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Chapitre 14

Les formes d’intervention économique de


l’Etat depuis le 19ème siècle

1-L’ETAT LIBÉRAL JUSQU’AUX ANNÉES 1920 : DES RÈGLES PLUS QUE


DES DÉPENSES.

1­1 Un budget modeste par rapport à aujourd’hui.
1­1­1 Le niveau des prélèvements obligatoires au 19ème siècle.
1­1­2 Les types de prélèvements.

1­2 Un exemple d’intervention croissante : le marché du travail.
1­2­1 Un marché du travail sans régulation au début de l’industrialisation.
Friedrich ENGELS, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845
1­2­2 Les conflits autour de la “question sociale“.
1­2­3 Les premières lois sociales.

2-L’ENTRE-DEUX GUERRES, OU LES NOUVELLES RESPONSABILITÉS DE


L’ETAT.

2­1 La crise des années 1930 : deux exemples d’accroissement de l’intervention de l’Etat.
2­1­1 Le New Deal.
2­1­2 Le Front Populaire.

2­2 Les économies de guerre.

2­3 Un après­guerre très différent de celui des années 1920 : de nouvelles ambitions.
Jean-Charles ASSELAIN, Histoire économique du 20ème siècle (tome 3 : 1939 aux années 1980), 1995

3-LES TRENTE GLORIEUSES : UNE INTERVENTION MULTIFORME.

3­1 L'action structurelle : le secteur public ou l'Etat producteur de biens et de services.

3­2 L'action sociale : la législation et l’Etat­Providence.
Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale – Une chronique du salariat, 1995
3­2­1 L’intervention sur le marché du travail : du contrat individuel à la négociation collective.
3­2­2 L’assurance et l’assistance.

4-L'ETAT À L'ÉPREUVE DE LA CRISE ET DE LA CRITIQUE.

4­1 Les prélèvements obligatoires.
4­1­1 Des prélèvements et un endettement croissants : l'exemple français.
4­1­2 L’analyse libérale de la fiscalité.

4­2 Quelques critiques radicales contemporaines.
4­2­1 Hayek et l’ordre spontané.
Friedrich HAYEK, Droit, législation et liberté, 1973
4­2­2 Nozick : une société juste est une société libre.
Robert NOZICK, Anarchie, Etat et utopie, 1974

4­3 Les nouveaux libéralismes au pouvoir.
4­3­1 L’exemple britannique.
4­3­2 Le cas des services publics européens?
Chapitre 14
Les formes d’intervention de l’Etat de la
Révolution industrielle aux années 1970

D'une   manière   générale,   consensus   à   l'époque   pour   une   limitation   de   l'ingérence   du   pouvoir
politique dans les affaires économiques et sociales. Capitalisme très libéral.

1-L’Etat libéral jusqu’aux années 1920 : des règles plus que des
dépenses.
1-1 Un budget modeste par rapport à aujourd’hui.
1-1-1 Le niveau des prélèvements obligatoires au 19ème siècle.
•Un prélèvement obligatoire présente les caractéristiques suivantes :
­versement effectif pour uniquement les administrations publiques.
­caractère non volontaire.
­pas de contrepartie immédiate et directement individualisable.
•La mesure par les prélèvements obligatoires est en partie déformée par la dette (augmenter les
dépenses sans accroître immédiatement les prélèvements) et ne retient pas la qualité des prestations
offertes en retour (par exemple les prélèvements sont naturellement nettement plus bas dans les
pays où les dépenses de santé ne sont pas socialisées).
•Le poids des prélèvements est nettement plus faible qu’aujourd’hui, typiquement 7 à 15% du PIB.
En Grande­Bretagne, il est en gros relativement plus élevé en début (environ 20% du PIB, pour
cause de guerres napoléoniennes) et fin de siècle (environ 7,5 puis 10% du PIB), et moins fort entre
1830 et 1890.
Pour la France, on a 12% en 1825, 18% du PIB en 1895, 15% en 1911. Pour l’Allemagne, il faut
tenir compte des dépenses du Reich mais aussi des Länder.
•Dans tous les cas, le budget absolu augmente fortement compte tenu de la croissance économique,
mais prélèvements bien inférieurs à ceux d'aujourd'hui.
1-1-2 Les types de prélèvements.
•La fiscalité repose sur les impôts sur les biens, directs (souvent l’immobilier et le foncier pouvant
également servir de base à l’exercice du vote lorsque le suffrage est censitaire), et indirects (tabacs,
alcools mais aussi produits de base), soit plus de la moitié du budget français en 1913.
Par   exemple,   le   nouvel   Etat   Meiji   assoit   sa   fiscalité   sur   une   taxe   foncière   de   2,5%   qui   pèse
lourdement sur les paysans et assure près des ¾ des recettes. Les samouraï reçoivent une indemnité
forfaitaire.
•Les droits de douanes pèsent souvent d’un poids considérable : en 1911, de 35% à 40% du budget
de l'All ou des EU et seulement 12­13% en France (peu ouverte) et en GB (libre­échangiste).
[Brasseul 2 p. 70]
•La bataille de l'impôt sur le revenu a lieu dans de nombreux pays :
­établi en Grande­Bretagne pendant les guerres napoléoniennes, il est rétabli par Peel en 1842, avec
une part croissante dans le budget. C’est le modèle pour de nombreux pays à partir des années 1890
(Italie, Allemagne, Pays­Bas…).
­aux EU, l’impôt sur le revenu est adopté en 1913 avec le 16 ème amendement (« le Congrès aura le
pouvoir d'établir et de percevoir des impôts sur les revenus, de quelque source qu'ils proviennent,
sans répartition parmi les divers Etats, et sans égard à aucun recensement ou dénombrement »)
nécessaire car les impôts directs devaient être proportionnels au nombre d’habitants de chaque Etat
dans la Constitution de 1787.
En France l’impôt est voté en 1914 après plusieurs tentatives avortées par le Sénat (qui y voyait un
retour à l’Ancien Régime et sa fiscalité personnelle colle la taille) et après une longue bataille
menée par Joseph Caillaux qui soulève une dure opposition (Paul Leroy­Beaulieu, économiste et
colonialiste :   « l’impôt   finira   pas   absorber   la   totalité   des   revenus   et   entamera   le   capital,
restreignant   l’épargne   et   la   production,   forçant   les   capitaux   à   se   cacher   ou   à   fuir »).   Il   est
progressif et complété par une loi de 1917, mais laisse encore la part belle à la fiscalité indirecte, car
les   revenus   mobiliers   et   agricoles   sont   mal   pris   en   compte.   Ce   déséquilibre   persiste   encore
aujourd’hui dans la fiscalité française.
1-2 Un exemple d’intervention croissante : le marché du travail.
1-2-1 Un marché du travail sans régulation au début de l’industrialisation.
Friedrich ENGELS, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845
•Les conditions sont extrêmement difficiles, comme le décrit Engels dans ce qui est la première
histoire de la Révolution industrielle, au sortir des hungry forties.
­la contractualisation des relations de travail débouche en fait sur une grande précarité (contrat de
“louage“ de la main d’œuvre et seulement la main d’œuvre, pour une quantité souhaitée, parfois très
courte). Le chômage est un risque permanent, et plus généralement l’insécurité sociale.
­les niveaux de vie sont très faibles et diminuent, c’est la  paupérisation  qui s’ajoute à la grande
insalubrité des slums où s’entassent les ouvriers. La tuberculose est la maladie du siècle…
­les conditions de travail sont très mauvaises : durée (moyenne de 12 h par jour, fréquemment plus
pour les hommes adultes), accidents très fréquents (mines, premières usines assez dangereuses avec
les  courroies,   la  vapeur…)   Pour  Engels,  c’est   « une  armée   qui  revient  de   campagne »  et   pour
Thompson dans  La formation de la classe ouvrière en Angleterre  (1963), ancien mais toujours
référence, « ce n’est ni la pauvreté ni la maladie mais le travail lui­même qui jette l’ombre la plus
noire sur les années de la révolution industrielle ».
•Cette libéralisation est une « grande transformation » qui détruit les cadres féodaux, corporatistes,
mercantilistes traditionnels, notamment en diminuant considérablement la prise en charge collective
de la pauvreté, sur laquelle le regard change en individualisant la responsabilité du chômage conçu
désormais comme volontaire.
ex : les  Poor Laws  datant du tournant des 16ème  et 17ème  siècle sont renforcées en 1795 dans une
conjoncture difficile par le Speenhamland system (ce nom d’un village est popularisé par Polanyi),
incomplètement   appliqué   mais   qui   porte   la   redistribution   à   des   niveau   élevés   par   rapport   au
continent (jusqu’à 2% du PIB). La New Poor Law de 1934 maintiennent les Workhouses, véritables
"prisons à chômeurs" employés pour des tâches épuisantes, à peine payées et sans objet, avec l'idée
de   les   forcer   à   accepter   du   travail   ailleurs   ou   au   salaire   de   marché.   Mais   la   redistribution   est
beaucoup moins généreuse.
•Ainsi,   le   salariat   apparaît   comme   une   véritable   exclusion   dans   sa   version   prolétarienne.   La
régulation du marché du travail est véritablement concurrentielle au moins jusque vers 1850.
1-2-2 Les conflits autour de la “question sociale“.
Le  capitalisme génère du conflit social, notamment pour la répartition qui est laissée en première
instance au jeu du marché, qui détermine les prix (salaires) comme les quantités (durée) du travail.
François Perroux commence ainsi son livre de 1948 : « capitalisme est un mot de combat ».
•La contestation s’organise autour de deux objectifs : la lutte contre la misère, l’organisation de
l’économie éventuellement par appropriation collective des moyens de production. Les moyens sont
cependant   très   différents,   selon   qu’on   souhaite   la  réforme  ou   la  révolution.   Les   armes   sont
cependant communes : grèves, manifestations, participation au jeu politique.
Toutes les organisations ont rencontré des difficultés, d’abord pour exister (licenciements, attaques
en justice…), et se sont développées en conquérant des libertés syndicales et partisanes.
•Les réactions sont précoces en Angleterre :
­d’abord les violences du luddisme (du nom du “général Ludd, forêt de Sherwood“ qui signe des
lettres de menaces) en 1811­1812 et 1816 : des machines sont détruites par des artisans menacés.
La répression est violente (condamnations à mort – une loi de 1812 punit de la peine capitale le bris
de machines – ou déportations par exemple en Tasmanie). C’est une bonne illustration des effets
ambigus à court terme de la productivité sur l’emploi.
­les  Combination Acts  de 1799 et 1800 sont abrogés dés 1824­1825, mais avec interdiction des
grèves jusqu’en 1875. Les premières organisations sont pour les plus qualifiés, avec une cotisation
significative et des prestations en retour.
­les  trade­unions  se développent  ensuite, fédérées  dans le TUC à partir de 1868, avec 4 M de
membres à la veille de la guerre (dont 1,6 M dans le parti travailliste Labour créé en 1906). C’est la
naissance d’un syndicalisme réformiste de masse avec une grande influence qui n'a été remise en
cause que dans les années 1980 sous Thatcher.
•Les grandes grèves apparaissent, par exemple celle des 30.000 dockers du port de Londres en 1889
ou la très grande vague des années 1910­1914 (labour unrest) avec plus de 40 M de journées de
grèves en 1912 contre 1,5 à 4 M au début du siècle.
Les Etats et les bourgeoisies au pouvoir adoptent une attitude très crispée. Les mouvements ouvriers
sont vus comme des atteintes à la propriété privée ou à la liberté du travail, qu’on croît (ou feint de
croire) capable de résorber la pauvreté. Les inégalités sont donc légitimées.
ex : le 1er mai 1891 à Fourmies, l'armée tire et tue 9 personnes (cette date est commémorée ensuite,
comme moment de la mémoire ouvrière) et Clemenceau ministre de l’Intérieur gagne ses galons de
“premier flic de France“ lors de la répression de Draveil en 1906.
Quelques   solutions  paternalistes  sont   adoptées   localement,   en   dehors   de   toute   intervention   de
l’Etat : la bienfaisance doit être une vertu et non une obligation, dans une confusion permanente
entre charité et justice (ex au Creusot ou à Clermont Ferrand).
•L’affrontement   n’a  pas   seulement   lieu   lors   des   grandes   manifestations,   mais   les  tensions   sont
constantes dans les grandes entreprises.
ex : Zola dans Germinal (1885) décrit minutieusement les conditions de travail dans les mines du
Nord   de   la   France,   les   règlements   (« amende   pour   défaut   de   boisage »)   mais   aussi   les
revendications des ouvriers et les grèves (Lantier : « cette fosse, tassée au fond d'un creux, avec ses
constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante, lui semblait
avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde »).
1-2-3 Les premières lois sociales.
[Brasseul 2 p. 159]
•Elles concernent d’abord la durée du travail, une vieille revendication :
­la loi de 1833 en Grande­Bretagne prévoit (seulement !) 8 heures pour les 9­13 ans et 12 heures
pour les 14­18 ans, avant que le maximum de 10 heures quotidiennes ne soit généralisé en 1878.
Cette durée est imposée en France en 1906. C’est aussi l’année de la création du ministère du travail
­ même si un Office en charge de ce domaine existe depuis 1891 au sein du ministère du Commerce
et de l’Industrie – sous le premier gouvernement Clemenceau, que Méline accuse « de s’être rendu
prisonnier des collectivistes » !
­mais se pose toujours le problème de l’application de la loi comme celle de Guizot de 1841 sur le
temps de travail. Les fraudes sont nombreuses (l’inspection du travail n’est créée qu’en 1892) et la
loi est parfois suspendue comme pendant la 1ère  Guerre Mondiale en France (allongement de la
durée, plus de repos dominical… et des règlements d’atelier draconiens comme dans l’automobile :
« défense de s’asseoir, défense de causer, défense de faire grève »).
•Les premiers système d’assurance sociale (qui porte sur les revenus) datent au plus tôt des années
1880­1890.
L’Allemagne de Bismarck, monarchique et militariste, créé très en avance un système d’assurance
maladie en 1883 (financée au 1/3 par les entreprises), accident en 1884 (financée entièrement par
les entreprises), retraites en 1889 (financement paritaire). A la veille de la guerre, plus de 80% des
travailleurs sont assurés contre les accidents (20% en France), environ 50% sont couverts par une
retraite et assurés contre les maladies (environ 15% en France). Politiquement, c’était une manière
de désamorcer la contestation et de favoriser l’unité nationale d’un Etat nouvellement créé.
En   France,   des   “sociétés   de   secours   mutuel“   s’organisent   à   l’échelle   locale,pour   certaines
professions plutôt favorisées. La fédération nationale de la Mutualité française est créée en 1902.
Mais la première véritable loi sociale assurantielle porte sur les accidents du travail en 1898 : elle
constitue un véritable changement de paradigme en définissant la notion de  risque professionnel
dont l’employeur est responsable (ce qui conduit notamment à l’inversion de la preuve). Cela ouvre,
avec l’essor des calculs probabilistes, la possibilité d’une assurance à grande échelle quel que soit le
contrat de travail.
•L’immédiat   après­guerre   voit   se   développer   une   grande   vague   de   revendications   sociales   et
d’augmentation des effectifs syndicaux, liées à la « grande lueur à l’Est » (Jules Romains, 1945).
Les immenses grèves de 1919­1920 ont lieu dans des secteurs clés comme les docks, les chemins de
fer, les mines… En Grande­Bretagne, on compte 35 M de journées de grèves en 1919, notamment
dans la “Clydeside rouge“ autour de Glasgow. Les TUC doublent leurs effectifs  à plus de 8 M
d’adhérents.
Le dole créé en 1911 (National Insurance Act) est amélioré, la journée de 8 heures est enfin obtenue
en France soit une semaine de 48 heures.

CONCLUSION :
­le libéralisme est considéré comme porteur de progrès par tous les grands esprits du 18 ème, et c’est
la vision du monde paradigmatique chez les gouvernements.
­mais il est finalement assez éphémère dans se version la plus stricte, avec le développement des
appareils d’Etat et l’introduction de règles (rigidités ?) dans le marché du travail par exemple.
­ces changements sont aussi le reflet de contestations, de rapports de force sociaux, qui surviennent
une fois que la croissance est lancée et que de la richesse est créée.

2-L’entre-deux guerres, ou les nouvelles responsabilités de l’Etat.


2-1 La crise des années 1930 : deux exemples d’accroissement de l’intervention de l’Etat.
2-1-1 Le New Deal.
•Franklin D. Roosevelt est élu fin 1932, il est resté au pouvoir jusqu’au début de son quatrième
mandat en avril 1945. Cousin de Théodore, fils de l’establishment de la côte est, avocat sorti de
Harvard puis gouverneur de l’Etat de New York de 1928 à 1932, il n’est pas un économiste et n’a
pas de programme très cohérent. Sa base électorale est hétéroclite, des Noirs aux intellectuels new­
yorkais et des petits Blancs du Sud aux blue collars.
Il   est   entouré   d’une   équipe   assez   hétérogène,   avec   des   libéraux   comme   des   pré­keynésiens,
essentiellement pragmatique mais désireuse d’agir. L’intuition centrale est “qu’il faut faire quelque
chose“…   Il   arrive   au   plus   fort   de   la   crise,   d’autant   plus   que   le   pouvoir   est   paralysé   pendant
l’interrègne qui dure des élections de novembre à mars 1933 (ce qui amène le Congrès à voter le
20ème amendement dés le 6 mars 1933 pour fixer dorénavant l’investiture au 20 janvier).
D’emblée se pose la question du pouvoir de du président et de sa capacité à réformer dans un
système très attentif aux  cheks and balances, une stricte séparation des pouvoirs éventuellement
paralysante (cette question est d’ailleurs posée à Obama). Ainsi dans son discours inaugural du 4
mars 1933 Roosevelt dit : « au cas ou le Congrès se montrerait incapable d’adopter ces mesures
(économiques) ou d’en proposer lui-même, et au cas où la situation nationale exigerait encore des
décisions urgentes et critiques, je ne me déroberai pas devant la voie claire que me dictera mon
devoir. Je demanderai au Congrès les seules dispositions encore susceptibles de me permettre de
faire face à la crise : un pouvoir exécutif assez large pour pouvoir mener une guerre contre nos
difficultés. »
•L’action du gouvernement se déploie dans plusieurs directions.
­la  sphère  financière  est  prioritaire : l’Emergency   Banking  Act  de  mai  1933  ferme  les   banques
quelques jours pour les rouvrir avec des garanties de l’Etat notamment sur les petits dépôts et éviter
l’effondrement   total   du   système   bancaire.   Le  Glass   Steagall   Act  de   1933   instaure   une   stricte
spécialisation,   et   un   fonds   d’assurance   des   dépôts   est   créé,   le  Federal   Deposit   Insurance
Corporation (FDIC). Enfin, le Federal Security Act de juin 1934 régule la Bourse sous l’égide de la
nouvelle Security and Exchange Commission (SEC). C’est l’ensemble de ces réglementations qui a
été en fait détricoté dans les années 1980, et qui est à nouveau questionné aujourd’hui.
­la lutte contre la déflation passe aussi par le National lndustrial Recovery Act de juin 1933 qui vise
en fait à une cartellisation officielle des marchés, c’est­à­dire une entente entre producteurs sous
l’égide de l’Etat pour rehausser les salaires et les prix. Le mécanisme est basé sur le volontariat et
partiellement appliqué.
­le soutien à l’agriculture  s’inscrit en revanche dans une longue tradition d’intervention dans ce
domaine. L'Agricultural Adjustment Act (A.A.A.) de mai 1933 prévoit des subventions pour réduire
les excédents et transfère à l'État fédéral une partie du fardeau de la dette des farmers. 
­sur le plan social, les libertés syndicales sont considérablement étendues (Wagner Act de 1935) et
un début de protection sociale est créée avec le Social Security Act de 1935 également.
Cette  politique  heurte la tradition  libérale  américaine  dont les  fondements  seraient  menacés  (le
candidat   républicain   Alfred   Landon   en   1936 :   « tout au long de ces quatre années c'est cette
agression du New Deal contre nos libres institutions qui s’est révélée le problème fondamental de
l’Amérique. […]J’ai refusé des plans nationaux pour installer le gouvernement aux affaires, en
concurrence avec les citoyens. Cette idée est née de Karl Marx. »). Certaines mesures sont d’ailleurs
invalidées par la Cour Suprême en 1935, qui les juge inconstitutionnelles, avant d’être à nouveau
votées.
•L’ensemble  s’appuie  aussi sur une politique  monétaire  (notamment  par des  opérations  d’open
market) et budgétaire (grands travaux de la TVA et de la  Works Progress Administration) plus
expansive,   avec   des   déficits   importants,   faisant   de   l’emploi   un   objectif   majeur.   La   rigueur
réintroduite en 1937 entraîne d’ailleurs une nouvelle récession, comme le montre Friedman.
La lutte contre la déflation a fonctionné. Mais si les prix remontent, c’est la guerre qui marque
véritablement la sortie de crise en ouvrant une période de croissance sans égale (en gros le PIB
double soit +7% par an pendant six ans).
•Ainsi   le   New   Deal   marque   incontestablement   la   fin   du   capitalisme   américain   complètement
débridé, le Big business étant dorénavant confronté au Big government.
2-1-2 Le Front Populaire.
•C’est l’arrivée pour la première fois au pouvoir d’un gouvernement de gauche socialiste (SFIO),
dans un contexte général marqué par la crise et le fascisme, et plus précisément par des grèves
massives,   spontanées   et   festives   au   lendemain   des   élections   (l’espoir)   et   de   forte   crainte   de   la
bourgeoisie (l’anticommunisme). Le gouvernement Blum est constitué le 4 juin avec des femmes
pour la première fois, un Secrétariat d'Etat aux Loisirs et aux Sports.
Les accords Matignon du 7 juin 1936 entre salariés et patronat sous l’égide de l’Etat débouchent sur
de fortes hausses de salaires (de 7% à 15% pour les bas).
•L’Etat intervient nettement :
­des lois sociales  passées à la postérité sont votées  durant l’été : semaine des 40 heures (assez
fortement inflationniste et assouplie en novembre 1938 par Daladier­Reynaud) et deux semaines de
congés payés. A ceci s’ajoute les billets “Lagrange“ à tarifs réduits, les mesures pour les auberges
de jeunesse…
­l’industrie de guerre est en partie nationalisée (une dizaine d’usines d’armement) et l’industrie
aéronautique est réorganisée avec une participation majoritaire de l’Etat. La SNCF est créée sous
Chautemps, successeur de Blum.
­l'Office national interprofessionnel du blé (ONIB), composé de producteurs, de consommateurs et
de représentants de la profession et de l'État, fixe les prix et se dote de coopératives qui ont pour
mission d'acheter le blé au prix fixé quitte à le stocker. 
•Ces mesures suscitent aussi une forte hostilité, avec une violence verbale (presse majoritairement à
droite,   avec   d'énormes   tirages)   impensable   aujourd’hui.   Elles   créent   un   cadre   législatif   et   de
nouvelles habitudes, mais leur effet conjoncturel (notamment les 40 heures) est modeste. La France
de 1939 est toujours en crise.
En tous cas, ici comme ailleurs, l’économique envahit le politique.
2-2 Les économies de guerre.
•La logique de l’économie de guerre n’est pas fondamentalement différente entre les deux conflits :
il s’agit de satisfaire une demande quasi illimitée.
L’Etat   intervient   donc   directement   pour   fixer   les   priorités,   affecter   les   ressources   productives
(travail,   matières   premières,   investissements)   à   la   guerre,   mais   aussi   arbitrer   pour   limiter   les
sacrifices imposés à la consommation civile. Il ne s’agit cependant pas simplement d’un problème
de répartition, mais aussi de croissance aussi rapide que possible face à l’urgence.
=> il y a donc un  recul marqué des mécanismes marchands d’allocation  des ressources, prix et
quantités sont souvent fixés de manière centralisée par l’Etat.
•Mais les Etats sont mieux préparés en 1939, tirant les leçons du premier conflit mondial.
­certes,   des   structures  avaient   déjà   été   mises  en  place,   comme   le  Ministère  de   l’Armement  en
France (1915) dirigé par Albert Thomas ou le Ministère des Munitions de Lloyd George, qui ont
noué des liens étroits avec le secteur privé..
­mais l’ingérence de l’Etat dans l’économie de la Seconde guerre mondiale est nettement plus forte,
notamment dans les démocraties libérales alors que l’Allemagne tarde paradoxalement à mobiliser
toutes ses ressources notamment pour des raisons politiques (soutien ouvrier…).
La Grande-Bretagne constitue un exemple éclatant d’une mobilisation complète et très rapide (le PIB
croît de 20% de 1939 à 1941 avant de stagner).
Les importations sont centralisées, la coopération avec les industriels privés très poussée et
contraignante (mais pas de nationalisation), l’agriculture connaît une forte croissance de la production
mais aussi de la main d’œuvre (à contre-courant du trend) tandis que les deux tiers de la main d’œuvre
industrielle travaille directement pour la guerre.
L’Etat arbitre aussi en subventionnant massivement les produits alimentaires de base, ce qui permet de
maintenir le niveau de vie réel en échange d’un rationnement autoritaire. Il s’agit donc d’une forme de
redistribution qui permet « une répartition des sacrifices de guerre radicalement différente de ce
qu’aurait pu être le résultat spontané d’un équilibre de marché capitaliste » (Asselain).
Les Etats-Unis sont moins soumis à l’urgence, mais là aussi le contrôle s’accroît beaucoup. L’appareil
statistique est développé : dés le début de 1940, Simon Kuznets met au point un instrument de mesure,
le PIB permettant de d’avoir des comptes nationaux. L’Office of War Mobilization est dirigé par Byrnes,
un proche de Roosevelt, tandis que les prix sont placés sont un plafond général (que Galbraith supervise
en 1942-1943). La croissance est exceptionnelle.

2-3 Un après-guerre très différent de celui des années 1920 : de nouvelles ambitions.
Jean-Charles ASSELAIN, Histoire économique du 20ème siècle (tome 3 : 1939 aux années 1980), 1995
•Contrairement aux années 1920, l’avant­guerre n’est pas du tout idéalisé et l’économie de guerre
n’est pas simplement une parenthèse avant le back to normalcy. La crise des années 1930 est perçue
comme un des facteurs du conflit, pendant lequel les bases de la reconstruction sont déjà pensées.
C’est le cas en France, à Vichy (les technocrates, planistes et autres tenants d’une “troisième voie“)
comme dans la Résistance avec le programme du CNR (15 mars 1944, sur la législation sociale par
exemple). De même, en Grande­Bretagne, le rapport de Beveridge   sur le  Welfare State  (Social
insurance and allied services, 1942) est un best­seller qui défend une lutte contre quatre grands
risques : misère, oisiveté, manque d'hygiène, ignorance, maladie.
•Au sortir de la guerre, les Etats se donnent des  responsabilités  qui sont désormais socialement
acceptées et même revendiquées.
­la croissance et le plein emploi retrouvé deviennent des objectifs majeurs (inscrit par exemple dans
le préambule de la Constitution de 1946).
­sur le plan social, la redistribution notamment pour assurer les acteurs contre les grands risques est
perçue comme indispensable.
•Keynes fournit un appui idéologique. Il avait beaucoup insisté sur le pouvoir des idées à la dernière
page de la TGE, celles­ci ont été traduites dans le keynésianisme.
Ses idées sont été assez rapidement diffusées (avec beaucoup d’éditions, d’exemplaires, de pays
notamment le Japon !), mais plutôt à la fin ou même après la crise.
En Grande­Bretagne, Beveridge joue un grand rôle avec son  Full employment in a free society
(1944), insistant notamment sur une certaine socialisation de la dépense pour éviter toute baisse de
la propension à consommer.
En France, la première traduction de la TGE date de 1942, dans un pays qui a déjà une tradition
d’intervention publique, de grands travaux… ce qui ne suscite pas forcément le sentiment de la
nouveauté ! Mais du côté de la Résistance comme du côté des planistes de Vichy, on est persuadé
qu’il faut agir au cœur du capitalisme, et la nouvelle ENA enseigne ces idées.
•Finalement, c’est la question de la  survie  du capitalisme qui est en cause. Déjà envisagée par
Keynes,   elle   est   posée   par   une   trop   grande   instabilité,   les   inégalités   sociales   excessives,   la
conflictualité   exacerbée   que   cela   peut   générer,   le   désordre   de   l’après­guerre…   De   plus,   le
capitalisme est face à un contre modèle très puissant au sortir de la guerre : le communisme de
l’URSS dont la résistance à été exceptionnelle.
Le capitalisme doit donc être réformé face à la critique dont il est l’objet, mais il puise dans cette
critique ainsi endogénéisée comme le montrent Boltanski et Chiapello.
A cet égard, la  démocratie  offre un système qui, par les choix collectifs qu’il permet, donne au
capitalisme   la   résilience   nécessaire   à   sa   survie.   Galbraith :   « le   capitalisme   tempéré   par   le
processus démocratique se révélait un système économique relativement résistant ».

CONCLUSION :
­on peut noter une continuité entre le dirigisme de guerre et le dirigisme d'après­guerre. Sur ce plan,
la rupture se situerait davantage en 1940 qu’en 1945, avec de fortes continuités structurelles.
­l'intervention de l'Etat est ressentie comme une nécessité et même une responsabilité économique.

3-Les Trente Glorieuses : une intervention multiforme.


3-1 L'action structurelle : le secteur public ou l'Etat producteur de biens et de services.
•Dans certains pays (mais pas au Japon ni aux Etats­Unis), les nationalisations font passer un pan de
la production dans la sphère publique. Les secteurs concernés sont notamment les transports et les
réseaux, mais aussi des secteurs habituellement concurrentiels comme la sidérurgie, l’automobile…
En Grande­Bretagne, ces nationalisations sont lieu dans la seconde moitié des années 1940 sous
Attlee : British Telecom­Gas­Airways­Leyland­Steel…
En France, elles s’étendent de l’énergie (EDF, Charbonnages de France) aux institutions financières
où alors à Renault (sanctions pour le patron archétypique de la Belle Epoque, de l’introduction du
taylorisme, ce « saigneur de Billancourt » opposé au Front Populaire). Le secteur public devient le
fer de lance de la reconstruction planifiée (et de la politique sociale), avec des financements du
Trésor.
•Un gros poste de dépense jugé à la fois efficace et juste est celui de l’éduction et de la recherche,
générateur d’externalités très positives (effet cumulatif et effet de seuil à la fois, comme le montrent
les théories de la croissance endogène).
C’est   d’abord   la   démocratisation   du   secondaire,   mais   se   développent   aussi   les   formations
supérieures comme celles de gestion dont ont besoin les technostructures. Maddison montre que le
nombre d’années moyen passé à étudier passe en gros 2 ans en 1820 à 7­8 ans en 1913 et 11­12 ans
en 1973, la tendance se poursuivant ensuite (fréquemment 15 à 18 ans de scolarité aujourd’hui).
La recherche est également favorisée, par des organismes publics mais aussi privés. Aux Etats­Unis,
la part de l’Etat dans la recherche varie entre la moitié et les deux tiers, dont la plus grosse partie
par le DoD, mais aussi les agences fédérales (NASA, National Science Foundation…). Fait inédit,
les budgets militaires restent très élevés pour un temps de paix (certes froide) et ont des retombées
considérables sur le complexe militaro­industriel.
3-2 L'action sociale : la législation et l’Etat-Providence.
Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale – Une chronique du salariat, 1995
3-2-1 L’intervention sur le marché du travail : du contrat individuel à la négociation collective.
[exemple en France]
•La   tendance   lourde   est   la  salarisation  (même   si   en   France   elle   est   plus   tardive :   encore   un
travailleurs sur deux indépendant dans les années 1930). Des réglementations diverses encadrent de
plus en plus les contrats.
•Un ensemble de réglementations se développe :
­les   négociations   de  branches   se généralisent,  donnant   naissance  à  des  conventions  collectives
(créés en 1919, développées en 1936 puis généralisées) qui s’imposent au contrat individuel en
constituant des bornes infranchissables lors de la négociation entre employeur et salarié.
­le SMIG en 1950 devenu SMIC en 1970.
Au début, le SMIG augmente moins vite que l’ensemble des salaires et peu de gens y sont confinés.
Après les revalorisations de Grenelle (+ 35%) et la loi de 1970 qui fixe le SMIC à la moitié du
salaire moyen, le SMIC devient un vecteur de réduction des inégalités sociales, “rattrapant“ les bas
salaires. L’intervention est ici directe sur la répartition.
­les semaines de congés payées en 1956 et 1969 (mais dans ce cas officialisation d'une pratique déjà
fortement  répandue, Renault  et l’automobile  donnant la  ton pour acheter  la paix  sociale  sur la
chaîne) = tendance lourde à la RTT qui est une vieille revendication
•Ainsi le marché du travail devient plus rigide.
Par exemple, les  calculs  d’élasticité des effectifs  par rapport à la production faits par Boyer et
Mistral (1981), montrant que la convention de plein emploi est intégrée par les entreprises mêmes.
v = 1 : flexibilité parfaite (effectifs immédiatement réduits proportionnellement à la production).
v = 0 : rigidité totale (les effectifs ne baissent pas du tout, au détriment de la productivité).
En 1930, on a encore des valeurs de 0,7 à 0,9.
En 1975, le volume d’emploi est devenu moins élastique, même si c’est nettement moins évident
aux EU (0,55) qu'en France (0,24) [ex de Peugeot dans un bassin provincial qui évite toute variation
saisonnière de l’emploi].
3-2-2 L’assurance et l’assistance.
Les systèmes sociaux hérités sont partiels (certaines catégories de travailleurs, d'âge…). On peut les
classer en deux grandes catégories.
•L’assistance  est la forme la plus  ancienne,  généralement  gérée localement  (proximité  entre  le
bénéficiaire et l’instance dispensatrice) par les paroisses ou les notables des communes comme dans
les Poor Laws. La méfiance, en particulier dirigée contre les pauvres itinérants (vagabondage) est
extrême.
Sous une forme très différente, elle se poursuit avec par exemple le minimum vieillesse créé en
1956  et   devenu  Allocation   de  solidarité   aux  personnes   âgées  (ASPA)  pour  les  plus  de   65  ans
[environ 680 € par mois pour une personne seule]. C’est aussi le RMI créé en 1988, devenu RSA
dont le montant varie en fonction des autres ressources perçues, dont celles issues du travail à temps
partiel.
Le système de santé anglais s’apparente à celui­ci car il est principalement financé par l’impôt : le
National   Health   Service  (NHS)   est   créé   au   lendemain   de   la   guerre   avec   des   GPs   (general
practitioners) fonctionnaires, selon la logique des trois U : universalité (tous, indépendamment du
travail), uniformité (prestations forfaitaires), unité (un seul organisme). Mais si la Grande­Bretagne
est à l’origine de l’Etat­providence, son système social n'est pas copié sauf en Australie et dans les
pays scandinaves.
•L’assurance est le système "bismarckien" financé par des cotisations à un organisme.
Ex : France.
­de nouvelles  lois  sociales  comme  les  lois  sur les  Assurances  sociales  de 1928 puis  1930, qui
couvrent   quand   même   10   millions   de   personnes   en   1940   contre   la   maladie,   la   vieillesse,   la
maternité… Ce système reste incomplet et fragmenté est généralisé en 1945 avec la création de la
Sécurité Sociale (Pierre Laroque 1907­1997, conseiller d’Etat, déjà en charge dans les années 1930
de ces dossiers au ministère du Travail, résistant gaulliste, prend une grande part dans la rédaction
des ordonnances de 1945). Un vaste système de protection sociale entre dans la vie de tous les
salariés.
Le financement n’est pas fiscal mais assuré par des cotisations portant sur le travail, payées par le
salarié et son employeur (distinction largement factice). La “prime“ ne dépend pas du risque propre
à chaque individu (contrairement par exemple à l’automobile : malus, puissance de la voiture), mais
dépend du revenu (il a en ce sens un effet redistributif). Les Caisses n’interviennent pas dans la
production de soins, la médecine restant en ce sens libérale.
Ainsi, dans les systèmes assurantiels, des droits étendus sont attachés au contrat de travail : on parle
de statut salarial, avec moins d’ « insécurité sociale » (Castel).

CONCLUSION :
­l’Etat est désormais légitimé, “inscrit“ (et non plus “circonscrit“) dans le capitalisme.
­ses interventions prennent de plus en plus la “forme dépense“ (en plus de la réglementation).
­le retour de la pensée libérale s’opère cependant chez les décideurs, dans une nouvelle version.

4-L'Etat à l'épreuve de la crise et de la critique.


4-1 Les prélèvements obligatoires.
4-1-1 Des prélèvements et un endettement croissants : l'exemple français.
Les prélèvements obligatoires ont presque continûment augmenté jusqu’aux années 1980, à partir
desquelles ils se stabilisent dans de nombreux pays, ou augmentent lentement ailleurs.
•La structure des dépenses est très modifiée :
­les dépenses de l'Etat  sont relativement stables en proportion du PIB (autour de 18%) depuis le
milieu des années 1980. La charge fiscale proprement dite l’est aussi, autour de 20% du PIB compte
tenu des transferts vers les collectivités locales (dont le poids s’accroît, à la faveur notamment de la
décentralisation) et l’UE.
­surtout,   les   dépenses   sociales   (vieillissement,   santé,   retraites,   chômage…)   augmentent,   et   les
cotisations   en   conséquence,   avec   un   accroissement   de   la   part   salariale.   Ainsi,   le   fait   que   les
dépenses   de   santé   et   de   retraite   soient   collectivisées   ou   non   change   beaucoup   le   niveau   des
prélèvement “obligatoires“.
•Mais les prélèvements sont souvent insuffisants.
­le phénomène n’est pas nouveau : l’Etat est structurellement emprunteur (déficits au 18ème siècle,
dans les années 1930 et 1950…).
­la dette s’accroît nettement, encore plus avec les plans de relance contre la crise des  subprimes
(déjà plus de 60% du PIB, mais avec des taux de croissance de 10% à 20% depuis 1980).
­le service de la dette  (lié aussi au taux d'intérêt)  est très  lourd, creusant les  déficits.  La dette
représente environ 15% du budget français, lequel est très majoritairement tourné vers les dépenses
de fonctionnement (plus de 80%).
4-1-2 L’analyse libérale de la fiscalité.
L’économie politique même classique a toujours considéré la question nécessaire du financement
des dépenses publiques (Ricardo écrit en 1817 ses Principes d’économie politique et de l’impôt).
•Le problème posé est celui d’une taxation efficiente.
­une imposition  forfaitaire, égale pour tous éliminerait les problèmes d’incitations. En fait, cela
serait une limitation d’une liberté fondamentale, celle de travailler peu (quitte à gagner peu) et donc
à payer peu d’impôt. En outre, les  hasards de la vie (la fortune) ne sont pas pris  en compte  :
accidents,   ruines…   D’une   manière   générale,   que   faire   si   quelqu’un   n’a   pas   les   moyens   de
s’acquitter de son forfait, notamment parce qu’il n’a “pas de chance“ ?
­l’imposition graduelle peut être  proportionnelle  ou  progressive. Dans le premier cas, le taux ne
varie pas, dans le second cas le taux augmente en fonction du revenu, ce qui confère à l’impôt
progressif un caractère redistributif car il tend à réduire l’écart entre revenus après impôts (tout
dépend cependant de la manière dont le produit fiscal est ensuite restitué : le financement des études
supérieures ou des retraites présente un caractère antiredistributif au sens où il profite davantage aux
plus favorisés).
Ces impôts risquent de poser des problèmes d’incitations sur le travail (liées à l’impôt sur le revenu)
ou sur la consommation (liées à la taxation des biens).
Par exemple, les forts taux d'imposition sur le revenu incitent à substituer du loisir au travail, dont
l'utilité marginale est affaiblie (effet de substitution). C’est particulièrement net de ce point de vue
pour les taux marginaux d’imposition des plus hauts revenus. L’analyse classique conduirait plutôt
à la conclusion que pour un taux moyen d’IR donné, il faut lourdement taxer les premiers euros et
diminuer la taux d’imposition marginal sur les euros supplémentaires.
[cela dit, il est peu probable que le but d’un agent soit simplement d’échapper à l’impôt ! Et à
l’inverse, un effet revenu conduit à travailler plus pour conserver son revenu réel, tandis que des
taux plus faible peuvent réduire l’offre de travail car on gagne suffisamment].
Dans le cas d’un impôt proportionnel sur les biens (par exemple la TVA), une augmentation au­delà
d’un certain seuil du taux diminuera la quantité de biens demandée et diminuera encore davantage
la recette perçue. C’est la courbe de Laffer.
[les mêmes effets désincitatifs pourraient s’appliquer à la taxation des revenus de l’épargne, mais
les taux en Europe y sont nettement moins élevés que ceux qui touchent les revenus salariaux].
On peut utiliser le même raisonnement pour les prélèvements portant sur le travail, c’est­à­dire les
cotisations sociales, dont les effets peuvent conduire à une diminution de la demande de travail
selon l’élasticité de substitution capital/travail (et celle entre travail qualifié et travail non qualifié).
•De  même,  des  revenus   de  transfert  trop  généreux  peuvent  désinciter   à  travailler  car   l’utilité
marginale tirée d’un emploi est trop faible. On se trouve alors dans une situation d’assisté avec une
trappe à chômage.
=> plus généralement, l’offre  est placée au centre de l’analyse, en position prééminente dans la
formation du revenu et de la demande. Toutefois, il n’y a pas de corrélation nette entre niveau des
prélèvements et niveau de PIB/hab (voir par exemple le cas scandinave).
4-2 Quelques critiques radicales contemporaines.
4-2-1 Hayek et l’ordre spontané.
Friedrich HAYEK, Droit, législation et liberté, 1973
•Hayek (1899­1992), économiste ou plutôt philosophe, est redécouvert après avoir traversé le siècle.
Sa discussion porte d’abord autour du terme même de société, une organisation extraordinairement
complexe   faite   d’interaction   entre   être   humains.   Elle   présente   néanmoins   un   certain   ordre
(permettant notamment les anticipations, la réalisation de projets…), mais un  ordre spontané  (ni
artificiel,  ni  naturel)   qui est  le  résultat  d’actions   humaines  individuelles   mais   pas  d’un  dessein
collectif conscient et coordonné ni de lois “naturelles“ comme les lois économiques.
C’est le fruit d’une longue évolution dans laquelle les individus y jouent un rôle « qu'ils ne peuvent
pleinement comprendre ». Il ne faut pas surestimer les capacités du rationalisme constructiviste qui
explique les grandes créations humaines en leur donnant une cohérence : « des ordres extrêmement
complexes, comprenant plus de faits  distincts  qu’aucun cerveau humain n’en peut constater  ni
manipuler,   ne   peuvent   être   produits   qu’à   travers   des   forces   poussant   à   la   création   d’ordres
spontanés ».
ex : les règles de droit (privé) sont issues de règles morales et de règles de conduite, produites
progressivement, sélectionnées en fonction de leur efficacité (au sens d’une sélection biologique),
de plus en plus abstraite, au fondement des sociétés modernes. Hayek a une préférence pour la
common   law,   système   anglo­saxon   où   le   droit   se   construit   par   jurisprudence   par   rapport   aux
jugements précédents.
ex : le marché, ordre spontané fait de milliers de signaux, d’informations imparfaites véhiculés par
les prix, est complètement décentralisé mais permet la coordination entre acteurs. Hayek parle de
catallaxie (katallatein en grec = échanger), de marché concret contrairement au modèle d’équilibre
abstrait où l’information serait parfaite.
•Pour Hayek, l'Etat ne peut jamais collecter toute l'information nécessaire pour atteindre les finalités
espérées (à l’inverse, l’information parfaite justifierait alors l’existence d’un Etat centralisateur et
omniscient : un superordinateur central décide de toute les allocations plutôt que des négociations
décentralisées). la “complexité“ apparaît ici comme un argument de non­intervention).
L’Etat  est cependant  nécessaire (en particulier  les  règles  juridiques  concernant  la propriété,  les
dommages et les contrats), mais il doit être un Etat de droit où l’autorité vient de la loi mais où la
loi ne vient pas de l’autorité, même élue au suffrage universel : le pouvoir du gouvernement doit
être   limité,   car   un   gouvernement   démocratique   peut   très   bien   violer   la   loi   ou   conduire   à   une
dictature de la majorité sur la minorité (ex de l’impôt progressif selon lui). Selon lui, la démocratie
est un moyen – pas infaillible ­ de préserver la liberté.
•Du coup, l’idée même de justice sociale est également dangereuse car elle revient à “personnifier“
la société, alors que celle­ci n'est que la somme de ses membres, et à la traiter, non comme un ordre
spontané   d'hommes   libres,   mais   comme   une   organisation   dont  les   membres   doivent   servir   une
échelle unique d'objectifs. Ainsi, le «  prestige actuel de la croyance en la “justice sociale“ est
probablement ce qui menace le plus gravement la plupart des autres valeurs d'une civilisation de
liberté » et « aussi longtemps que la croyance en la “justice sociale“ régira l'action politique, le
processus doit se rapprocher de plus en plus d'un système totalitaire » (dans Droit, législation et
liberté, volume 2 : Le mirage de la justice sociale, 1976)
Hayek reconnaît cependant la nécessité d'un revenu minimum, une sorte de “loi sur les pauvres“ ne
serait­ce que pour maintenir le système.
•Il y a donc un risque de servitude dans une démocratie et dans l’intervention de l’Etat. C’est une
pensée très complexe, libérale mais pas néo­classique, qui repose les fondements philosophiques et
juridiques  du libéralisme, et qui a inspiré notamment Thatcher (net dans  La Constitution de la
Liberté de 1960).
4-2-2 Nozick : une société juste est une société libre.
Robert NOZICK, Anarchie, Etat et utopie, 1974
L’approche libertarienne puise dans la tradition libérale mais se développe aux Etats­Unis dans les
années 1970.
•Au départ est considérée l’inaliénable dignité de l’être humain, qui ne peut être en aucun cas être
bafouée au nom d’un impératif collectif. Cette dignité repose sur :
­d’abord un plein droit de propriété sur soi­même (donc pas d’école obligatoire, ou de ceinture de
sécurité obligatoire…), même si on peut admettre une exception pour les enfants.
­ensuite la propriété des objets, à condition que celle­ci soit le résultat de transactions volontaires,
c’est­à­dire sans coercition mais aussi sans fraude i.e. sur la base d’une information honnête bien
qu’imparfaite.
•Le résultat est donc un principe purement 
   
 procédural   de la justice : peu importent les conséquences
(aucun souci en terme d’inégalités ou d’optimum parétien), seul compte le processus aboutissant à
la répartition. Ce processus doit être libre, donc juste, sans aucune caractérisation morale mais sans
aucune caractérisation en termes d’efficacité non plus.
•Pour évaluer une répartition, il faut donc se tourner vers le passé… Or, la situation présente est
inextricablement   injuste !   De   l’histoire   de   l’esclavage   aux   pillages   de   Napoléon,   les   processus
conduisant à l’actuelle répartition ne sont pas très libertariens, et impossible à rectifier compte tenu
de la perte d’information.
Par exemple, quelle appropriation originelle des ressources naturelles ?
Faut­il faire une table rase inaugurale ? Au moins interdire l’héritage ?
4-3 Les nouveaux libéralismes au pouvoir.
[texte Reagan 1981]
4-3-1 L’exemple britannique.
Le renouveau libéral est très net à partir des années 1980, renforcé par la chute du bloc communiste
et la fin de la guerre froide : extension du capitalisme libéral comme modèle (mais aussi comme
horizon indépassable ?).
•Les principes libéraux se diffusent, notamment à travers Margaret Thatcher, au pouvoir de 1979 à
1990 et qui a profondément marqué la Grande­Bretagne.
Elle   commence   une   vie   austère   et   laborieuse   en   servant   dés   10   ans   l’épicerie   paternelle,   puis
décroche un diplôme de chimie à Oxford, devient député aux Communes dés 1958. Elle lutte contre
deux grandes forces britanniques, les syndicats et l’aristocratie toujours dominante chez les tories,
pour remédier au “mal anglais“ et à un long déclin.
Profondément convaincue, elle prône un libéralisme intransigeant, l’initiative privée, pour un idéal
de classe moyenne propriétaire. Mais elle cherche également à renforcer l’autorité de l’Etat face aux
groupes de pression. Enfin, elle gouverne de manière assez autoritaire.
Ici comme aux Etats­Unis (notamment chez les néoconservateurs), c’est aussi la  rupture avec un
héritage rooseveltien et beveridgien.
•Le gouvernement cherche d’abord à se désengager de la production de biens et services avec un
programme massif de privatisations.
Sont concernés l’énergie (BP, British Gas, électricité sauf le nucléaire, le monopole étant éclaté en
sociétés régionales), l'industrie (Rolls, Jaguar et Rover, British Aerospace, British Steel), mais aussi
dans   les   services   (eau,   transports   avec   la  British   Rail…).   Le   problème   de   la   pérennité   des
investissements à la rentabilité de long terme se pose.
Un grand programme de vente des logements sociaux à leurs propriétaires est mis en place, et une
partie de la médecine fonctionne de manière privée avec la réforme du NHS.
Les justifications sont économiques : le produit des ventes donne des ressources à l’Etat, le marché
est plus efficace, la privatisation oblige à révéler ses préférences en préservant la liberté, mais c’est
plus profondément un choix de société visant à créer une “nation d’actionnaires et de propriétaires“.
C’est en fait un changement radical des structures institutionnelles.
•Un autre grand chantier est celui du marché du travail et de la fiscalité des revenus.
­la réforme fiscale visant à accroître l’offre de travail passe notamment par la baisse de l’impôt sur
le revenu. On passe d’une progressivité de 33% à 83% sous les travaillistes, à seulement deux
tranches (25% et 40%).
­une série d’Employment Acts et d’autres textes a flexibilisé le marché du travail : suppression du
salaire minimum et des limitations horaires pour le travail des jeunes, faible augmentation du salaire
minimum par ailleurs, et aussi modification profonde de l’exercice du droit syndical (la “dictature“
syndicale est vue comme à l'origine du "mal anglais").
D’une manière générale, l’idée est de baisser le coût du travail peu qualifié et de celui des jeunes.
En conséquence, le travail à temps partiel et à durée déterminée se développe.
4-3-2 Le cas des services publics européens?
•La situation de monopole “naturel“ est plus difficile à cerner qu’il n’y paraît.
­d’abord, le monopole peut concerner non seulement le réseau mais aussi le service rendu (comme
pour l’eau ou l’électricité pour de nombreuses applications). Mais il peut ne concerner que le réseau
(le train est en concurrence avec la voiture, le chauffage électrique avec le fuel…).
­ensuite,   historiquement,   le   périmètre   des   entreprises   a   largement   débordé   celui   de   l’activité   à
rendements   d’échelle   croissant.   C’est   notamment   là­dessus   que   portent   les   transformations
actuelles.
•Parmi les solutions choisies :
­la concession pour une durée déterminée, fréquente pour la fourniture d’eau [spécialité française
avec les deux géants Veolia et Suez­Lyonnaise].
­la séparation entre le réseau (RFF, RTE), et son exploitation qui est mis en concurrence. Parfois, le
réseau reste privé comme dans le cas de France Telecom, ce qui pose de redoutables problèmes
d’accès pour la concurrence.
Dans tous les cas, la tarification pose problème, soit que le monopole soit concédé, soit que les
services   soient   désormais   fournis   par   un   oligopole   issus   des   privatisations.   Le   régulateur   (par
exemple l’ART) intervient donc sur les prix, mais avec une asymétrie d’information (ainsi certains
très gros profits générés en Angleterre par les électriciens ont posé problème).
C’est d’ailleurs dans ce contexte que la théorie des marchés contestables a été construite.
•La question de l’aménagement du territoire reste aussi posée. La France par exemple a pratiqué
une péréquation tarifaire pour un “traitement républicain du territoire“. Dans la réglemùentation
européenne, la mission de “service universel“ est alors confiée à un des opérateurs, qui traite des
activités éventuellement non rentables en échange d’une subvention (cabines téléphoniques, ou bien
dessertes ferroviaires perdues).

CONCLUSION :
Faut­il réhabiliter l’Etat ?

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