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Prévot Françoise. Sidoine Apollinaire et l'Auvergne. In: Revue d'histoire de l'Église de France, tome 79, n°203, 1993. pp. 243-
259;
doi : 10.3406/rhef.1993.1114
http://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1993_num_79_203_1114
Zusammenfassung
Sidonius' Werk zeigt das tiefe Zugehörigkeitsgefühl der Auvergne zum Römertum im 5. Jahrhundert.
Nach harten Prüfungen um die Jahrhundertwende lebt sie zunächst in friedlichem Einverständnis mit
Rom, und indem sie dann, dem Beispiel ihres neuen Bischofs folgend, den Goten widersteht, spricht
sie deutlich ihren Wunsch aus, römish zu bleiben ; und es gelingt ihr, allen politischen Wechselfällen
zum Trotz. Sidonius' Grabschrift (1991 wurden zwei Fragmente freigelegt) zeugt von der Gesinnung
der Arverner in den achtziger Jahren des 5. Jahrunderts : dem Leser zeigt sich hier kein Kirchenmann,
sondern ein Römer, welcher Kultur, Gerechtigkeit und Frieden gegen Barbarei, Anarchie und Krieg
verteidigt.
SIDOINE APOLLINAIRE ET L'AUVERGNE 1
Certes, Sidoine s'intéresse beaucoup plus à la vie oisive des nobles dans
leurs domaines qu'à l'activité des campagnes, mais cette vie facile ne serait
pas possible si les domaines n'étaient pas prospères ; et ils le sont en partie
parce que les propriétaires en supervisent attentivement la gestion. C'est ce
que montre une lettre de Sidoine à son ami Maurisius, vers 465 :
« J'apprends que la vendange est à la hauteur de ton activité et répond aux vœux
de tous, la récolte étant plus abondante que ne le laissait craindre une année de
sécheresse. Et c'est une raison pour toi, je suppose, de demeurer plus longtemps à
Vialoscensis (Marsat) [...]; car ce ne sont pas seulement des vignes en plein rapport
que tu possèdes en ce lieu mais, en outre, une propriété dont l'importance n'est pas
moindre que celle de son maître et qui est de nature à te retenir, avec ta famille,
grâce aux avantages multiples que vous assurent la récolte et les maisons
d'habitation » 20.
Dans une autre lettre 21, Sidoine reproche à son ami Eutropius de trop
« s'abandonner à la compagnie des bouviers [...] et des porchers », mais rien
ne prouve qu'Eutropius soit un Arverne.
On regrette, bien sûr, que Sidoine ne parle des plus pauvres que pour
évoquer globalement et avec mépris « les hommes du commun [...], mal
dégrossis et bourrés d'oignons jusqu'à l'indigestion » ffi ; mais, avant les
années 470, tout indique que les Arvernes n'ont pas connu de misère
dramatique. Il n'y a d'ailleurs manifestement pas eu de bagaude dans la
région :
— Les communications se font sans problèmes. Par exemple, quand
Sidoine ne reçoit pas de lettres, il accuse ses amis de paresse et les prévient
d'emblée qu'il ne les croira pas s'ils essaient de se disculper en accusant la
négligence du messager. C'est donc là l'excuse normale : personne ne songe
à prétexter l'insécurité des routes.
— D'autre part, l'œuvre de Sidoine ne contient aucune allusion à un
brigandage en Auvergne. Il parle bien d'une femme enlevée par des
brigands et vendue comme esclave à Clermont, mais le rapt a eu lieu hors
d'Auvergne, puisque les parents de la malheureuse ont longtemps parcouru
la Gaule avant de retrouver sa trace à Clermont où elle était d'ailleurs
morte entre temps 23.
Quant à la ville, elle n'est guère évoquée avant l'accession de Sidoine à
l'épiscopat. Il en parle alors comme d'un municipiolum ^ ce qui semble
indiquer qu'elle n'est pas très importante ; mais ce genre d'expression ne
doit pas forcément être pris au pied de la lettre : c'est aussi une façon pour
Sidoine de faire preuve d'humilité en affirmant qu'il ne dirige que l'Église
d'une toute petite cité.
Avant son épiscopat, la seule indication qui transparaisse indirectement,
c'est que Clermont est un petit centre culturel. En effet, parmi les
professeurs dont Sidoine nous fournit les noms, le grammairien Domitius
officie à coup sûr à Clermont. Vers 465 en effet, Sidoine l'invite à
Avitacum ^ et le ton de la lettre montre que le voyage ne sera pas long.
D'ailleurs, dans le poème XXIV, qui décrit le trajet que suivra le livre de
Sidoine pour rendre visite à tous ses amis, la première étape est chez
Domitius 2б.
C'est aussi vraisemblablement à Clermont qu'enseigne le rhéteur
Hesperius, l'un des correspondants de Sidoine эт ; Sidoine ne le dit pas
expressément, mais la façon dont il l'évoque dans une de ses lettres le laisse
supposer : en effet, vers 476-477, alors que Sidoine était évêque et résidait
à Clermont, il a rencontré Hesperius, « la perle des amis et de notre
littérature », qui revenait de Toulouse : cum rediit e Tolosatium 28. Tout
indique donc que la résidence habituelle d'Hesperius est Clermont. Plus
tard, ce même Hesperius fut le professeur d'un des fils de Ruricius ^
évêque de Limoges mais époux d'une Arverne 30.
À lire Sidoine, la cité paraît donc prospère. Et c'est ce qui explique les
illusions de Sidoine, comme d'une grande partie de la noblesse arverne 31.
— Première illusion : il a foi en l'avenir de Rome et, chaque fois qu'un
nouvel empereur monte sur le trône, il est plein d'espoir. Cet espoir est
partagé par une grande partie de la noblesse arverne, puisqu'en 467 il part
pour Rome présenter à Anthemius « les requêtes de la délégation
d'Auvergne »32. Sidoine croit à l'Empire et croit possible d'oeuvrer
efficacement à son service. Il reste attaché à l'idéal traditionnel du noble
romain : « s'élever au-dessus de ses ancêtres »33. L'illusion est tenace
puisque, encore en 474, Sidoine se réjouit de l'avènement de Iulius Nepos,
« un juste prince » м, et espère que son fils et son neveu sauront « rendre
consulaire la famille patricienne dont ils héritent » 35.
— Deuxième illusion : il croit, comme son beau-père Avitus, pouvoir
canaliser et utiliser la force barbare au service de l'Empire, du moins celle
des Wisigoths. Il est toujours très méprisant quand il parle des Burgon-
des ^ mais admire au contraire les rois wisigoths, qui sont très romanisés :
Théodoric Ier, ami d'Avitus 37 et Théodoric II, qui a permis à ce même
Avitus de parvenir à l'Empire 38. Sidoine a fréquenté la cour de
Théodoric II et a fait du roi le portrait extrêmement flatteur que tout le monde
connaît 39.
Cependant, peu à peu, les yeux de Sidoine se sont ouverts et il a pris
conscience du danger qui menaçait la Romania. Il est alors devenu
l'animateur de la résistance de l'Auvergne face aux Wisigoths. Jusqu'alors
40. Ep. IV, 18, 4, p. 152. Loyen date cette lettre de 467 environ et certains éléments
semblent prouver que l'amitié entre les deux hommes n'est pas récente.
41. La ville de Tours du IVe au VF siècles, Rome, 1983, p. 140-141.
42. M. Rouche, op. cit., p. 40-41.
43. Ep. IV, 8, p. 128-130.
44. Contra, M. Rouche, op. cit., p. 36.
45. Hydace 238-240, année 467, éd. A. Tranoy, Paris, 1974, Sources chrétiennes 218-219,
p. 172-174 ; cf. H. Wolfram, op. cit., p. 197.
46. Grégoire de Tours, HF, II, 18, p. 65.
SIDOINE APOLLINAIRE ET L'AUVERGNE 249
Deux événements montrent que Sidoine l'a compris, et qu'il n'est pas le
seul. Le premier est l'affaire Arvandus. Cet ami de Sidoine, préfet du
prétoire des Gaules depuis 464, est accusé en 468 de concussion 47 ; cela
aurait pu être assez banal, mais ce qui perdit Arvandus, c'est qu'on
intercepta une lettre qu'il avait écrite à Euric et dans laquelle « il lui
déconseillait de faire la paix avec l'empereur grec [Anthemius], lui
montrait la nécessité d'attaquer les Bretons installés au nord de la Loire,
affirmait que les Gaules devaient, suivant le droit des peuples, être
partagées avec les Burgondes »48. L'assemblée des Sept provinces, où
siégeaient des Arvernes, l'accusa de lèse-majesté et il fut condamné
à mort par le Sénat. Sidoine, qui était alors préfet de la Ville, avait
compris la gravité de la situation et lui avait conseillé de tout nier,
mais Arvandus n'avait rien voulu savoir. Il considérait sans doute qu'il
n'avait fait que suivre la politique traditionnelle de Rome au Ve siècle,
c'est-à-dire apaiser les Barbares et renouveler le foedus qui les liait à
Rome, en reconnaissant l'élargissement de leur cantonnement.
Probablement comptait-il aussi sur l'appui de Ricimer. Sidoine considère son ami
comme un imprudent inconscient ; il est en tout cas le dernier à avoir pu
l'être : sa condamnation, commuée par l'empereur en déportation, clarifie
désormais les positions. Il faut choisir : collaborer avec le Barbare ou
résister.
Un deuxième événement montre que l'Auvergne, avant même d'être
attaquée, a choisi : quand, en 470, Seronatus, qui est sans doute vicaire des
Sept provinces m, prend ouvertement parti pour Euric, « exaltant les Goths
et insultant les Romains » ^ ce sont les Arvernes, écrit Sidoine, « qui, par
amour pour Rome, n'ont pas craint de livrer aux lois Seronatus qui offrait
aux Barbares nos provinces » 51. Quand Sidoine dit « les Arvernes », il s'agit
bien évidemment des délégués à l'assemblée des Sept provinces. Il faut
cependant ajouter que Seronatus pressurait les provinciaux de manière
éhontée : le patriotisme n'était donc sans doute pas la seule motivation des
Arvernes.
En tout cas désormais, Sidoine, comme les Arvernes, a choisi son camp
et se prépare à agir. La situation est devenue très grave puisque, dès 471,
il ne reste plus « que la ville des Arvernes dans le parti des Romains » 52.
Il va falloir bientôt passer à l'action.
Dès 470, Sidoine fait appel à son beau-frère Ecdicius, pour qu'il organise
la défense militaire de l'Auvergne 53. Lui-même se prépare à entrer dans le
clergé. Il l'annonce implicitement à Ecdicius, puisqu'il lui écrit : « Si l'État
n'a plus ni forces ni soldats, si (comme le bruit en court) l'empereur
54. Ibid.
55. Voir l'épitaphe de son grand-père, ep. III, 12, 5, v. 13-16, p. 103.
56. Exemple : Ep. IV, 1, 2, p. 112 et 251.
57. Exemple : carmen XVII, v. 19-20, p. 127 (au plus tard en 461 : Loyen, I, p. хххн) :
Tu tamen ut venias petimus ; dabit omnia Christus,
hic mihi qui patriam fecit amore tuo.
58. Loyen, I, p. xxxiv-xxxv.
59. Ep. VII, 15, 1-2, p. 74.
60. Loyen, III, p. 194, n. 82. Contra : Anderson, op. cit., p. xliv.
61. Exemple : ep. IV, 6, 1, p. 124 et IV, 9, 5, p. 132.
62. Exemple : ep. IV, 13, 3, p. 142.
SIDOINE APOLLINAIRE ET L'AUVERGNE 251
paroisses désertées ; il cite neuf cités privées d'évêque 69. Il est donc clair
que lutter contre Euric signifie à la fois lutter pour Rome et pour la vraie
foi, et c'est ce que Sidoine a dû montrer à ses ouailles.
On a malheureusement peu de renseignements précis sur l'attitude des
individus face à ce problème ; trois cas apparaissent cependant :
— Les résistants actifs, tels Ecdicius 70, nommé d'ailleurs magister
militum en 474 71, et Eucherius, dont Sidoine regrette qu'il ne soit pas
récompensé par l'Empire en fonction de ses mérites 72. En 471, il figurait
parmi les candidats au siège episcopal de Bourges, mais avait été écarté
d'office car il avait été marié deux fois 73. N'ayant pu œuvrer sur le plan
spirituel, il a décidé de lutter les armes à la main.
— Les fuyards : Sidoine nous en fournit un exemple quand, en 476, il
intervient en faveur d'un diacre qui a fui turbinem depraedationis
Gothicae et s'est réfugié dans la cité d'Auxerre 74.
— Les collaborateurs : c'est ainsi qu'un certain Calminius combat dans
l'armée d'Euric qui assiège Clermont. Sidoine, qui lui écrit, affirme que
c'est contre son gré 75, mais H. Wolfram en doute 7б. Il est difficile de se
prononcer.
C'est tout ce que l'on peut tirer de l'œuvre de Sidoine à ce sujet. On a
parfois dit que Victorius, qui représente le pouvoir wisigoth à Clermont
après 475, était au service d'Euric dès 471 (cf. infra), et qu'il commandait
les expéditions contre l'Auvergne т"7, dont il aurait été lui-même
originaire 78, mais ce n'est pas du tout assuré те.
On sait que la résistance des Arvernes fut vaine puisque, en 475, Iulius
Nepos reconnut les conquêtes d'Euric et lui céda l'Auvergne en échange de
la Provence. Sidoine, qui ne se doutait de rien 8°, fut cruellement déçu et
envoya une lettre virulente à l'un des négociateurs, l'évêque Graecus de
Marseille 81. « L'Auvergne s'attend au supplice », écrit-il. En fait, il n'y eut
pas de supplice et la vie reprit rapidement son cours. Une troisième période
s'ouvre alors, durant laquelle l'Auvergne continue d'affirmer sa romanité.
69. Ep. VII, p. 43-46, particulièrement § 2 et 6-9. Les cités privées d'évêque sont Bordeaux,
Périgueux, Rodez, Limoges, le Gévaudan, Eauze, Bazas, Saint-Bertrand-de-Comminges et
Auch (§ 7).
70. Ep. III, 3-8, p. 87-89.
71. Ep. V, 16, 1, p. 199 et n. 48, p. 239 .
72. Ep. III, 8, p. 97.
73. Ep. VII, 9, 18, p. 58.
74. Ep. VI, 10, 1, p. 24.
75. Ep. V, 12, p. 193.
76. H. Wolfram, op. cit., p. 201.
77. Ibid.
78. С. FouRNiER, Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le haut Moyen Âge,
Paris, 1962, p. 162.
79. Cf. infra.
80. Ep. VII, 6, p. 43-46 : Sidoine, ayant appris que l'évêque Basilius d'Aix fait partie de
l'ambassade chargée de négocier avec Euric, lui demande d'obtenir la permission d'ordonner
des évêques dans les zones qui seront abandonnées à Euric ; il n'imagine pas du tout que le
sort de l'Auvergne est en jeu.
81. Ep. VII, 7, p. 47-49.
SIDOINE APOLLINAIRE ET L'AUVERGNE 253
♦
* *
L'essentiel pour notre propos est que Sidoine présente Victorius comme
un bon catholique, qui prit à sa charge les funérailles de l'abbé Abraham 9б.
D'après Grégoire de Tours, il fit construire des « cryptes » à Clermont, une
nouvelle basilique sur le tombeau de saint Julien à Brioude et une basilique
dédiée à saint Laurent et saint Germain à Liziniat (Saint-Germain-
Lembron) 97. On ne voit donc aucune trace de fanatisme arien
anticatholique. Euric a lutté contre la hiérarchie catholique quand elle
s'opposait à ses conquêtes mais, une fois son pouvoir bien établi, il laisse
le clergé accomplir sa tache et les fidèles fréquenter les lieux saints.
Pour toutes ces raisons, Sidoine et les Arvernes acceptent le pouvoir
gothique. Mais ils l'acceptent sans se renier, au contraire. Sidoine, comme
beaucoup d'autres nobles, a compris que l'essentiel dépasse les vicissitudes
politiques. C'est pourquoi il ne critique pas ses amis qui collaborent avec
Euric 9e. L'essentiel, c'est bien sûr la vraie vie après la mort ", mais aussi,
sur cette terre, la survie de la culture romaine 10°. C'est pourquoi Sidoine
s'attelle à la publication de sa correspondance, dont le t. I était paru dès
469. Si l'on suit la chronologie proposée par A. Loyen 101, un recueil
regroupant les 7 premiers livres est publié en 477, le t. VIII en 479 et le
t. IX en 482.
Grâce à ce travail, Sidoine a complètement surmonté la crise morale qui
l'avait abattu durant son exil. Il a conscience que ses lettres aideront à
préserver la langue, la culture et les valeurs romaines et n'hésite pas à
publier ses lettres anti-barbares, en particulier celle où il attaquait
violemment Euric et les négociateurs de la paix de 475 car, écrit-il à
Constantius, « je ne tolérerai jamais la servilité de l'esprit » 102. Les deux
derniers volumes ont pu être révisés dans le calme et contiennent beaucoup
plus de réminiscences de Pline et de Symmaque que les deux
précédents 103, ce qui était considéré comme le comble du raffinement.
Euric a laissé faire cette publication : peut-être parce qu'il prenait
Sidoine au pied de la lettre et considérait ses écrits comme un bavardage
sans importance, mais surtout parce qu'il avait bien vu que l'œuvre de
Sidoine contribuerait à propager la renommée de la puissance wisigothique.
Le calme règne, mais l'Auvergne garde un esprit frondeur, comme en
témoignent, semble-t-il, deux événements rapportés par Grégoire de Tours.
Le premier est l'affaire Eucherius/Victorius : d'après Grégoire, le duc
Victorius fit emprisonner Eucherius, puis il le fit sortir de nuit, le fit
attacher contre un mur et fit abattre le mur sur lui104. Sans doute voulait-il
105. Ibid. La fuite du fils de Sidoine, Apollinaris, est signalée dans Glor. Mart., 44, p. 68.
106. HF, II, 23, p. 68-69.
SIDOINE APOLLINAIRE ET L AUVERGNE 257
pro- Wisigoths minoritaire et Ton comprend alors mieux que l'un d'eux ait
connu la même fin honteuse qu'Anus !
Je ne prétends pas que les Wisigoths n'avaient pas de partisans en
Auvergne, mais qu'ils étaient, à cette époque, minoritaires. Pour les
Arvernes, les Wisigoths ne sont que des Barbares.
L'épitaphe de Sidoine rend bien compte de l'état d'esprit des Arvernes
en cette fin du Ve siècle. On a souvent douté de l'authenticité de ce poème
funéraire qui, jusqu'en 1991, n'était connu que par une annotation en
marge d'un manuscrit du xe/xie siècle des œuvres de Sidoine 107. On lui
reprochait en particulier la datation finale, Zenone imperatore, peu crédible
au Ve siècle et sans doute, disait-on, tirée de Gennade loe. Comme il est
composé d'excellents hendécasyllabes phaléciens, on l'attribuait en général
à l'époque carolingienne 109. Quelques auteurs cependant, et non des
moindres puisqu'il s'agit d'Ed. Le Blant, L. Duchesne, E. Diehl et, plus
récemment M. Heinzelman, estimaient ce texte contemporain de la mort de
Sidoine n0. La découverte à Clermont, en juillet 1991, d'une partie de cette
épitaphe vient de leur donner raison : l'écriture convient en effet
parfaitement à la fin du Ve siècle 1U.
En voici le texte, d'après С Lutjohann, dernier éditeur à avoir consulté
le manuscrit 112. Les lettres qui ne sont pas en italiques sont celles qui sont
visibles sur les fragments retrouvés.
107. Ms. Madrid, Bibl. пас. 9948 (Ее 102) et non F 150 donné par Loyen, op. cit., I,
p. xxxvi, n. 1.
108. Gennadiue, 92, éd. G. Herding, Teubner, 1879, p. 109 : Floruit ea tempestate, qua
Leo et Zeno Romanis imperabant.
109. Par exemple : Pagious, dans Baronius, Annales, 8, 1741, p. 476 ; Mommsen, MGH,
AA, VIII, 1887, p. xliv ; Stevens, op. cit., p. 166, n. 2 et p. 211 ; Anderson, op. cit.,
p. xxxix, n. 1 ; Martindale, op. cit., p. 118.
110. Ed Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au VIIIe siècle. II,
Paris, 1865, n° 562 ; L. Duchesne, Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, II, Parie, 1910,
p. 34-35 ; E. Diehl, Inscriptiones Latinae Christianae Veteres, n° 1067 ; M. Heinzelman,
Bischofsherrschaft in Gallien, 1976, p. 63.
111. Cf. F. Prévôt, « Deux fragments de l'épitaphe de Sidoine Apollinaire découverte à
Clermont-Ferrand », Revue de l'Antiquité tardive, I, 1993, p. 233-229 : cette étude reprend,
en laCongrès
Xe développant,
international
une communication
d'épigraphie faite
grecque
par etF. latine
Prévôtdeet Nîmes.
F. Malacher en octobre 1992 au
112. C. Lutjohann, MGH, AA, VIII, 1887, p. vi.
258 F. PRÉVÔT
V. 1-2 : Tout près des saints et d'un Père vénéré, ainsi vit, grâce à ses mérites,
Apolllinaire.
V. 3-9 : « Illustre » par ses titres, puissant par l'honneur (qu'il géra), chef de la force
publique, juge au forum, calme au milieu des flots menaçants de ce monde, maîtrisant
d'emblée les tempêtes des procès, il a donné des lois à la fureur barbare. Aux royaumes qui
s'affrontaient par les armes, il ramena la paix par la sagesse de ses conseils.
V. 10-14 : En même temps, cependant, cultivant la philosophie, il écrivit des ouvrages
dignes de se perpétuer dans les siècles ; puis, après de tels dons reçus des Grâces, siégeant sur
la chaire du pontife suprême, il se déchargea des affaires du monde sur sa postérité.
V. 15-18 : Qui que tu sois, quand tu viendras ici en larmes implorer Dieu, répands tes
prières sur ce sépulcre propice : que Sidoine, là-haut, lui que personne n'ignore et qui est
digne d'être lu du monde entier, soit invoqué pour toi.
Le 12 des kalendes de septembre, sous le règne de Zenon.
(Traduction F. Prévôt).
judiciaire, tant comme préfet de la Ville que sans doute déjà comme
évêque, puisque les « tempêtes des procès » (causarum motus) se déchaînent
dans un monde en proie à la « fureur barbare » (barbarico furori), ce qui
évoque davantage l'Auvergne sous domination wisigothique que Rome en
468.
Puis les vers 7-9 glorifient son action face aux barbares : non pas au
moment de la résistance de Clermont, mais après 475, à l'époque où
Sidoine fréquentait le comte Victorius, « [son] patron, selon la loi du siècle,
mais [son] fils selon la loi de l'Église » 116, et où il participait aux
négociations de paix entre Wisigoths et Burgondes 117.
— Enfin, l'auteur célèbre en Sidoine un homme de lettres. C'est pour
lui la qualité essentielle du défunt, qu'il expose avec emphase aux vers
10-12.
C'est encore cette réputation de l'homme de lettres qui anime les
derniers vers de l'épitaphe où l'auteur invite le visiteur à prier Dieu sur le
tombeau de Sidoine, pour bénéficier de son intercession. Si Sidoine peut
être invoqué c'est, implicitement, parce qu'il est « tout près des saints »
(vers 1) mais, explicitement, parce qu'il a écrit des ouvrages dignes de
l'immortalité ! Pourtant, son œuvre est presque totalement profane et
lui-même s'avouait incapable de traiter de sujets religieux 118. Ainsi,
Sidoine avait beau affirmer « qu'après la mort, ce ne sont pas nos petits
ouvrages, mais nos œuvres, qui seront mises dans la balance » 119, le thème
païen de la survie par la gloire littéraire restait profondément ancré dans les
mentalités.
Tout en présentant le défunt comme un saint, l'épitaphe de Sidoine ne
mentionne donc aucune qualité spécifiquement chrétienne ; elle ne parle
même pas de sa charité à l'égard des pauvres, charité qui est pourtant
attestée par une lettre de Claudien Mamert 120 et qui fut glorifiée plus tard
par Grégoire de Tours 121.
Ce genre de texte, à tonalité chrétienne réduite, convient très bien au
Ve siècle et nous éclaire sur l'état d'esprit des Arvernes en cette fin de
siècle : c'est un véritable manifeste de romanité. En reléguant tout à la fin
la mention de l'épiscopat, elle ne présente pas au lecteur un homme
d'Église, mais un homme politique, dont elle retrace en termes voilés la
carrière, un homme de lettres, un sage. Bref, un Romain, le Romain par
excellence, que son destin universel élève au-dessus des vicissitudes
politiques, défenseur de la civilisation, de la justice et de la paix, face à la
barbarie, l'anarchie et la guerre.
Françoise Prévôt
Université de Paris- Val-de-Marne
116. Ep. VII, 17, 1, p. 76 : iure saeculari patronům, iure ecclesistico filium.
117. Voir supra, n. 87.
118. Ep. IV, 17, 3, p. 150 et IX, 2, p. 132-133.
119. Ep. VIII, 4, 3, p. 90 : non opuscula sed opera pensenda.
120. Sidoine, Ep. IV, 2, 3, p. 115.
121. HF, II, 22, p. 67-68.