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Revue belge de philologie et

d'histoire

Bloch. (Marc). Esquisse d'une histoire monétaire de l'Europe.


Hans Van Werveke

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Van Werveke Hans. Bloch. (Marc). Esquisse d'une histoire monétaire de l'Europe.. In: Revue belge de philologie et d'histoire,
tome 33, fasc. 3, 1955. pp. 716-722;

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716 COMPTES RENDUS

Bloch. (Marc). Esquisse d'une histoire monétaire de l'Europe. Paris,


Armand Colin, 1954 ; un vol. in-8° de 96 p., 1 fac-similé (Cahiers des
Annales, n° 9).
Parmi les manuscrits inédits qu'a laissés le regretté Marc Bloch, il
s'est trouvé un ensemble de notes de cours relatives à l'histoire monétaire.
Telles quelles, elles ne pouvaient être livrées à l'impression (x). Les
rédacteurs des Annales leur ont fait une toilette discrète, comme on
peut s'en rendre compte en comparant le fac-similé d'une page du
manuscrit, publié en tête du livre, avec le texte imprimé correspondant.
Mr. L. Febvre dans sa note de préface, et Mr. F. Braudel dans sa «
postface », se demandent s'ils ont bien fait de les publier. La réponse, à
mon avis, ne peut être qu'affirmative, malgré les réserves que l'on sera
amené à faire. La pensée, sans doute, n'y a pas toujours trouvé sa forme
définitive, mais Marc Bloch nous y apparaît tel que nous l'avons connu :
allant droit aux problèmes essentiels, puisant, pour résoudre les uns,
dans la documentation si riche et si variée qu'il avait su réunir, indiquant,
pour les autres, d'un geste sûr, aux chercheurs qu'il conviait à la tâche,
es voies menant à des solutions possibles, qu'il ne faisait lui-même
qu'entrevoir. Ce petit livre mérite de devenir un vade-mecum pour
nombre d'historiens, en premier lieu, sans doute, pour ceux qui s'adonnent
à l'histoire monétaire, mais aussi pour les fervents des disciplines
apparentées, telle l'histoire des prix.
Mais du fait que ces notes n'étaient pas définitives, aux yeux de
l'auteur lui-même d'ailleurs, la prudence s'impose. S'il avait songé à les
éditer, il aurait, je crois, contrôlé au préalable telle donnée, et confronté
telle vue personnelle avec des opinions divergentes. Qu'on veuille bien
ne considérer les remarques qui suivent que comme une modeste
contribution à la tâche qu'il n'a plus été donné à Marc Bloch de mener à
bonne fin. Peut-être, grâce à elles, certaines erreurs de fait, qui
déparent le livre, pourront-elles être utilement éliminées lors d'une nouvelle
édition.
L'ouvrage commence par des « préliminaires » qui rappellent les
notions de base relatives à la confection de la monnaie métallique. Elles
sont concrètes et vont droit au but. On est seulement surpris d'y noter
un passage, qui ne peut être que le résultat d'un lapsus, mais qu'il est
nécessaire de rectifier pour le bénéfice du lecteur non averti (p. 8) : « pour
calculer le poids de la monnaie, on exprimait non le poids total, mais le

(1) Une partie importante du texte (pp. 53-77), qui avait fourni la matière des
leçons professées par Marc Bloch à l'Institut des Hautes Études de Belgique, à
Bruxelles, en 1939, a été publiée antérieurement dans Annales, 1953, 8e année,
n° 2, pp. 145-158, et n° 4, pp. 433-456, sous le titre : Mutations monétaires dans
l'ancienne France.
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poids en fin. Cela par le système de la taille ». Et plus loin : « Le marc


de Troyes, employé à Paris, pesait un peu plus de 244 g. Dire qu'on
« taille » une pièce d'or à 50 du marc veut donc dire que chacune d'elles
aura un poids de fin = 244/50 ou un peu plus de 4.88 g. Si l'alliage est,
comme je le supposais tout à l'heure, aux 18 carats, la pièce réelle pèse
1/4 de plus, c'est-à-dire environ 6.50 g. » En réalité la taille se calculait,
non sur le marc de fin, mais sur le marc d'alliage (si alliage il y avait),
du moins dans la grande majorité des cas. On peut consulter à ce sujet
un de ces « gros livres », dont parle Mr. Febvre, tel l'excellent Manuel de
Numismatique de A. Blanchet et A. Dieudonné, t. II, pp. 44-45. Dans
l'exemple cité plus haut, le poids total de la pièce réelle serait, non de
6.50 g., mais de 4.88 g., et le poids de fin de 4.88 g. χ 18/24 = 3.66 g.
L'exposé proprement dit est divisé en trois tranches. La première va
de l'empire romain à la reprise de la frappe de l'or et à la frappe des
grosses pièces d'argent au xme siècle. Le texte est bourré de données
concrètes judicieusement choisies et entourées d'un commentaire
pénétrant. On lira avec le plus grand profit les pages (18 à 20) relatives au
denier à l'époque mérovingienne, ou encore les pages (29-33) où sont
décrites les fonctions de la monnaie métallique.
La deuxième tranche nous mène jusqu'aux approches de ce que
l'auteur appelle — sans donner de précisions chronologiques — Γ « âge »
ou Γ « ère » capitaliste. L'exposé comporte essentiellement deux sujets :
les transformations monétaires du xine siècle, et les mutations. Les
pages consacrées au premier point sont en général excellentes. Deux
observations cependant. La première à propos d'une erreur de fait,
sans grande importance pour la marche de l'exposé : les gros de Flandre
ne firent pas leur apparition « vers 1275 » (p. 36), mais en 1302 au plus
tôt ; en effet les pièces que Marguerite de Constantinople fit frapper en
1276, et auxquelles l'auteur fait allusion, n'étaient pas des gros, mais des
doubles esterlins.
La seconde remarque a trait au passage suivant : « Dans aucun pays,
en raison de la pénurie de monnaie, les monnaies étrangères ne
circulaient » (p. 39). Est-ce vraiment cela que Marc Bloch a voulu dire ? On
a de la peine à le croire, car cela va à rencontre de faits que l'on peut
constater un peu partout.

C'est au paragraphe des mutations que Marc Bloch développe ses vues
sur l'un des problèmes les plus difficiles de l'histoire monétaire, celui des
rapports de la monnaie de compte avec la monnaie réelle. Comme la
question est d'importance, je me vois forcé de donner à cette partie du
présent compte rendu un développement considérable.
On voudra bien se rappeler que j'ai publié ici-même, il y a une vingtaine
d'années, une étude sur le sujet (x), à laquelle Marc Bloch lui-même

(1) Monnaie de compte et monnaie réelle (R.B.P.H., XIII, 1934, pp. 123-152).
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consacra une discussion assez ample (x). Mon article tendait à montrer
qu'il n'y a jamais eu décrochement complet des deux monnaies. Marc
Bloch (p. 325) refusait de me suivre sur ce point. Il développait sa propre
pensée dans les termes suivants (p. 324) : « Qui calcule en livres ou en
sous se représente désormais [= depuis que le denier est réduit au rôle
de billon] sous ces noms une certaine quantité, non plus de deniers, mais
de grosses pièces d'argent, voire de pièces d'or : autres monnaies concrètes
et les plus vivantes de toutes, mais qui avec la livre et le sou ne
soutenaient plus qu'un rapport changeant, fixé de temps à autre par l'autorité
publique, et quelquefois, en outre, modifié, dans l'intervalle, par le
commerce ». Le petit livre dont nous rendons compte nous donne, sous une
forme à peine différente, une vue analogue (p. 40) : «... la monnaie de
compte est complètement détachée de toute monnaie réelle. Il y a la livre
et le sou d'une part : ce sont de pures expressions nominales ; il y a
d'autre part, mais sans rapport avec les précédents, des pièces de monnaie
en circulation ». Comme on le voit par les membres de phrase que j'ai
soulignés dans les deux passages cités, la manière de voir de Marc Bloch
semble inconciliable avec la mienne.
Toutefois, maintenant que nous disposons d'un exposé plus étendu
de sa pensée, qui nous permet de voir sur quelles données concrètes elle
s'appuie, il est possible, je crois, de rapprocher dans une certaine mesure
les points de vue.
La documentation dont je faisais usage dans l'article cité était
empruntée aux Pays-Bas (2). Je crois avoir montré en particulier que,
quant à la Flandre, les choses se présentent de la façon suivante. A la fin
du xme siècle et au début du xive la monnaie de compte aussi bien que
la monnaie réelle était calquée sur le modèle français. Aussi les troubles
monétaires qui se produisirent en France sous Philippe le Bel eurent-ils
une profonde répercussion en Flandre. Comme en France, le gros atteignit
momentanément un cours environ trois fois aussi élevé qu'au point de
départ. Cette hausse était causée en ordre principal par un
affaiblissement matériel de la monnaie noire. Toutefois, en Flandre comme en
France, on revint, à partir de 1305, à la monnaie forte. Au cours des
années suivantes le cours du gros oscilla encore quelque peu, pour se
stabiliser définitivement à partir de 1317 environ au niveau de 1 gros
pour 12 deniers parisis. C'est qu'à ce moment il s'était produit en
Flandre une révolution au point de vue monétaire, que les sources ne
mentionnent pas directement, mais dont les conséquences sont parfaitement
visibles.

(1) La monnaie de compte (Ann. d'hist. écon. et soc, VII, 1935, pp. 323-325).
(2) J'ai précisé ma pensée sur certains points dans un article récent : Munt en
politiek. De Frans-Vlaamse verhoudingen vóór en na 1300 (Bijdragen voor de
Geschiedenis der Nederlanden, VIII, 1953, pp. 1-19).
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Antérieurement à cette date, la monnaie de compte, en Flandre comme


en France, était « accrochée » au denier, à la monnaie noire. Le cours
du gros était influencé par les altérations matérielles de la monnaie
noire, ainsi que par des spéculations sur le gros par rapport à cette même
monnaie noire. A partir de 1317 environ on se trouve devant une
situation très différente. Dorénavant la monnaie noire n'était plus en Flandre
qu'une monnaie d'appoint. Aussi la monnaie de compte n'était-elle plus
accrochée au denier noir, mais au gros. On fit usage, de plus en plus,
de la livre de gros, dont la valeur était désormais invariablement égale
à 12 fois celle de la livre parisis. Cette dernière, en d'autres termes, n'était
plus qu'un sous-multiple de la livre de gros. Si l'on continua à faire un
large usage de la dénomination de livre parisis, c'est que la plupart des
contrats anciens étaient libellés en cette monnaie. Je crois avoir
également montré qu'en Flandre, et par la suite dans l'ensemble des Pays-Bas,
le gros réel a eu invariablement un cours commercial aussi bien qu'un
cours officiel de 1 gros unité de compte. A une exception près toutefois.
Le 25 novembre 1525 Charles-Quint éleva le cours du gros réel à 1 1/12,
puis le 1 janvier 1527 à 1 1/8 gros de compte, pour le ramener à l'unité
le 1er mars 1527. Le but de ces mesures était d'enrayer la spéculation
sur le gros réel, sous-évalué dans la tarification des monnaies alors en
vigueur. Avant cette première date, « le patard et le demi-patard [noms
du double gros et du gros réels] étaient toujours considérés par le public
comme l'équivalent de 2 ou de 1 gros de compte ; seuls les spéculateurs
les vendaient à l'étranger avantageusement », comme je l'écrivais déjà
dans mon article de 1934 (p. 149). Ce n'est qu'à la suite de cette mesure
gouvernementale que le commerce, lui aussi, accepta le gros à ces taux
plus élevés, ce qui mit fin à la sortie de ces pièces d'argent.
Voyons maintenant ce qui se passa en France à partir de Philippe le
Bel. Ici, loin d'adopter de préférence la livre de gros, comme en
Flandre, on continua à se servir en ordre principal, comme monnaie de compte,
de l'une des deux monnaies qui empruntaient leur nom (et primitivement
leur valeur) à la monnaie noire, livre parisis ou livre tournois, la dernière
l'emportant de plus en plus sur la première. Pour ce qui est de la
monnaie réelle, le « denier », à partir d'une certaine date, est « tombé, dit
Marc Bloch, (p. 45), au rang d'une sorte de monnaie de confiance, dont
la valeur nominale était toujours beaucoup plus considérable que ne
l'eût comporté, dans l'échelle générale des valeurs monétaires, la
quantité de métal précieux qu'elle contenait ». Antérieurement à cette date,
lorsque le denier était encore considéré, pour employer une expression
moderne, comme ayant un pouvoir libératoire illimité, il devait avoir, à
très peu de chose près, une valeur intrinsèque correspondant à celle de
la fraction du gros qu'il était censé représenter (x).

(1) II nous faut relever une erreur (Je calcul (Jont la rectification a son importance ;
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A quel moment doit-on situer cette transformation, dont on saisira,


si pas la ressemblance complète, du moins l'analogie avec celle qui se
produisit en Flandre vers 1317? Marc Bloch n'est pas très précis à ce
sujet ; on peut déduire toutefois de son exposé qu'elle a eu lieu après
l'échec de la réforme de Charles V et antérieurement à 1473 (pp. 45-46).
Mais si la monnaie de compte n'était plus accrochée à la monnaie
noire, au denier, l'était-elle désormais à la monnaie blanche, au gros,
comme en Flandre ? Marc Bloch le niait : « la monnaie de compte est
complètement détachée de la monnaie réelle ». Il estimait en effet,
comme je l'ai rappelé plus haut, que les grosses pièces d'argent et les
pièces d'or « ne soutenaient avec la livre et le sou qu'un rapport
changeant, fixé de temps à autre par l'autorité publique, et quelquefois, en
outre, modifié, dans l'intervalle, par le commerce ». Je lui emprunte
un exemple, fictif (p. 45) : le roi fixe le cours du gros, d'abord à 14 sous,
quelque temps après à 12 sous. Rapport changeant, oui. Mais la question
n'est pas là. Nous avons vu qu'aux Pays-Bas, de même, en 1525,
l'empereur a momentanément élevé le cours du gros à un taux supérieur à
un gros de compte. Ce qu'il s'agirait de déterminer, c'est si oui ou non
dans l'intervalle entre les deux ordonnances le gros dans la pratique
journalière s'est écarté du cours fixé par le roi, s'il a connu un cours
commercial différent du cours officiel. Si oui, il faut se rallier à la
manière de s'exprimer de Marc Bloch, et dire qu'il y a eu décrochement
complet des deux monnaies (de compte et réelle). Dans le cas contraire,
si l'on constate que l'une au moins des pièces dont le cours avait été fixé
par ordonnance ne s'écartait pas, par le jeu du commerce, de ce cours
officiel, qu'elle était tout au plus, comme c'était le cas aux Pays-Bas
vers 1527, l'objet d'une spéculation, au cours de laquelle elle était
cueillie par des spécialistes, sans que le public cessât de la compter pour
la valeur que les ordonnances lui assignaient, dans ce cas j'estime qu'il
faut affirmer qu'en France, comme aux Pays-Bas, la monnaie de compte
était toujours rattachée, à un degré de l'échelle au moins, à la monnaie
réelle. Pour pouvoir se prononcer dans l'un ou l'autre sens, il faudrait
disposer d'une série de recherches précises, qui, à ma connaissance,
n'ont pas encore été entreprises.

l'auteur s'exprime comme suit (p. 47) : « 12 pièces d'un denier tournois, sous saint
Louis, représentent, en teneur métallique, sinon exactement la quantité d'argent
du gros tournois qui a cours pour un sou, du moins près de 85 p. 100 de cette
valeur ». En réalité ils représentaient, non 85, mais près de 99 p. 100 de cette valeur.
En effet la teneur métallique du denier tournois sous saint Louis était de 0,348 g.,
celle de 12 de ces deniers, de 4.176 g., et celle du gros tournois, de 4.22 g. C'est
donc bien sur un rapport quasi exact des valeurs intrinsèques des deux pièces que
dans cette phrase on entendait baser leurs cours respectifs, et non pas sur un rapport
approximatif.
COMPTES RENDUS 721

L'exposé que Marc Bloch consacre aux mutations est par ailleurs
tout-à-fait remarquable. Il bénéficie spécialement du fait que Fauteur,
par souci de clarté, a réparti leurs causes et leurs conséquences en trois
groupes, d'après qu'elles sont communes aux deux types de mutations
(affaiblissements et renforcements) ou particulières à l'un de ces types.
De ci de là, de ces remarques pénétrantes dont il avait le secret (p. 71 :
« Quand un phénomène économique est ainsi escompté, il devient
souvent salutaire qu'il se produise enfin »), ou de ces aveux d'ignorance,
qui étaient chez lui d'éloquentes incitations à la recherche. Jamais
encore ces problèmes redoutables n'avaient fait l'objet d'une aussi
magistrale vue d'ensemble.
Quelques doutes malgré tout. « Prenons garde, cependant, lit-on p. 60,
que notre admiration pour ces ingénieuses manipulations ne nous amène
point à voir seulement dans les mutations un expédient fiscal pour
accroître les bénéfices sur les frappes. Elles ont été cela parfois. Souvent,
peut-être. Toujours, non. Une observation suffira pour le démontrer :
il y a eu beaucoup de mutations sans décri. » L'observation à mon avis
ne porte pas. Elle présuppose qu'une mutation expédient fiscal fût
nécessairement précédée d'un décri. Cela ne peut être exact. Louis de
Male (x) n'a guère procédé qu'à des mutations de cette espèce. Or
aucune de celles qu'il a entreprises n'a été, à ma connaissance, précédée
d'un décri.
Autre réserve. L'auteur cite parmi les causes et conséquences des
affaiblissements : l'augmentation des moyens de paiement en circulation.
Sans doute les affaiblissements ont-ils eu cette conséquence. Le désir
d'augmenter les moyens de paiement a-t-il été aussi une cause
d'affaiblissements? Peut-être. Mais est-on autorisé, en bonne critique
historique, à prendre à la lettre les motifs que les princes en donnent
publiquement, même lorsqu'ils ont l'air de s'adresser seulement à leurs
maîtres des monnaies? Marc Bloch fait état de la justification que Philippe
de Valois présente en 1340 (p. 64) : «... Les causes qui nous meuvent à
fere tele monnoie sont pour ce que nostre peuple, qui estoit et est à grand
soufreté et povreté de monnoie ..., puisse plus habundament, plantureu-
sement et plutost estre rempli de monnoye coursable ». Sans doute,
mais ce pouvait n'être que le prétexte. Le roi, en 1340, au moment des
premières campagnes de la Guerre de Cent Ans, avait d'autres motifs,
bien plus pressants, de muer ses monnaies.
On cherche en vain, parmi les causes de l'impopularité des renforce-

il) Voir : H. Van Werveke, Currency manipulation in the middle ages : the case
of Louis de Male, count of Flanders (Transactions of The Royal Historical
Society, 4th Series, vol. XXXI, 1949, pp. 115-127) et De muntslag in Vlaanderen
onder Lodeivijk van Male (Mededelingen van de Koninklijke Vlaamse
Academie voor Wetenschappen, klasse der letteren, XI, n° 5, 1949, 27 pp.).
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ments auprès du menu et moyen peuple des villes (p. 73) que l'auteur
aligne, le fait que la baisse des prix retardait considérablement sur la
baisse des salaires. Sans doute, encore une fois, s'il avait été donné à
Marc Bloch de revoir son texte en vue de l'impression, n'aurait-il pas
manqué de combler cette lacune.
Les pages relatives aux mutations se terminent par une tentative de
ramener toutes les causes énumérées à une cause générale (l'insuffisance
des moyens de paiement), et par un essai d'explication de l'arrêt des
mutations au xvme siècle (le développement du crédit). Vues
extrêmement suggestives, mais qu'il ne peut être question de discuter ici.
La troisième tranche envisagée par l'auteur comprend l'ère capitaliste.
Si nourri que soit ce chapitre, il n'a pas la densité des précédents. Ici,
comme le fait remarquer Mr. Braudel, et très utilement, « Marc Bloch
s'est contenté de prolonger une perspective ».
Le compte rendu que l'on vient de lire, je l'ai voulu essentiellement
critique. J'ai pensé qu'en le faisant tel, je pouvais le mieux préciser la
place, eminente, que l'Esquisse d'une histoire monétaire de l'Europe
occupera dans nos études. Il ne me reste, pour terminer, qu'à exprimer un
regret, le lancinant regret que Marc Bloch ne soit plus là pour continuer
la discussion. — H. Van Werveke.

Panofsky (Erwin). Early Netherlandish Painting. Its Origins and


Character. Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1953 ; 2 vol.
in-4° ; xin-573 pp. ; 28 pi. ; xxiv-334 pi.
Les deux volumes présentés ici comportent 360 pages de texte, 150
de notes copieuses et 562 illustrations groupées sur 390 planches. La
manière de l'auteur est bien connue par les nombreux travaux que P.
a publiés sur la sculpture du moyen âge, Albert Dürer, l'iconologie et
sur divers aspects de la création artistique. Le savant professeur à V
Institute for advanced Study de Princeton est moins sollicité par la recherche
et l'établissement des faits (il aime à dire qu'il n'est pas fouilleur) que
par leur interprétation. Il interroge les œuvres d'art en s'aidant de la
littérature qui leur est contemporaine et tente de retrouver les
préoccupations, les pensées profondes, la sensibilité de l'artiste créateur et des
hommes qui ont vécu à telle ou telle époque.
On s'accorde à reconnaître que P. a rassemblé une documentation
prodigieuse sur tous les problèmes qui le passionne et qu'il parvient à
en tirer le maximum de notes propres à nous mettre en contact avec
le passé, avec ses aspirations précises ou confuses, sa mentalité complexe.
On reste confondu devant l'ampleur de son information. Il serait
difficile de lui signaler un travail de valeur qu'il aurait omis de citer et
d'utiliser ; il serait prétentieux de lui révéler une œuvre qui semblerait lui
avoir échappé, car son esprit fureteur l'a conduit à s'arrêter également
devant les panneaux et des manuscrits enluminés qui n'ont guère retenu

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