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Hadot Pierre, La Bonnardière Anne-Marie. Théologies et mystiques de la Grèce hellénistique et de la fin de l'Antiquité. In:
Annuaire des sciences religieuses. Annuaire. Tomes 80-81, Fascicule III. Comptes rendus des conférences 1971-1972 et
1972-1973. 1971. pp. 277-297;
http://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1971_num_86_80_16762
I. Année 1971-1972
1. Marc-Aurèle
La première heure a été consacrée à l'étude de certains textes contenus
dans les Pensées de Marc-Aurèle (nous avons oris comme base le texte
établi par W. Theiler, Kaiser Marc Aurel, Wege zu sich selbst, Zurich, 1951).
Cette étude a été menée avec l'intention de mettre en valeur le fait que,
dans l'Antiquité, au moins tardive, la philosophie se ramène à des
exercices spirituels (méditation, préméditation, examen de conscience) destinés
à provoquer une transformation radicale de l'être du philosophe. Nous nous
sommes attaché cette année à examiner un seul exercice spirituel, qui nous
a paru significatif, à savoir l'exercice qui consiste à se faire une
représentation aussi exacte que possible des objets qui se présentent à nous, en les
définissant d'une manière «physique», c'est-à-dire conforme à la partie
«physique» de la philosophie.
Avant d'examiner la matière dont Marc-Aurèle définit, puis applique
cette méthode, nous avons tout d'abord recherché les fondements
théoriques qui justifient et expliquent un tel exercice. Il suppose en effet, comme
le dit Marc-Aurèle lui-même, la possibilité de critiquer les représentations
(phantasiai) que, selon la doctrine stoïcienne, les objets produisent en
nous, autrement dit, il suppose la liberté du jugement (hypolepsis). Nous
avons remarqué que, lorsque Marc-Aurèle parle de représentation (phanta-
sia) et de jugement (hypolepsis) , il ne fait pas, à proprement parler, de
«critique de la connaissance» au sens moderne du mot, il ne se situe pas
dans l'ordre gnoséologique, mais dans l'ordre axiologique : ce qu'il
soumet à la critique, c'est la représentation que nous nous faisons de la valeur
des objets, c'est le jugement que nous portons sur la valeur des objets.
Cette critique est dominée par le principe fondamental du stoïcisme : la
seule valeur bonne est le Bien moral, c'est-à-dire la vertu, la seule valeur
mauvaise est le Mal moral, c'est-à-dire le vice. Tout le reste n'est ni bon
ni mauvais, parce qu'il ne dépend pas de notre liberté ; tout le reste est
donc indifférent.
La critique des représentations sera donc une critique des valeurs qui
nous conduira à refuser de reconnaître une différence de valeur entre les
278 GRECE HELLENISTIQUE
est apparu que Marc-Aurèle faisait probablement allusion ici à ce que l'on
peut appeler les quatre catégories de la physique stoïcienne (matière,
qualité-cause, manière d'être, manière d'être relative). Ce type d'analyse a pour
effet de situer l'événement ou l'objet dans une perspective «physique», c'est-
à-dire dans le cadre général de la partie physique de la philosophie. Chaque
événement est situé dans le cours général de la nature, rattaché à
l'enchaînement général du Destin, et finalement à la volonté divine.
A cette occasion, nous avons tout spécialement étudié les textes de
Marc-Aurèle qui se rapportent au mode d'action de la Providence divine
(IX, 1, 10 ; VI, 36 a ; VI, 44 ; IX, 28, 2 ; XII, 14; VII, 75). On y retrouve
toujours, tout d'abord l'opposition explicite ou implicite de deux
hypothèses fondamentales : il y a une providence, il n'y a pas de providence,
puis la subdivision de la première hypothèse en deux hypothèses
subordonnées : ou bien il y a une providence initiale, se réduisant à l'unique
initiative de la production du monde, selon un plan rationnel, tout le
reste procédant par voie de conséquence, ou bien il y a une providence
particulière de la volonté divine pour chaque cas particulier et chaque
moment du devenir du monde. Dans toutes les hypothèses (même celle
de la négation de la providence), il faut en quelque sorte être sa propre
providence, c'est-à-dire agir conformément à la raison : «Si tout marche
au hasard, toi, ne marche pas au hasard !» (IX, 28, 2). On voit s'esquisser
ici la notion d'une éthique indépendante de la physique.
L'exercice spirituel préconisé par Marc-Aurèle cherche à éliminer
l'anthropomorphisme, si l'on entend ici par anthropomorphisme les valeurs
«humaines, trop humaines» que l'homme ajoute aux choses lorsqu'il se les
représente. On passe d'un mode d'évaluation «humain» à un mode
d'évaluation «naturel». Dans la perspective de la Nature universelle, tous les
événements deviennent indifférents, le sage ne fait plus de différence de
valeur entre eux. Indifférence ne signifie pas ici désintérêt. Bien au
contraire, ne pas faire de différence, c'est aimer également toutes choses.
Le sage aime tous les événements, il les trouve tous également beaux (III, 2),
parce qu'ils sont l'expression de la volonté de la Nature. Celui qui est
familiarisé avec la Nature se plaît à tout ce qui est «naturel». On aperçoit
ici l'un des aspects de la physique stoïcienne : elle n'est pas une
connaissance objective de la réalité, mais une méthode morale, un exercice
spirituel destiné à changer notre évaluation des choses.
Le résultat de cet exercice spirituel, c'est la grandeur d'âme : «Rien n'est
mieux capable de produire la grandeur d'âme que de pouvoir examiner avec
méthode et vérité chacun des objets qui se présentent à nous dans la vie
(III, 11).» La grandeur d'âme, selon la tradition stoïcienne, nous élève au
dessus des choses indifférentes (Stoic. Veter. Fragm., t. IH7§ 264). Qu'elle
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2. Plotin
La. seconde heure, nous avons poursuivi notre enquête concernant
l'expérience mystique de Plotin. Cette année, nous avons abordé un groupe
de textes (III, 8 ; V, 8 ; V, 5 ; II, 9, dans l'ordre systématique des
Ennéades introduit par Porphyre) qui forment un vaste traité dirigé contre
les Gnostiques.
L'idée essentielle de cet ouvrage, c'est le refus de toute discursivité dans
le processus de formation de la réalité. L'intelligence créatrice ne raisonne
pas pour produire le monde sensible (III, 8), elle forme sa propre forme
sans raisonnement (V, 8), elle pense par une présence immédiate à elle-
même (V, 5). Malgré notre désir d'étudier le plus rapidement possible ces
théories si importantes pour la compréhension de la «mystique» plotinienne
il a été méthodiquement indispensable de nous concentrer sur la partie du
traité (II, 9) qui expose et réfute la doctrine gnostique, afin de mieux
comprendre les préoccupations polémiques de Plotin qui forment l' arrière-
plan de tout l'ouvrage.
Après un exposé général sur l'essence du gnosticisme et un bref
commentaire du chapitre 16 de la Vie de Plotin par Porphyre, qui nous fournit
de précieux renseignements sur les «Gnostiques» de Plotin, nous avons
étudié cette année la partie de l'ouvrage qui va de II, 9, 1, 1 à II, 9, 8, 46.
Nous avons pu utiliser pour nos recherches, des traductions anglaises
encore inédites de trois écrits coptes de la bibliothèque gnostique de Nag
Hammadi : l'Apocalypse de Zostrien, l'Allogène, la Révélation de Dosithée
sur les trois stèles de Seth. Nous exprimons ici toute notre gratitude à
M. J. M. Robinson, Professeur à l'Université de Claremont (U.S. A.) qui
nous a communiqué ces documents.
Comme les années précédentes, nous nous sommes attaché avant tout à
Pierre HADOT 281
l'âme son union avec le corps, ils critiquent le Démiurge, ils identifient
l'âme et le Démiurge, ils attribuent à l'âme universelle les mêmes passions
qu'aux âmes individuelles.
Ce chapitre sixième vaut surtout par la conception de la discussion
philosophique que développe Plotin : si les Gnostiques voulaient
contredire Platon, ils auraient dû établir leurs opinions d'une manière rationnelle,
mais aussi avec douceur et philosophie, avec justice aussi à l'égard de ceux
auxquels ils s'opposaient, les yeux dirigés vers la seule vérité, sans
chercher à se faire valoir en critiquant la tradition.
Diplômes de l'E.P.H.E. :
J.-M. Flamant, «Le problème des indifférents dans le stoïcisme».
A. Segonds, «Édition, traduction et commentaire de Zacharie de Myti-
lène, Ammonius».
A. Thibaud, «Conditions de production et de reproduction du
spiritualisme».
I. Année 1971-1972
est.
En un premier temps et d'accord avec les interprétations de Marius
Victorinus, l'Ambrosiaster, Pelage et Jérôme, Augustin estime qu'il faut
entendre de la loi mosaïque la loi dont il est question en Gai. 2, 21 D. C'est
la position qu'il tient en Exposîtio Epistulae ad Galatas 17 etEpistula
82, 9. Tous les commentateurs susdits sont d'accord : la loi mosaïque est
impuissante ; la justification est obtenue par le Christ.
Une nouvelle orientation se fait jour dans le De spiritu et littera, c'est-
à-dire à partir du moment où Augustin connaît les positions neuves des
pélagiens sur la grâce qui consisterait dans le don de la nature et la
connaissance de la loi. Augustin prend appui sur Gai 2, 21 pour affirmer que c'est
grâce à l'effusion du sang du Christ que le don de la iustitia nous est
fait par l' Esprit-Saint. Nature et loi, nous les avons en commun avec
impies et infidèles ; la gratia Dei, c'est celle par laquelle nous sommes
292 GRECE HELLENISTIQUE
M. Année 1972-1973
«Portez les fardeaux les uns des autres. Exégèse aueustinienne de Gai.
6, 2», dans Didaskalia, Revista da faculdada de Theologia de Lisboa, vol. I,
fasc. 2, 1971, p. 201-219.