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Attaque du « Labyrinthe »
Mon P.C est dans une sape creusée sous la tranchée de première ligne, à côté de mon
observatoire. Pour me reposer, en attendant l’heure H, j’ai une sorte de niche garnie de
paille, qui ressemble à un caveau mortuaire. Je tâche de dormir un peu. Tous les mouvements
préparatoires étant prévus dans les plus petits détails, je n’ai plus en effet aucun ordre à
donner.
Les troupes d’attaque sont en place pour 3h30.
De 6 heures à 10 heures, la préparation d’artillerie s’intensifie de plus en plus et je monte à
mon observatoire pour en voir les effets.
A 9h35, les deux mines sautent. Malheureusement, elles n’ont pas été poussées assez loin et
au lieu d’éclater à l’intérieur de la position ennemie, elles creusent devant les tranchées
allemandes un grand entonnoir que l’ennemi occupe aussitôt. Mauvais signe !!!
Je constate d’autre part que si le bombardement est intense, il ne tape pas assez sur les
premières lignes. La meilleure preuve, c’est que n’ayant que ma tête nue qui dépasse
au-dessus du sol, je suis cependant repéré par des guetteurs et des balles me sifflent aux
oreilles une demi-heure avant le déclenchement de l’attaque. Je dois rentrer ma tête et
observer au périscope.
Le capitaine Vannier vient pendant quelques instants prendre ma place sur l’échelle et
Le jeune sous-lieutenant de Pouydraguin, qui s’était élancé en tête de sa section, est fauché
à quelques mètres seulement de la ligne de départ par un tir si précis de mitrailleuses qu’il a
le ventre ouvert et labouré de balles. (Son frère sous-lieutenant au 37ème est tué le 11 mai à
l’attaque du Cimetière de Neuville-Saint-Vaast.
En résumé, en dix minutes, le 26ème a plus de 700 hommes tués (ceux qui tombèrent blessés
au moment de l’attaque furent achevés systématiquement par les mitrailleuses ennemies, au
cours de la journée. Tout blessé qui remuait était un homme mort.) et je constate de mes
yeux que tout débouché est impossible de front, devant tant de mitrailleuses intactes et de
fils de fer non détruits.
Ma décision est aussitôt prise : arrêté de front, je vais manœuvrer par ma gauche, en
profitant de l’avance du 79ème R.I.
Je donne l’ordre à mon 3ème échelon, composé du 3ème bataillon (commandant Lepage) de se
porter d’abord sur la « Maison Blanche » conquise par le 79ème, de marcher dans les traces
de ce régiment, puis de se rabattre à droite pour prendre les défenseurs du Labyrinthe de
flanc et à revers.
Le 2ème bataillon du 69ème R.I. (commandant Azan) étant placé sous mes ordres, je lui donne
la même mission, de sorte qu’à partir de 13 heures, c’est avec deux bataillons que je
prononce cette attaque de flanc.
Je me suis porté vers midi à la gauche de ma ligne, près du commandant Beaujean, que je
trouve dans la sape de départ où il a été bloqué. Puis je me place en A. 4, d’où j’ai un bon
champ d’observation pour suivre à la vue le mouvement de flanc que j’ai déclenché.
Les unités du 3ème bataillon sont parties pleines d’entrain.
Je verrai toujours la figure rose et imberbe du jeune sous-lieutenant Lhote, adoré de ses
poilus, partir en tête de la 11ème compagnie, dont il a pris le commandement (le lieutenant
Henry vient d’être blessé) et s’en aller tout joyeux au combat avec la belle confiance de la
jeunesse. Hélas ! il tombait à son tour à la fin de la journée, en entraînant brillamment ses
hommes à l’attaque.
En observation, appuyé au parapet de la tranchée, je suis d’abord salué par une salve de 77,
puis plus rien de la journée.
L’artillerie allemande, menacée par notre avance sur Neuville-Saint-Vaast, a en effet amené
les avant-trains, et n’a eu que le temps de filer en vitesse. La progression se fait bien, et
pendant que j’observe à la jumelle l’avance des unités, dans le mouvement de flanc, le
capitaine Vannier a pris un fusil et tire comme un enragé sur les tranchées ennemies en face
de nous.
On voit, en effet nos malheureux poilus couchés entre les deux lignes, dans les fils de fer,
et quand un blessé remue tant soit peu, aussitôt il est pris comme cible par l’ennemi ;
Vannier qui est bon tireur, ajuste alors ses coups surs les tireurs ennemis, pour les faire
taire.
A la nuit, notre mouvement de flanc arrive à hauteur des 2ème et 3ème lignes ennemies, qui
sont prises à revers, à hauteur de ce que nous appelons « les tas blancs » et le boyau « Von
Kluck ».
Le 79ème, en liaison avec la gauche du 26ème, est arrêté entre le cimetière de Neuville-
Saint-Vaast et le Labyrinthe.
Ce dernier est donc complètement pris à revers, mais les Allemands tiennent toujours, bien
que menacés sur leurs arrières.
A la nuit, vers 21 heures, je vais visiter les compagnies de droite du 26ème et je peux alors
me rendre compte de ce qui reste de mes deux malheureux premiers bataillons.
En résumé, j’ai maintenant 2 compagnies tenant l’ennemi sous le coup d’une menace d’attaque
de front, pendant que 5 compagnies et 4 compagnies du 69ème agissent sur son flanc et
cherchent à le prendre à revers.
J’ai l’espoir que les Allemands devant cette menace vont évacuer le Labyrinthe pendant la
nuit, et je prescris aux deux compagnies de front d’être vigilantes, pour signaler tout
mouvement de repli et en profiter.
Pendant la nuit, on me téléphone que toute la gauche de notre attaque a obtenu de brillants
résultats, faisant plus de 3 000 prisonniers et s’emparant de 10 canons.
Je me fais alors la réflexion que le haut commandement, voulant prononcer un effort
puissant à gauche, a dû y mettre le maximum d’artillerie, ce qui m’explique la maigre dotation
affectée au 26ème qui était à l’extrême droite. Mon pauvre régiment a fait ce qu’il la pu, avec
les moyens mis à sa disposition. Il aura du moins contribué au succès de l’ensemble par son
sacrifice.
commandement des avant-postes de la 21ème brigade étalés sur les positions conquises et se
raccordant à l’ancien front du 26ème R.I. Mes braves poilus sont arrivés au bout de leur
effort.
Une attaque est montée à notre gauche avec une brigade fraîche.
Ce renfort arrive malheureusement un peu tard, car l’ennemi a eu le temps de se renforcer
et l’effet de surprise est passé. Quel dommage que cette brigade ne soit pas intervenue le 9
au soir ou le 10 mai au matin.
A 13 heures, déclenchement de la préparation d’artillerie. Elle dure deux heures. L’artillerie
allemande riposte avec des fusants de 105 sur nos tranchées.
A 14 heures, l’attaque de l’infanterie débouche à gauche du bataillon Lepage.
Le coup d’œil est magnifique. On voit les lignes de tirailleurs du 224ème R.I. s’avancer avec
des compagnies du 69ème R.I. par vagues successives, malgré un violent barrage de 105
fusants et percutants. Les baïonnettes luisent au soleil. Les hommes bondissent au-dessus
des tranchées. C’est un spectacle inoubliable.
Je fais appuyer l’attaque par les compagnies de gauche du 26ème R.I. (bataillon Lepage) et à
14h 30, j’interviens personnellement pour accentuer l’action énergique de trois compagnies
(9ème et 10ème compagnies du 26ème et ne compagnie du 69ème) sur la partie nord-ouest du
Labyrinthe, avec mission de se rabattre sur la tranchée de Hambourg, pour prendre à revers
et par derrière les « Tas Blancs », nid de mitrailleuses ennemies qui résistent toujours.
La progression se fait bien, et je vois mes poilus prendre à revers les boyaux ennemis. Le
bruit est infernal. La grosse artillerie, les mitrailleuses, les canons de 37, les 58 et jusqu’au
80 de montagne donnent en même temps.
C’est un fameux concert au milieu duquel on perçoit à peine les éclatements des grenades.
La nuit arrive et nous pouvons encore enregistrer une nouvelle progression.
L’ennemi continue cependant à se cramponner dans le Labyrinthe.
16 mai
Temps magnifique. Accalmie relative sur tout le front.
Nous allons maintenant nous efforcer de réduire la résistance du Labyrinthe, par la
conquête pied à pied des boyaux, en renonçant aux grandes attaques trop coûteuses en
hommes et en munitions.
L’artillerie a consommé beaucoup d’obus pendant les journées de combat, et la préparation ;
d’autre part beaucoup de canons de 75 ont éclaté par suite de la mauvaise confection des
obus et cela commence à devenir inquiétant.
Du 17 au 26 mai.
Ayant reçu l’ordre de préparer des attaques partielles pour faire tomber le Labyrinthe,
morceau par morceau, je passe mon temps dans les observatoires à étudier le terrain et à
faire des plans d’attaque que je soumets au général Aimé.
J’ai quatre chefs d’attaque : les commandants Beaujean, Penancier, Lepage et le capitaine
Jacquesson. Ils étudient chacun sur place les attaques locales à exécuter. C’est le capitaine
Jacquesson qui obtient les meilleurs résultats, réussissant à gagner du terrain, en
progressant à la grenade par les boyaux.
Ces attaques sont appuyées presque uniquement par les mitrailleuses, le 37 et le 58 ; car
nous sommes au contact, parfois à quelques mètres seulement de l’ennemi.
On m’envoie un officier de pompiers qui vient faire une reconnaissance en vue de nous
appuyer par des jets de liquides enflammés, comme les Allemands en emploient déjà.
Il va avec le capitaine du Génie Thiriet étudier la mise place de son matériel, mais celui-ci
me paraît bien encombrant et peu facile à manier.
En même temps que les attaques à revers sur le Labyrinthe, je fais exécuter des attaques
de front, en particulier pour occuper les entonnoirs en face de A5 et de A6. Je vais avec
Beaujean et Balicourt, dans les sapes que nous avons creusées sous les réseaux, et qui nous
amènent à quelques mètres des entonnoirs ; de là nous pouvons, sans attirer l’attention de
l’ennemi, préparer notre affaire.
l’ordre de l’armée.
Le lieutenant Adrien de la 12ème compagnie est
tué.
Le colonel Chapard, commandant de la 22ème
brigade est blessé mortellement à son P.C.
Le 24 mai, je reçois la visite de mon ami le lieutenant-colonel Dufieux, du G.Q.G., qui a tenu
à venir me voir à mon P.C. et à se rendre compte de la situation.
C’est une grande joie pour moi et je le mets au courant de nos attaques, qui prouvent
l’excellent moral du 26ème malgré ses pertes. Mais mes hommes sont bien fatigués.
Voilà vingt-six jours que nous sommes dans les tranchées sans trêve ni repos.
Le soir, à 19 heures, le général Aimé me convoque à son P.C. où je trouve le commandant
Oherne, de ma promotion, actuellement chef d’état-major d’une Division qui va nous relever.
Il m’apprend une chose surprenante : le 26ème R.I. sera relevé cette nuit dans son secteur
actuel, et dans la nuit suivante, il relèvera le 79ème R.I. !!!
Cette combinaison est stupéfiante, et il faut que je prenne connaissance des ordres de la
Division pour y croire.
La nuit est agitée par cette relève précipitée, qui a cependant lieu sans incident.
C’est de la veine, car à partir de 21 heures éclatent une canonnade et une fusillade intenses
et nous recevons des obus foireux suspects qui nous font prendre les précautions contre les
gaz.
Pétin me met au courant du secteur qu’il a organisé dans l’ancienne position allemande, entre
Neuville-Saint-Vaast et le Labyrinthe, et me fait un topo très clair. A la bonne heure, me
voilà bien orienté. Je règle avec lui tous les détails de la relève et je le quitte à 11 heures.
En revenant par le même itinéraire, je rencontre, sur la route de Béthune, le commandant
Hue, de ma promotion, dont le bataillon vient d’entrer en secteur. Nous ne nous étions pas
En tout cas, je suppose que ma protestation en faveur de mon régiment a fini par arriver aux
oreilles des grands chefs, car à 16 heures l’ordre nous arrive enfin d’aller cantonner au repos
à Aubigny (E.M. et 2 bataillons) et Savy (1 bataillon).
Je quitte la sape à 18 heures et à 19 heures je retrouve mes chevaux à Anzin-Saint-Aubin.
Nous arrivons à 21 heures à Aubigny, où nous logeons comme nous pouvons, car le pays est
bondé de troupes.
Pour la période du 9 mai au 16 juin, nos pertes pour l’ensemble de la bataille d’Artois
atteignaient les chiffres de 2260 officiers, dont 609 tués, et de 100240 soldats, dont
16194 tués, 63619 blessés, le reste disparu...
1ère compagnie
Officiers :
Lieutenant Parenteau, tué
Sous-Lieutenant Rauscher, tué
Sous-Lieutenant Connétable, tué
Sous-Lieutenant Marino, tué
Troupe
122 tués ou disparus, 30 blessés
2ème compagnie
Officiers:
Lieutenant Tuaillon, tué
Sous-Lieutenant Messe, tué
Sous-Lieutenant Czakowski, tué
Troupe
133 tués ou disparus, 23 blessés
3ème compagnie
Troupe
27 tués, 3 blessés
4ème compagnie
Officiers
Sous-Lieutenant de Pouydraguin, tué
Troupe
43 tués, 42 blessés
5ème compagnie
Officiers
Capitaine Brunel, tué
Sous-Lieutenant Wohlgemuth, tué
Sous-Lieutenant Bohel de Courbières, tué
Troupe
116 tués ou disparus, 1 blessé
6ème compagnie
Troupe
5 blessés
7ème compagnie
Officiers
Sous-Lieutenant Hantz, tué
Sous-Lieutenant Perrin, tué
Troupe
114 tués, 36 blessés
8ème compagnie
Officiers
Aspirant Delphy, blessé
Troupe
4 tués, 10 blessés
9ème compagnie
Troupe
4 tués, 4 blessés
10ème compagnie
Officiers : Sous-Lieutenant Rousselet, blessé
Troupe
1 tué, 8 blessés