait qu'il proclame la nécessité de suggérer, au lieu de
décrire et par le réseau de signes qu'il découvre au sein de la Nature, Baudelaire occupe
une place à part dans la poésie française de la deuxième moitié du XIXe siècle et, plus
encore, dans toute l'histoire de la littérature française, par le frisson nouveau qu'il apporte.
Sa vie a été un douloureux voyage et son dandysme, ses attitudes provocatrices, son
amour du malsain et du morbide, son "baudelairisme", en un mot, cache un drame
profond, origine à la fois de sa grandeur et de sa misère. Baudelaire est un poète
moderne, car il éprouve avec acuité la réalité comme une sensation de désordre intérieur.
Reliant la cause de la poésie à celle de l'homme, Baudelaire s'engage totalement dans
l'aventure poétique et demande à la poésie la solution de ses conflits et l'accès à un
monde véritable. Sa doctrine, tout comme son oeuvre, sont étroitement liées à sa vie et
c'est dans son expérience vécue qu'il faut chercher la clé de son message et son
exceptionnelle importance. "Baudelaire, - disait Rimbaud -,, est le premier voyant, roi
des poètes, un vrai dieu". Non, Baudelaire était un homme avec sa grandeur et sa misère,
dont le tempérament était fait de contradictions douloureuses. A la fois sensible et
nerveux, émotif et cérébral, sensuel et rêveur il est le reflet de son époque. In ne
parviendra jamais à dépasser et à dominer les contradictions de sa nature et sa vocation
de témoigner, par sa sensibilité de poète, de l'expérience qu'il fit de son combat spirituel.
En 1857, Le recueil poétique Les Fleurs du mal (1857) lui vaut un procès en
justice correctionnelle, pour "outrage à la morale" (il doit payer une amende et supprimer
6 poèmes). Hugo tente de consoler Baudelaire de la condamnation de son livre, lui
envoyant une lettre où il affirmait: "Une des rares décorations que le régime actuel peut
accorder, vous venez de recevoir". Hugo va parler d' "un esprit nouveau", de cette
vibration originale, qui forme l'essence de sa création.
En 1860, il publie en volume Les Paradis artificiels (v. le cycle Tableaux
parisiens) et, en 1861, une seconde édition des Fleurs du mal. Il publie aussi un article
élogieux sur Richard Wagner et travaille à son ouvrage autobiographique Mon coeur mis
à nu. En 1862, il écrit des poèmes en prose, réunis plus tard sous le titre Le Spleen de
Paris et continue à traduire E.A. Poe. Les troubles nerveux (survenus en 1862) vont
s'aggraver de plus en plus; paralysé en 1866, il mourra le 31 août 1867.
La poétique mystique et symbolique de Baudelaire
Son oeuvre poétique et ses réflexions sur l'esthétique se sont développées
parallèlement. Dans le paradis de son esthétique figurent 3 génies, avec lesquels

35
Baudelaire a réalisé une parfaite identité: le peintre romantique E. Delacroix, l'écrivain
E.A. Poe et le compositeur R. Wagner.
Son admiration pour le plus grand peintre romantique, Eugène Delacroix, est due à
sa riche activité de critique d'art (les Salons). Devant ses toiles il a senti, à travers
l'harmonie des couleurs, les touches incandescentes, l' Imagination supernaturaliste d'une
âme inquiète, en proie à une mélancolie moderne. Delacroix considère que la Nature est
un dictionnaire pour l'artiste, qui doit en déchiffrer les symboles. Selon lui, l' Imagination
est la qualité principale de l'artiste.
La rencontre avec Edgar Alan Poe, - par la traduction de son oeuvre littéraire et,
surtout, du Principe poétique -, a été une révélation pour Baudelaire, qui voit dans
l'écrivain américain des similitudes avec son propre Moi. Tous les deux semblent
assoiffés d'atteindre la Beauté, obsédés par un pressentiment mystique des splendeurs du
monde d'au-delà (cf. le philosophe Swedenborg). Baudelaire a repris de Poe le principe
d'équivalence et des correspondances dans la représentation du Beau (v. les
synesthésies). Tout comme Richard Wagner, Baudelaire veut toucher l'âme universelle
de l'homme et captiver tout son être, en s'élevant vers les plus pures régions de la Beauté.
Wagner lui a confirmé la doctrine de l'harmonie des correspondances et Baudelaire est
convaincu que les arts doivent s'unir pour rendre possible cette émotion sublime de
l'âme, face à la révélation de l'harmonie divine.
Baudelaire ramène la poésie à sa fonction véritable de "symboliser la profondeur
de la vie, par l'évocation d'un spectacle plus ou moins intérieur" ( Journaux intimes).
En se consacrant au culte de la Beauté, il a compris que la Beauté idéale est
impossible et que le devoir de l'artiste est de découvrir la Beauté dans ce qui nous
entoure, à travers l'actuel, le particulier, l'individuel. Selon Baudelaire, la source de la
Beauté n'est pas absolument d'origine divine mais elle peut venir à la fois du Ciel et de
l'Enfer ( Hymne à la Beauté). Sa définition du Beau souligne l'ambivalence de la Beauté:
divine et satanique (v. Fusées X). La Beauté doit lui révéler, non la Vérité, mais
l'Inconnu et le mystère. Le Poète a pour mission de se chercher lui-même, de se découvrir
à travers ses états d'âme et ses sens. Si Buffon a dit que "le style, c'est l'homme même",
Baudelaire pourrait dire: "Le style, c'est le tempérament". Le poète doit "exprimer une
réalité spirituelle".
Les Fleurs du mal est le livre maître de la poésie moderne: les poètes symbolistes (Rimbaud,
Verlaine, Mallarmé), Paul Valéry, les poètes surréalistes, tous procèdent de lui.
Son tempérament excessif, son déchirement intérieur, sa bipolarité fondamentale, -
la tentation d'élévation et de chute, son oscillation entre l'Idéal et le Spleen, l'amour
mystique et satanique, le rêve d'évasion et d'immobilité - tout cela constitue la source de
son oeuvre.
L'architecture des Fleurs du mal
Dans sa Correspondance et dans ses projets de Préface aux Fleurs du mal, le
poète a toujours exigé de son lecteur potentiel une attention particulière à
l'architecture de son recueil.
On doit d'abord remarquer les connotations des deux notions antithétiques du
titre: Fleurs, suggérant la Beauté, les régions claires de l'esprit et Mal, suggérant
le péché, le déchirement intérieur, les tourments de la passion, le spleen, les zones
ténébreuses de la conscience. On y décèle un sentiment de joie, d' exaltation dans
le Mal, esthétiquement fécond, que le poète semble devoir connaître et traverser,
comme une étape nécessaire, pour produire la Beauté, grâce à l'effet purificateur de
la poésie. On peut parler, pour Les Fleurs du mal, d'une "architecture secrète", qui
se trouve à la base du recueil. Baudelaire regroupe ses poèmes en 6 parties, qui
sont autant de "stations" de sa démarche poétique. L'édition définitive offre la
structure suivante:
I. Spleen et Idéal (la plus longue section, ayant 85 poèmes sur 126), où le
poète décrit la double postulation de son être, déchiré entre la soif d'une identité
perdue et son enlisement dans les tourments quotidiens, qu'il nomme "spleen": il
représente la forme exaspérée du "mal du siècle", mais, chez Baudelaire, c'est aussi

36
un état pathologique. "Le drame spirituel", "mal d'intelligence" (G. Blin), "détresse
du solitaire, qui tourne vers son coeur la pointe du savoir". "Le spleen" est la
suprême incarnation de la mauvaise conscience, qui prête attention à ses péchés,
sans pouvoir y renoncer. Cette section renferme le déchirement du poète entre deux
pôles contraires, entre la chute ("le spleen") et l'élévation ("l'Idéal"), entre Dieu et
Satan, entre le Bien et le Mal, entre la chair et l'esprit. Ce cycle est fait
d'évocations sentimentales, mais représente aussi une analyse lucide du mal qui le
déchire. Il y met aussi en scène deux inspiratrices : la Vénus noire (Anne Duval) et
la Vénus blanche (Mme Sabatier). Le poète refuse d'accorder à la Nature un
pouvoir consolateur, mais elle l'intéresse en tant que réseau de symboles, dont le
poète doit déchiffrer les sens. "Les parfums, les couleurs et les sons se répondent",
affirme-t-il dans le sonnet Correspondances -, exprimant l'idée des analogies (ou
"synesthésies") entre les choses et les sensations, qui reflètent l'unité de la création
(.Swedenborg). Cela révèle un élément primordial de sa poésie: l'étroite relation du
physique et du spirituel. L'échec du poète conduit à l'image du "spleen"
(concentrée dans 4 poèmes), dont le troisième Spleen commence par: "Quand le
ciel bas et lourd pèse comme un couvercle…"
Dans les sections II - V, son expérience s'élargit dans un itinéraire plus vaste;
elles embrassent "les paradis artificiels", ,depuis les plus innocents aux plus pervertis:
II. Tableaux parisiens (86 - 103), où "la fourmillante cité pleine de rêves"
impose au poète le miroir multiple de sa laideur et de son mal, ainsi que le miroir
d'un lieu magique, où se perdre, c'est aussi se retrouver ( Rêve parisien). Le poète
est le premier poète du Paris moderne.
Dans les deux sections suivantes, il décrit ses tentatives désespérées d'échapper
au spleen, par la fréquentation de ses semblables, par l'ivresse et par le vice:
III. Le vin (104 -108) est la première des tentations de la chair. C'est le vin de
l'assassin et des voleurs, le vin du solitaire, celui des amants et des femmes
galantes. Il y cristallise les rêves imposteurs de libération et d'aspiration vers "le
paradis" perdu.
IV. Fleurs du mal (109 - 117) est un autre florilège des vices et des péchés
de la chair.
V. La révolte (118 - 120), où l'homme revenu de toutes les tentations et dégoûté
de toutes les tentatives échouées, s'adonne aux imprécations de l'esprit et de l'âme.
VI. La mort (121 - 126), dernière tentation et suprême sacrifice, où le pauvre,
l'amant, l'artiste, confient au miracle d'un dernier voyage (v. Le Voyage, symbole de la
quête de l'infini).
Conclusion finale: Echec du voyage de la vie, appel au voyage de la mort.
L'analyse de la thématique du recueil confirme ses ambitions et la fatalité des
contraires.
Le poète est davantage lui-même, quand il s'abandonne aux raffinements de certaines
sensations ou rêveries (Parfum exotique; Le Balcon; Les Chats; L'Invitation au voyage).
Le langage des Fleurs du mal est marqué par: la capacité de suggestion des mots; la
densité; la spontanéité; "la magie du verbe", la force poétique des mots, leur "sorcellerie
évocatoire". Sa force
n'est pas dans la capacité de décrire, mais de suggérer. Sa sensibilité a défini une nouvelle
manière de sentir. Le tragique de sa destinée et ses tentatives d'élucider la mission du poète
ont fait de Baudelaire le père de la poésie moderne.

Concepts clé:
- la poétique mystique
- le spleen
- la synesthésie
- les paradis artificiels
- suggestion vs évocation

37
Subiecte pentru pregătirea temei:

1. La conception baudelairienne sur la poésie vs l’idéal romantique.


2. Les (res)sources esthétiques extérieures à l’oeuvre baudelairienne (le critique et le poète).
3. La signification du titre Les Fleurs du mal.
4. Structure et signification dans Les Fleurs du mal.
5. Le spleen baudelairien et le mal du siècle romantique.
6. Baudelaire – précurseur de la poésie moderne.
7. Modernité de l'esthétique de Baudelaire et thèmes majeurs des Fleurs du mal.
8. "Spleen et Idéal " dans Les Fleurs du mal de Baudelaire.

Teste de autoevaluare:
1. Expliquez le concept de „baudelairisme”.
2. Commentez l’affirmation de Rimbaud: „Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un
vrai dieu.”
3. Exprimez et argumentez votre point de vue sur l’opinion de Paul Valéry: „Baudelaire,
quoique romantique d’origine et même romantique par ses goűts, peut quelque fois faire
figure d’un classique.”
4. Expliquez le conseil baudelairien: „Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps,
enivrez-vous sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.” (Petits poèmes en
prose)

Tests:
1. Le poète étranger avec lequel Baudelaire trouve des affinités est:
a. Shakespeare
b. Goethe
c. Poe

2. Les trois personnalités avec lesquelles s’identifie Ch. Baudelaire sont:


a. E. Delacroix, E. A. Poe, R. Wagner
b. E. Géricault, V. Hugo, A. Ravel
c. A. Poussin, A. de Vigny, R. Strauss

3. Le principe baudelairien des correspondances est inspiré par:


a. V. Hugo
b. E. A. Poe
c. A. Rimbaud

4. Les correspondances baudelairiennes sont:


a. des équivalences entre le moi et la nature / la société
b. des équivalences entre les états d’âme
c. des équivalences entre les perceptions d’une réalité

5. La figure par laquelle se réalisent au niveau stylistique les correspondances est:


a. la synesthésie
b. la symétrie
c. le parallélisme

6. La conclusion des Fleurs du mal est:

38
a. optimiste – la beauté existe dans le mal
b. pessimiste - le voyage de la vie échoue dans la mort
c. ambiguë – le mal attire, étant méprisable

Réponses aux tests:


Les tests d’autoévaluation:
La base théorique des tests se retrouve dans le résumé. L’argumentation se rattache à la
lecture des Fleurs du mal et de la bibliographie théorique indiquée.
Les tests grille: 1c, 2a, 3b, 4c, 5a, 6c.

39

Vous aimerez peut-être aussi