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Venance Grumel

Le mois de Marie des Byzantins


In: Échos d'Orient, tome 31, N°167, 1932. pp. 257-269.

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Grumel Venance. Le mois de Marie des Byzantins. In: Échos d'Orient, tome 31, N°167, 1932. pp. 257-269.

doi : 10.3406/rebyz.1932.2720

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_1146-9447_1932_num_31_167_2720
tf
Le mois de Marie des Byzantins

L'Église latine a un mois dont tous les jours sont consacrés


à chanter la Mère de Dieu. C'est le mois de mai, qui a reçu pour
cela le beau nom de mois de Marie. L'institution n'en est point
officielle et l'origine en est récente, mais, encouragée par la hiérar
chie,elle s'est rapidement répandue partout et compte parmi les
pratiques de piété les plus en faveur auprès des fidèles.
Les Byzantins, dont le culte mariai fut incomparable, n'ont rien
à envier sur ce point aux Latins : ils ont eu, ils ont encore à un
certain degré* leur mois consacré à la Théotocos : c'est le mois
d'août. Il a sur le mois de Marie des Latins, où n'intervient aucune
fête de la Vierge, et qui est sans attache avec la liturgie, le bel
avantage de posséder la plus solennelle des fêtes de Marie à une
date centrale, de manière que les jours qui précèdent peuvent
servir de préparation et les jours qui suivent de prolongement
à la solennité.
De fait, actuellement, le rite byzantin comporte un jeûne du ier au
i5 août en l'honneur du mystère de la Koimesis et, après le i5 août,
huit jours de [λε9έορτα, Yapodosis de la fête n'ayant lieu que le 23.
C'est donc le mois presque entier consacré à Marie. Telle est la
discipline présente, mais, dans le passé, il y a eu plus que cela, et
Byzance a connu autrefois un mois d'août tout entier consacré
à la toute sainte Théotocos, sa protectrice : elle a eu son vrai mois
de Marie. C'est ce que beaucoup, même parmi les Orientaux, ne
savent pas,_et c'est ce que nous voudrions rappeler dans ces quelques
pages.
*

C'est à l'empereur Andronic II que revient l'honneur d'avoir


I
| consacré le mois d'août tout entier à la Mère de Dieu. Ce prince
f avait une vive dévotion envers Marie. Elle parut en particulier
* dans un épisode raconté par l'historien Pachymère. L'empereur
apprit un jour que son plus vaillant capitaine, Alexis Philanthro-
pène, qui avait en mains les principales forces de l'empire, venait
de se révolter et aspirait à la pourpre. Il tomba dans une grande
consternation et ne songea dès lors qu'à composer avec le rebelle
et à le fléchir. Ce ne fut pas nécessaire, car, six jours après seu-
Ëchos d'Orient. — 35° année. N° ΐόγ. Juillet-septembre iç32.
^^»^^

258 échos d'orient

lement, il recevait la nouvelle qu'un des lieutenants de Philan-


thropène, demeuré fidèle à son devoir, avait réussi par ruse
à s'emparer de lui et lui avait fait crever les yeux. Le premier acte
d'Andronic, délivré d'un si grand péril, fut d'aller en grande
pompe au sanctuaire de Notre-Dame des Hodèges, pour remercier
la Théotocos de sa protection maternelle (i). ·
C'est probablement après cet événement, comme nous le verrons
plus loin, que, voulant faire quelque chose d'insigne à la gloire
de Marie, Andronic consacra le mois d'août tout entier à célé
brer ses louanges. Nous possédons encore le décret d'institution :
c'est même le seul document qui nous renseigne sur ce sujet. Il
nous est parvenu parmi plusieurs opuscules de Nicéphore Chumnos,
sans nul doute parce que c'est lui qui l'a rédigé. Publié pour la
première fois par Boissonade dans ses Anecdota graeca (2), il a été
reproduit dans le Jus graeco-romanum de Zachariae von Lighen-
tal (3) et dans la Patrologie grecque de Migne (4) sans toutes les
notes du premier éditeur.
Le décret est intitulé : Ordonnance sur la grande fête qui termine le
mystère entier du Christ, mystère où le Christ, avec la chair unie à lui
prise de la Vierge très pure, remonte aux deux d'où il est des
cendu, et où Celle-ci, sa Mère très sainte, ce qui est la fête de maint
enant, a été transportée auprès de lui de la manière qu'il a voulue·
L'ordonnance veut que non pas un jour seulement, comme le portait
l'ancien usage, soit célébrée cette fête, mais qu'elle commence dès le
début et le premier jour du mois où est ce mystère, et se prolonge
jusqu'au bout, et se termine là même où le mois se termine.
Le document débute par de très longs développements sur
les bienfaits dont nous sommes redevables à Marie dans l'ordre
surnaturel et dans l'ordre temporel. Jamais notre reconnaissance
n'égalera les grâces reçues, et, quoi que nous fassions, jamais nous
nous ne pourrons remplir ce devoir. Cet essai du moins .sera un
témoignage éclatant de gratitude que les siècles passés n'auront
point connu. Et voici maintenant en quels termes s'énonce la nouv
elle institution.
€ Le mois vient où s'est accompli le grand mystère de la Vierge,
à savoir sa Dormition, ou Transfert, ou Réunion à son Fils, ou

(1) Pàchymère, Andronictts Palaeologus, III, 9-13 : P. G-, CXLIV, 23i-2.55.


(2) T. II, p. 107-137. f
(3) T. III, p. 072-687.
(4) P. G., t. CLXI, col. 1095-1 108.
LE MOIS DE MAHIE DES BYZANTINS 259

comme on voudra l'appeler; nous le célébrons, selon l'usage ancien,


à l'un de ces jours, au milieu du mois, après nous être purifiés par
le jeûne les jours précédents. Pour moi, tout en louant la loi du
jeûne, je n'approuve pas le reste, à savoir qu'un seul jour soit donné
à la fête quant aux hymnodies pannychides. Mais la fête, en restant
unique, devrait être distribuée dans tous les jours depuis le début
jusqu'à celui qui est maintenant plus spécialement célébré, et ensuite
jusqu'au dernier : c'est là ma pensée, et c'est ce que, présentement,
je veux instituer. Et approuvera absolument cette loi quiconque
a le juste sentiment de ce qui est dû en louanges incessantes
à la Vierge, et sait apprécier en même temps la grandeur de
cette fête.
« Ainsi donc, comme j'ai dit, le commencement du mois et le
commencement de la fête ne seront pas différents, et le jeûne ne
l'emportera pas sur les hymnes joyeux, mais ils auront lieu
ensemble : et de plus, la fête se prolongera et aura sa fin avec la
fin du mois entier, en sorte que ce mois tout entier sera une
ίερομηνία, unique et la même. En même temps que le premier jour
du mois, nous commencerons le premier jour et du jeûne et de la
fête, et ce jour ne le cédera en rien aux jours suivants, pas mêm^
à celui du mystère ni au dernier jour du mois quant aux hymnes
et a tout ce qui appartient à la solennité, mais il sera célébré avec
un honneur égal en tout. Et ce que je dis du premier sera aussi
attribué de la même manière aux autres jours. » (1)
Le décret: contient des dispositions spéciales pour la ville de
Constantinople. Elles en sont la partie la plus intéressante.
« La ville royale, maîtresse de toutes les autres, se fera un
honneur d'observer constamment cette loi pour la gloire de sa
patronne, et, répartissant la fête en divers, chœurs de moines, de
prêtres, sans omettre les autres catégories, car pour des bienfaits
communs, commune, assurément, doit être la reconnaissance, elle
aura sa veillée de prières et d'hymnes tantôt dans une église, et
en tout premier lieu dans celle où la Thaumaturge est appelée
Notre-Dame des Guides, en raison d'un nouveau prodige, et tanto
dans une autre, et ainsi de suite. Elle célébrera le milieu du mois,
qui est le jour du mystère, là où, comme dans un firmament ter
restre ou un second ciel (ou toute autre appellation qu'on voudra
lui donner, sans sortir de la vérité), habite la Sagesse de Dieu. Le

(i) BOISSONADE, lOC. Cit., p. I2Ô-I28.


2Ö0 ÉCHOS D'ORIENT

temple éclatant des Blachernes accueillera dans ses murs le dernier


jour du mois par une fête splendide. » (ι)
L'économie de ce mois de Marie ne manque pas d'originalité et
de grandeur. Au lieu d'être morcelée et éparpillée dans les diverses
églises de la capitale, la louange de la Théotocos éclatait chaque
jour avec toute son ampleur dans l'un ou l'autre des sanctuaires
où elle se transportait successivement. Parmi ces rendez-vous, il
y en avait plusieurs de privilégiés. L'ouverture des solennités, au
ier août, se faisait à Notre-Dame des Hodèges, chère aux Paléo-
logues; la clôture, au 3i août, avait lieu dans la célèbre église
des Blachernes. Entre ces deux points extrêmes, au milieu du
mois et comme à son apogée, « le jour du mystère », la glorieuse
Koimesis de la Mère de Dieu ! En son honneur, le plus somptueux
temple de Byzance, centre et foyer de la vie religieuse de tout l'em
pire, s'ouvrait à la foule pieuse et s'emplissait de fête.
La liste des autres sanctuaires où devait s'accomplir la louange
n'est point donnée dans le décret. Au patriarche, sans doute, était
laissé le soin de la dresser.
Telle est l'institution nouvelle en l'honneur de la Théotocos.
L'empereur a confiance qu'elle sera accueillie avec empressement
par le peuple fidèle. Quant à lui, s'il n'avait écouté que sa piété,
il aurait encore étendu la solennité; mais il doit tenir compte de la
faiblesse humaine, afin que, la loi étant rendue facile à tous, tous
y contribuent d'un pareil élan. S'en abstenir serait non point seu
lement nonchalance, mais pauvreté d'esprit : ce serait ne pas savoir
goûter un bien qu'aucune peine n'accompagne (2).
Animé d'un tel optimisme, le monarque ne juge pas nécessaire
de formuler l'interdiction expresse de s'abstenir de la fête entière :
il ne peut supposer un tel degré d'insensibilité. Si toutefois il devait
s'en trouver qui se tinssent à l'écart des solennités ou durant tout
le mois ou durant la plus grande partie du mois, une Sanction est
portée à leur endroit : cette négligence coupable pourra servir
contre eux dans les procès pour décider des cas douteux. Ils
encourront, de plus, la cjisgrâce tout comme ces invités de la para
bole qui, pour des motifs frivoles, refusèrent de se rendre au
festin (3).

(ι) Ibid., ρ. ΐ28-ΐ3υ.


(2) Ibid., ρ. 1 3ο- 1 3 1 .
(3; Ibid., p. i32.
LE MOIS DE MARIE DES BYZANTINS 26 1

Le document se termine par une exhortation à célébrer la fête


et une prière à la Vierge.
*

Parmi les dispositions de cette loi, nous avons déjà relevé la


désignation pour les trois principaux jours de ce mois de Marie
des trois principaux sanctuaires de la capitale : Notre-Dame des
Hodèges, Sainte-Sophie et Notre-Dame des Blachernes. Ces deux
derniers appellent des remarques spéciales.
Sainte-Sophie tout d'abord. La désignation de cette église pour
la solennité de la Koimesis de la Théotocos déroge à une très
ancienne tradition.
Autrefois, en effet, c'est aux Blachernes qu'avait lieu la célébra
tion solennelle de cette fête. Je ne parle pas de la mention de
Theophane au sujet de la procession aux Blachernes instituée par
l'empereur Maurice (i), car cet usage semble avoir été modifié,
— le Typicum du ixe-xe siècle porte, en effet, que la procession se
fait au forum et la synaxe dans la Grande Église (2), — mais
nous avons une série de témoignages qui prouvent un retour de la
solennité au sanctuaire des Blachernes. Celui d'abord du Livre des
cérémonies qui nous montre le patriarche et le basileus faisant
ensemble aux Blachernes la fête du i5 août (3), celui ensuite du
Synaxaire de Sirmond indiquant expressément ce sanctuaire pour
le lieu de la fête (4); celui enfin, quoique moins direct, de l'évan-
géliaire de Naples du xne siècle (5), qui présente au jour de l'A
ssomption un ordo spécial pour le sanctuaire des Blachernes. Ajou
tonsà tout cela la courte mention que nous trouvons dans Balsamon
du rite de l'oblation du raisin au patriarche qui s'accomplissait le
i5 août aux Blachernes à la fin de la liturgie (6). Avec la loi d'An-
dronic II, les Blachernes cèdent leur privilège à Sainte-Sophie, et
c'est désormais dans le plus magnifique temple de Byzance que se
dérouleront dans toute leur pompe les solennités de la glorieuse
Koimesis. Le basileus aura ainsi voulu relever l'éclat de la fête et
harmoniser l'économie du mois consacré à Marie.

(1; Theophane, ad a. 6080 : De Boor, p. 26.5-266.


(2 Dmitrievskij, Typika, I,-p. io5.
(3) P. G., t. CXII, iooq-ioi3; cf. Cletorologium, ibid., 1412 A.
(4) Delehaye, Syr.axarium Eccl. Constantinop., col. 894, 1. 42-40.
(5) Ίερος Σύνδεσμος, Ier janvier 1914, p. 5.
(6) Beveridge, Pandécle canonwn, t. T, p. 2. Reproduit dans P. G., t. CXXXVII,
col. 40 B.
202 ÉCHOS D ORIENT

Que cette disposition du décret ait ete mise en pratique, nous en


avons le témoignage dans deux lettres du patriarche Athanase
à Andronic où il l'invite à se rendre à Sainte-Sophie pour y célé-
brer la Koimesis (1). Elle passa aussi en tradition, comme nous le
voyons par ce passage du De officiis : κατά τήν κοίμησιν τήςυπεραγίας
Θεοτόκου αύθις απέρχεται (: l'empereur) εις τήν άγίαν Σοφίαν διανυκτερεύων
εκεΐσε (2).
Non moins digne d'attention est le changement apporté au pr
ogramme des solennités religieuses de Constantinople par le rendez-
vous des Blachernes au 3i août. Le 3i août, en effet, appartenait
jusque-là au sanctuaire des Chalcoprateia. On y célébrait la fête de
la Déposition de la Ceinture de Notre-Dame, insigne relique
vénérée dans ses murs. C'est là que s'accomplissait la synaxe de la
Grande Église et qu'accourait la foule pieuse (3). La loi d'Andronic
change cela. C'est aux Blachernes désormais qu'au 3i août, en
l'honneur de la Vierge, le peuple se rassemble. Mais que devient
alors la fête de la Ceinture? Deux typica du xive siècle nous ren
seignent à ce sujet, l'un, contenu dans le Parisinus gr. 385 (4),
Fautre dans le Vatopod. 1 199 (5), daté de 1346. Ils nous apprennent
que cette fête « qui se célébrait autrefois aux Chalcoprateia, se
célèbre maintenant aux Blachernes ». Nous citons le texte du second
qui fournit aussi d'autres renseignements que le premier n'a pas :
Ίστέον, δτι ή τοιαύτη εορτή της τιμίας ζώνης πρότερον μεν εν τοις Χαλκο-
πρατείοις έτελείτο εν τω" παντέπτω ναω της θεομήτορος, τφ εκεισε διάκε ι-
άφ'
μένφ, εν ω καΐ ή τιμίατόρος εναπέκειτο, ης και μέχρι- ~οϋ νΰν τήν
επωνυμίαν ή τοιούτος ναός προσκεκλήρωται, Άγιοσορίτισσα έπικεκλημμένος,
νΰν δε μεγαλοπρεπώς τελείται εν Βλαγέρναις και μάλιστα ή της τιμίας

(ι) Columnensis graecus 218 (= Vatic, gr. 2219). La première lettre est au fol. 3ov,
a seconde aux fol. 37 v-38 r. Le sommaire des lettres d'Athanase est dans P. G.,
t. CXLII, col. 471-480; il ne fournit pas le détail que nous signalons : je n'ai pu le con
naître qu'en consultant la photographie du manuscrit que m'a communiquée le
R. P. Laurent. Celui-ci se propose de publier prochainement la correspondance de ce
patriarche.
(2) De officiis, c. xv : P. G., t. CLVII, col. 96-97. Manuel Gédéon (Βυζαντιναν έορτό-
λόγιον, p. i53), en renvoyant ä ce texte du Pseudo-Codinus, explique le changement du
sanctuaire par l'incendie des Blachernes (il eut lieu en 1434). C'est oublier que ce même
auteur dans le même ouvrage, et dans le même chapitre, montre l'empereur se rendant
à l'église des Blachernes en d'autres solennités. S'il eût connu la loi d'Andronic, il y
eût vu l'explication normale de la pratique attestée par l'anonyme byzantin.
(3) Delehaye, Synaxarium Eccl. Constantinop., col. 935-936.
(4) Dmitrievskij, Typika, t. II, 181 et i83 au bas de la page.
(5) Ibid., p. 421. Le manuscrit est coté dans cet auteur n° 320 (93i). Nous indiquons
en texte la cote de S. Eustratiadès.
LE. MOIS DE MARIE DES BYZANTINS 263

έσθήτος, άγρυπνίαν επιτελΐ)5ρ.εν, ωσπερ εθιΐΛον, εν ^ και τα των εορτών


αναγινώιτκο|λεν ύπορινηαατα καΐ ή λοιπή ακολουθία της θε-οτόκου, ης ταΐς
πρεσβείαις 6 'θεός, ελέησ-ον ήριας. Άρ,ήν (ι).
Nous voyons dans ces lignes, outre ce que nous avons déjà dit,
qu'il y avait une différence de solennité entre la fête du Vêtement
de la Vierge (le 2 juillet) et celle de sa Ceinture (le 3i août).
Nous y voyons aussi que le sanctuaire des Chalcoprateia, dépos
sédé de son précieux trésor, ne conserve plus de son antique
gloire que l'appellation d'ayw^optawaa, église de la Sainte-Châsse.
Il est probable que depuis longtemps déjà la relique était con
servée dans la chapelle impériale (2) et n'en sortait qu'au jour de
la fête pour recevoir dans ce sanctuaire la vénération des fidèles.
De fait, c'est aux Chalooprateia que le Synaxaire de Sirmond et
les Synaxaires Cg, K, Me, Da, datés respectivement de 11 72, 1249,
i3oi et i3o7, fixent ou supposent la célébration de la fête (3). Il
faut pourtant dire que le synaxaire de 1 249, contemporain de l'o
ccupation latine ne peut nous révéler qu'un état ancien et qu'il se
présente du reste lui-même comme une composition livresque (4).
Quant aux deux derniers, ils pourraient servir à .-dater 'le décret
d'Andronic, si nous étions sûrs qu'ils reflètent un usage contem
porain; mais comment le savoir? il faudrait connaître leur lieu
d'origine et leur destination.
Quoi, qu'il en soit de ces points particuliers, c'est bien à la loi
d'Andronic que semble devoir être attribué le transfert aux Bla-
chernes de La fête de la Déposition de la Ceinture de la Vierge.
Puisqu'on voulait fixer le 3i août aux Blachernes le rendez-vous
religieux de Byzance, quoi de plus naturel que d'y transporter la
la fête susdite. En y offrant à la vénération des fidèles l'insigne
relique (5), on y attirerait le concours du peuple, et l'on clôturerait
ainsi dignement le mois consacré à Marie.
Peut-être, y aurait-il lieu d'utiliser aussi au sujet de la célébra
tion aux Blachernes de la Déposition de la Ceinture le texte suivant
du De offidis : 'Απέρχεται πάλιν ο βατίλευς και κατά την έορτην των

(ι) Ibid., ρ. 440·


(2) Cf. Riant, Exuviae sacrae Conslantinopolitanae, t. Il, p. 211 et 21S.
(3) Delehaye, Synaxarium Ecctesiae Constanttnop., col. g3S-q36.
{4) Ibid., col. XIX.
(5) La relique de la Ceinture se trouvait déjà aux Blachernes avec le maphorion en
1200, cf. Kniga Pafomnik, éd. Loparev, p. 21. C'est là également que la voietft toes
les pèlerins russes du xive et du xv° siècle, voir Khitrovo, Itinéraires russes en Orient r
pp. 124, i36, 204, 232-233.
264 ÉCHOS D'ORIENT

καταΟεσίων τής τι,^ίας έσθήτος τής Θεοτόκου εις τον Βλαγερνών ναόν (ι).
Gretser, en effet, a relevé ce qu'avait d'anormal, l'anonyme suivant
en tout le reste l'ordre du calendrier, cette mention de la fête du
Vêtement de la Vierge après la Décollation de saint Jean Baptiste
(29 août), alors que son jour liturgique est le 2 juillet. Pour cette
raison, il proposait de lire en cet endroit τής τιαίας ζώνης au lieu de
τής τι^ίας έσθήτος (2). Sa remarque est à retenir, mais sans qu'il soit
nécessaire de corriger le texte. L'emploi d'un mot pour l'autre
peut s'expliquer du fait que les deux reliques étant conservées
ensemble, le même mot, celui qui a le sens le plus général, a pu
les désigner toutes les deux. Ce texte ainsi compris nous apprend
rait qu'à l'époque où l'ouvrage fut écrit la clôture du mois de
Marie était solennisée par la présence de l'empereur, tandis que
la fête du 2 juillet en était alors privée (3).

La loi d'Andronic que nous venons d'analyser ne porte malheu


reusement aucune date précise. Seul le moment de l'année est
suffisamment indiqué par ces expressions : « Le mois arrive où le
mystère de la Dormition... de la Vierge s'est accompli. » (4) C'est
donc le 3i juillet ou le ier août que le décret a été publié. Il s'agit
maintenant de situer cette donnée dans le long règne d'Andronic II
(1282-1328). Nous y arriverons par une série d'approximations.
Le patriarche Athanase nous en fournit une première. Nous
avons signalé plus haut les deux lettres par lesquelles il invite l'em
pereur Andronic II à célébrer l'Assomption à Sainte-Sophie (5).
Athanase a commencé son premier pontificat le 14 octobre 1289
et achevé son second en août i.3io. C'est donc entre fin juillet 1290
et août i3o9 que doit être placé le document impérial. Il serait pos
sible de préciser le second terme, si la chronologie des lettres de
ce patriarche était établie.
Une seconde approximation est obtenue par la date de l'entrée
en charge du rédacteur officiel ou αεσάζων à qui nous devons cette

(1) De offlciis, c. xv. : P. G., t. CL Vil, col. 97.


(2) P. G., ibid., col. 382 Ü.
(3) Elle en était privée depuis peu seulement, car les deux Typica du xiv" siècle que
nous avons mentionnés plus haut, marquent que la fête aux Blachernes du Vêtement
de la Vierge était plus solennelle que celle de la Ceinture, ce qui ne se concevrait pas
si, tandis que celle-ci est relevée par la présence de l'empereur, l'autre en était privée.
(4) BOISSONADE, Op. Cit., p. I2Ô.
(5) Voir plus haut, p. 262.
LE MOIS DE MARIE DES BYZANTINS 205

pièce. Celui-ci, nous l'avons déjà dit, est Nicéphore Choumnos.


Avant lui, exerçait cette fonction Théodore JVIouzalon, comme en
témoigne un acte impérial de mai 1293 qu'il contresigne en cette
qualité (1). Pachymère nous apprend que Nicéphore Choumnos
succéda à Mouzalon dans les deux charges de α,υστικός et de μεσάζων
en 1294 (2). L'année 1294 est donc le terme au delà duquel on ne
peut reculer l'ordonnance impériale sur le mois d'août.
Nous obtenons donc les points extrêmes 1294 et 1309. Cela nous
permettra d'utiliser plus sûrement une donnée du document lui-
même que nous avons réservée jusqu'à présent. La voici :
Au nombre des considérants qui motivent son ordonnance,
Andronic II met la reconnaissance personnelle qu'il doit à la Théo-
tocos pour lui avoir procuré toutes sortes de biens et l'avoir déli
vré de ses ennemis. Du long développement qu'il consacre à ce
thème nous détachons les lignes suivantes plus particulièrement
suggestives.
« Si quelques-uns seulement, dit-il en parlant de ses ennemis,
s'étaient portés contre nous, soit ouvertement, soit par embûches,
sans doute nous eût-il été facile de leur résister : mais que tous
à la fois se précipitent et apparaissent de toutes parts respirant la
menace et que cependant au moment d'agir il ne reste plus rien de
leurs apprêts et de leurs desseins, et que même ils sont renversés
et périssent dans les embûches qu'ils ont dressées, ^qui est l'auteur
de ce changement et nous vaut cet avantage? Qui veille sur notre
tranquillité en mille circonstances, et de la manière dite repousse
nos ennemis? Qui est notre gardien vigilant jusque dans notre som
meil et par sa protection incessante éloigne les maux qui nous
surviennent? » (3)
Cet hymne de reconnaissance envers Marie, l'empereur n'a pu le
prononcer qu'après une circonstance où il a failli perdre le trône et
la vie, péril dont il a été délivré avant même qu'il ait pu y aviser,
et pour ainsi dire « en dormant ». Dans le laps de temps ou nous

(1) MiKLOsicii et Müller, t. IV (n. clxxvii), p. 272-273.


(2) ... εις μυστικόν «νάξας έπί τοϋ μέσου καθίστησι. Andronicus, 1. II, c. χχ : P. G.,
t. CXLIV, col. 182 (La date ressort de la comparaison des sources contemporaines).
L'expression έπί τοϋ μέσου ne peut désigner ici que la charge de μεσάζων. Du reste,
indépendemment de ce texte, nous voyons que celle-ci est déjà exercée par notre Nicé
phore en I2Q6, car c'est à lui qu'est due la rédaction de la loi contre les injustices des
tribunaux (Boissonade, op. cit., p. 85 et suiv.), qui, d'après les calculs de Poussines
(P. G., t. CXLIV, col. 897-898), fut portée cette année-là.
(3) Boissoxade, op. cil , p. 124-125.
266 ÉCHOS D'ORIENT

sommes renfermés, entre i2g5 et i3o9, le moment historique le


mieux en rapport avec l'état psychologique rendu par notre citation
est sans contredit l'annonce que reçut Andronic de la révolte, puis
de la défaite de Philanthropène (1).. Autant il avait été d'abord
abattu et consterné, dénué qu'il était de tout moyen de résistance,
autant il tressaillit d'allégresse d'une victoire qui ne lui avait rien
coûté. Non content de l'action de grâces solennelle à l'Hodighitria,
l'empereur aura voulu perpétuer sa reconnaissance : et c'est alors
qu'il aura eu la pensée de consacrer un mois par an à chanter la
Théotocos pour les bienfaits dont le peuple chrétien et l'empire lui
sont à jamais redevables. Les événements dont nous parlons ayant
eu lieu à la fin de 1296,. c'est donc au 3i juillet ou au. 1« août 1297
que nous devrons placer l'ordonnance impériale.
La circonstance mentionnée n'est cependant pas la seule où
Andronic échappa à un péril de mort. Pachymère relate en effet
le complot de ce Catalan que le basileus avait créé amiral (2). Mais
conjuré avant que d'éclater, ce complot ne put donner lieu à l'état
d'âme que manifeste l'hymne de reconnaissance signalé plus haut.
Ce fait se passa^n 1307. C'est la date qui concorderait le mieux
avec les synaxaires de i3oi et de i3o7 où la Déposition de la Cein
ture est dite célébrée aux Chalcoprateia. Mais vraiment l'épisode
n'est pas de nature à engendrer une telle conséquence. Si toute
foisil était avéré que ces deux manuscrits reflètent bien Fusage
contemporain, nous déviions dire alors que le transfert aux Bla-
chernes de la fête de la Ceinture, non décidé tout d'abord, aura
été imposé à la longue par la difficulté de solénniser à la fois cette
fête aux Chalcoprateia et la clôture du mois de Marie aux Bla-
chernes. De toute façon, il apparaît une conséquence ou imméd
iate, ou lointaine, de l'ordonnance- impériale.

Qu'est-il advenu de la grandiose institution d'Andronic II? Sans


doute s'est-elle maintenue jusqu'à la prise de Constantinople. Les
renseignements formels à ce sujet font défaut et nous n'avons que
les indices constitués par la célébration des fêtes du i5 août et du
3i août aux lieux fixés dans l'ordonnance impériale. Quand la ville
tomba au pouvoir des Turcs, l'application intégrale de la loi devint

(1) Voir plus haut, p. 257-258.


(2) Pachymère, Andronicus Palaeologus, 1. VI, c. xxvi : P. G., t- CXLIV, 582-583.
LE MOIS DE MARIE DES BYZANTINS 267

naturellement impossible. L'institution ne disparut pourtant pas


complètement et nous pouvons voir ce qu'il en restait deux siècles
après la catastrophe. Nous sommes renseignés là-dessus par
quelques lignes que nous trouvons dans l'édition officielle des
Menées faite à Constantinople en 1843 par les soins de Barthélémy
de Koutloumousiou (1).
Une note placée sous le 23 août (jour de l'apodosis de la Koi-
mesis) déclare que dans le manuscrit, èv τφ χεφογράφφ, les ΜεΟέορτα
(de la Koimesis) sont poussés jusqu'au 27 août, et que l'apodosis
de la fête a lieu le 28, « selon l'ancienne coutume, continue Barthé
lémy,des vénérables monastères de la Sainte Montagne, qui con
sacrent (οπού. άφιεροΰσιν, remarquez ce présent) presque tout le mois
d'août à la gloire et à la louange de la Mère de notre Dieu » (2).
Il est difficile de ne point voir là un reste de l'institution d'Andronic.
La substitution du 28 août au 3i pour la clôture des fêtes mariâtes
aura été motivée par la présence au 29 août de la fête de la Décol
lation du saint Précurseur. La célébration simultanée des mèthéorta
devait en effet gêner quelque peu cette solennité, fort importante
dans le rite byzantin, qui la prolonge encore au jour suivant. Cette
réduction du mois de Marie a pu se produire dès avant la prise
de Constantinople et a dû commencer dans les églises et monast
èresdédiés au Prodrome.
Mais nous n'avons pas encore situé notre témoignage. Notre
bon moine est un peu vague quand il dit simplement : εν τφ χενρό-
γράφφ. De quel manuscrit veut-il parler? Il est probable qu'il ne
vise aucun codex déterminé, mais seulement en général le texte
tel qu'il le lit dans les codices principalement utilisés. Ceux-ci,
empruntés au monastère de Koutloumousiou, sont datés et s'éche
lonnent de i539 à 1571. C'est ce que nous apprend la préface
placée en tête du volume de septembre. Nous y lisons même inc
idemment qu'ils proviennent du monastère du Prodrome près de
Sozopolis, détruit par les barbares en i63i (3). Ainsi donc, non
seulement le mois de Marie s'était répandu en dehors de Constant
inople, mais encore cette institution survivait substantiellement
deux siècles après la chute de l'empire byzantin.

(1) Cette édition a eu de nombreuses reproductions. Nous utilisons celle de Venise


de 1880. Notre témoignage se trouve à la page 117.
(2) Sur l'apodosis de la Koimesis et ses différentes dates, voir notre étude dans
Mélanges en l'honneur de Spyrtdon Lambros (sur le point de paraître) .
(3) Μηναΐον του Σεπτεμβρίου, Πρόλογος, ρ. η'·
208 ÉCHOS D'ORIENT

Nous venons de parler de l'Athos et de Sozopolis. Mais pour


Constantinople même, nous avons un témoignage direct. Le moine
Barthélémy nous apprend encore dans la même note déjà utilisée
qu'un manuscrit de Menées, de Halki, daté de 1610, anticipe au
27 août l'office de saint Moyse l'Ethiopien, dont la fête est au 28,
et en donne la raison suivante : « Parce que demain, c'est-à-dire
le 28, nous faisons l'apodosis de la fête (il s'agit de la Koimesis) :
usage que nous avons reçu maintenant des vénérables monastères
de la capitale : O'jtoj γαρ -αρελάβο^εν ταν'ΰν εκ των ευαγών Μονών της
βασιλευούσης τών πόλεων » (ι). Nous ignorons la provenance de ce
manuscrit (2), et c'est dommage : nous savons au moins par lui
que Constantinople, au xvir3 siècle, était encore, par ses monastères,
fidèle à son mois de Marie.
Aujourd'hui, ni à l'Athos ni à Constantinople, l'apodosis ne se
fait plus au 28 août, mais l'usage s'est généralement répandu de
le fixer au 23. Il y a pourtant un sanctuaire de l'Orient qui a gardé
jalousement l'apodosis du 28 août : c'est la cathédrale de l'Assompt
ion à Moscou. Ainsi en témoigne l'archimandrite Sergij (3). Peut-
être y en a-t-il d'autres. Nous serions heureux de les connaître.

Nous avons signalé au début de cet article la préparation par


le jeûne à la fête de l'Assomption dans le rite byzantin. Nous avons
omis de dire que durant tout ce temps, depuis le ior août jusqu'au
1 5, se chante tous les soirs la paraclisis en l'honneur de la .Vierge (4).
A quand remonte cet usage? Nous ne pouvons le dire; nous le
constatons dans l'édition officielle du Typicon de la Grande Église
parue en i85i à Constantinople : il y est mentionné comme une
coutume (5). Bien plus, il est attesté dans un Nomimon composé
au xvne siècle sur l'ordre, y lit-on, du patriarche Parthène (6) par

(ι) Μηναΐον τοΰ Αυγούστου, ibid. Il est de regle dans ]c rite byzantin de réporter à la
veille l'office d'un saint en concurrence avec une apodosis.
(2) II n'est pas inutile de se poser la question, car Barthélémy de Coutloumousiou
signale que plusieurs manuscrits du monastère du Prodrome près de Sozopolis ont été
transportés à Halki, cf. Μηναϊον του Σεπτεμβρίου, p. η' (en note).
(3) Sergij, Polnyj mésjaceslov Vostoka, II, p. 265 et 263.
( \) ΤυπικΌν της τοϋ Χρίστου μεγάλης Έκχλησίας. Edition de Georges Biolakès, Athènes,
sans date, p. 296-297.
ί.5) Τυπικον etc. Edition d'Athènes, 1874, p. 194-J9Î); édition de Venise, 1892, p. 221-
225. Nous n'avons pu consulter l'édition princeps.
'(■>) Des quatre 'patriarches qui ont porté ce nom, tous du xvn" siècle, on ne peut dire
lequel est désigné ici. '
LE MOIS DE MARIE DES BYZANTINS 269

un certain Jacques, archimandrite de Janina, et conservé dans un


Pères'
manuscrit que possèdent les grecs-catholiques de Constant
inople (voir ce témoignage à la page 63o). Aurions-nous là un
reste de l'ancien mois de Marie des Byzantins? Il ne serait point
si hardi de l'affirmer; il serait -peut-être téméraire de le nier.
L'institution, en tout cas, ne pourrait-elle revivre?
Nous avons entendu plus haut le moine Barthélémy de Coutlou-
mousiou constater avec une sorte de fierté que presque tout le mois
d'août était consacré à la louange de la Théotocos; nous trouvons
la même réflexion dans la Grande Encyclopédie grecque au mot
Κοίμητίς (6). Ce « presque » renferme comme un regret que le
mois n'ait pas été complet, et comme un désir d'un état de choses
où le mois d'août serait tout entier dédié à Marie. N'était le souci
légitime de garder la pureté du rite et (tes traditions byzantines,
je suis bien sûr que beaucoup d'Orientaux salueraient avec joie
une telle institution; mais cette réserve, on a pu le voir, n'a point
de fondement. Tout en gardant l'apodosis de l'Assomption au
23 août, le rite byzantin ne pourrait-il pas établir la paraclisis
quotidienne pour tout le mois, ou encore, pour éviter la monotonie,
forger avec le matériel incomparable d'hymnographie mariale
qu'il possède tel cycle de chants et de prières qu'il voudra (il
y aurait même là un moyen d'utiliser ces multiples richesses) et
avoir ainsi son mois de Marie à lui, assorti à sa liturgie, et bien
spécifiquement byzantin? La piété populaire y trouverait son
oompte et y puiserait un renouveau de ferveur. Loin d'imiter une
coutume d'Occident, ce serait là renouer une tradition nationale
devançant de" prés de cinq siècles l'institution similaire des
Latins (i).
V. Grumel.

(ι) Μεγάλη Ελληνική Εγκυκλοπαίδεια, Athènes, t. XIV, p. 643.


(2) Qu'on me permette de rappeler ici qu'en certains lieux d'Allemagne, il y avait une
coutume analogue à celle des Byzantins (j'ignore si elle a persisté jusqu'à maintenant).
Elle consistait à célébrer l'Assomption durant trente jours, à partir du jour de la fête
le 1-5 août, jusqu'au i3 septembre inclusivement, veille de l'Exaltation de la Sainte
Croix. Pour plus de détails, voir Summa aurea, t. III, col. n3o-n3i, et t. IX, çol. 696-
6q7, et surtout Gretser, dans P. G., t. CLVII, col. 38i-382, Celui-ci signale qu'on faisait
à cette coutume le reproche, qu'il écarte, de provenir des Grecs, ibid., 382 Β.

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