LUXURIEUX
italien qui a rédigé, en trente-deux articles, le code de
la luxure. On prononce son nom tout bas ; on dit : « Vous
savez, le Traité de l’Arétin. » Et on s’imagine que ce
fameux traité traîne sur les cheminées des maisons de
débauche, qu’il est consulté par les vicieux comme le
code Napoléon par les magistrats et qu’il révèle de ces
choses abominables qui font juger à huis clos certains
procès de mœurs.
Détrompons quelques-uns de ces naïfs. Pierre
l’Arétin fut tout simplement un journaliste, un journa-
liste italien du XVIe siècle, un grand homme, un admi-
rable sceptique, un prodigieux contempteur de rois, le
plus surprenant des aventuriers, qui sut jouer, en
maître artiste, de toutes les faiblesses, de tous les
vices, de tous les ridicules de l’humanité, un parvenu
de génie doué de toutes les qualités natives qui
permettent à un être de faire son chemin par tous les
moyens, d’obtenir tous les succès, et d’être redouté,
loué et respecté à l’égal d’un Dieu, malgré les audaces L’ARÉTIN
les plus éhontées.
Ce compatriote de Machiavel et des Borgia semble
être le type vivant de Panurge qui réunit en lui toutes
les bassesses et toutes les ruses, mais qui possède à
un tel point l’art d’utiliser ces défauts répugnants qu’il Introduction et notes
impose le respect et commande l’admiration. de Guillaume Apollinaire
Postface de Guy de Maupassant
Guy de Maupassant
ISBN 2-914227-64-7 e
12 E -:HSMJLE=WW\[YX: EDITINTER
En couverture : Klimt, étude de nu, crayon, Zurich,
Graphische sammlung der ETH. Cliché RW.
Éditions Editinter
BP 15 - 91450 Soisy-sur-Seine
Catalogue complet sur simple demande
www.editinter.net
editinter@litterature.net
LES SONNETS LUXURIEUX
L’ARÉTIN
LES SONNETS
LUXURIEUX
EDITINTER
© Editinter, 2002
ISBN 2-914227-64-7
INTRODUCTION
[dire,
Plutôt que de vouloir devenir, ô petit misérable,
De Maître, poète.
Châtiments.
Pour ma part, je suis d’avis que l’on devrait resti-
fût imprimé.
Pornodidascalus.
Barth composa sa fameuse traduction latine intitulée
balance du style.
Guillaume Apollinaire
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LES SONNETS LUXURIEUX
SONNET I
29
NOTE
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SONNET II
31
NOTE
32
SONNET III
33
SONNET IV
35
NOTE
36
SONNET V
37
SONNET VI
39
NOTE
A la grosseur du sentiment
Ne va pas mesurer ma force,
Je ne prétends aucunement
A la grosseur du sentiment.
Toi, serre le mien bontément,
Entre ton arbre et ton écorce.
A la grosseur du sentiment
Ne va pas mesurer ma force.
40
SONNET VII
41
NOTE
44
Et pour conclusion :
L’âme au feu, il apporta de la renommée en bas.
Si tu ne veux tomber mort, étudie le pas.
(Turin, 1888).
45
SONNET VIII
47
SONNET IX
49
NOTE
50
SONNET X
51
SONNET XI
53
NOTE
54
SONNET XII
55
NOTE
Et moi je m’acoquine
A discourir de toi, vilain poltron,
Infamie et honte de la maison Rangone.
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SONNET XIII
Enfin, achèverez-vous ?
– Maintenant, maintenant je le fais, mon Seigneur ;
Maintenant j’ai fait – Et moi aussi, oh ! Dieu !
61
NOTE
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SONNET XIV
63
NOTE
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SONNET XV
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SONNET XVI
Ma Madonna, allons,
Faites, de grâce ! – Et maintenant, puisque tu le veux
[ainsi,
Je le fais, et toi, feras-tu ? – Oui, Signora.
67
NOTE
68
L’ARÉTIN
70
Mais comme il savait louer aussi bien qu’insulter,
il flatta Léon X, ainsi qu’il fallait pour lui plaire, puis
se présenta devant lui avec un bel habit qu’il avait
escroqué, en reçut une poignée de ducats, et conquit
de la même façon Julien de Médicis.
Dès lors, sa fortune devint surprenante.
Les princes l’appelaient à eux, le flattaient, le cou-
vraient de présents autant par désir de ses éloges que
par terreur de ses attaques.
Les évêques à leur tour le recherchèrent, lui
envoyant des bijoux, des habits de satin pour le
parer, et de l’or pour ses plaisirs.
Les mœurs de cette époque troublée et magni-
fique étaient telles qu’on peut à peine se les figurer
aujourd’hui. Ainsi Pierre l’Arétin, ayant fait seize
sonnets pour décrire seize attitudes voluptueuses
gravées par Marc Antoine Raimondi, d’après seize
peintures de Jules Romain, il obtint par cette œuvre
licencieuse les bonnes grâces de Clément VII et le
pardon des deux artistes qu’il avait ainsi commentés.
Chassé par les uns, recueilli par les autres, il va de
prince en prince, flatteur, mendiant et insolent.
Tantôt il brave et outrage, tantôt il caresse et loue, car
on le paye également pour les deux. Il se livre à tous
les excès dans le camp de Jean des Bandes Noires
dont il partage même la couche ; il devient une sorte
de favori de François Ier qui le traite avec toutes
espèces d’égards ; Charles Quint l’appelle, le place à
sa droite, lui paie une pension ; Henry VIII lui donne
trois cents couronnes d’or, Jules III, mille couronnes
avec la bulle de chevalier de Saint-Pierre. On frappe
des médailles en son honneur ; une d’elles portait
comme inscription : « Les princes qui reçoivent les
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faire son portrait. Il écrit : « Tant de seigneurs me
rompent continuellement la tête avec leurs visites,
que mes escaliers sont usés par le frottement répété
de leurs pieds, comme le pavé du Capitole par les
roues des chars de triomphe… Il me semble à cause
de cela être devenu l’oracle de la vérité, puisque cha-
cun vient me raconter le tort qu’il a éprouvé de tel
prince, de tel prélat ; je me trouve donc être le secré-
taire du Monde ; et vous n’aurez qu’à me dénommer
ainsi sur les lettres que vous m’adresserez. »
Sa langue est non moins terrible que sa plume
redoutable ; et si les présents qu’on lui envoie ne lui
paraissent point suffisants il a des remerciements
féroces. Il répond au chancelier de France qui lui
comptait une somme d’or : « Ne vous étonnez pas si
je me tais. J’ai consumé ma voix pour demander ; il
ne m’en reste plus pour remercier. »
Charles Quint, après une défaite, lui ayant envoyé
un riche collier, afin d’éviter ses railleries, l’Arétin
déclara en le soupesant lentement : « Il est bien léger
pour une aussi lourde sottise. »
François Ier lui avait offert un bracelet formé de
langues entrelacées et portant pour devise : « Lingua
ejus loquetur mendacium. »
Quand on ne lui donne pas assez vite il menace ;
si les cadeaux sont insuffisants il les refuse : « Il est
certain qu’il convient à ceux qui achètent la gloire de
la payer ce qu’elle vaut, non pas selon leur propre
valeur, mais selon la condition de celui qui la leur
décerne ; car les pauvres plumes ont grand mal à sou-
lever de terre un nom pesant comme du plomb par
son défaut de mérite. »
Il écrit à François Ier : « Ne savez-vous donc pas,
sire, qu’il ne convient pas au rang de Votre Altesse de
ne pas vous souvenir de six cents écus que, du propre
mouvement de votre langue royale, vous dîtes à mon
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envoyé devoir m’être payés par votre ambassadeur. »
Sa grande force a été surtout d’exciter entre les
princes d’ardentes rivalités et de haineuses jalousies
en les louant et dénigrant tour à tour, au détriment
les uns des autres : « Il faut faire en sorte que les voix
de mes écrits rompent le sommeil de l’avarice. »
Les grands artistes de son temps apprécièrent
d’ailleurs son prodigieux esprit et son incomparable
adresse. Arioste le place parmi les grands hommes
de l’Italie ; Titien fit plusieurs fois son portrait ;
Michel-Ange se proclamait son ami.
Du reste, si sa profession d’écrivain donna un
immense retentissement à ses audaces et à ses écrits,
sa vie ne fait pas une exception dans un pays et dans
un temps où Benvenuto Cellini assassinait ses enne-
mis et ceux mêmes qui contestaient son génie, frau-
dait le pape sur l’or qu’il employait pour lui, volait
sans vergogne, violait des jeunes filles et se vantait
de ces actions comme de hauts faits, car : « Les
hommes comme moi, uniques dans leur profession,
doivent être affranchis des lois. »
C’était le siècle où les prélats romains élevaient
publiquement leurs enfants auprès d’eux, où les
innombrables courtisans des princes servaient,
disait-on, « de bouffons dans leur bas âge, de femmes
dans leur enfance, de maris dans leur adolescence,
de compagnons dans leur jeunesse, de proxénètes
dans leur vieillesse et de diables dans leur décrépi-
tude ». Le poignard et le poison étaient en usage dans
les relations sociales comme les coups de chapeau et
les poignées de main à notre époque. La mort de
Pierre Arétin est vraiment surprenante et bien digne
de sa vie.
Il était arrivé à un tel éclat de renommée que son
portrait se trouvait accroché dans toutes les maisons
des pauvres et des princes, des prélats et des courti-
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sanes, dans les tavernes, dans les palais et dans les
lieux de débauche publique. Ferdinand d’Adda, rec-
teur de l’université de Padoue, le mettait au-dessus
de Charles Quint et de François Ier. La ville d’Arezzo
le fit noble et gonfalonier honoraire. On le sur-
nomma même le Cinquième Évangéliste.
Car il avait composé non seulement des livres
d’une extrême impudicité, des lettres, des satires, des
comédies, des libelles, mais aussi des sermons, des
ouvrages pieux, des vies des saints pleins d’une iro-
nie profonde et cachée.
S’étant retiré à Venise où la liberté était absolue,
il y retrouva ses sœurs qui menaient en cette ville une
vie de plaisir.
Or, un jour, comme elles étaient venues lui racon-
ter une aventure obscène dont elles se vantaient, il se
mit à rire si violemment qu’il tomba de sa chaise à la
renverse et se tua sur le carreau…
8 décembre 1885
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