DU MEME AUTEUR
AUX EDITIONS PRESENCE AFRICAINE
Le Soleil parage, nouvelles
Laghia de la more, nouvel.
‘cata Davrnes EorEuRS
DEDALUS - Acervo- FFLCH-LE
>“ mmAMANAN
JOSEPH ZOBEL
LA RUE
CASES-NEGRES
| fin
PRESENCE, AFRICAINE
25 bis rue des Ecol +s ParsQuand 1a journée avait ét€ sans incident ni mal-
heur, le soir arrivait, souriant de tendress.
aussi loin que je voyais venir m'man Tine, ma
‘grand-mére, au fond du large chemin qui convoyait
les négres dans les champs de canne de fa pfantation
et les ramensit, je me précipitais a sa rencontre, en
imitant fe vol du mansfeni(, fe gafop des anes, et avec
des cris de joie, entrainant toute la bande de mes
petits camarades qui attendaient comme moi te
retour de leurs parents.
S’man Tine savait qu’étant venw au-devant dele,
je m’étais bien conduit pendant son absence. Alors,
du corsage de sa robe, elle retirat quelque friandise
qu'elle me donnait : une mangue, une goyave, des
fcaques, un morceav digname, reste de son déjeu-
ner, enveloppé dans une feuille verte; ou, encore
mieux que tour cela, up morceau de pain. M’man
Tine me rapportait toujours quelque chose & manger.
Ses compagnes de travail en faisaient souvent la
remarque, et m’man Tine disait qu'elle ne pouvait10 LA RUG CASES NBORES
Porter quoi que ce soit & sa bouche qu'elle ne mede
réservé une part.
Derriéze nous apparaissaient d'autres groupes de
travailleurs, et ceux de mes camarades qui y recom.
naissaient leurs parents se précipitaient & leur rem.
‘contre, en redoublant de criailere.
Tout en dévorant mon godter, je liseis m'man
Tine continuer sa conversation, st fa suivais Goel
ment.
— Mon Dieu, merci; jen suis retournée! soupi-
‘altel, en postnt Ie long manche de a hoe contre
Elle se déchargeait ensuite du petit panier rond en
lattes de bambou juché sur sa téte et s'asseyeit sur
tne sorte d'exeroissance pierreuse qui, devant la
case, tenaitliew de bane.
Enfin, ayant trouvé dans le repli de son corsa
une bote de ferblane toute roulées qu concnee
tune pipe de chaux, du gros tabae’ ct une bolte
allumettes, elle se mettait & fumer lentement
silencieusement, i
Ma journée’ était aussi terminge. Les autres
mamans et papas étaient aussi arrives: mes petits
amarades avaient ris les cases. Finis les Jeux,
Pour fumer, m’man Tine occupait presque toute Is
place qu’offrat Ia grosse pierre. Elle se tourmat de
ote ob ily avait de belles couleurs dans le se
allongest et croisait ses jambes terreuses, et semblatt
Sadonner toute & son plaisir de trer sur s pipe
Je restais accroupi auprés d'ele, fixant dane iy
sméme direction qu'elle un arbre en fleurs ~~ us
‘macata tout jaune ou un flamboyant sanguinolent
LA RUE CASESNBGRES at
les couleurs que faite cel dere es morn (1),
de autre eBté dela planation, et dont la eur so
reflétait jusqu'sa-dessous de nous. Ou bien, j¢ la
Tepardis — a la derobee ~ car lle me rept
souvent aves wehtmence qu es enfants ne detent
as dvinger les grandes personnes
Je prenal alors un rl plas sue les courbes
Operation amsarte
cones ges your Te ehargement cna (1) au
reer gnuel man Tine depose d'abord une couche
sor ss pus les «careaux > Ge legume, une
sean eacl un morceau de morve sale, et que
Temp ea
Pervus souentelle a rapport du champot elle a
raat ube bot eepinard, et ee ativage metho
‘fous se termine par une coushe de cete here,
‘Santvere depiucuresenecroées.
saver un ame bondiante,pousant ete
woe Peis nies, provoque si dans a panse
toe poborygme de on afl et repand Sevant
cana ge eur Tae et brat, dane laquelle
im’man Tine et moi nous nous plagons, on Ae
rae nese tout pe fe pour lier 33
Fe nter a ame ance et onl
44) Coote em tere cite“ (A RUE cASpsNBoRES
faire pisser au lit. eae
sr sce ae
chante parfois aussi, avec mes camarades, em abe
eared
an ‘ef qu’on chante. , a
esc ag gm ee plea ap
Ste eee ce eatin
Sie ee nC, tae
LA RUE CASES-NEGRES 15
seul coup. Toujours un clou de grofle Ay jouter et
le laisse mijoter un peu plus!
‘M'man Tine a allumé son lumignon & pétrole et la
table est élairée au milieu de toutes les ombres, y
compris les notres qui, démesurément zgrandies,
pesent sur les misérables parois de fa case.
Elle est assise sur une étroite chaise prés de la
table; le grand bol de falence & bandes bleues et
jaunes dans lequel elle mange & meme ses doigts, est
‘entfe ses genotx, mais elle exige que je dépose mon
plat d'aluminium sur la table et que je me serve d'une
fourchette, « comme un enfant bien élevé »
‘— Ton ventre est plein? me demande-elle lors
‘que j'ai fini de manger.
‘Tois « carreaux » de fruits &-pain m'emplissent &
re faire éclater; et cest a peine si Jai assez de
soutfle pour répondre d'une voix distincte : « Oui,
m'man. >
Alors, m'man Tine me donne un petit coui (1)
plein d'eau, et je vais sur le pas dela porte pour me
Fincer la bouche, en ayant sin de secover Peau bi
fort entre mes joues et de eracher aussi violemment
que possible.
‘Tout en faissnt fa vaisselle, m’man Tine monolo-
gue ® mivoix, et je reste assis sur_ma chaise &
écouter, comme si etait & moi qu'elle sadressait,
Elle raconte ainsi toute sa journée : les incidents, les
uereles, ls plaisantries de la plantation ;sindigne
si sérieusement que je crains de la voir briser le
canari ou le bol qu'elle est en traiz de rincer. Ou
bien, elle ricane i follemene que je m'esclaffe aussi
(2) Demtcaebase servant devel,6 LA RUE CASESNEORES
Etelle de s'aréter brusquement pour me demander
‘€ De quoi rs-tu, polisson ? »
D'autres fois, elle n'est pas colére, mais elle parle,
parle, d'une voix sombre et vibrante ; et ne compre-
nant pas bien ce qu'elle se dt, je me penche pour voir
sil ny a pas des larmes qui coulent sur son visage.
Car je me sens si angoissé!...
Je reste longtemps & regarder fixement le lampion,
et me laisse distraine par les petits papillons qui
‘butent contre la flamme et tombent la Tenverse Sur
la table, morts ou incapables de reprendre Fair.
Et mes paupitres s'engourdissent, et ma téte
semble de temps en temps se détacher de mon cou
pour tomber sur la table si je ne. me ressasis pas &
temps.
Or, m’man Tine n'en finit ‘pas dTessuyer et de
ranger ses ustensiles. Elle a plus d'une fois déplacé le
‘quinguet pour nettoyer la table. Quand done se
relevera-telle de ce coin ot ele est bassée & ranger
des bouteilles?
‘Alors, jai deibérément posé ma tte au bord de la
table 1
Enfin, m'man Tine me secoue l'épaule en m'appe-
Jant tout haut pour chasser mon sotmmeil. Tenant la
lumigre d'une main, elle m'entratne dans la chambre.
Je suis imprégné de sommeil, et plus ren ne frappe
mes sens, M'man Tine défait un gros paquet de
‘aillons qu'elle étale en couches superposées sur une
peau de mouton étendue par terre Elle me désha-
bill, je bafouille les mots qu'elle me fat répeter & la
sloire de Dieu, Je pergois tout comme du fond dune
eau trouble. Lorsque, enfin, je dis: « Bonsoir,
LA RUE CASESNEGRES y
Se
man ent
Her dot et
pe Ma occ
nn ne a
Cn est
Fe ce
cei at eau ane
ES
reseed mens an hoe
sn a ae
Pa ee eI ada
mea tere
ag mane
Seen Reso Se
Ec ee
Et elle poet ss phrases de petites gorgées
‘Te ais alors combien je dois prendre garde de laa LA RUE CASESNBoRES
et i ete gt
i ea at
levé,#'8i pas encore mis une goutte de café dans mon
eau et déja cet enfant me tounnente! »
ce te
eet Pet rie, ae
me ese ain
isp emeepicaimied ape aie
Pendant ce temps, m'man Tine tourne et retourne
Sur ses genoux sa robe de travail, en examine le
rena ia aon ame
Foe span ge ie gts
Seeing ae a de
iowa mu ph a ma
memmree Js champs, toute Ia savane sont des
i
bien melanger et manger.
sme montre le plat quelle place & un angle
4s fab, a'ma porte; pus, acateram cneee ce
Eréparatifs, elle se compose un déjeuner semblable
ns un coui qu'elle cale bien soigneusement dens
son panier de bambou avec quelques accessoiree
ntre autres, les vieux bas noirs dont elle se fait des
‘mitines et des jambigres pour se garantir dee
€raflures ‘des feuilles de canne, et parfois, une
‘alebasse d'eau fraiche, ”
Puis elle bourre sa pipe et Patlume, se coffe sur
LA RUE CASESNBGRES 9
son mouchoir de son étrange chapeau de pale, serre
autour de ses reins un cordon de haillon, et me dit :
— Je vais voir si le Bon Dieu me donne encore la
force de lutter dans les cannes de M. le béké (1)! Tu
vois comment la case est propre, et ton costume
aussi... sans déchirure.. et qu'l ny a pas une ordure
devant la case... Et puis va pas drivailler. Tache de
te bien comporter pour pas me faire endéver ce soir?
Li-dessus, elle tire deux coups sur sa pipe, emplis-
sant Ia case de fumée, se baisse en meme temps,
enleve le petit panier de bambou qu'elle pose sur sa
tte et, attrapant sa houe au passage, franchit la
porte en disant :
— Je suis partic
Enfin libre! Libre pour toute Ta journée.
Mais je ne me rue pas encore dans ma liberté,
Assis sur le seuil, je laisse écouler quelques ins-
tants. Dans la précipitation de son départ, m’man
Tine a souvent oublié quelque chose qu’elle revient
chercher. Alors, il faudrait quelle me retrouve aussi
sage qu'elle m’a quitté. Pus, rassuré, je sors en ayant
soin de bien refermer la porte.
‘Ceux de mes camarades dont les parents sont déja
partis sont rassemblés devant une case. Ils m'accueil-
lent avec effusion, et nous attendons les autres.
La rue Cases-Nogres se compose d'environ trois
douzaines de baraques en bois couvertes en tole
ondulée et alignées a intervalles réguliers, au flanc
d'une colline. Au sommet, trone, coiffée de tuiles, la
maison dv géreur, dont la femme tient boutique.
Entre « la maison » et la rue Cases, la maisonette
(0) Blaneréoe,proprittie de plantations et eusnes,2 LA RUE CASES NBGRES
de I'économe, le parc & mulets, le dépot d'engrais.
Au-dessous de la rue Cases et tout autour, des
champs de cannes, immenses, au bout desquels
apparait Pusine.
Le tout s'appelle ici Petit-Morne.
I1y a de grands arbres, des huppes de cocotiers,
des allées de palmiers, une riviére musant dans
Therbe d'une savane. Tout cela est beau.
En tout cas, nous, les enfants, nous en jouissons
royalement.
En attendant que la bande soit au complet, nous
‘nous amusons sur place, et mos cris et nos rires
battent le rappel de ceux qui manquent.
‘Combien sommes-nous? Je ne erois pas que nous
ayons jamais compté. Nous remarquons bien lor
‘quill en manque : chacun a ses préférés et le signale
sil n'est pas 14; et nous sentons aussi bien quané
nous sommes au grand complet,
D'abord les entraineurs : Paul et ses deux seeurs,
Tortilla et Orélie. Gesner, mon bon copain, et
Soumane, son petit frere. "Romane et Victorine,
intrépides comme des gargons ; Casimir et Hector. Et
‘moi-méme. Car je compte aussi dans la bande.
Puis toute une trafnée de moutards plutot encom-
brants en certaines citconstances. De Ia marmaille,
quoi! qui ne sait méme pas courir sans se racer les
coudes et les genoux dans Ia poussire, incapable de
srimper aux arbres et de sauter un ruisseau,
‘Tandis que nous autres, « les grands », on sait les
chemins et les endroits od T'on peut pécher les
écrevisses & la main, sous les calloux chantants des
cours d'eau, On sait cueillir des goyaves et défibrer
LA RUE CASESNEORES a
Jes noix de coco sbches, Etlescannes\ponnes A sueer,
sa nous connat :
pe Gest ce qui compte avant tout pour profter
entbrement de fa liberté ensolellée que nous laisse
Tabsence de nos pareats.
Noss sommes dalleurs les seuls & porter des
elements De aisles vestes hommes flottent sur
Jeidos des autres eargon,etsedéchrent en tous sens
esse leurs ebats; ou des tricot i roues qu'il
ae Tecouvrent absolument Fen des pelts Corps qui
vovdraient sen vei.
‘Gant aux s0bes ds files: un cordon passé en
pandoulire, et e’00 pendent vapuement des franges
gui ne cachent rien du tout :
Ter tous, mite, avee des cheveux lineux, rougis
au cpls det nez Goh glse un jus verdate,parells
‘ec atelages de Himaces, des jarretsécaillés comme
Ges dates de poules, et des pieds couleur de pierre
Ses andisent en avant des ortlls truffés de
chigues.
*¥6 midi, annonce Hector, je dejeune de petites
bpanases naines avec de Thule ot de le more,
pena esa fit euire avant de partir; c'talt encore
hud tout & Theure :
a eestion nouriture vent toujours au premier
plan de nos préoecupations
2 ave, Git Baul en partant de Tui ct de ses deux
sdrurs nows avons un gros canari plein de sz att
‘ocd beurre rouge » Etaoire maman ous dit
ae prendre encore de lo farine sil n'y 4 pas notte
compte
rr sais vous raver pas de chair, fit remarquer
soumane2 1A RU cases tones
= No. th one mene pas de Is more!
ir soma aman t fi hoe anger,
é : ‘Pande emis
Bigan de frat et guns de cote ee,
Bice ue emg
nd les mens een pes beracoup ta goun
mando, ence momest ot noe tans oe foe
Galleon, ous deambulon Se cae sue
sue grande perome bas Cece
on ae baraques sont meme inhabitées, fermées
grands ouverte, cat Ie ae mes
ene dence psoas Anat as
ous sommes seul et tout sons nyse
not 28Mine Lot, Stusan tle ea 4
pote ae; arachat ‘ne plane fae teen
herbs er surtout dont on none ete
‘ero nies ja decor ct
edan si nos votions!_ "SPOUTS pier
Mas, souvent, eur qui on de
_
Bowan psy neste, eeSdant a Peas ee
Gamarades, nos condsent ches een hoe gute
avec la plus joyeuse ‘fmsouciance. ee
‘Apts qo, tout a bande met
ese met en route,
itt std, Be goyaier en pee
ee champ ‘de cannes. On de
sevanes,lapdantvelemmenr es one:
We parfois des coins de verdure oy ieee
Pomme-tiane (1). oo
THe les lon, a Tene? dem
Nous faisons halts ttnard so
(2) Frat snuvage,
LA RUE CASESNBGRES B
= Sor que c'est loin, Pourquoi?
— Paree que, hier soir, mon papa m’a porté des
‘mangues grosses comme ga. Sur le chemin de ta
Trénelle il les a ramassées, qu'l a dit.
'— Ce doit pat étre t2s loin alors.
— Sion y alla’
Pourquoi pas?
Cest peut-tre loin en réalite, mais n’a-t-on pas
toute Ia journée pour y aller et en revenir? Et puis
ef bande, comme ga, on parcourt tant de chemi
sans s'en apercevoir!
‘Au pied du Morne, nous rencontrons un cabrouet
plein d'engrais et attelé de quatre beufs, qui ‘en va
sringant des roues par les omnieres. Gesner, Romane
fet moj de sauter aussitot derridre. Les autres, agrip-
pés comme ils peuvent, se font remorquer, et les plus
faibles suivent en trortant.
Silence, pour que le charretier ne s'en doute pas!
Le charretier, Iui, debout & Vavant, pique ses
boeufs en jurant comme le tonnerre ; et trop frappan~
tes sont les invectives pour que nous n'y fassions
echo.
Gesner, grist par ces vocables interdits, en ajoute
encore Pautres de son cru.
Crest un jacassement affotant.
Mais, alors que le char continue avec son fracas de
bois dur entrechogué, son tintamarre de chatnes, ses
grincemens d'essieuk melés au droyage des mottes
de terre séche par les roues, voila que, brusquement,
surgit devant nous le charretier brandissant son
iguillon.
— Tas de petits négres marrons, voulez-vous!...
La bande, dispersée, se teforme un peu plus loin.4 LA RUE CASES.NEGRES
Et pour nous remettre de notre émotion, nous
lapidons d'injures et d'appellations insolentes Matte:
lage qui s’éloigne, impassible et cahotant.
— Crest pas le chemin, fat tout & coup remarquer
Gesner. Il fallait descendre a la croisée, Ia-bas,
dertitre, et prendre le sentier qui va la, comme ga.
En effet, nous ne sommes plus dans la direetion de
la Trenelle, Ce maudit cabrouet nous a dévoyes
Nous revenons alors sur tout c= que nous avons
parcouru. Si amére est notre eontrariété que nous ne
jetons meme pas les yeux sur les goyavters qui
bordent le chemin, On sait ailleurs, par expérience,
{ue les buissons en bordure des « traces » ne gardent
jamais leurs fruits
‘Nous, les grands, nous marchons tellement vite
que les petits s'essoutflent, derritre nous, comme ils
suivaient le char tout & Vheure,
— Léconome! s'éerie Orélie.
‘Tout le monde tombe en arrét. A peine le temps de
voir le parasol blanc qui pointe au tournant du
‘chemin, nous nous jetons dans les fossés. Et c'est un
‘grand bruit 'herbe et de paille saccagée qui me
‘monte ala tete pendant que, & quatre pattes,j’espaic
de gagner les profondeurs du champ de canne.
Et ce bruit qui résonne comme si le mulet de
'économe galopait & mes talons m'emplit tellement
d'effroi que mon ceeur va se rompre
Et je roule dans un sillon, exténué, perdu.
Incapable de bouger, je reste la tete enfouie dans
les broussailles.
Peu & peu, mon eur bat moins vite et jécoute.
Plus de bruit de paille.
Faiblement, me parvient le trot du mulet qui
= Seah rs
Sa aneraty e ss
eo come
= ‘0’ est Tortilla? Et Casimir .
at
| “Nis ene fi, prope Gesner, nous nes
Sef et te)
LA RUE CASESNEGRES 3
(4) Frit snaeages6 LA RUE CASES.NEORES
‘wnjours des cannes & sucre ratatinges qui font bien
notre affaire dans Varritre-saison
Mais, cette fois, ni manger-coulie, ni canne. Rien
que des herbes folles, des fleurs sauvages, des
liserons.
Les camarades disparus? Nous en apercevons
‘maintenant quatre ou cing qui remontent en déban-
dade vers la rue Cases.
Nous, tous les obstacles qui entravent notre itiné-
raire ne nous empéchent pas de poursuivre notre
venture jusqu’au bout.
Nous étions déja Join lorsque, & « la maison »,
sonna Mheure du déjeuner. Si loin que cest tres
faiblement que nous entendimes la cloche.
== Ils vont dévorer leur déjeuner, dit Paul, en
faisant allusion & ceux qui étaient retournés, Peut-
etre meme quilsiront voler notre manger.
‘— Niimporte, fit Romane : ils n’auront pas goaté
{8 tous ces beaux mangos dont nous allons nous
régaler. Et nous ne leur rapporterons rien. Pas um
seul; pas méme la peau.
En plein soleil, nos guenilles claquant au vent,
‘nous traversons f¢ champ. Nous suivons une autre
«trace 9, jacassant, nous arréfant maintenant &
chaque arbuste pour le dépouiller de ses fruits — les
‘mars et les verts — afin d'apaiser sans doute wne fim
‘ui s’évelle et dont nous avons & peine conscience,
subjugués que nous sommes pat les périls que nous
avons si vaillamment affrontés depuis notre depart,
‘et enhardis par 'ampleur de notre initiative,
Nous flanons beaucoup, puis notre but nous reve-
nant en mémoire, nous nous htons, nous engageant
LA RUE CASES.NBORES n
{i softre 8 droite ou &
résolument dans tel sentier qi
sauche.
Cest un endroit od le chemin est encaissé entre
deux terres rovges et humides, avec de grandes
Fougéres qui s'élancent tres haut au-dessus de 005
tétes, Iissant juste une fente pour qu'on voie un peu
te cial, Tellement étrange que nous parlons & voix
basse, en tichant de marcher oSte 8 cbte,
Jamis vu ua chemin pareil!
‘Toujours lorsqu’on s'y attend le moins, de petites
boules de terre s'échappent de la-haut et dégoulinent
nos pieds, nous coupant le souffle.
‘Nous avangons lentement, sans parler, et nous ne
pouvons nous empéches de regarder en arritre, tous
Tes deux ov trois pas.
'Ne dirait-on pas que ce couloir menace de s’etfon-
drer sur nous, ou tend 2 se refermer sur notre pas-
‘sage? Nous allons d'un pas de plus en plus h
tant et mal assuré, Moi, jétoutfe de ne pas oer parler.
"Nous avons pews. :
Soudain, un cri d’effroi et, sauve-qui-peutt
Rebroussant chemin, nous détalons de toute Ia
vigueur de nos jambes, en multipliant nos cris de
panique |
Longtemps aprés étre sorti du passage, nous conti-
rnuons de courir, sans nous retourner, filant droit
Gevant nous, jusqu’a épuisement de notee haleine,
Mais impossible de nous arréter. Nous trottons,
cexténués et poussés par 'épouvante. Trop viotente
fest notre émotion pour que nous nous ressaisissions.
La peur nous a ébranlés jusqu’s nous vider de tout
enthousiasme, de tout orgueil.