La masterclass Rationaliser
de Bruce un portefeuille
Springsteen de marques
Gianpiero Petriglieri Chekitan S. Dev
24 CAS D’ENTREPRISE
Nouvelle
AOÛT-SEPTEMBRE 2018 | DOSSIER : BIENVENUE DANS L’ÂGE DU DRONE | BRAINSTORMING | LA MASTERCLASS DE BRUCE SPRINGSTEEN | LA STRATÉGIE À L’ÈRE DU CAPITAL SURABONDANT
formule
BRAINSTORMING
L’arme fatale
pour innover
radicalement PAGE 30
3’:HIKPOD=WV]ZUW:?a@k@c@i@k";
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L’élégante Z8 de JURA séduit même les amateurs de café et de design les plus exigeants tels que Roger Federer. Sa façade et son panneau supérieur
sont habillés d’aluminium 3 mm. La fonction One-Touch Lungo prépare des cafés longs particulièrement digestes. Le procédé d’extraction pulsée
(P.E.P.®) garantit des cafés courts parfaits et la technologie mousse fine couronne les spécialités du cappuccino au flat white d’un capuchon de mousse
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ÉDITORIAL
HABITEZ LA
« Un rêve est-il un mensonge s’il ne se réalise pas
ou est-ce quelque chose de pire encore ? » Cette question,
la rock star Bruce Springsteen la pose dans « The River »,
CHANSON QUI
une de ses chansons cultes. Dans votre vie professionnelle,
nourrissez-vous des rêves que vous craignez de ne pas
voir se réaliser ? Et cette perspective vous efraie-t-elle
au point de croire qu’il vaut mieux ne pas rêver car,
EST EN VOUS
alors, vous vous seriez menti si vous n’atteigniez pas
votre but ? Dans ce numéro de Harvard Business Review,
un article revient sur la carrière de celui qu’on surnomme
le Boss, le bien nommé Bruce Springsteen, auteur d’une
autobiographie remarquable (« Born to Run »). Gianpiero
Petriglieri, professeur à l’Insead, l’a décortiquée pour
en tirer des enseignements en matière de leadership
(lire page 126). La vie et le travail du Boss sont une
véritable masterclass.
Tous les managers peuvent tirer des enseignements
de leadership de l’un des plus grands « guitar heroes »
des cinquante dernières années. En voici un. « Dans
l’exercice de mon métier, on est aux ordres de l’imaginaire
de son public », écrit Springsteen dans « Born to Run ».
Vous aussi, soyez au service de l’imaginaire de vos clients
et de vos collaborateurs, et peut-être qu’un jour, quand
vous passerez dans un couloir, vous entendrez murmurer :
« Lui, c’est une rock star. » « Entrer dans le costard », comme
on dit, n’est pas si diicile. Il faut avant tout de la sincérité.
PHOTO : MARK KOLBE / GETTY
41
PLEINS FEUX
SUR...
BIENVENUE DANS
42 Les drones au travail
Le marché disruptif des véhicules
sans pilote est en plein essor.
Voici comment y trouver votre place.
Par Chris Anderson
82
Huit règles d’or pour
RESSOURCES HUMAINES PSYCHOLOGIE être un président
Recrutement, Le cerveau au travail de conseil d’administration
mode d’emploi Quand le management performant
Pour dénicher le candidat tire proit d’une nouvelle
en or, allez au-delà du CV. approche neuroscientiique.
Par Patty McCord Par Adam Waytz
et Malia Mason
92 102
DÉJÀ EN KIOSQUE
HARVARD BUSINESS REVIEW, FRANCE
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1RE SR Stéphanie Labruguière (53 91), avec Gaëlle Cazaban
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N° 28 Août-septembre 2018
Imprimé en Pologne : RR Donnelley, ul. Obr. Modlina 11, 30-733 KrakÓw, Poland. © PrismaMedia 2018. Dépôt légal : juillet 2018.
Diffusion : Presstalis - ISSN : 2267-4284. Date de création : janvier 2014. Commission paritaire : 0219 K 92175.
La plupart des articles de HBR édition française ont déjà été publiés par Harvard Business Review.
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Ce que les
managers ne
comprennent pas
à propos de leur
rôle de coach
Page 10
MANAGEMENT
D
La première surprise est la suivante :
ans un monde de l’entreprise Après avoir programmé 90 variables, qu’un manager consacre 36% ou 9%
idéal, les managers donnent à leurs les chercheurs ont identiié quatre proils de son temps à l’évolution des salariés
subordonnés directs un feed-back de coaching distincts : ne semble pas avoir d’importance.
constant. On croit généralement Les managers-enseignants coachent « Il y a très peu de corrélation entre le
cette démarche nécessaire les salariés sur la base de leurs propres temps passé au coaching et la performance
en raison de l’évolution rapide connaissances et expériences, en des employés, explique Jaime Roca, l’un
des organisations et des responsabilités, fournissant du feed-back sous forme de des dirigeants du département ressources
qui exige que les salariés mettent sans conseils et en supervisant personnellement humaines de Gartner. La qualité compte
cesse à jour leurs compétences. En efet, leur évolution. Beaucoup d’entre eux plus que la quantité. »
les demandes d’échanges fréquents au sujet disposent d’une grande expertise dans Deuxième surprise : les managers-
du développement sont l’une des raisons des domaines techniques et ont passé toujours-actifs hypervigilants font plus
qui poussent les entreprises à laisser des années en tant qu’opérationnels de mal que de bien. « Nous pensions que
tomber les entretiens annuels d’évaluation : avant d’obtenir des postes de managers. cette catégorie aicherait la meilleure
une conversation par an ne suit pas. Les managers-toujours-actifs forment performance, donc cela a été une vraie
Mais, dans le monde réel, le coaching en continu, surveillent de près le surprise pour nous », souligne Jaime Roca.
en continu est chose rare. Les managers développement de leurs collaborateurs, En réalité, les employés coachés par
faisant face à un trop grand nombre et donnent du feed-back sur toute les managers-toujours-actifs aichent une
de demandes et à des contraintes une série de compétences diverses. performance moindre que ceux coachés
de temps, le travail de développement Leur comportement est très proche par les managers des trois autres catégories
des compétences avec leurs subordonnés de ce qu’idéalisent généralement les – et seul ce groupe a vu sa performance
a tendance à se retrouver tout en bas professionnels des RH. Parmi les quatre se détériorer en raison du coaching.
de leur to-do list. D’après une enquête types de proils, ces managers peuvent Les chercheurs ont identiié trois raisons
menée auprès de responsables RH, sembler être les plus investis dans principales expliquant l’efet négatif des
ces derniers attendent des managers l’actualisation des compétences de leurs managers-toujours-actifs sur la performance.
qu’ils passent 36% de leurs temps à faire salariés – ils considèrent que cela fait Premièrement, si ces managers pensent
évoluer leurs subordonnés ; mais une partie intégrante de leur travail quotidien. que plus de coaching est toujours mieux,
autre enquête menée auprès des managers Les managers-connecteurs ofrent le lux constant de feed-back qu’ils
révèle qu’ils y consacrent en fait 9% un feed-back ciblé qui se limite à leurs ofrent peut en fait être écrasant et néfaste
de leur temps – un chifre qui semble domaines d’expertise ; autrement, (l’équipe de Gartner les compare à ces
encore élevé par rapport à la réalité aux ils mettent les collaborateurs en relation parents « hélicoptères », qui planent sans
yeux de nombreux subordonnés directs. avec d’autres personnes de l’équipe ou cesse au-dessus de leurs enfants et dont
Pourtant, ce chifre de 9% ne devrait de l’organisation qui sont plus à même l’implication excessive freine la capacité de
pas être inquiétant, car, quand il est de les aider. Ils passent plus de temps ces derniers à développer leur autonomie).
question de coaching, « plus » n’est pas que les trois autres proils à évaluer les Deuxièmement, puisqu’ils passent
nécessairement synonyme de « mieux ». compétences, les besoins et les intérêts moins de temps à évaluer les compétences
Pour comprendre comment les de leurs salariés, et admettent que de que devraient développer leurs salariés,
managers peuvent améliorer le coaching nombreuses compétences sont mieux ils ont tendance à les coacher sur des sujets
et le développement des compétences enseignées par d’autres que par eux-mêmes. moins en accord avec leurs besoins réels.
dont les talents prometteurs ont besoin, des Les managers-supporters adoptent Troisièmement, ils tiennent tant à coacher
chercheurs du cabinet Gartner ont sondé une approche non-interventionniste, en eux-mêmes leurs collaborateurs que,
7 300 employés et managers de divers donnant du feed-back positif et en coniant souvent, ils ne reconnaissent pas les
secteurs ; ils ont ensuite interviewé plus aux salariés la responsabilité de leur propre limites de leur propre expertise, et essaient
de 100 responsables RH et en ont sondé évolution. Ils se montrent disponibles alors parfois d’enseigner certaines choses
225 autres. Leur objectif : comprendre et encourageants, mais ne sont pas aussi qu’ils ne maîtrisent pas suisamment.
les pratiques des meilleurs managers proactifs que les autres types de managers « Cette dernière raison est dangereuse
pour aider leurs salariés à évoluer malgré le quand il s’agit du développement des – en gros, le manager ne connaît pas
rythme efréné du monde du travail actuel. compétences de leurs collaborateurs. vraiment la solution au problème donné,
il improvise et donne des informations Pour comprendre le fonctionnement enseigner elle-même. Même en sous-
erronées », précise Jaime Roca. des connecteurs, ilons une métaphore traitant de la sorte, la coach reste
En examinant de près le lien entre sportive : la coach d’un joueur de profondément impliquée en ciblant
le style de coaching et la performance tennis professionnel peut être la voix l’expertise, en gérant la mise en
des employés, les chercheurs ont identiié la plus importante pour guider le joueur relation, et en suivant les progrès.
un grand gagnant : le manager-connecteur. dans son évolution, mais elle peut aussi Pour encourager les managers
Les subordonnés de ces managers sont faire appel à d’autres experts – pour la à adopter un comportement de connecteur,
trois fois plus susceptibles de connaître préparation physique, la nutrition, et des un changement de mentalité peut être
de grandes réussites que les collaborateurs compétences spéciiques comme le service, nécessaire. « Traditionnellement, être
des trois autres proils de managers. le lob et le revers – au lieu d’essayer de tout manager signiie être directif et dire
À PROPOS DE LA RECHERCHE
« Making Founder Successions Work », par 60 MIN 21-59 MIN 6-20 MIN 5 MIN
Jari Tuomala, Donald Yeh, et Katie Smith Milway OU PLUS OU MOINS
(« Stanford Social Innovation Review », 2018). TEMPS DE RÉPONSE
CONSOMMATION PRODUCTIVITÉ
GÉRER LE PROBLÈME
ÊTRE LE DERNIER DANS LA FILE DU « TEMPS MORT »
DEUX FOIS
contre-productif : dans
l’idéal, notre recherche attirera l’attention
IMPLIQUANT DES la vie réelle, les lieux
où les clients doivent sur ce problème pour pouvoir mettre
INDIVIDUS ATTENDANT patienter disposent au point des solutions. » ■
POUR RÉPONDRE À UN souvent de repères
OU PLUS A
visuels, comme la vitesse À PROPOS DE LA RECHERCHE « The
SONDAGE, LES SUJETS relative des vendeurs, Downside of Downtime: The Prevalence
(QUELLE QUE SOIT LEUR PLACE) qui peuvent aider les and Work Pacing Consequences of Idle Time at
CHANGEAIENT DE clients à faire des choix Work », par Andrew Brodsky et Teresa M. Amabile
FILE EN MOYENNE AUGMENTÉ LE TEMPS stratégiques quand il (« Journal of Applied Psychology », 2018).
1,27 50%
s’agit de changer de ile
INNOVATION
DE LA RECHERCHE À L’ENTREPRENEURIAT,
QUELLES SONT LES CONDITIONS
POUR TRANSFORMER L’ESSAI ?
a recherche scientiique et commerce international et, enin, les chefs d’entreprise en général, et les
LE POIDS DE L’ÉTAT
Il ressort de notre étude que l’emprise
de l’Etat semble avoir un efet déterminant
sur la proportion de la population active
qui se consacre à des start-up innovantes :
entrepreneurs en particulier, le tout avec
le soutien d’une partie de l’opinion publique.
Quarante ans plus tard, c’est avec les yeux de
l’amour que l’Etat regarde les entrepreneurs.
Plusieurs gouvernements de diférents
bords sont passés entre-temps et n’ont
pourtant pas réussi à résoudre la question du
chômage de masse. On ne peut que se réjouir
du nouveau statut de l’entrepreneuriat,
période de onze ans (de 2002 à 2012). plus le rôle du gouvernement dans un mais le passage de l’opposition idéologique
Le Global Entrepreneurship pays donné est important, moins l’activité à l’emballement pourrait, à terme, se révéler
Monitor (GEM) fournit deux données de ce pays sera consacrée à des start-up décevant. Les Français ont oublié que, au
qui, combinées, permettent d’évaluer la innovantes. Une des explications début des années 2000, la classe politique,
proportion de la population qui se consacre possibles est la suivante : un Etat très sans doute inluencée par le professeur
à la création de start-up innovantes présent va naturellement réduire la part de stratégie Michael Porter, alors au
dans un pays donné : il s’agit, d’une part, de l’économie qui est accessible à des sommet de sa gloire, lançait les « pôles de
de la proportion de la population en âge entrepreneurs innovants. La recherche compétitivité ». En dépit d’un vocabulaire
de travailler – entre 18 et 64 ans – qui technique, en particulier, débouche sur un choisi, le bilan publié à ce sujet par France
se consacre à une activité entrepreneuriale entrepreneuriat innovant plus conséquent Stratégie en 2017 est malheureusement
et, d’autre part, du pourcentage de lorsque le rôle de l’Etat est limité. sans appel : malgré 1 700 projets initiés dans
start-up innovantes. A l’heure où toutes les agglomérations, 71 pôles de compétitivité et 6,8 milliards
les régions et les pays du monde rêvent d’euros mobilisés (dont environ un tiers
de créer la prochaine Silicon Valley, inancé par l’Etat), « aucun efet signiicatif
LA SCIENCE ET LA TECHNIQUE il est devenu essentiel d’aller plus loin n’[a été] décelé sur les performances situées
A ce stade, il est important de faire qu’une réplique de la théorie (douteuse) en aval de la R & D (nombre de brevets
la distinction entre recherche scientiique du ruissellement qui postulerait que déposés, chifre d’afaires, exportations,
et recherche technique. La recherche la création d’entreprises innovantes emploi, productivité du travail, etc.) ».
scientiique correspond, pour l’essentiel, découle mécaniquement de la production En vérité, malgré les nombreuses
aux découvertes qui sont exposées dans de recherche scientiique et technique. promesses de transformer telle
les revues académiques des sciences La transformation de la recherche en agglomération ou tel pays en Silicon
dites dures. Elle est en général considérée entrepreneuriat innovant est conditionnée Valley du XXIe siècle (et les candidats sont
comme diicilement exploitable par la place de l’Etat : notre étude nombreux), personne n’a encore réussi.
commercialement en l’état. La recherche établit ainsi qu’un Etat fort aide à la Comprendre les ressorts qui permettent
technique, quant à elle, intervient transformation de la recherche scientiique à une économie de prospérer et, a fortiori,
plus en aval et fait fréquemment l’objet en start-up, mais qu’un Etat limité sera de dominer la planète, demandera encore
de dépôts de brevets. Elle est donc plus eicace pour transformer la recherche de nombreuses études, et risquera fort
naturellement plus susceptible de servir technique en entreprises innovantes. de ressembler à la quête du Graal. ■
de support à une exploitation commerciale
par des entrepreneurs. BERNARD BUISSON est professeur associé
Nous avons analysé dans quelle mesure LE DÉFI FRANÇAIS de stratégie et directeur du programme MBA
à l’IMT (Institute of Management Technology) Dubaï.
un gouvernement pouvait inluencer Ces questions nous rappellent la complexité HYUNGSEOK (DAVID) YOON est professeur assistant
la nature des interactions entre ces deux de ce sujet, qui a trop souvent été en commerce international à la Leeds
types de recherche et l’entrepreneuriat abordé, en France, de façon idéologique. University Business School, au Royaume-Uni.
innovant. Cinq diférents aspects Ce qui n’exclut pas une certaine souplesse : La recherche à l’origine de cette chronique,
nous ont semblé susceptibles d’avoir le pays est passé, en quelques décennies, « A Cross-National Study of Knowledge,
Government Intervention, and Annovative
une incidence : la taille du gouvernement, d’une économie dirigée héritée de Colbert Nascent Entrepreneurship » (« Journal
le cadre légal et la sécurité de la propriété, à la Station F. Jusque dans les années 1980, of Business Research », 2018), a été menée
l’accès au inancement, la liberté du les hauts fonctionnaires regardaient de haut avec les professeurs Namil Kim et Fred Phillips.
RÉMUNÉRATION
DÉMÊLER LE LIEN ENTRE
LE SALAIRE DU P-DG
ET LA PERFORMANCE
DE L’ENTREPRISE
En 2018, l’organisme fédéral américain de réglementation et de
contrôle des marchés inanciers, l’U.S. Securities and Exchange
Commission, a commencé à exiger des entreprises qu’elles publient
le ratio entre la rémunération des P-DG et le revenu médian de leurs
employés – une décision qui relète une préoccupation croissante
LES ÉQUIPES DIRIGEANTES au sujet des inégalités salariales. Les opinions divergent quant
à la signiication qu’aura ce chifre, à l’interprétation qu’en feront
HAUTEMENT PERFORMANTES les gens et à l’impact qu’il aura sur la motivation des travailleurs
et la performance de l’entreprise. Les partisans de la « théorie des
PASSENT PRÈS DE tournois » pensent que les écarts de salaires incitent à la performance :
d’importantes variations, disent-ils, pourraient laisser penser qu’en
20
travaillant dur et en obtenant une promotion, un salarié pourrait
QUE LES ÉQUIPES rancœur chez les employés occupant des postes de niveau inférieur,
ce qui les pousserait à faire moins d’eforts ou à démissionner.
FAIBLEMENT PERFORMANTES Une nouvelle étude a cherché à déterminer la théorie qui était
juste. Conclusion : elles le sont un peu toutes les deux. En analysant
À DÉFINIR UNE STRATÉGIE, des données d’un vaste échantillon de l’indice S & P 1 500 entre
12 %
2006 et 2013, le chercheur a d’abord calculé le « ratio simple »
% DE PLUS À ALIGNER entre la rémunération des P-DG et le revenu médian des salariés.
Il a ensuite évalué quel pourcentage du salaire des P-DG était corrélé
14
il a examiné dans quelle mesure la performance de l’entreprise,
SUIVRE LES
variaient en fonction des ratios de rémunération simple et expliqué.
Les résultats sont édiiants. Le ratio de rémunération simple
PROGRÈS PAR
ne prédisait aucunement la performance de l’entreprise. Mais le ratio
entre le salaire expliqué et le salaire des employés était positivement
corrélé à une performance élevée – ce qui laisse à penser que si
RAPPORT AUX OBJECTIFS la rémunération du P-DG est essentiellement basée sur des facteurs
économiques, personnels et sectoriels, les employés la trouvaient
STRATÉGIQUES
justiiée et motivante. A l’inverse, les entreprises avec des ratios
élevés de rémunération « inexpliquée » aichaient une performance
négative et un important turn-over, et étaient moins susceptibles
d’apparaître dans un classement des « meilleurs employeurs ».
EN EXAMINANT DES INDICATEURS « En interprétant les écarts de salaires, les chercheurs risquent de
confondre inégalité salariale – une diférence de rémunération entre
CLÉS ET EN AFFECTANT LES des groupes – et iniquité salariale, c’est-à-dire l’impression que ces
diférences sont injustes », écrit le chercheur. Ses résultats suggèrent
RESSOURCES EN CONSÉQUENCE. que l’équité perçue importe bien plus que les chifres. ■
STRATÉGIE
L’ACCÉLÉRATION DU MONDE EST UNE ILLUSION
out va plus vite ? Comme vous de la chaîne d’assemblage, le temps de de soixante ans, ce qui est totalement inédit
qui ont inventé la « Cologne absolue », une nouvelle famille de parfums, et que nous soutenons depuis la création.
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* Étude TNS Kantar 2017 – Banque Populaire : 1ère banque des PME
incluant les Banques Populaires, le Crédit Coopératif et les caisses
de Crédit Maritime Mutuel.
IDÉES À SUIVRE
ENTRAÎNENT MOINS
est activée, elle garde le corps à bonne
température en brûlant des calories.
Cela peut aussi augmenter votre énergie
et votre métabolisme et aider à contrôler
DR BUIJZE,
L’ÉTUDE. Les gens se sentent vraiment
plus forts en ayant commencé la
journée en frissonnant ? On ne peut pas
DÉFENDEZ
l’exclure. Mais même si c’est simplement
un phénomène psychologique, cela m’irait
très bien. L’efet placebo a une réputation
négative en médecine, mais, dans la vie et
L’ÉTAT DE LA QUESTION
Si nous passons une bonne partie de notre vie au Cette photo a été prise après que des clients de
travail, il est quand même rare d’avoir des photos GROUPON se sont plaints d’une des premières
de nous prises au bureau. Dommage ! Car, au-delà promotions offertes par le site de réductions. Son
du fait qu’elles immortalisent un pan incontournable fondateur, Andrew Mason (débarqué en 2013), est
de la vie de chacun, ces images peuvent constituer agenouillé derrière le « W ». Valorisée 12,8 milliards de
dollars lors de son introduction en Bourse en 2011, la
un élément important de l’histoire et de la culture
société, née à Chicago en 2008, a aujourd’hui une
corporate d’une entreprise. Prenons le célèbre cliché capitalisation boursière d’environ 2,8 milliards.
(ci-dessous) des premiers employés de Microsoft (Bill
Gates et Paul Allen, les deux fondateurs de la société
à Albuquerque en 1975, figurent respectivement en
bas à gauche et à droite). Prise en 1978, cette photo
ne doit son existence qu’au fait que Bob Greenberg,
un des membres du groupe, avait remporté une
séance gratuite avec un photographe local et avait
proposé à ses collègues de se joindre à lui.
En 2008, les onze protagonistes (excepté Bob Wallace
– au milieu, au fond – décédé en 2002) se sont réunis
pour reprendre la pose. On y voit aussi Miriam Lubow,
qui faisait partie du « gang », mais était absente sur
la photo de 1978. Tous ont eu des carrières étonnantes,
et pas seulement dans le secteur du software ! Andrea
Lewis est devenue auteure de fictions, Bob O’Rear,
qui avait commencé sa vie professionnelle à la Nasa,
élève du bétail au Texas…
Le prochain Microsoft aura-t-il une photo de ce FOURSQUARE, lancé en
genre, montrant l’époque de ses débuts modestes ? mars 2009, est un média social
qui permet aux utilisateurs
HBR a demandé à des entreprises relativement
d’indiquer où ils se trouvent via
récentes du secteur de la tech de dénicher des photos un système de géolocalisation.
de leurs débuts. Les voici. Sur cette photo, prise cinq mois
après le lancement dans leurs
bureaux de New York, les
cofondateurs Naveen Selvadurai
(à gauche) et Dennis Crowley
(à droite) partageaient un
espace avec des employés.
Foursquare compte aujourd’hui
près de 250 personnes entre le
siège de New York, ses bureaux
de San Francisco, Chicago et
Los Angeles, et des équipes
notamment à Atlanta, Détroit,
Londres ou Singapour.
EBAY, le site de courtage en ligne, Valley. Ce que vous voyez là, c’est tout Lancé le 5 mai 2003, à Mountain
a été créé en septembre 1995. Son l’espace que nous avions, et nous y passions View (Californie), le réseau
fondateur, Pierre Omidyar, se souvient : la plupart de notre temps. C’était une professionnel LINKEDIN
« Jef Skoll, le premier employé d’eBay, qui période de croissance rapide pour nous, compte près de 550 millions
fut aussi son premier président, a pris cette il n’y avait aucun temps mort. Notre déi d’utilisateurs. Début 2004,
photo durant l’été 1996. On peut voir son de l’époque était : ‘‘Comment rester en vie’’. quand l’entreprise a pris cette
fauteuil vide au premier plan. On travaillait Pendant de nombreux mois, notre taux photo pour célébrer l’adhésion
dans un incubateur de start-up de la Silicon de croissance était de 50% ou plus. » de son 500 000e membre, ces
12 employés (dont Jean-Luc
Vaillant et Allen Blue, deux des
cinq cofondateurs) constituaient
l’essentiel du personnel.
LinkedIn a été racheté par
Microsoft en 2016 pour
26,2 milliards de dollars.
DÉVELOPPER MUJI
À L’INTERNATIONAL
Par Masaaki Kanai,
président de Ryohin Keikaku
Q
uand les dirigeants de discipline inancière : nous n’ouvrons une nouvelle
Seiyu, une filiale de la boutique dans une région que lorsque celles qui sont
société de commerce de déjà implantées sont bénéiciaires, et nous n’investis-
détail japonaise Saison sons pas dans la publicité. Nous voulons comprendre
Group, ont lancé en 1980 un pays et son marché de détail, résoudre les éven-
Mujirushi Ryohin (Muji), tuels problèmes opérationnels, et forger notre réputa-
une gamme exclusive d’ar- tion par le bouche-à-oreille avant de nous y implanter.
ticles ménagers, de pro- Nos produits sont durables. Nous voulons que nos
duits alimentaires et de boutiques le soient aussi.
vêtements, l’idée était de Et, ces trente dernières années, nous avons décou-
produire et de vendre de vert qu’il existe en efet un vaste marché pour Muji
beaux produits, peu coû- dans le monde entier. Nous avons continué à nous
teux, sans fioritures ni développer sur notre marché intérieur, avec 418 bou-
design excessif, dont tous tiques au Japon, mais nous en avons aujourd’hui
les consommateurs japo- presque autant (403) dans 27 pays en Europe, en
nais pourraient avoir Amérique du Nord, en Australasie et au Moyen-
besoin. D’ailleurs, le nom Orient. Exploitée par Ryohin Keikaku, qui a fait son
de la marque, Mujirushi Ryohin, signiie « produits de entrée à la Bourse de Tokyo en 1998, Muji reste une
qualité sans marque ». entreprise japonaise. Mais nous sommes iers de nous
Au départ, notre priorité n’était pas de développer présenter comme une marque internationale.
l’activité, mais de concrétiser le concept. Nous étions
cependant convaincus qu’il existait une demande
pour notre marque non labellisée – pour ses produits LES DÉBUTS À L’INTERNATIONAL
et ses valeurs – en dehors du Japon. J’ai rejoint Seiyu en 1976 avant d’être transféré chez
A la fin des années 1980, nous avons décidé de Ryohin Keikaku en 1993. Pour moi qui ai gravi les
tâter le terrain : Muji participa à une exposition de échelons au sein de notre division maison, la perspec-
produits japonais organisée à Londres et suscita un tive d’apporter au reste du monde ce que Muji avait à
vif intérêt de la part des détaillants anglais. Harrods ofrir m’a toujours intéressé. Mais, bien entendu, ce
fut le premier à vouloir commercialiser la marque, fut un long apprentissage.
mais mes prédécesseurs déclinèrent l’ofre, pensant
que la culture de cette entreprise ne leur correspon-
dait pas. Nous avons inalement décidé de lancer un
joint-venture avec Liberty, une grande enseigne
NOS PRODUITS SONT
britannique davantage axée sur le design. Ce partena-
riat nous insuffla une certaine audace. Nous nous
DURABLES. NOUS VOULONS
sommes trouvé un nouvel objectif : transmettre notre
philosophie du design de qualité, abordable et du-
QUE NOS BOUTIQUES
rable dans le monde entier.
D’ordinaire, lorsqu’une entreprise s’aperçoit que
LE SOIENT AUSSI.
ses produits sont demandés à l’étranger, elle essaie de
se développer rapidement. Mais, n’ayant aucun Notre première incursion sur le marché britan-
concurrent émergent à l’époque et manquant de per- nique – le joint-venture avec Liberty – ne nous
sonnel expérimenté et de systèmes intégrés stables, convenait pas. Non pas que nos produits ne se ven-
nous avons dû faire preuve de circonspection. Nous daient pas ; ils se vendaient bel et bien. Nous avions
avons donc commencé à nous aventurer sur les mar- un problème de décalage stratégique. Nous savions
chés étrangers avec prudence et après mûre rélexion. exactement comment introduire et développer cor-
En 1991, un an après le transfert de Muji de Seiyu à rectement Muji à l’étranger, et nous pensions pou-
la toute nouvelle entité Ryohin Keikaku, nous avons voir tirer parti des ressources de Liberty. Mais, en
ouvert des boutiques indépendantes à Londres et à déinitive, nous décidâmes qu’une boutique indé-
Hong Kong. Mais nous avons attendu 1998 pour lan- pendante, que nous pourrions directement exploi-
cer notre marque dans d’autres métropoles euro- ter, serait le meilleur moyen de présenter notre
péennes et 2005 pour entrer sur le marché de la Chine concept aux clients. Même si Liberty est resté notre
continentale, bien que celui-ci eût émergé des années partenaire et expert local, nous avons ouvert en 1991
plus tôt comme le plus grand marché de détail au une boutique sur Regent Street, à Londres, près
monde. Nous avons ouvert notre première boutique d’Oxford Circus. Nous ne disposions que de
aux Etats-Unis en 2007. 155 mètres carrés, mais nos produits, avec leur de-
Etant toujours une petite entreprise, nous mainte- sign sobre, sans marque et monochrome, étaient
nons ce rythme lent et régulier en partie grâce à notre uniques, et la boutique eut beaucoup de succès.
L’EXPANSION DE MUJI
OUVERTURES DE MAGASINS À TRAVERS LE MONDE
JAPON ROYAUME-UNI SINGAPOUR FRANCE
LE PREMIER MAGASIN
1983 MUJI INDÉPENDANT
1991 1995 1998
CORÉE DU SUD TAÏWAN CHINE
1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
26 HARVARD BUSINESS REVIEW AOÛT-SEPTEMBRE 2018
HBRFRANCE.FR
Nous avons cependant fait quelques faux pas. Au quartiers de la ville. En 1995, nous nous sommes in-
départ, nous avons envoyé des acheteurs japonais qui téressés à une autre plaque tournante asiatique :
maîtrisaient parfaitement l’anglais et visaient l’ei- Singapour. Nous avons créé un autre joint-venture et
cience. Nous avons cependant vite découvert qu’ils ouvert un magasin à Bugis Junction (un grand centre
n’étaient pas totalement eicaces : s’ils approvision- commercial, NDLR). Dans un cas comme dans
naient certes la boutique en produits les plus vendus, l’autre, nos partenaires locaux avaient un lien avec
ils n’apprenaient pas à notre personnel local à agencer Seiyu, la société mère de l’époque, ou étaient sélec-
l’éventail de produits et les surfaces d’exposition dans tionnés par celle-ci.
le style de Muji. La boutique était donc très diférente Même si les clients de ces marchés aimaient nos
de ce que nous avions envisagé. produits et même si les recettes étaient importantes,
Ryohin Keikaku, récemment devenue indépen- nous rencontrions des problèmes similaires à ceux
dante, était toujours fragile sur le plan opérationnel. auxquels nous avions été confrontés au Royaume-
Seiyu et Saison Group avaient une petite expérience Uni. Les partenariats asiatiques n’étaient pas rentables
en matière d’exportation, mais, comme aucun cadre et, comme nos partenaires et nous-mêmes avions des
disposant de l’expérience pertinente n’avait été trans- diicultés à prospérer dans une économie japonaise
féré à notre iliale, nous devions nous reposer dans toujours en stagnation, en 1998, nous avons décidé de
une large mesure sur Liberty pour l’administration et nous retirer de Hong Kong et de Singapour.
la logistique. Ce qui a ini par entraîner des diicultés.
Les responsables de Liberty avaient leur propre acti-
vité à gérer ; nous n’étions pas leur première priorité.
Et nous étions obligés de répercuter nos frais d’exploi-
LA CULTURE DU RECOURS
tation élevés sur nos prix, ce qui éliminait la dimen-
sion « bon marché » de notre concept.
AU CONTENTIEUX DES
Et pourtant, la réaction des clients est restée en-
courageante. En 1994, nous avons donc mis in à notre
CONSOMMATEURS AMÉRICAINS
partenariat avec Liberty et avons créé une iliale euro-
péenne pour gérer la première boutique de Londres, NOUS FAISAIT PEUR.
puis la deuxième et la troisième, et en déinitive notre
première boutique en Europe continentale, Muji Nous ne sommes toutefois pas restés absents long-
Saint-Sulpice, à Paris. temps. En 2000, mon prédécesseur, Tadamitsu
A cette époque, nous ne disposions pas de stratégie Matsui, fut nommé président de Ryohin Keikaku et
ou de règles claires pour déterminer les lieux où nous s’employa à rationaliser l’organisation et les opéra-
développer. Nous nous contentions de rechercher les tions de Muji. En 2001, nous disposions d’une stabilité
zones commerciales urbaines regorgeant de per- inancière suisante pour réexaminer nos ambitions
sonnes susceptibles d’acheter nos produits. Ces intui- panasiatiques. La même année, nous avons créé une
tions s’avérèrent productives, jetant les bases de notre filiale à Hong Kong et rouvert des boutiques, au
croissance en Europe, qui advint des années plus tard. rythme de deux par an. En 2003, nous avons fait la
même chose à Singapour et ouvert une boutique en
Corée ; puis, en 2004, nous avons créé la iliale Muji
L’EXPANSION SUR LE MARCHÉ ASIATIQUE Corée (nous avons également repris notre expansion
Au cours des années 1990, nous nous sommes aussi en Europe à la même époque, avec des contrats de
développés plus près de chez nous, par saccades, pas licence en Scandinavie et la création de Muji Italie).
seulement au Japon mais aussi sur d’autres marchés Vint ensuite notre entrée sur le marché de la Chine
asiatiques. Nous avons ouvert notre première bou- continentale. Au début des années 2000, nous avons
tique à Hong Kong, là aussi avec un partenaire local, commencé à observer que, bien que nous ayons dé-
à peu près en même temps que celle de Londres, posé notre marque et notre logo dans le pays, d’autres
en 1991. Nos ventes ont excédé les prévisions dès la entreprises les utilisaient (les mêmes lettres, les
première année et, au cours des quatre années sui- mêmes caractères japonais) pour vendre des produits
vantes, nous nous sommes développés dans d’autres de mauvaise qualité, bariolés et d’un design douteux,
SHANGHAI
PHILIPPINES AUSTRALIE VE AVENUE, NEW YORK
CORÉE DU SUD CHINE POLOGNE KOWEÏT
ALLEMAGNE PORTUGAL EAU
TAÏWAN CANADA ARABIE SAOUDITE
ÉTATS-UNIS INDONÉSIE INDE
ITALIE MALAISIE BAHREÏN
IRLANDE SUÈDE ESPAGNE
THAÏLANDE
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
AOÛT-SEPTEMBRE 2018 HARVARD BUSINESS REVIEW 27
IDÉES À SUIVRE COMMENT J’AI FAIT POUR...
prendre notre temps et de n’ouvrir de nouvelles bou- A l’étranger, nous continuons à progresser avec pru-
tiques que lorsque nous étions prêts. dence, au moment opportun. Nous restons fidèles à
Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés notre politique, qui veut que nous n’ouvrions de nou-
sur les zones urbaines ou universitaires et les lieux velles enseignes que lorsque celles qui existent déjà
dans lesquels nos ventes en ligne sont fortes. Mais les dans le pays ou la région sont rentables, et nous faisons
marchés américains matures comme ceux dans les- coniance aux renseignements que nous fournissent
quels nous nous sommes implantés sont difficiles nos managers locaux. Nous avons trois directeurs ré-
pour de nombreuses raisons. Comme notre produc- gionaux – pour l’Europe et l’Amérique du Nord ; pour
tion reste principalement localisée en Asie, nos l’Asie de l’Est (Chine, Hong Kong, Corée du Sud et
marchandises doivent traverser l’océan pour parve- Taïwan) ; et pour l’Asie du Sud et de l’Ouest et l’Océanie
nir à ces points de vente. Mais d’ici cinq à dix ans, à (Australie, Inde, Indonésie, Malaisie, Moyen-Orient,
mesure que nous développons notre présence aux Philippines, Singapour et Thaïlande) – à qui les direc-
Etats-Unis, nous espérons fabriquer une partie de teurs pays rendent compte. Les directeurs régionaux
nos produits – comme nos systèmes de rangement à proposent de nouveaux emplacements lors des réu-
usage domestique – en Amérique. De plus, comme nions du comité de planiication des magasins, aux-
les loyers, la main-d’œuvre et les coûts de construc- quelles Satoru Matsuzaki, le président de Muji et moi-
tion sont élevés, en particulier dans les régions où les même (maintenant en ma qualité de président du
syndicats sont actifs, nous ne pouvons pas construire conseil) assistons. Les décisions inales y sont prises,
de grands magasins et proposer autant de produits sur la base des directives que nous avons établies
ou les vendre aussi peu chers que nous le souhaite- en 2003. Nos nouveaux marchés sont, entre autres,
rions. Mais nous essayons de surmonter cette dii- l’Arabie saoudite, Bahreïn et l’Inde, où nous avons
culté par un travail pointu de sélection : nous ouvert nos premières boutiques en 2016.
mettons un point d’honneur à créer le parfait éven-
tail de produits pour chaque lieu.
Dans ces villes, la concurrence reste féroce, et l’ab-
sence délibérée de publicité – un autre pilier de notre DANS DES LIEUX CARACTÉRISÉS
philosophie de la simplicité – nous gêne quelque peu.
Mais nous avons constaté que nous pouvions comp- PAR UNE SURABONDANCE DE
ter sur la qualité de nos produits et de nos commer-
ciaux, ainsi que sur le bouche-à-oreille de nos clients PRODUITS À ACHETER, NOUS PENSONS
pour sortir du lot. Pour y parvenir, nous avons, entre
autres, importé de nouveaux concepts de vente au QUE NOS PRODUITS PEUVENT
détail sur le marché américain. Par exemple, dans
notre boutique phare de New York, sur la Ve Avenue,
nous avons intégré des services personnalisés de
ÊTRE PARTICULIÈREMENT UTILES.
création d’huiles essentielles et de broderie.
Les opérations hors du Japon représentent désor-
mais 35% de notre activité, et nous avons l’intention
UN CONTREPOINT AU MERCANTILISME de poursuivre notre développement à l’international.
Comment avons-nous réussi une telle expansion Cependant, nous n’avons pas pour objectif de nous dé-
internationale tout en nous développant sur notre velopper autant que possible, nous cherchons plutôt à
marché intérieur dans un environnement écono- faire preuve de ténacité dans notre quête pour tenir la
mique encore peu propice ? D’un côté, les clients ont promesse de Muji et à être utiles dans la vie d’indivi-
toujours considéré que Muji présentait un bon rap- dus partout dans le monde. C’est notre déinition de la
port qualité-prix ; nous avons donc obtenu de meil- réussite commerciale, élaborée comme un contrepoint
leurs résultats que bien d’autres lors du ralentisse- au mercantilisme à outrance. Nous souhaitons rendre
ment économique qu’a connu le Japon. Nous avons les produits de bonne qualité et durables accessibles
testé différentes catégories sur notre marché inté- au plus grand nombre et entamer des discussions sé-
rieur – par exemple, nous disposons aujourd’hui de rieuses sur l’importance de la durabilité.
cafétérias, de maisons et de campings, qui se sont Dans notre dernier plan stratégique, nous nous
avérés populaires. Aujourd’hui, nous nous intéres- sommes concentrés sur l’expression japonaise
sons également à des régions du pays plus petites, kanji-ii-kurashi. C’est une expression diicilement
plus reculées, où les quartiers autrefois commerçants traduisible, mais qui signiie en substance « vivre en
sont aujourd’hui des villes fantômes ; on parle des faisant partie d’une communauté, de manière
« rues des rideaux de fer », car toutes les boutiques simple, responsable et harmonieuse ». Nous aime-
ferment leurs devantures. Nous pensons qu’en y éta- rions voir cette idée faire son chemin dans les régions
blissant une boutique ou un café Muji, nous pour- les plus peuplées comme dans les régions les plus
rions peut-être réussir à leur redonner vie. isolées de la planète.
POUR UN MEILLEUR
BRAINSTORMING
Pour trouver des idées innovantes, concentrez-
vous sur les Questions, pas sur les Réponses.
PAR HAL GREGERSEN
R
L’IDÉE EN BREF
LE PROBLÈME
Les gens innovants ont
toujours su que la clé pour
faire surgir une meilleure
réponse est de poser
une meilleure question
qui remette carrément
en cause des postulats
profondément enracinés.
Pourtant, la plupart des
gens ne le font pas, même
lors d’un brainstorming,
parce que cela ne vient
pas naturellement. Par
conséquent, ils ont tendance
à se sentir bloqués dans leur
recherche d’idées nouvelles.
LA SOLUTION
En recherchant des
questions plutôt que
des réponses, vous
pouvez établir un climat
de confiance qui
permettra ensuite
d’analyser les problèmes
plus en profondeur et de
les résoudre de manière
efficace. Ce bref exercice
de recadrage (qui
vous aide à éviter des
dynamiques de groupe
destructrices et des
partis pris susceptibles
de contrarier les opinions Retour en arrière : il y a environ vingt ans, je dirigeais
permettant d’avancer)
révèle souvent de nouveaux une séance de brainstorming dans un cours de MBA
angles prometteurs
et des idées inattendues. dont j’étais chargé et j’avais l’impression de pédaler
dans la semoule. Nous discutions d’un thème avec
lequel de nombreuses organisations se débattent :
comment construire une culture de l’égalité dans un
environnement majoritairement masculin ? Bien que
ce fût un problème important aux yeux des étudi-
ants, ils n’étaient de toute évidence pas inspirés par
les idées qu’ils émettaient. Après moult discussions,
le niveau d’énergie dans la salle frôlait le néant.
Jetant un œil à l’horloge, je décidai de nous donner
au moins un point de départ pour la session suivante,
et d’improviser :
R
les élèves quittèrent la classe en discutant de manière vient pas naturellement à la plupart des gens, parce
passionnée de quelques questions qui avaient émergé que nous sommes conditionnés dès le plus jeune âge à
(de celles qui remettaient en cause des hypothèses ne produire constamment que des réponses.
basiques que nous avions faites). Par exemple : y La méthodologie que j’ai développée est essentiel-
avait-il des eforts fournis au bas de l’échelle que nous lement un processus destiné à reformuler les pro-
pourrions soutenir, plutôt que de transmettre des blèmes d’une manière neuve et fructueuse. Elle aide
règles depuis le haut ? Et aussi : que pourrions-nous les individus à adopter des habitudes intellectuelles
apprendre de certains départements de notre propre plus créatives et, lorsqu’ils cherchent à avancer, leur
organisation qui avaient réussi à instaurer une
réelle égalité, au lieu de chercher machinalement
de meilleures pratiques ailleurs ? Tout à coup, il y
avait bien plus de matière à débattre, car nous
avions trouvé des moyens inattendus capables
de mener à des solutions potentielles.
Brainstormer en quête de
Jusqu’alors, je n’avais jamais tenté l’expé-
rience de me creuser les méninges à la recherche questions plutôt qu’en quête de
de questions plutôt que de réponses. Cela m’est
venu sur le moment, probablement parce que je
venais de lire les premiers travaux du socio-
réponses permet plus facilement
logue Parker Palmer sur les découvertes créa-
tives dues à des questions ouvertes et honnêtes. de dépasser des biais cognitifs et
Mais cette technique fonctionna si bien avec les
étudiants que je commençai à l’expérimenter
lors de mes missions de conseil et, inalement,
de s’aventurer en terrain inconnu.
elle devint une méthodologie que je continue
d’ainer. Au moment où je vous parle, je l’ai uti-
lisée avec des centaines de clients, y compris
avec des équipes travaillant dans des multinationales donne une impression de contrôle. En réalité, ils
comme Chanel, Danone, Disney, EY, Fidelity, peuvent faire mieux que rester assis et espérer un
Genentech, Salesforce et avec des dizaines d’autres éclair de génie. Je décrirai ici comment et pourquoi
entreprises ou d’organisations à but non lucratif ainsi cette approche fonctionne. Vous pouvez l’utiliser à
qu’avec des leaders que j’ai coachés. chaque fois que (au sein d’un groupe ou individuelle-
A l’origine de cette approche, il y a une reconnais- ment) vous vous sentez bloqué ou que vous essayez
sance plus large du fait que de nouvelles questions d’imaginer de nouvelles possibilités. Et si vous en
engendrent souvent de nouvelles (et parfois signiica- faites une pratique régulière dans votre organisation,
tives) idées. Réfléchissez à cet exemple tiré du do- cela peut encourager une culture plus forte de résolu-
maine de la psychologie : avant 1998, pratiquement tion des problèmes et de recherche de la vérité.
tous les psychologues aguerris s’occupaient d’atta-
quer les troubles et déicits mentaux à la racine, par-
tant de l’hypothèse que le bien-être découlait de QUEL PROCÉDÉ
l’absence de ces états négatifs. Mais ensuite, Martin DEVRIONS-NOUS SUIVRE ?
Seligman devint président de l’American Psychologi- Au il des années, j’ai testé des variantes de ce pro-
cal Association (APA) et changea le point de vue de ses cédé de brainstorming – que j’appelle désormais
collègues. « Et si, demanda-t-il lors d’un discours à la « rafale de questions » (et j’ai collecté et analysé les
réunion annuelle de l’APA, le bien-être était simple- données et le feed-back des participants ain de me-
ment déterminé par la présence de certains états surer ce qui fonctionne le mieux). J’ai testé diffé-
positifs – des solutions permettant de se développer rentes tailles de groupes, différentes durées et un
qui pourraient être reconnues, mesurées et culti- nombre variable de questions ; des séances improvi-
vées ? » Cette question lança le mouvement de la sées contre des séances programmées ; des façons
psychologie positive. variées de capter les idées ; et un coaching plus ou
Brainstormer en cherchant des questions plutôt moins appuyé (sur, par exemple, ce qui constitue une
que des réponses permet plus facilement de dépasser « bonne » question et la façon de développer une
des biais cognitifs et de s’aventurer en terrain inconnu. intuition créative en réléchissant). J’ai pris la tempé-
Nous avons observé cette dynamique dans des études rature et analysé chaque séance pendant et après son
académiques – dans les recherches du spécialiste de la déroulement ain de déterminer les efets de chaque
psychologie sociale, Adam Galinsky, sur le pouvoir de technique. Au il du temps, la rafale de questions a
la reformulation en période de transition, par exemple. trouvé un format standard qui se décompose en trois
Pourtant, s’attarder sur un mode interrogateur ne étapes :
TOUTES LES
QUESTIONS UN
Préparez le terrain. Pour commencer, choisissez un
déi qui vous tient vraiment à cœur. Peut-être avez-
NE SE VALENT PAS vous subi un contretemps ou avez-vous un avis confus
à propos d’une opportunité séduisante. Comment sa-
voir si un déi est prêt à être soumis à une question qui
Souvent, lorsque je décris les règles d’une séance
le fera avancer ? C’est certainement le cas si ce déi fait
de rafale de questions, on me demande quel
« battre votre cœur rapidement », comme me l’a conié
genre de questions poser (ou comment être sûr
Brad Smith, le P-DG et président du conseil d’adminis-
qu’une question va être utile pour la suite). Alors
tration d’Intuit. Vous y accorderez toute votre atten-
que j’hésite à faire autorité sur ce sujet, il est vrai
tion et voudrez impliquer les autres dans la rélexion.
que toutes les questions n’ont pas un potentiel égal
Invitez quelques personnes à vous aider à voir ce
pour mener à de nouvelles solutions. Pour augmenter
déi sous de nouveaux angles. Bien que vous puissiez
vos chances, gardez ces principes en tête :
faire cet exercice seul, faire participer d’autres per-
sonnes au processus vous donnera accès à une base de
• Les techniques traditionnelles de pensée divergente connaissance plus large et vous aidera à maintenir un
(par exemple, faire des associations aléatoires état d’esprit constructif. Comme Edward Hallowell le
ou utiliser un personnage alternatif) peuvent aider dit dans « Driven to Distraction at Work » (fondé sur
à révéler de nouvelles questions et, inalement, des décennies de recherches sur la façon d’entretenir
de nouveaux territoires. l’attention productive), l’inquiétude « se délecte de
victimes solitaires ». Quand vous demandez aux
• Les questions sont plus productives quand elles
autres de participer à une rafale de questions, vous
sont ouvertes plutôt que fermées, courtes plutôt que
vous rendez vulnérable en partageant le problème
longues, et simples plutôt que complexes.
– mais vous faites aussi appel à l’empathie, ce qui en-
• Les questions descriptives (Qu’est-ce qui fonctionne ? courage la génération d’idées, comme nous l’avons
Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Pourquoi ?) doivent appris grâce au design thinking ; vous engagez aussi
idéalement précéder les questions spéculatives les autres dans la cause de façon non menaçante.
(Et si ? Que se passerait-il ? Pourquoi pas ?). Il est mieux d’inclure deux ou trois personnes qui
n’ont pas directement fait l’expérience du problème
• Passer de questions simples ne faisant appel
et dont le style cognitif et la vision du monde sont
qu’à la mémoire à des questions plus complexes sur
concrètement différents des vôtres. Ils trouveront
le plan cognitif et exigeant une synthèse créative
des questions surprenantes et percutantes aux-
engendre des façons de penser plus innovantes.
quelles vous n’auriez pas pensé, parce qu’ils n’ont pas
• Les questions sont ennuyeuses et perturbantes votre connaissance du problème et qu’ils n’ont pas
quand elles ne jaillissent pas de la volonté ferme non plus d’intérêt à ne pas voir avancer les choses. Ils
du groupe d’accomplir quelque chose. sont plus susceptibles de poser les questions qui
fâchent et de mettre les pieds dans le plat (ils ne
• Les questions sont toxiques lorsqu’elles sont
savent pas faire autrement).
posées de façon agressive, mettent les gens
Dans les brainstormings traditionnels (le genre qui
dans l’embarras, jettent un doute injustiié sur
se préoccupe davantage de générer des réponses), les
leurs idées ou entretiennent une culture de la peur.
individus sont en moyenne plus performants que les
groupes. C’est parce que de puissantes dynamiques de
groupe telles que « la paresse sociale » (se reposer sur
les contributions des autres) et l’anxiété sociale (la
peur due au jugement qui va être porté sur nos idées)
peuvent entraver les opinions originales et étoufer les
voix des membres introvertis. Mais la méthodologie
de la rafale de questions, par essence, inverse beau-
coup de ces dynamiques destructives en incitant cha-
cun à se défaire de ses habitudes d’interactions
sociales. D’abord, cela crée un espace sécurisé pour
que tout le monde (y compris une personne plus ré-
servée) puisse ofrir une perspective diférente. Parce
qu’une rafale de questions n’exige pas que chacun
fasse valoir instantanément son point de vue, les indi-
vidus se sentent souvent plus à l’aise pour prendre la ment de susciter de nouvelles et précieuses questions,
parole. Le fait de se concentrer uniquement sur les mais aussi de fournir une stimulation émotionnelle qui
questions interrompt le déferlement automatique vous rendra plus susceptible d’y donner suite.
pour fournir une réponse (et, en déinitive, cela aide à Je devrais ici souligner que votre énergie créative va
établir un climat de coniance qui permet d’explorer le luctuer au cours des prochains jours, semaines et mois
problème plus en profondeur). (il est primordial de vous y préparer). Les idées trans-
Une fois que vous aurez réuni vos partenaires pour formationnelles sont exaltantes au début mais de-
cet exercice, donnez-vous juste deux minutes pour viennent problématiques à mesure que des pépins
leur exposer le problème. Les gens croient souvent imprévus apparaissent. Ensuite, elles se muent en tra-
que leurs problèmes ont besoin d’être expliqués en vail acharné, lequel, si tout se passe bien, produit des
détail, mais partager le déi rapidement vous oblige à moments d’espoir qui mèneront le changement à bien.
l’exposer de manière exigeante sans contraindre ou Si vous vous attendez à ces perturbations dès le départ,
orienter les questions. Ne mentionnez donc que les vous serez mieux à même d’y faire face plus tard.
choses importantes. Essayez de montrer quels chan-
gements positifs se produiraient si le problème était
résolu. Et dites brièvement pourquoi vous êtes bloqué
– pourquoi il n’a pas déjà été résolu.
Cette approche a aidé Odessa, manager dans une
multinationale du secteur financier, à recadrer ce
qu’elle voyait initialement comme un déi de commu-
DEUX
Faites fuser les questions. Maintenant, program-
mez un minuteur et passez les quatre prochaines
nication complexe : présenter une nouvelle stratégie minutes à générer collectivement autant de questions
à des personnes accomplissant diférentes tâches à que possible concernant le défi. Comme dans tout
des niveaux variés à travers de nombreux départe- brainstorming, ne permettez pas qu’une quelconque
ments de l’organisation. Elle a fourni une explication contribution soit écartée. Plus les questions sont sur-
simple en préambule de sa séance de rafale de ques- prenantes et provocantes, mieux c’est.
tions, partageant ses espoirs de voir chacun « ramer Lorsque je travaille avec de grandes entreprises, je
dans la même direction » et sa contrariété quant au remarque souvent que les cadres supérieurs, en
fait qu’un envoi groupé de messages ne puisse pas
convenir, étant donné la diversité des rôles et des
perspectives des employés. En n’ajoutant rien de
plus, elle a fait de la place à une série de questions qui
ont radicalement changé sa compréhension. Elle en
est venue à voir cela comme un déi de leadership,
pas seulement comme une campagne de marketing
interne. Si elle pouvait trouver un moyen de faire
coniance aux autres pour transmettre la stratégie,
elle pouvait mobiliser une petite armée de managers
dans le secteur pour tailler des messages sur mesure
et avoir un impact local maximal.
Avant de laisser la parole aux membres du groupe,
énoncez clairement deux règles cruciales. Première-
ment, ils peuvent uniquement poser des questions.
Ceux qui essaient de suggérer des solutions (ou qui
répondent aux questions des autres) seront recadrés
par vous-même, l’organisateur de la réunion. Deuxiè-
mement, ni préambule ni justification cadrant les
questions ne seront autorisés, parce qu’ils conduisent
ceux qui écoutent à envisager le problème de façon
biaisée (exactement ce que vous cherchez à éviter).
Vous aurez aussi intérêt à vérifier vos émotions à
l’avance. En tant que « propriétaire » du déi, prenez un
moment pour y réléchir : vos sentiments le concernant
sont-ils positifs, neutres ou négatifs ? Griffonnez
quelques mots pour décrire votre humeur de base. Pas
besoin d’y passer plus de dix secondes. Vous ferez la
même chose une fois la session achevée. Ces vériica-
tions sont importantes parce que les émotions afectent
l’énergie créative. L’objectif de l’exercice est non seule-
particulier, trouvent terriblement diicile de résister à tions peut tourner au pensum. Pour ces deux raisons
la tentation d’apporter des réponses (même pendant il vaut mieux utiliser de multiples rafales de questions
quatre minutes) lorsque les participants commencent pour repenser, ainer et enin résoudre un déi, plutôt
à poser des questions. Dans une entreprise de fabrica- que de surcharger une séance de travail.
tion, par exemple, lorsque des questions sur des Une fois que le temps imparti est écoulé, procédez
problèmes de supply chain ont commencé à émerger, à une seconde vériication émotionnelle rapide. Com-
le leader du groupe ne pouvait s’empêcher de s’en mê- ment vous sentez-vous par rapport au déi, mainte-
ler et de faire étalage de ses connaissances. Cet élan nant ? Et comment les autres membres du groupe se
est compréhensible, et pas uniquement pour les sentent-ils ? Etes-vous plus positif qu’il y a quatre mi-
cadres supérieurs. Dans une hiérarchie, tout défaut de nutes ? Si c’est non, et si le cadre le permet, retentez
réponse instantanée de la part d’un manager peut être peut-être l’exercice. Ou reposez-vous et essayez à
vu comme une hésitation embarrassante. Les ques- nouveau demain. Ou faites l’expérience avec d’autres
tions, particulièrement celles qui sont contre- personnes. Les recherches ont établi que la résolution
intuitives, mettent beaucoup d’entre nous tellement créative de problèmes fonctionne bien lorsque les
mal à l’aise que nous nous hâtons de donner n’im- gens travaillent dans des états émotionnels positifs.
porte quelle réponse par défaut, ce qui nous permet Après avoir examiné des données d’enquêtes réalisées
de gagner du temps pour nous rattraper. Mais quand sur plus de 1 500 leaders de multinationales, je suis
nous nous sentons bloqués par un problème, répondre convaincu que le pouvoir de la rafale de questions ré-
à des questions de cette façon est une perte de temps. side en partie dans sa capacité à modiier la façon dont
Après tout, la raison pour laquelle nous sommes mal à une personne voit le déi, en faisant disparaître (en
l’aise est que nos réponses toutes faites ne nous grande partie) cette impression d’être dans l’impasse.
mènent nulle part.
Dans cet exercice, l’accent est mis sur la quantité.
En demandant au groupe de générer le maximum de
questions dans le temps imparti (essayez d’obtenir au
moins 15 questions), vous ferez en sorte qu’elles
soient courtes, simples et inédites. Ecrivez chacune
d’elles mot pour mot sur du papier, un ordinateur ou
TROIS
Identifiez un but et tenez-vous-y. Seul, passez en
revue les questions que vous avez griffonnées en
une tablette plutôt que sur un tableau blanc, ain d’en cherchant celles qui suggèrent de nouvelles pistes.
capter tous les détails avec précision. Et demandez Dans 80% des cas, cet exercice génère au moins une
aux membres du groupe de vérifier que vous faites question qui recadre utilement le problème et fournit
honnêtement le job. Autrement, vous risquez in- un nouvel angle pour le résoudre. Choisissez-en
consciemment de censurer des questions que vous ne quelques-unes qui vous intriguent, vous paraissent
comprenez pas immédiatement ou que vous ne vou- diférentes de la façon dont vous gérez les choses ou
lez pas entendre. même vous font vous sentir légèrement mal à l’aise.
En même temps que vous consignez les questions, Maintenant, essayez d’en faire un nouveau groupe
ajoutez-y les vôtres. Cela révélera souvent des habitu- de questions qui sont liées ou qui en suivent la lo-
des sur la façon dont vous structurez un problème gique. Une façon classique d’y parvenir est la méthode
(habitudes que vous avez peut-être perpétuées sans des « cinq pourquoi » développée par le fondateur de
vous en rendre compte). Toyota Industries, Sakichi Toyoda (ou la variante
Y a-t-il quelque chose de magique dans les chifres suggérée par Michael Ray, de Stanford, dans « The
4 (minutes) et 15 (questions) ? Non, mais la contrainte Highest Goal »). Demandez-vous pourquoi la question
de temps aide les participants à coller à la règle consis- que vous choisissez semblait importante ou signiica-
tant à ne poser que des questions. Tout efort consacré tive. Puis, demandez-vous pourquoi la raison que
à apporter des réponses diminue les chances d’at- vous venez de donner est importante (ou pourquoi
teindre l’objectif. Le groupe sera aussi davantage c’est un point de friction). Et ainsi de suite. En com-
susceptible de poser des questions qui ne soient pas prenant mieux pourquoi une question importe réelle-
inluencées par des hypothèses et des réserves, et ils ment et quels obstacles vous êtes susceptible de ren-
trouveront plus facile de résister à la tentation d’expli- contrer en vous y confrontant, vous intensiiez votre
quer pourquoi ils posent cette question qui peut sem- détermination et votre aptitude à agir et à élargir
bler étrange. Encore mieux, des études montrent que encore plus l’éventail de solutions possibles. Dans le
des pressions modérées sur la performance peuvent cas d’Odessa, la manager ayant une stratégie à présen-
améliorer le rendement créatif. ter, une question capitale (pourriez-vous recruter des
De plus, peut-être parce que l’attention sélective et leaders de terrain pour communiquer la stratégie lo-
prolongée pose de vraies exigences au cerveau hu- calement ?) a amené d’autres questions : pourquoi
main, l’énergie diminue souvent dans cet exercice n’ai-je pas fait cela par le passé ? Pourrais-je faire
après trois minutes et demie (surtout chez les débu- confiance à d’autres pour faire cela correctement ?
tants). Et, en pratique, transcrire des dizaines de ques- Pourquoi ai-je du mal à faire davantage coniance ?
Finalement, engagez-vous à poursuivre au moins vers des perspectives nouvelles et vers la créativité. Le
une des pistes que vous avez identifiées (et faites-le procédé deviendra également plus simple à mesure
comme un chercheur de vérité). Je reprends ici l’expres- que vous le mettrez en pratique. Lorsque les gens en-
sion de l’ingénieur de la Nasa Adam Steltzner, qui a tra- clenchent leur activité d’interrogation pour la première
vaillé au Jet Propulsion Laboratory où une bande de fois avec cette approche, cela semble étrange parce que
« cinglés », mais dans le bon sens du terme, réussissent cela sort des normes établies dans le monde réel et dans
à accomplir des choses telles que faire atterrir un robot le monde du travail. Car, depuis l’enfance, ils ont été
mobile sur Mars. Mettez de côté l’étude de ce qui pour- conditionnés pour ne pas poser de questions.
rait être plus confortable à conclure ou plus facile à James T. Dillon, un professeur d’éducation émé-
mettre en œuvre, et adoptez à la place la détermination rite à l’université de Californie, à Riverside, a passé sa
de l’innovateur face au « travail qu’il reste à faire » et aux carrière à étudier ce phénomène dans les salles de
eforts que lui demandera la résolution du pro-
blème. Concevez un plan d’action à court terme :
quelles mesures concrètes allez-vous prendre
personnellement durant les trois prochaines se-
maines pour trouver des solutions potentielles
suggérées par vos nouvelles questions ?
S’interroger est un
Après une séance de rafale de questions que
j’ai aidé à animer, un directeur marketing d’une comportement humain inné
entreprise multidivisionnelle s’est résolu à reve-
nir sur certains éléments. Il avait dû faire face à
des inquiétudes concernant les comportements
qui est activement dévoyé
hypercompétitifs dans sa business unit. Lors
d’une séance de rafale de questions qu’il menait et systématiquement étouffé.
avec d’autres, il lui a traversé l’esprit qu’il était
parti de l’hypothèse suivante : les fondateurs de
sa division avaient choisi son système de rému-
nération unique pour créer une culture de riva-
lité interne. En haut de sa to-do list igurait le fait de classe. Il était choqué par le peu de questions posées
prendre rendez-vous avec eux et de leur demander de par les élèves – ce qui est pourtant essentiel dans
quoi il en retournait. Et devinez quoi ? Non seulement l’apprentissage. Le problème ne venait pas d’un
ce n’était pas la culture qu’ils avaient voulue, mais en manque de curiosité. « Chaque fois que les condi-
plus, ils étaient consternés d’apprendre qu’elle exis- tions leur étaient données (pas en faisant une simple
tait. Ses entretiens avec eux permirent de mettre dès pause ponctuée d’un ‘‘Vous avez des questions ?
lors l’accent sur la culture et les valeurs du site – et Non ? D’accord, ouvrez vos livres !’’), cela provoquait
créèrent les conditions autorisant le directeur marke- une pluie de questions fascinantes de la part des étu-
ting à intervenir et à s’occuper des comportements diants », écrit James T. Dillon. Lorsqu’il interrogea
toxiques. Ce que je veux dire ici, c’est qu’arriver à des d’autres professeurs à ce sujet, ils étaient presque
questions remettant en cause des suppositions est es- unanimes pour dire que « les étudiants ont en efet
sentiel, mais jamais suisant. Un plan d’action et son des questions, mais ne les posent pas en classe ».
suivi peuvent clariier le problème et ouvrir une voie Pourquoi ? « Ils ont peur de le faire, explique James
vers le changement. T. Dillon, en grande partie à cause de leur expérience
des réactions négatives des professeurs – et de leurs
camarades de classe. » Ils apprennent à garder leurs
COMMENT EN FAIRE UNE HABITUDE ? questions pour eux-mêmes et à répéter des réponses
D’ordinaire, je recommande de faire au moins trois toutes faites quand ils sont interrogés par leur
séries de rafales de questions pour un problème professeur, selon Tony Wagner, un chercheur du
donné. Mise en œuvre ponctuellement, la méthode se Learning Policy Institute. D’autres chercheurs (se
révèle fructueuse ; mais plus vous pratiquerez, plus consacrant aux domaines de l’apprentissage et des
vous irez loin dans votre rélexion. Après avoir répété interactions humains comme les forums commu-
cet exercice, la leader d’une équipe de développeurs nautaires, les consultations médicales, les institu-
dans une entreprise de logiciels internationale en est tions politiques et les lieux de travail) sont systéma-
venue à se rendre compte que sa conception initiale tiquement arrivés à la même conclusion : s’interroger
d’un problème était « supericielle ». Au moyen d’un est un comportement humain inné qui est active-
questionnement permanent, elle m’a dit qu’elle « en ment dévoyé et systématiquement étoufé.
était arrivée à un déi bien plus signiicatif à relever ». Et les luttes de pouvoir n’aident pas. Dans les
Même avec trois séances, l’investissement en groupes sociaux, des individus dominants émergent
termes de temps est minime. C’est un chemin eicace inévitablement ; si on ne les contrôle pas, ils trouvent
des moyens de construire et de perpétuer leur pouvoir. Curieusement, quand j’ai animé des séances de ra-
Un moyen fréquent d’y parvenir est de réduire au si- fales de questions avec de très grands groupes (répartis
lence ceux qui posent des questions – ces ichus esprits en sous-groupes de trois à six personnes), j’ai remar-
curieux dont les requêtes pourraient laisser entendre qué que les personnes les moins susceptibles de s’im-
que le chef n’a pas vraiment la solution à tout. pliquer dans l’exercice et de suivre les règles sont celles
Bien entendu, beaucoup de dirigeants reconnais- qui occupent les plus hauts postes ou qui ont la plus
sant l’impératif d’innover constamment essaient ef- grande expertise technique. Qu’elles se sentent supé-
fectivement d’encourager les questions. Mais les em- rieures à l’exercice ou qu’elles s’inquiètent du fait que
ployés ont déjà intériorisé l’habitude de ne pas les le partage de leurs problèmes les fasse paraître incom-
poser – particulièrement les plus difficiles. Il faut pétentes, elles pénalisent la capacité de tout le groupe
changer cette habitude. C’est ce que mon collègue du à chercher la vérité, alors que les autres les regardent
MIT Robert Langer, l’innovateur en technologies mé- se désengager ou se moquer des contributions. Si c’est
dicales qui a été surnommé l’« Edison de la méde- l’exemple et le ton que les leaders mettent en place lors
cine », a fait avec ses étudiants et ses post-doctorants. d’un seul exercice microcosmique, imaginez l’impact
Dans une interview, il déclarait : « Quand vous êtes désastreux que cela peut avoir sur le processus général
étudiant, vous êtes jugé sur la qualité de vos réponses. de questionnement au sein de leur organisation.
Quelqu’un d’autre pose les questions, et si vous don- Enin, les gens doivent se tenir responsables de la
nez les bonnes réponses, vous avez une bonne note. suite. Rien n’est plus agaçant qu’un collègue qui ne fait
Mais, dans la vie, vous êtes jugé sur la qualité de vos que poser des questions. Les gens doivent assumer la
questions. » En tant que consultant, il concentre expli- responsabilité d’explorer les perspectives qu’elles
citement leur attention sur le fait de faire cette transi- ofrent et de découvrir de précieuses réponses. C’est
tion capitale, sachant « qu’ils deviendront d’excellents particulièrement vrai pour les leaders. Tous les autres
professeurs, d’excellents entrepreneurs – d’excellents se ient à eux pour savoir quand, où, comment et pour-
quelque chose – s’ils posent de bonnes questions. » quoi le statu quo devrait être remis en cause. Les
Les organisations peuvent augmenter leur leaders doivent trouver du temps pour aider à rassem-
quotient de questions de manières variées. Par bler et à analyser des informations plus récentes,
exemple, dans mon expérience de terrain, j’ai décou- meilleures et diférentes. Les eforts qu’ils font en ce
vert que les gens deviennent de meilleurs interroga- sens, au-delà de leur rôle habituel, sont le signe d’une
teurs dans les environnements où ils sont encouragés « appropriation » (« ownership ») de la méthode. Cela
à valoriser la friction créative dans le travail quotidien. montre aux autres que le management s’est engagé à
Dans des entreprises comme Amazon, Asos, Ideo, élaborer un futur dans lequel les questions ont toute
Patagonia, Pixar, Tesla et Zappos, par exemple, les leur importance.
gens s’unissent souvent pour s’attaquer aux déis en
HAL GREGERSEN est directeur exécutif au Leadership
se posant les uns aux autres des questions diiciles
Center du MIT et maître de conférences en leadership
(dans les couloirs, à la cantine ou même dans les salles et innovation à la Sloan School of Management du MIT. Il est
de conférences). Des recherches menées par les l’auteur de « Questions Are the Answer » (Harper Collins, 2018),
professeurs de management Andrew Hargadon, de coauteur de « The Innovator’s DNA » (Harvard Business Review
l’université de Californie, à Davis, et Beth Bechky, de Press, 2011), et fondateur du 4-24 Project.
l’université de New York, montrent que ceux qui pro-
posent des idées dans des entreprises similaires ne
recrachent pas sans réléchir des réponses aux ques-
tions posées ; ils s’appuient respectueusement sur les
commentaires et actions des autres, examinant « non
seulement la question originale, mais cherchant aussi
à savoir s’il y a une meilleure question à poser ». En
agissant constamment de la sorte, de nouvelles solu-
tions émergent.
Les gens deviennent également de meilleurs inter-
rogateurs au sein de cultures organisationnelles où ils
peuvent se mettre sans encombre et avec obstination
en quête de vérité, sans se soucier de savoir où cela les
mène. « Pour créer de telles cultures, souligne Ed
Schein, du MIT, les leaders doivent faire preuve d’hu-
milité, de vulnérabilité et de coniance et ils doivent
responsabiliser les autres et les traiter équitablement.
Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, les
questions ont tendance à être réprimées, ou, pire,
tuées dans l’œuf. »
AIRFRANCE.FR
France is in the air : La France est dans l’air. Sur les vols effectués par Air France, SkyPriority est réservé aux membres Flying Blue Gold et Platinum ou SkyTeam Elite Plus, aux passagers des cabines La Première, Business
et Premium Economy, aux passagers voyageant avec un billet Flex sur les vols entre la France et l’Europe, Afrique du Nord ou Israël, aux passagers abonnés HOP! Air France sur les vols domestiques depuis le 1err avril 2017.
Nouvelle
Formule
E cadeau des
En es cartes postales
dessinées parr
d
Crédits photos : © Jean Jullien.
, VOYAGER AUTREMENT
Pleins feux sur...
AOÛT–SEPTEMBRE 2018
Chaque matin, sur le chantier en cours dans la rue où se trouve mon bureau,
la journée commence par un bourdonnement familier. C’est celui d’un drone,
un petit quadrirotor noir qui survole le site pour effectuer ses relevés selon
un tracé parfait, comme s’il avançait sur des rails. Son ronron est devenu
si banal que les ouvriers ne lèvent même plus la tête. Il fait partie de leur
environnement de travail, au même titre que la grue avec laquelle il partage
l’espace aérien du chantier. La véritable révolution tient à la normalité
de la situation : ce robot volant est devenu un outil comme les autres.
La « capture de la réalité » – c’est-à-dire la externalisé dans le cloud. Il est aujourd’hui si
numérisation du monde physique, endroit et peu cher et si facile de faire voler des camé-
envers, par des scans réalisés au sol et dans ras que les drones sont désormais utilisés à
les airs – est aujourd’hui une technologie des fins commerciales. Au-delà du BTP, les
aboutie qui transforme l’activité écono- données qu’ils enregistrent sont exploitées
mique. On le voit à petite échelle avec Google dans l’agriculture (cartographie des champs),
Maps, qui capture ses données par satellite, l’énergie (surveillance des turbines solaires
avion et voiture, puis les restitue en 2D et 3D. et des éoliennes), les assurances (photogra-
L’IDÉE EN BREF
Ce type de cartographie, initialement conçu phie des toitures), les infrastructures di-
pour l’homme, est maintenant doté d’une LE CONSTAT verses (inspections), les communications et
résolution très élevée en prévision de la voi- Il y a dix ans, les véhicules un nombre incalculable d’autres secteurs
ture sans chauffeur, qui requiert pour circu- aériens sans pilote industriels au contact du monde physique.
ler correctement des plans de ville en 3D relevaient de la technologie Nous le savons, « nous ne pouvons gérer que
extrêmement détaillés. Les méthodes de re- militaire, coûtaient des ce que nous pouvons mesurer » – or mesurer
millions de dollars et étaient
production virtuelle de l’existant s’apparen- encore très confidentiels. le réel est difficile. Les drones nous rendent
tent à la technologie de « capture du mouve- Mais le smartphone est la tâche bien plus aisée.
ment » (« motion capture »), largement arrivé et avec lui toute L’industrie cherche depuis longtemps à
utilisée aujourd’hui dans le cinéma et les une palette de technologies obtenir des données venant du ciel, le plus
jeux vidéo. Cette technologie nécessite en électroniques – capteurs, souvent par le biais de satellites et d’avions.
processeurs rapides,
temps normal de déplacer le tournage caméras, haut débit sans Mais les drones sont de « meilleurs capteurs
devant les scanners, c’est-à-dire d’installer fil, GPS. célestes ». Ils permettent des relevés plus
les acteurs, vêtus de tenues adaptées, dans fréquents et de meilleure résolution que les
une grande pièce où sera jouée la scène. Les LES PERSPECTIVES satellites (dont la vue est constamment obs-
drones renversent la situation en amenant Les drones sont désormais truée par les nuages qui recouvrent les deux
sur le plateau le matériel de numérisation équipés de logiciels de tiers de la planète) et ils sont moins coûteux,
qualité professionnelle
– des caméras ordinaires, équipées de logi- et deviennent de véritables plus simples et plus sûrs que les avions. Les
ciels intelligents, qui tournent avec précision plateformes de collecte drones offrent « à tout moment et en tout
autour des acteurs et du décor pour en re- de données – autrement lieu » une perspective aérienne dont la préci-
créer des versions numériques aussi réalistes dit, des instruments aussi sion rivalise avec celle des scanners laser – et
qu’une photo. ouverts et évolutifs que ils n’en sont qu’à leurs débuts ! Dans le cadre
les smartphones, aux
D’une certaine manière, l’utilisation de applications potentiellement de l’extension d’Internet au monde phy-
drones sur des chantiers ou des plateaux de illimitées. Les drones vont sique, qui est le grand projet du XXIe siècle,
cinéma est assez étonnante. Il y a dix ans, la se multiplier au-dessus les drones sont la voie vers la troisième
technologie n’était même pas encore sortie de nos têtes au fur et dimension – la hauteur. Pour faire simple, ils
des laboratoires. Il y a cinq ans, elle était hors à mesure que le permettront sont « l’Internet des objets volants ».
la loi et la technologie.
de prix. Aujourd’hui, on peut acheter en hy- L’économie du drone est Peut-être le terme de « drones » n’évoque-
permarché un drone de qualité profession- réelle, et il vous faut une t-il pour vous que des jouets ou les caméras
nelle fonctionnant à partir d’un logiciel stratégie pour l’exploiter. volantes des packs GoPro – choses qui repré-
commencent à prendre en considération les CAPTURER LA RÉALITÉ niques de photogrammétrie qui déduisent la
vols dépassant la « portée visuelle » de l’opé- POUR LE PRIX D’UN DÉJEUNER géométrie d’un objet à partir de données
rateur – pour lesquels les capteurs et sys- L’industrie du bâtiment, la deuxième au visuelles, sont traduites en maquette 2D et
tèmes de vision embarqués compenseront monde (après l’agriculture), représente 3D aussi réalistes que des photographies
largement l’œil humain resté loin derrière. 8 000 milliards de dollars par an. Elle est (Google fait la même chose avec Google
Une fois l’autonomie totale autorisée, le tan- pourtant remarquablement ineicace. Selon Maps, avec une déinition inférieure et des
dem historique « un pilote / un avion » de- McKinsey, une construction commerciale données qui peuvent remonter à deux ou
viendra peut-être « un opérateur / plusieurs dépasse en général son budget de 80% et ses trois ans. Pour en avoir un aperçu, sélection-
drones » ou même « aucun opérateur / plu- délais de 20 mois. nez la vue Google Earth, puis cliquez sur le
sieurs drones ». C’est ici qu’entrera en jeu le A l’écran, sur les documents créés par l’ar- bouton « 3D »). Dans la cabine de chantier, les
potentiel économique réel des drones auto- chitecte en CAO (conception assistée par or- données du drone arrivent en milieu de
nomes : quand le coût marginal de la numé- dinateur), tout semble parfait. Or, sur le chan- matinée sous la forme d’une perspective aé-
risation du monde deviendra quasiment nul tier, au milieu de la boue et de la poussière, rienne du site. Les images peuvent être
(car ce seront des robots et non des hommes les choses sont différentes. Et c’est dans la zoomées pour observer un détail de la taille
qui feront le travail), alors on pourra en faire diférence entre un concept et sa réalité que d’une pièce d’un euro ou orientées selon
beaucoup plus. Appelons cela la « démocra- partent en fumée 3 000 des 8 000 milliards de n’importe quel angle, comme dans un jeu
tisation de l’observation de la Terre » : une dollars évoqués plus haut, dans une succes- vidéo ou une scène de réalité virtuelle. En
alternative low cost mais de haute résolu- sion de commandes rectiicatives, de rema- superposition apparaissent les ichiers CAO
tion aux satellites. L’accès aux cieux, partout niements et de dérapages de calendrier. qui servent de guide à la construction – le
et à tout instant. Les drones sont là pour réduire cet écart. bâtiment « tel que conçu » se superpose au
L’économie du drone est réelle, et il vous Celui que j’aperçois par ma fenêtre, qui bâtiment « tel que construit ». Telle une
faut une stratégie pour l’exploiter. Voici ce passe et repasse au-dessus du chantier, cap- loupe de réalité augmentée, le logiciel com-
que penser de ce qui se passe – et de ce qui ture ce qu’il voit à l’aide d’un appareil pare ce qui devrait être et ce qui est. La difé-
va se passer. Revenons pour cela à notre ultra-sophistiqué monté sur un cardan de rence entre les deux peut représenter
chantier de construction, un secteur qui a précision. Il prend des photos normales (en plusieurs milliers de dollars d’économies par
désespérément besoin des informations que très haute résolution, certes) qui sont en- jour sur chaque chantier – des milliards,
les drones sont capables de fournir. voyées sur le cloud et qui, grâce à des tech- donc, à l’échelle du secteur tout entier. D’où
Les photos prises par les drones permettent de dresser une maquette en 3D qui reproduit la silhouette de l’immeuble pendant sa construction.
l’intérêt pour le chef de chantier de mesurer sous la forme de jouets à moins de 100 dol
ses avancées chaque jour. lars vendus dans toutes les grandes surfaces
Les erreurs, les changements et les – c’est probablement le transfert de techno
surprises sont inévitables dès lors qu’un logie de la CIA aux hypermarchés le plus
concept modélisé rencontre la réalité. Ils rapide de l’histoire ! Il y a cinq ans, le prin
peuvent cependant être minimisés si les cipal frein commercial du mot « drone » était
écarts sont repérés suffisamment tôt pour sa connotation militaire. Aujourd’hui, son
être corrigés, surmontés ou, du moins, pour défaut est d’être considéré par le grand pu
que les plans soient modiiés ain de reléter blic comme un jouet. Existetil un seul
les changements apportés au bâtiment autre mot dont la signiication soit passée
futur. Il existe de nombreuses manières d’ef d’« arme » à « jouet » aussi rapidement ?
fectuer des mesures sur un chantier – avec Et ça ne s’arrête pas là. La première vague
un mètre et un blocnotes ou, à l’autre fut la technologie, la deuxième, les jouets ;
extrême, des lasers, des GPS de précision et aujourd’hui arrive la troisième – et la plus
même des rayons X. Or toutes sont coû importante. Les jouets deviennent des
teuses, demandent du temps et ne sont outils. Le marché des appareils à selfies
donc pas souvent employées, du moins pas volants est probablement limité, mais celui
sur la totalité du chantier. Avec des drones, des données du monde physique est aussi
le chantier peut être cartographié dans son vaste que le monde luimême.
ensemble quotidiennement, dans le Les drones viennent « combler le vide »,
moindre détail, pour la somme dérisoire de l’altitude intermédiaire entre les satellites et
25 dollars par jour. la terre ferme, en numérisant la planète en
haute résolution et en temps quasi réel pour
une fraction du coût des solutions
ENTRE LE SOL ET LE CIEL, alternatives.
UN JUSTE MILIEU À COMBLER La trajectoire de cette troisième vague,
L’économie du drone grimpe en lèche. Il y a celle des dronesoutils, est plus spectaculaire
dix ans, les véhicules aériens sans pilote rele que celle des deux précédentes. Tout d’abord,
vaient de la technologie militaire, coûtaient les drones vont se multiplier audessus de
des millions de dollars et étaient encore très nos têtes au fur et à mesure que le permet
conidentiels. Mais le smartphone est arrivé tront la loi et la technologie. Les estimations
et avec lui toute une palette de technologies varient grandement ; certains prédisent que
électroniques – capteurs, processeurs ra dès cette année plus de 100 000 opérateurs
pides, caméras, haut débit sans il, GPS. Non piloteront 200 000 drones, affectés à des
seulement ces composants ont transformé tâches variées.
les téléphones portables en incroyables su Puis des inventeurs toujours plus nom
perordinateurs portatifs, mais les économies breux trouveront aux drones des usages nou
d’échelle réalisées dans la fabrication des veaux et ingénieux, faisant exploser leurs
smartphones les ont rendus bon marché et champs d’application. Les drones serviront
disponibles pour d’autres utilisations. Dans encore majoritairement à collecter des
un premier temps a donc eu lieu une trans données, mais l’étendue de leurs applica
formation des secteurs adjacents, la robo tions commence à peine à apparaître. Par
tique notamment. J’appelle cette proliféra exemple, ils sont déjà utilisés dans les opéra
tion des composants « les dividendes de la tions de recherche et de sauvetage et pour la
paix de la guerre des smartphones ».
De ces circonstances sont nées diverses
entreprises, dont la mienne. Avec des com
posants peu coûteux mais puissants, et un
peu de créativité, amateurs et entrepre
neurs ont réinventé les drones, qui ne
tombent pas des nues mais partent du sol.
Pour nous, ce ne sont pas des « avions sans
pilote », mais des « smartphones à hélice ».
En évoluant au rythme de l’industrie du
smartphone, et non à celui de l’aéronau
tique, les drones, qui il y a quatre ans étaient
des appareils de hackers, sont devenus ac
cessibles aux amateurs avertis, puis à tous,
surveillance de la vie sauvage. Ils fournissent cule puce à 3 dollars dans notre téléphone
un accès Internet sans il (ce dans quoi Face- étaient encore, il y a dix ans, des instruments
book investit à l’heure actuelle) et livrent des mécaniques coûtant jusqu’à 100 000 dollars
médicaments dans les pays en développe- et montés sur des supports dont la taille pou-
ment. En outre, ils peuvent non seulement vait varier de celle d’une boîte à chaussures
cartographier les champs, mais également à celle d’un mini-réfrigérateur.
pulvériser des pesticides et déposer de nou- Deuxièmement, la production de drones
velles semences ou des insectes protecteurs. peu chers et performants les a rendus acces-
Enin, après avoir supprimé le pilote du sibles aux consommateurs ordinaires (prêts
cockpit, les drones supprimeront purement à dépenser jusqu’à 1 000 dollars) pour des
et simplement le pilote, permettant davan- cas concrets d’utilisation (photographie et
tage d’économies encore. Avec l’autonomie vidéo aériennes). Par conséquent, les
viendra la véritable révolution. fa bricants ont été forcés de les rendre
simples à manipuler pour faciliter leur adop-
tion. Les drones ont dû se sophistiquer à
AUTONOMES, PETITS ET INNOMBRABLES mesure que leurs utilisateurs devenaient
Du simple GPS à la navigation véritablement moins sophistiqués.
à vue (comme volerait un être humain), la Troisièmement, après que le boom inat-
technologie du vol en autonomie existe et tendu des drones grand public a lancé plus
progresse rapidement. Supprimez l’homme d’un million d’engins (des gadgets aux mo-
de l’équation et le drone semble soudain très dèles haut de gamme « semi-pros ») dans le
proche des oiseaux, dont il est inspiré : auto- ciel américain en moins de quatre ans à la
nomes, petits et innombrables, nés pour faveur d’une dérogation (pour « usage
voler et capables de se déplacer dans les airs récréatif ») aux règles strictes de l’aviation
sans fatigue ni effort. Pour l’heure, nous civile quant aux objets volants, les législa-
sommes encore des touristes de l’espace teurs n’ont eu d’autre choix que de s’atta-
aérien – nos incursions dans les airs sont quer à la question. Pour faire évoluer sans
brèves et coûteuses. En rompant le lien l’inhiber le marché vers une plus grande
entre l’homme et la machine, il nous devient sécurité, la FAA (l’administration de l’avia-
possible d’occuper les cieux. La troisième tion civile américaine) a accéléré une régle-
dimension est la dernière qui nous reste à mentation permettant l’utilisation de
coloniser sur Terre (en direction des nuages, drones à des fins commerciales sans qu’il
mais aussi des profondeurs marines, ce que soit nécessaire de posséder une licence de
nous laissons aux cousins aquatiques du pilote ou une dispense particulière. Ces nou-
drone). Nous la coloniserons assurément, velles règles sont entrées en vigueur en
mais, comme dans le cas de l’espace et des août 2016 et ont eu pour efet de donner son
océans, avec des robots et non des hommes. coup d’envoi à l’ère du drone commercial
Pourquoi maintenant ? Grâce à la combi- (depuis décembre 2017, les drones pesant de
naison de trois tendances. Premièrement, 250 g à 25 kg doivent de nouveau être enre-
l’extraordinaire rapport prix-performance gistrés auprès de la FAA, NDLR).
du smartphone, dont nous avons parlé plus
haut, a rendu les drones bon marché et ei-
caces. À titre d’exemple, les gyroscopes et LA MONTÉE DE LA CLOUD ROBOTICS
autres capteurs contenus dans une minus- Jusqu’ici, nous avons surtout abordé le
drone lui-même – l’appareil, son coût, son
potentiel et ce dont on peut l’équiper pour
efectuer des tâches variées. Toutefois, dans
l’optique d’établir une stratégie d’exploita-
tion des drones, il importe de se concentrer
moins sur l’objet que sur ses applications.
L’appareil est surtout un vaisseau vide à qui
l’on conie un travail : prendre des photos ou
des vidéos, scanner, déplacer des objets,
permettre de communiquer.
Et collecter des données. Plus que tout,
les drones sont des engins de collecte. Leur
capacité à amasser des données depuis un
point de vue unique et précieux (de haut,
mais pas trop), rapidement et à bas coût, en aux générations de robots antérieures, qui de nouvelles capacités – depuis la simple
fait des outils de collecte parfaits. Toute nécessitaient des systèmes de communica- amélioration de performance jusqu’à de
stratégie d’exploitation du drone doit dépas- tion sur mesure, les robots issus de l’industrie nouvelles options d’autonomie – viennent
ser l’engin lui-même et s’intéresser aux don- du smartphone ont hérité de leur architecture enrichir les appareils du jour au lendemain,
nées, ce qui implique de déporter ses eforts et sont donc, intrinsèquement, connectés. à la faveur de mises à jour « en direct ».
d’innovation vers le cloud. On peine déjà à se rappeler comment on 2. Leur intelligence est « externalisée ».
L’histoire de la Silicon Valley moderne se procédait auparavant : il fallait collecter des Ils font partie de l’Internet des objets – non
décompose à peu près comme ceci : données, les télécharger puis les analyser. pas du côté gadget, comme les ampoules
1. invention de l’ordinateur personnel C’est du passé. Les lux de données – depuis connectées, mais du côté intelligent (qui,
(PC) ; la source vers l’appareil, puis vers le logiciel puisqu’il est intelligent, évite justement le
2. connexion des PC aux réseaux locaux ; d’analyse – sont automatiques et invisibles. terme à la mode « Internet des objets »). Par
3. connexion des réseaux locaux à l’Inter- Et ça marche – comme ce devrait être le cas exemple, l’enceinte Echo d’Amazon est
net mondial ; pour n’importe quelle technologie. suffisamment intelligente pour exploiter
4. reprise des trois premiers points, mais Les implications de cette évolution sont l’immense intelligence du cloud. Loin d’être
sans il ; profondes. Quand un appareil est conçu dès un simple capteur, c’est un véritable bras
5. diffusion des calculs et des données le départ pour être connecté, trois change- armé qui permet à Internet de se projeter
dans le réseau, qu’ils proviennent des ments majeurs s’opèrent : dans le monde physique. Pour un drone,
applis des smartphones ou des 1. Les appareils tendent à s’améliorer cela signiie qu’il n’a pas besoin d’être pro-
énormes grappes de serveurs du cloud ; avec le temps, non à se dégrader. Contraire- grammé pour numériser une zone selon une
6. extension du même principe aux ob- ment au modèle traditionnel, dans lequel les trajectoire standard : il commence par
jets, notamment aux objets mobiles : produits entament leur marche vers l’ob- prendre quelques photos du terrain à carto-
un maximum d’entités du monde phy- solescence dès l’instant où ils sont fabriqués, graphier et les envoie sur le cloud, où les
sique sont reliées au sein d’un même les appareils connectés tirent l’essentiel de algorithmes les analysent en temps réel
réseau interconnecté. leurs fonctionnalités de leurs logiciels, qui pour établir une trajectoire personnalisée,
La « cloud robotics » n’est que la combi- font l’objet de mises à jour – tout comme adaptée au site mais également à la lumino-
naison des deux derniers points : on relie les ceux de votre smartphone. Voyez la Tesla sité du jour. Finalement, ce sont les données
robots au cloud ain d’accroître leurs intelli- qui, pratiquement chaque semaine, s’enri- qui déterminent la mission, et non l’inverse.
gences respectives. Tous les robots sont chit automatiquement de nouveaux para- 3. Ils renforcent l’intelligence d’Internet.
concernés – pas seulement les drones, donc, mètres. La valeur de ces appareils, dits Les objets connectés ne se contentent pas
mais aussi les voitures sans chauffeur, les « exotropiques », tend à croître dans le d’utiliser l’intelligence du réseau : ils la
robots utilisés dans les usines et les temps, à l’inverse des appareils « entro- nourrissent aussi. Le renouveau actuel en
entrepôts et, un jour peut-être, les robots piques », dont la valeur tend à décliner. Bien matière d’intelligence artiicielle ne tient pas
domestiques. Pour l’heure, nous nous sûr, même le matériel a ses limites et les ob- tant à l’amélioration des algorithmes et de la
concentrerons sur les drones. jets connectés inissent un jour par devenir puissance de calcul des ordinateurs qu’à la
L’évolution majeure des drones (et de la obsolètes. Mais l’idée à retenir est que, au capacité d’accéder à des données beaucoup
robotique – et même, en réalité, de l’électro- lieu d’entamer l’habituel et long déclin dès plus nombreuses. La plupart des données,
nique au sens large), au cours des dix der- l’instant où ils sont achetés, les objets d’hier et d’aujourd’hui, proviennent des
nières années, est que l’on part désormais du connectés gagnent en utilité aussi long- mesures effectuées sur le monde physique
principe qu’ils sont connectés. Contrairement temps que possible. Dans le cas des drones, – qu’il s’agisse des individus ou de leur
environnement. Les objets connectés sont collectent des données, sont autonomes et,
autant de capteurs disséminés dans le monde. surtout, fonctionnent. Imaginez maintenant
Pour les drones, cela implique qu’ils ne se des drones agricoles qui feraient la même
contentent plus pour naviguer de télécharger chose : sur l’exploitation seraient répartis des
des cartes actualisées en 3D, mais qu’ils boîtiers équipés de panneaux solaires per-
peuvent potentiellement télécharger leurs mettant à l’hélicoptère qu’ils abritent de re-
propres relevés pour améliorer ces cartes. charger ses batteries. Comme les systèmes
d’irrigation, les hélicos se mettraient en route
à une heure donnée et sortiraient de leur boî-
ÊTRE COOL NE SUFFIT PAS tier pour accomplir leur tâche – cartographier
C’est dans l’entreprise que tous ces aspects les champs, repérer les nuisibles voire fertili-
entrent véritablement en action. Dans le ser les plants, comme les abeilles. Une fois
monde professionnel, on n’utilise pas les leur mission accomplie, ils retourneraient
drones parce qu’ils sont cool, mais parce automatiquement dans leur abri où ils dormi-
qu’ils sont plus eicaces que leurs alterna- raient jusqu’au lendemain, à l’heure de se
tives. Seule compte la tâche à accomplir ; or remettre à l’ouvrage. Nul besoin pour l’agri-
tout ce qui se dresse entre l’identiication de culteur de comprendre tous les mécanismes
la tâche et son achèvement génère des à l’œuvre : seul compte le fait que le relevé
frictions qui inhibent l’adoption du produit. quotidien de son exploitation est formidable-
Le drone parfait, pour une entreprise, serait ment détaillé et qu’il lui présente une analyse
une boîte avec un bouton rouge sur lequel il complète de toutes les données, des maladies
suffirait d’appuyer pour obtenir ses au taux d’humidité, mesurées à l’échelle de la
données. Tout autre dispositif plus compli- feuille et analysées par des logiciels capables
qué est à éliminer (avant d’éliminer égale- d’apprentissage automatique, qui signalent
ment le bouton rouge). les problèmes repérés et donnent leurs re-
Cela implique une intégration parfaite commandations sur le travail de la journée.
entre les drones et les logiciels de l’entre- Le jour où les drones seront aussi répan-
prise chargés de collecter les données, de les dus que les systèmes d’irrigation, nous au-
envoyer sur le cloud, de les analyser et de les rons parcouru du chemin depuis les armes,
restituer de manière lisible, idéalement en les ilms de science-iction et les gros titres
temps quasi réel. de presse. C’est dans les applications pro-
A quoi ressemblera le futur ? Au risque de saïques des technologies de pointe que ré-
vous surprendre, j’espère que l’avenir des side leur véritable impact. Quand les drones
drones est ennuyeux. En tant que P-DG seront si ordinaires qu’ils ne mériteront plus
d’une société de drones, j’ai évidemment que HBR s’intéresse à eux, j’aurai accompli
fort à gagner à les voir se développer, mais, ma mission.
pour moi, ce développement n’a aucune
chance de se produire si nous ne dépassons CHRIS ANDERSON a fondé plusieurs communautés
pas l’excitation qu’ils engendrent. La marque de passionnés de robotique, dont DIY Drones
et DIY Robocars, et il est aujourd’hui le P-DG
d’une technologie réussie n’est pas de pro- de 3D Robotics, une entreprise spécialisée dans
curer un frisson, mais de devenir essentielle les drones. Ancien rédacteur en chef du magazine
et banale, fondue dans le décor de la moder- «Wired», il est l’auteur de plusieurs best-sellers :
nité. L’électricité a pu un jour sembler ma- « La Longue Traîne », « Free ! Entrez dans l’économie
gique, mais elle est aujourd’hui tenue pour du gratuit » et, plus récemment, « Makers : La
Nouvelle Révolution industrielle » (Editions Pearson).
acquise. Il en est de même avec Internet.
Mon objectif ultime est que les drones de-
viennent aussi peu exaltants que n’importe
quel autre outil industriel, tel qu’un tracteur
agricole ou un générateur sur un chantier de
construction : aussi indispensables que
quelconques.
Cette réflexion m’est inspirée par mon
grand-père, Fred Hauser. Dans les an-
nées 1930, il a inventé le système d’arrosage
automatique (ses brevets ornent nos murs).
Ça ne saute peut-être pas aux yeux, mais un
système d’arrosage est un robot : les sys-
tèmes actuels sont connectés à Internet,
L’INDUSTRIE DU DRONE CONNAÎT UNE CROISSANCE RAPIDE SUR TOUS LES PLANS. LES GRAPHIQUES
PRÉSENTÉS CI-APRÈS INDIQUENT LES ÉVOLUTIONS AUXQUELLES S’ATTENDRE AU COURS DES PROCHAINES
ANNÉES. CE QU’IL FAUT EN RETENIR : LE NOMBRE DE DRONES, DE PILOTES ET D’APPLICATIONS EST AMENÉ
À GRIMPER EN FLÈCHE. NOUS ENTRONS AUJOURD’HUI DANS L’ÈRE DU DRONE COMMERCIAL.
Les drones commerciaux parés au décollage
Les prévisions varient, mais de 250 000 à 1,5 million de drones voleront à des ins
professionnelles dans le ciel américain d’ici à 2021.
1 million
75 % Logiciels
50 %
Services
Opérateurs
25 %
Matériel
0%
2012 2014 2016 1er trimestre 2017
SOURCE : DRONEII.COM
Y a-t-il un pilote… ?
Le nombre de pilotes à distance enregistrés comme opérateurs commerciaux va augmenter. Mais cette croissance sera quelque peu
ralentie si la FAA (agence américaine de l’aviation civile) modiie son règlement pour autoriser une même personne à piloter plusieurs
drones à la fois – dans ce cas, davantage d’ingénieurs logiciels et de contrôleurs aériens afectés aux drones seront nécessaires.
25 000
0
Avril 2016 Décembre 2016
SOURCE : FAA
Amateurs avertis
(technologie)
TAILLE
DU MARCHÉ
+ Cloud
+ Apps
COMPOSANTS Drone
SOURCE : CHRIS ANDERSON
BTP et industrie 26
Agriculture 21
Gestion des 8
situations d’urgence
Assurances 5
NOTE : LA SOMME DES POURCENTAGES EST SUPÉRIEURE À 100 CAR CERTAINS OPÉRATEURS TRAVAILLENT POUR PLUSIEURS SECTEURS D’ACTIVITÉ.
SOURCE : FAA
Survol de foule 35 %
Evolution technique
Les missions des drones évoluent, leur technologie aussi. Voici les stades de développement de divers projets à l’étude.
STADE DE DÉVELOPPEMENT
Initial Intermédiaire Avancé
Allongement de la durée des batteries Amélioration des techniques Systèmes de communication
et autres sources d’alimentation de fabrication Intégration d’un GPS
Capacité à éviter les obstacles Traitement de données
Sophistication des moteurs Capteurs
Réduction du poids des structures
SOURCE : « DRONE INDUSTRY REPORT », OPPENHEIMER & CO, FÉVRIER 2016
STADE DE DÉVELOPPEMENT
Initial Intermédiaire Avancé
Livraison de petits paquets / courriers Photos et surveillance de chantiers Photographie aérienne
de construction et de biens Patrouille aux frontières
immobiliers
Agriculture de précision
Interventions d’urgence
Sécurité publique
Prise de vue pour le cinéma /
autres médias
Surveillance d’infrastructures
(routières, etc.)
Exploration gazière et pétrolière
Prévisions / recherches
météorologiques
Surveillance environnementale /
de la vie sauvage
SOURCE : « DRONE INDUSTRY REPORT », OPPENHEIMER & CO, FÉVRIER 2016
COMMENT INTÉGRER
L’ÉTHIQUE À VOTRE
STRATÉGIE D’UTILISATION
DES DRONES
METTRE EN ŒUVRE UNE POLITIQUE ÉTHIQUE INCLUANT LA SÉCURITÉ ET LE TRAITEMENT DES
DONNÉES AINSI QUE LA CYBER-RÉSILIENCE DE VOS OUTILS DEVIENT PLUS DIFFICILE À MESURE
QUE LE VOLUME DE DONNÉES COLLECTÉES AUGMENTE. D’OÙ L’IMPORTANCE DE METTRE EN ŒUVRE
UN CADRE ÉTHIQUE DÈS À PRÉSENT DANS VOTRE ENTREPRISE. PAR DYAN GIBBENS
D
’ici peu, les drones autonomes au- doivent de contrebalancer leur désir d’accé-
ront pour mission de se rendre der à des données illimitées par des
n’importe où et n’importe quand, principes éthiques et des pratiques commer-
que ce soit pour le compte d’une ciales responsables.
entreprise, d’un particulier ou La question de savoir où, quand et com-
d’un gouvernement. Même si les ment les drones peuvent être utilisés, no-
lois régissant l’utilisation des drones tamment aux Etats-Unis, ne se pose pas seu-
dressent des protections raisonnables lement dans les comités de direction et les
contre les abus, ceux qui les font voler se aérodromes, mais aussi à la Maison-Blanche
PRÊT À VOUS LANCER ? VOICI LES cyber-résilience de vos outils devient plus
diicile à mesure que le volume de données
“ AU NIVEAU INTERNATIONAL,
LE PAYSAGE JURIDIQUE
EST TRÈS COMPLEXE”
UN ENTRETIEN AVEC LORETTA ALKALAY, AVOCATE SPÉCIALISÉE DANS LES DRONES.
PAR LAURA AMICO
Les drones du futur proche sont une technologie disruptive, à cheval entre la terre et les airs, capables de collecter
pratiquement n’importe quelles données à une vitesse et pour un coût inégalés. Vous cherchez une personne
disparue ? Envoyez un drone. Vous prenez des mesures pour un chantier de construction ? Envoyez un drone.
Vous désherbez votre champ de maïs ? Envoyez un drone.
Aussi disruptif que soit le drone pour le monde des afaires, ce dernier ne sera pas le seul impacté. Les fondements
de la législation sur la vie privée, l’espace aérien et la compétence des tribunaux le seront également.
Pour comprendre la façon dont les drones sont en train de façonner les lois de l’aviation moderne (et le droit foncier),
HBR s’est entretenu avec Loretta Alkalay, ancienne avocate de la FAA (l’agence américaine de l’aviation civile)
et pilote de drone. En plus de publier sur son compte Instagram des photographies aériennes absolument
vertigineuses, Loretta Alkalay enseigne la législation des drones au Vaughn College of Aeronautics and Technology,
à New York. Elle donne ici ses conseils sur l’intégration des exigences légales à votre stratégie d’exploitation des
drones, ainsi que sa vision de l’avenir.
HBR : Les drones sont une technologie portant de vérifier les exigences des assu- Quelles problématiques juridiques
disruptive pour les entreprises dans rances pour être sûr d’être bien couvert. se poseront, à terme ?
la mesure où ils transforment le travail Par contre, il n’existe aucune exigence L’une des principales diicultés est la proli-
et repoussent les limites de la collecte fédérale pour les entreprises qui souhaitent fération des réglementations locales restrei-
de données, d’une manière qui proite utiliser des drones. Les pilotes de drone pro- gnant les sites de décollage et d’atterrissage
à pratiquement tous les secteurs. Mais fessionnels doivent détenir un certificat de des drones. L’avenir des drones dépend de
comment impactent-ils la législation ? pilotage à distance de la FAA (agence améri- l’existence de zones appropriées à ces
LORETTA ALKALAY : Il se passe beaucoup de caine de l’aviation civile), qui est assez facile à manœuvres, et notamment de zones per-
choses autour de la détermination de la na- obtenir. Les obligations pour les vols à proxi- mettant d’opérer à la fois au sol et dans les
ture de la législation régulant l’utilisation des mité des populations ou des constructions, airs, à l’instar des aéroports et des héliports.
drones. Le rythme est diicile à suivre, car les ainsi que l’altitude maximale à proximité des La réglementation des manœuvres au sol
lois changent et varient selon les juridictions. constructions, ont été signiicativement allé- dépend généralement des autorités locales,
Aux Etats-Unis en particulier, beaucoup de gées par les réglementations de la FAA entrées or on voit actuellement beaucoup d’Etats
villes et d’Etats ont voté des réglementations en vigueur en août 2016. ou de communes chercher à contrôler les
locales et beaucoup envisagent de le faire. Un Il n’en est pas moins chronophage d’obte- drones en limitant les zones d’où ils peuvent
grand nombre de ces réglementations, dans nir des autorisations pour tout ce qui déborde décoller et atterrir.
la mesure où elles prétendent réguler l’espace du cadre légal. Ainsi, obtenir le droit de faire Le respect de la vie privée est une autre
aérien, seront probablement invalidées par la voler un drone dans un espace aérien problématique. Même si je pense que cette
justice fédérale, mais justement – tout est contrôlé est une procédure longue, du moins question se pose de la même façon pour les
dans ce « probablement ». pour l’instant. Les demandes de dérogation drones et les autres technologies, certains
Rien n’est sûr. Et il faudra que ces régle- pour le survol d’individus non impliqués redoutent que les drones servent à collecter
mentations soient violées pour que leur vali- dans le pilotage du drone ou pour les vols au- des données à l’aide de capteurs et de camé-
dité soit décidée en cour fédérale. Toutefois, delà du champ visuel prennent du temps et ras, aussi veulent-ils des lois qui encadrent
pour que l’industrie du drone se développe n’ont que très peu de chances d’aboutir. Et les les informations collectées et leur durée de
au maximum de son potentiel, le gouverne- démarches pour faire voler des drones de conservation. Comme c’est souvent le cas
ment américain va devoir intervenir, soit par plus de 25 kg sont lourdes, et requièrent, là avec les technologies nouvelles, les gens ont
le biais d’un procès renvoyé devant la Cour encore, du temps. peur de l’inconnu et souhaitent contrôler
suprême, soit en votant des lois fédérales. Il Si vous prévoyez d’utiliser des drones au- les abus potentiels.
est impossible pour l’industrie du drone de delà des terrains ou infrastructures vous ap- A l’heure actuelle, il n’existe aucune
se développer dans le contexte actuel. partenant, la législation est davantage sujette norme liée à la fabrication des drones ni
A l’avenir, par exemple, quand il sera de- au changement, notamment au niveau local. aux appareils eux-mêmes. Je pense que ce
venu courant d’utiliser des drones pour me- Dans ces cas-là, mieux vaut consulter un avo- type de normes est amené à se développer
ner des tâches à distance telles que l’inspec- cat à intervalles réguliers. Il évaluera et vous et deviendra obligatoire, ce qui assurera un
tion des voies ferrées, des lignes électriques recommandera plusieurs stratégies, et vous certain degré de sécurité grâce auquel la
ou des pipelines, le recueil de données après aidera à obtenir les éventuelles autorisations FAA autorisera peut-être les vols de routine
une catastrophe, la gestion agricole et même oicielles nécessaires. au-dessus des populations ou au-delà du
la livraison, les questions légales relatives à champ visuel de l’opérateur. Il pourra s’agir
cet objet qui survole les juridictions et le pays Qu’en est-il de l’utilisation d’un drone de systèmes redondants pour éviter les
devront être réglées. Outre la question de en dehors du territoire américain ? crashs en cas de défaillance de l’un des
savoir qui contrôle l’espace aérien navigable, Au niveau international, le paysage juridique systèmes, ou encore de dispositifs qui per-
il faudra se demander si les propriétaires ter- est très complexe, chaque pays ayant ses mettront de détecter et d’éviter les autres
riens disposent d’un droit sur l’espace propres lois et dispositions. L’Organisation de engins volants.
au-dessus de leur terrain, à très basse altitude l’aviation civile internationale (Oaci), une
notamment, sous la cime des arbres. agence des Nations unies composée de A quels aspects de la loi ceux
191 pays membres signataires de la conven- qui développent une stratégie
Que dit la loi ? Qu’ai-je le droit de faire ? tion de Chicago, un traité international d’utilisation des drones doivent-ils
Ou plutôt, que devrais-je faire ? d’aviation, travaille à l’intégration des engins faire le plus attention ?
D’une façon générale, si vous prévoyez juste volants sans pilote dans l’aviation civile mon- Si vous estimez que les drones sont utiles à
d’utiliser de petits drones (de moins de 25 kg) diale, mais il faudra probablement encore votre entreprise, il est bien entendu impor-
au-dessus de votre propriété, ou d’une pro- attendre plusieurs décennies. Les membres tant d’opérer en toute sûreté et légalité. Il
priété que vous avez le droit d’utiliser, la légis- de l’Oaci sont tenus, en vertu du traité, de se est aussi important d’être sensible à la
lation est assez établie. Une consultation avec conformer à des normes qui afectent poten- perception des drones par le grand public et
un avocat devrait suire pour vous informer tiellement tous les champs relatifs à l’avia- de comprendre en quoi votre utilisation des
des paramètres liés à cette propriété et à cette tion. Il s’agit surtout de normes techniques, drones peut affecter cette perception.
utilisation en particulier : avez-vous besoin développées conjointement et adoptées par Autant que possible, faites preuve de civi-
d’une autorisation d’utilisation de l’espace consensus. Les membres sont si nombreux lité avec vos appareils, surtout quand vous
aérien ? Ou d’une dérogation pour les vols de que les processus d’élaboration et d’adoption survolez des espaces publics ou des zones
nuit et autre vols réglementés ? Il est aussi im- de ces normes sont lents et laborieux. qui ne vous appartiennent pas.
Avez-vous la bonne
stature pour être
président de conseil
d’administration ?
Page 82
LA STRATÉGIE
À L’ÈRE
DU CAPITAL
SURABONDANT
L’ARGENT N’EST PLUS UNE RESSOURCE
RARE. ET ÇA CHANGE TOUT.
PAR MICHAEL MANKINS,
KAREN HARRIS ET DAVID HARDING
L
a plupart du temps, au cours des
cinquante dernières années, les
chefs d’entreprise ont considéré
le capital financier comme leur
ressource la plus précieuse. Ils
ont travaillé dur pour que
chaque centime finance exclusi-
vement les projets les plus pro-
metteurs. Une génération en-
tière de dirigeants a appris à
appliquer des taux butoirs reflé-
tant le coût élevé du capital,
caractéristique de la plus grande
partie des années 1980 et 1990.
On louait la discipline avec la-
quelle des groupes comme
General Electric et Berkshire
Hathaway investissaient.
Aujourd’hui, le capital n’est plus une ressource
rare : il est abondant et bon marché. Selon le Macro
Trends Group du cabinet de conseil Bain & Company,
le capital financier mondial a plus que triplé au cours
des trente dernières années, pour représenter environ
dix fois le PIB de la planète. Le capital devenant plé-
thorique, son prix s’est effondré. Pour de nombreuses
grandes entreprises, le coût de la dette après impôts
est proche du taux d’inflation. Autrement dit, son
coût réel avoisine zéro. Toute entreprise raisonnable-
ment bénéficiaire obtient facilement les fonds néces-
L’IDÉE EN BREF saires pour acheter de nouveaux équipements, finan-
cer le développement d’un nouveau produit, l’entrée
CE QUI A CHANGÉ sur de nouveaux marchés, voire acquérir de nouvelles
La plupart du temps, activités. Certes, les équipes dirigeantes doivent tou-
au cours des cinquante
dernières années, les chefs jours gérer leur argent prudemment, le gaspillage res-
d’entreprise ont considéré tant du gaspillage. Mais la répartition judicieuse des
le capital financier comme capitaux n’est plus un avantage compétitif durable.
leur ressource la plus Les actifs rares dans la plupart des entreprises sont
précieuse. Mais aujourd’hui, les compétences et capacités nécessaires pour tra-
celui-ci est abondant
et bon marché. duire les bonnes idées de croissance en nouveaux pro-
duits, services et activités florissants. Or l’approche
CE QUE ÇA SIGNIFIE financière traditionnelle de l’investissement straté-
La répartition judicieuse gique n’a fait qu’aggraver cette pénurie. En effet, la
du capital financier n’est méthode standard de hiérarchisation des investisse- doivent abaisser les taux butoirs et assouplir les
plus une source d’avantage ments stratégiques vise à limiter le champ des projets contraintes qui reflètent l’époque révolue du capital
compétitif pérenne. Le plus
important est de disposer potentiels, encourageant les entreprises à investir rare. Il leur faut abandonner la politique des gros paris
d’une main-d’œuvre capable dans une poignée de « paris sûrs » passant la barre de peu fréquents sur plusieurs années pour se lancer
d’avoir de bonnes idées taux butoirs élevés. A une époque où la plupart des dans de petits investissements nombreux et diversi-
et de les traduire en entreprises cherchent désespérément des sources de fiés, sachant qu’ils ne prospéreront pas tous. Elles
nouveaux produits, services croissance, cette approche neutralise trop d’options et doivent apprendre à repérer rapidement les affaires
et activités florissantes.
n’encourage pas les décideurs à se désengager d’in- perdantes (et à en sortir) tout en soutenant vigoureu-
QUE FAIRE ? vestissements non rentables. Enfin, elle laisse dormir sement les gagnantes pour en faire de nouvelles acti-
Les entreprises devraient dans les caisses de l’entreprise les liquidités pour vités florissantes. Les sociétés innovantes sur les mar-
baisser leurs taux butoirs, lesquelles les dirigeants ne trouvent souvent pas meil- chés en évolution rapide ont déjà adopté ce modèle,
investir modestement dans leur usage que le rachat d’actions. mais, à l’ère du capital bon marché, celui-ci s’impo-
de nombreuses opportunités La stratégie à l’ère du capital surabondant exige sera à l’ensemble du monde des affaires. Les entre-
de croissance et veiller
davantage à la bonne une approche fondamentalement différente des mo- prises qui appliqueront cette stratégie auront l’avan-
gestion de leur capital dèles traditionnels ancrés dans la planification à long tage tant que le capital restera surabondant. Selon
humain. terme et l’amélioration continue. Les entreprises notre analyse, ce devrait être le cas pour les vingt
25%
1% D’AUGMENTATION DE LA MARGE OPÉRATIONNELLE
1% D’AUGMENTATION DE LA CROISSANCE LES NOUVELLES RÈGLES DE LA STRATÉGIE
20% Quand le capital est à la fois abondant et bon marché,
il convient de revoir de nombreux postulats tacites sur
15% ce qui fait le succès des entreprises et d’établir de nou-
velles règles du jeu. Au cours de nos missions auprès
de nos clients, nous avons vu quelques entreprises qui
10%
prennent déjà en compte la surabondance des capi-
7%
6% 6% 6% 6% taux dans leur stratégie et leur organisation. Les chan-
5% gements auxquels elles procèdent (et dont elles tirent
bénéice) obéissent à trois nouvelles règles :
1%
0%
Abaisser les taux butoirs. La quasi-totalité des
–1% grandes entreprises ixent des taux butoirs explicites
6% 9% 12% 15% ou implicites aux nouveaux investissements inan-
COÛT MOYEN PONDÉRÉ DU CAPITAL ciers. Le taux butoir est le rendement minimum at-
tendu d’un investissement. Si le rendement prévu est
SOURCE : BAIN & COMPANY.
supérieur à cette limite, le projet recevra le feu vert ;
s’il est inférieur, il sera abandonné. Dans l’idéal, le
INTÉGRER LE
au cours des décennies passées, la plupart des entre-
DÉVELOPPEMENT
prises ont eu recours à la réingénierie des processus,
aux Six Sigma, à la méthode des « couches (de mana- CONTINU À L’ADN DE
gement) et de l’étendue (du contrôle) » et autres outils
d’élimination du gaspillage et d’augmentation de l’ef-
ficacité. Toutefois, dans le même temps, le taux d’in-
L’ENTREPRISE N’EST
novation a chuté, selon une enquête menée par
l’OCDE, et, depuis 2010, près d’un tiers des entreprises PAS FACILE. INVESTIR
non financières du S & P 500 a vu son chiffre d’affaires
stagner ou diminuer. DANS LA CROISSANCE
RÉELLE A TOUJOURS
Pour réussir à l’ère du capital surabondant, les lea-
ders devront se concentrer autant, sinon plus, sur les
nouvelles opportunités de croissance que sur l’opti-
misation des activités existantes : lorsque le coût du
capital est aussi faible qu’aujourd’hui, le gain obtenu ÉTÉ RISQUÉ ; LES
en augmentant la croissance est en effet bien plus
élevé que celui qu’on peut attendre d’une améliora- DIRIGEANTS DOIVENT
ACCEPTER, VOIRE
tion de la rentabilité. Regardons le graphique « Choisir
une stratégie : rentabilité ou croissance ? ». Il montre
que les bénéfices de l’investissement dans l’accéléra-
tion de la croissance (plutôt que l’amélioration de la
rentabilité) sont très dépendants du coût du capital.
Mais, avec un CMPC à moins de 6% aujourd’hui, la
ADOPTER L’ÉCHEC.
voie de la croissance surclasse clairement l’accent mis
sur la rentabilité (tel que mesuré par la marge opéra-
tionnelle moyenne avant impôt des entreprises du
Value Line Index). Améliorer la marge de 1% accroî- elle, propose au contraire à ses clients un marché in-
trait la valeur moyenne de l’entreprise de 6% seule- terne sur lequel ils peuvent choisir parmi un large
ment. En revanche, augmenter le taux de croissance à éventail d’activités de services marketing opérant
long terme de 1% doperait la valeur de 27% : soit sous la marque ombrelle WPP. Ces services travaillent
4,5 fois de plus pour chaque dollar investi. ensuite ensemble au sein d’équipes client dédiées. Le
Passer à une optique de croissance exige une groupe comptait (en 2017) cinquante de ces équipes
réévaluation du modèle organisationnel, comme qui impliquaient 40 000 personnes contribuant pour
le montre le cas de WPP, la première agence un tiers au chiffre d’affaires du groupe. Chaque équipe
mondiale de publicité et de services marke- est dirigée par un des directeurs client de WPP, ce qui
ting. En plus d’optimiser ses activités exis- met le groupe en position de coordonner le travail.
tantes, WPP a cherché des opportunités de Cela donne au client l’avantage d’avoir un partenaire
croissance en menant des douzaines doté d’une vision globale de leur activité tout en ayant
d’investissements et acquisitions en de- l’avantage du choix. Cette approche a permis à chaque
hors de ses métiers et de ses marchés agence de se concentrer sur ce qu’elle sait faire le
géographiques traditionnels. Résul- mieux, qu’il s’agisse de publicité en ligne, de relations
tat : son chiffre d’affaires est passé de publiques, d’analyse marketing ou autre. Les diri-
16,1 milliards de dollars en 2011 à geants de WPP ont également la latitude d’initier des
19 milliards en 2015 et son résultat stratégies audacieuses afin de se développer dans le
opérationnel de 1,9 milliard à numérique, les zones géographiques à forte crois-
2,5 milliards. sance et les nouvelles activités comme l’analyse des
WPP doit une grande partie données de marché (ou DIM, pour « data investment
de son succès à une approche management »).
organisationnelle que son En sus de structures officielles qui encouragent les
P-DG de l’époque, Martin nouvelles idées d’activités, les entreprises peuvent
Sorrell, appelle « horizon- adopter des processus informels pour récompenser le
talité ». Le modèle tradi- développement continu. 3M en est l’exemple emblé-
tionnel du secteur veut matique. Pendant des années, le groupe a permis à ses
que les agences se quelque 8 000 chercheurs de consacrer 15% de leur
concurrencent pour temps à des projets ne nécessitant pas l’approbation
obtenir des clients formelle de leurs supérieurs. Le groupe entretient aussi
un contrat global. une politique de développement produit classique
W P P, q u a nt à dans laquelle les patrons d’activité et les chercheurs
ÉCHELLE, ENVERGURE ET AVENIR
DES FUSIONS ET ACQUISITIONS
L’abondance de capitaux est un véritable carburant
à fusées pour les fusions et acquisitions (F & A).
Le capital bon marché a récemment facilité des niveaux
records d’acquisitions et quelques-unes des transactions
les plus importantes de l’histoire des entreprises. La
plupart des transactions financées par la dette sont des
opérations d’économies d’échelle, en général une forme
ou une autre de consolidation sectorielle. Les exemples
sont nombreux dans les secteurs de la pharmacie, des
technologies, des télécoms et de l’énergie.
Etant donné les faibles coûts d’emprunt et les opportunités de synergies
post-fusion (qui se montent en général jusqu’à 5% des chiffres d’affaires
combinés), les opérations d’échelle semblent des paris sûrs. Les entreprises
fusionnées atteignent généralement les objectifs de gains prévus un,
deux ou trois ans après le deal. Mais, à long terme, leur performance
est moins impressionnante.
Bain & Company observe le rendement des transactions depuis plus de
quinze ans et le résultat le plus flagrant est que les consolidations d’échelle
sous-performent le marché. Presque toutes les autres stratégies de F & A
font mieux que ces « gros paris » qui génèrent seulement 4,4% de rentabilité
annuelle totale pour l’actionnaire. En réalité, s’abstenir de faire un deal
rapporte plus que de mener une opération d’échelle (le statu quo génère une
rentabilité annuelle de 5,7%). En conséquence, même si les fonds nécessaires
à l’opération sont disponibles (un peu comme la fontaine à chocolat au buffet
à volonté), s’en servir n’est pas forcément une bonne idée.
Mais cela ne veut pas dire que les F & A sont condamnées. Il y a une
alternative aux deals d’échelle : les opérations d’envergure qui entraînent les
entreprises sur des activités connexes, des services complémentaires ou des
nouveaux marchés et zones géographiques. Notre étude montre que les deals
d’envergure offrent en général de meilleurs rendements ; et plus l’entreprise
en conclut, meilleurs ils sont. Les sociétés qui se développent en recourant
à des opérations plus modestes et plus fréquentes pendant plusieurs années
génèrent entre 8,2% et 9,3% de rentabilité annuelle totale pour l’actionnaire.
Pourquoi les deals d’envergure font-ils mieux que les deals d’échelle en
cette nouvelle ère ? La réponse tient en un mot : la croissance. Une opération
dans une activité connexe est presque toujours une opération dans
une activité à plus forte croissance offrant plus de choix de valorisation.
ANDREAANTUNES1 / ISTOCK
travaillent ensemble ain de créer de nouvelles ofres courses, partage de photos, un service en ligne de
et d’améliorer celles qui existent déjà. Ce processus comparaison d’assurances automobiles). Si nombre
d’innovation multidirectionnel a permis à 3M d’en- de ces investissements ont rencontré le succès, cer-
gendrer un nombre incalculable de nouveaux produits tains ont échoué. Mais au lieu de rester collés à ces
(des adhésifs industriels aux Post-it) et une croissance échecs, le P-DG Larry Page et son équipe en sont sortis
continue du chifre d’afaires, année après année. très vite. Cela a permis à l’entreprise d’avancer, de tes-
Intégrer le développement continu à l’ADN d’une ter d’autres idées d’investissement et de redoubler
entreprise n’est pas chose aisée et nombre de sociétés d’eforts dans les nouvelles activités prometteuses.
ont pâti d’une perte de spécialisation et d’excès de Depuis 2014, Alphabet a fermé la société de domo-
diversiication. Mais ce n’est pas une raison pour ne tique Revolv, le site d’assurances automobiles Google
pas relever le déi. Investir dans une croissance véri- Compare, mis Google Fiber en sommeil et cédé
table a toujours été risqué ; les dirigeants doivent Motorola Mobility à Lenovo.
apprendre à accepter, voire à adopter l’échec. Comme Au cours de la même période, l’entreprise a aug-
l’a dit un jour Bill Harris, ex-PDG d’Intuit et de menté sa mise dans les services de cloud et diverses
PayPal : « Récompenser le succès est facile, mais, se- activités managées par X, le laboratoire du groupe,
lon nous, il est plus important de récompenser dont des lentilles de contact électroniques et un ré-
l’échec intelligent. » Les leaders d’aujourd’hui de- seau de ballons stratosphériques censé fournir un ac-
vraient évaluer leurs équipiers non seulement pour cès Internet mobile à haut débit en milieu rural. Tous
leurs coups gagnants mais aussi pour les leçons qu’ils ces investissements ne paieront pas, mais cette op-
tirent de leurs échecs. Cela implique de nouveaux tique « expérimentations nobles » a permis à l’entre-
processus d’évaluation de la performance et, de la prise d’explorer de nombreuses idées innovantes et de
part des dirigeants, un pilotage de la manière dont créer de nouvelles plateformes générant de la crois-
leur entreprise engrange de nouvelles connaissances sance proitable.
en explorant de nouveaux terrains de croissance, Certes, Alphabet dispose de beaucoup plus de res-
que ceux-ci prospèrent ou non. sources que la plupart des entreprises et opère dans la
Investir dans les expérimentations. Lorsque le « nouvelle économie », secteur qui développe sans
capital était rare, les entreprises cherchaient à repérer cesse de nouvelles idées. Mais cette approche peut
les opportunités gagnantes. Les dirigeants devaient donner lieu à quantité d’applications dans les sec-
être parfaitement sûrs que la nouvelle technologie ou teurs traditionnels. L’agroalimentaire en est un bon
le nouveau produit en valait la peine avant d’investir exemple. Chaque mois de mars, les aspirants
ce précieux capital. Car les carrières autant que la stra- entrepreneurs dans le bio se rassemblent à Anaheim,
tégie pouvaient subir durement les conséquences de en Californie, pour Expo West, la grande foire du
la moindre erreur. Avec des capitaux en surabon- secteur. Autrefois, le créateur d’entreprise qui y tenait
dance, les leaders ont l’opportunité de prendre plus de un stand pouvait espérer démarrer son activité grâce
risques, de doubler la mise sur les investissements qui à des business angels, sa famille ou des amis. Le
marchent bien et d’éponger les pertes des autres. Au- succès venant, la taille de l’entreprise était suscep-
trement dit, quand les clefs sont bon marché, il est tible de lui attirer du capital-risque ou des fonds
payant d’ouvrir beaucoup de portes avant de décider d’investissement. Mais les grands de l’agroalimen-
laquelle franchir. taire restaient à l’écart. Connaissant le faible taux de
En cette nouvelle ère de capital surabondant, les réussite des nouveaux produits, ils préféraient inan-
dirigeants doivent, s’ils veulent gagner, abandonner cer l’innovation en interne plutôt que de risquer des
l’idée que chaque investissement est un engagement capitaux coûteux sur des start-up.
à long terme. Ils doivent cesser de se prouver à eux- Aujourd’hui, ces grandes entreprises se pressent à
mêmes (et à leurs collègues) qu’ils savent prédire cor- Expo West et proitent de capitaux bon marché pour
rectement l’avenir et les résultats d’une activité à cinq créer leur propre société d’investissement dévelop-
ou dix ans. Ils devraient plutôt se demander si investir pant des portefeuilles d’activités agroalimentaires
pourrait représenter une expérience intéressante. Si naissantes. Kellogg détient Eighteen94 Capital,
celle-ci échoue, ils peuvent (et doivent) redresser la General Mills possède 301 INC et Campbell investit par
barre. Traiter les investissements comme des expéri- le truchement d’Acre Venture Partners. Les groupes
mentations permet aux entreprises de multiplier les utilisent ces entités internes pour inancer des start-up,
paris et de réagir plus vite que leurs concurrents, no- les faire grandir, puis sélectionner les meilleures. Lors-
tamment sur les marchés qui changent rapidement. qu’un nouveau produit décolle, ils rachètent les parts
Prenons le cas d’Alphabet. Depuis 2005, la maison aux fondateurs et intègrent l’activité dans leur groupe.
mère de Google a investi dans un nombre incalculable De fait, la surabondance de capitaux a ouvert l’« inno-
de nouvelles activités. Certaines ont été très médiati- vation externalisée » aux géants de l’agroalimentaire,
sées, comme YouTube, Nest, Google Glass, les télé- leur permettant d’exploiter la dynamique de l’écono-
phones Motorola, Google Fiber et les voitures auto- mie entrepreneuriale pour régler leur problème straté-
nomes. D’autres sont moins connues (livraison des gique le plus important : la croissance.
POUR DES
PUBLICITÉS QUI
NE DÉPASSENT
PAS LES BORNES
Comment vous assurer
que vous ne poussez pas
la personnalisation
trop loin.
Par Leslie K. John,
Tami Kim et Kate Barasz
ILLUSTRATIONS : KYLE T. WEBSTER
72 HARVARD BUSINESS REVIEW AOÛT-SEPTEMBRE 2018
HBRFRANCE.FR
Pour les consommateurs qui préfèrent voir des taire et comment les marketeurs peuvent utiliser la per-
publicités qui les concernent plutôt que des annonces sonnalisation tout en respectant la vie privée des gens.
au hasard (étant donné qu’il est irréaliste d’envisager du
contenu sans publicité dans le contexte actuel
d’Internet, où tout est inancé par la publicité), il est LE PARADOXE DE LA VIE PRIVÉE
crucial que les marketeurs sachent où placer le curseur. S’agissant de notre vie privée, nous ne sommes pas
Les spécialistes du marketing digital doivent com- toujours rationnels. Ainsi, il arrive souvent que nous
prendre à quel moment il est acceptable de se servir des en partagions des détails intimes avec de parfaits in-
données personnelles pour individualiser des publici- connus, alors que nous avons des secrets pour nos
tés et à quel moment cela ne l’est pas, de manière à res- proches. Les chercheurs en sciences sociales ont iden-
pecter les attentes des consommateurs concernant tiié plusieurs facteurs qui prédisent si les gens seront
l’utilisation de leurs données. La bonne nouvelle, c’est à l’aise ou non avec l’utilisation de leurs données per-
que les chercheurs en sciences sociales en savent déjà sonnelles. L’un de ces facteurs est assez évident : il
beaucoup sur ce qui suscite des inquiétudes quant au s’agit de la nature de l’information. Il tombe sous le
respect de la vie privée dans le monde réel, et que des sens que plus ces informations seront intimes (les
études récentes menées autant par nous que par données d’ordres sexuel, médical et pécuniaire sont
d’autres montrent que ces règles peuvent guider les ac- particulièrement sensibles), moins les gens seront à
tions des marketeurs en ligne. Une série d’expérimenta- l’aise avec l’idée que d’autres en aient connaissance.
tions nous a permis de commencer à comprendre ce qui Un deuxième facteur, un peu plus nuancé celui-là,
conduit les consommateurs à rejeter le ciblage publici- implique la manière dont ces informations vont
changer de main, ce que les chercheurs en sciences notre site lors de votre visite. » Pour simuler une situa-
sociales appellent « les lux d’informations ». Une règle tion inacceptable, c’est-à-dire de partage par un tiers,
que l’on peut résumer en termes simples par « Ne un autre groupe a tout d’abord navigué sur un site, puis
parlez pas des gens derrière leur dos ». Alors que les en a visité un second où était diffusée une publicité
individus disent ne pas se sentir gênés de divulguer accompagnée du message suivant : « Cette publicité a
eux-mêmes des informations les concernant (ce que été générée à partir des produits sur lesquels vous avez
les experts appellent le « partage à la première cliqué lors de la visite d’un site tiers. » Le dernier
personne »), ils peuvent être plus mal à l’aise lorsque groupe servait de témoin : les participants naviguaient
cette information circule à leur insu (ce que l’on ap- sur un site où ils voyaient une publicité, mais sans mes-
pelle le « partage par un tiers »). Si vous apprenez sage explicatif. Pour chaque groupe, nous avons
qu’un ami a révélé des détails intimes vous concer- mesuré l’intention d’achat du produit présenté dans la
nant à un ami commun, vous serez sans doute fâché, publicité, ainsi que la probabilité pour que la personne
même si le fait que les deux parties soient au courant visite le site de l’annonceur. En outre, pour com-
ne vous pose pas de problème en soi. Il peut aussi être prendre comment ces trois scénarios publicitaires in-
tabou de déduire des informations sur quelqu’un, fluent sur l’état d’esprit des consommateurs, nous
même si ces déductions sont justes. Une femme avons demandé à tous les participants ce qui comptait
pourrait ainsi prévenir un collègue proche de son le plus pour eux : la personnalisation des publicités ou
début de grossesse, mais trouver inacceptable qu’il lui la protection de leurs données personnelles.
dise l’avoir déjà deviné. Les résultats ont montré qu’en cas de partage par un
Nos études récentes nous ont appris que ces règles tiers, jugé inacceptable, l’inquiétude quant à la protec-
concernant les informations s’appliquent aussi au tion des données personnelles l’emportait sur le goût
monde digital. Dans la première, nous avons listé les pour la publicité personnalisée. Et que cet état d’esprit
manières habituelles dont Google et Facebook uti- afectait à son tour les intentions d’achat, réduites de
lisent les données personnelles pour générer de la 24% dans le groupe exposé au partage inacceptable par
publicité. Nous avons ensuite demandé aux consom- rapport aux autres – preuve évidente d’un rejet.
mateurs de noter à quel point chaque méthode leur Puis nous avons de nouveau mené ce test, en utili-
semblait acceptable puis, à l’aide d’un outil statistique sant cette fois des informations déclarées (acceptables)
– l’analyse factorielle – nous avons identifié des versus des informations inférées (inacceptables). Après
ensembles de méthodes que les consommateurs avoir complété un proil client en ligne, un groupe a été
avaient tendance à ne pas apprécier ; les résultats exposé à une publicité accompagnée de ce commen-
s’apparentaient à ceux du monde réel : taire : « Cette publicité a été générée à partir des infor-
• aller chercher des informations en dehors mations personnelles que vous nous avez fournies. »
du site sur lequel la publicité s’aiche re- Après avoir rempli le même questionnaire, un deu-
vient à parler dans le dos de quelqu’un ; xième groupe a été exposé à une publicité accompa-
• déduire une information sur au- gnée de cette explication : « Cette publicité a été géné-
trui à partir d’une analyse de don- rée à partir des informations que nous avons déduites à
D’ACHAT DIMINUENT. compagnée de l’explication pour des produits que veut la cible et dont elle a besoin,
suivante : « Cette publicité a et ce d’une manière qu’elle jugera acceptable.
été générée à partir des produits La confiance. De nos jours, pour éviter les réac-
sur lesquels vous avez cliqué sur tions négatives face au ciblage, de nombreux annon-
ceurs optent pour la transparence : nombre d’an- recueillies sur Facebook ou sur un site tiers et si ces
nonces sont à présent accompagnées d’une icône données avaient été fournies par les utilisateurs eux-
« Choisir sa pub », un symbole bleu indiquant que la mêmes ou si elles avaient été inférées. Enfin, nous
publicité est adaptée aux caractéristiques de la per- avons évalué leur intention d’achat du produit vanté
sonne ciblée. Dans certains cas, les consommateurs par la publicité, ainsi que leur intérêt pour l’annon-
peuvent cliquer sur l’icône pour savoir pourquoi la ceur en général (par exemple, la probabilité que le
publicité leur a été proposée. En 2014, Facebook a fait sujet aille visiter le site Web de l’entreprise ou « aime »
de même en introduisant le bouton « Pourquoi est-ce sa page Facebook). Globalement, les publicités issues
que je vois cette publicité ? » sur sa plateforme. de lux inacceptables fonctionnaient moins bien que
Une telle transparence peut se révéler bénéique celles issues de flux acceptables. Par ailleurs, la
lorsque le ciblage se fait de manière acceptable coniance en la plateforme accroissait encore la récep-
– surtout si la plateforme qui aiche la publicité a par tivité des consommateurs : ceux qui avaient coniance
ailleurs gagné la coniance de ses utilisateurs. Dans en Facebook et voyaient des publicités générées à
une expérience menée auprès de ceux de Facebook, partir de lux de données acceptables étaient les plus
nous avons tout d’abord sondé les participants pour enclins de tous à acheter le produit et à se déclarer
savoir à quel point ils faisaient confiance au réseau intéressés par l’annonceur.
social. Ensuite, nous les avons priés de trouver la Nous avons aussi constaté que, lorsque la
première publicité de leur il d’actualité et de lire le coniance était élevée, le fait d’expliciter l’origine des
message sur la transparence qui l’accompagnait. Puis, lux acceptables augmentait les taux de clics. Dans le
nous leur avons demandé si ce message indiquait que cadre d’une série d’études de terrain, nous nous
la publicité avait été générée à partir de données sommes associés à Maritz Motivation Solutions, qui
POUR UNE SOCIÉTÉ, JUSTIFIER L’UTILISATION ment et que l’on utilise ces informations de manière
transparente, la performance publicitaire augmente.
DE DONNÉES PERSONNELLES PEUT AIDER Pour une autre expérience, nous avons montré aux
participants une publicité ciblée, en faisant varier le
À AMÉLIORER L’USAGE QU’ELLE EN FAIT. texte l’accompagnant. Dans un des groupes, l’an-
nonce était assortie d’un message disant qu’elle avait
été générée à partir de données issues d’un site tiers
(inacceptable). Un deuxième groupe a été exposé au
même message avec, en plus, un texte leur rappelant
gère des sites Web de conversion des points de idélité qu’ils pouvaient modiier leurs préférences en matière
tels que ceux des compagnies aériennes, un contexte de publicité. Un troisième groupe a juste vu la publi-
où la coniance des internautes tend à être élevée. La cité. Les intentions d’achat du premier groupe étaient
technologie utilisée est la même que celle des grands plus faibles que celles du troisième. Cependant, celles
sites d’e-commerce, la seule diférence étant que l’on au sein du deuxième groupe – composé de consom-
paye avec des points et non avec de l’argent. Dans mateurs à qui il avait été rappelé la possibilité de
l’une de ces expériences, quand nous avons révélé modiier leurs préférences – étaient aussi élevées que
aux visiteurs que les publicités qu’ils voyaient dépen- dans le groupe n’ayant reçu aucun message explicatif.
daient de leurs activités sur ce site (partage à la pre- En d’autres termes, rappeler aux consommateurs
mière personne), le taux de clics a augmenté de 11%, le qu’ils peuvent contrôler l’usage qui est fait de leurs
temps passé à regarder le produit vanté par l’annonce données personnelles permet d’éviter tout retour de
de 34% et le chifre d’afaires généré de 38%. bâton lié à une collecte jugée inacceptable des don-
Le contrôle. Au cœur de l’inquiétude liée à la pro- nées personnelles. Pour tout dire, un quatrième
tection de la vie privée, on retrouve la notion de groupe a aussi participé à l’expérience et sa réaction
contrôle. Les consommateurs ne sont pas forcément montre malheureusement à quel point il est facile de
opposés à ce que leurs données soient utilisées dans tromper les consommateurs. Les participants de ce
un contexte spéciique, mais ils s’inquiètent de leur groupe ont aussi été exposés au message accompa-
incapacité à décider qui d’autre y aura accès et com- gnant la publicité et à un mémo concernant la gestion
ment elles seront utilisées par la suite. de leurs données. Cette fois-ci, cependant, il leur était
Pour les besoins d’une autre expérimentation, seulement rappelé qu’ils pouvaient changer leur
Catherine Tucker, professeure au MIT, s’est associée à photo de proil. Malgré tout, les intentions d’achat au
une ONG qui faisait de la publicité sur Facebook. sein de ce groupe étaient tout aussi élevées que celles
Celle-ci ciblait 1,2 million d’utilisateurs de Facebook, du groupe qui n’avait reçu aucun message.
qu’elle interpellait ainsi : « Changez la vie des petites Il est de plus en plus capital de pouvoir contrôler
filles en Afrique de l’Est en leur offrant une éduca- ses données personnelles dans le monde connecté ac-
tion ». La moitié d’entre eux voyait une publicité per- tuel, où la collecte de données à diférents niveaux sur
sonnalisée, évoquant ouvertement une caractéris- la durée est devenue monnaie courante. Par exemple,
tique que l’internaute avait partagée sur le réseau des courtiers en données agrègent toutes sortes de
social. On pouvait par exemple lire sur l’une des données personnelles, allant de celles collectées sur
annonces « Vous qui êtes fan de Beyoncé, vous les plateformes comme Facebook à celles issues de
savez ce qu’une femme forte peut accomplir » sites d’e-commerce, de programmes de idélité de ma-
si la personne avait « aimé » la page de la chan- gasins, en passant par celles des sociétés de cartes de
teuse sur Facebook. Au milieu de l’expérimen- crédit. Alors que les publicités sont de plus en plus
tation, Facebook a fait évoluer ses conditions sophistiquées et précises et que, dans le même temps,
d’utilisation en matière de vie privée en donnant plus les consommateurs prennent de plus en plus
de contrôle à ses utilisateurs sur leurs données per- conscience de la façon dont leur vie privée peut être
sonnelles (sans changer les caractéristiques que les menacée, donner aux utilisateurs les moyens de réel-
annonceurs peuvent exploiter pour les cibler). Le lement contrôler leurs données personnelles ne
réseau social permettait aux gens de cacher leurs rela- pourra qu’accroître la performance des publicités.
tions et de gérer plus facilement les paramètres de La justification. Révéler pourquoi des données
conidentialité. Avant ce changement de politique, les personnelles ont été utilisées pour générer de la publi-
publicités personnalisées affichaient une perfor- cité peut aider les consommateurs à comprendre l’in-
mance assez médiocre ; les utilisateurs étaient même térêt des annonces ciblées. Dans une expérience
un peu moins susceptibles de cliquer sur elles que sur menée par Tifany Barnett White et ses collègues de
les publicités classiques. Mais, après cela, les an- l’université de l’Illinois, une publicité personnalisée
nonces personnalisées sont devenues presque deux pour une société de location de vidéos qui implique la
fois plus eicaces que les classiques. Autrement dit, géolocalisation des personnes ciblées a eu un effet
lorsque les consommateurs ont davantage leur mot à contre-productif, jusqu’à ce que l’annonce explique
dire sur les informations qu’ils partagent volontaire- l’importance de cette information : le consommateur
1
gens dans l’ignorance, de ne pas dévoiler que les infor-
mations personnelles sont utilisées pour cibler les Ne touchez pas aux informa-
consommateurs, surtout lorsqu’il s’agit de produits tions sensibles. En particulier, évi-
sensibles. C’est exactement ce qu’aurait essayé de tez de vous servir des informations
faire Target après le scandale des promotions pour ayant trait à la santé, à l’orientation
femmes enceintes : l’entreprise a noyé ses ofres des- sexuelle, etc. Google, par exemple, n’autorise
tinées aux futures mères au milieu d’un ensemble de pas les annonceurs à cibler ses utilisateurs en fonc-
coupons de réduction sélectionnés de façon aléatoire tion de leur attirance sexuelle ou de leurs « diicultés
ain que la présence de produits pour bébé paraisse personnelles ». De même, Facebook a fait évoluer sa
fortuite et attire moins l’attention. Il serait aussi ten- politique en interdisant aux annonceurs de cibler leurs
tant de manipuler les consommateurs en les laissant membres en fonction de caractéristiques personnelles
contrôler certains paramètres sans intérêt pour leur comme l’origine ethnique, l’orientation sexuelle et les
donner l’impression de rester maîtres de la situation. problèmes médicaux. Ce changement est un déi pour les
Si, à court terme, ces tactiques peuvent se révéler entreprises qui vendent des produits sensibles ; peut-être
fructueuses, nous pensons qu’elles sont en fait peu devront-elles tout simplement se passer de ciblage. A la
judicieuses. Même en mettant de côté l’éthique, la place, elles devraient trouver de nouveaux clients par des
tromperie érode la coniance lorsqu’elle est révélée. moyens n’impliquant pas l’utilisation de données person-
Alors que, comme le montrent nos expérimentations, nelles, par exemple en faisant de la publicité sur les sites
la coniance renforce les efets positifs d’une utilisa- susceptibles d’être fréquentés par leurs cibles.
2
tion acceptable des données personnelles. Des études
dans des domaines diférents montrent aussi que la Engagez-vous à un minimum de transparence.
confiance a d’autres retombées bénéfiques. Par Entre tout cacher et tout révéler, il y a un monde,
exemple, l’une d’entre nous, Leslie K. John, a mené avec nombre de positions intermédiaires, toutes
avec Bhavya Mohan et Ryan Buell une étude sur la aussi acceptables les unes que les autres. En règle
ixation des prix – autre domaine où la dissimulation générale, nous suggérons aux marketeurs de fournir aux
et la manipulation peuvent augmenter les proits à gens qui le demandent, a minima, des informations à
court terme – qui indique que, quand les entreprises propos de l’utilisation des données personnelles. De
sont transparentes au sujet des coûts variables liés à telles informations devraient être claires et faciles d’accès.
la production d’un bien, la coniance que leurs clients C’est d’ailleurs l’un des objectifs de l’icône « Choisir sa
leur portent augmente, de même que les ventes. pub » : les consommateurs intéressés peuvent cliquer des-
Enin, nous doutons que la dissimulation puisse ser- sus pour savoir pourquoi on leur montre telle ou telle
vir de tactique à long terme ; les consommateurs com- bannière (ou pour demander à ne plus voir d’annonces
prennent mieux de quoi il retourne et les législateurs ciblées), sans déranger ceux qui sont moins sensibles aux
poussent les sociétés à expliciter leur politique en questions de vie privée. Le simple fait d’afficher cette
matière de collecte de données. Une analogie icône sur une page Web peut être bénéique et suire à
empruntée au monde réel est ici éclairante : autant accroître la confiance accordée au site. Cependant, si
vous pouvez tirer un bénéice temporaire d’une trom- l’efort de transparence n’est pas à la hauteur des attentes,
perie faite à un ami, autant les dommages sur votre par exemple si l’explication donnée sur la façon dont le
relation à long terme seront profonds et durables si ciblage publicitaire fonctionne est confuse ou opaque,
celle-ci est découverte. Les relations sont d’autant cela perdra de sa valeur. Un engagement sincère en faveur
plus fortes qu’elles restent sincères. de la transparence peut aussi servir de garde-fou à une
Quels conseils pourrait-on donc donner aux société pour éviter les abus, en s’assurant que les salariés
marketeurs digitaux qui cherchent à maximiser le gardent à l’esprit que c’est l’intérêt du consommateur et le
potentiel qu’offre le ciblage publicitaire ? Nous en souci d’éthique qui doivent guider la façon dont les don-
proposons cinq : nées personnelles vont être utilisées.
3
Utilisez les données personnelles judi- lopper nos services (y compris les publicités) afin
cieusement. Il est clair que la collecte de qu’ils soient plus pertinents et utiles pour vous et pour
données permet d’apprendre beaucoup de les autres. » Une telle déclaration peut aussi servir
choses intéressantes et innovantes sur les d’énoncé de mission pour les salariés – et, encore une
consommateurs, mais, pour autant, nous préconisons fois, de garde-fou pour éviter tout abus.
une certaine retenue. Les consommateurs réagissent
5
mal lorsqu’elles sont utilisées pour générer des re- Essayez d’abord de collecter des données
commandations ou des publicités qui leur semblent de manière traditionnelle. Les marketeurs
intrusives ou déplacées. A l’inverse, ils donneront une devraient garder à l’esprit qu’ils peuvent (et
certaine marge de manœuvre aux annonceurs si leurs devraient) continuer à utiliser la bonne vieille
recommandations leur plaisent. Par exemple, Stitch méthode de recueil des informations sur les consom-
Fix, un service d’abonnement de prêt-à-porter en mateurs, sans surveillance digitale. Alors que Stitch
ligne, détient beaucoup d’informations sur ses clients, Fix déduit beaucoup de choses à propos de ses clients
y compris des données telles que leur poids ou leur à partir de leurs comportements en ligne, la société se
taille de soutien-gorge, qu’ils préfèrent en général ne sert aussi d’enquêtes classiques dans lesquelles les
pas divulguer. Ces informations sont pourtant cru- clients font part de leurs goûts et révèlent leurs carac-
ciales pour que la société puisse proposer et livrer au téristiques physiques. Des entreprises comme
domicile de ses clients des sélections de vêtements Amazon ou Netflix, qui dépendent beaucoup des
qui leur vont. Parce que Stitch Fix utilise les données recommandations pertinentes qu’elles apportent à
personnelles de ses clients à bon escient, ceux-ci ne leurs clients, n’hésitent pas non plus à les interroger
considèrent pas cette pratique comme intrusive. directement sur leurs préférences. Compléter la col-
Certains consommateurs sont même prêts à lecte automatique et peu transparente d’informations
pardonner que leurs données soient recueillies via un avec des méthodes plus ouvertes peut diminuer le
tiers s’ils en tirent un bénéice évident. Par exemple, sentiment d’intrusion chez le consommateur. Plus
l’application de rencontres Tinder indique à son utili- important encore, cela peut permettre d’enrichir les
sateur combien d’amis Facebook il a en commun avec proils clients, améliorant, ce faisant, les recomman-
un nouveau contact éventuel, révélant ainsi claire- dations qui lui sont faites. Bien évidemment, ces
ment qu’elle collecte des données provenant d’un site méthodes de recueil direct de données sont coûteuses
tiers, une pratique d’ordinaire condamnée par les et parfois diiciles à mettre en place (pour commen-
utilisateurs. Dans ce cas, cependant, le partage cer, les taux de réponse sont très bas), mais s’ils
d’informations est non seulement accepté, doivent in ine recourir aux informations de tiers, les
mais apprécié. marketeurs pourraient accorder un certain contrôle
aux consommateurs sur la façon dont celles-ci seront
4
Justiiez la collecte utilisées, à l’instar de Google et Facebook, qui laissent
de données. Nous aux utilisateurs leur mot à dire à propos du ciblage
conseillons égale- dont ils peuvent faire l’objet.
ment aux marke-
LES CONSOMMATEURS teurs d’expliquer dans quel
but ils recueillent des don-
NOUS AVONS ENCORE beaucoup à apprendre sur la ma-
nière dont les gens réagissent à la collecte de leurs
RÉAGISSENT MAL nées et comment cela per-
mettra de créer des publi-
données et aux publicités ciblées ; de plus, alors que
les « digital natives » deviennent des consommateurs
LORSQUE LEURS cités plus utiles et plus
adaptées. Un conseil
et que la technologie entre de plus en plus dans notre
quotidien, les normes concernant le respect de la vie
M E N T EN VENTE
UE LLE
C T
A
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Supplément offert
sur l’économie locale*
a plupart des présidents de conseil d’adminis- initié un projet de recherche : l’enquête portait sur
RÈGLE #1
SOYEZ UN ACCOMPAGNATEUR
du pronom « je » et ne jamais monopoliser plus de
10% du temps de parole.
• La patience. Les bons présidents de CA sont
Plus de 85% des présidents de CA sur lesquels a porté passionnés par leur travail, mais cette passion est
notre étude avaient été P-DG à un moment ou à un tempérée par leur capacité à marquer une pause et à
autre. Comme tels, ils s’épanouissaient en élaborant réfléchir. Plutôt que de se hâter pour en terminer rapi-
une vision, en prenant des mesures audacieuses, en dement, ils s’efforcent de s’appliquer. Ils encouragent
recrutant des collaborateurs, en donnant des ordres, l’introspection et la réflexion. A la fin de chaque réu-
en assumant des responsabilités et en montrant nion, par exemple, Diane Beelarts demande à chacun
l’exemple. Tendus vers l’action – et les résultats – ces des membres de donner son avis sur le déroulement
décideurs étaient habitués à être des stars. de cette réunion. Le jour suivant, elle rencontre le
Mais en accédant à la présidence d’un conseil P-DG pour en discuter. Et le troisième jour, elle relit
d’administration, presque tous constatèrent que les ses notes et réfléchit.
compétences et les traits de caractère qui avaient fait • La disponibilité. La majorité des présidents de
d’eux des P-DG performants n’avaient que peu d’uti- CA qui ont fait l’objet de notre étude détenaient un
lité – voire étaient contre-productifs – dans leur nou- contrat à temps partiel avec leur société. Néan-
velle activité. Voici ce que raconte Diane Beelarts, moins, ils étaient pleinement investis dans leur
une P-DG belge (si toutes les anecdotes rapportées ici tâche de président et y consacraient le temps néces-
sont réelles, les noms et certains détails concernant saire, quel qu’ait été leur engagement. Le président
les protagonistes ont été modifiés de façon à garantir de CA américain de deux entreprises cotées en
leur anonymat). Bourse disposait, dans chacune d’elles, d’un petit
« Lorsque j’ai été nommée présidente du CA, le bureau où il se rendait le premier mercredi de
plus difficile pour moi a été de me départir de mon chaque mois pour la première entreprise, le deu-
activisme de P-DG, déclare-t-elle. Dans un premier xième mercredi pour la seconde. Lors de chacune de
temps, j’essayais toujours de trouver moi-même la ces journées, il respectait un programme bien établi :
meilleure solution au problème posé avant de propo- un entretien en tête à tête avec le P-DG, puis un en-
ser mes idées aux membres du CA, plutôt que de tretien avec, à la fois, le P-DG et le directeur finan-
mettre en place un groupe de discussion. Et puis j’ai cier, suivi d’entretiens avec le conseiller juridique
compris que cela déconcertait certains membres et li- principal et le secrétaire général, et enfin, des entre-
mitait l’effort collectif de recherche. Mais je n’ai admis tiens avec un ou deux membres non exécutifs du CA.
cela qu’après avoir participé à un séminaire auquel Il réservait environ trois heures, lors de ces deux
assistaient des présidents de CA chevronnés. Et même journées, pour participer à des réunions. Tous les
alors, j’ai eu beaucoup de mal à changer mes habitu- cadres supérieurs avec lesquels il travaillait savaient
des. En travaillant avec un coach, je suis parvenue qu’il était disponible en permanence au téléphone,
progressivement à apporter mon aide aux membres et ils n’hésitaient pas à l’appeler en soirée et pendant
du conseil dans leur action plutôt qu’à agir moi- les week-ends : « Je les remercie toujours de leurs ap-
même. Maintenant, je tire beaucoup de satisfaction à pels, car ils ont besoin de savoir que je me sens
L’IDÉE EN BREF
voir le CA parvenir à une bonne décision sans que j’aie concerné et que je suis disponible. »
LE PROBLÈME interféré en quoi que ce soit. » Notre étude mit également en évidence une
Les présidents des A l’instar de Diane Beelarts, les meilleurs présidents caractéristique particulière : il n’est pas nécessaire
conseils d’administration de CA de notre étude ont appris à ne pas imposer leurs que le président du CA ait une bonne connaissance
se comportent souvent réponses ni à essayer de mener le jeu. Notre recherche du savoir-faire technologique. Très peu des bons pré-
comme s’ils étaient des P-DG, montre que trois caractéristiques les distinguent : sidents interrogés y voyaient une nécessité ; la majo-
occasionnant conflits et
confusion au sein du conseil. • La retenue. Comme l’expliquait une personne rité y voyait même plutôt un handicap, du fait que les
interrogée aux Etats-Unis : « Si vous désirez occuper experts cherchent souvent à apporter des solutions
L’ORIGINE DU PROBLÈME le devant de la scène, cherchez un autre job. Les bons plutôt qu’à mettre en place un processus décisionnel
La grande majorité des présidents mettent en place les conditions qui per- collectif. Nombre d’administrateurs et d’actionnaires
présidents sont d’anciens mettent aux autres de briller. » Et quand il était de- partageaient également ce point de vue. Diane
P-DG, habitués à se mandé aux personnes interrogées de préciser quels Beelarts s’y rallie aussi. Voici ce qu’elle rapporte de sa
comporter en patrons.
étaient, chez les présidents de CA, les comporte- seconde expérience comme présidente de CA au sein
LA SOLUTION ments propres à assurer des réunions fructueuses, d’une entreprise sans lien avec son expérience pré-
Les présidents doivent les réponses allaient dans le même sens : « faire cédente : « Il m’était beaucoup plus facile de me
se faire à l’idée qu’ils preuve de retenue », « éviter l’autoritarisme », « savoir concentrer sur la méthode, n’ayant pas de réelle ex-
ne sont pas des chefs, mais laisser de la place aux autres ». Un bon président pertise dans ce secteur d’activité ; les autres membres
des facilitateurs. Leur tâche parle peu. Ses interventions se concentrent sur le dé- du CA y pourvoyaient. » Avoir une vision d’ensemble,
consiste à faire en sorte
que les directeurs puissent roulement de la séance et sur les personnes plutôt élaborer des hypothèses réalistes et proposer des
mener des discussions que sur le contenu ; et son discours est positif. Ainsi, solutions adaptées, telles étaient, lui semblait-il, les
de groupe efficaces. Diane Beelarts applique deux règles : éviter l’emploi compétences essentielles pour cette fonction.
RÈGLE #2
PRATIQUEZ LE « TEAMING »
Fitzalan surveille de près le langage corporel – les
signes d’ennui, d’irritation ou de mécontentement –
de manière à intervenir très rapidement. En cas de
ET NON LE TEAM BUILDING désaccord, il laisse l’échange se dérouler jusqu’à ce
David Fitzalan, précédemment P-DG d’une chaîne qu’un consensus émerge. Il rejette généralement le
internationale de magasins venant du Royaume-Uni, recours au vote pour trancher un diférend, car il es-
s’efforça de mettre en œuvre, au sein du premier time que cela va à l’encontre de l’esprit collaboratif.
conseil d’administration qu’il fut amené à présider, Lorsque vient le temps de la décision, David
une approche axée sur le team building. Il organisa Fitzalan s’efforce de parvenir à une solution bien
deux séminaires pour parler des objectifs communs, déinie, clairement formulée et transposable concrè-
des règles de fonctionnement et des attentes ré- tement – et veille à ce que chacun des membres la
ciproques des membres du conseil d’administration. comprenne et y adhère. « Quand j’étais un président
Les dix membres assistèrent au premier séminaire novice, je ne me rendais pas compte à quel point les
(deux d’entre eux, cependant, s’excusèrent et personnes qui participent à la même discussion et
partirent en milieu de séance), mais six seulement se écoutent les mêmes propositions peuvent se faire
présentèrent au second. David Fitzalan persista une opinion diférente sur leur signiication réelle. Il
néanmoins à œuvrer au rapprochement de ces pouvait en résulter, par la suite, des conversations
administrateurs. assez désagréables. »
Un an et demi plus tard, une évaluation du conseil Le Néerlandais Manfred van der Merwe, qui a pré-
donna des résultats étonnants : les administrateurs sidé les conseils d’administration de onze sociétés
n’appréciaient pas ses eforts à leur juste valeur. Après différentes, applique une procédure d’accueil des
rélexion, David Fitzalan comprit que ceux-ci ne consti- membres du conseil très méthodique. Il débute par
tuaient pas une équipe au sens traditionnel. Ils ne un entretien en tête à tête avec chacun des membres
passaient que peu de temps ensemble (quatre à six récemment désignés, entretien au cours duquel il
réunions de conseil par an, quelques réunions de décrit la société, sa stratégie, ses principaux diri-
comité et quelques échanges téléphoniques) et chacun geants, son conseil d’administration et où – c’est là le
d’entre eux était généralement membre de plusieurs plus important – il déinit clairement ses exigences.
conseils d’administration. Et la plupart occupaient un Notamment la présence physique obligatoire à toutes
autre poste ailleurs, à plein temps. Dans un tel contexte, les réunions du conseil (« Deux absences et vous êtes
la collaboration devient ce qu’Amy Edmondson, pro- viré ! ») ; la préparation minutieuse de ces réunions
fesseure à la Harvard Business School, nomme le (« Ne pensez pas prendre connaissance des problèmes
« teaming » : le regroupement momentané d’experts, en jeu en écoutant les présentations des cadres ; il n’y
dans le but de résoudre des problèmes auxquels ils se a pas de présentation. ») ; le développement de la
trouveront peut-être confrontés pour la première et société et la connaissance du secteur ; enin, l’enga-
dernière fois. Pour y parvenir, les dirigeants ne doivent gement en termes de temps (« Si vous ne pouvez pas
plus chercher à déinir des valeurs d’équipe ni à instau- consacrer 15 jours de travail par an à ce conseil
rer la coniance, mais à délimiter, structurer et répartir d’administration, autant nous séparer tout de
rapidement le travail collaboratif. suite. »). Le nouveau membre se verra ensuite propo-
L’approche de David Fitzalan consiste maintenant ser une série de réunions avec d’autres membres du
à communiquer avec les administrateurs, individuel- conseil d’administration et des cadres dirigeants,
lement, avant les réunions du conseil, en veillant à ainsi que des visites de l’entreprise.
s’adresser à chacun suffisamment longtemps à Manfred van der Merwe s’attache aussi à impliquer
l’avance pour préciser les points qui seront soumis à davantage les membres qui ne participent pas sui-
l’ordre du jour. Après la réunion, il assure le suivi samment aux discussions. Cependant, plutôt que de
(procès-verbal de la réunion, mémos, comptes ren- les interpeller dans la salle du conseil, il sollicite leur
dus, appels téléphoniques). Il précise qu’il joint « tous opinion avant les réunions et rend compte de leur
les administrateurs une fois par mois pour savoir point de vue au conseil d’administration, en mention-
comment ils vont, se tenir au courant des dernières nant leur nom, ce qui suscite souvent une contribu-
informations, discuter de l’ordre du jour de la pro- tion directe. Il réfrène aussi les accès de logorrhée de
chaine réunion, en fait pour leur rappeler qu’ils jouent certains membres grâce à une approche en trois
un rôle important dans ce conseil d’administration ». étapes : premièrement, une confrontation directe
Durant les réunions du conseil, David Fitzalan fait dans la salle du conseil ; deuxièmement, une conver-
en sorte de donner à chacun des membres un temps sation en tête à tête ; et troisièmement, un autre tête-
de parole équivalent. Personne ne peut prendre la pa- à-tête avec proposition d’une assistance profession-
role une seconde fois tant que les autres membres nelle prise en charge par la société. Si rien de tout cela
n’ont pas exprimé leur point de vue ; et si des ques- ne fonctionne, il demande au membre du conseil d’ad-
tions sont posées, c’est uniquement pour obtenir des ministration de ne plus assister aux réunions et de ne
clariications, non pour exprimer une opinion. David plus se représenter comme administrateur.
RÈGLE #3
C’EST À VOUS DE FAIRE LE TRAVAIL PRÉPARATOIRE
approfondies au niveau des comités ; je leur fais faire
tout le travail analytique et préparer les résolutions
pour l’ensemble du CA. »
Les présidents inexpérimentés pensent souvent que En tant que président, Manfred van der Merwe
leur job consiste pour l’essentiel à gérer la dynamique décide qui siégera dans quels comités et quels seront
de groupe dans la salle du conseil. Mais les plus che- les présidents de comité. Tous les mois, il se tient au
vronnés reconnaissent que les réunions ne sont que la courant de l’avancement des travaux des comités,
partie émergée de l’iceberg. Une part importante du s’informe de leurs intentions, des problèmes en
travail est consacrée à l’élaboration d’un ordre du jour suspens, de leurs idées pour l’avenir. Pour s’assurer
et à l’établissement d’un dossier d’information. Van que les membres des comités assistent régulière-
der Merwe, par exemple, entame la préparation de ment aux réunions, il les programme (très en avance)
l’ordre du jour des réunions un an à l’avance, sollici- de manière qu’elles coïncident avec celles de l’en-
tant la contribution du P-DG, des autres membres du semble du CA, sur une période de deux jours. Les
CA et du secrétaire général. Pour être mis à l’ordre du réunions des comités se tiennent habituellement
jour, un sujet doit être stratégique, concret, et être dans l’après-midi du premier jour ; elles sont suivies
parvenu au stade décisionnel. De plus, il doit être du d’un dîner. La réunion plénière du CA se tient le len-
ressort exclusif du CA. Un ordre du jour ne comporte demain matin. Lorsqu’il est nécessaire de convoquer
pas plus de six points. Manfred van der Merwe prévoit une réunion imprévue, il privilégie la visioconfé-
toujours un peu de marge pour pouvoir, si besoin, pro- rence de façon que le plus grand nombre de per-
longer une discussion, ou aborder un point imprévu. sonnes puisse y participer.
Avant d’adopter un ordre du jour, il en fait circuler le
projet auprès des parties concernées.
Il consacre autant d’eforts au dossier d’informa-
tion. « Les intéressés sont mieux préparés lorsque les
RÈGLE #5
RESTEZ IMPARTIAL
documents sont précis, concis et pourvus de bons vi- Si bon nombre des tout nouveaux présidents de CA
suels », précise-t-il. Toutes les présentations sont ac- ont hâte de donner la pleine mesure de leurs connais-
compagnées d’un résumé analytique d’une page ; sances et de leur expérience, la dure réalité n’en reste
toute proposition d’investissement doit inclure au pas moins que, lorsque la personne qui occupe la
moins trois options ; et les présentations du manage- présidence a des idées bien arrêtées sur un problème
ment ne doivent pas excéder quinze diapositives. Van particulier, la productivité du groupe en pâtit.
der Merwe ixe le format des documents, vériie la ver- C’est une leçon qu’a retenue Don McGill, ancien
sion finale avant diffusion et la fait parvenir aux associé d’une société de conseil américaine, qui
membres du CA au moins cinq jours avant la réunion. occupa son premier poste de président de CA voilà
Le suivi est tout aussi important. Van der Merwe douze ans. « Dans ma vie antérieure, je préparais les
fournit rapidement le procès-verbal de toutes ses réu- entrevues avec mes clients en passant en revue idées,
nions aux membres du CA concernés et, le cas cas de igure et modèles susceptibles d’attirer leur at-
échéant, aux principaux dirigeants. Ces synthèses tention et, le cas échéant, de contribuer à résoudre
sont orientées vers l’action et incluent des points de leur problème. Quand j’ai été nommé membre du CA,
vue et des opinions diversiiés, ainsi que des conclu- j’ai continué sur cette lancée. Tout en étudiant les do-
sions et des décisions, de sorte que les membres du cuments, je m’eforçais de déinir la meilleure déci-
conseil ne peuvent oublier, ignorer, ou remettre en sion. Et lorsque j’ai fait mes premiers pas comme
question des positionnements clés. Le secrétaire du président du CA, je procédais de même. Mais je n’ap-
CA surveille la mise en application des décisions et en préciais pas les discussions du groupe, et certains
rend régulièrement compte à Van der Merwe. Si la membres n’appréciaient pas que je leur soumette des
mise en œuvre d’une décision a été retardée, le pré- idées en grand nombre. J’en ai même entendu cer-
sident demandera des explications au P-DG. tains murmurer “les conseillers ne peuvent jamais
s’empêcher de conseiller”. »
RÈGLE #4
PRENEZ LES COMITÉS AU SÉRIEUX
En quête d’une nouvelle approche, il demanda à sa
sœur, professeure d’université, comment elle pré-
parait ses cours. Et il fut impressionné par le soin avec
Les présidents de CA expérimentés s’accordent à dire lequel elle concevait et organisait ses interventions
que le travail en comités est la clé du succès d’un CA. auprès des étudiants. « Cet échange m’a aidé à modi-
Manfred van der Merwe l’explique : « Nous faisons les fier ma façon de procéder, à planifier les réunions
trois quarts du travail lors des réunions de comités. plutôt qu’à rechercher des solutions. » Maintenant, il
Ces groupes sont restreints, leurs membres possèdent prévoit à la minute près le temps dévolu au rapport du
une réelle expertise, et les discussions sont toujours P-DG, puis à la discussion qui s’ensuivra, et aussi
franches. Par déinition, les réunions de CA sont plus comment celle-ci se déroulera – qui prendra la parole
formelles. Aussi, je m’eforce d’avoir des discussions en premier, qui parlera en dernier.
RÈGLE #6
du conseil qui part. Le P-DG fut rapidement démis. A cette annonce,
le cours des actions de la banque chuta de 10%. Le lendemain matin,
deux membres indépendants du conseil démissionnèrent et Alex Tyson
convoqua en urgence une assemblée du conseil d’administration.
MESUREZ LES CONTRIBUTIONS
Lors de cette réunion, le conseil réintégra Alex Tyson dans ses ET NON LES RÉSULTATS
fonctions de P-DG et élut président l’un de ses membres indépendants. Lorsqu’un P-DG devient président de CA, il recherche
Le nouveau président se donna pour mission de « renforcer le conseil souvent des indicateurs lui permettant d’évaluer les
d’administration », tandis qu’Alex Tyson promettait de restaurer le performances du conseil. Certains s’adressent même
dynamisme et l’orientation client de la banque. Le cours des actions à des consultants en stratégie pour les aider à élaborer
en Bourse regagna 10% dans la foulée. des indicateurs de ce type.
Franz Appenzeller, actuellement président des CA sujets à l’ordre du jour ? Est-ce qu’il facilite les échanges ?
de deux multinationales suisses, est plus avisé : « Les Comment formule-t-il les décisions ? Comment mène-
décisions prises aujourd’hui par le CA marqueront t-il les discussions ? Et qu’en est-il de ses activités à l’ex-
l’avenir de la société durant des décennies. Il est sim- térieur de la salle du conseil : ses échanges avec les
pliste de penser que nous pouvons trouver un indica- administrateurs, sa disponibilité, son dynamisme ?
teur ou un ensemble d’indicateurs qui, appliqués à la
in de l’année, nous permettront d’évaluer l’eicacité
du conseil. » Un investisseur de fonds privé américain
expérimenté ayant désigné quelques centaines de
RÈGLE #7
NE VOUS PRENEZ PAS POUR LE PATRON
présidents de CA, partage ce point de vue : « Lors d’un Les présidents de CA interagissent fréquemment avec
entretien, si un aspirant président répond à ma ques- la direction de l’entreprise, notamment avec le P-DG.
tion concernant les performances du CA en recom- Tous deux examinent l’ordre du jour des réunions du
mandant certains indicateurs quantitatifs, c’est pour CA et les documents mis à la disposition du comité,
moi un signal d’alarme. » inalisent les communiqués de presse, assurent le suivi
Ce qui n’empêche pas Franz Appenzeller de croire des décisions du CA, ou encore reçoivent ensemble les
fermement à la nécessité d’évaluer le travail du conseil régulateurs. Parfois, il arrive que les présidents de CA
d’administration. Pour lui, le CA est une sorte de rendent visite aux clients ou aux fournisseurs, parti-
« boîte noire » qui transforme certains paramètres de cipent aux événements médiatiques ou à des réunions
départ en résultats – c’est-à-dire les décisions qu’il avec des représentants du gouvernement – autant
prend. Si la pertinence de ces décisions ne peut pas d’occasions supplémentaires de rencontrer le P-DG.
faire l’objet d’une évaluation précise en temps réel, la Rien d’étonnant, donc, si certains présidents de CA se
qualité des paramètres de départ peut par contre être prennent pour le patron du P-DG.
mesurée. Et si ces derniers sont de bonne qualité, les Les bons présidents ne font pas cette erreur. Ils
résultats escomptés suivront, en général. Selon Franz n’oublient jamais qu’ils représentent le conseil d’ad-
Appenzeller, cinq paramètres sont essentiels : les ministration et tiennent ses membres informés de
personnes, l’ordre du jour des réunions, les do- toutes les perspectives d’évolution. Ils comprennent
cuments dont dispose le CA, les procédures observées que le conseil d’administration est le « patron » collec-
et les procès-verbaux des réunions. Son travail, tif du P-DG et que le rôle du président consiste à veiller
considère-t-il, consiste à veiller à ce que ces cinq para- à ce que le conseil déinisse les objectifs et fournisse à
mètres soient de première qualité. ce P-DG les ressources, les règles de conduite et la res-
Selon lui, les membres du CA constituent le para- ponsabilité dont il a besoin.
mètre déterminant : il est essentiel que le conseil dis- Prenons le cas de Jack Liu, qui, à Singapour, a pré-
pose du capital humain approprié. Franz Appenzeller sidé des conseils d’administration pendant plus de
élabore – et actualise chaque année – des grilles de vingt ans. A ses débuts, ses interactions informelles
compétence, ou des descriptifs des compétences et avec les P-DG étaient extrêmement fréquentes. L’un
des connaissances spéciiques dont doivent disposer d’eux s’en accommodait fort bien, mais deux autres
collectivement ses conseils d’administration, et les estimaient qu’il empiétait sur leur territoire. Aussi,
compare chaque année aux autoévaluations on line quelque temps plus tard, Liu adopta-t-il une approche
des membres du CA, et tous les deux ans aux évalua- plus formelle : il établit, par écrit, les responsabilités et
tions de consultants externes. S’il constate des la- les règles d’engagement du président et du P-DG (ce
cunes, il s’emploie à les combler, en liaison avec le qu’il désigna comme un « pacte de non-agression »), et
comité de nomination ou les actionnaires, en enga- demanda au P-DG de signer le document. Mais cette
geant de nouveaux membres. Si ce n’est pas possible, approche eut l’efet inverse lorsque l’un des P-DG prit
il fait appel à des conseillers externes. une décision technologique désastreuse sans consul-
Les évaluations des membres du conseil et les ap- ter quiconque, pas même Liu. L’initiative du P-DG res-
préciations des consultants assurent le contrôle des tait en efet parfaitement dans les limites du contrat ;
quatre autres paramètres de départ. Franz Appenzeller l’engagement ne l’obligeait pas à demander conseil
tient à savoir si ses ordres du jour traitent correctement dans les domaines où il manquait de compétence.
les problèmes de stratégie, de nomination des cadres, Il fallut dix années à Liu pour mettre au point la
de rémunération et de remplacement, d’investisse- méthode qu’il utilise maintenant. Plutôt que de bâtir
ments, d’évaluation des risques, de conformité et une relation entre le président du conseil d’adminis-
d’information aux actionnaires. Il sollicite les avis des tration et le P-DG, il œuvre au rapprochement entre le
directeurs et des experts sur la qualité de la documenta- conseil d’administration et le P-DG. « Deux rôles m’in-
tion et des procès-verbaux, et demande aux membres combent vis-à-vis du P-DG, explique-t-il. Première-
du conseil de donner leur appréciation sur les réunions ment, en tant que président de CA, je dois veiller à ce
du CA (durée, franc-parler, temps de parole, niveau que nous donnions à notre P-DG, collectivement, ce
d’implication, décisions prises). Sa propre prestation est qu’un bon P-DG donne à ses subordonnés : de la moti-
également commentée : comment présente-t-il les vation, un encadrement, des recommandations et du
conseil. J’organise dans ce sens la chaîne de la com- nistration. Je ne parle jamais en mon nom ; c’est la
munication et des contenus. Deuxièmement, comme voix collective de tous les membres du conseil qui
membre du CA, je peux intervenir personnellement s’exprime par mon intermédiaire. »
auprès du P-DG, tout simplement parce que j’ai des La réciprocité est de mise. Klaus Dinesen tient éga-
compétences ou des connaissances. Actuellement, lement à ce que le conseil en sache le plus possible sur
dans le cadre d’un CA dont je suis le président, je les attentes et les intentions des actionnaires. Il a éla-
conseille le P-DG, non pas parce que je suis le pré- boré un questionnaire en dix points qui couvre difé-
sident du CA, mais parce que je suis le plus ancien rents domaines tels que les horizons de placement, le
membre et que j’ai plus d’expérience que les autres. goût du risque, l’appétit pour les dividendes plutôt
Dans le cadre d’un autre CA que je préside, un senior que pour la croissance, les préférences en matière de
indépendant tient lieu de mentor du P-DG en raison rythme et de type de croissance, et le degré d’attache-
de sa grande connaissance du secteur d’activité. » ment à la société. Tous les deux ans, il demande à
chaque actionnaire de répondre à ces questions, puis
RÈGLE #8
FACE AUX ACTIONNAIRES,
il rend compte des résultats aux membres du conseil
et discute avec eux des implications qui en résultent
pour la société et sa stratégie. A son tour, il tient les
SOYEZ LE DÉLÉGUÉ DU CA, PAS UN ACTEUR actionnaires informés des activités du CA et de la so-
Si le CA est le patron du P-DG, les actionnaires sont les ciété, leur transmet, à l’avance, l’ordre du jour de cha-
patrons du CA. Les relations avec ces derniers sont de cune des réunions du conseil, et leur fait parvenir un
première importance pour le président du CA, qui est résumé en une page des principales délibérations et
leur premier intermédiaire avec la société. Dans le cas décisions. Il budgète quatre journées de travail uni-
des sociétés cotées en Bourse, la législation réglemente quement pour les rencontres avec les actionnaires.
très strictement les communications entre le CA et les De l’avis de Klaus Dinesen, les actionnaires peuvent
actionnaires. Cela ain de garantir égalité de traitement être un précieux atout. Le CA peut tirer parti de leur
et équité à tous les actionnaires, quelle que soit l’im- expérience, de leurs connaissances, de leurs réseaux et
portance de leurs avoirs. L’égalité de traitement des autres ressources, pour autant que (et cette condition
actionnaires est aussi importante pour les entreprises est importante) ils se tiennent à l’écart de la salle du
non cotées, mais leurs présidents ont davantage de conseil. Dans un CA dont il était le président siégeaient
liberté quant à leur façon de communiquer avec eux. trois actionnaires. Lors d’une réunion, alors que ces
Pour Klaus Dinesen, un président danois che- derniers commençaient à raisonner et à se comporter
vronné, il est essentiel, lors des échanges avec les in- comme des propriétaires et non comme des membres
vestisseurs, que le président agisse en tant que repré- du conseil, Klaus Dinesen mit un terme à la discussion
sentant du CA, et non pas à titre personnel. « Qui et les pria de convoquer d’urgence une réunion des ac-
suis-je pour traiter d’égal à égal avec un important ac- tionnaires. Dans un autre CA, il présenta sa démission,
tionnaire ?, s’interroge-t-il. Un président de CA rému- un actionnaire lui ayant envoyé une note lui deman-
néré 100 000 dollars par an. Ce n’est pas sérieux. Mais dant de faire approuver une acquisition par le conseil.
si c’est l’ensemble du CA qui s’adresse à lui, il écoute. Par la suite, l’actionnaire retira sa demande.
C’est pourquoi je rappelle toujours aux actionnaires
que je suis l’interface entre eux et le conseil d’admi- EN FIN DE COMPTE, il ne s’agit pas tant, pour le président
d’un CA, d’un enjeu traditionnel de leadership. Le CA,
qui conseille et supervise l’équipe de direction, exerce
certes une importante fonction de leadership. Mais
cette responsabilité est collective, et le travail du pré-
BON PRÉSIDENT OU MAUVAIS PRÉSIDENT ? sident est de donner la possibilité au CA de remplir sa
SOUMETTEZ CES CINQ CRITÈRES AUX MEMBRES mission. Pour être performants, les présidents doivent
DE VOTRE CONSEIL D’ADMINISTRATION accepter d’être des animateurs et non pas des chefs.
Leur rôle consiste à créer les conditions qui permet-
PERFORMANT PEU PERFORMANT tront aux membres du conseil d’avoir des discussions
de groupe productives. Un bon président a conscience
Durée des réunions De 4 à 5 heures De 1 à 2 heures ou de 6 à 8 heures
de ne pas être le premier parmi ses pairs. C’est simple-
Nombre de points à l’ordre du jour De 5 à 8 De 8 à 12 ment celui ou celle qui veille à ce que tout un chacun
Temps de parole du président De 5% à 10% De 20% à 30% soit un bon membre du CA.
lors des réunions
Présentations de la direction Jusqu’à 15% du Jusqu’à 70% du temps STANISLAV SHEKSHNIA est professeur à l’Insead. Il est
temps de réunion de réunion aussi associé principal chez Ward Howell, une société
internationale de conseil en ressources humaines, et
Temps consacré par an 25 jours 40 jours membre du conseil d’administration de plusieurs sociétés
à la fonction de président publiques et privées en Europe centrale et de l’Est.
RECRUTEMENT,
MODE D’EMPLOI
Il est très probable que
vous vous y preniez mal.
Par Patty McCord
L’IDÉE EN BREF
LE PROBLÈME
La plupart des entreprises
abordent le recrutement
avec des postulats erronés
JE DÉTESTE VRAIMENT
l’expression « le haut du panier ». Elle implique un système de
et des méthodes médiocres.
Elles pensent que le talent classement capable de déterminer qui sera le meilleur candidat pour
est une donnée invariante
et non contextuelle. Elles
n’arrivent pas à créer un
un poste. Les professionnels des ressources humaines se demandent
vrai partenariat entre les
recruteurs et les managers
toujours comment Netflix, dont j’ai piloté les RH de 1998 à 2012,
qui embauchent. De plus,
elles se fient trop à des réussissait à n’engager que la crème de la crème. Je pense
qu’il existe une île peuplée uniquement de candidats en or,
enquêtes sur les salaires
et à des formules de calcul
de rémunération rigides.
LA SOLUTION
mais nous ne sommes que quelques-uns à savoir où elle se situe.
Allez au-delà du CV.
Assurez-vous que les
recruteurs ont une parfaite En réalité, ce qui peut apparaître comme le haut du sein d’une entreprise car, fréquemment, les per-
compréhension de vos panier pour une société pourra n’être qu’un second sonnes avec lesquelles nous aimons passer du temps
activités et qu’ils ne sont choix pour une autre. Il n’y a pas de formule miracle ont sensiblement le même parcours que nous.
pas considérés comme
une fonction support. expliquant pourquoi les gens réussissent. Beaucoup Réussir des recrutements, c’est reconnaître les
Quant aux candidats, de collaborateurs dont nous nous sommes séparés bonnes associations au travail et, souvent, elles n’ont
ne soyez pas obsédé par chez Netflix parce qu’ils n’excellaient pas dans ce qu’ils rien à voir avec ce à quoi on s’attendait. Prenez
leur « compatibilité avec faisaient ont fait des merveilles dans d’autres postes. l’exemple d’Anthony Park. Sur le papier, il n’était pas la
la culture de l’entreprise », Trouver la bonne personne n’est pas une question recrue du siècle pour une entreprise de la Silicon
mais déterminez plutôt
s’ils peuvent doper votre de « compatibilité avec la culture de l’entreprise ». Ce Valley. Il travaillait dans une banque de l’Arizona, où il
croissance et relever des que la plupart des gens pensent quand ils disent d’une « programmait » mais ne « développait » pas de logi-
défis urgents. Calculez la personne qu’elle est en parfaite adéquation avec l’en- ciels. Et il était assez guindé. Nous avons fait appel à
valeur réelle qu’ils peuvent treprise, c’est qu’en fait ils iraient volontiers boire une lui parce que, sur son temps libre, il avait créé une ap-
apporter à la société bière avec elle. Mais des individus aux personnalités plication améliorant Netflix, qu’il avait diffusée sur
et évaluez le package
de rémunération à prévoir très différentes peuvent très bien faire le travail que son site Internet. Il s’est déplacé dans nos locaux pour
pour les convaincre de vous attendez. Cette stratégie de recrutement malavi- une journée d’entretiens, et tout le monde l’a adoré.
vous rejoindre. sée peut aussi accentuer le manque de diversité au Quand je l’ai rencontré, tard ce jour-là, je lui ai dit que
des CV de nos meilleurs data scientists. Elle a constaté avait envoyé des messages à une vingtaine de candi-
que toutes ces personnes partageaient un même inté- dats potentiels qu’il avait trouvés sur LinkedIn, et que
rêt pour la musique. Depuis, elle et son équipe ont trois d’entre eux lui avaient répondu. Il a eu un entre-
cherché des candidats ayant cette particularité. Elle se tien avec l’un d’eux via Skype, l’a apprécié et lui a de-
souvient qu’ils s’écriaient frénétiquement : « Hé, on en mandé de commencer le lundi suivant.
a trouvé un qui joue du piano ! » Elle en a conclu que Quand les managers s’impliquent autant dans
ces personnes pouvaient facilement basculer de leur leurs embauches que Reed, les chargés de recrute-
cerveau gauche à leur cerveau droit, une compétence ment redoublent d’efforts. Après l’e-mail de Reed,
importante pour l’analyse des données. Bethany était bien décidée à trouver une recrue
encore meilleure (nous avons ini par embaucher le
candidat de Reed, et ce dernier s’en est ensuite vanté
IMPLIQUER TOTALEMENT LES MANAGERS pendant des années).
Un grand nombre d’entreprises s’appuient sur des
cabinets de recrutement extérieurs. La croissance de
Netlix était si rapide que nous avons opté pour une TRAITER LES RECRUTEURS
stratégie différente : nous avons formé, en interne, COMME DES PARTENAIRES
une équipe de recruteurs expérimentés. La triste Pour que la méthode que je décris fonctionne, les
vérité est que la plupart des sociétés traitent le recru- recruteurs doivent être considérés comme des parte-
tement comme une fonction à part, distincte du naires vitaux pour l’activité de l’entreprise. Il est
business, voire des RH, et nombreuses aussi sont les impératif qu’ils comprennent parfaitement ses
jeunes entreprises qui préfèrent l’externaliser. La besoins et les managers qui embauchent doivent les
constitution d’une équipe talentueuse de recruteurs traiter comme des partenaires.
internes a représenté un investissement conséquent, Afin que les deux groupes collaborent de façon
mais j’avais un argument irréfutable pour le justiier : optimale, il est parfois nécessaire de mettre la pres-
je pouvais démontrer clairement qu’on gagnerait à sion aux managers qui embauchent. Un jour, j’ai
éliminer les commissions des chasseurs de têtes. Au il entendu l’une de mes meilleures recruteuses se
du temps, nous avons fait un paquet d’économies. plaindre d’un nouveau dirigeant : « Il ne répond pas à
La nature technique de notre activité signiiait que mes appels ou à mes e-mails. Je lui envoie des CV,
les managers devaient être très impliqués dans le pro- mais je n’ai pas de retour. Ça me contrarie parce que
cessus de recrutement. Mais toutes les entreprises nous avons vraiment besoin de lui pour bâtir une
devraient l’exiger. Chaque manager qui recrute de- équipe performante. » Je suis allée la voir et je lui ai
vrait comprendre l’approche de la société en matière dit : « Je pense que vous devriez travailler avec
d’embauche, et comment celle-ci exécute cette straté- quelqu’un d’autre. Je prends le relais. » J’ai ensuite
gie dans les moindres détails. envoyé un e-mail à ce dirigeant pour lui dire que
La mission de nos experts en recrutement com- j’avais conié une nouvelle mission à sa chargée de
prenait le coaching des managers qui embauchaient. recrutement : « Je lui ai conié un autre projet, parce
Ils ont créé une présentation à utiliser avec chaque que vous semblez avoir votre propre méthodologie
manager en face-à-face. Ils avaient pour habitude de pour recruter et ne pas avoir besoin d’elle. Faites-
demander : « Comment menez-vous un entretien ? nous savoir quand nous pourrons intervenir et vous
Qui fait partie de l’équipe chargée de ces entretiens ? prêter main-forte. Amicalement, Patty. »
Quelle est la procédure d’accueil des candidats ? » Il Quelques minutes plus tard, il était dans mon
n’est pas obligatoire que tout le monde aborde l’entre- bureau, furieux. « A quoi vous jouez ? », m’a-t-il lancé.
tien ou le recrutement de la même manière, mais Je lui ai alors demandé : « Est-il vrai qu’elle a organisé
nous insistions pour qu’ils aient un plan et ne se deux rendez-vous avec vous et que vous les avez
contentent pas d’improviser. annulés ? » Il m’a répondu sèchement : « Je suis
Au bout du compte, c’est le manager qui décidait quelqu’un d’occupé. Je fais le travail de dix per-
de l’embauche. Les membres de son équipe donnaient sonnes. » Je lui ai posé une autre question : « Est-il vrai
aussi leur avis. L’opinion de mon équipe ainsi que la qu’elle vous a envoyé plusieurs candidats qualiiés et
mienne pesaient également dans la balance. Mais la que vous n’avez pas répondu ? Bâtir une équipe, c’est
responsabilité inale du recrutement incombait tou- votre boulot, pas le sien. A ce propos, il y a trois
jours au manager, tout comme la performance de personnes qui sont ravies qu’elle ne vous consacre
l’équipe qu’il construisait. plus de temps. C’est une excellente partenaire et elle
En la matière, la direction se doit aussi de donner pourrait vraiment vous donner un coup de main
l’exemple. Un jour, Bethany a travaillé avec notre appréciable. Mais si vous n’avez pas besoin d’elle, je
P-DG, Reed Hastings, sur le recrutement d’un direc- n’y vois aucun inconvénient. » Quand il s’est rendu
teur. Ils se sont vus un jeudi matin pour parler du type compte qu’il avait besoin de l’aide d’un recruteur
de candidat dont ils avaient besoin. Vendredi après- pour étofer son équipe, il a changé de ton et a com-
midi, Reed lui a envoyé un e-mail pour lui dire qu’il mencé à la traiter avec respect.
Cela m’exaspère quand les managers qui re- tout le monde a fait preuve d’intelligence, et j’ai été
crutent nient la valeur ajoutée de bons profession- bien accueilli. » Je disais toujours : « Même si cette per-
nels des RH. En général, quand je demandais à des sonne ne correspond pas à ce que nous recherchons,
managers pourquoi ils ne s’impliquaient pas plus nous pourrions adorer son voisin. »
envers leurs collègues des RH, ils me disaient : « Eh Nous agissions aussi vite que possible dès que la dé-
bien, ils ne sont pas si malins que cela, et ils ne cision était prise : l’embauche n’était pas gérée par deux
comprennent pas les enjeux de mon activité ni niveaux de management, le service des payes et celui
comment la technologie fonctionne. » Ma réponse des RH. Mon équipe travaillait directement avec les
était alors la suivante : « Alors commencez par managers qui embauchaient pour déterminer la rému-
demander – et même par exiger – qu’ils s’y inté- nération, l’intitulé de la fonction et d’autres détails. Les
ressent ! » Si vous engagez des individus brillants, recruteurs faisaient le travail préparatoire ; les mana-
insistez pour qu’ils soient aussi des connaisseurs du gers, les ofres. Notre rapidité et notre eicacité nous
secteur et incluez-les dans la gestion de l’activité : ils permettaient souvent de signer les premiers avec des
se comporteront comme des professionnels. candidats qui avaient également passé des entretiens
Il m’arrive même de conseiller à des sociétés de d’embauche dans d’autres entreprises attractives.
recruter un expert du secteur plutôt qu’un spécialiste
des ressources humaines pour diriger les RH. Comme
tout autre responsable de département ou de divi- FIXER UNE RÉMUNÉRATION
sion, votre DRH doit comprendre en détail en quoi QUI FAIT SENS POUR VOUS
consiste votre activité, comment vous générez du Des salaires alléchants sont évidemment une condi-
chiffre d’affaires, qui sont vos clients et quelle est tion sine qua non si on veut attirer des talents promet-
votre stratégie pour l’avenir. teurs. Chaque entreprise aimerait ixer ses salaires en
fonction du niveau du marché, mais cela peut être un
déi complexe à relever. Il existe des bases de données
RECRUTER EN PERMANENCE étonnamment détaillées dans lesquelles on peut pui-
Chez Netlix, nous avions un adage : « Ne jamais arrêter ser des informations sur les salaires. Les enquêtes
de recruter ! » Les candidats arrivaient par différents sectorielles couvrent chaque domaine et permettent
biais – échanges dans des salons professionnels, dis- de se faire une idée des salaires selon les niveaux.
cussions au bord du terrain pendant les matchs de Mais les emplois ne sont pas des gadgets, les gens non
football des enfants ou conversations lors de trajets en plus. Une enquête ne peut pas couvrir les spéciicités
avion. Mais certaines règles de base étaient scrupuleu- de telle ou telle fonction, et un candidat peut avoir des
sement appliquées. L’entretien et le processus de re- compétences – comme une bonne aptitude à évaluer
crutement donnent une première impression indélé- les situations et un talent pour travailler de manière
bile sur la façon dont votre société fonctionne, en bien collaborative – que des études ne peuvent tout sim-
ou en mal. C’est la raison pour laquelle j’avais une règle plement pas mesurer.
à toute épreuve, qui voulait que tout employé, voyant Mettons que vous ayez besoin d’un ingénieur logi-
une personne extérieure à l’entreprise en train d’at- ciel. Voulez-vous un programmateur senior qui maî-
tendre d’être reçue pour un entretien, devait s’arrêter, trise parfaitement les techniques de développement de
se présenter et demander : « Etes-vous ici pour un moteurs de recherche les plus performantes et les plus
entretien d’embauche ? Voyons un peu quel est votre récentes ? Et qui devra manager une équipe de cinq
programme. Je vais vous aider à trouver la personne personnes ? Oh, et qui devra aussi suisamment bien
que vous devez rencontrer. » Si j’étais en retard à un comprendre les systèmes de publicité en ligne pour
rendez-vous avec un candidat, je lui disais : « Je suis dé- travailler avec le marketing sur une stratégie en la
solée, j’espère que quelqu’un vous a adressé la parole. » matière ? Une étude ne vous dira pas combien une
Et le candidat me répondait la plupart du temps que personne de ce type est rémunérée actuellement – ni
plusieurs personnes étaient venues lui parler. combien elle devrait l’être par votre entreprise.
Le recrutement était si important que les entretiens Les services en charge des questions de rémunéra-
passaient avant les réunions auxquelles les managers tion passent beaucoup de temps à comparer les des-
qui recrutaient était censés assister, et c’était le seul criptions de poste et à s’adapter à d’autres facteurs.
motif recevable pour rater des réunions de direction. Cependant, ce processus ne vous permet d’acquérir
Les candidats vous évaluent tout autant que vous les qu’une connaissance supericielle du marché. Com-
évaluez. Les gens l’oublient souvent. Notre objectif bien de personnes possédant ces qualiications sont
était que chaque personne qui se déplaçait pour un en- disponibles ? Pour attirer la personne dont vous avez
tretien reparte en ayant envie de décrocher le poste. besoin, vous devez souvent mettre vos hypothèses de
Même si nous détestions certains candidats, nous vou- côté et faire avec la demande réelle du marché.
lions qu’ils pensent : «Vraiment, c’était une expérience Mais la demande du marché ne constitue peut-être
incroyable, ils étaient à l’heure, le rendez-vous a été pas un indicateur adéquat, car elle relète le moment
fructueux et concret, les questions étaient pertinentes, présent. Or, quand on embauche, on doit se projeter
non plus. Un candidat choix. Quel chifre d’afaires supplémentaire cette pre-
mière candidate idéale pourrait-elle produire ? Pour-
peut posséder des rait-elle vous garantir que vous lancerez un nouveau
moteur de recherche fabuleux avant votre concurrent,
des enquêtes sur les pourrait-elle générer en améliorant votre ciblage ? Quid
de la valeur de son expérience managériale ? Un
salaires sont incapables membre clé de son équipe ayant reçu une ofre d’une
autre entreprise pourrait-il décider de rester parce que
de mesurer. c’est une leader géniale ? Et quelle valeur accor-
dez-vous au fait de ne pas la voir partir travailler chez
votre concurrent, en particulier si vous évoluez dans
un secteur soumis à un rythme d’innovation rapide ?
La demande actuelle du marché et les enquêtes
sur les salaires ne peuvent pas vous
aider à calculer ces futurs gains.
Je ne dis pas qu’il est vain de
faire du benchmarking, mais
je conseille plutôt de renon-
cer à des calculs basés sur ce
que d’autres entreprises
paient en ce moment ;
cela revient à comparer
des pommes et des
poires. Il vaut mieux se
concentrer sur ce que
vous pouvez vous per-
mettre de payer pour la
performance que
vous visez et le futur
auquel vous vous
préparez.
Une fois que vous
avez fait une ofre et que
vo u s ave z e m b a u c h é
quelqu’un, vous devez conti-
nuer à évaluer sa rémunéra-
tion. J’ai appris cela à une
période où Netflix perdait
peut faire perdre les ment des entretiens d’embauche ailleurs. C’était le
moyen le plus fiable et le plus efficace de savoir à
susceptibles de gagner pas nous permettre de payer des salaires très élevés.
Cela fonctionnait pour Netlix, parce que l’entreprise
d’affaires. Cela peut être valable pour d’autres embauchées devront-elles faire le même genre de
salariés. J’ai pu observer un efet similaire, équipe travail que le personnel actuel ou y aura-il de nou-
après équipe. velles tâches à exécuter ? L’entreprise lance-
Une autre objection que j’entends souvent à propos ra-t-elle une ligne de produits ? Et si les équipes
du recrutement de cadres extrêmement talentueux à s’étoffent, faudra-t-il des managers plus expéri-
prix d’or est que leur salaire sera nettement supérieur mentés ? Est-ce que fournir deux fois plus de tra-
à celui de leurs coéquipiers. Les managers chez Netlix vail signiie toucher deux fois plus de clients ? Si
se plaignaient à ce sujet. Supposons que nous vou- oui, il devrait alors redoubler d’eforts en matière
lions que quelqu’un dont le salaire serait le double de de service client. Mais cela ne signiiait pas néces-
celui de tous les membres de l’équipe nous rejoigne. sairement engager deux fois plus d’agents. Peut-
Des chefs de service pourraient alors demander : être que l’externalisation serait une meilleure so-
« Est-ce que cela signifie que je paie mes collabora- lution. Ensuite, j’ai posé la question que je trouve
teurs la moitié de ce qu’ils valent ? » Je répondrais : la plus stimulante intellectuellement dans le cadre
« Eh bien, cette nouvelle personne va-t-elle pouvoir de ces missions de conseil : « Au lieu de 150 nou-
nous faire avancer plus vite, peut-être même deux velles personnes, êtes-vous sûr de ne pas vouloir
fois plus vite ? Et, une fois engagée, qui dans votre embaucher 75 personnes que vous payerez deux
équipe pourrait la remplacer dans son ancienne fois plus parce qu’elles ont deux fois plus d’expé-
société ? » Les réponses seraient alors généralement : rience et sont peut-être plus performantes ? »
« Oui, nous serons en mesure d’aller beaucoup plus J’ai constaté que, si vous vous concentrez sur
vite » et « aucun d’entre eux ne pourrait la remplacer, l’embauche des meilleurs collaborateurs que vous
parce qu’ils n’ont pas son expérience. » pouvez trouver et que vous les payez au prix fort,
Cet accent mis sur la valeur ajoutée d’un individu il y a de fortes chances pour que la croissance de
talentueux est particulièrement important lorsqu’une votre entreprise compense largement ce que vous
entreprise change d’échelle. J’ai récemment reçu un dépensez en rémunération.
appel d’un P-DG dont l’entreprise emploie 150 per-
sonnes. Il m’a dit qu’elle passerait à 300 salariés et m’a
demandé conseil pour y parvenir. J’ai répliqué : « C’est PATTY MCCORD a été la DRH de Netlix de 1998 à 2012.
Elle conseille maintenant des start-up et des
un nombre précis de personnes. Sur quoi est-il basé ? » entrepreneurs. Elle est l’auteure de « Powerful: Building
Il m’a dit que son entreprise devrait mettre les a Culture of Freedom and Responsibility » (Silicon Guild,
bouchées doubles. J’ai demandé : « Les personnes 2018), dont cet article est adapté.
LE CERVEAU
AU TRAVAIL
CE QU’UNE NOUVELLE APPROCHE DES
NEUROSCIENCES PEUT NOUS APPRENDRE
SUR LE MANAGEMENT.
PAR ADAM WAYTZ ET MALIA MASON
E
n 2011, lorsque les fans d’Apple ont Pour réellement comprendre comment les proces-
fait des heures de queue pour acqué- sus neurobiologiques affectent le management, le
rir le nouvel iPhone, le « New York leadership et le marketing, nous devons distinguer la
Times » a publié un édito intitulé fiction de la réalité, résister aux explications faciles et
« You Love Your iPhone. Literally. » nous forger une opinion plus élaborée de la science
Cet article décrivait une expérience du cerveau.
non publiée durant laquelle seize C’est exactement ce qui commence à se produire.
personnes ont été soumises à des En raison d’une accumulation de facteurs (progrès
images et des sonneries d’iPhone du- technologiques dans l’IRMf, application de nouvelles
rant une IRM. Les scans montraient une activité dans méthodes statistiques et même annonce, en 2013, par
le cortex insulaire (une région qui s’active lorsque l’on le président Obama, d’un projet de cartographie du
éprouve de l’amour). « Le cerveau des sujets répon- cerveau aux Etats-Unis), les neuroscientifiques
dait… de la même façon qu’en présence de leur pe- adoptent un nouveau cadre plus performant dans leur
tit(e) ami(e) ou d’un membre de la famille, expliquait discipline. La priorité n’est plus d’étudier l’activation
l’auteur. Ils aimaient leur iPhone. » des régions cérébrales, mais d’apprendre comment les
Cette théorie a été condamnée par des dizaines de réseaux de ces régions s’activent dans des schémas
neuroscientifiques qui ont cosigné une lettre adressée concomitants. C’est comme si, pour enquêter sur une
au journal, dans laquelle ils faisaient remarquer qu’un scène de crime, on ne se contentait plus d’utiliser une
tiers des études basées sur l’imagerie cérébrale ré- seule caméra de surveillance, mais qu’on se basait sur
vèlent une activité dans le cortex insulaire. Celui-ci plusieurs caméras situées dans différents lieux.
s’active au moindre changement de température ou Ces nouveaux outils et approches ont déjà produit
L’IDÉE EN BREF
même quand on respire. Qui plus est, le « New York de nouvelles données sur la biologie du cerveau et ap-
LE PROBLÈME Times » avait déjà publié en 2007 une tribune mon- profondi notre compréhension de concepts cruciaux
En matière de trant que cette même région du cerveau est mobilisée pour les managers, notamment :
neurosciences, la plupart lorsque les sujets ressentent des sentiments opposés à • comment permettre la pensée créative ;
des articles publiés dans l’amour. Intitulé « This Is Your Brain on Politics », l’ar- • comment structurer les récompenses ;
les médias grand public ticle établissait un lien entre l’activité dans le cortex • le rôle des émotions dans la prise de décision ;
(en particulier ceux qui
évoquent les parties du insulaire et le dégoût, affirmant que celui-ci était par- • les opportunités et pièges à éviter dans les activi-
cerveau qui « s’allument » ticulièrement prononcé chez les sujets masculins qui tés multitâches.
et ce que cela indique) voyaient le mot « républicain ». A l’époque, des scien- Cette hypothèse basée sur les réseaux n’est pas
simplifient à outrance tifiques avaient aussi pris la plume pour protester aussi sexy que l’image de la neuroscience actuelle-
la façon dont le cerveau contre cet article. ment en vogue dans l’opinion. Car la démarche neuro-
fonctionne et ne sont pas
du tout pédagogiques. Ces deux articles illustrent ce que les scientifiques scientifique basée sur les réseaux est plus complexe.
anglophones appellent le « brain porn » : des publica- Plus compliquée. Mais, par définition, une bonne dé-
LES AVANCÉES tions grand public qui simplifient beaucoup trop les marche scientifique est compliquée.
Les progrès réalisés recherches en neurosciences, favorisant ainsi l’émer- Nous espérons bien que d’autres neuroscienti-
dans la technologie et gence d’une industrie de neuroconsultants se targuant fiques contesteront ce que nous affirmons ici ; cette
les statistiques nous aident de pouvoir percer les secrets du leadership et du mar- science est si jeune qu’il reste beaucoup à débattre, et
à créer un modèle de
neurosciences plus précis keting à partir du cerveau. Si les conclusions de ces ar- de nouvelles études viennent constamment actualiser
et informatif. Au lieu ticles sont discutables, la plupart reposent sur des don- ce que nous savons sur le cerveau. Néanmoins, nous
d’examiner comment chaque nées issues de l’imagerie par résonance magnétique sommes certains de pouvoir fournir un « compte rendu
région cérébrale s’active, fonctionnelle (IRMf), un outil couramment utilisé en intermédiaire » sur les résultats neuroscientifiques des
ce modèle étudie comment neurosciences. Cette technologie permet d’examiner quinze dernières années, qui bénéficient à présent
les réseaux
éseaux de ces régions
travaillent ensemble. le cerveau au travail, de visualiser la pensée lorsque les d’une solide base empirique.
régions du cerveau sont plus ou moins activées. Comme l’a déclaré un de nos anciens collègues,
QUELLES RÉPERCUSSIONS A la vue de ces images fortes, il est tentant de four- « les neurosciences nous ont étonnamment peu
POUR LES ENTREPRISES ? nir des explications simples à des phénomènes com- appris sur le fonctionnement de l’esprit, mais elles
Cela nous aide plexes. Le problème est que l’IRMf ne montre pas for- nous ont extrêmement bien renseignés sur des
à comprendre ce qui cément de lien de causalité. De plus, les pensées et les choses très précises ». Cet article porte sur les choses
se passe dans le cerveau comportements ne correspondent pas parfaitement à en question. Les scientifiques du cerveau ont identi-
durant un important
travail intellectuel, tel que des régions précises du cerveau. Il n’est pas possible, fié pas moins de quinze réseaux et sous-réseaux
la pensée créative, la prise après avoir scanné le cerveau d’une personne qui cérébraux. Nous évoquerons les quatre qui bénéfi-
de décision, les tâches regarde une publicité, de conclure qu’elle préfère le cient du plus grand consensus chez les neuroscienti-
multiples et la recherche Coca ou le Pepsi. Il n’est pas possible, après avoir fiques : les réseaux par défaut, de récompense, affectif
de récompenses. Cela nous scanné le cerveau de deux P-DG, de déterminer quel et de contrôle. Ils sont largement reconnus comme
enseigne que, pour nombre
de ces activités, nous devons est le meilleur dirigeant. L’activité insulaire à elle des réseaux neurologiques centraux, et leur rôle
dépasser les croyances seule ne prouve pas que vous avez les mêmes senti- commence à être bien compris (de même que leur
populaires. ments pour votre téléphone que pour votre mère. incidence pour les managers).
4LesRÉSEAUX EN BREF
neuroscientiiques ont découvert pas moins de quinze réseaux et sous-réseaux
neurologiques. Les quatre décrits ci-après et leurs conséquences sur le travail du savoir
sont considérés comme essentiels et sont les mieux compris.
LE RÉSEAU PAR DÉFAUT LE RÉSEAU DE RÉCOMPENSE LE RÉSEAU AFFECTIF LE RÉSEAU DE CONTRÔLE
S’active : lorsque vous êtes éveillé S’active : en réponse aux stimuli S’active : lorsque vous ressentez S’active : lorsque vous évaluez
mais non concentré sur un stimulus qui induisent la satisfaction des émotions. des conséquences à long
externe ou sur un objectif spéciique. (tels que la nourriture et l’eau, Il contrôle : les réponses terme, contenez vos impulsions
Il contrôle : la pensée introspective l’argent, la gloire). autonomiques et endocrines et concentrez délibérément
et la capacité d’envisager le passé, Il contrôle : les sensations (modiication de la pression votre attention.
l’avenir ou d’autres réalités. de plaisir et de déplaisir. sanguine, du rythme cardiaque, Il contrôle : la capacité de chacun
Essentiel pour comprendre : Essentiel pour comprendre : de la température corporelle) à aligner son comportement sur
la pensée créative et l’innovation la motivation et les incitations. que le cerveau interprète ses objectifs.
de rupture. comme des sentiments. Essentiel pour comprendre :
Essentiel pour comprendre : les bénéices et les risques des
les pressentiments et les instincts, tâches multiples et la façon
et le rôle des émotions dans la prise de déinir et de gérer ses priorités.
de décision.
qualité de la déconnexion créée. Les entreprises pour- Il y a plusieurs décennies, à l’aide d’électrodes et
raient désactiver les messageries électroniques et les d’autres techniques invasives, des scientiiques ont
calendriers de leurs employés, prendre leur télé- identiié ce qui s’est révélé être des réseaux de récom-
phone, les envoyer en déplacement, loin des bureaux pense neurologiques chez les animaux. Ces systèmes
et de leurs collègues, et annuler toutes les tâches à s’activaient lorsqu’on leur donnait de la nourriture ou
réaliser. La méditation est un autre moyen eicace de d’autres produits ayant une valeur de survie. Mais ce
se détacher. L’idée est de permettre au réseau par n’est pas avant la in du XXe et le début du XXIe siècle
défaut de s’engager dans divers processus : simuler les que les neuroscientiiques et les neuroéconomistes
pensées d’une autre personne, s’imaginer dans un ont prouvé que, chez les humains, ce réseau est sen-
autre lieu ou une autre époque ou laisser libre cours sible aux récompenses secondaires non nécessaires à
aux associations d’idées, sans interrompre les autres la survie physique. Et notamment à l’argent.
réseaux qui traitent les informations provenant du Nous avons également documenté comment cet
monde extérieur. hédonomètre réagit aux récompenses immatérielles.
Vous avez peut-être déjà expérimenté la puissance Nous savons par exemple que celles-ci peuvent être
du réseau par défaut si vous avez connu un instant aussi plaisantes que l’argent. Cette idée rejoint les
« Eurêka ! » ou si vous avez trouvé une solution après conclusions d’une enquête réalisée en 2009 par
avoir cessé de réléchir à un problème. Mais faire du McKinsey auprès de dirigeants et de managers qui
détachement une méthode de travail est diicile, car avaient indiqué que les incitations non financières
il est extrêmement ardu d’en quantiier les résultats étaient aussi (parfois même plus) eicaces que les in-
(ce qui peut également expliquer pourquoi les pro- citations inancières pour motiver leurs salariés.
grammes de temps libre qui existent sont limités par De plus, nous pouvons à présent identiier les ré-
des paramètres comme le cadre temporel, le pourcen- compenses non monétaires susceptibles d’intéresser
tage de temps accordé et le délai de réalisation). les individus. Certaines sont sans surprise, comme le
Toutefois, nous vous recommandons d’expérimenter statut et l’approbation sociale. Mais d’autres sont
le détachement total, car c’est une excellente façon de moins évidentes. C’est le cas de l’équité, par exemple.
trouver des idées révolutionnaires. Les chercheurs Jamil Zaki (Stanford) et Jason
Mitchell (Harvard) ont ainsi montré que, lorsque des
individus ont la possibilité de partager de petites
sommes d’argent avec d’autres, le réseau de récom-
LE RÉSEAU DE RÉCOMPENSE pense réagit beaucoup plus lorsqu’ils font des choix
Comment structurer généreux et équitables. En revanche, ils sont démo-
les récompenses tivés (c’est-à-dire que leur hédonomètre baisse) par
Dès le début du XXe siècle, les scientiiques ont com- des contextes qui favorisent l’iniquité. Même ceux
mencé à spéculer sur la possible création d’un « hédo- qui font partie de la minorité des privilégiés sont dé-
nomètre » qui mesurerait la quantité de plaisir ou de motivés par des systèmes inéquitables. Un environ-
déplaisir que nous ressentons face à un stimulus donné. nement juste est une récompense pour les gens, quel
Les neurosciences montrent désormais que le réseau que soit leur statut social.
de récompense est, d’une certaine façon, comparable à Ce résultat suggère que les entreprises qui
un hédonomètre. Il s’active automatiquement face à conservent un niveau raisonnable d’équité salariale
des choses qui suscitent le contentement et se désac- auraient tout intérêt à communiquer cette infor-
tive en réponse à ce qui diminue le contentement. mation à leurs employés. A l’inverse, trop médiatiser
Mais si vous pensez qu’en scannant le cerveau de les salaires faramineux des dirigeants est le moyen
quelqu’un, vous pourrez savoir quelle marque de soda assuré d’éteindre le réseau de récompense. Mais il ne
obtient un score plus élevé sur ce baromètre du bon- s’agit pas que d’une question d’équité salariale. Par
heur, détrompez-vous, ce n’est pas si simple. Le plaisir exemple, si un collaborateur se sent exclu des réu-
et les récompenses dépendent du contexte et nions consacrées à la stratégie alors qu’il a les compé-
peuvent, pour un stimulus donné, être altérés par la tences requises, il se démotive. La rétention d’infor-
simple présence d’un autre stimulus. Vous pouvez gé- mations c rée également un env ironnement
nérer un score plus élevé pour Pepsi si vous pensez inéquitable entre ceux qui savent et ceux qui ne
obtenir une canette gratuite en choisissant cette savent pas – c’est la raison pour laquelle la transpa-
marque. Ou peut-être que Coca-Cola obtiendra un rence est si importante.
faible score, car vous n’aimez pas le boire à la canette, Autre déclencheur inattendu du réseau de récom-
alors qu’avec une bouteille, votre réponse serait difé- pense : l’anticipation de l’apprentissage. La curiosité
rente. Ou peut-être que vous n’avez pas envie de boire constitue littéralement sa propre récompense. Dans
du soda au moment de réaliser le test. Nous verrons une étude réalisée par Colin Camerer et ses collègues
avec le réseau de contrôle pourquoi cet hédonomètre du California Institute of Technology, les participants
n’est, selon nous, pas l’arbitre inal des récompenses. ont lu des questions de culture générale et noté le
degré de curiosité qu’ils avaient pour la réponse. Plus La façon dont le cerveau produit les réponses émo-
ils avaient envie de connaître la réponse, plus le réseau tionnelles que nous appelons sentiments fait désor-
de récompense s’activait avant d’obtenir la réponse. mais consensus chez les scientiiques : les événements
S’il est bien d’avoir des objectifs, il convient de déclenchent des changements physiologiques (modi-
noter que le réseau de récompense semble répondre ication de la pression sanguine, du rythme cardiaque,
plus positivement aux objectifs moins exigeants. Les de la température corporelle), que le cerveau inter-
objectifs ambitieux et très spéciiques peuvent en ré- prète ensuite en contexte. Certains événements
alité être néfastes, car ils diminuent la curiosité et sont peuvent avoir des propriétés intrinsèquement afec-
un frein à la pensée lexible. tives (un choc électrique est par nature désagréable) ou
Rappelons-nous ce qui s’est passé chez General avoir acquis une valeur émotionnelle à force d’être
Motors au début des années 2000, lorsque l’entreprise répétés (avec le temps, le son de la voix d’un collègue
s’est ixé l’objectif bien trop précis de capter 29% du très apprécié peut susciter du plaisir). Le réseau afectif
marché américain de l’automobile. Pour atteindre produit ces sentiments et, durant ses interactions avec
cette part de marché, GM a déboursé des sommes d’autres systèmes du cerveau, il contrôle leur intensité
considérables en publicité et marketing au lieu de et identiie leur source probable.
financer l’innovation. Des objectifs trop précis se Les sentiments peuvent découler des pensées : se
traduisent souvent par ce type de « myopie », qui met rappeler une échéance imminente peut mettre mal à
en péril la santé à long terme des entreprises. Et, en l’aise ; imaginer un bon rapport inancier peut générer
efet, cet objectif a conduit GM au bord de la faillite. de la satisfaction. Mais les sentiments peuvent égale-
Un objectif plus souple (obtenir de bonnes notes en ment être activés de manière inconsciente, sans que
matière d’innovation) aurait aidé le constructeur à l’on sache d’où ils proviennent. Un pressentiment n’a
réaliser plusieurs projets. rien à voir avec un sixième sens. C’est une vraie ré-
En outre, les neurosciences suggèrent que les ponse neurologique qui se manifeste physiquement.
objectifs ne sont pas toujours nécessaires à la motiva- Voici comment ça marche : votre cerveau associe
tion. Elles montrent par exemple que le travail consis- une signiication émotionnelle à chaque événement
tant à résoudre de nouveaux problèmes déclenche vécu, choix réalisé et personne rencontrée. Lorsque,
l’hédonomètre, avant même que des solutions ou des plus tard, vous vivez des expériences similaires, le
récompenses (inancières ou autres) ne soient don- cerveau accède à ces signiications pour générer les
nées. Ce travail peut être aussi satisfaisant que la sentiments adaptés (doute, anxiété, bonheur, excita-
récompense. GM aurait pu stimuler l’hédonomètre de tion). Si un jour vous avez mangé du piment haba-
ses collaborateurs en se contentant de leur soumettre nero et que vous avez trouvé ça si fort que cela vous
les problèmes difficiles à résoudre, au lieu de leur a gâché la soirée, la vue, l’odeur ou le simple fait de
imposer le résultat à atteindre. mentionner ce condiment par la suite (ou même le
En fait, la forte réaction de ce réseau face aux ré- nom du restaurant dans lequel vous l’avez mangé)
compenses immatérielles suggère que l’argent est incitera le réseau afectif à produire des sentiments
souvent une incitation coûteuse et peu eicace. Selon déplaisants qui vous feront fuir. Ce qu’il faut en rete-
une étude réalisée par Kou Murayama (Ucla) et ses nir, c’est que vous n’avez pas à faire d’analyse ration-
anciens collègues de l’université de Munich, payer les nelle pour décider si oui ou non vous mangerez de ce
gens qui réussissent une tâche banale (essayer d’arrê- piment la prochaine fois que l’occ asion se
ter un chronomètre à exactement 5 secondes) a sapé présentera.
leur motivation à réaliser cette tâche gratuitement, ce Ces sentiments s’accompagnent de manifesta-
qui a réduit l’activation du réseau de récompense. tions corporelles : accélération du rythme cardiaque,
Tout ce qu’un employé peut faire « à peu de frais » perles de sueur, production de cortisol et d’autres
(favoriser une culture d’équité et de coopération, hormones, rougissement de la peau ou chair de
ofrir aux gens la possibilité de mobiliser leur curio- poule. Souvent, ces changements se produisent de
sité, fournir une importante source d’approbation façon préconsciente, avant que nous ne les détec-
sociale) le motivera autant, si ce n’est plus. tions nous-mêmes (voir l’encadré « Notre cerveau
sait-il des choses avant nous ? »).
Les dirigeants ont tendance à exclure les senti-
ments de leur processus décisionnel, car ils préfèrent
LE RÉSEAU AFFECTIF la raison à la passion. Or un nombre de plus en plus
Comment utiliser l’instinct important de données neurologiques montre que les
En matière décisionnelle, l’intuition est-elle plus ei- impulsions émotionnelles ne devraient pas être igno-
cace que de longues discussions ? Le débat se pour- rées. Le réseau afectif accélère la prise de décision et
suit. Savoir s’il faut faire confiance aux pressenti- nous aide à traiter des informations qui peuvent
ments est toutefois nettement plus facile lorsque l’on inclure de trop nombreuses variables.
sait d’où ils proviennent, pourquoi le cerveau les gé- Nous en avons tiré des enseignements, d’ailleurs,
nère et quelle est la fonction de ces « sentiments ». en examinant le comportement des personnes pré-
PRESSENTIMENTS ET ÉMOTIONS
Pourtant, nous avons tendance à sous-estimer les
pressentiments négatifs, en particulier le doute et
l’anxiété. Les dirigeants essaient naturellement d’éli-
miner ces deux derniers, tant pour eux que pour leur
entreprise. Ces émotions nous font paraître faibles et
créent de l’incertitude, ce que les marchés et les sala-
NE DOIVENT PAS ÊTRE
riés n’apprécient pas. Nous avons tendance à vouloir
que tout le monde reste motivé, centré et maître de
ses sentiments, allant de l’avant.
IGNORÉS. ILS PERMETTENT
Mais ces sentiments négatifs sont ancrés dans le
même réseau affectif que tous les autres et pro-
viennent par conséquent d’expériences passées pré-
D’ACCÉLÉRER LE PROCESSUS
cieuses. Les dirigeants devraient y prêter attention et
tenter de comprendre d’où ils proviennent. Nous ne DÉCISIONNEL ET SONT
EXTRÊMEMENT UTILES.
leur suggérons pas de se laisser guider par le doute et
l’anxiété, mais les écouter et les évaluer au lieu de les
éviter peut aboutir à de meilleurs résultats.
De récentes découvertes sur le réseau de contrôle compréhension réaliste de ce que leur cerveau peut
conirment ce que disent les plus grands dirigeants sur traiter. C’est moins que ce que la plupart d’entre nous
le fait de se démarquer de la concurrence grâce à la essaient d’accomplir.
focalisation : les entreprises devraient limiter le Comprendre le réseau de contrôle devrait égale-
nombre d’initiatives qu’elles prennent à une quantité ment guider notre rélexion sur les opérations rationa-
raisonnable. Demander aux collaborateurs de pour- lisées. Adopter une approche « lean » ne devrait pas
suivre plusieurs objectifs disperse leur attention et ne consister à conier un trop grand nombre de tâches à
facilite pas l’engagement dans un travail conscien- un nombre insuisant d’employés. Plus les dirigeants
cieux. Avec trop d’objectifs à poursuivre et à surveil- demanderont à leurs collaborateurs de se focaliser sur
ler, le réseau de contrôle éparpille ses ressources limi- quelque chose, moins ces derniers y parviendront. S’il
tées et nous avons du mal à accorder assez d’attention est rentable à court terme de travailler avec des efec-
à une seule de nos responsabilités. tifs réduits, les neurosciences suggèrent que de nom-
Certaines personnes estiment que jongler entre de breux travailleurs d’aujourd’hui ont d’ores et déjà été
multiples projets améliore leur agilité mentale, mais poussés bien au-delà des limites gérables de leurs
cette hypothèse est remise en question par de nou- tâches et objectifs. Leur travail en pâtit déjà.
velles données. En efet, une étude menée par Eyal
Ophir, Cliford Nass et Anthony Wagner montre que SUITE AU NOMBRE IMPRESSIONNANT d’articles publiés
les réseaux de contrôle des personnes qui efectuent sur les recherches en neuro-imagerie au début des an-
constamment plusieurs tâches en même temps ne nées 2000 (ce que des spécialistes ont appelé « le Far
parviennent pas à afecter leurs ressources en adéqua- West de la neuroscience »), les critiques ont rapide-
tion avec leurs priorités, et que ces individus ont des ment qualiié ce domaine de « nouvelle phrénologie »,
diicultés à exclure les informations sans rapport. Ils en référence à la pseudoscience inventée par Franz
ont du mal à ne pas penser aux tâches qu’ils n’exécutent Joseph Gall, au XVIIIe siècle, qui cartographia les
pas. Lorsque vous discutez de stratégie d’entreprise facultés psychologiques sur diférentes zones du cer-
avec le directeur inancier, quel est l’intérêt de penser veau. Mais, à mesure que la neuroscience devient plus
au client que vous devez appeler ou aux e-mails et élaborée, elle promet de devenir une version scientii-
tweets qui arrivent sur votre téléphone ? Non seule- quement valide de la phrénologie, avec néanmoins
ment ces objectifs n’ont aucun lien avec votre conver- plus de complexité et de nuances.
sation, mais le moment présent n’ofre en plus aucune Il convient de faire preuve de prudence dans l’in-
possibilité de les poursuivre. terprétation si nous voulons dépasser les travers de la
Confirmant le fait que les tâches que nous ne dernière décennie. Il n’en reste pas moins que les
sommes pas en train d’accomplir détournent facile- neurosciences n’ont jamais été aussi passionnantes
ment notre attention, la grande majorité des 40 hauts qu’aujourd’hui et que de nombreux enseignements
dirigeants que nous avons interrogés ont indiqué que, pour les entreprises seront bientôt mis au jour. Par
dans les moments où ils n’étaient pas concentrés sur exemple, une nouvelle méthode appelée hyperscan-
leur tâche en cours, ils pensaient presque toujours aux ning – qui permet aux scientifiques d’observer le
autres tâches non terminées. Nous avons la chance cerveau de deux personnes en interaction – fait la
d’avoir un cerveau qui sait prioriser les objectifs non lumière sur les clés d’une collaboration et d’une
réalisés. Mais c’est aussi parfois un inconvénient. communication eicaces. Les recherches innovantes
E-mails, réunions, SMS, tweets, appels, actualités : sur la « génomique du cerveau » relient les fonctions
la nature déstructurée, continue et fractionnée du tra- du cerveau à la génétique, mettant en avant la prédis-
vail moderne est un poids considérable pour le réseau position des gens à posséder certains attributs, allant
de contrôle qui consomme une quantité incroyable de l’intelligence à l’impulsivité. Enin, les neuroscien-
d’énergie cérébrale. La fatigue mentale qui en résulte se tiiques essaient de comprendre comment des fonc-
traduit par des erreurs, une rélexion supericielle et tions telles que la prise de décision, les compétences
une autorégulation défaillante. Lorsqu’il est submergé, sociales, le contrôle cognitif et les émotions évoluent
le réseau de contrôle perd littéralement le contrôle et au cours d’une vie. Ces avancées laissent présager un
notre comportement est dirigé par des signaux immé- dialogue extrêmement productif entre la science et
diats et situationnels et non par les priorités que nous l’entreprise, qu’une population de consommateurs
avions à l’esprit. Nous passons en pilotage automatique informés rendra encore plus eicace.
et notre cerveau se contente de répondre à ce qui se
présente devant nous, quelle que soit son importance. ADAM WAYTZ est professeur associé de management
Réussir en tant que dirigeant exige avant tout de et entreprises à la Kellogg School of Management,
déinir un petit nombre de priorités claires et d’avoir le et professeur invité à la Russell Sage Foundation. Il a obtenu une
courage d’éliminer ou de déléguer les tâches et les ob- bourse postdoctorale en neurosciences sociales à l’université
Harvard. MALIA MASON est professeure associée d’administration
jectifs moins importants. Les cadres doivent égale- des entreprises à la Graduate School of Business de
ment revoir leur évaluation des limites maximales de l’université Columbia. Elle a obtenu une bourse postdoctorale
leur propre charge de travail, en se basant sur une en neurosciences cognitives à la Harvard Medical School.
Expérience
AOÛT–SEPTEMBRE 2018
126 CHARISME
Bruce Springsteen : la masterclass
de leadership d’une rock star
130 LE TRAVAIL D’UNE VIE
Nico Rosberg, pilote de formule 1
PROSPÉRER
ainsi que les métiers créatifs
sont les segments les plus
importants de l’économie
free-lance et aussi ceux qui
croissent le plus rapidement.
DANS L’ÉCONOMIE
Pour comprendre ce que
cela demande de réussir dans le travail
indépendant, nous avons récemment
mené à bien une étude en profondeur
sur 65 free-lances. Nous avons découvert
des sentiments remarquablement
À LA TÂCHE
similaires à travers les générations et les
professions : tous ceux que nous avons
suivis ont reconnu qu’ils ressentaient une
kyrielle d’angoisses personnelles, sociales
et économiques sans la protection d’un
employeur traditionnel – mais ils ont
COMMENT LES FREE-LANCES QUI RÉUSSISSENT aussi airmé que leur indépendance était
ARRIVENT À GÉRER L’INCERTITUDE. un choix et qu’ils n’abandonneraient pas
les bénéices qui allaient avec. Même
PAR GIANPIERO PETRIGLIERI, si l’aspect imprévisible de leur emploi
SUSAN ASHFORD ET AMY WRZESNIEWSKI du temps et de leurs inances les inquiétait,
et un besoin existant dans le monde. Par exemple, Matthew a constaté en trouvant un équilibre entre prédictibilité
Matthew, par exemple, a rapporté que, qu’aller à la rencontre des autres personnes et possibilité, entre viabilité (la promesse
même s’il a d’abord « quelque peu de son cercle proche l’aide à calmer d’un travail continu) et vitalité (se sentir
désespéré d’arriver à trouver des clients son anxiété : « Si je me retrouvais tout seul, présent, authentique et vivant dans
et de faire des bénéices », au il du temps, je pourrais rester assis là dans le bureau son travail). Tous ceux que nous avons
sa vision de la réussite est devenue et m’écarter de mes priorités. Vous êtes interrogés font cela en construisant des
« très orientée vers le fait de vivre une vie en proie à votre voix intérieure qui vous « environnements de maintien » autour
au service d’autres personnes et de faire entraîne dans une spirale de cogitation. » d’endroits, de routines, de buts et
de la planète un meilleur endroit ». Karla nous a conié qu’elle aussi se d’individus qui les aident à maintenir
Une coach exécutive que nous avons tourne régulièrement vers une poignée leur productivité, à surmonter leurs
interrogée nous a dit que le but lui de confrères dont elle est proche. « Tout angoisses et même à transformer ces
permettait de rester régulière, inspirée le travail que je fais dans l’économie sentiments en source de créativité
et inspirante. « La grande diférence entre indépendante passe par ces connexions », et de croissance. « Il y a un sentiment
les indépendants qui réussissent et ceux a-t-elle dit. Mais leur aide va bien au-delà de coniance qui découle d’une carrière
pour qui ce n’est pas le cas, ou qui retournent de la simple consultation de spécialistes. en tant que free-lance, nous a dit
au salariat, c’est que les premiers arrivent « Mon aptitude à me transformer, un consultant. Même si ça se passe mal,
à savoir ce qu’ils sont censés faire. Ça me à me développer et grandir en tant qu’être vous pourrez ressentir que vous êtes
rend résiliente face aux bons et aux mauvais humain et à comprendre qui je suis dans capable de surmonter l’épreuve. Vous
moments. Ça me donne la force de refuser le travail que j’efectue vient de mes pouvez changer la donne. Vous pouvez
du travail qui ne me correspond pas. Ça me conversations avec ces personnes », vous mettre dans une position qui
donne une nature authentique et inspirant la a-t-elle expliqué. Elles me permettent vous laisse des choix, plutôt que dans
coniance, ce qui attire les clients. C’est utile de savoir ce que je suis supposée faire. » une position asservissante. »
pour construire ou maintenir l’entreprise Beaucoup de personnes à qui nous
et servir les gens que je dois servir. » avons parlé croient qu’elles ne seraient
Nous avons découvert que le but, REDÉFINIR LA RÉUSSITE pas capables de trouver le même espace
comme les autres connexions, à la fois Dans les histoires habituellement et la même force mentale dans un lieu de
lie et libère les gens en orientant entendues sur le management, la réussite travail traditionnel. Martha, la consultante
et magniiant leur travail. d’une carrière se construit dans la sécurité qui s’est comparée à une trapéziste, s’est
Les gens. Les humains sont des et la sérénité. Cependant, pour les rappelé qu’elle est devenue « bien plus
créatures sociales. Les études menées travailleurs indépendants, les deux sont en prospère professionnellement » et « bien
dans le cadre de l’entreprise ont depuis in de compte insaisissables. Et pourtant, la plus à l’aise vis-à-vis de sa propre identité »
longtemps démontré l’importance d’autrui plupart de ceux que nous avons suivis nous lorsqu’une thérapeute iable l’a aidée
dans nos carrières (en tant que modèles ont rapporté avoir l’impression de réussir. à recadrer (et à dominer) son combat, plutôt
qui nous montrent qui nous pourrions Notre conclusion est que les personnes que de trouver des moyens d’y échapper.
devenir, et en tant que pairs qui nous aident travaillant dans l’économie à la tâche « Elle m’a aidée à comprendre que
à progresser en partageant notre chemin). doivent chercher à réussir diféremment je pouvais me considérer comme une
Les chercheurs ont aussi mis en garde pionnière, ce que je fais désormais. Je ne
contre l’« épidémie de solitude » rentre dans aucune catégorie existant dans
s’abattant sur le lieu de travail, à laquelle les organisations et il est bien plus eicace
les travailleurs indépendants sont très pour moi d’être indépendante. » Vus
certainement le plus exposés. de cette façon, l’inconfort et l’incertitude
Mais ceux que nous avons interrogés n’étaient pas seulement tolérables, mais
sont profondément conscients des dangers étaient aussi des signes qui lui permettaient
de l’isolement social et luttent pour l’éviter.
Bien que beaucoup soient ambivalents LES PERSONNES de se positionner et de savoir qu’elle
était là où elle devait se trouver.
concernant les groupes de collègues
classiques qu’ils voient souvent comme
TRAVAILLANT DANS Lorsque nous avons discuté, elle
a décrit le travail salarié non plus comme
d’insipides substituts à la collégialité, tous
ont rapporté connaître des personnes vers
L’ÉCONOMIE À LA TÂCHE un point d’ancrage qui lui manquait,
mais comme une paire de menottes
qui ils se tournent pour être rassurés ou DOIVENT CHERCHER qu’elle avait eu la chance de pouvoir
encouragés. Parfois ce sont des modèles
proches ou des collaborateurs les soutenant ; À RÉUSSIR DIFFÉREMMENT briser. « Je ne décrirais plus ma nouvelle
vie comme précaire, a-t-elle conclu.
dans d’autres cas, ce sont des membres
de la famille, des amis ou des contacts EN TROUVANT Mais comme étant vraiment vivante. »
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Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d’un droit d’accès, de modification, de rectification, de suppression et d’opposition au traitement
« Tenue décontractée
de rigueur. » Debout devant
sa penderie, Troy Freeman
hésitait.
En tant que P-DG du groupe Otto Hotels & Resorts, devenu depuis peu CHEKITAN S. DEV
le numéro 2 mondial de l’hébergement, il avait fait sa valise des centaines est professeur
de fois pour autant de voyages d’affaires. Choisir quels costumes emporter, de marketing stratégique
et de management
NOTES PÉDAGOGIQUES d’accord ! Mais cette fois-ci, il ne devait pas en prendre : comment s’habiller ? des marques à l’Ecole
SUR L’ÉTUDE DE CAS Il s’envolait aux aurores le lendemain pour Carmel, où il retrouverait d’administration hôtelière
En 2015, le parc hôtelier sa nouvelle équipe dirigeante, étendue et remaniée, pour un séminaire consacré du SC. Johnson College
mondial comptait environ à la stratégie de marques du groupe. Le séminaire serait animé par Caroline of Business de l’université
16 millions de chambres Dvorjak, professeur de marketing et consultante chevronnée. Cornell. Les études de cas
dans plus de 200 pays, HBR sont basées sur des
dont 38% en Europe, Otto venait de boucler l’acquisition de Beekman Hotels pour 9 milliards de problèmes vécus par
36% sur le continent dollars, et comptait désormais près de 4 800 hôtels et un peu plus d’un million des dirigeants d’entreprise
américain, 32% en Asie de chambres dans 100 pays. Comme la majorité des grands groupes hôteliers, et proposent des solutions
et 4% au Moyen-Orient Otto ne possédait qu’un nombre limité de ces établissements ; le groupe d’experts. Celle-ci est tirée
et en Afrique. les franchisait et les gérait, l’essentiel de l’immobilier appartenant à des sociétés de l’étude de cas enseignée
à Cornell, « Marriott
indépendantes qui exploitaient les marques du groupe par le biais d’accords Starwood Merger: Brand
de licence. L’arrivée des huit enseignes de Beekman portait à 21 le nombre Portfolio Architecture ».
L’acquisition de Starwood de marques d’Otto. Comment Troy allait-il gérer ce portefeuille plus étoffé,
par Marriott en 2016, étant donné le chevauchement de certaines marques en termes de
pour près de 13 milliards positionnement, de prix et d’implantation géographique ? Telle était la question
de dollars, est la plus que tout le monde se posait désormais, à commencer par les investisseurs.
grosse transaction de
Tout au long des négociations, la direction d’Otto avait incité Troy
l’histoire de l’industrie
hôtelière, devant le rachat à rester évasif sur la stratégie du groupe après la fusion. A l’occasion d’une
de Fairmont, Raffles téléconférence sur les résultats financiers, il avait laissé entendre qu’Otto
et Swissotel par Accor, n’avait « probablement » pas besoin de toutes les marques, non sans préciser
en 2015, pour 3 milliards qu’aucune restructuration du portefeuille n’était envisagée dans l’immédiat.
de dollars.
Mais les rumeurs allaient bon train et l’heure était venue pour la direction
du groupe de prendre des décisions.
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IL EXISTE UNE VERTU QUE LES MEILLEURS
MANAGERS POSSÈDENT ET QUE LES MEILLEURS
LEADERS COMMUNIQUENT : L’ESPOIR RÉSILIENT.
PAR GIANPIERO PETRIGLIERI
ette catégorie de boss est assez des grandes entreprises, des pays ou des Aussi n’est-il pas surprenant que
à propos de celui ou de celle qui se trouve sans s’enfermer. Et si cette destination, ce Il s’agit là du rôle d’un dessein :
à ses côtés, c’est-à-dire à propos de vous. « là-bas », reste vague, une chose est claire : apporter à un art ses racines et sa mission,
Ou bien on est fauchés, on vit au-delà de y parvenir requiert un travail acharné. une histoire qu’on se remémore et qu’on
nos moyens, et on a besoin de fric chacun On peut perfectionner son art et laisser imagine, un point de départ. Springsteen
dans son coin. Ou bien on est ensemble. » le dessein nous trouver. Mais on ne peut pas saisit bien la distinction entre le travail
De nos jours, on retrouve une combinaison perfectionner son dessein et espérer que que doit faire sa musique, à savoir électriser
similaire d’empathie et d’encouragement la maîtrise de l’art viendra nous trouver. les foules, que ce soit dans les bars du
dans les programmes des meilleures écoles C’est bien un dessein qui lui a manqué, New Jersey ou dans les grands stades
de commerce. pendant de nombreuses années – l’élan du monde entier, et son dessein, c’est-à-dire
En matière de leadership, en revanche, venant du fait de savoir que son travail a du perpétuer le rêve américain, et il ne perd
c’est là qu’on trouve du nouveau. « Dans sens pour soi et de la valeur pour d’autres. jamais cela de vue.
l’exercice de mon métier », écrit Bruce « En 1977, se souvient-il, dans la grande Un dessein donne du sens et une
Springsteen, proposant ainsi une tradition américaine, j’avais brisé les chaînes orientation à une vie de travail sur la route,
magnifique définition du leadership, de mes origines, de mon histoire personnelle mais l’histoire de Bruce Springsteen
« on est aux ordres de l’imaginaire de son et, finalement, du lieu où j’avais grandi ; le prouve, cela ne nous épargne pas
public » (être au service de l’imaginaire pourtant, quelque chose clochait… Je les tourments pour autant. Et il y en a
offre le parfait contrepoint de la définition sentais qu’il y avait une grande différence eu beaucoup dans sa vie personnelle
classique des leaders selon Napoléon, pour entre la permissivité qu’on s’accorde et et professionnelle : les tourments de la
qui les chefs sont des marchands d’espoir). la vraie liberté… J’avais le sentiment dépression, ses batailles contre ses propres
Et si vous avez la chance que l’on que cette permissivité était à la liberté ce que démons, les affres du talent, le sentiment
vous confie un tel leadership, c’est-à-dire la masturbation est à l’amour charnel. » Une dévorant qu’il pouvait toujours en faire
celui de l’imaginaire au nom d’autrui, bonne manière de rappeler qu’un dessein plus, les angoisses quant à la cause qu’on
il exprime clairement ce à quoi vous êtes implique un long mûrissement, qu’il résulte sert, la difficulté de porter la souffrance
destiné : « Je suis ici pour fournir la preuve d’actions et de rencontres, pas seulement des autres sur ses épaules. Même si
que ce ‘‘nous’’ insaisissable, et jamais de l’ambition et du doute. souvent il ne parvient pas à comprendre ces
tout à fait plausible, existe bel et bien. » Dans les années qui ont suivi, un grand tourments, il réussit au moins à les exploiter.
Je suis là : telle est la condition requise changement s’est opéré dans la relation
pour tout ce qui arrive ensuite. Etre là, de Springsteen à son travail. « A la fin du
dans un endroit et d’un endroit, marque le River Tour (la tournée qui a suivi la sortie L’AMOUR VOUS RENDRA MEILLEUR.
commencement du leadership. Puis il faut de l’album « The River »), écrit-il, je me suis LA RÉFLEXION VOUS INSCRIRA
avancer – chanter ses morceaux, remplir dit que, peut-être, cartographier le fossé DANS LA DURÉE.
des stades. Mais il ne s’agit là que de entre le rêve américain et la réalité de Vous devez cultiver la connaissance
moyens. Le job d’un leader est d’incarner l’Amérique constituerait le service que que vous avez de vous-même pour
une identité pour une communauté, je pouvais rendre et qui pourrait s’associer devenir un meilleur leader. Ce conseil
de mettre en mots, de donner corps à des au divertissement et aux bons moments tombe évidemment sous le sens. Et
idéaux insondables (c’est seulement dans que j’apportais à mes fans. J’espérais que l’écriture d’une autobiographie pourrait
un corps qu’un idéal peut devenir une ça donnerait des racines et une mission servir à démontrer ces propos. Bruce
histoire). Aussi la légitimité d’un leader à notre groupe. » Springsteen, cependant, renverse
repose-t-elle sur sa capacité à « habiter ce culte voué à la connaissance de soi.
pleinement sa chanson ». Si le livre contient une bonne part
d’introspection, celle-ci n’est souvent pas
concluante et n’est pour ainsi dire d’aucune
LAISSEZ LE DESSEIN TROUVER VOTRE ART aide. Les tourments restent une énigme,
Dans ses jeunes années, tandis qu’il et parfois règnent en maître sur sa carrière
se perfectionnait dans son art chaque et sur sa vie. Ce qui l’aide réellement, c’est
soir dans les bars de la côte du New Jersey,
sa popularité allait croissant, mais
Un dessein l’amour et les chansons. Il recherche l’aide
– l’amour – de ses amis, de sa famille et
Springsteen sentait qu’il manquait quelque
chose. « Pour arriver là-bas », le plus
insaisissable des idéaux du Boss, « il faut
donne du de ses thérapeutes pour que ce qui le ronge
puisse s’exprimer dans un morceau qui peut
être partagé. Car, note-t-il : « On peut chanter
déjà savoir quoi faire de ce qu’on a et savoir
quoi faire de ce qu’on n’a PAS », écrit-il.
sens et une sa misère… mais il y a quelque chose, dans la
communion des âmes, qui chasse le blues. »
Le fait que l’œuvre de Springsteen
ne définisse jamais cette destination, orientation L’introspection, semble nous dire
Springsteen, faisant ici écho à la leçon de
ce « là-bas », a peut-être permis à ses fans Hamlet, n’est pas simplement destinée
de lui donner la signification qui leur tenait
le plus à cœur. Pour lui, comme le laisse
à une vie à apporter de l’aide. Le travail de réflexion
revient à se soumettre au tenaillement
entendre le livre, la combinaison qui
permet d’arriver « là-bas » consiste à prendre
de travail du doute. Il vous ralentit. Il n’est pas destiné
à améliorer un spectacle mais à faire en
position, à savoir durer et à être libre de
s’échapper. S’accrocher à ce qui est précieux sur la route. sorte que celui-ci dure. Comment ? En vous
forçant à rester en place quand il serait plus
N’AVOIR JAMAIS deuxième carrière, sur la victoire, que je n’avais aucune chance de En vous retirant de la formule 1,
REGRETTÉ la défaite, et sur l’importance
de sa famille.
gagner. Pour réussir, en F1, il vous faut
la bonne voiture. Cela m’a pris des
vous avez clairement donné
la priorité à votre famille. C’est
UN SEUL DEAL, Interview : Christina Kestel années. Puis sont arrivées rare chez les hommes qui ont
MAIS PLUTÔT HBR : Devenir champion de
mes grandes défaites contre Lewis
Hamilton, mon plus grand rival
du succès dans leur travail.
C’est important pour moi d’avoir
DE N’AVOIR PAS formule 1 était votre plus grand depuis l’âge de 13 ans. Nous étions la liberté et la possibilité de passer
ASSEZ PASSÉ rêve et vous l’avez accompli.
En avez-vous de nouveaux ?
coéquipiers en karting pour
Mercedes-Benz McLaren. Puis,
du temps avec ma famille quand
j’en ai envie. Ma vie de pilote de F1
DE TEMPS AVEC NICO ROSBERG : J’en cherche toujours avec Lewis chez Mercedes, était intense, avec de fréquents
LEURS ENFANTS en ce moment ! Mais ce que je veux,
c’est connaître un aussi grand
j’ai vécu des défaites très rudes deux
années de suite, en terminant deux
déplacements, et je ramenais cette
intensité avec moi à la maison.
QUAND ILS succès. Ce ne sera pas facile, mais fois vice-champion du monde. J’étais C’était aussi une raison pour arrêter.
ÉTAIENT PETITS.” c’est possible. Ma nature me pousse
à rechercher de nouveaux déis, puis
à deux doigts de réaliser mon rêve.
Mais j’ai encaissé chaque défaite
Aujourd’hui, tout le monde est plus
détendu. Ma ille est contente ! C’est
à vouloir gagner. Je suis très occupé de mieux en mieux et je suis revenu très précieux pour moi. Plusieurs
en ce moment, mais je ne fais rien toujours plus fort. J’ai remporté managers de haut niveau m’ont dit
qui puisse passionner des millions les sept courses qui ont suivi ma n’avoir jamais regretté un seul deal,
de personnes comme c’était le cas deuxième défaite au championnat mais plutôt de n’avoir pas assez
auparavant. Je suis à la recherche du monde en 2015. La défaite est une passé de temps avec leurs enfants
d’afaires dans lesquelles investir. chance, car elle seule nous motive quand ils étaient petits.
IL N’Y A RIEN DE
PETIT DANS
CE QUE JE
FAIS.
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