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L’ÉVOLUTION DE LA LANGUE FRANÇAISE
Jean HENNEQUIN
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BENEMÉRITA UNIVERSIDAD AUTÓNOMA DE PUEBLA
Imagen de la portada
“J’savois ben qu’jaurions not tour: Vive le Roi, Vive le Nation.”
Bibliothèque Nationale de France. Département Estampes et Photographie.
Facultad de Lenguas
24 norte 2003 Col. Humboldt
Puebla, Pue.
Tel. 01 222 22955 00 Ext. 5826
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A todos aquellos estudiantes y docentes de una lengua
para quienes dominar una lengua
no necesariamente significa dejarse dominar por ella…
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PRESENTACIÓN
1 Véase, por ejemplo, Jean Hennequin (2005), La sociolingüística: ¿qué es? ¿para qué sirve?,
Editorial BUAP, México, pp. 47 a 65.
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españolas (y mexicanas). En tales condiciones, la presente obra persigue un
doble objetivo:
LOS AUTORES
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INTRODUCTION
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Figure 1. L’arbre généalogique des langues, selon Schleicher (XIXe siècle)
Remarque: l’astérisque devant le terme d’indo-européen indique
qu’il s’agit d’une langue hypothétique, reconstituée.
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Figure 2. Le modèle des « ondes concentriques » de Schuchardt et Schmidt (XIXe siècle)
Les « lois » d’évolution des langues. On retrouve ici l’influence, très forte,
des sciences naturelles (cf. Mendel et les lois de l’hérédité, ou Lamarck et ses
« lois de la transmission des caractères acquis »).
Les « néo-grammairiens » allemands sont les représentants extrêmes
de cette volonté de déterminer des « lois » qui, selon eux, ne souffriraient
aucune exception. Selon eux, « le même phonème, occupant une position
déterminée à l’intérieur d’un mot, subit dans la même langue et pendant une
période déterminée, la même transformation dans tous les mots de la langue
en question » (cf., par exemple, la formulation du principe d’Archimède:
« Tout corps plongé dans un liquide reçoit de la part de celui-ci une poussée
verticale vers le haut, dont l’intensité est égale au poids du volume de liquide
déplacé »).
En outre, le phénomène de l’analogie explique certaines anomalies
apparentes. Ainsi, l’ancien mot espagnol berrojo a fini par se transformer en
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cerrojo, sous l’influence du verbe cerrar; de même, l’ancien espagnol lune
(=dies lunae) s’est transformé en lunes, sous l’influence de martes, jueves et
viernes. D’après les néo-grammairiens, lois phonétiques et analogie se com-
plètent pour conférer un aspect systématique à l’évolution de la langue.
Actuellement, on ne parle plus guère de « lois » en matière d’évolu-
tion des langues. On préfère, plus prudemment, parler de « tendances ». En
effet, s’il est vrai que la langue constitue un système relativement autonome et
indépendant des hommes qui l’utilisent, il est tout aussi vrai que les hommes
ne sont pas les esclaves absolus de ce système: ce sont eux qui l’ont créé, qui
l’utilisent à certaines fins et qui, à tout moment, peuvent le transformer, le
violer, voire le détruire. D’où la nécessité de mettre en rapport évolution lin-
guistique et évolution historique.
Le dogmatisme rigide des néo-grammairiens a été sévèrement critiqué
et condamné par d’autres linguistes plus clairvoyants (par exemple, Michel
Bréal, Matteo Bartoli).
Ferdinand de Saussure (1857-1913), linguiste suisse considéré comme
le « père de la linguistique moderne », établit une distinction entre linguistique
diachronique et linguistique synchronique. Selon lui,
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Figure 3. Synchronie et diachronie, selon Ferdinand de Saussure (début du XXe siècle)
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1.- l’homonymie: les mots finissent par se confondre; par exemple:
(ce à quoi on pourrait encore ajouter un mot d’origine anglaise: les « zoos »,
prononcé [lezo])
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La sociolinguistique
Pour William Labov, « le changement linguistique ne saurait s’expli-
quer par des arguments tirés des rapports exclusivement internes du système
de la langue, même si on reconnaît que les rapports sociolinguistiques sont des
facteurs additionnels qui les conditionnent ».
Pour Labov, toutes les soi-disant « lois » d’évolution de la langue ne
sont que de simples probabilités. Il reste à découvrir les facteurs sociaux qui
permettent ou non la réalisation de ces possibilités.
Pour reprendre un exemple de Labov, si une innovation linguistique
(par exemple, une prononciation différente) est introduite par un groupe social
jouissant de prestige, cette innovation tendra à être adoptée, voire amplifiée,
par les groupes sociaux subordonnés. Au contraire, si une innovation est intro-
duite par un groupe social subordonné, elle tendra à être rejetée et stigmatisée
par le groupe social jouissant de prestige. Comme l’ont démontré les études de
William Labov sur la prononciation du [r] à New York, la petite bourgeoisie joue
un rôle déterminant dans la diffusion d’une innovation introduite par la grande
bourgeoisie, dans la mesure où elle tend à l’hyper-imitation de la classe supé-
rieure.
Figure 4. Pourcentage de [r] prononcés par les habitants de New York, selon les classes sociales
et en fonction de quatre « styles contextuels » différents (d’après William Labov, XXe siècle).
À remarquer le rôle déterminant joué par la petite bourgeoisie : lorsque celle-ci se sent
observée ( « lecture d’un texte » et « « lecture d’une liste de mots), elle « exagère » le
nombre de [r] prononcés, surpassant ainsi la prononciation des classes supérieures. C’est le
phénomène de « l’hyper-imitation ».
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CHAPITRE I
Rappelons que les Gaulois étaient des Celtes, peuple établi depuis
l’an 1500 avant Jésus-Christ au moins, dans toute l’Europe: Gaule, Italie, Es-
pagne, vallée du Danube jusqu’aux Balkans, îles britanniques, etc.
Leurs voisins à l’est étaient les Scythes, habitants nomades des steppes
de la Russie.
Les Gaulois n’étaient donc qu’une petite partie des Celtes, ceux qui
habitaient la Gaule (un peu plus vaste que la France actuelle: du Rhin aux
Pyrénées, et des Alpes à l’Atlantique). Lorsque les Celtes, provenant de l’est,
s’établirent en Gaule, ils trouvèrent un pays occupé depuis très longtemps par
des peuples dont l’origine nous est inconnue (les constructeurs des monu-
ments mégalithiques).
Le gaulois est donc une langue celtique, d’origine indo-européenne
(cf. l’arbre généalogique de Schleicher).
Exemples:
Quels sont les documents qui nous permettent de nous faire une idée
de la langue gauloise?
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- Un grand nombre de noms géographiques (montagnes, fleuves,
villes, villages, forêts, lieux-dits) sont d’origine celtique. Par exemple, l’Isère
(rivière des Alpes françaises), l’Isar (rivière de Bavière) et l’Oise (affluent de
la Seine) portent le même nom, d’origine celtique.
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- la ruche, le taureau, l’alouette, la charrue, la benne, le savon, la
lande, l’if, le chêne, le bouleau.
EXERCICE: Sur la carte d’une région française à l’échelle 1/200 000, cher-
cher des noms de villes, villages, lieux-dits, montages, rivières, d’origine cel-
tique.
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CHAPITRE II
LA ROMANISATION DE LA GAULE
- l’armée;
- l’administration;
- l’enseignement.
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de l’enseignement, et la Gaule produisit de grands orateurs, tel le poète Au-
sone, de Bordeaux (« Bordeaux est ma patrie, mais au-dessus de toutes les
patries passe Rome »).
Le fait que le gaulois ait été une langue indo-européenne facilita l’ap-
prentissage du latin par les Gaulois. Mais ce n’est pas le latin classique qui
s’imposera en Gaule, mais le latin dit « vulgaire », celui qui était parlé par le
peuple romain (le même phénomène s’est produit en Espagne).
Conclusion
Le gaulois a reculé, surtout sous l’influence des villes, et a été rempla-
cé par le latin « vulgaire ». Au début, c’est essentiellement l’organisation mili-
taire, administrative et scolaire de l’Empire romain qui a permis la pénétration
du latin en Gaule. Ensuite, c’est l’Eglise qui a renforcé cette pénétration et qui
a assuré le succès définitif du latin en Gaule.
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CHAPITRE III
LE LATIN VULGAIRE
Les sources
En comparaison du latin classique, le latin vulgaire est relativement
mal connu. Il existe néanmoins un certain nombre de sources écrites en latin
vulgaire:
- Dans les comédies de Plaute (254-184 av. J.-C.), certains personnages popu-
laires s’expriment en latin vulgaire.
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- Commentaires en latin vulgaire, écrits en marge de la Bible; exemple: le
Glossaire de Reichenau (du nom du monastère allemand où était conservé ce
glossaire): 3 000 mots traduits en latin vulgaire du VIIIe siècle.
- Appendix Probi: ouvrage rédigé par un maître d’école romain, afin de « cor-
riger » la langue de ses élèves. Il présente les formes « incorrectes », c’est-
à-dire en latin vulgaire, face à leur forme « correcte », c’est-à-dire en latin
classique: « Il ne faut pas dire ..., mais ... » (227 formes).
a) Phonétique
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Exemple: aptus alicui rei ou aptus ad aliquam rem étaient synonymes.
Le latin vulgaire va généraliser cette dernière forme. En d’autres
termes, le latin vulgaire va se caractériser par une invasion de prépositions
(ce qui continue à être le cas en espagnol contemporain, notamment avec la
préposition a). En d’autres termes encore, alors que la latin classique était une
langue synthétique, le latin vulgaire va devenir une langue de plus en plus
analytique.
De sorte que les six cas du latin classique se réduisent à deux: nomi-
natif et accusatif, pas toujours clairement différenciés.
c) La naissance de l’article
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duerme se lo lleva la corriente »). Ainsi, « mariage est malheur » s’opposait à
« le mariage a été un malheur pour elle ».
e) Le verbe
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En raison de l’évolution phonétique, de nombreuses formes verbales
en étaient arrivées à se confondre. Voici quelques exemples de formes ver-
bales en latin classique.
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1) Développement de l’auxiliaire esse
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Le français moderne, par contre, n’a conservé que la deuxième forme:
« tu donneras ».
Ceci explique la similitude entre le français et l’espagnol en ce qui
concerne la formation du futur:
f) Négation et affirmation
En latin tardif, on utilisait parfois sic (ainsi, c’est ainsi); d’où l’espa-
gnol moderne sí (en revanche, le « oui » français provient du latin hoc ille est,
« c’est cela »).
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g) Lexique
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CHAPITRE IV
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et beaucoup plus faible au sud: c’est à la colonisation franque que l’on doit la
division entre langue d’oïl et langue d’oc (ou provençal). Le français actuel
est le descendant de la langue d’oïl, c’est-à-dire du latin vulgaire modifié sous
l’influence germanique des Francs.
Pendant trois siècles, les couches supérieures de la population au nord
de la France furent bilingues, mais les Francs finirent par se romaniser (vers
900 apr. J.-C.). Cependant, la langue des Francs a laissé de nombreuses traces
dans le français actuel (environ 200 mots):
Exemples:
- la terminologie politique et militaire: « maréchal » provient de marhskalk
(= chef de la chevalerie); « baron » provient de sakibaro;
- la terminologie agricole: « blé » provient de blad; « jardin », « haie »,
« houx », « cresson »;
- le vocabulaire des sentiments: « orgueil », « honte », « honnir », « hardi »,
« laid »;
- les préfixes et suffixes:
le préfixe « mé- » (cf. allemand miss-): « médire », « mécontent », « se
méprendre », « mégarde », etc.;
le suffixe « -ard »: « vieillard », « pillard », « motard », « chauffard » (suf-
fixe très vivant en français actuel, souvent considéré populaire ou argotique:
« plumard », « flemmard », « salopard », « froussard », « ringard », « rou-
tard », etc.) (voir l’article de Louis-Jean Calvet, cité en bibliographie: « Ce
chauffeur est un vrai chauffard »).
Du point de vue phonétique, les Francs ont introduit le « h » dit aspiré
(en réalité fortement expiré), qui en français actuel ne s’expire plus, mais in-
terdit de faire la liaison.
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Exemples:
latin langue d’oc langue d’oïl
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nantes en Angleterre jusqu’aux XIVe et XVe siècles; c’est de ce mélange entre
le normand et l’anglo-saxon qu’est issu l’anglais moderne.
Vers la fin du VIIe siècle, un nouveau peuple avait pénétré dans les
pays méditerranéens: les Arabes, qui occupèrent toute l’Afrique du Nord.
En 711, ils battirent l’armée des Visigoths en Espagne, et peu de
temps après ils avaient occupé presque toute la péninsule. Cordoue devint
le centre d’une brillante civilisation islamique, dont l’influence culturelle et
linguistique s’étendit sur toute l’Europe. Cette influence fut beaucoup plus
forte en Espagne qu’en France, car la progression des Arabes vers le nord fut
arrêtée en 732 par Charles Martel, à la bataille de Poitiers.
Les Arabes introduisirent en Europe, soit à travers l’Espagne, soit à
travers la Sicile et l’Italie, de nombreuses cultures:
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CHAPITRE V
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Conoajutorio de nuestro dueno, dueno Christo, dueno Salbatore, qual
dueno get ena honore, equal dueno, tienet ela mandatjone cono Patre, cono
Spriritu Sancto, enos sieculos delosieculos. Facanos Deus omnipotes tal ser-
bitjo fere ke denante ela sua face gaudioso segamus. Amen (Glosas Emilia-
nenses).
a) Les voyelles
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- la vocalisation du « l » (à partir du VIIe siècle): « l » devant consonne devient
« u », ce qui crée de nouvelles diphtongues:
b) Les consonnes
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Exemples: - haveir (du latin habere);
- /pyr/ s’écrit « pur » à cause du latin purum (prononcé [pu-
rum]);
- « tch » s’écrit « c + h », parce que ce son provient du « c »
latin;
- le son /v/, qui n’existait pas en latin, est transcrit « u », et se
confond donc avec la transcription du son /y/ (la graphie « v »
ne sera introduite qu’au XVIe siècle);
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cratie, et l’anglo-saxon par le peuple (cf. Walter Scott: « Jack wold be a gen-
tilman if he coude speke frensske »). Des nombreuses influences de ce dialecte
français sur l’anglo-saxon naîtra peu à peu la langue anglaise.
EXERCICE: Sur une carte de France, tracer une ligne séparant la région où
les noms géographiques commencent par ca- de celle où ils commencent par
cha-.
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CHAPITRE VI
Jusqu’à la fin du XIe siècle, peu de textes en très ancien français nous
ont été conservés; il s’agit essentiellement de vies de saints: la vie de saint
Alexis, la vie de saint Léger, la Cantilène de sainte Eulalie.
A partir du XIIe siècle, au contraire, s’épanouit une abondante produc-
tion littéraire, notamment avec les chansons de geste. Il s’agit d’épopées histo-
riques en vers, qui étaient chantées sur un air très simple (le même pour chaque
vers), en s’accompagnant d’une vielle. Ces chansons de geste étaient chantées
par les jongleurs sur les champs de foire, comme propagande politico-religieuse
à l’intention du peuple, ou dans les châteaux à l’intention des seigneurs.
« Geste » ne veut pas dire mouvement des mains, mais exploits guerriers
(du latin gesta); il s’agissait, à l’occasion des croisades (dont la première eut lieu
en 1096, la dernière en 1270), d’exalter le sentiment religieux et patriotique des
chevaliers et des masses populaires, en retraçant de façon légendaire les exploits
de personnages historiques disparus depuis longtemps, Charlemagne, en parti-
culier.
La Chanson de Roland, composée sans doute au début du XIIe siècle,
est la première grande œuvre littéraire française.
a) Les voyelles
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b) Les consonnes
Exemple:
Singulier Pluriel
Cas sujet: lat. murus --› (li) murs lat. muri --› (li) mur
Cas régime: lat. murum --› (le) mur lat. muros --› (les) murs
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Attention: Le « s » final des substantifs (et des adjectifs) n’était pas une termi-
naison typique du pluriel, ni en latin ni en ancien français (cf. l’italien actuel).
En ancien français, le « s » final indique aussi bien le cas sujet singulier que le
cas régime pluriel. Une forme comme « mur » peut être aussi bien un singulier
(cas régime) qu’un pluriel (cas sujet); de même, la forme « murs » peut être
aussi bien un singulier (cas sujet) qu’un pluriel (cas régime). D’où la nécessité
de tenir compte de l’article ou, faute d’article, du verbe correspondant.
C’est la disparition ultérieure du cas sujet qui, aussi bien en français
qu’en espagnol, nous a habitués à considérer le « s » final comme marque du
pluriel.
1) Certains mots actuels proviennent de l’ancien cas sujet (d’où leur « s » final
au singulier):
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CHAPITRE VII
a) - D’ordre politique:
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Du point de vue linguistique, le français de Paris va étendre son in-
fluence, en partie grâce à la centralisation de l’administration, au détriment
des langues et dialectes locaux, mais aussi au détriment du latin qui, en tant
que langue de l’Eglise, va commencer à perdre de son importance tradition-
nelle.
b) - D’ordre technique:
Dans le parler des classes populaires, /e/ devant /r/ se prononce /a/.
Par exemple, Villon fait rimer « Barre » avec « terre ».
Dans le parler des classes populaires, /r/ entre voyelles devient /z/. Par
exemple, du latin oratorium provient le nom de village « Ozoir ».
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Conclusion: Les « lois phonétiques aveugles » n’existent pas. Ce qui peut
nous faire croire à leur existence, c’est en fait la conjugaison de deux types
de facteurs:
2. la pression d’un modèle dominant, qui finit par reléguer les variantes au
rang de formes secondaires.
D’où le schéma:
Les cercles figurent un élément linguistique quelconque – phonème, mot, etc. – et les diffé-
rentes flèches les diverses possibilités d’évolution de chacun de ces éléments;
la flèche en gras représente la soi-disant « loi phonétique aveugle ».
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b) La syntaxe
c) Les latinismes
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En même temps que se produisait ce phénomène d’introduction de
latinismes, de nombreux mots français furent concurrencés et finirent par dis-
paraître:
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CHAPITRE VIII
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Cependant, le mouvement était amorcé: le latin était en train de perdre
son prestige comme langue sacrée de l’unité européenne, et se voyait peu à
peu détrôné par les langues nationales.
Les italianismes
De nombreuses campagnes militaires en Italie (1494-1515) révélèrent
aux Français les splendeurs de la Renaissance italienne; François Ier invita en
France de nombreux artistes (dont Léonard de Vinci).
Un grand nombre de mots italiens s’introduisirent dans la langue fran-
çaise:
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La naissance des premières normes en français
En même temps que le français cesse d’être une langue « vulgaire »
pour devenir une langue de prestige, se produit un phénomène de codification
linguistique.
En 1531, Jacques Dubois écrit la première grammaire française des-
tinée à des Français. En 1532, Robert Estienne publie le premier dictionnaire
latin-français.
Ces ouvrages, dont la diffusion est assurée par l’imprimerie, contri-
buent à fixer la langue, et en particulier l’orthographe: c’est à cette époque
qu’apparaissent les accents, le c « à queue » (le « ç »), le v au lieu du « u »
(« uil » s’écrit désormais « vil ») et le j au lieu du « i » (« iuger » devient
« juger »).
Cette codification du français s’opère au profit de l’usage parisien: les
expressions provinciales sont de plus en plus déconsidérées et condamnées.
Montaigne lui-même se voit reprocher certains mots et tournures gasconnes:
le grammairien Pasquier lui reproche d’utiliser l’expression « la santé que je
jouis », car à Paris « jouir » est un verbe intransitif. Et Pasquier de conclure:
« Il existe des règles fixées par un usage, et l’existence d’une manière diffé-
rente de parler dans telle province ne justifie pas les infractions ».
Une brève interruption dans ce processus de centralisation parisienne:
en 1560, les Guerres de Religion obligèrent la Cour à se transférer en pro-
vince; Paris subit alors une éclipse temporaire. C’est à cette époque que Tours
devint un centre culturel important, donnant ainsi naissance au préjugé selon
lequel le français de la Touraine serait le plus « pur ».
Mais, dans l’ensemble, à la fin du XVIe siècle le centralisme parisien
était établi: le français sera celui de Paris.
Ci-dessous, un extrait de la Bible, dans la traduction de Lefèvre
d’Etaples (1528):
« Encore parloit cestuy icy et voicy qu’ung autre entra et dist: là où tes
filz et tes filles mengeoient et beuvoient le vin en la maison de leur frère pre-
mier naiz, ung vent véhément est subitement venu par impétuosité du désert et
a frappé contre les quatre coingz de la maison. Et icelle trébuchant a oppressé
tes enfans et sont morts, et suis seul eschappé pour te l’annoncer » (Livre de
Job, I, 18-19).
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CHAPITRE IX
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« docteur en négative »). Ainsi, il exige que la négation soit « ne ... pas » ou
« ne ... point », au lieu du simple « ne », encore très courant à l’époque.
Finalement, la Grammaire de Port-Royal (1660) prétend faire reposer
le français non pas sur l’usage, mais sur la raison. Selon ses auteurs, la langue
française incarnerait les lois de la logique.
Conséquences
Tous ces efforts de codification de la langue française conduisent à
normaliser la langue, à la simplifier, mais aussi à l’appauvrir, à la stériliser.
Plusieurs centaines de mots et de tournures ont été condamnés par les « théo-
riciens de la langue », qui allèrent même jusqu’à supprimer certains mots
« vulgaires » (par exemple « panse ») ou certains mots qui, selon eux, sen-
taient trop « l’étable ou le fumier » (par exemple « âne », « vache », « veau »,
« cochon »). Même les proverbes, d’origine typiquement populaire, furent
bannis des œuvres littéraires.
La pauvreté de la langue de certains écrivains classiques (Racine,
entre autres) est due en partie à ce genre de préjugés. C’est pourquoi Fénelon,
au début du XVIIIe siècle, écrira dans sa célèbre Lettre à l’Académie: « On a
appauvri, desséché, et gêné notre langue. Elle n’ose jamais procéder que sui-
vant la méthode la plus scrupuleuse et la plus uniforme de la grammaire. »
Heureusement, seule la langue littéraire a été victime de cette tyrannie
des « puristes » du XVIIe siècle. Le français, rappelons-le, n’était pas encore
la langue parlée par la majorité des Français. Mais ces efforts de codification
linguistique déborderont largement le XVIIe siècle, puisqu’aujourd’hui encore
la plupart des historiens de la langue considèrent qu’à cette époque le français
littéraire avait atteint un degré de perfection absolue: c’est ce qu’ils appellent
la « langue classique ».
Disons, plus objectivement peut-être, qu’au XVIIe siècle la langue
littéraire a fait l’objet d’un processus de codification-stérilisation sous l’auto-
rité de la monarchie absolue et de ses idéologues, et que ce processus s’inscrit
dans l’œuvre multiséculaire du centralisme parisien.
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CHAPITRE X
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De l’Allemagne, très avancée dans le domaine des mines, on importa
certains termes minéralogiques: « quartz », « gangue » (allemand Erzgang),
« nickel ».
L’italien fournit des termes artistiques: « piano », « cantatrice », etc.
Du point de vue de la syntaxe, il ne se produit guère que des change-
ments de détail. Seule modification importante (surtout par rapport à l’espa-
gnol, où elle n’a pas eu lieu): la disparition progressive, tout au moins dans
la langue parlée, de l’imparfait du subjonctif. Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle,
si l’on écrivait encore « je voulais qu’il vînt », on disait « je voulais qu’il
vienne ».
Disons, pour résumer, qu’au XVIIIe siècle la langue française
conserve encore largement le modèle hérité du siècle précédent, mais qu’à
l’influence aristocratique de la Cour a succédé celle de la bourgeoisie, ouverte
aux échanges culturels et politiques avec les autres pays européens. A cette
époque, le latin est presque définitivement détrôné comme langue internatio-
nale de prestige.
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CHAPITRE XI
- civicide = qui tue les citoyens; se réfère au roi après son évasion manquée et
son arrestation à Varennes;
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- culocratie: terme créé par les adversaires de la Révolution, pour désigner
le gouvernement de l’Assemblée Nationale où l’on votait en se levant ou en
restant assis.
Hiver:
Printemps:
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Eté:
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Tremblay-le-Vicomte --› Tremblay-sans-culottes
Argenton-le-Château --› Argenton-le-Peuple
Grenoble (de Gratianapolis) --› Grelibre
Les noms des rues et des places. De même que dans le cas des villes,
on organisa une chasse aux saints et aux princes, pour les remplacer par une
nomenclature républicaine. L’exemple partit de Paris; ce fut l’abbé Grégoire
qui fut chargé d’élaborer un plan général de laïcisation des rues, applicable
non seulement à la capitale, mais à l’ensemble des villes de la République; à
Paris furent introduits, entre autre, les changements suivants:
Léonidas
Gracchus (héros grecs et romains)
Brutus
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Egalité
Liberté (vertus républicaines)
Carotte
Citron (exaltation de la Nature éternelle et universelle)
Melon
Poule
a) Néologismes isolés
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depuis la Révolution » (on remarquera la rapidité avec laquelle l’Académie
entérina les néologismes révolutionnaires!). Parmi ceux-ci figurent de nom-
breux termes d’opposition politique:
- antidémocratique, antirépublicain
- contre-révolution, contrepartie
- régicide
- guillotine (du nom de son inventeur, Guillotin)
- expropriation (de la noblesse et du clergé)
- vandalisme (des Vandales, barbares qui envahirent l’Europe occidentale à la
fin de l’Empire romain)
- terroriser (de la Terreur)
- la droite, par opposition à la gauche (en fonction du côté de l’Assemblée où
siégeaient les députés)
- la classe ouvrière (expression utilisée pour la première fois au moment de la
Révolution).
b) Transformations systématiques
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Au niveau administratif, la nomenclature fit elle aussi l’objet d’une
refonte systématique: c’est ainsi que furent créés les départements, les arron-
dissements, les municipalités, les préfets, les préfectures, les sous-préfets, les
sous-préfectures.
Les anciennes unités de poids et mesures furent remplacées par le
système métrique (mètre, kilomètre, gramme, kilogramme, litre, etc.), dont
le succès irait bien au-delà des frontières de la France (au Mexique, il serait
adopté en 1857).
Conclusions
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a) Les racines gréco-latines, en raison de leur admiration pour la
République romaine. Or, le grec et le latin sont les deux langues auxquelles
traditionnellement avait recours le français pour créer de nouveaux termes
(scientifiques, par exemple). Les révolutionnaires n’ont donc fait que suivre la
tendance générale de l’évolution de la langue française.
3) Quelles furent les raisons pour lesquelles certaines innovations furent ac-
ceptées, et d’autres rejetées?
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CHAPITRE XII
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Deux grands dictionnaires apparaissent à la fin du XIXe siècle. Le premier
est le Dictionnaire de la Langue Française, d’Émile Littré, puis, en 1876, le Grand
Dictionnaire Universel, de Pierre Larousse. À la fin du XIXe siècle, le dictionnaire
devient un outil pour tous les Français.
En résumé, le chemin de fer, la presse, les dictionnaires et l’école obliga-
toire homogénéisent la langue française dans l’ensemble du pays.
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ANNEXES
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C. IULII CAESARIS
LIBER PRIMUS
Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae,
aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtae, nostra Galli appellantur.
causa Helvetii quoque reliquos Gallos virtute praecedunt, quod fere cotidianis
proeliis cum Germanis contendunt, cum aut suis finibus eos prohibent aut
ipse in eorum finibus bellum gerunt. Eorum una pars, quam Gallos obtinere
partem Oceani, quae est ad Hispaniam, pertinet; spectat inter occasum solis et
septentriones.
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Brunain, la vache au prêtre
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36 S’averoie plente de bestes.”
37 Li vilains se part du provoire.
38 Li prestres comanda en oirre
39 C’on face, pour aprivoisier
40 Blerain avoec Brunain lïer,
41 La seue grant vache demaine.
42 Li clercs en lor jardin la maine,
43 Lor vache trueve, ce me samble.
44 Andeux les acoupla ensamble;
45 Atant s’en torne, si les lesse.
46 La vache le prestre s’abesse
47 Por ce que voloit pasturer,
48 Mes Blere nel vout endurer,
49 Ainz sache le lïens si fors
50 Du jardin la traïna fors:
51 Tant l’a menee par ostez,
52 Par chanevieres et par prez,
53 Qu’elle est reperie a son estre
54 Avoecques la vache le prestre
55 Qui moult a mener li grevoit.
56 Li vilains garde, si le voit;
57 Moult en a grant joie en son cuer.
58 “Ha” fet li vilains, “bele suer,
59 Voirement est Diex bon doublere,
60 Quar li et autre revient Blere:
61 Une grant vache amaine brune;
62 Or en avons nous II. por une:
63 Petis sera nostre toitiaus.”
64 Par exemple dist cis fabliaus
65 Que fols est qui ne s’abandone;
66 Cil a le bien cui Diex le done,
67 Non cil qui le muce et enfuet.
68 Nus home mouteplier ne puet
69 Sanz grant eür, c’est or del mains.
70 Par grant eür ot li vilains
71 II. vaches et li prestres nule.
72 Tels cuide avancier qui recule.
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CHRETIEN DE TROYES (1135 ? - 1190 ?)
Le « nice » valet
(Perceval le Galois a été élevé par sa mère au milieu des bois. Sans aucune
idée de ce qu’est le monde, il part sur son cheval pour aller à la cour deman-
der des armes au roi. Il voit, dans une belle prairie, à côté d’une fontaine, un
pavillon magnifique. Il croit que c’est une église et, suivant les conseils de sa
mère, il se propose d’y entrer pour prier Dieu. Or, au milieu du pavillon, une
demoiselle était endormie...)
Vocabulaire: v.1: tref = pavillon; v.2: s’acopa = choppa, trébucha; v.5: nices =
simple, naïf; v.13: provee = prouvée, véritable; v.17: einz = avant, auparavant;
v.20: voir = certes; ja = jamais; v.22: truisse = trouve.
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- Déterminez quel est le cas (sujet, régime), le nombre (singulier, pluriel) et la
fonction grammaticale des noms suivants:
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ARRÊTÉ PRIS LE 24 BRUMAIRE AN II PAR LE
COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE DU DÉPARTEMENT DU TARN
arrête:
ARTICLE PREMIER. – Le mot « vous », dans les pronoms ou dans les verbes,
quand il n’est plus question que d’un seul individu, est dès ce moment banni
de la langue des Français libres et il sera dans toutes les occasions remplacé
par le mot « tu » ou « toi ».
ARTICLE II. – Dans tous les actes publics ou privés, le « tu » ou « toi » sera
scrupuleusement substitué au « vous » quand il s’agit d’un individu.
ARTICLE III. – Le présent arrêté sera imprimé, affiché et envoyé aux sociétés
populaires et aux autorités constituées du département du Tarn.
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La Bête à Maît’Belhomme
(Guy de Maupassant: 1850-1893)
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- Maît’ Rabot, deux places.
Rabot hésita, étant de nature perplexe. Il demanda: « C’est ben mé
qu’t’appelles? ». Le cocher, qu’on avait surnommé « dégourdi », allait répondre
une facétie, quand Rabot piqua une tête vers la portière, lancé en avant par une
poussée de sa femme, une gaillarde haute et carrée dont le ventre était vaste
et rond comme une futaille, les mains larges comme des battoirs. Et Rabot fila
dans la voiture, à la façon d’un rat qui rentre dans son trou.
- Maît’ Ganiveau.
Un gros paysan, plus lourd qu’un bœuf, fit plier les ressorts et s’engouffra
à son tour dans l’intérieur du coffre jaune.
- Maît’ Belhomme.
Belhomme, un grand maigre, s’approcha, le cou de travers, la face dolente,
un mouchoir appliqué sur l’oreille comme s’il souffrait d’un fort mal de dents.
Tous portaient la blouse bleue par-dessus de singulières vestes de drap
noir ou verdâtre, vêtements de cérémonie qu’ils découvraient dans les rues
du Havre, et leurs chefs étaient coiffés de casquettes de soie, hautes comme
des tours, suprême élégance dans la campagne normande. Césaire Horlaville
referma la portière de sa boîte, puis monta sur son siège et fit claquer son
fouet...
Soudain Maît’ Belhomme qui tenait toujours son mouchoir sur son oreille
se mit à gémir d’une façon lamentable. Il faisait « gniau... gniau... gniau », en
tapant du pied pour exprimer son affreuse souffrance.
- Vous avez donc bien mal aux dents? demanda le curé.
Le paysan cessa un instant de geindre pour répondre: « Non point, m’sieu
le curé... c’est point des dents... c’est de l’oreille, du fond de l’oreille... –
Qu’est-ce que vous avez donc dans l’oreille. Un dépôt? – J’sais point si c’est
un dépôt, mais j’sais ben que c’est eune bête, un’grosse bête, qui m’a entré
d’dans, vu que j’dormais su l’foin, dans l’grenier. – Un’bête, vous êtes sûr? –
Si j’en suis sûr? Comme du Paradis, m’sieu le curé, vu qu’a m’grignote l’fond
de l’oreille. A m’mange la tête, pour sûr! A m’mange la tête. Oh! gniau...
gniau... gniau... »
Et il se remit à taper du pied.
Un grand intérêt s’était éveillé dans l’assistance. Chacun donnait son avis.
Poiret voulait que ce fût une araignée, l’instituteur que ce fût une chenille. Il
avait vu ça une fois déjà à Capemuret, dans l’Orne, où il était resté six ans;
même la chenille était entrée dans la tête et sortie par le nez. Mais l’homme
était demeuré sourd de cette oreille-là, puisqu’il avait le tympan crevé.
- C’est plutôt un ver, déclara le curé.
Maît’ Belhomme, la tête renversée de côté et appuyée contre la portière,
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car il était monté le dernier, gémissait toujours.
- Oh! gniau... gniau... gniau... j’croirais ben qu’c’est eune frémi, eune grosse
frémi, tant qu’a mord... T’nez, m’sieu le curé, a galope... a galope... Oh!
gniau... gniau... gniau... qué misère!...
- T’as point vu le médecin? demanda Ganiveau.
- Pour sûr non.
- D’où vient ça?
La peur du médecin sembla guérir Belhomme.
[Le médecin? Maît’ Belhomme n’a pas de sous pour « ces fainéants-là »,
qui viennent « eune fois, deux fois, trois fois, quat’fois, cinq fois » et vous
demandent « deusse écus pour sûr »! Pour le délivrer de son supplice, on
arrête la diligence dans une auberge et on entreprend de noyer la « bête ». On
emplit l’oreille du patient avec de l’eau mêlée de vinaigre et on le retourne
« tout d’une pièce » sur une cuvette. Enfin on aperçoit une bestiole qui s’agite
au fond de la cuvette. Maît’ Belhomme la contemple gravement, puis « il
grogna: Te voilà, charogne! et cracha dessus »].
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Le faux Jésus
(Maurice Mercier, écrivain français né à Cours [Rhône] en 1942)
Durant quelques années, mes toutes premières, je crus dur comme fer
que ma grand’mère était née vieille. Je m’explique: quand j’ouvris les yeux,
elle avait soixante-dix ans; et dans me petite tête, je croyais que le monde avait
pris naissance avec moi… le même jour. Avant, rien… le néant. Ou plutôt si,
le monde existait, mais à l’état latent; il m’attendait comme figé. Arrêt sur
image!
Me voilà… et hop ! tout démarre.
L’histoire commence.
Ce raisonnement pour le moins simpliste sombra très vite dans l’oubli,
mais en ce qui concerne ma grand’mère, là, pas d’erreur: elle fut ma toute
première connaissance de l’espèce humaine.
Son visage me resta gravé « d’entrée », si j’ose dire. Pourquoi ? Tout
simplement parce qu’elle me fit peur dès que je la vis.
Sans parler de traumatisme ou de choc émotionnel, non, mais sa
grosse tête toute fripée, penchée sur mon berceau, avec ses cheveux blancs en
bataille, ses dents gâtées, me causèrent une réelle frayeur.
Elle me l’avoua plus tard: « Ah toi, dès que j’approchais de ton
berceau, tu braillais ! Même qu’un jour, à six mois, tu m’as tiré les oreilles ! ».
Elle ajoutait avec malice: « Eh mais, rassure-toi, je me suis bien vengée plus
tard, va… ».
J’étais ce qu’on appelle « le petit dernier » d’une famille de quatre:
un frère, deux sœurs, et donc le noyau central d’affection. Je barbotais
douillettement dans une onde tranquille, sans écueil ni danger, submergé
d’affection et de cadeaux.
À l’âge de deux ans, pour Noël, je reçus un drôle de jouet: une
bulle, sorte de grosse sphère en plastique transparent montée sur roulettes,
dans laquelle je pouvais circuler librement dans la maison, à l’aide de petites
pédales. Que c’était drôle, à toute vitesse de la chambre à la cuisine, en passant
par la souillarde. Tutûûût… laissez passer ! Garez-vous !
Mais le jour même, dans l’après-midi, boum ! Rude contact contre
la porte-fenêtre du vestibule. Ce que je voyais dehors me faisait perdre le
contrôle de mon véhicule !
Des petits trucs tout blancs dégringolaient du ciel ! Mais… mais…
c’était quoi, ça ? Jamais vu.
- Mémé ! Mémé !... viens vite… regarde… c’est quoi ?
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Me voyant tout agité dans ma bulle de plastique, elle éclata de rire.
- Ah ah !… mais c’est de la neige, mon petit, de la neige.
Explication insuffisante.
- De la neige… ah bon ! Mais pourquoi c’est blanc ?
Elle m’expliqua alors patiemment que le jour de Noël, les anges du
ciel peignaient les gouttes de pluie une à une, et les expédiaient sur la terre
pour faire plaisir aux hommes.
- Je veux toucher la neige ! Allez, habille-moi, mémé, on sort !
- Ah non, pas aujourd’hui, il fait trop froid. Plus tard.
- Quand, plus tard ? Non, non, tout de suite, allez… viens !
Enfin grand’mère cédait, j’avais gagné.
Dehors, je la pressai de questions:
- Pourquoi c’est froid, le blanc ? Et les anges… et Noël… c’est qui ? C’est
quoi, les zommes ?
- Les hommes ? Ben, les hommes c’est… c’est toi, moi, tout le monde, tous
ceux que tu vois marcher devant nous. C’est ça, les hommes.
- Ah ! Ils sont gentils ?
- Oh ! Pas toujours, tu sais, pas toujours; ils font bien souvent, comme toi,
des caprices.
- Regarde, mémé ! Regarde là-bas, çui qui court vite, çui qu’a quat’pattes,
c’est aussi un zomme ?
- Ah ! Non, non… ça c’est pas un z’homme, c’est un chien – un gros chien.
- Et pourquoi ?
- Pourquoi, pourquoi ; tu m’embêtes à la fin avec tes questions ! Bon, on va
aller à l’église voir la crèche; mais attention, hein, je te préviens: pas un
mot ; je ne veux pas t’entendre. Je t’expliquerai tout à la maison, mais ici
on se tait ! Chut, nous y sommes…
Et tout bas, à l’entrée, elle ajouta:
- Tu vois là-haut, tous ces bonshommes debout contre les murs, ils font
dodo. Si tu les réveilles, ils pourraient descendre te gronder.
- Ils font dodo debout ?
- Ah ça, tu l’as dit, oui ! Ici on dort toujours debout… jamais couché !
Dormir debout, jamais couché: je ne comprenais rien du tout à ce
qu’elle me racontait, ma mémé. C’est très très compliqué les zommes.
- Dis, mémé !
- Quoi encore ?
- Pourquoi tu mets ta main dans l’eau ?
- Passe que ! Bon, maintenant, silence ! Ouvre grands tes yeux. Regarde
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là-bas, au fond de l’allée.
Oôôôôôôh ! Merveille ! Je fus comme ébloui. Devant ce jeu de
lumières multicolores un monde irréel s’ouvrait à moi. Que c’était beau !
Toutes ces choses… ces… ces… j’ignorais leurs noms, mais peu importe, à
quoi bon savoir ? À deux ans, voir suffit. Et lorsque grand’mère glissa un sou
dans une grosse boîte carrée, que celle-ci chanta, mon cœur cessa de battre.
Muet d’admiration.
- Mozy !... ouh ouh, petit Mozy !... Tu m’écoutes ? Je vais m’absenter un
petit moment ; rassure-toi, pas longtemps. Je vois là-bas Monsieur le
Curé, je dois lui parler, lui donner des messes pour ton grand-père.
- ? ? ?
- Surtout, ne bouge pas, hein ! J’en ai pour deux minutes. Et attention,
souviens-toi: pas parler !
J’ignore ce qui se passa alors dans ma petite tête, mais sitôt grand’mère
partie, je fis une chose inimaginable: je grimpai à quatre pattes dans la crèche,
pris délicatement le petit Jésus, le glissai sous les pattes du bœuf, et pris sa
place dans sa couche – tout simplement.
Couché bien au chaud sur la paille, entouré de bêtes qui dormaient –
décidément, tout le monde roupillait ici – je battis des mains heureux comme
un roi !
Un petit âne me fixait de ses yeux tout ronds. J’avoue, il m’effraya un
peu – les ânes, ça dort sans doute les yeux ouverts. Devant moi, une rivière
argentée coulait sans bruit; et sur les arbres on voyait des têtes de bébés tout
blancs, avec des ailes dorées.
Mémé m’avait parlé un jour du Paradis, un lieu magique. J’y étais.
Mais soudain: clac – clac – clac – clac – clac… du bruit ! On aurait dit
les sabots d’un cheval. Attention, on approchait.
- C’est toi, mémé ? Je suis là !
Je levai la tête, ah ! que vis-je ?
Trois petits enfants, en sabots, là devant moi, me fixaient sans broncher.
Leurs petites mains, rougies par le froid, tremblaient légèrement.
Je me présentai: « Bonjour. Je m’appelle Mozy. Et vous ? ».
L’un d’eux enfin se décida à parler… Oh ! Pas grand-chose:
- Y…Y…il parle !... Y…Y… il bouge !
Et pffft ! Tels des moineaux affolés, ils s’envolèrent à toute vitesse. Ça
alors ! Clac – clac – clac – clac – clac…
La porte de l’église resta grande ouverte.
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Un peu plus tard, mémé revint.
- Mozy ! Mozy ! Où es-tu ? Mozy, réponds-moi !
- Je suis là, mémé… je suis là… Viens, viens te coucher avec moi… on est
bien, tu sais !
Je reçus ce jour-là, 25 décembre, la toute première correction
« soignée » de ma jeune existence; cette fois, d’autres mains se chargèrent de
tirer d’autres oreilles !
En trente secondes, tout fut remis en place, le vrai Jésus retrouva sa
couche, le bœuf fut remis d’aplomb sur ses pattes, légèrement de travers pour
qu’on ne remarque pas qu’il n’avait plus de queue… un arbre redressé, les
bébés sous la mousse, et nous… vite, dehors !
Ah là là, quelle aventure !
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Et pourtant, non ! Enfin quoi, le Christ n’était pas né un 5 juin. Il était
admis depuis des siècles qu’Il avait débarqué sur terre le 25 décembre, non le
5 juin !
Et ce Mozy, qui était-ce ?
Non, non, non, tout ceci ne collait pas. Mensonges, mensonges; des
inventions de gones !
Devant tant d’incohérences, de « preuves » aussi minces et aussi, il
faut bien le dire, tant d’incrédulité de la population coursiaude – ces trois
polissons mentaient, assurément – on classa l’affaire.
On prit, en haut lieu, une sage décision: destruction de l’objet suspect.
On jeta donc Jésus en enfer !
Le saint curé de Cours, le Père Brisebras, récupéra la cire pour protéger
ses confitures… pas fou, le bonhomme ! Mais, oh surprise: les confitures
tournèrent au vinaigre.
- Fouchtra ! hurla-t-il, en bon Auvergnat qu’il était.
Et de rage il balança aux chiens toute sa production de mirabelles !
« Tenez, régalez-vous ! ».
Mauvais réflexe ! Les clebs crevèrent les uns après les autres – du plus
petit, un chihuahua, au plus gros, un dogue au museau aplati !
Il mit ce phénomène sur le compte du Malin !
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BIBLIOGRAPHIE
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TABLE DES MATIERES
PRESENTACIÓN ....................................................................................... 7
85
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................... 83
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L’ÉVOLUTION DE LA LANGUE FRANÇAISE
VUE À TRAVERS L’HISTOIRE DE LA FRANCE
se terminó de imprimir en mayo de 2011
en los talleres de Siena Editores con domicilio en
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y con número de teléfono (01 222) 6 19 02 79.
El cuidado de edición es de Jean Hennequin Mercier,
el diseño editorial y la composición
tipográfica son de Agustín Antonio Huerta Ramírez.
El tiraje consta de 1000 ejemplares.
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