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Questions :

1. Repérez les incertitudes, les acteurs, les enjeux, leurs ressources et


leurs stratégies
2. Etablir un sociogramme des relations de pouvoir
1. Présentation de l’activité et de l’organisation de l’entreprise

Il s’agit d’une agence commerciale (150 agents) d’une grande entreprise


publique située dans un quartier d’affaires de la Région Parisienne. La
concentration des sièges de grandes entreprises représente un marché à
fort potentiel autant qu’un véritable test des capacités commerciales de
l’entreprise à traiter avec des clients prestigieux et exigeants.
Ce phénomène est renforcé car cette entreprise publique manifeste depuis
quelques années une volonté de développer fortement sa présence
commerciale sur un marché devenant à terme concurrentiel. Dans ce
contexte, l’agence dégage d’ores et déjà les meilleures performances du
réseau (en chiffre d’affaire) et fait figure de site pilote de l’entreprise.

Les activités de base (vente et gestion) sont organisées autour d’un


découpage fonctionnel, traduisant le processus chronologique de
production :

client  vente  gestion  contentieux

Chaque service dispose de sa propre hiérarchie (un chef de service et


parfois un adjoint).

Il en résulte une forte dépendance entre les services :


« On est tellement intriqués entre les services qu’il faut qu’on se consulte
souvent ».

Le découpage au sein des services correspond à une logique de


produit/marché (Grand Public, Professionnels ou Entreprises).
Pour le marché des entreprises, l’enjeu commercial est très important car
le client est exigeant, demande un service de qualité, sur mesure et dans
les plus brefs délais. Cette pression suppose en interne de pouvoir
compter sur des commerciaux à la pointe de la connaissance des nouveaux
produits et qui s’engagent dans un comportement offensif de vendeur.
Pour la vente et la gestion Grand Public et Professionnel, les demandes et
les produits/services sont plus standardisés et le travail plus répétitif.

En terme de contrôle de travail, on constate que les services relevant du


marché Entreprises bénéficient et revendiquent une autonomie importante
dans leur travail, tandis que les autres services sont soumis à un contrôle
hiérarchique plus important.

Ainsi, on peut distinguer deux formes d’organisation au sein de l’agence :


 D’une part des services de gestion organisés sur un mode
relationnel (division du travail, présence de nombreuses procédures
de traitement des dossiers, contrôle hiérarchique),

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 De l’autre les services de vente et plus particulièrement la vente
Entreprises organisés sur un mode plus flexible (peu de procédures,
importance du savoir-faire, polyvalence, autonomie).

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2. Des problèmes de fonctionnement récurrents

On constate un cloisonnement important entre les services commerciaux


et services de gestion, voire des tensions fortes ressenties par l’ensemble
des agents :
« Il y a un véritable mur physique entre la gestion et nous ».
« On a l’impression que l’agence est coupée en deux. C’est un autre
monde ».

Un problème en terme de gestion de la charge de travail provoque des


retards importants dans certains services de gestion et le contentieux.
« Mes contraintes, c’est le retard qui s’accumule. Chez nous on perd 1
million de francs par mois car il y a des factures qui datent de plus de 10
mois qu’on a pas eu le temps d’envoyer ».

Un sous effectif généralisé et une charge de travail croissante :


« Compte tenu du manque d’effectif dans l’agence, on est vite au pied du
mur ».
« Il y a tellement d’appels… On ne peut pas être réellement relâché quand
on parle au client. On n’a pas le temps de faire du commercial ».

Un turn-over important (30%) :


« On forme des gens sans arrêt, or il faut de l’expérience pour gérer les
nouveaux produits. Il faut au moins deux ans et demi pour être
parfaitement opérationnel, c’est un véritable tonneau des danaïdes »
« Les gens changent tout le temps, ce qui fait qu’on ne se connaît plus,
qu’on ne va plus se voir et ce n’est pas étonnant que les services ne se
parlent presque plus entre eux »

L’agence obéit à une logique managériale de type pyramidal :


« Tout fonctionne de manière hiérarchique, c’est le problème de la
cascade »

Les agents ressentent un décalage entre la réalité au travail qui nécessite


des décisions rapides et informelles et le mode de prise de décision lent et
loin du terrain :
« Il y a un déphasage entre les contraintes du service et celles du chef ».
« L’encadrant ouvre trop souvent le parapluie lorsqu’il s’agit de trancher ».
« Les encadrants ne sont pas assez proches. On a personne sur qui
s’appuyer. Il faut toujours régler les problèmes seul ».

Un expression nouvelle de la direction régionale se concentre sur la


réalisation d’objectifs ambitieux, en particulier au niveau de services et de
la Direction de l’agence.
« Nous sommes dans un système où on est énormément jugé sur les
objectifs ».

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3. Le temps des « jeux de motivation » et ses effets dysfonctionnels

Le cloisonnement et les tensions entre les services commerciaux et


gestionnaires sont renforcés par l’instauration de « jeux de motivation ».
Cette initiative de la direction régionale a pour fonction de motiver le
personnel des agences dans leurs démarches commerciales de vente et de
gestion. L’agence attribue à l’agent, suivant le nombre de points obtenus
pendant la période de jeux (se déroulant sur deux mois) des avantages en
nature (bons d’achats) pouvant aller jusqu’à 20 000 Francs. L’égalité dans
les conditions d’accès aux points n’est pas respectée dès le départ puisque
les commerciaux obtiennent beaucoup plus de points pour un contrat
vendu que les services de gestion pour un contrat enregistré.
« La période des « jeux » fait entrer l’agence en temps de guerre ».

L’instauration des jeux modifie les comportements commerciaux…


« Les commerciaux vont pousser de n’importe quelle manière pour que les
contrats se fassent dans les délais ; parfois, juste avant que la période des
« jeux » ne commence, les commerciaux retardent les signatures de
quinze jours pour que ces contrats tombent dans les « jeux » et soient
comptabilisés ». (gestion)
« Nous, on se décarcasse pour vendre, on n’admet pas qu’il y ait du retard
pris à cause des gestionnaires qui mettent parfois 4 jours à enregistrer un
contrat ». (vente)

…et des gestionnaires :


« Les relations sont plutôt froides, nous sommes très administratifs vis à
vis d’eux (les commerciaux). Avant, lorsqu’il y avait un contrat mal rempli,
on se débrouillait pour avoir l’info ; maintenant, ce n’est plus le cas… tout
ça à cause des jeux ». (gestion)
« Aujourd’hui, c’est presque la grève du zèle alors qu’avant, ils passaient
sur la réglementation ». (vente)
« Avec les jeux de motivation, les relations s’enveniment car les autres
services n’ont rien. La gestion est la grande oubliée. C’est délicat, il y a de
mauvaises relations qui s’instaurent. Ils ne font plus leur travail, on se
sent mal ». (encadrant)

Et les cadres sont sollicités pour faciliter la production :


« Je vais des fois voir moi-même les gens du service Gestion pour régler
les problèmes, mais comme ça ne marche pas, j’en réfère à mon
supérieur ».
« Le grade joue ; quand il y a un retard, un problème, le cadre supérieur
vient et on fait ce qu’il demande ».

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4. La perception par les différentes populations de leur situation de travail

Les cadres se situent dans une logique de l’urgence

Ils ont pour fonction la gestion administrative des services dans un


contexte de pression par les objectifs à réaliser et par les clients. Les
objectifs fixés par la Direction régionale constituent le mode d’évaluation
principal des encadrants. De ce fait, tout est mis en œuvre pour les
atteindre.
Ils vivent leur fonction comme celle du « pompier », chargé de parer aux
problèmes techniques (dossiers complexes, clients insatisfaits, ratios en
dérive…) et relationnels (tensions entre les services) les plus urgents.
« Entre les problèmes de turn-over, de clients difficiles, de gestion des
congés et de la formation, j’essaie de trouver du temps pour réorganiser
les postes de travail mais il faut aussi atteindre les objectifs ».
« Ça fait longtemps que je veux mettre en place une division du travail
plus participative dans mon service mais j’ai tellement de travail ailleurs…
j’ai l’impression de parer au plus pressé… je vais essayer de la faire
l’année prochaine ».

Les services commerciaux et notamment ceux du marché


Entreprises ont le vent en poupe.
Ils apparaissent comme la nouvelle population de l’entreprise et donc
fortement valorisés.
« L’entreprise remonte beaucoup les commerciaux car ils sont la vitrine de
l’entreprise. Ils ont tout : le recrutement, le matériel, les primes, et nous,
on n’a rien, des miettes ». (gestion)

Souvent récemment recrutés par l’entreprise, issus d’écoles de commerce


prestigieuses, les commerciaux développent un discours qui valorise
l’initiative individuelle et le mérite, symptomatique d’une mentalité de
« gagneur ».
« Je dispose d’une autonomie totale et j’y tiens. J’ai choisi ce métier pour
les responsabilités qu’il confère. Je veux devenir un pro de la vente, c’est
très enrichissant de rencontrer des clients importants et de tout bord.
C’est important d’avoir une relation commerciale avec eux car ça permet
de progresser et de se jauger ».

Les services de gestion tentent de résister au primat du client


défendu par les commerciaux, au profit d’une bonne gestion des
dossiers.
Ils perçoivent leur fonction comme celle de l’application stricte des règles
comptables dans le traitement des dossiers quelque soit le montant, le
degré de priorité du dossier ou le prestige du client. Ils s’insurgent contre
une conception purement commerciale de la vente qui conduirait à des
arguments de vente peu sérieux pour conclure la vente.

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« Les responsables entreprise pousse les commerciaux à nous donner les
problèmes à traiter. Je suis contre ; ça peut craquer s’ils vendent trop et
que la production ne peut pas suivre »

« Je ne suis pas commercial dans l’âme et je n’aime pas qu’on vende pour
vendre. Il faudrait que l’agence devienne un vendeur de savonnettes ».
« De toute manière, chacun apporte sa contribution, il faut que les
commerciaux fassent attention à nous et arrêtent de nous tenir pour
quantité négligeable car si on ne fait pas le travail de gestion, ils se feront
taper sur les doigts par le client ».

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5. Les discours sur l’entreprise et son avenir

Un grand nombre d’agents abordent spontanément, lors des entretiens, le


thème de l’évolution de l’entreprise. On remarque dans leur discours les
régularités suivantes :

Pour des agents les plus anciens et les moins qualifiés, souvent du service
Gestion Entreprises, il existe une forte interrogation sur l’avenir de
l’entreprise. Les orientations qu’elle prend leur semblent peu claires, peu
cohérentes ; ils se fient à des rumeurs sur un éventuel changement de
statut du personnel et se disent volontiers inquiets de la situation. Un
même questionnement concerne l’évolution des métiers :
on avoue « ne pas savoir vraiment où on va », tout en remarquant « qu’on
a aucune information claire là-dessus, de la Direction ne de personne ».
Enfin, ces agents opposent nettement la notion de service public à celle du
« tout commercial ». la réputation de l’entreprise, à laquelle ils se disent
très attachés, tient pour eux à la fourniture de services techniquement
innovants et fiables, mais toujours dans le sens de l’intérêt public.
« L’égalité pour tous les citoyens, c’est important. La sécurité de l’emploi
aussi : j’ai peur que tout ça soit remis en cause au nom de la rentabilité ».
« L’évolution va vers celle d’une société privée. Nous allons perdre au
niveau de l’image de marque car le service public c’est important pour les
gens ».

d’autres agents, plus jeunes et plus qualifiés, souvent commerciaux,


s’illustrent par un très faible discours sur l’entreprise. Ils parlent
volontiers de leur intérêt pour le travail qu’ils font et de la nécessité pour
tout professionnel et toute entreprise d’être performant. Ils perçoivent
dans la situation de l’agence l’opportunité de participer à une « aventure
économique, d’être dans une position d’exception au sein de l’entreprise et
de devenir un exemple. La réussite commerciale occupe une grande place
dans leur discours.
« Notre but est de soutenir la naissance commerciale et d’apporter une
nouvelle culture, une nouvelle façon de voir ».
« Lorsqu’on est face à un responsable d’une grande entreprise, on n’a pas
envie d’être ridicule, il faut s’élever à son niveau et pouvoir lui vendre nos
produits ».

enfin, un nombre non négligeable (mais toutefois minoritaire) d’agents,


d’ancienneté moyenne ou forte, de tout service, ainsi que des cadres se
distinguent par des opinions intermédiaires par rapport aux discours
précédents. Ils témoignent d’une certaine inquiétude concernant l’avenir
de l’entreprise, l’évolution de ses métiers et de son statut, mais
souscrivent par ailleurs à l’idée que le développement commercial et
économique est la condition de sa pérennité.

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« C’est dommage de valoriser autant les commerciaux car derrière, les
autres font tourner la boîte ».
« Le couple service public/commercial, c’est bien, ça n’oblige pas à vendre
pour vendre comme dans le privé. Je conseille, je vends, et en plus je
pratique les mêmes tarifs pour tout le monde ».

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1ère incertitude :
MODE DE COORDINATION SUR LE TRAITEMENT DES DOSSIERS

H2

Arbitrage in fine sur des problèmes


critiques

H1 H1

Demande de Demande de
résolution des résolution des
problèmes problèmes
complexes complexes

C
PRESSION L
GEST COM I
E
M N
BLOCAGE
T
S

Négociation au cas par cas

Opposition

Négociation

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2ème incertitude :
AVENIR ET VALORISATION DES MÉTIERS

H2

Double légitimation tacite


« Marché/Service Public »

H1 H1

Valorisation et Valorisation et
reconnaissance reconnaissance
du métier du métier

C
Pression
L
symbolique
GEST COM I
E
M N
Compétence
T
et efficacité
S

Opposition

Négociation

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Les règles du jeu de l’agence commerciale

1er problème : coordination sur le traitement des dossiers

 Régulation par la surcharge et le stress de la hiérarchie


 Régulation par l’opposition et la non optimisation du processus
(délais)

2ème problème : incertitude sur l’avenir des métiers

 Régulation par le statu-quo sur les options d’avenir


 Régulation par l’antagonisme culturel et la performance fonctionnelle

Modèle de régulation des rapports de travail :

ATTÉNUATION DES TENSIONS SOCIOPROFESSIONNELLES


&
REPLI SUR DES DYNAMIQUES FONCTIONNELLES

Avantages :
 Evitement des tensions affectives
 Non remise en cause du cadre institutionnel (avenir de l’entreprise)

Inconvénients :
 Des cadres « régulateurs » surchargés
 Non optimisation de la production

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