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25/11/2019 Quand le Dr Tosquelles combat la faim à Saint-Alban - Libération

U N E AV E N T U R E D E F O U S ( 2 / 5 )

Quand le Dr Tosquelles
combat la faim à Saint-
Alban
Par Eric Favereau(https://www.liberation.fr/auteur/1848-
eric-favereau) et Philippe Artières, (historien)
(https://www.liberation.fr/auteur/2263-philippe-artieres) —
31 juillet 2016 à 17:11

François Tosquelles dans le jardin de l’hôpital psychiatrique de


Saint-Alban, en 1945. Photo Romain Vigouroux

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L’hôpital lozérien raconte, à travers la figure du


médecin catalan pendant la Seconde Guerre mondiale,
une histoire qui a bouleversé la psychiatrie française.

Le comprend-il immédiatement ou faut-il attendre quelques mois que les effets


de la guerre se fassent ressentir jusque dans les gamelles ? Très vite en tout cas
après l’arrivée, en janvier 1940, du médecin catalan François Tosquelles à
l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère), une urgence saute aux yeux,
bien loin des traités de psychiatrie, une urgence aussi élémentaire que visible :
nourrir les malades.

La tâche est immense, et elle l’est d’autant plus qu’en 1940, l’Etat français a
réquisitionné 25 établissements psychiatriques en France, dont les malades se
sont retrouvés expatriés vers d’autres hôpitaux. Saint-Alban, déjà bien rempli, a
dû accueillir les patients de Rouffach (Haut-Rhin) et de Ville-Evrard, en
banlieue parisienne.

Ils sont là, ils s’entassent dans le vieux château et ses dépendances. Sous-
alimentés, pour certains enfermés en cellule. Le lieu, parfois, ressemble à un
camp de concentration. Que faire ? Bizarrement, comme un trop lourd secret, il
y a très peu de témoignages de patients, très peu aussi de témoignages de
médecins ou d’infirmières sur la famine qui va régner dans les hôpitaux
psychiatriques. La question de la survie avait beau être la première des
préoccupations, c’est le silence qui prévaut. Et il faudra attendre 1987 pour que
Max Lafont, un jeune médecin de l’hôpital du Vinatier près de Lyon, publie un
ouvrage intitulé l’Extermination douce. Il évoque les 40 000 malades mentaux,
morts de faim dans les asiles de l’Hexagone. Non pas une famine intentionnelle
décidée d’en haut, mais voilà une foultitude de morts à petits feux, partout en
France. Plus de 3 000 par exemple à l’hôpital psychiatrique du Vinatier où
aucun des poilus internés depuis la Première Guerre mondiale ne survivra, et
les cinquante malades mentaux juifs, convoyés depuis l’Alsace fin 1940 et qui
avaient échappé à la déportation, mourront de faim.

«Marché noir»

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Partout, dans les asiles, on meurt, faute de nourriture. Et surtout faute


d’attention. Partout, sauf à Saint-Alban. Les chiffres de décès des patients ont
certes augmenté, mais faiblement. En 1938, il y a eu 32 morts. En 1939, 30.
En 1940, 56. 1941 sera l’année la plus meurtrière avec 74 décès. Puis, le nombre
de morts diminuera : 65 en 1942 ; 62 en 1943 ; 29 en 1944 et 16 en 1945 (1).

Pourquoi ? En fait, très vite, le jeune psychiatre catalan et le directeur de


l’hôpital, Paul Balvet, avant de partir dans un autre établissement, en font une
de leurs priorités : nourrir les malades. Cela peut paraître banal, mais c’est une
réaction rarissime. «On a fait tout ce que l’on pouvait», racontera par bribes
François Tosquelles qui, de fait, n’en parlera pas beaucoup. Juste des anecdotes.
«On a mis les malades pour faire le marché noir, on a fait aux malades des
expositions de champignons pour apprendre à les reconnaître.» Une autre fois
: «On se servait de tout, il y avait des cartes de tuberculeux qui permettaient
d’avoir de meilleures rations. On a inventé un service de tuberculeux, à chaque
malade ayant un œdème pulmonaire [marque éventuelle d’une sous-nutrition,
ndlr], on faisait le diagnostic. Il y a tout un enchaînement de choses comme
ça.»

troc avec les villageois


A Saint-Alban, on réagit aussi en sollicitant une augmentation de budget afin de
couvrir les dépenses occasionnées par l’arrivée de nouveaux malades, mais on
ne sait pas si la demande a été acceptée. En matière de nourriture, l’hôpital n’est
pas démuni comme les grands établissements citadins, mais il est dans une
situation paradoxale : il a ses propres ressources, notamment grâce à la ferme
du Villaret située juste au-dessus du château, mais celles-ci sont largement
réquisitionnées. Ainsi, sur les 7 tonnes de viande produites, l’hôpital ne peut en
garder qu’un peu plus de 2 tonnes en 1941. Et surtout, tout manque. L’herbage
aussi, des bêtes meurent. A partir de 1941, il n’y a plus que du porc et du
mouton. Les hivers sont rudes, et, en 1941 et 1942, c’est au tour de la viande et
du fromage de faire défaut. La quantité de lait passe de 50 litres par jour
en 1939 à 15 litres.

Comment survivre, dès lors ? C’est tout l’hôpital qui doit changer. Et c’est une
aubaine. L’institution doit s’ouvrir, l’extérieur aussi : non seulement bon
nombre de fermes avoisinantes manquent de main-d’œuvre, et l’hôpital peut
leur en fournir en échange de nourriture, mais la bonne idée va être la

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transformation de la ferme de l’hôpital en potager. Une partie du personnel et


124 malades sont désignés pour activer la production agricole. Dans la ferme,
sont cultivés des choux, des raves, des poireaux, des oignons, des aulx, des
haricots, des choux-raves, des pois verts et des carottes. Le chou est le légume le
plus abondant, à tel point que, pendant la guerre, l’hôpital va produire jusqu’à
5 tonnes de choucroute. Et ce n’est pas tout. Ainsi, le travail de malades dans le
cadre des ateliers d’ergothérapie évolue : on leur fait fabriquer des objets plus
utiles, ce qui va permettre de faire du troc avec les villageois, d’obtenir des œufs,
des fruits et d’autres denrées.

Au final, Saint-Alban, loin de tout, sera l’hôpital qui aura perdu le moins de
patients. Mais, bizarrement, cette histoire ne s’inscrit pas dans les murs, ni dans
les mots. Cela reste discret, et même François Tosquelles ne mettra jamais en
avant ce qui est la plus grande victoire de tous ses combats. Et cette expérience
de lutte contre la faim sera fondatrice de la révolution psychiatrique qui
s’annonce.

(1) Mémoire de maîtrise «l’Hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-


Limagnole de 1939 à 1945», présenté par Florian Sidobre, en juin 1999.

Mardi : Quand Tosquelles rencontre Éluard

Eric Favereau (https://www.liberation.fr/auteur/1848-eric-favereau) , Philippe


Artières (historien)(https://www.liberation.fr/auteur/2263-philippe-artieres)

https://www.liberation.fr/france/2016/07/31/quand-le-dr-tosquelles-combat-la-faim-a-saint-alban_1469579 4/4

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