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Ces expressions qui ont une

origine biblique : « Ne pas bouger


d’un iota »
Découvrez ces expressions que nous utilisons depuis notre plus jeune
âge. Certaines ont tellement imprégné notre culture qu’on ne
soupçonne pas qu’elles puissent avoir une origine biblique.

Saviez-vous que l’alphabet grec n’avait quasiment pas été modifié depuis
l’Antiquité ? On pourrait presque dire qu’il n’a pas bougé d’un iota ! L’origine
de cette expression remonte à l’Évangile de saint Matthieu, lors du sermon sur
la montagne prononcé par Jésus au début de son ministère devant ses
disciples et la foule venue écouter son enseignement :
« Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas un seul iota,
pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise. (Mt 5, 18) »

Le iota est la neuvième lettre de l’alphabet grec, correspondant à la lettre i de


l’alphabet français. C’est aussi « la plus petite lettre car on la trace avec un seul
trait », explique saint Augustin. Par extension, un iota prend la notion de
toute petite chose, tout petit détail et « ne pas bouger d’un iota » signifie ne
pas bouger même d’un mouvement insignifiant, laisser les choses telles
qu’elles sont, refuser tout changement.
Lire aussi : Ces expressions qui ont une origine biblique : « Au pied de la
lettre »

Dans la Grèce antique, les lettres de l’alphabet pouvaient également servir à la


numérotation dite alphabétique, par opposition à la
numérotation acrophonique, qui utilisait des signes. L’alphabet comprenait
alors 27 lettres, les neuf premières lettres représentaient une unité (le zéro
était alors inconnu), les neuf suivantes une dizaine et les neuf dernières une
centaine. Pour distinguer ces lettres ayant une valeur numérale des autres
lettres, on plaçait à leur droite un trait ressemblant à un accent aigu
appelé keréa (en grec) ou apex (en latin). Par exemple, α’ (alpha)
correspondait à 1, β’ (bêta) à 2, γ’ (gamma) à 3… Par rapport à l’alphabet grec
actuel qui comporte 24 lettres, il existait à l’époque trois lettres archaïques
supplémentaires dont l’une était placée en sixième position, ce qui mettait le ι ‘
(iota) à la dixième position et non pas à la neuvième comme aujourd’hui.
Selon Raban, moine bénédictin et théologien germanique du IXe siècle, iota,
associé au nombre 10, représente le décalogue et le trait (l’apex), le plus petit
signe dans la Loi.
La controverse sur la nature du Christ
Par ces paroles, Jésus manifeste ainsi son attachement à l’obéissance aux
commandements de la Loi. Tous les détails, y compris les plus insignifiants,
ont leur importance. « Il faut garder les plus petits articles et les moindres
circonstances de la Loi » précise saint Augustin. Cette immuabilité de la Loi
est affirmée à plusieurs reprises dans les Écritures (« Elle est le livre des
préceptes de Dieu, la Loi qui demeure éternellement… » Ba 4,1). Le Amen du
début du verset vient lui donner plus de poids et en renforcer l’autorité.
Lire aussi : Ces expressions qui ont une origine biblique : « Deux poids deux
mesures »

L’expression est devenue célèbre suite à la controverse sur la nature du Christ


lors du premier concile œcuménique de Nicée (Turquie) en 325. Convoqué par
l’empereur romain Constantin Ier, le concile rassemblait les représentants de
presque toutes les tendances du christianisme avec pour objectif principal de
définir l’orthodoxie de la foi. Les Nicéens soutenaient la thèse que le Fils est «
de même substance » (ὁμοούσιος, homooúsios) que le Père, tandis que les
Ariens (disciples d’Arius, presbytre, théologien et ascète chrétien
d’Alexandrie) soutenaient celle selon laquelle le Fils est « de substance
semblable » (ὁμοιούσιος, homoioúsios) au Père. Les deux termes ne se
distinguent que par un petit iota mais sont de sens différents.

Arius et deux autres évêques refusèrent d’abandonner leur thèse et furent


excommuniés. Le concile ne mit cependant pas fin à la controverse et
l’influence de l’arianisme continua à se développer. Il fallut attendre le concile
de Constantinople (381) pour que soit rétablie l’unité. Le Credo, rédigé à
l’issue du concile de Nicée, est alors complété, il établit avec précision les
fondements de la Foi. Aussi appelé symbole de Nicée-Constantinople, il est
commun aux Églises d’Orient et d’Occident.

Lire aussi : Ces expressions qui ont une origine biblique :


« Passer au crible »

Alors, lors de la prochaine célébration de la messe, proclamons, non pas


machinalement, mais haut et fort notre Foi avec ce Credo, issu d’un débat
d’idées riche et mouvementé qui a déchaîné les passions au IVe siècle !

Ces expressions qui font notre pain quotidien

PARPROTESTINFO
MARIE DESTRAZ
16 OCTOBRE 2019
«Semer la zizanie», «regarder par le judas», nous citons tous la Bible, sans même
le savoir. Le philosophe français Denis Moreau nous dévoile le sens chrétien de
nos expressions familières, dans l’ouvrage «Nul n’est prophète en son pays».
Interview.
La société occidentale se déchristianise, c’est un fait. Notre langage
pourtant reste sacrément imprégné de nos racines judéo-chrétiennes.
Vieilles de deux mille ans, certaines expressions attribuées à Jésus
ont la dent dure. Si elles ont perdu leur sens originel, elles font encore
partie de notre langage quotidien. Le professeur d’histoire de la
philosophie et de la philosophie des religions à l’Université de Nantes
et catholique Denis Moreau passe au crible ces formes langagières et
redessine le contexte historique et culturel de leur création. Une
plongée dans la pensée chrétienne et la culture d’une époque qui
nous est aujourd’hui étrangère.
Comment expliquer que dans une société sécularisée, les
expressions chrétiennes tiennent bon?
Que nous le voulions ou non, le christianisme a influencé notre
culture. Les expressions familières tirées des Évangiles sont la preuve
de nos racines judéo-chrétiennes. On peut déplorer qu’il ne reste que
quelques proverbes, délestés de leur sens évangélique. On peut aussi
se réjouir qu’il en reste des traces.
Parmi toutes les expressions répertoriées dans votre livre «Nul
n’est prophète en son pays» publié au Seuil, laquelle est votre
préférée?
«Garder le meilleur pour la fin». Elle dérive du récit des noces de
Cana. Je le lis d’abord comme le récit d’une crise conjugale
surmontée, en trois temps: c’est d’abord la fête, les époux savourent
le vin de la vie commune. Puis le vin vient à manquer, il ne reste que
de l’eau, insipide et incolore, la routine prend la place de l’amour.
Enfin, l’eau est transformée en bon vin par Jésus. Ce vin meilleur
véhicule un message d’espoir pour les époux traversant une
mauvaise passe: ne baissez pas les bras trop vite! Et puis le vin, c’est
l’ivresse! Je lutte contre le christianisme rabat-joie, qui prive les gens
des bonnes choses de la vie. Je suis un chrétien hédoniste, le but de
la vie étant la recherche, raisonnable bien sûr, du plaisir. Je suis pour
un christianisme joyeux. Et dans ce récit, Jésus nous invite à la fête.
Quelle est l’expression qui vous est la plus étonnante?
Les Évangiles nous prennent aussi à rebrousse-poil. Parfois, je trouve
que Jésus y va fort. Je suis particulièrement touché par ce qui à trait à
la difficulté du salut pour les riches, ceux que la vie a privilégiés.
«Faire passer un chameau par le trou d’une aiguille», serait plus facile
que de faire entrer un riche au paradis, ce n’est pas ce que j’ai envie
d’entendre. Je gagne bien ma vie, je suis riche matériellement et aussi
intellectuellement, j’ai reçu beaucoup de belles choses dans ma vie.
Lire que les riches auront plus de peine à entrer au paradis n’est pas
plaisant pour moi, cela me dérange.
Je pense aussi à «Laisser venir à moi les petits enfants» et son
corollaire «Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous
n’entrerez pas dans le Royaume des cieux». Moi, philosophe, je ne
me sens pas comme un enfant intellectuellement parlant. Ai-je alors
les bonnes attitudes? J’essaie de ne pas oublier de me poser ces
questions. Les Évangiles sont déstabilisants, mais ils ne sont pas
seulement là pour nous faire plaisir et cela évite de nous reposer!
Pourquoi ont-elles été vidées de leur sens initial?
Ces expressions sont victimes de leur succès. Avec le temps, elles
ont acquis une autonomie. Elles sont devenues des expressions
toutes faites, une sorte de prêt-à-penser, qui ne donne plus à réfléchir.
Mais, elles n’en sont pas pour autant tombées dans l’oubli. Parce que
Jésus – ou les rédacteurs des Évangiles – était très bon pour inventer
des histoires brèves et frappantes, des expressions chocs. C’est le
cas des paraboles du bon Samaritain ou du fils prodigue. En ce sens,
elles ont une forme d’universalité.
Quel est l’objectif de ce petit dictionnaire?
Ce n’est pas vraiment un «dictionnaire»: les «paroles d’Évangiles»
présentées ne sont pas classées par ordre alphabétique. Je les ai,
autant que possible, présentées dans l’ordre chronologique, de façon
à ce que cela constitue une sorte de «vie de Jésus». Sur le fond, je
constate que mes étudiants constituent la première génération
majoritairement coupée de toute culture chrétienne. C’est un fait
générationnel. Lorsque j’avais vingt ans, il y a avait une forme
d’antichristianisme virulent, mais au moins, les gens qui critiquaient le
christianisme le connaissaient un peu. Tout cela a fait place à
l’indifférence et l’ignorance. Autour de moi, même les «bouffeurs de
curé» usent d’expressions telles que «semer la zizanie», ou «rendre à
César ce qui appartient à César», sans en connaître l’origine.
J’ai trouvé, avec ces expressions, une prise dans le monde
contemporain pour expliquer aux gens ce qu’est le christianisme, mais
aussi pour annoncer ma foi. Ce livre ne s’adresse pas aux chrétiens
savants, je ne fais pas de l’exégèse. Il s’adresse plutôt aux chrétiens
qui paradoxalement ne sont pas familiers des Évangiles, et aussi aux
personnes qui ne connaissent pas les Évangiles. Je voudrais les
inviter, de façon un peu ludique, à se plonger dans ces textes que je
trouve merveilleux.
Pourquoi vous êtes-vous limité au Nouveau Testament?
Parce que le livre aurait été beaucoup trop long, si j’avais aussi parlé
de l’Ancien Testament, et que les Évangiles sont au cœur de la
révélation chrétienne. Dans ce livre, je ne fais pas l’histoire savante de
ces expressions. Certaines d’entre elles sont mises dans la bouche de
Jésus, d’autres sont des dictons qui relèvent de la culture de l’Orient
d’antan ou sont tirés de l’Ancien Testament, communes aux juifs et
aux chrétiens, comme «L’homme ne vit pas que de pain», que Jésus
reprend au Deutéronome. Je les situe dans le contexte textuel de leur
apparition en essayant de leur redonner de la saveur.
Une saveur qui passe notamment par l’humour.
La théologie et même le christianisme sont souvent considérés
comme austères, privés du rire franc et simple qui est l’index de la
joie, notion centrale chez les chrétiens. Pourtant, dans la Première
Épître aux Corinthiens, on lit que «Dieu aime celui qui donne dans la
joie» ou «en riant». J’essaie de vivre un christianisme joyeux, c’est
aussi ce que j’ai envie de transmettre.
Pourquoi alors recourir à la philosophie pour appuyer vos
propos, une matière pourtant bien sérieuse?
D’abord parce que la philosophie c’est mon métier, je lis aussi dans
cette optique les Évangiles. Les grandes questions existentielles des
humains, les questions morales au sens de «ce qui concerne les
mœurs», nos façons d’agir, sont autant traitées par les philosophes
que dans les Évangiles. En ce sens, il y a dans ces textes une
philosophie. Dans les premiers siècles du christianisme, on décernait
d’ailleurs le titre de «philosophe» à Jésus. Pour moi, les réponses qu’il
a données sur les questions fondamentales de l’existence sont les
plus abouties. Ainsi, «La vérité vous rendra libres» (Jean 8,32), qui est
une thèse de philosophe à elle seule, véhicule une conception de la
liberté différente de celle que nous nous faisons spontanément
aujourd’hui: la liberté accomplie, ce n’est pas la capacité à faire
n’importe quoi, c’est une adhésion réfléchie et consciente au vrai ou
au bien.
Mais en général, la philosophie use de concepts, qui demandent une
capacité d’abstraction complexe. Jésus, lui, recourt aux paraboles et
aux images pour s’adresser à tout le monde. Notre rapport à l’image
est plus facile, on préfère de belles images à la froideur des concepts.
Selon Platon, le passage d’une tradition orale à l’écriture
l’appauvrit. C’est ce qui s’est passé avec ces expressions
familières?
En ce sens oui. Nous maîtrisons notre parole, mais non l’écriture qui
fixe et pétrifie, circule sans contrôle, pense Platon. Bien sûr, la parole
est davantage vivante. Mais l’écriture reste pourtant le moyen le plus
efficace de contenir, conserver la parole de Jésus, sans qu’elle risque
d’être corrompue par la tradition orale.
Reste qu’il ne faut pas oublier que le christianisme est
fondamentalement une religion de la parole (et même de la Parole).
C’est le sens du premier verset de l’Évangile de Jean: «Au
commencement était le logos», mot grec complexe que l’on peut
traduire par «parole» ou «verbe». D’où l’importance, dans les
assemblées chrétiennes, de la proclamation orale de la «Parole de
Dieu».
Ces expressions dont on a oublié le sens
«Semer la zizanie», Mt 13, 24-30 : est tiré de la parabole «Le bon
grain de l’ivraie» qui précise que seul Dieu peut séparer le bien du
mal, renvoyant au tri entre le bon grain et les mauvaises herbes au
moment de la moisson et donc du Jugement dernier. En grec et en
latin, l’ivraie, la mauvaise herbe, se dit «zizanion», «zizania».
«Regarder par le Judas» Mt 26, 14-16 : Judas était l’un des douze
apôtres de Jésus, celui qui l’a trahi et livré aux Romains. Il est donc
devenu le symbole de la traîtrise, et de là synonyme d’espion, d’où le
nom donné aujourd’hui à la petite ouverture percée dans la porte
permettant d’observer ce qui se passe sur le palier.
«Ne pas changer d’un iota», Mt 5, 17-20 : l’iota est l’équivalent du «i»,
neuvième et plus petite lettre de l’alphabet grec, il s’agit d’une chose
de faible importance. Dans les textes, Jésus préconise de garder
l’intégralité, jusque dans les moindres détails, de la Loi juive, précisant
que l’Évangile ne la remet pas en cause. En même temps, il critique
ceux qui l’appliquent à la lettre. Il entend donc par là qu’il faut
conserver l’esprit d’une loi pour l’appliquer correctement.
«Le bon Samaritain», Lc 10, 25-27 : les Samaritains étaient des
personnes méprisées à l’époque de Jésus. Dans le récit, c’est
pourtant l’un d’eux qui vient au secours de l’homme resté sur le bas-
côté, alors même que personne ne s’arrête. Le message est
philanthropique, il parle de l’amour du prochain qui dépasse les
intérêts personnels et les proximités entre les individus. Aujourd’hui,
en Suisse, les cours de premiers secours on reprit l’appellation
biblique.
«Prêcher dans le désert»: Jean 1, 19-23 ; Mt 3, 1-6 : si aujourd’hui
cela revient à parler dans le vide, sans être écouté ou entendu, à
l’origine c’est tout l’inverse. Dans la Bible, le désert n’est pas pris sous
son aspect aride et vide, mais bien comme le lieu de la révélation.
Ainsi, des paroles prophétiques y sont donc déclamées devant des
foules.

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