DOSSIER
la barbdrie nazi
» de "histoire, s’y inscrit pleinement.
PENSER
AUSCHWITZ
~ APRES LA GUERRE
pear Enzo Traverso*
‘naa Traverso est maitre
econtreneesenscences
poiques a ues de
Pine tens.
Moarécenment pie:
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Auch
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7957
Le rahtrene,
text sitcleen dtbat,
di see 2001;
1a Vokence aie
‘re analog
européen,
(to aig 2002:
a Penséeeirersse
Figures de Vo jadi.
lead, 6 Lo
Sehoethignes 2008,
g
a
evasion aie
impact dee Shoah sirlapen-
6e de Mapres-guerce ne fe pas-inaéiat I
andra atfendre longtemps pour qu’lles'ins-
alle at centre des débats inteocinals. Notre
peteeption def Halacauste comme un moment
oudamental de Vhistotre dit. sitce ot, au-
deh, du motide modeme, ne'correspond pas
a celle qui domminatt an 1865. Limprégiation
antlsémite des mentalités et de ia culture ~
bien plusforelépoquecu’slene est mijour-
hui—certes contebuait cate indifference
ot cette incompréhension, mais le ghéno-
bneestsans oute ps vast. La conecionee
tla penséene sont pas toijouus en prise sur
Jes événements, elles nécessitont pacfoig un
‘empad'éiaboration long et difficile. Coa fait
que certains cataclyemes armies plas déch|-
sans etprofondé due sels ont st ignores
01 sout passés inapergus pat leuss contem.
potains. Ce fut le eas dha syst
Ulonnaite soviétique, dont "opinion publique
internationale ne prit vralinent conscience
‘qu'apiés la pablication de FArcipel ls Gou-
Jogde Soljenitsyne, ou du bombartemént ato-
awique ce Ftitoshima, qt In presoe wea
60
j Les penseurs.de l‘aprés-guierre n‘ont pas immédiatement
la mesure de
IHfoudra attendre Hannoh,atendt et les philasophes de
Vécole de Franefort pour comprendre que laShoah, loin d’étre ur ccident
{ale avatte’sbord salué comme wn événement
heureux qui marquait ia fin de la guerre et
comme Ia début d'une « révaiution sefenti®
Jique».Cefustaussile cas du génocide des julfs
@'Europe qui fut dans un premier temps
‘englouti» parimmense coxtége deviolence
etde destruction aissé parla Seconde Guerre
‘mondiale, sens que personne ne ptsse volt
Jo.singulesité de Mextermisation dun peupt’
décrétée parlexépime naz ifn deromodettt
1Burope surle pian biologique et iacial To
uprocés de Nuremberg, en 1945, Zolocausie
ne fut pais traité comme un pénocide maissim-
plement classé panmiles crimes de guerre. La
culture redétant inévitablement cet état d’es-
‘rit los intellects quiplagatentles chambres
a gaz aucentre de leur réflexion demeuraient
bien rares. Et méme ceux qui, comme Jean-
Paul Sartre, reconnaisselont Vexistence d’un
probleme ~ ses fflesfons sur la question juve
atent de 1945 — ne I'ahordaient guére sous
Vangle du génocide, Pour Sartre, la equestion
jaives x'était pas celle ela dieparition de six
railions de juifs—les camps d'extersnination
sont i peine évoqués dans son essai ~ mais
plutatcelle del'antisémitisme dela M*Répu-
blique ,
Dans Europe continentale, la culture était
alors dominée par 'antifascisme, plus porté
A valoriser Vétitage de In déportatiin poli-
tique qu’ méditer sur un génocide perpétré
au nomd'un projet de domination raciale. Le
symbole dela barharie narien'était pas Ausch-
seitz ais Buchenwald, ie camp oii se touvait
faplue grande concentration de
fascistes. Cette culture semblai alozs redé-
pouvric Ja tradition des Lumidxes et Pde de
Dprogr®s, Une fois éliminé le nazisme, la civi-
lisation poiwyait reprendze soh chemin. Le
nazisine apparalscaitcommetne parentiése,
dont le continent sortait comme un conve
Jescent aprésune maladie qui avait falliTein-
porter. Cestprécioément atte image—leids-
cisme comme maladie moraledeBurope ei
émérge de3 éerite de figures dusi différentes
‘quel éczivain Thomas Mann, Vhistoriéa Frie-
\drick Meinecke eties philosophies Karl jaspers
9 Bonedetto Croce: D’autiespenseurs adli®-
rent Abette viston en Vinserivancdansun parcours plus vaste et profond de dectruction des
Lumices. 2 diagnostic di libéral Br
ser, auteuir du MythedetSiat(1945),cofncide
sur ce point avec celui du marxiste Georg
“Linkées, qui piblie quelques années plus tard
EaDastrucsion de la raison (1953) :pout les deux,
{a neaisme fut 'aboutissement pacxystique
dune longue vague d'irrationalisme née au
début du xn sitcle par opposition ala Révo-
lution frangaise, Tous ces penseuns semblent
‘ignororla xéalité des carps nazis, dont ile ne
ergaivent pas fa qualité d'événement histo
riquement nouveau Ine s'agit & leurs yeux
gue d'un épiphénoméne inserit dans un pro:
cessus global de régresston’historique : une
Sesechute deta civilisation dans tune barbarie
"1 hiémoderne,
$i” Quelgues philosophies allemand exiles, essen-
tiellement d'origine juive, échappent cepen-
dant cette tendance déminante Les chambres
gor lour apparalssent comme expression
dune violence inscrité dans la moderaité et
Jn harbarie nazie non pas comme wh phéno-
midi régressifmais piutot comme une mani-
festation authentigue de la civilisation occi.
dentate. On peutfooruler plusieurshypotheses
afin d'expliquer ce reghtd original, & contre
courant. Une condition le cette spprochetient
sens doute & leur position d'exilés, isolés et
impuissants mais aussi susceptibles, précisé-
‘ment cause de lewte marginalité d’apatrides,
échapper awccontraintes des contextesnatio.
hau at d'adopter tune distance extique bien
uiffcile & nequértr en Euzope, Reste que les
crits des années quarajatede Hannah Arendt,
Theodor W. Adorno; MaxHorichéimer, Herbert
Marcuse ow Glinther Anders préfigurent pli-
| sieurs éléments du débatdctul sur le Shoah,
: taht sur le plan historiogeaphique que sur le
plan soctotogique et philosophique.
Rupture ou produit dell'Histoire 2 Des 1948,
Hannah Aronde avalystit les camps d'exte
i comme des lieux ov étalent
perpétzés des. massderes administratifs »
dépassant non seulement « Vimagination
humaine, zasis aussi Jes cadtes et les catégo-
its de fa pensée et de l'action politique (2) ».
Dans un articteintitulé « Vimage de Fenter»
Case,
(4: RSa0,retons
surke queen jute
Eo. Galinae
HL Arent via
cupablieorgactesas,
In Peso ener,
ed, 1988 9. 27
GHA «nope do
Testory i sehntnt
Mewsatn, 64. DeseTomp
“lero, 1891, 7, 164
VE Aue Lez Oitgaes
dutontterine,
fd. QuertfCaltinac,
“om,
{1 floenebnen
Th.wadora,
Diabetiqnedataraton,
6. Gali 974, 1,
(eth. We. tdorn,
sBiuquerepsts
‘scl dies
tgs Payot,
1904 p.205,
i asese,
Buserctefuation
84, de stant, 1963 p16,
IG oaile, «Sec,
In ceupsernettes,
(4. ils 1008,
tp. 20
DOSSIER :
(1940, elle caractéisaitles camps nazis comme
des « usines de Ia mort » qui remettaient en,
causenotreVigion dela civilisation et de'his-
toire. Eoiy d'etre de simples épiphénomnes,
‘ls constitu¥ient ses yeux el'expérience fon.
damentale do notre 4poque t». 8a médita.
tibu sur 'Holocanste trouve sa formulation
systématique dans Ler Originesdu totalitarisme
(1852), olla violence naaie est appréhendée
comme résultat dele convergence de plusieurs
tendence’ & oeuvre aa séin dx monde occ
* dental depuis le xx sitcle,
‘Tout d’abord, la métamor-
phose de!’
souche religicuse en antisé-
uildsme moderne, théarisé
aunomdelascience, destois
Ge la nature et de histoire.
Puis,I'émergencedel'impé.
alisme comme une idéolo-
wie et une pratique de
conguéte qui trouvent leur
aboutisvement dans es nas-
saeres coloniatt, justfige au
nom de la missfon clvilisa-
‘tice de YOccidont; orgaai-
aée &Yalde de Padministra-
Hon ex parpstrés grace ila
technologie des Btats occidentaux. Enfin, elle
Studie une conséquence majeure de I'effon-
drementde)'aucien ordre evropéen lors dela
Grande Guerre lanaissance d'uiemasse eois-
sante dapatcides, non-cltoyens garce que
inclassables danslennouventaysteme d'Btate-
nations. Ces apatridescont privés de droltset
virtuellement « hors-la-iol » non pas parce
u's auraienttranegreseés mals implement
‘patce qu'il n'y apas de lois qu les reconnals-
sent. extermination des juifs prouve que ces
patiee ~ parfaite incarnation de Uhumankes
abstraite postulée par Ja philosophie des
JLumizres et inscrite daus la Déclaration des
droits de Vhomme de 1789 peuvent deveair
Joe premitres vicnes d'une erise sociale ot
politique du monde occidental Le totalita-
fisme a été la synthése de ces différentes ten-
dances ~antisémitieme, impéxaliome, racisme,
apories de I'ftat-nation ~ qui appartiennent
APhistoire deY Occident, Autrement dit, poue
Hauneh Arendt, le genocide dos Jus const
tue ime rupture de Phicentie qui Sinserit dais
Uhiatoire elle-méme, Uae rupture deV'hletoire,
‘parce que jamais suparavant un égimae avait
nis en ceuvre!'élimination detouttn peuple
técrét6 indigne de viere our cette plante et
sun produit de histoite, parce que cst bien
sui sein de I'Burope, avee oa civilisation et sa
culture, quelle nazieme a pris forme et queles
prémices de ex politique rextermination ee
sont constitudes. Une rapture de Phistoire,
parce que, en anéantissant les
fjudaisme de ,
| ican Wa easeDOSSIER |
[sania ans
a
Nu
899 camps delamortconsacrentune vision
totaitaire de a communauté nationale comme
corps monolithique et soudé, dans lequel la
suppression de toute forme de pluralisme et
@altérité débouche sur le destruction du pot
fique qui, depuis 'Antiquité, suppose la divi-
sion du corps social. Bt un produit de lise
toire, car le totalitarisme a surgi d'une
métamorphose de I’ftat le Léviathan trans-
formé en Béhémoth ~ dans les conditions de
la modernité w,
Tavision del'Holocauste comme un produit
de VOccident trouve une expression encore
plusradicale dans es érits de plusieurs repré-
sentants de 'école de Francfort, émigrée aux
Etats-Unis aprés 1933, Dans Dialectique de la
raison (1947), Horkheimer et Adorno interpré-
tentlenazisme comme 'aboutissement exteéme
delaparabole du rationalisme occidental, une
ialectique négative qui transforme la raison
<'insirument émancipateur en instrument de
domination et le progres technique et indus-
twiel en régression humaine et sociale. C'estle
premier ouvrage dans lequel le mot « Ausch-
‘ite » est utilisé comme une métaphore dési
gnant le processus d’x autodestruction de la
raison 6)». Dans les années cinquante, Adorno
définitl Holocauste comme expression d’eine
barbarie qui s'inscrit dans le principe meme
de Ia civilisation (@».S'inspirant de la vision
heideggerienne dela technique comme condi-
tion ontologique de la modemité, Marcuse
écrira meme, dans Fros et civilisation (1954),
que « les camps de concentration, les exter-
sinations de masse, les guerres mondiales et
les bombes atomniques ne sont pas une “rechute
dans la barbarie’, mals les résultats effrénés
des conquétes modemes dela technique et de
Iadomination tm. C’estle renversementexact
de la these dominante & V’époque qui consi-
dre le fascisme comme une régression de la
civilisation (une these qui sera encore défen-
due parle sociologue ’origine allemande Nor-
bert Elias dans plusieurs de ses crits). Contre
latendance réconfortante, mais au fond apo-
logétique, qui consisteavoirle nazisme comme
une légitimation en négatifde VOccident libé-
ral considéré comme le meilleur des mondes,
les philosophes de 'école de Francfortontlaneé
une mise en garde sévére, Le totaitarisme est
né att sein de la civilisation elle-méme, il en
‘est le fils. Cette civilisation demeure la notre
‘et nous vivons toujours dans un monde dont
Auschwitz délimite un horizon de possibilité,
En France, un point de vue analogue avait déja
66 énoneé par Georges Bataille, en 1947, dans
‘un article paru dans Critique qut se terminait
parles mots suivants :« comme les Pyramides
oul'Acropole, Auschwitz estle fait, estlesigne
de lhomme. Limage de Fhomme est insépa-
rable, désormais, d'une chambre A gaz)...»