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BIBLIOTHEQUE DES CAHIERS DE L’INSTITUT DE LINGUISTIQUE DE LOUVAIN — 104 Le verbe grec ancien Eléments de morphologie et de syntaxe historiques Deuxiéme édition, revue et augmentée Yves DUHOUX PEETERS LOUVAIN-LA-NEUVE 2000 D. 2000/0602/42 ISSN 0779-1666 ISBN 90-429-0837-8 (Peeters Leuven) ISBN 2-87723-482-7 (Peeters France) © 2000 PEETERS et Publications Linguistiques de Louvain Bondgenotenlaan 153 B-3000 Leuven Printed in Belgium Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans I’autorisation écrite de I’éditeur ou de ses ayants droits. AVANT-PROPOS AVANT-PROPOS de la premiére édition Le livre que voici a deux objectifs : décrire la structure et le fonctionnement du systéme verbal grec classique, d’une part; d’autre part, retracer son histoire. Parler de systéme implique que le verbe est envisagé non pas comme une simple juxtaposition d'éléments plus ou moins disparates, mais comme un ensemble cohérent dont toutes les parties sont solidaires et se définissent les unes par rapport aux autres. De cette vision découle une présentation qui pourra peut- étre déconcerter de prime abord. Dans la plupart des manuels, la syntaxe du verbe grec se confond généralement avec celle des propositions. Cette fagon de faire est indubitablement utile. Toutefois, elle fait courir a la longue le risque de créer autant de distinctions qu'il y a d'emplois différents. Quel rapport, par exemple, entre le subjonctif en propositions subordonnées conditionnelles et en propositions principales ? S'il en existe un, le moins que I'on puisse dire est qu'il est rarement mis en évidence. L'approche adoptée ici est toute différente. Elle consiste 4 déterminer pour chaque formation la valeur centrale qui est la sienne et dont découlent ses divers emplois. Ainsi se place-t-on au coeur de chaque élément étudié et en voit-on les multiples réalisations. Chacun de ces éléments (modes; temps; etc.) se verra donc consacrer une étude spécifique, regroupant |’ intégralité de ses emplois. Dans nos descriptions grammaticales, les diverses composantes du systéme verbal sont généralement toutes mises sur le méme pied. Mais avant d’étre devenu, comme il l'est aujourd’hui, un corpus fermé, point de départ d’une collection de paradigmes et de régles syntaxiques, le grec ancien a été une langue vivante. Le verbe y a donc été utilisé, et il est important de savoir comment. Qu’on les aime ou pas, il n’est pas niable que les données quantitatives fournissent de ce point de vue des éléments importants d’appréciation. Aussi, me suis-je attaché 4 en donner un grand nombre d’exemples. Le caractére significatif ou non des différences statistiques relevées a été systématiquement déterminé grace au test du chi carré (y2)! — pour ne pas surcharger l’exposé, ce n’est toutefois qu’exceptionnellement que j’ai explicitement évoqué les résultats de cet examen. 1 Sur ce test, voir par exemple MULLER, pp. 116-127. 6 AVANT-PROPOS Bien entendu, ce sont les faits de I'attique des V°-IV® siécles qui ont regu l'attention la plus grande. Mais ce dialecte et cette période, si illustres soient-ils, ne sont qu'une partie d'une évolution millénaire, commencée bien avant l’€poque classique et se continuant jusqu’a nos jours. La premiére partie de ce long parcours est, pour nous, préhistorique et reconstituable essentiellement grace a l'acquis de la grammaire comparée des langues indo-européennes. Mais 4 partir du XIV® siécle avant notre ére, le grec entre dans I'Histoire grace aux documents mycéniens écrits en linéaire B. Depuis cette époque, nous disposons d'un flot virtuellement continu d'informations qui nous permettent de cerner avec assez de précision la vie des parlers helléniques. L’ensemble de ces données, & commencer par les mycéniennes, que l’on ne peut plus ignorer désormais, non seulement, cela va de soi, pour la morphologie, mais également pour la syntaxe, a été systématiquement présenté ici. J'ai aussi indiqué, plus rapidement, d'od ce grec vient et vers oi il va, en donnant un bref apercu des grandes tendances de l'évolution depuis l'indo-européen et jusqu'a la période contemporaine. Dans l’examen des phénoménes, on devrait toujours subordonner les théo- ries linguistiques aux faits dont elles doivent rendre compte. J’ai essayé de garder cet idéal 4 l’esprit et d’avoir une approche la moins dogmatique possible. On verra cependant que ma présentation est d’inspiration structuraliste et accorde une large place a la théorie de la marque : ces points de vue m’ont paru les plus appropriés aux données observables. Dans cette ligne, j’ai systématiquement opposé |’expression morphologique ou lexicale des diverses catégories linguisti- ques verbales (signifiant) ~ ces catégories linguistiques elles-mémes (signifié). I] en a résulté des distinctions généralement absentes des descriptions syntaxiques grecques — temps ~ temporalité (§ 125, 127); modes ~ modalités (§ 143); etc. — mais qu’il m’a paru indispensable d’introduire. Dans le méme esprit, j’ai trouvé utile de ne pas suivre le plan habituel des grammaires, qui étudient d’abord la morphologie de l’ensemble du systéme verbal, et ne passent qu’ensuite a sa syntaxe. Ici, au contraire, morphologie et syntaxe de chaque composante du systéme (modes; temps; etc.) ont été regroupées, de maniére 4 ce que ces deux faces d’une méme réalité s’éclairent mutuellement. L'aspect pose des problémes trés difficiles et suscite encore aujourd’hui des positions radicalement différentes : certains refusent de reconnaitre son exis- tence; d’autres l’interprétent de maniéres fort diverses. Une place toute particu- ligre a donc été réservée a cette question d’importance cruciale en grec. La distinction entre aspect et temporalité (§ 122, 125), jointe a la reconnaissance de leurs rdles respectifs dans les différents modes (§ 129, 130) et de leurs interac- tions (§ 138f) devraient, je l’espére, clarifier le débat et conduire a une solution raisonnable. Une attention spéciale a aussi été accordée 4 une question capitale, mais trop rarement abordée : a quels motifs répond le choix des aspects par les locuteurs ? L’étude de la dynamique de la sélection aspectuelle est encore dans l’enfance et j'ai réguligrement tenté d'attirer l'attention sur ce point. Du point de vue de la terminologie, ma position a été franchement conser- vatrice lorsque les appellations traditionnelles me paraissaient adéquates — n’oublions pas que c’est sur la langue grecque que s’est fondée toute la tradition AVANT-PROPOS 7 grammaticale occidentale —, mais résolument novatrice dans le cas contraire. Je n’ai donc pas hésité 4 adopter les innovations proposées par mes prédécesseurs lorsqu’elles me semblaient utiles (ainsi, la distinction entre verbes transformatifs ~ non transformatifs : § 57). Bien que j’aie tenté d’éviter tout néologisme pour ne pas accroitre 1’inflation terminologique linguistique, il m’est parfois arriver d’en proposer — ainsi, pour |’indicatif parfait, la notion de bitemporalité : § 366 (le chapitre consacré & ce temps a sans aucun doute été le plus difficile & mettre au point de tout le livre). Dans tous les cas, j’ai veillé 4 définir explicitement chacun des termes utilisés. J'aimerais remercier plusieurs personnes dont l'aide m'a été spécialement utile. Me Anne-Marie CHANET (Université de Tours) a bien voulu effectuer ma demande plusieurs dépouillements complétant son article de Cratyle (CHANET a). MM. Guy JUCQUOIS (Université de Louvain) et Albert MANIET (Université Laval, Québec) ont pris la peine de lire en 1987 une premiére version de mon manuscrit et m'ont fait part d'une foule de remarques. Grace a eux, ce livre s'est considérablement amélioré. Je voudrais leur exprimer ici ma trés vive gratitude. Il va sans dire que je demeure seul responsable des imperfections qui y subsistent. J'évoque aussi avec reconnaissance la mémoire d'un de mes maitres, le regretté abbé Joseph MOGENET, dont les legons de syntaxe grecque étaient si stimulantes. Je dois enfin beaucoup a la curiosité et a l'esprit critique de mes étudiants, et je serais heureux que le dialogue amorcé avec eux lors de mes cours puisse se poursuivre avec les lecteurs de ce livre. Louvain-la-Neuve, le 2 décembre 1991 8 AVANT-PROPOS AVANT-PROPOS de la deuxitme édition L’épuisement de la premiére édition de ce livre m’a donné I’occasion d’en reprendre entiérement le texte. Ceci a permis de tenir compte des recensions dont il a fait l’objet (j’en remercie ici les auteurs) et d’y incorporer les résultats des progrés intervenus depuis huit ans dans nos (et mes) connaissances. Outre de trés nombreux changements ponctuels (compléments, précisions ou corrections), le plan de l’ouvrage a été changé par endroits; la terminologie a été modifiée dans des secteurs importants (ainsi, les modalités et l’aspect); plusieurs sections ont été largement refondues — par exemple, syntaxe de |’infinitif, du participe; la numérotation des paragraphes, figures et exemples a été refaite quasiment partout; etc. L’augmentation du nombre de pages qui a résulté de ces remaniements a été largement compensée par une réduction du format des caractéres utilisés. Le traitement, si difficile, de l’aspect verbal a été repris en incorporant les découvertes effectuées depuis 1991. On verra que se profilent des perspectives intéressantes, avec identification de plusieurs nouveaux facteurs pesant sur le choix aspectuel, prise en compte intégrée de bon nombre d’entre eux et enfin procédure d’évaluation quantitative de leur force. Tout ceci devrait permettre désormais, dans le meilleur des cas, non seulement de justifier linguistiquement une partie significative des temps effectivement choisis dans un corpus donné, mais méme de les prédire avec une trés bonne chance de réussite. II devrait ainsi devenir possible de distinguer plus nettement ce qui, dans le choix aspectuel, ressortit, d’une part, aux faits de langue (ce qui constitue la face la plus objective de la sélection des temps) et, d’autre part, aux faits de parole (od se manifeste le plus clairement le choix subjectif du locuteur). Un caractéristique importante des facteurs de pression aspectuelle ainsi présentés est qu’ils résultent d’examens fondés sur des procédures objectives, statistiquement contrélables et fondées sur une méthodologie explicite. Ils sont donc aussi indépendants que possible de toute idée précongue et leur validité peut @tre vérifiée par des examens indépendants. De ce fait, ils fournissent une excellente pierre de touche pour tester rigoureusement et systématiquement n’importe quelle théorie relative & l’aspect verbal du grec ancien (y compris celle qui est défendue dans ce livre). Quelles que soient les vues aspectuelles que l’on AVANT-PROPOS 9 désire promouvoir ou mettre a l’épreuve, il y aurait par conséquent intérét, pour vérifier leur crédibilité, 4 s’assurer qu’elles sont compatibles avec les faits présentés ici et aptes a les expliquer de facon satisfaisante. Louvain-la-Neuve, le 4 novembre 1999 10 SIGLES ET ABREVIATIONS PRINCIPAUX SIGLES ET ABREVIATIONS SIGLES = Elément reconstruit ou isolé, non attesté comme tel. *§q@- Elément reconstruit ou isolé en grec (voir § 13). *d6- ou *dea,- Elément reconstruit en indo-européen ou en grec (voir § 13). betel Forme jugée incorrecte. Frontiére de mot (sur la notion de “mot”, voir § 12). En regard de, Approximativement. Identique a. Différent de. Dans les textes mycéniens : début et fin de lacune. Provient de. Aboutit a. Dans les textes mycéniens : séparateur de mots (sur la notion de “mot”, voir § 12). Transcription phonologique (voir § 13). Fin de vers. Zéro. Voyelle d'appui. Bref. Long. Long ou bref. e e fermé, intermédiaire entre e ouvert et i (prononciation approximati- vement semblable aux voyelles du frangais “été”). Répond au sigle /e/ de I'API. ¢ e ouvert, intermédiaire entre a et e fermé (prononciation approximati- vement semblable a la premiére voyelle du frangais “pére”). Répond au sigle /e/ de I'API. VATH IHU coermt SIGLES ET ABREVIATIONS 1 o fermé, intermédiaire entre o ouvert et u (cette derniére voyelle est 4 prononcer approximativement comme le frangais “ou”), La pronon- ciation de 9 est approximativement semblable a la premiére voyelle du frangais “drdle”. Répond au sigle /o/ de I'API. o ouvert, intermédiaire entre a et o fermé (prononciation approximati- vement semblable a la voyelle du frangais “sol’”). Répond au sigle /2/ de I'API. “semi-voyelle” (en fait, consonne) yod (prononciation approximative- ment semblable 4 la consonne initiale du frangais “yeux”). Répond au sigle /j/ de |’ API. Autres notations conventionnelles dans d’autres ouvrages : j ou i. “semi-voyelle” (en fait, consonne) wau (prononciation approximative- ment semblable 4 la consonne initiale du frangais “oiseau”). Répond au sigle /w/ de l’API. Autre notation conventionnelle dans d’autres ouvrages : u. laryngale (voir § 62). ABREVIATIONS act. aor. API arc. arg. att. chypr. corcyr. crét. dat. dés, Actif. hom. Homérique. Accusatif. i-e. Indo-européen. Actif. imp. Imparfait. Aoriste. impér. Impeératif. Alphabet phonétique ind. Indicatif. international. inf. Infinitif. Arcadien, ion. Tonien. Argien. lesb. Lesbien. Attique. litt. Littéralement. Toute consonne. M-P Médio-passif. Chypriote. masc. Masculin. Corcyréen. myc. Mycénien. Crétois. neut. Neutre. Datif. nom. Nominatif. Désinence. opt. Optatif. Dorien. p.-q.-p. Plus-que-parfait. Féminin. parf. Parfait. Frangais. part. Participe. Futur. PD Personne du duel. Futur-parfait. plur. Pluriel. Génitif. PP Personne du pluriel. Dans les textes mycéniens: _prés. Présent. aspiration intervocalique. PS Personne du singulier. Hésiodique. second. Secondaire. 12 SIGLES ET ABREVIATIONS sing. Singulier. Vv Toute voyelle. skr. Sanskrit. voc. Vocatif. subj. Subjonctif. thess. Thessalien. ABREVIATIONS BIBLIOGRAPHIQUES ABSIL (A.) Le parfait chez Isée, Mémoire inédit de Licence en Philologie Classique, Louvain, 1964. AMIGUES (S.) a Les subordonnées finales par 6nwc en attique classique, Paris, 1977. AMIGUES (S.) b Les temps de l'impératif dans les ordres de l'orateur au gref- fier, Revue des Etudes grecques 90 (1977), pp. 223-238. AMIGUES (S.) c Voix, aspect et temps dans le verbe tixtw, Revue des Etudes anciennes 84 (1982), pp. 29-48. BAKKER (E. J.) A Remark on the Use of the Imperfect and the Aorist in Herodotus, Mnemosyne IV — 21 (1968), pp. 22-28. BASSET (L.) 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Le grec présente une particularité unique au monde: il est la seule langue encore vivante de nos jours et dont on puisse suivre I'évolution pendant plus de trois mille ans grace a des textes écrits en écriture phonétique. Il existe, bien entendu, des langues dont l'histoire est retragable pendant une période de temps égale ou encore plus longue. Mais les unes sont devenues des langues mortes — ainsi, l'égyptien, attesté pendant prés de cinq mille ans, depuis la fin du quatriéme millénaire avant J.-C. jusqu'au XVII siécle de notre ere, date ou sa forme moderne, le copte, cesse d'étre vivante. Les autres sont toujours vivantes, mais n'ont pas été notées phonétiquement — une seule langue est en cause, ici: le chinois, toujours parlé actuellement, et dont les premiers textes datés sont contemporains des ou légérement antérieurs aux documents grecs les plus anciens (a partir, approximativement, du XIV° siécle avant notre ére); mais l'écriture chinoise est idéographique, ce qui fait que la prononciation ancienne du chinois n'est pas directement accessible. L'INDO-EUROPEEN § 2. Ce que nous savons du long cheminement du grec ne s'arréte pas au XIV® siécle avant J.-C. En effet il est possible de reconstituer une partie de sa préhistoire. Ceci tient au fait que le grec fait partie d'un vaste ensemble de parlers, s'étendant actuellement dans le monde entier et constituant le groupe linguistique le plus considérable du globe : la famille indo-européenne. Il s'agit d'un ensemble de langues qui présentent entre elles un ensemble extraordinaire de concordances phonétiques, morphologiques, lexicales et syntaxiques — pour ne donner qu'un seul exemple, le nom du “pére” a les formes suivantes dans quelques langues i.-e.: grec No:ti)p; sanskrit pitdr-; latin pater; §3 BREVE HISTOIRE DE LA LANGUE GRECQUE. 17 osque patir; gotique fadar; tokharien A pacar; anglais father; etc. Or, on peut montrer que tous ces termes remontent a une forme unique : * patér. Ces concordances sont si nombreuses et si précises qu'il est impossible de les expliquer autrement qu'en supposant des liens de parenté génétique entre les langues oi elles s’observent. On appelle conventionnellement indo-européen l'état de langue préhistorique caractérisé par les isoglosses en question. On pense que la communauté linguistique i.-e. pourrait avoir existé en tout cas aux alen- tours de 4000 ou 5000 avant notre ére (ces dates sont, bien entendu, largement approximatives). Elle doit nécessairement étre issue elle-méme d’un ou plusieurs parlers ayant existé antérieurement a la période néolithique, mais sur le(s)quel(s) nous n’avons aucune information. A date historique, les principaux groupes linguistiques de la famille i.e. sont les suivants : albanais, anatolien, arménien, baltique, celtique, germanique, grec, indo-iranien, italique, phrygien, slave et tokharien. GREC ET INDO-EUROPEEN § 3. On ne peut que spéculer sur le degré d’homogénéité de |’indo-européen. Alors que, pendant longtemps, on 1’a imaginé comme un parler fondamentale- ment unitaire, on tend actuellement 4 y supposer, comme dans toute langue vivante, l’existence de clivages linguistiques divers. Ces derniers s’expliqueraient par des facteurs multiples, les uns, externes (relations, directes ou indirectes, permanentes ou occasionnelles, avec des populations non indo-européennes; etc.), les autres, internes (évolution de génération en génération; différences socio- culturelles; déplacements amenant des groupes humains a se séparer temporaire- ment ou durablement les uns des autres et, dés lors, a interrompre leur commu- nauté linguistique; etc.). Il va sans dire que, comme toute langue connue, 1’i.-e. doit avoir évolué a partir du moment de son émergence. On postule l’existence de plusieurs étapes dans cette évolution, mais la réalité a dG étre infiniment plus complexe que toutes nos reconstructions. Sauf indication contraire, dans ce qui suit, “indo-européen” renverra indistinctement a l’ensemble des phases théori- quement reconstituées. Quand arriveront en Gréce les populations qui pourraient étre les ancétres des futurs Hellénes et qui se superposeront aux habitants antérieurs (§ 4) ? Cette question est débattue. On admet souvent la date des environs de |’an 2000 avant notre ére, mais sans véritable certitude. Ce qui semble en tout cas hautement probable, c’est que leur arrivée ne peut étre postérieure au XVII® s. avant J.-C., date a laquelle la civilisation mycénienne (§ 4) commence 4 s’individualiser 4 nos yeux. La langue de ces Proto-grecs ne nous est bien entendu pas parvenue. Elle ne devait sans doute pas étre monolithique, mais les clivages qui y existaient n’avaient vraisemblablement pas la méme nature ni la méme ampleur que ceux qui s’observent au premier millénaire (§ 4). On donne 4 cet état de langue les noms conventionnels de grec prédialectal (a comprendre aujourd’hui comme : 18 BREVE HISTOIRE DE LA LANGUE GRECQUE §4 antérieur aux divisions dialectales de l’€poque historique) ou de grec commun. Une meilleure appellation pourrait étre proto-grec. LES DIALECTES GRECS HISTORIQUES § 4. A date historique (dés le XIV® siécle avant J.-C.), le grec apparait comme constitué par un ensemble de dialectes. Au V° siécle avant notre ére, on en compte une trentaine, répartis en quatre grandes familles : grec occidental (ou encore, dorien); arcado-chypriote; ionien-attique; éolien. Le processus conduisant a la répartition dialectale classique a indubitablement eu de multiples causes. On peut toutefois en relever deux qui ont da jouer un réle non négligeable lors de l’arrivée des Proto-grecs en Hellade : l'une est géographique; l'autre, linguis- tique. : La péninsule balkanique, 4 la forme si tourmentée, aux reliefs si accentués, aux régions si isolées les unes des autres par les montagnes et par la mer, constitue un territoire géographiquement cloisonné. Elle devait donc trés natu- rellement se préter 4 accentuer les tendances a la différenciation linguistique grecque. Or, dés leur arrivée dans leur nouvel habitat, les Proto-grecs ont été en contact permanent avec des populations parlant d’autres langues que la leur. La tradition grecque nous a livré les noms de certaines d’entre elles. Par exemple, Homére parle de Pélasges (leAaoyoi) ou de Cydoniens (Kbd@ve_c). Et les auteurs grecs ont généralement soin de nous avertir qu'il s'agit de BapBapor, “barbares” : sujets parlant des langues dont le terme grec B&pBapocg évoque précisément l'aspect cacophonique et confus qu'y trouvaient les Hellénes. II faut, bien entendu, se demander si ces récits ne sont pas de simples légendes sans fondement. Or, l'archéologie les confirme. Les plus anciens témoignages assurés et datables de présence humaine en Gréce remontent au paléolithique moyen (entre + 100000 et + 33000 avant notre ére). II y a mieux : on a découvert des vestiges de certaines des langues parlées avant notre ére par les Préhellénes. En Créte, on dispose des documents en écritures non linéaires (‘“‘hiéroglyphique crétois” : + 2100 — + 1450; disque de Phaestos : 4 un moment quelconque entre + 1800 et + 1600; hache d’Arkalokhori : vers 1600), en linéaire A (+ 1750 —+ 1325), de méme qu'en alphabet grec (textes étéocrétois : + 650 — III°/II® s.); a Chypre, on a du chypro-minoen (+ 1600 — + 1050) et de l'étéochypriote (VI°- IV® s.). Lorsque leur écriture est lisible, il est manifeste qu'aucun de ces parlers n'est grec. Il va inévitablement résulter de ces contacts inter-linguistiques des influences, plus ou moins profondes et diverses, sur le proto-grec, dont l’évolution va ainsi se trouver accélérée. A la question de savoir quelle était la répartition dialectale grecque a ce stade, il n'existe présentement que des réponses diverses, toutes largement hypothétiques et qui simplifient trés probablement une réalité qui a da étre d’une extréme complexité. Ce qui est certain, c’est que les plus anciens textes grecs dont nous g5 BRBVE HISTOIRE DE LA LANGUE GRECQUE 19 disposons, les inscriptions mycéniennes en linéaire B (XIV®-XIII® s. av. J.-C.), révélent I'existence d'un dialecte parlé en Créte et dans une importante partie de la Gréce continentale : principalement en Messénie, Argolide, Béotie, Attique. Or, sur tout ce vaste territoire, le mycénien présente une uniformité dialectale assez extraordinaire. Cette uniformité est loin d'étre absolue, car elle laisse place Aune série de particularités chronologiques (la plupart des textes en linéaire B ne sont pas strictement contemporains), régionales (Créte ~ continent), locales (Pylos ~ Mycénes; etc.) et personnelles (dans un méme site, variations de scribe a scribe). Mais elle est suffisamment impressionnante pour permettre de conclure que le mycénien était une “langue commune” — c'est le premier exemple connu de own grecque. Cette Kowvn a di se superposer ou se juxtaposer a d'autres parlers grecs, différenciés sociologiquement (car le mycénien dont nous avons trace est un parler administratif, 4 cété duquel devaient exister des variantes populaires, familitres, etc.) et dialectologiquement (car il semble assuré qu'a I'époque mycénienne existaient déja au moins trois groupes dialectaux: celui dont le mycénien fait partie; l’ancétre de |’ionien-attique; |’ancétre du groupe dorien). ECRITURES GRECQUES § 5. Ces dialectes anciens vont, petit 4 petit, étre mis par écrit. Ceci se fera au moyen de trois types d'écritures différentes : (a) syllabaire linéaire B (XIV°-XIII® siécles av. J.-C. — cette écriture a sans aucun doute été déja utilisée auparavant, mais elle ne survivra pas ulté- rieurement) (B) syllabaire chypriote (1050/950 — fin du III® siécle av. J.-C.) (y) écriture alphabétique (attestée depuis le premier quart du VIIIE siécle av. J.-C. jusqu'a nos jours). A mesure que ces trois écritures apparaissent, le grec sort, 4 nos yeux, des brumes de sa préhistoire. Il s'en faut cependant de beaucoup pour que les textes ainsi livrés soient aussi limpides que nous le souhaiterions. Les syllabaires — linéaire B et chypriote — notent le grec de fagon assez approximative, il faut bien le reconnaitre. Ainsi, le nom de I'“étre humain”, GvOpwrog, s'y écrit, respectivement, a-to-ro-go (observer le signe -go, qui note spécifiquement le phonéme issu de I'occlusive labiovélaire sur laquelle repose -mog < *-k"os) et a to-ro-po-se. Il est toutefois remarquable que le linéaire B sépare systématique- ment les mots les uns des autres (§ 12). Lalphabet, lui, transcrit le grec de fagon infiniment plus fidéle. Mais il y régnera toujours une certaine imprécision, spécialement dans ses débuts (VIII°-V° s.): la majorité des alphabets archaiques ne connait ni 1, ni @ et ne note pas les géminées; la séparation des mots y sera souvent absente, et jamais constante; les 20 BRBVE HISTOIRE DE LA LANGUE GRECQUE, §6 accents y seront toujours inconnus — ce ne sera qu'au III°-II® siécle avant J.-C. qu'Aristophane de Byzance (+ 257 — 180) les introduira. Tout ceci fait qu’Gv8parog s'écrit avdponog dans la plupart des alphabets archaiques et avdpwnos ultérieurement. Il reste que, malgré leurs imperfections, ces systémes graphiques ont une valeur inestimable, puisqu'ils nous donnent une image relativement détaillée (bien que toujours partielle) de tous les parlers qu'ils notent. EVOLUTION DU GREC JUSQU'AUX Ve-IVe SIECLES § 6. Jusqu'aux environs de 500 av. J.-C., les différents dialectes qui ont émergé précédemment vont évoluer, mais nous donnent |’impression de rester relativement stables. Jusqu'a cette époque, les Grecs vivent essentiellement dans et pour leurs cités-Etats, leurs mOAetc. Bien entendu, ils ont le sentiment d'appartenir 4 une grande communauté : celle des Hellénes (“EAAnvec). Témoins de cette conscience, les grandes compétitions panhelléniques : jeux olympiques, pythiques, etc. Témoins aussi, les poémes homériques, rédigés en un amalgame des trois groupes dialectaux non doriens: arcado-chypriote, éolien et ionien- attique!. Le succés inoui remporté par I'Iliade et l'Odyssée, toutes hybrides qu'elles fussent, dialectologiquement parlant, montre que les Grecs avaient généralement un excellent degré d'intercompréhension et qu'ils avaient conscience de parler une langue unique, méme si elle était constituée de dialectes divers. Il demeure que, avant d'étre Hellénes, les Grecs étaient, d'abord, les citoyens de leurs cités-Etats : leurs véritables racines étaient locales. Or, a partir du V° s., cette situation se met a changer. Les guerres médiques opposent un grand ensemble de cités 4 un ennemi d'une puissance exception- nelle: l'empire perse. Et lorsque 4 Marathon, d'abord, en 490, a Salamine, ensuite, en 480, a Platées enfin, en 479, Darius puis Xerxés sont vaincus, la face du monde grec est changée. Les cités grecques se trouvent désormais réparties pour la plupart en deux camps principaux, que contrélent deux grandes métro- poles : Athénes et Sparte. La rivalité entre ces deux cités-Etats va déboucher sur la longue guerre du Péloponnése (431 - 404). Lorsque la lutte s'achéve, Athénes, championne de la démocratie (telle qu'on la concevait a l'époque), est politique- ment et militairement vaincue par Sparte, la cité oligarchique par excellence. Culturellement, toutefois, la situation est radicalement différente (et ce n'est sans doute pas un hasard) : c'est Sparte qui est écrasée. Car ce n'est qu'a Athénes que Ion a un Sophocle (vers 496 — 406), un Phidias (né vers 490), un Socrate (469 — 1 Le caractére dialectalement mélangé de la poésie épique est di a des facteurs historiques : on pense que la composition initiale de I'lliade et de I'Odyssée se serait faite en milieu mycénien, entre + 1550 et + 1200 av. J.~C.; ensuite, des aédes éoliens auraient pris le relais et introduit une série d'éolismes, entre + 1200 et + 900; enfin, vers le IX°-VII° siécle, des Ioniens — dont le plus célébre est le podte que la tradition désigne sous le nom d'Homére — auraient recueilli cet héritage et y auraient, & leur tour, laissé leur empreinte linguistique. 87 BREVE HISTOIRE DE LA LANGUE GRECQUE, 21 399), un Aristophane (vers 457/445 — vers 385) ou un Platon (vers 429 — 347). Et du coup, le prestige du dialecte attique devient tel qu'il commence a éclipser les autres parlers. L'un d'entre eux, toutefois, va influencer considérablement I'attique : I'ionien. C'est que les villes grecques d'Asie Mineure ont une tradition culturelle d'une richesse peu banale. Trois exemples : Homére était ionien; c'est en Ionie que nait la philosophic grecque, aux VI°-V° siécles, avec Thalés, Anaxi- mandre, Anaximéne, tous de Milet; Xénophane de Colophon; Héraclite d'Ephése; etc. Et la premiére oeuvre importante conservée en prose grecque est écrite en ionien : ce sont les Histoires d'Hérodote (vers 484 — avant 420). Pour. donner une idée du prestige extraordinaire qu'a la culture ionienne, il suffit de se souvenir que c'est I'alphabet ionien qu'Athénes adoptera officiellement a l'ex- tréme fin du V° siécle (archontat d'Euclide : 403/402) pour remplacer son vieil alphabet archaique, et cette nouveauté va se répandre comme une trainée de poudre dans toute la Gréce?. LA KOINH CLASSIQUE § 7. La synthése culturelle ionienne-attique va se traduire, au plan linguistique, par l'apparition d'un parler nouveau, que l'on appelle la Kot}. La Kotwn, c'est la Koi SicAeKtoc, la “langue commune”, a base d'attique et dionien, qui se forme a la fin du V° s. et se répand @ partir du IV® s. dans tout le monde grec, supplantant progressivement les anciens dialectes et concurrengant victorieusement les autres parlers supradialectaux qui verront le jour en milieu dorien a partir des IV°-III° s. Ce mouvement est puissamment encouragé par les circonstances politiques. Vers le milieu du siécle, Philippe II de Macédoine (régne : 359 — 336) prend petit a petit pied en Gréce. Et le 2 aot 338, 4 Chéronée, il vainc la coalition de cités que Démosthéne (384 — 322) avait réussi 4 mettre sur pied. Ayant triomphé, Philippe crée la “ligue de Corinthe”, ligue panhellénique, mais dont les membres sont, en fait, assujettis 4 la Macédoine, bien que I'autonomie de chaque cité soit officiellement reconnue et proclamée. L'avénement d'Alexandre le Grand (né en 356; régne : 336 — 323) va amplifier encore le mouvement. En 14 ans, le jeune conquérant va se constituer un empire extraordinaire, allant de la mer ionienne a I'Inde. Et dans tout cet immense territoire, la langue officielle, c'est la ko.) — on ne pouvait en attendre moins d'un roi ayant eu Aristote comme professeur et a la cour duquel on parlait le grec relevé d’Athénes, et non pas le parler local. Cest une extension tellement inouje que la Kotvt devient une véritable langue internationale. Les Juifs vivant dans le milieu cosmopolite d'Alexandrie font traduire la Bible hébraique en grec a partir du III° siécle avant notre ére (il s'agit 2 De facon conventionnelle, on utilise le critére de l'adoption officielle par Etat athénien de Yalphabet ionien pour opposer deux états de langue de |'attique : attique ancien ~ récent. Cette distinction n'est, bien entendu, qu'approximative, car des phénoménes qualifiés d“anciens” ou de “récents” peuvent étre attestés respectivement aprés ou avant 403/402. 22 BREVE HISTOIRE DE LA LANGUE GRECQUE §8 de la version des Septante). César et Cicéron parleront grec en plus du latin. C'est en grec que seront écrits les Evangiles et les épitres de Saint Paul. Etc. Que deviennent alors les vieux dialectes antérieurs 4 la Koiv)? C'est simple : la plupart se mettent a décliner et finissent par mourir. Par exemple, la fig. 7.1 montre le progrés de la cow} dans les inscriptions cyrénéennes, du VII° siécle avant au VI° siécle aprés J.-C., selon DOBIAS-LALOU. [--=—Pourcentage d'inscriptions en cyrénéen — -o—-Pourcentage d'inscriptions en koiné 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 6-0 = Ts 2 2 8 5 fdessees eesseg ~fostecd | Fig. 7.1 Evolution de la kowvn} dans les inscriptions cyrénéennes (d'aprés DOBIAS-LALOU, pp. 33-34) Ter ap. Ter av. Au IVE sidcle de notre ére, la Koi a supplanté presque tous les anciens dialectes. Il existe, bien sir, des exceptions : ainsi, le laconien continuera a vivre — et il le fera pendant trés longtemps, puisque de nos jours encore, il survit dans le tsaconien, parlé au sud-est du Péloponnése, en Laconie (dans ce parler, le nom de la “mére” se dit /a mati/, qui prolonge la vieille forme dorienne & watnp; dans les autres dialectes grecs contemporains, on dit /i mitéra/, ce qui continue la forme de la kown, 1 wytNp). DESAGREGATION DE LA KOINH CLASSIQUE ET REACTION PURISTE § 8. C'est au moment oi elle triomphe que, par un retournement compléte- ment inattendu, la Ko. commence A se désagréger. Que s'est-il passé? La Kotvn s'est installée presque partout, couvrant un espace géographique considé- rable — Athénes est désormais supplantée comme centre culturel de I'hellénisme par des villes comme Alexandrie ou Pergame. Il se produit alors un processus de dialectalisation, grandement accéléré par le fait que le grec est désormais pratiqué par des gens parlant les langues les plus diverses : arabe, araméen, copte, galate, g9 BRBEVE HISTOIRE DE LA LANGUE GRECQUE 23 latin, mysien, phrygien, etc. Le processus aboutira, en Gréce méme, a constituer une série de nouveaux dialectes. Ce sont ces parlers, issus de la Kotvi, qui seront les ancétres de la plupart des dialectes helléniques contemporains. Mais en méme temps que la Kotvt) s‘étend et se diversifie, se produit une réaction conservatrice, visant 4 endiguer le changement en cours. II s'agit d'un retour au passé dont le courant le plus connu est l'atticisme. Ce mouvement connaitra son apogée au II°-III® siécles de notre ére avec le courant de la seconde sophistique. Du point de vue linguistique, le mot d'ordre des atticistes est “Vive le passé !”. Un excellent exemple de cette tendance est fourni par Athénée de Naucratis: dans ses Deipnosophistes 1.2d-e, il met en scéne un personnage surnommé Kertovxettoc a cause de sa manie de demander a propos de n'importe quel mot: Keitou 7) ob Kettou ;, “Est-il ou non (dans les livres) ?”. Au début, ce retour au passé ne remonte pas tellement haut: on se borne a essayer d’imiter les auteurs attiques du IV° siécle. Mais a partir de l'époque d'Hadrien (régne : 117 — 138), on va plus loin, jusqu’a I'attique du V° siécle, et l'on écrit &¢ au lieu de eig ou Evv au lieu de odv, comme Thucydide. On ressuscite méme le nombre duel, qui était mort dans la langue parlée courante durant le IV siécle avant J.-C. D'od vient cette curieuse vague de retour en arriére ? L'une de ses raisons majeures est sans doute liée aux événements politiques. Depuis 146 avant J.-C., la plupart des cités grecques ont perdu le peu d'autonomie qui leur était resté aprés le régne d'Alexandre: elles font partie des territoires administrés par le proconsul romain de Macédoine. C'est Rome qui méne le jeu dans toute la Méditerranée, et les Grecs, pour se consoler de n'étre plus que les sujets d'une grande puissance et d’étre privés d’activités politiques dignes de ce nom, se mettent A réver au bon vieux temps, celui d'avant Rome, d'abord — c'est le retour au IV® siécle —, celui d'avant Philippe de Macédoine, ensuite — c'est le retour au V° siécle. DIGLOSSIE ET GREC CONTEMPORAIN § 9. La langue artificielle qu'est le grec atticiste se transmettra dans les milieux cultivés de I'empire byzantin et subsistera dans les territoires hellénophones aprés la chute de Constantinople. Parallélement, les dialectes issus de la Kowvt continueront a étre pratiqués par l’immense majorité de la population. La Gréce va ainsi vivre dans un régime linguistique particulier, ot une seule et méme langue est parlée sous deux formes différentes. Cette situation est connue sous le nom de diglossie. Elle aboutira a l’époque moderne a opposer la langue vivante, populaire, la SnpotuKn, et une langue artificielle, puriste, la Kadapevovoa (Kavapede, “etre pur”). Cette situation ne prendra fin que récemment, en 1976, lorsque le grec démotique, vivant, sera reconnu comme la langue officielle et que la KaSapedovoa sera détrénée. 24 BREVE HISTOIRE DE LA LANGUE GRECQUE §9 Lihistoire du grec ne s'arréte pas en 1976, bien entendu, et son évolution se continue sous nos yeux. Ainsi, pour ne prendre qu'un phénoméne relativement superficiel, mais de grande importance sociale comme l'orthographe, une profonde réforme du systéme des esprits et des accents vient de se produire. On ne note plus aucun esprit, ni l'accent des mots monosyllabiques; dans les polysyl- labes, on n'utilise qu'un seul accent, I'aigu (le circonflexe étant éliminé). Ainsi, 0 GvdOpanos s'écrit désormais o &vOpanos. § 10 DEFINITIONS 25 PREMIERE PARTIE GENERALITES CHAPITRE 1 QUELQUES DEFINITIONS § 10. Il n'existe pas de consensus dans le domaine de la terminologie linguistique. Ceci tient 4 plusieurs facteurs, dont les principaux sont sans doute les suivants : (a) Les multiples langues humaines s'opposent par des différences importantes, qui empéchent l'emploi d'une terminologie unifiée — ainsi, la distinction entre nom et verbe, qui semble aller de soi a bien des locuteurs occidentaux, est inutilisable dans des langues qui n'opposent pas ces deux catégo- ries grammaticales. (B) A 'intérieur méme d'une langue donnée, bon nombre d'éléments linguis- tiques sont difficiles 4 définir en toute rigueur, méme (et surtout !) lorsqu'ils semblent intuitivement évidents. II serait sans doute excessif de dire, comme on l’a parfois fait, que toute définition linguistique est fausse ou imparfaite, mais il faut reconnaitre que bon nombre d'entre elles ne recouvrent pas adéquatement les réalités auxquelles elles sont censées renvoyer — celles qui suivent n'échappent malheureusement pas 4 cette régle. (y) Toute observation étant nécessairement influencée par l'observateur, les descriptions linguistiques dépendent inévitablement des conceptions linguistiques des descripteurs. Il ne faudra donc pas s'étonner de trouver parfois, dans le cours de cet ouvrage, des termes employés dans des acceptions différentes de celles od I’on 26 PREMIERE PARTIE : GENERALITES § 11-12 peut les trouver dans d’autres études grammaticales grecques. I] va sans dire que les définitions qui suivent ne s'appliquent qu'au grec ancien. 1. SYNCHRONIE ET DIACHRONIE § 11. Toute étude linguistique peut étre synchronique, c'est-a-dire porter sur un état de langue. Ce dernier n'est généralement observable que pendant une durée limitée, mais il peut parfois subsister longtemps: plusieurs décennies, voire méme davantage. L'étude linguistique peut aussi étre diachronique (ou encore historique), et avoir pour objet I'évolution de plusieurs états de langue. Une étude diachronique pourra s'intéresser 4 la période historique, pour laquelle on dispose, par définition, de documents écrits et/ou de témoignages oraux. Elle pourra aussi étre préhistorique et tenter de reconstituer les étapes par lesquelles l'ancétre de tel élément (morphologique, lexical, syntaxique, etc.) a probablement dQ passer avant d'atteindre la forme et/ou la signification qui est la sienne dans les premiers témoignages historiques. Il faudra souvent, a cet effet, recourir 4 la comparaison avec d'autres langues de la méme famille linguistique (§ 2-3). Etudes synchronique et diachronique s'opposent souvent par l'ampleur des changements linguistiques observables pendant les périodes étudiées, mais ceci n'est pas toujours vrai: il peut exister de longues périodes de relative stabilité linguistique, tout comme on rencontre des cas od de profonds changements prennent place en un Temps! relativement bref. Les changements linguistiques peuvent constituer une progression continue marquée par une suite d’étapes allant toutes dans la méme direction, mais il arrive trés réguliérement que l’on observe des €volutions complexes, avec régression temporaire en direction du point de départ. 2. LEXIQUE § 12. Quelles que soient les critiques que l'on a pu adresser au concept de mot, il n'est aucun linguiste qui ne se prive d'y recourir au moins implicitement. Il est en tout cas manifeste que cette notion était connue au moins intuitivement dés les plus anciens textes grecs. En effet, les Mycéniens séparent trés générale- ment ce que toute la tradition ultérieure appelle mots par un blanc et/ou un petit trait vertical — ce dernier est symbolisé par une virgule dans nos translittéra- tions. Les séquences ainsi isolées révélent que le mot était congu comme I'unité accentuelle de base. Les proclitiques et les enclitiques sont graphiquement soudés au mot accentué sur lequel ils s'appuient. Ainsi, ka-ke-we , o-u-di-do-si (PY Ma 1 Dans ce qui suit, le Temps physique, permettant de situer la succession des événements — anglais time —, sera toujours écrit avec majuscule, pour éviter toute confusion avec les temps grammaticaux — anglais tense (§ 127). g 13 DEFINITIONS 27 90; scribe 2), YOAKIFes OdSi5ovot [= attique ob 5156001], “les forgerons ne doivent pas payer”; i-je-re-ja, e-ke , e-u-ke-to-ge , ... (PY Ep 704.5; scribe 1), igpero. Eyer edyetoik”e... [= attique ebxeto te], “la prétresse a et déclare...”. Ce fait montre que proclitiques et enclitiques étaient considérés soit comme parties de mots, soit comme mots de statut différent des mots toniques. Pour le grec ancien, nous ne discuterons pas ici de la définition du mot dans le langage parlé, et nous limiterons a sa forme écrite. Nous y entendrons par mot Lunité significative minimale symbolisée graphiquement par une séquence d’un ou plusieurs signes d’écriture (lettres ou syllabogrammes) encadré(s) par l’un des éléments suivants : blanc; diviseur; signe de ponctuation; signe d’élision. Ainsi, £8i5opev, “nous donnions”, est-il un mot. Les mots peuvent étre constitués soit (rarement) par un radical seul (§ 14), soit (le plus souvent) par un radical auquel s’ajoutent un ou plusieurs morphémes (§ 17-19). Les diverses formes que peut prendre un méme mot lorsqu’il est fléchi (§ 21) sont rattachées 4 une forme-type, le Jemme. Ce dernier est conventionnellement au nominatif singulier pour les noms, a la premiére personne du singulier de Vindicatif présent (en principe) actif pour les verbes. Ainsi, Sida est-il le lemme de é5i5opev, 51500¢, 56t, etc. L'ensemble des lemmes constitue le lexique (ou encore le vocabulaire). Conformément 4 I'usage frangais, les lemmes verbaux grecs seront traduits par un infinitif: 5i5@p1, “donner” (litt. “je donne”). 3. MORPHOLOGIE 3.1. GENERALITES § 13. La morphologie est la branche de la linguistique qui détermine la forme, le sens et la fonction des éléments significatifs qui constituent les mots. Ces éléments significatifs sont de deux sortes : les radicaux (§ 14) et les morphémes (§ 17-19). Dans ce qui suit, nous écrirons les éléments isolés ou reconstitués par la morphologie comme suit : des caractéres grecs précédés d’astérisque (ainsi, *yeF-, “verser”) impliquent un état de langue censé étre grec; des caractéres latins précédés d’astérisque (ainsi, *ghew-, “verser”) renvoient a un état de langue censé étre grec ou indo-européen (le contexte permettant normalement de choisir entre les deux). Tous les radicaux et morphémes sont eux-mémes formés par des éléments non significatifs : les sons et les phonémes. Sons et phonémes constituent les plus petites unités inanalysables dépourvues de sens et constituées par des ondes émises en vibrant par les organes de la parole humaine. Un phonéme est doté de propriétés distinctives telles que, si on les modifie, elles entrainent un changement de signification dans le message (comparer, en frangais, les consonnes m et t dans moi ~ toi). En revanche, un son n’est, en lui-méme, pas porteur de propriétés distinctives (comparer, en francais, la consonne r prononcée de fagon grasseyée 28 PREMIERE PARTIE : GENERALITES § 14-16 ou roulée, qui n’entraine aucune modification du sens des mots od ces deux prononciations s’observent). Sons et phonémes sont étudiés respectivement par la phonétique et la phonologie. Nous indiquerons une transcription phonologique en l’encadrant de deux traits obliques : /m/ ~ /t/. 3.2. RADICAL § 14. Les radicaux sont les éléments significatifs des mots qui expriment les notions grace auxquelles les locuteurs décrivent la réalité qu’ils pergoivent ou imaginent (et dont ils font d’ailleurs eux-mémes partie). Ainsi, *50-, rendant la notion de “donner”, est-il le radical de &-8i-50-fev, “nous donnions”. La présence d'un radical est obligatoire dans tout mot. Comme les notions rendues par les radicaux sont en quantité non finie, ces derniers ont la propriété de constituer une catégorie ouverte, illimitée en nombre. La réalité extra-linguistique 4 laquelle renvoient les radicaux est appelée référent. Les référents ont souvent une existence constatable (ainsi, une “table”), mais ils peuvent aussi étre le pur produit de I'imagination (ainsi, la “Gorgone”). Du point de vue diachronique (§ 11), le radical peut tant6t étre identique a la racine verbale (§ 15), tantét comporter la racine plus un élargissement (§ 16). Au radical s'ajoutent presque toujours un ou plusieurs morphémes (morphémes dérivationnels [§ 18] et/ou désinences [§ 19]), mais on trouve parfois des mots constitués d'un radical seul, non doté de morphémes — ainsi, ndp, “feu” < *ndp-. 3.3. RACINE ET ELARGISSEMENT § 15. La racine est la partie du radical qui donne son sens fondamental aux diverses formes que peut prendre un mot déterminé. Sans elle, ce mot n'existe pas. La racine peut étre dégagée en synchronie ou en diachronie — comme il s'agit toujours d'une reconstitution, on la fera précéder d'un astérisque. Ainsi, 5i- 50-11, €-50-Ko.-¢, 5@-Cet ont pour racine, en synchronie, *5q-; en diachronie, *d6- < *dea;-; Yev-N-GE-TO, &-yEV-0-UNV et YE~Yev-1|-e0O. Ont pour racine, en synchronie, *yev-; en diachronie, *gen-. § 16. Les élargissements sont une partie du radical qui sert a constituer, 4 partir d'une seule et méme racine, des formes différentes susceptibles de véhiculer des significations diverses. Il ne semble pas possible de leur assigner une signification propre a date i.-e.!, et leur seule fonction perceptible est d'aug- 1 Ce quine signifie pas qu’ils n’en aient jamais eu. gi7 DEFINITIONS 29 menter le nombre de radicaux différents issus d'une méme racine. Il s'agit donc d'éléments & fonction lexicale. L'élargissement prend place immédiatement aprés la racine (il ne peut en étre séparé que par l'infixe nasal : § 17, 295). Il est susceptible d'alternance vocalique (§ 25, 59-65); celle-ci n'est souvent reconstituable que par la comparaison i.-e. Exemples d'élargissements : (a) la racine *wel-/*wl-, “vouloir, souhaiter” (cf. latin uelle) affectée de l'un des élargissements *-d-, *- ea)- ou *-p- donne les trois radicaux suivants : (a) *wel-p- > €An-o-pau, “espérer” (B) *wel-d- > €A6-0-[011, “aspirer a” (y) *wl- e2;- > Av (dorien) “vouloir” (infinitif; < *wl-ea,-e-sen); (b) la racine *ser-, “couler” affectée de I'élargissement *-ew-/-ow-/-w- donne les trois radicaux suivants : (a) *sr-ew- > pé-w, “couler” (§ 282) (B) *sr-ow- > po-iG@, “mener un cheval a l'eau” () *sr-w- > pv-tdc, “qui coule” (§ 261). Dans le verbe, les élargissements se distinguent des morphémes dérivationnels ou des désinences (voir § 18-19) entre autres en ce que, ayant une fonction lexicale, ils font partie intégrante du radical. Dés qu'un radical donné comporte un élargissement, il le conservera en principe toujours, dans tous ses emplois. Par contre, les morphémes dérivationnels ou les désinences varient selon les temps, modes et diathéses utilisés. Ainsi, 10.-v-0-c:v-0-Lev : Lo.0-N-0-0-pLeda : €-[L00-0-[Lev : Le-[.0/0-1]-Ko.-ev comportent tous le radical *po- issu de la racine *mn- et de l'élargissement *-dh- (§ 295). Mais selon les divers temps, ce radical est doté de différents morphémes : H.-v-8-G.v-0-[Lev : infixe nasal (-v-), suffixe -av-, voyelle thématique -o- et désinence -jlev pad-1-0-6-Le0e : suffixes -n- et -o-, voyelle thématique -O- et désinence -pedo. €-6,0-0-1ev : préfixe €- (augment), voyelle thématique -o- et désinence -pev [1e-O0-1)-KoL-pLev : préfixe [1e- (redoublement), suffixes -n-, -Ka- et désinence -pev. 3.4. MORPHEMES § 17. Les morphémes sont des éléments significatifs susceptibles de s'ajouter soit 4 un radical pour constituer un mot (§ 17-19), soit (dans le cas des 30 PREMIERE PARTIE : GENERALITES §18 morphémes-mots) a une partie d'énoncé en vue de la coordonner ~ subordonner (§ 20). Lorsqu'un mot ne comporte aucun morphéme, on dit conventionnellement qu'il est doté d'un morphéme zéro. Les morphémes sont en nombre fini, tout comme les fonctions qu'ils expri- ment. On les classe en trois catégories : (a) morphémes dérivationnels, ou affixes; (b) morphémes flexionnels, ou désinences; (c) morphémes-mots. On appelle disjoint un morphéme complexe constitué par la réunion de deux éléments non contigus apparaissant toujours simultanément. Ainsi, l'infixe nasal - V- constitue un morphéme disjoint avec le suffixe -av- parce qu'ils s'associent pour former des présents/imparfaits en -v-C-&v-@; la consonne qui les sépare est toujours un élargissement (§ 16) — ainsi, j101-v-0-Gv-«, etc. (§ 295). 3.4.1. Morphémes dérivationnels § 18. Dans les formes verbales, les morphémes dérivationnels, ou encore affixes, contribuent 4 former les temps (§ 127) et les modes (§ 143, 145- 147). Dans les formes verbales nominales autres que l'infinitif, ils constituent l'une des marques du genre. Ainsi, -60.-1- et -60-1- sont les affixes de mo15e0-6-1-[11 ~ 10.15e0-G0-1- pt (optatifs aoriste ~ futur de nosed, “éduquer”). L'affixe -1- marque l'optatif, tandis que -oa- et -oo- marquent respectivement I'aoriste et le futur. D'aprés la place qu'ils occupent par rapport au radical, on distingue les trois catégories d’affixes suivantes : (a) préfixes, placés avant le radical : redoublement (§ 66-89) et augment (§ 90-100); (B) infixe, placé a l'intérieur du radical : dans le systéme verbal, ’infixe (dit nasal) a la forme -v- et constitue avec le suffixe -av- un morphéme disjoint : § 295; (y) suffixes, placés aprés le radical : marquant les temps et les modes; dans les formes verbales nominales autres que l’infinitif, le genre; dans toutes les formes nominales autres que les adjectifs verbaux, la diathése (§ 102-103). Un radical peut étre affecté de plusieurs morphémes dérivationnels. II peut aussi n'en comporter aucun. On appelle radicales ~ suffixées les formes dont le radical n'est pas ~ est affecté d'un suffixe. Ainsi, ti-On-y1 est-il une forme radicale (dotée de la désinence [§ 19] -j11), alors que té-On-x-o. est une forme suffixée (suffixe -«- du parfait, suivi de la désinence -«). Exemples (il n'est pas tenu compte des désinences) : g19 DEFINITIONS 31 yl-WO-OK-ELV < *gi-gn6-sk-e-sen. Le préfixe yt- (redoublement: § 76) est caractéristique des formes du présent, tout comme le suffixe -oK- (affecté de la voyelle thématique -e- : § 292). Le suffixe *-sen marque I'infinitif actif (§ 207). ("Eé)et, “Sors !” < *ey- (radical: § 274). Forme dépourvue de morphéme dérivationnel. &-25-On-V < *e-lii-dhé-m. Le préfixe é- (augment : § 93) spécifie que I'action est localisée dans le passé; le suffixe -On- marque ici l'aoriste de voix passive (il est possible qu'il puisse lui-méme provenir de la conjonction de deux morphémes, *-dh- et *-é : § 1148). me-Mo5ev-K-OT-0G < *me-Ma15ev-K-FOt-0¢. Le préfixe me- (redoublement : § 82) et le suffixe -«- (§ 353) sont caractéristiques du parfait; -ot- spécifie la forme comme un participe parfait actif masculin ou neutre (§ 240). T-V-9-0LV--Le0. < *bhu-n-dh-an-o-o-medha. Le morphéme disjoint -v- -av- (affecté de la voyelle thématique -o-) est caractéristique des formes du présent (§ 295). Le subjonctif est marqué par le morphéme *-o- (§ 165- 166). Au présent, les divers morphémes spécifiques de ce temps peuvent étre utilisés pour former des verbes de signification lexicale différente (§ 267). Ainsi, a partir du substantif Opyn, “passion, colére”, on a constitué des dénominatifs comme Opyc, “étre plein de désir ou d'ardeur” ~ OpyiCopon, “se mettre en colére” ~ Opyaiva, “mettre en colére”. Il peut arriver qu’a la suite d'une resegmentation un morphéme dérivationnel soit incorporé dans le radical verbal. On parle alors de lexicalisation de ce morphéme. Ainsi, le suffixe *-n- du présent KAiva, “incliner” (< *kli-n-yd: § 289), a-t-il été lexicalisé dans une série de temps (KAIVG, EkAiva,, EKAivONV). 3.4.2. Morphémes flexionnels ou désinences § 19. Dans le verbe, les morphémes flexionnels, ou encore désinences, sont toujours placés aprés le dernier suffixe modal. Les désinences sont positives lorsqu'elles consistent en un ou plusieurs phonémes (ainsi, la nasale de €-maiSev-0-v : imparfait actif, 1PS de no1dsedo, “€duquer”). C'est le cas le plus fréquent. La présence d’une désinence n'est toutefois pas obligatoire — ainsi, on a cye, “Va !", avec radical dy- et voyelle thématique -e (§ 282). Lorsqu'aucune dési- nence ne figure dans une forme, on parle conventionnellement de désinence 32 PREMIBRE PARTIE : GENERALITES § 20-21 zéro, symbolisée par -¢ (naidev-e, impératif présent actif, 2PS de nordeva, comporte la désinence zéro aprés la voyelle thématique : < *-e-9). Dans les formes verbales, les désinences marquent toujours le nombre (§ 117) et presque toujours la diathése (§ 101; exception : les adjectifs verbaux). Elles caractérisent aussi les modes (en opposant formes personnelles ~ nominales: § 145-147) : dans les premiéres, elles indiquent la personne (§ 121); dans les secondes (sauf @ l'infinitif), le cas et le genre. Un certain nombre d'entre elles contribuent également a caractériser les temps (par l'opposition entre désinences générales primaires ~ secondaires ~ de parfait actif) et les modes (impératif ~ autres modes) : § 412. Ainsi, la désinence -jev caractérise ¢-8i-50-Wev, “nous donnions” comme un verbe a un mode personnel (§ 145). Plus spécifiquement, -ev marque la premiére personne, le nombre pluriel, ainsi que la diathése active. 3.4.3. Morphémes-mots § 20. Les morphémes-mots servent soit a relier entre eux des parties d'énoncés non dépendantes les unes des autres (5€, “d'autre part”; Kai, “et”; etc. : ce sont les conjonctions de coordination), soit & indiquer le rapport de dépendance entre des parties d'énoncés : ce sont les conjonctions de subordi- nation (iva, “afin que”; ei, “si”; etc.), reliant des propositions (§ 30), et les prépositions (év, “dans”; ovv, “avec”; etc.), reliant mots ou syntagmes (§ 31). 3.4.4. Catégorie linguistique ~ grammaticale § 21. La catégorie linguistique est la notion linguistique commune a une classe d'éléments — ainsi, le nombre est-il la catégorie linguistique commune aux numéraux et aux désinences. La catégorie grammaticale est l'expression d'une catégorie linguistique par des morphémes — ainsi, l'expression du nombre par les désinences. Noter qu'un seul morphéme véhicule souvent plusieurs catégories linguisti- ques différentes — le morphéme -ev caractérise 5i-50-pev, “nous donnons” comme un verbe a la premiére personne, au nombre pluriel et a diathése active. La flexion (ou encore : le paradigme) d'un mot est l'ensemble des formes de ses différentes catégories grammaticales. La flexion des noms est appelée déclinaison; celle des verbes, conjugaison. La conjugaison d'un verbe donné comprend l'ensemble de ses formes disponibles 4 toutes les diathéses, modes, temps, nombres, personnes, cas et genres. g 22 D&FINITIONS 33 3.5. THEME ET FINALE 3.5.1. Théme temporel ou modal § 22. Dans la conjugaison, on appelle théme temporel l'ensemble constitué par le radical (éventuellement préfixé) et par les morphémes caractéristiques des divers temps (§ 127). A Iaoriste et au parfait, le thtme temporel varie d'aprés les modes. L'aoriste comporte l'augment a I'indicatif, mais en est dépourvu aux autres modes. Dans les aoristes actifs a suffixe -o/e-, on a -o/e- a l'indicatif, mais non au subjonctif ni ala 2PS de l'impératif. Un phénoméne similaire s'observe dans les parfaits actifs, ov l'on a la voyelle -o/e- a l'indicatif, mais non aux autres modes. L'actif de moudevo, “éduquer” comporte ainsi les themes temporels suivants : + présent : tadeve/o- « imparfait : enoudeve/o- + futur ; to1devce/o- * aoriste : indicatif : émo1devoa/e- subjonctif et 2PS de l'impératif : mo1dev0- optatif “éolien”, 4 morphéme disjoint (§ 187) : Trardevo(era/e- autres formes : na1devoa- * parfait : indicatif : nenoudevKa/e- autres modes : Temo1devK- + plus-que-parfait : (€)nenoudevKevn/e- + futur-parfait : menoudevoe/o- Comme les thémes de présent et d’imparfait ont de larges points communs morphologiques qui les opposent aux thémes des autres temps, on a I’habitude de les rassembler sous |’intitulé “theme de présent”. Il en va de méme pour les themes de parfait et de plus-que-parfait, rassemblés sous |’intitulé “theme de parfait”. Le théme modal est l'ensemble constitué par un théme temporel et un morphéme caractéristique de mode (I'indicatif et l'impératif sont dépourvus de ce dernier : § 152, 199). On peut aussi décrire le theme modal comme la partie du verbe a laquelle s'ajoutent les désinences dans les formes fléchies. Ainsi, au subjonctif actif de noudeb@, peut-on distinguer les themes modaux suivants : présent (rodSevn/w-), aoriste (no1devon/w-) et parfait (TenadsevKn/w-). D'aprés ce qui vient d'étre dit, une forme verbale grecque peut étre analysée comme I'indique la fig. 22.1. § 22 PREMIERE PARTIE : GENERALITES 34 Gpeynoez) QOUDUISAC L sonboald sa[eqis soulioy sop onbrSojoydioul amonng “1°77 “Sty Tepour ouraqy vet i uy Jexodura; away (0192 a jsp ——__—____ > qusulsyq qwuSU oxayrs un no -nopor -3ne garespdut,| : z 38 meoipury) aaa (Guennoes) Gree) (e101 1190) ce ieee Tepout (Sjaxyyng susuTossySIe 1 oxyuy SUISeY Gueynoey) oxygng > oxiigud |S etree rT] § 23-24 DEFINITIONS 35 Dans bon nombre de cas, le théme (temporel ou modal) se distingue du radical. Ainsi, les divers thémes de nou5e0o cités a I'instant doivent étre séparés du radical verbal, *mouSev- (lui-méme issu d'un radical nominal, *no.5- < *paw-id- ). Il existe toutefois des formes ot théme et radical se confondent : *es- est ala fois theme d'indicatif présent (cf. é0-ti), radical et racine d'eipi, “étre” < *es-mi (§ 271); méme situation pour *ey- dans eit, “aller” (§ 274). 3.4.2. Finale § 23. On appelle finale (ou encore terminaison) une séquence significa- tive située en fin de mot et qui est soit provisoirement non analysée, soit non analysable dans 1’état actuel de nos connaissances. Ainsi, -coc est la finale de maidsed-Go.G; cette séquence est analysable en -oa-, morphéme d'aoriste, et -¢; -¢ repose lui-méme sur *-nt-s, provenant de la désinence *-s du nom. masc. sing. du participe actif et du suffixe participial *-nt- (§ 237). Dans moided-o, la finale -o est inanalysable : elle peut provenir d'une contraction préhistorique (*-6-a), mais aussi de la voyelle thématique allongée (*-6) : § 417. 3.6. PREVERBATION § 24. En i.-e., un verbe ne pouvait comporter qu'un seul radical. Il n'y existait donc pas de verbes composés. Cette situation contrastait nettement avec ce qui s'observe dans le systéme nominal, oi la composition, réunion de plusieurs radicaux en un seul mot, était courante. Tout verbe pouvait cependant étre accompagné par un ou plusieurs adverbes qui précisaient les circonstances de l'action verbale — indiquant qu'elle prenait place en dedans ~ en dehors, en haut ~ en bas, etc. — ainsi, *en, “dans”; *epi, ur’, etc. Ces adverbes conservaient leur pleine autonomie, demeuraient distincts des verbes auxquels ils se rapportaient et pouvaient étre placés librement avant ou aprés le verbe, accolés a lui ou disjoints. La situation héritée de |’i.-e. a toutefois changé en grec du premier millé- naire: les adverbes en question sont devenus ce que nous appelons les préverbes et les prépositions. Préverbes et prépositions sont matériellement identiques, mais se distinguent d’aprés qu’ils constituent (prépositions) ou non (préverbes) un mot (tel que défini plus haut : § 12). La préposition est devenue un morphéme-mot (§ 20); le préverbe conserve son statut adverbial ancien, mais est obligatoirement soudé et préposé a un radical nominal ou verbal. Les anciens adverbes étaient déja devenus des préverbes a l’époque mycénienne, comme le montrent les graphies ov ils ne sont séparés de leur verbe ni par un blanc, ni un diviseur de mots : a-pe-do-ke, anédaxe (GrvdiSop1, “livrer” : § 91); e-pi-de- da-to, embedaot01 (= att. -tor; Emdatéowar, “distribuer en supplément”); etc. On trouve cependant quelques rarissimes exemples mycéniens de séparation du verbe et du préverbe : 36 PREMIERE PARTIE : GENERALITES. § 24 . o-u-ge , a-ni-ja , po-si , e-e-sil (KN Sd 4422; scribe 128) ... ovdke Gviow Toot Ehevoul, “... et il ne s'y trouve pas de rénes[” — cette disjonction est sans doute due a l’influence de l’expression mooi (non suivie par le verbe éhevot), qui est nettement plus fréquente que mooi éhevou. Autre exemple: texte 244.8 (dans la série de ce dernier document, le scribe pratique une séparation étymologisante des mots). La s€paration du verbe et de son préverbe survit au premier millénaire dans l'épopée, de méme que, comme procédé littéraire, dans les textes, surtout poétiques, qui s'en inspirent. C'est le phénoméne de la tmése (ty Moc, “sépa- ration”) : 24.2. Tote & Sn &xev Kata yoia péAove. (Il. 2.699), “Mais en ce temps-la déja, la terre noire le recouvrait” (tmése de Kat-€x@, avec post- position du préverbe et modification accentuelle). La préverbation a joué un réle considérable dans la constitution du lexique grec, puisque tout radical verbal pouvait, en principe, étre affecté d'une vingtaine de préverbes différents (Gugt-, civa-, dvti-, &no-, Sta, Eio-, &K-, év-, EM-, KOTO-, HETO-, MOPO.-, NEPL-, MPO-, TPOG-, Gvv-, dmEp-, bT0-) — sans compter les combinaisons de préverbes (€n-o.ve-, etc.). La fréquence d'emploi des formes préverbées est toutefois moins grande que ce que l'on serait tenté de croire: il n'y en a que deux sur dix dans les + 141.707 formes verbales recensées par CAUQUIL-GUILLAUMIN (ce nombre ne tient pas compte des + 1.000 exemples de xp1); nombre de formes a préverbes : + 31.079, soit + 21,9 %). Tel est aussi le pourcentage relevé par BRUNEL, p. 266 dans les présents/imparfaits/aoristes de l'Ajax de Sophocle : 19,9 % de formes préverbées (219/1.101); noter cepen- dant que dans le discours 7 de Lysias, BRUNEL a relevé une proportion nette- ment plus élevée : 42,85 % de formes préverbées (99/330). Dans tous ces cas, la fréquence des verbes simples l’emporte donc sur celle des préverbés. Pour désigner les formes verbales, préverbées ou non, formées sur une méme forme simple, j’utiliserai l’appellation d’archilemme (ainsi, Lysias comporte-t-il 191 exemples de l’archilemme d5i5@p1: 91 du verbe simple, 99 du composé, 1 4 préverbation discutée). Bien que soudé au verbe qui le suit, le préverbe est toutefois séparé du radical par le redoublement (§ 73) et l'augment (§ 92) dans les formes oi ces morphémes apparaissent. On pourrait croire que des verbes constitués par deux radicaux dont le premier n'est pas un préverbe (e0-S0Kiyéo, “avoir bonne réputation”; tpN- popxéw, “exercer la triérarchie”; etc.) témoignent d'une pénétration de la composition dans le systéme verbal. Il n'en est rien. En effet, ces verbes sont presque toujours des dénominatifs (§ 267), dérivés d'une forme nominale § 25-26 DEFINITIONS 37 préexistante. Ainsi, yepvintopan, “se laver les mains”, dénominatif du substantif composé xép-viy, “eau pour se laver les mains”; oixodopéw, “batir”, dénominatif du substantif composé oiko-56p0¢, “architecte”; etc. Une forme comme xpfiv, “il fallait”, n'est qu'un pseudo-composé, issu de la crase du substantif x1), exprimant I“‘obligation”, et du verbe “étre” : xpi) fiv, “il y avait nécessité” (§ 273). Il faut, d'autre part, signaler que les verbes formés sur des composés nominaux sont bien plus rarement utilisés que les verbes 4 préverbe : dans le relevé de CAUQUIL-GUILLAUMIN, on n'en a que 4.020 occurrences contre + 31.079 préverbés. 3.7. ALTERNANCES VOCALIQUES OU CONSONANTIQUES § 25. En grec, toute voyelle d'un élément morphologique quelconque est, en principe, susceptible de varier en quantité (ainsi, & ~ &) et/ou en qualité (ainsi, € ~ © ~ @). Ces variations constituent les alternances vocaliques. Elles s'observent dans les voyelles tant longues que bréves, et présentent plusieurs degrés possibles, conventionnellement appelés plein, fléchi, zéro (synomyme : réduit) et allongé. Il n'arrive pas toujours que toutes les alternances vocaliques possibles soient attestées dans un seul et méme élément morphologique. Dans bon nombre de cas, on nen trouve qu'un nombre limité. Ceci est di 4 au moins deux facteurs : notre documentation est incompléte; mais surtout, la langue n'est jamais tenue d'utiliser la totalité de ses ressources théoriques — observer d'ailleurs que la reconstitution diachronique aboutit souvent a aplatir la chronologie de bien des phénoménes; ainsi, elle tendra a situer 4 une méme époque I'émergence de degrés vocaliques qui pourraient ne s'étre constitués qu'a différentes étapes d'une évolution longue et compliquée. Pour davantage de détails sur les alternances vocaliques, voir § 59-65. Le grec n'utilise quasiment pas d'alternances consonantiques dans un but morphologique, mais on en a pourtant un exemple dans le systéme verbal : les parfaits “a aspirée”, avec alternance f/n ~ @ et yk ~ x (§ 354). 3.8. ACCENT § 26. Il ne sera pas question ici de l'intonation du grec, consistant en variations diverses de hauteur ou d'intensité de la voix. L'intonation (appelée aussi accent de phrase) porte sur l'ensemble ou sur un sous-ensemble de la phrase et reléve de la syntaxe des propositions. Elle exprime des notions diverses, telles que: fin de la phrase; caractére assertif, interrogatif, exclamatif de la phrase; emphase; etc. Comparer, en frangais, les différences d'intonation dans: “Il est venu.” ~ “Tl est venu ?” ~ “II est venu !”, Seul nous intéresse ici l'accent. Contrairement a ce qui se passe en francais, od notre accent consiste essentiellement 4 augmenter la force de la voix sur une 38 PREMIERE PARTIE : GENERALITES § 26 syllabe — c'est un accent ot domine l'intensité! —, l'accent du grec ancien était & dominante musicale: il consistait fondamentalement 4 élever la hauteur mélodigue de la voix sur une syllabe2. Ce degré d'élévation a été décrit avec précision par les Anciens : il s'agit approximativement d'une quinte. II en résulte que si une syllabe non accentuée était prononcée a la hauteur de do, la syllabe accentuée devait l'étre au niveau de sol (fig. 26.1) : == &= VOLO Fig. 26.1. Hauteur de I'accent grec Les principales fonctions de I'accent grec sont les suivantes : (q@) contribuer 4 segmenter I'énoncé en ses composantes minimales, les mots (§ 12) — c'est la fonction culminative de \'accent. Ainsi, les accents (qui se trouvent, dans l'exemple 26.2, figurer sur la premiére syllabe de chaque mot) concourent 4 délimiter les trois mots suivants : 26.2. Tov “Iwvo. yaipetv (Plat. Jon 530a), “Bonjour, Ion !” (B) contribuer a distinguer certaines formes, homonymes 4 I'accent prés — c'est la fonction distinctive de l'accent : formes personnelles formes nominales deikvvot (3PSA ind. prés.) Seikvdot (part. prés. act., dat. masc./neut. plur.; Seixvopt, “montrer”) Taidevoot (2PSM-P impér. aor.) moudedooi (inf. aor. act; madedo, “€éduquer”) Taidevoov (2PSA impér. aor.) moudedoov (part. fut. act., nom./acc. neut. sing; To1devdo) 1 Liintensité est fonction de amplitude des vibrations de l'onde sonore. 2 La hauteur est fonction de la fréquence des vibrations de l'onde sonore. § 27-29 DEFINITIONS 39 4. SYNTAXE 4.1. GENERALITES § 27. La syntaxe est la partie de la linguistique qui étudie les conditions d'emploi des diverses formes des mots que la morphologie a analysés. Ainsi, la morphologie établira que &te est la deuxigme personne du pluriel de l'impératif aoriste actif de (nu, “lancer”, comportant un radical €- et une désinence -te. La syntaxe montrera que &té est utilisé en proposition principale ou indépendante (§ 34) pour rendre un ordre adressé directement par le locuteur a plusieurs (ou a la totalité) de ses auditeurs : “Lancez !”. Outre le mot (§ 12), nous distinguerons ici les quatre unités suivantes, classées par ordre hiérarchique décroissant : I'énoncé, la phrase, la proposition et le syntagme. Elles seront illustrées par le texte ci-dessous : 27.1. (A) [Ménon] {1} Ti 5€é ; {2.1} Topyia odk évétvyes {2.2} Ste év0dde Fv ; “{1} Quoi? {2.1} N'as tu pas rencontré Gorgias {2.2} lorsqu'il était ici ?” (B) [Socrate] {3} "Eywye. {3} “Absolument.” (C) [Ménon] {4.1} Eita od« &56xKer cor {4.2} eidévan ; “{4.1} Et alors, il ne t'a pas semblé {4.2} qu'il savait (ce qu'est la vertu) ?” (D) [Socrate] {5.1} Ob névv eipi pvqpov, @ Mévov, {5.2} dote od« €yo@ {5.3} eimeiv év 1H napdovt {5.4} nH por tote &S50Eev. {6.1} "AAN iows éxeivdc te oLSev, {6.2} Kai od {6.3} & éxeivoc éAeyev. “{5.1} Je n'ai pas une excellente mémoire, Ménon, {5.2} de sorte que je ne suis pas capable {5.3} de dire actuellement {5.4} comment il m'apparut alors. {6.1} Mais peut-étre lui le savait-il, {6.2} et toi (sais-tu) {6.3} ce que lui en disait.” (Plat. Ménon 7\c). § 28. Un énoncé est un message linguistique aprés lequel le sujet parlant fait silence. Le texte 27.1 comporte quatre énoncés : A, B, C, D. Tout énoncé comporte au moins une phrase (§ 29), et il peut se faire qu'il n'en comporte qu'une (en 27.1 : énoncé B = phrase 3; énoncé C = phrase 4). § 29. La phrase est un message linguistique qui n'est pas inséré dans un ensemble plus grand en vertu d'une construction grammaticale. La fin d'une phrase est marquée par une intonation (§ 26) spécifique, symbolisée graphique- ment par les trois signes de ponctuation grecs suivants : * (transcrit par le point- virgule francais) . (transcrit par le point frangais) ; (transcrit par le point d'interrogation frangais). Le texte 27.1 comporte six phrases: 1, 2, 3, 4, 5, 6. Lorsqu'un énoncé comporte plusieurs phrases (en 27.1: énoncé A = phrases 1 et 2; énoncé D = 40 PREMIERE PARTIE : GENERALITES § 30-32 phrases 5 et 6), ces derniéres sont obligatoirement indépendantes syntaxiquement les unes des autres. Toute phrase comporte au moins une proposition (§ 30), et il peut se faire qu'elle n'en comporte qu'une (en 27.1: 1, 3). La phrase formée par une seule proposition est dite simple; si elle en compte plusieurs, elle est complexe. § 30. La proposition est une unité linguistique significative comportant un centre syntaxique, lui-méme syntaxiquement indépendant. Ce centre est appelé prédicat. Il constitue le noyau auquel se rattachent syntaxiquement, de fagon directe ou indirecte, tous les autres éléments de la proposition. Lorsque la proposition comporte un verbe, c'est ce dernier qui sera toujours prédicat (dans le texte 27.1 : 2.1, 2.2, 4.1, 4.2, 5.1, 5.2, 5.3, 5.4, 6.1, 6.3), sauf, éventuellement, lorsqu'il fonctionne comme nom — ceci ne se produit que dans une partie des emplois des infinitifs (§ 212-219), des participes (§ 243-244) et des adjectifs verbaux (§ 263-264). Lorsqu'une proposition a un prédicat non verbal, elle est appelée averbale (ou encore — dénomination peu appropriée — nominale) — en 27.1: 1, 3, 6.2. Le texte 27.1 comporte treize propositions : 1, 2.1, 2.2, 3, 4.1, 4.2, 5.1, 5.2, 5.3, 5.4, 6.1, 6.2, 6.3. Leurs prédicats sont en lettres grasses. En 3 et 4.2 la proposition est constituée par le seul prédicat (non verbal en 3). Les autres propositions comportent un ou plusieurs mots rattachés au prédicat. Ce qui vient d'étre dit montre qu'une proposition peut constituer une phrase, laquelle peut elle-méme constituer un énoncé — c'est le cas de 3 dans le texte 27.1, qui est a la fois proposition, phrase et énoncé. § 31. Le syntagme est un groupe de mots constituant une unité significative a l'ntérieur d'une proposition. Ainsi, dans la proposition 5.3 du texte 27.1: év 1 TAPOVvtt; etc. 4.2. LES PROPOSITIONS 4.2.1. Proposition et verbe § 32. Les propositions a prédicat verbal (§ 30) peuvent avoir leur verbe 4 un mode personnel (§ 145) ou nominal (§ 146-147). Dans ce dernier cas, on les appelle participiales ou infinitives d'aprés que leur verbe est au participe ou & l'infinitif — dans le texte 27.1, 4.2 et 5.3 sont des infinitives. § 33-34 DEFINITIONS 41 4.2.2. La proposition 4 prédicat verbal et son sujet § 33. Le verbe est normalement doté d'un sujet. Ce dernier est un référent (8 14) implicite ou explicite qui impose au verbe son nombre (§ 117; dans toutes les formes verbales, sauf l'infinitif), de méme que sa personne (§ 121; dans les modes personnels) ou son genre (dans toutes les formes nominales sauf l'infinitif). L'infinitif a pour sujet le référent qui lui imposerait nombre, personne ou genre si le verbe était 4 un autre mode. Dans le texte 27.1, on a les sujets suivants : implicites (§ 121): “je” (5.1, 5.2, 5.3), “tu” (2.1), “il” (2.2, 4.1, 4.2, 5.4); explicites : éxeivog (6.1, 6.3). Il existe des verbes dont le sujet n'est pas identifiable ni méme concevable, parce qu'il n'est ni un étre animé, ni un objet, ni un concept. On parle en ce cas de verbe impersonnel. Ceci se produit lorsque le verbe, a la troisitme personne, exprime des phénoménes atmosphériques : &otpdmtet, “il se produit un éclair’; Bpovtd, “il tonne”; etc. Par extension, on considére fréquemment comme impersonnels des verbes qui ont comme sujet une proposition subordonnée (5ei, “il faut que”; doxei, “il semble que”; éyéveto, “il arriva que”; éeou, “il est permis de”; péAet Lot, “c'est pour moi un objet de souci que”; mpérel, “il convient de”; cvpPaiver, “il arrive que”; xp7}, “il faut que”; etc.), de méme que ceux qui ont comme sujet implicite l'équivalent du pronom indéfini francais “on” (§ 118-119). 4.2.3. Sortes de propositions § 34. On distingue les différentes propositions suivantes : indépendantes : propositions ne dépendant grammaticalement d'aucune autre proposition et dont aucune autre proposition ne dépend (au lieu de dépendre, on dit aussi étre régi par) — dans le texte 27.1 : 1,3 principales : propositions ne dépendant grammaticalement d'aucune autre proposition mais régissant au moins une autre proposition — en 27.1 : 2.1, 4.1, 5.1, 6.1, 6.2. incises : propositions indépendantes ou principales qui figurent dans une phrase complexe et qui pourraient étre supprimées (de méme que les propositions dépendant éventuellement d'elles) sans que le message devienne manifestement incomplet. Une incise constitue une parenthése enchdssée dans une phrase. Ainsi, en francais : “Sans leur intervention, disait-il sans cesse, il aurait été compléte- ment perdu.” subordonnées : propositions dépendant grammaticalement de (ou régies par) une autre proposition — en 27.1 : 2.2, 4.2, 5.2, 5.3, 5.4, 6.3. 42 PREMIBRE PARTIE : GENERALITES § 35 Toute proposition non indépendante peut régir une subordonnée (on dit en ce cas qu'elle est régissante). Noter qu'une proposition subordonnée peut elle- méme étre régissante — en 27.1, la subordonnée 5.2 régit 5.3, laquelle régit elle- méme 5.4. Il peut arriver que la proposition régissant une subordonnée ne soit pas exprimée et soit donc implicite. La subordination peut étre explicitement marquée par des conjonctions de subordination (§ 20; en 27.1 : 6te, “lorsque” [2.2]; Hote, “de sorte que” [5.2]) de méme que par des pronoms et adverbes relatifs (en 27.1: &, “ce que” [6.3]) ow interrogatifs (en 27.1: m@c, “comment ?” [5.4]). Il peut aussi se faire qu'elle ne comporte pas ces éléments (c'est le cas de la plupart des propositions infinitives et participiales — en 27.1 : 4.2, 5.3). Toute proposition peut étre coordonnée, c'est-a-dire ajoutée a une autre proposition de niveau hiérarchique identique (indépendante ou principale, subordonnée, incise) au moyen de conjonctions de coordination (§ 20; en 27.1, GAAG, “mais” : coordonne 6.1 45.1; Kai, “et” : coordonne 6.2 a 6.1). Lorsque des propositions qui pourraient étre coordonnées sont ajoutées l'une al'autre sans conjonction de coordination, on parle de juxtaposition (ainsi, en frangais, les trois propositions suivantes : “II titubait en marchant, s'accrochait aux meubles, a tout moment il menagait de tomber”), Une proposition est apposée a un élément de sa phrase lorsqu’elle est l’équivalent fonctionnel d’un attribut (§ 248) de cet élément, sans verbe ligateur implicite ou explicite (ainsi, en frangais : “il n’a qu’un seul but dans la vie, faire le plus de bien possible”). 4.2.4. Les propositions subordonnées § 35. Dans les propositions subordonnées, nous distinguerons les trois catégories suivantes : Les complétives : propositions subordonnées non introduites par un relatif et dont la suppression rendrait le message manifestement incomplet — dans le texte 27.1 : 4.2, 5.3, 5.4. L'ensemble formé par une proposition complétive et par sa proposition régissante constitue deux volets complémentaires et solidaires, de sorte que la disparition du premier priverait le second de sa raison d'étre. Ainsi, la suppression de la proposition 4.2 rendrait bancale la phrase 4 : “**Et alors, il ne t'a pas semblé ?” Les propositions sujet (en 27.1 : 4.2) d’un verbe ou attribut d’un élément quelconque d’une phrase sont nécessairement complétives. Les circonstancielles : propositions subordonnées non introduites par un relatif et dont la suppression ne rendrait pas le message manifestement incomplet § 36 DEFINITIONS 43 — en 27.1: 2.2, 5.2. Ainsi, la suppression de la proposition 2.2 ne rend pas la phrase 2 boiteuse : ““*N'as-tu pas rencontré Gorgias ?” Les relatives : propositions subordonnées introduites par un relatif (pronom ou adverbe) — en 27.1 : 6.3. Les propositions participiales qui ne sont ni complétives ni circonstancielles sont fonctionnellement équivalentes 4 des propositions relatives (§ 250-251). 4.2.5. Discours direct ~ indirect § 36. Lorsqu'elles rapportent les propos ou pensées prétés 4 quelqu'un, les propositions peuvent le faire sous forme de discours direct ou indirect. Ily adiscours (ou style) direct lorsque ces paroles ou pensées sont expri- mées en reproduisant exactement la forme dans laquelle elles sont censées avoir &té prononcées ou concues et sans étre incorporées syntaxiquement a une phrase autre que leur phrase d'origine. Exemples frangais : “J'arrive @ l'instant”; “IIs pensaient : «JI fera beau».” Il y a discours (ou style) indirect (ou rapporté) lorsque ces propos ou pensées sont incorporés syntaxiquement dans une phrase différente de leur phrase d'origine. Cette incorporation entraine généralement une modification de la forme originale des propos ou pensées. Exemples frangais : “Il déclara qu'il arrivait a U'instant”; “Ils pensaient qu'il ferait beau.” Par extension, entrent dans la catégorie du discours indirect les propositions dépendant : (a) de verbes exprimant la connaissance ou la perception (“voir”, “entendre”, “apprendre”, “savoir”, etc.) : “Je sais que c'est difficile”; “Nous apprenons que vous venez d'arriver” — dans le texte 27.1 : 6.3. (b) de verbes exprimant une pensée impersonnelle (“il semble que”, “il est évident que”, etc.) : “Il est manifeste que tu as tort”; “Il parait que je suis en retard” — en 27.1: 4.2. (c) de n'importe quel verbe, a condition qu'il exprime la pensée, l'intention, le sentiment, etc. prétés 4 quelqu'un : “II part pour rentrer a temps”; “J'ai peur que nous arrivions trop tét”; “Il veut que nous nous installions le plus tard possible.” Se rattachent au discours indirect les interrogations indirectes. Il y a inter- rogation directe lorsqu'un discours direct constitue une interrogation. Exem- ples frangais : “Quand arrives-tu ?”; “Il se demandait : «Viendra-t-il ?»” — en 27.1: 1,2.1, 4.1. On parlera d'interrogation indirecte lorsqu'un discours indirect constitue une interrogation. Exemples frangais : “Il demandait quand j'arriverais”; “Il se demandait s‘il viendrait.” 44 PREMIERE PARTIE : GENERALITES: § 36 Claire dans son principe, la distinction entre interrogation et discours indi- rects n'est pas toujours facile 4 effectuer en grec, bien qu'il ne fasse jamais aucun doute que l'on ait affaire 4 des propos indirects. Dans ce qui suit, je ne considérerai comme interrogations indirectes que les subordonnées répondant a l'une des trois conditions suivantes : (&) avoir comme terme introducteur un interrogatif (pronom, adjectif ou adverbe interrogatif, qu'il soit direct ou indi- rect, Ou conjonction de sens interrogatif — en 27.1, n@¢, “comment ?” [5.4]); (B) dépendre d'un verbe de sens interrogatif explicite (“{se] demander”, etc.); (y) tre & un mode personnel et dépendre d'une proposition impliquant l'inter- rogation (qu'elle soit explicitement interrogative — “Sais-tu ce qu'il a dit ?” — ou qu'elle exprime l'incertitude — “J'ignore/Je ne sais pas qui est la”). Selon ces critéres, la proposition 6.3 en 27.1 est une interrogation indirecte. § 37 APERGU DE LA METHODE 45 CHAPITRE 2 APERCU DE LA METHODE EN MORPHOLOGIE ET EN SYNTAXE § 37. Nous partirons de la notion saussurienne, désormais classique, de signe linguistique, défini comme “une entité psychique a deux faces”: signifié (concept) ~ signifiant (image acoustique qui se réalise en séquence phonétique [a l'oral] ou en transcription [a I'écrit]). Le signifiant a pour fonction d'exprimer le signifié. En nous inspirant de ce modéle, nous opposerons : les catégories linguistiques ~ leurs expressions (en particulier morphologiques). Nous distin- guerons ainsi: voix ~ diathéses (§ 101), nombres ~ désinences (§ 117), personnes ~ désinences (§ 121), aspect ~ temps (§ 122, 127), temporalité ~ temps (§ 125, 127), modalités ~ modes (§ 143). Certaines de ces oppositions sont universellement admises; d'autres sont souvent méconnues. II est cependant nécessaire de les reconnaitre toutes afin de clarifier ce qui, sinon, ne serait qu'un enchevétrement malaisément analysable. En vue de découvrir les catégories linguistiques et leurs expressions mor- phologiques, on procéde a des comparaisons systématiques. Ces comparaisons ont pour but d'isoler I'élément auquel on s'intéresse et de I'étudier, dans son état le plus pur possible. La comparaison morphologique confrontera, par exemple, des formes du type de éx-opev ~ mowded-opev, de sens connu par ailleurs (“nous avons” ~ “nous éduquons”), ce qui permettra d'isoler dans un premier temps *€y- ~ *noudev- et *-opev. La comparaison syntaxique n'est pas aussi aisée parce quelle opére sur des formes insérées dans leur contexte (alors qu’en morphologie, elles en sont extraites). Or, ce contexte met généralement en jeu de nombreux éléments, ce qui complique l'examen. II importe donc de choisir des passages contenant un nombre restreint de variables et ot le contraste entre les formes étudiées soit le plus net possible. C'est ce que j'ai tenté de faire régulit- tement dans ce livre — ainsi, emploi de participes 4 trois temps différents, utilisés en un seul et méme texte dans des propositions symétriques (exemple 42.1); emploi de deux temps différents du participe d'un seul et méme verbe dans des propositions paralléles (exemples 43.1-2); etc. 46 PREMIBRE PARTIE : GENERALITES § 38 Le résultat de la comparaison des formes étudiées aboutit, en syntaxe, a déterminer leur sens et leurs conditions d'emploi; en morphologie, 4 dégager leurs éléments constitutifs et en a établir sens et fonction. Je donne ci-dessous deux illustrations de ces procédés. La premiére est morphologique et diachronique; la seconde, syntaxique et synchronique. 1. APPLICATION MORPHOLOGIQUE : LE SUFFIXE DE L'INFINITIF PRESENT ACTIF THEMATIQUE § 38. Soit les six infinitifs présents actifs thématiques suivants, avec leurs graphies en attique et dans trois autres dialectes grecs : KOntetv (attique) KOntHV (lesbien) éyetv (attique) &ynv (laconien) TOOXELW (attique) TaoXNV (éléen) Ces six formes peuvent étre rassemblées par paires, car on sait par ailleurs que Kontetv a le méme sens que Kontnv, a savoir “frapper”; éxetv, que Exnv, “avoir”, NAOYELW, que TAOXTV, “subir”. Ces trois paires peuvent, elles-mémes, étre étudiées d'un double point de vue : d'aprés leur signification et d'aprés leur forme. Chaque fois, s'observe la présence de : (o.) trois éléments variables; () un élément constant (fig. 38.1). Le fait qu’'a trois éléments de signification variable en répondent trois de forme variable, et que, parallélement, 4 un élément de signification constante en réponde un de forme constante suggére que les deux phénoménes sont liés (ce que confirme une recherche plus étendue, mettant en jeu un trés grand nombre de formes). On en conclura que ce sont Komt-, €x- et MaOxX- qui expriment les notions lexicales de respectivement “frapper”, “avoir” et “subir”. Du coup, ces formes devront recevoir le statut de radicaux. Semblablement, -evv/-nv doivent exprimer la notion grammaticale d'infinitif présent actif, et on leur donnera le statut de morphéme. D'oi vient le suffixe -e.v/-nv ? La comparaison de -nv, avec sa voyelle longue ouverte (1) = /€/), jointe a d'autres indices que nous n'examinerons pas ici, montre que la voyelle de -ev n'est pas une diphtongue (/ey/), mais bien une voyelle longue fermée (et = /é/). Nous savons par ailleurs que le présent de nos trois radicaux verbaux comporte la voyelle thématique -e/o- (§ 265), cf. KOmt-0- Lev, KONT-E-TE, etc.; EX-O-lev, EX-E-TE, etc.; MOY-O-LEV, NHOY-E-TE, etc. — voir, en particulier, les infinitifs médio-passifs Kémt-e-o0o1, Ex-€-cda1. On peut dés lors s'attendre a ce qu'il en aille de méme 4 I'infinitif présent actif. On y postulera donc la présence de la voyelle thématique, qui a nécessairement di se contracter avec une autre voyelle pour aboutir aux voyelles longues -et/n-. Le timbre de -ev/1- fait éliminer la forme -o- de la voyelle thématique. En effet, § 38 APERGCU DE LA METHODE 47 aprés contraction, -o- devrait avoir abouti non pas a -el/1-, mais a **-ov/@-. Ceci conduit 4 admettre que -etv/-nv doit étre issu de *-€-... Vv. signification forme élément élément élément élément variable constant | variable | constant KOnTELV notion de inf. prés. KOT -e1v/-qv KOnTHV “frapper” actif éyewv notion inf. prés. a ~elv/-nv L env d'“avoir” actif % " TOAOXELW notion de inf. prés. naoy- | -ew/-nv THOXNV “subir” actif OX, 1 Fig. 38.1. Infinitifs présents thématiques : analyse morphologique Cette reconstitution est confirmée par le mycénien, ov les infinitifs présents thématiques actifs sont notés par ...e-e (le hasard fait que ces formes ne sont attestées qu'a Pylos). Ainsi, I'équivalent pylien d'éyew/éxnv est-il e-ke-e. Le -e final pylien ne peut pas étre issu de *-ev, car la voyelle thématique -e- suivie de *-ev se serait immédiatement contractée en *-nv; et une forme éynv aurait été notée **e-ke d'aprés les régles orthographiques mycéniennes connues. Le -e final pylien doit donc nécessairement étre séparé de la voyelle thématique qui le précéde par une consonne. Cette consonne ne peut avoir été qu'une aspiration, généralement non notée comme telle en linéaire B. La graphie -e-e recouvre donc /-ehen/. L'aspiration de /-ehen/ peut théoriquement étre issue de *o ou *j, de sorte que l'on pourrait faire remonter /-hen/ a *-jev ou *-oev. En fait, cependant, *- jev semble extrémement peu probable. Car en mycénien de Pylos, *j intervocalique est presque toujours noté (56 fois sur 64). Si, donc, le suffixe de linfinitif avait été *-jev, on devrait s'attendre voir le *j plus souvent noté (**e- ke-je) qu'omis (e-ke-e). Or, il n'existe aucun exemple d'infinitif en **-je. Par élimination, on en arrive @ conclure que le suffixe de 'infinitif thématique actif ne peut avoir été que *-cev. Ceci s'accorde bien avec la situation du *o intervocalique mycénien, qui s'était déja complétement aspiré (cf. tu-we-a, Seha < *dveoa, “aromates” [= attique GON], etc.). Une confirmation de cette conclusion est fournie par la comparaison i.-e., car en védique, on a un suffixe -sani < *-sen-i qui répond exactement au *-oev postulé pour le grec. 48 PREMIERE PARTIE : GENERALITES § 39-40 2. APPLICATION SYNTAXIQUE : LE PARTICIPE ET LA TEMPORALITE AUX V°-IV° SIECLES § 39. La conjugaison grecque posséde cinq formes de participes : présent, futur, aoriste, parfait et futur-parfait. Pour des raisons de facilité, nous supposerons admis que les participes futur et futur-parfait expriment toujours une action dont la réalisation est présentée comme encore a venir. L'examen qui suit portera dés lors sur la question suivante : le présent, l’aoriste et le parfait des participes sont-ils, en eux-mémes, marqueurs de temporalité (§ 125) ? Autrement dit, ces trois temps ont-ils la propriété intrinséque de localiser chronologiquement leur action verbale par rapport 4 un élément de référence ? La solution de ce probléme ne peut étre trouvée dans des vues a priori sur le systéme verbal grec ancien. Elle ne peut provenir que de données de fait : si les temps du participe expriment la temporalité, leur emploi doit nécessairement étre massivement conditionné par la localisation chronologique de l'action participiale. Dans cette hypothése, une action participiale contemporaine de l'élément de référence devrait entrainer l'emploi d'un temps déterminé — par exemple, le présent; une action participiale antérieure a l'élément de référence entrainerait l'emploi d'un autre temps — par exemple, I'aoriste; etc. La temporalité peut étre a priori soit absolue — se référant au moment ot s'exprime le locuteur/rédacteur (en discours indirect : le moment od parle ou pense la personne dont on rapporte les paroles ou pensées) —, soit relative — se référant au moment oi se situe I'action du verbe de la proposition régissante (§ 126). Notre examen vérifiera donc si les participes présent, aoriste et parfait peuvent, ou non, s'utiliser pour rendre des actions antérieures, contemporaines ou postérieures aux moments de la parole (§ 40-42) ou de I'action du verbe de leur proposition régissante (§ 43-45). Pour des raisons évidentes d'économie de place, je me limiterai ci-dessous 4 un nombre restreint d'exemples. 2.1. PARTICIPE ET TEMPORALITE ABSOLUE § 40. Participe se référant a une action antérieure au moment de la parole : emploi du présent, de l'aoriste et du parfait 40.1. Oi ‘Adnvaior mpdtepov noAguiov vopiCovtes npdtevov énoijoavto (Th. 2.29.1), “Les Athéniens qui le considéraient précédem- ment comme un ennemi firent de lui leur proxéne” — participe présent. 40.2. Ei tiv pev aipedetoav éx Tpoiag cyov | ikaw Scpapta... (Eur. Hél. 485-486), “Puisque j'arrive ici conduisant I'épouse que je repris a Troie...” — participe aoriste. § 41-42 APERGU DE LA METHODE, 49 40.3. "Eneidi, toivov cpiKouny oxedov TL T&VT GMOAMAEKHS do” éyov e&énhevon, ... (D. 37.10), “Done, lorsque je revins, ayant perdu a peu prés tout ce que j'avais quand je partis, ...” — participe parfait. § 41. Participe se référant a une action contemporaine du moment de la parole : emploi du présent, de l'aoriste et du parfait 41.1. Od« dropdv & 6 1 yph Tepi cod Kai Tv Civ eineiv, dnopa tod Mpatov pvHodA (D. 18.129), “Je ne suis pas embarrassé de ce qu'il faut dire de toi et des tiens, mais je ne sais quoi rappeler en premier lieu” — participe présent. 41.2. Kai odtog obte todc Seovc Seioug obte Kipov tedvnKdta aideodveic, ... viv... Nywdc... KaK@¢ noreiv neipétou (X. An. 3.2.5), “Et cet individu, sans craindre les dieux ni respecter Cyrus qui est mort, essaie maintenant de nous nuire” ~ participes aoristes. 41.3. Todtns pévtor toradtns avtikaveotnKviag mOAEM>, O Aoxedoupovior, Siopéddrete (Th. 1.71.1), “Or, avec une cité comme celle-la en face de vous, vous tergiversez, Lacédémoniens” — participe parfait. § 42. Participe se référant 4 une action postérieure au moment de la parole : emploi du présent, de l'aoriste et du parfait 42.1. Moony 5 xpi) npoodoKav Enidoorv to tig MOAEWS At weoOon, ToLavTNs Edvoiacs HHiv napa TOV GAAwv DrapEdons ; Ildcov S$ Thodtov sig Thy TOAW eioprioecdal, St wav andons Tic ‘Edadoc cwlopévns ; Tivac 8 obk énouvécesdar tod¢ TooodTOV Kal THALKODTOV GyASGV aiTiovg YeYEVNHEVODE ; (Isocr. 8.140), “Quel progrés ne faudra-t-il pas attendre dans les affaires publiques lorsque les autres auront une pareille bienveillance 4 notre égard ? Quelle Tichesse n'affluera pas dans notre cité lorsque la Gréce tout entiére sera sauvée par nous ? Et qui ne chantera les éloges de ceux grace a qui tant de si grands biens seront arrivés ?” — participes aoriste, présent, parfait. 50 PREMIBRE PARTIE : GENERALITES § 43-44 2.2. PARTICIPE ET TEMPORALITE RELATIVE § 43. Participe se référant a une action antérieure au moment de I'action du verbe de la proposition régissante : emploi du présent, de l'aoriste et du parfait 43.1. TIpoeidov Aéyew ac... tv E€vav tovdc Kepikvovpévovs SIOV KotH oOtev (Isocr. 11.31), “Tu as choisi de dire que (Bousiris) mangeait, aprés les avoir sacrifiés, les étrangers qui arrivaient” — antériorité de Ovdov (participe présent) par rapport a KatHODtEV. 43.2. "AAN exeivoc pév tov Eévev todc cic Thy yapav EKxnintovtas aig Tas adTOV MatpidUc GnéoTEMAEV, O 8 et XPT Toic dnd God Aeyo- Hévoig moteverv, doug Katiodtev (Isocr. 11.7), “Mais (Eole) renvoyait dans leur patrie les étrangers jetés dans son pays, tandis que (Bousiris), s'il faut en croire tes propos, les mangeait aprés les avoir sacri- fiés” — antériorité de S0oas (participe aoriste) par rapport a KatHODtEV; remarquer la symétrie parfaite de Ovoac Kathiodiev avec le OOov Katiodtev de l'exemple 43.1. 43.3. Ey, wetpias, d¢ Y Euavtov neido, tov cAAov xpovov BeBi- @KdS, viv Ev GyHor Kai ypagaig S5nnociag EetaCopor (D. 24.6), “Alors que j'ai, moi, 4 mon actif d’avoir mené jusqu’ici une vie rangée — du moins le crois-je —, je figure maintenant dans des procés et des accusations publiques” — antériorité de BeBi@Kdc (participe parfait) par rapport a é€etaCopan. § 44. Participe se référant a une action contemporaine du moment de l'action du verbe de la proposition régissante: emploi du présent, de laoriste et du parfait 44.1. Thv dpxiv tic SaArctINs EhaBov, S6vtMV LEV TOV GAAMV ‘Edajvov, odk &pgroPyntovvtav S& tOv viv Hua cporpetodor Cntodvtwv (Isocr. 4.72), “(Les Athéniens) prirent le commandement sur mer que leur donnaient les autres Grecs sans que réclament ceux qui, maintenant, cherchent a nous l'enlever” — les participes aoriste et présent se référent 4 la méme tranche chronologique, contemporaine de celle d@EédoBov. 44.2. Kordc yap tav nepi gué KavEStatMV TOV adtTOV TPOTOV Kai 1 TEPi DUG eer (Isocr. 3.56), “Car si mes affaires vont bien, il en ira aussi de méme des vétres” — simultanéité de Koeota@twv (participe parfait) par rapport a &€e1. § 45-46 APERGU DE LA METHODE 51 § 45. Participe se référant a une action postérieure au moment de l'action du verbe de la proposition régissante : emploi du présent, de l'aoriste et du parfait 45.1. “Enepyov d& Koi &¢ tag mOdeIg mpéoPetc oi Lopaxdouor... ayyedAovtas trv Te tod TAnpwvpiov Afr Kail... (Th. 7.25.9), “Les Syracusains envoyérent aussi dans les villes des envoyés pour annoncer la prise du Plemmyrion et...” — postériorité de GyyéAXovtas (participe présent) par rapport 4 émepyov. 45.2. Odor. d& tpitw Ete. NMohopKovpevor MLoAdyNOAV "ADNVaiolg teixdc Te KADEAOVTEG Kai vadc napaddvtEes (Th. 1,101.3), “Et les Thasiens, assiégés pour la troisitme année, conclurent un accord avec les Athéniens : ils abattraient leurs remparts et livreraient leurs vaisseaux” — postériorité de koSeAOvtes et Tapadovtes (participes aoriste) par rapport 4 @LoAGynoav. 45.3. “Evtotoa Koi anodvioKer Xaipov te Kai CiPpayoc, &upw TOAEMGPX@, Kal AaKpets 6 OADpMOViKNS Kal GAAOL ot TEVOPPEVOL Ac.kedaupoviov mpd TAY NLA Ev Kepoperk (X. Hell. 2.4.33), “C'est la aussi que moururent Chairon et Thibrache, tous deux polémarques, Lacratés, le champion olympique, et les autres Lacédémo- niens ensevelis devant la porte du Céramique” — postériorité de teSopevor (participe parfait) par rapport a &moOvTjoKeL. 2.3. CONCLUSION § 46. Les exemples qui précédent montrent que chacun des trois temps participiaux examinés peut s’employer & propos de n’importe quelle zone chro- nologique (passé, actuel — sur cette terminologie, voir § 125 —, avenir), et quel que soit le point de repére auquel on se place (temporalité absolue ou relative). Cette latitude ressort particuligrement bien des passages ot, dans une méme phrase, des participes 4 des temps différents se référent 4 une seule et méme zone chronologique (42.1: dnop—Gons ~ owlopévng ~ yeyevnpévovg 44.1: Sovtov ~ ceproBytodvtwv; comparer aussi S0@v ~ Sdoac dans les énoncés strictement symétriques de 43.1-2). Il faut conclure de ces usages que les temps présents, aoristes et parfaits des participes n'expriment pas, en eux-mémes, la temporalité. Bien entendu, les actions qu’ils expriment sont, elles, localisées dans I'échelle du Temps. Nous les comprenons donc (et sans aucun doute les Grecs en faisaient-ils de méme) comme se référant a un fait antérieur, contemporain ou postérieur au point de repére. Mais les exemples rassemblés ci-dessus montrent clairement que ce n'est que le contexte ou les participes figurent qui permet de localiser chronologique- 52 PREMIERE PARTIE : GENERALITES § 46 ment leur procés : en soi, aucun de leurs temps n'est porteur de temporalité. Cette conclusion est vérifiée par des examens systématiques portant sur de vastes corpus : il en ressort entre autres que la temporalité relative ne conditionne pas mécaniquement le temps des participes (pas plus, d’ailleurs, que celui des autres modes). Ce qui est néanmoins vrai, c’est que, tout comme de nombreux autres facteurs, elle peut exercer une certaine influence sur le choix des temps : § 138f. Sur les raisons qui peuvent motiver le choix aspectuel, voir § 123-124, 135- 140. §47 L'ANALOGIE ET LA NEUTRALISATION 53 CHAPITRE 3 DEUX PHENOM IMPORTANTS : L'ANALOGIE ET LA NEUTRALISATION S LINGUISTIQU 1, L'ANALOGIE § 47. L’étude de l'ensemble des langues connues montre que, sauf dans les langues artificielles — les langages d'ordinateur, par exemple —, la régularité absolue n'existe pas. Ceci se comprend si l'on observe que: (a) les langues naturelles ne se créent pas d'un seul coup, mais se forment progressivement; (B) lors de chacune des ces phases constitutives, les étres humains ne constituent pas leurs langages selon un modéle logique. Inversement, l'irrégularité absolue n'est pas attestée. Elle aurait pour consé- quence qu'aucun élément d'une langue ne serait prévisible, ce qui en rendrait la pratique impossible. Toute langue naturelle se trouve donc prise entre ces deux extrémes, et aussi longtemps qu'elle est vivante, elle oscille constamment de I'un a l'autre. L'une des manifestations les plus claires de la tendance a la régularisation est l'analogie. Celle-ci peut étre définie comme le mécanisme par lequel les locuteurs tendent a abolir une différence observable dans des éléments linguistiques donnés lorsqu'ils pergoivent entre eux une similitude qui les frappe. Ainsi, en frangais, le modéle de la conjugaison de l'indicatif présent de verbes comme “lire” suscite une tendance a y conformer la conjugaison de “dire”. D'aprés le paralléle de “je lis : tu lis: il lit: nous lisons: vous lisez: ils lisent”, il existe une tendance a conjuguer “je dis : tu dis : il dit: nous disons : vous disez [au lieu de la forme correcte : “vous dites”] : ils disent”. Le grec n'a, bien entendu, pas échappé a cet important phénoméne et le jeu de I'analogie y a été constant. On en trouvera ci- dessous des exemples appliqués 4 la morphologie (§ 48-49) et a la syntaxe (§ 50).

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